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Lundi 15 mai 2006
Palais du Luxembourg
Actes du Colloque du
Conseil scientifique
de
l’Autorité des marchés
financiers
Les risques financiers
portés par les ménages
SOMMAIRE
Introduction par Hubert Reynier, Secrétaire général adjoint de l'AMF
p. 2
Table ronde 1 : Quels sont les risques portés par les investisseurs ?
p. 3
Président : Christian de Boissieu, Professeur, Université de Paris I-Panthéon Sorbonne
Exposé introductif : Où sont les nouveaux risques financiers ?
Patrick Artus, Directeur de la recherche, IXIS CIB
p. 3
Intervenants :
André Laboul, Directeur de la division des affaires financières, OCDE
Qui supporte réellement les risques financiers ?
p. 5
Michel Aglietta, Professeur, Université de Paris X – Nanterre et
Vladimir Borgy, Economiste, CEPII :
Quelles incertitudes macro-économiques liées au risque démographique ?
p. 7
Christophe Jaeck, Head of Credit Structuring, Société Générale Londres
Le développement des instruments de transfert du risque de crédit et ses
conséquences pour les investisseurs
p. 13
Olivier Garnier, Directeur général adjoint, Société générale Asset Management
Le point de vue du gestionnaire d'actifs sur les risques portés par les investisseurs p. 16
Table ronde 2 : Quelles pistes pour protéger l'épargne ?
p. 19
Président : Olivier Pastré, Professeur, Université de Paris VIII
Exposé introductif : Zéro de conduite ou mauvaise éducation : débats sur la
rationalité de l'épargnant
Luc Arrondel, Directeur de recherche, CNRS, PSE
p. 19
Intervenants :
Laurent Calvet, Professeur, HEC
Le coût des mauvais choix financiers des ménages
p. 22
Shlomo Benartzi, Professeur, Anderson Graduate School of Management :
Les programmes d'éducation financière exercent-ils une influence sur les
comportements d'épargne ?
p. 24
David Blake, Directeur, Pensions Institute
L'expérience britannique en matière de gouvernance des fonds de pension
p. 27
Olivier Davanne, Directeur, DPA Conseil
Quel rôle pour le gestionnaire professionnel dans les décisions financières
des ménages ?
p. 30
-2-
Introduction
Hubert REYNIER
Secrétaire général adjoint, Direction de la régulation et des affaires internationales de l’AMF
Bienvenue à ce premier colloque du Conseil scientifique de l’AMF. Le Conseil Scientifique de l’AMF
est une création récente - puisqu’il a été créé avec l’AMF en 2004 - mais il est enraciné dans une
longue tradition. En effet, la COB bénéficiait déjà d’un Conseil du même type, instauré pour éclairer le
régulateur par des travaux de recherche académique. Ceci a été rendu possible par la présence au
sein du Conseil scientifique de personnalités de renom du monde de la recherche française et
internationale.
Nous voulons faire de ce colloque un acte fondateur qui initie une longue série de travaux que nous
nous sommes engagés à rendre publics. Nous avons choisi comme thème de réflexion un sujet
fondamental pour le régulateur français, à savoir la protection de l’épargne, que nous approchons
aujourd’hui par le biais des risques portés par les ménages en termes d’investissements financiers.
La journée est donc structurée autour de ce thème : nous aborderons dans un premier temps
l’analyse des risques eux-mêmes, avant d’envisager la façon dont le régulateur doit organiser son
action et sa stratégie afin que les ménages soient le mieux protégés possible.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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Quels sont les risques portés par les investisseurs ?
Table ronde 1
Participent à cette table ronde :
Patrick ARTUS, Directeur de la recherche, IXIS CIB
André LABOUL, Directeur de la division des affaires financières, OCDE
Michel AGLIETTA, Professeur, Université de Paris X – Nanterre
Vladimir BORGY, Economiste, CEPII
Christophe JAECK, Head of Credit Structuring, Société Générale Londres
Olivier GARNIER, Directeur général adjoint, Société Générale Asset Management
La table ronde est animée par Christian de BOISSIEU, Professeur, Université de Paris I – Panthéon
Sorbonne.
Exposé introductif : Où sont les nouveaux risques financiers ?
Patrick ARTUS
Je souhaiterais, à titre d’introduction à cette journée, exposer brièvement ce qui me semble être
nouveau au sein des risques financiers ainsi que les évolutions récentes les plus marquantes et les
plus intéressantes à observer. J’évoquerai ainsi trois types de risques : le risque de mauvaise
valorisation des actifs financiers, celui d’une mauvaise répartition des risques entre les individus et les
risques liés à l’utilisation d’actifs de couverture comme supports d’investissements.
Les risques de mauvaise valorisation des actifs financiers
Nous observons depuis 2003, pour des spreads de crédits d’entreprise high yield ou BBB, des
niveaux de primes de risque de défaut historiquement faibles, malgré l’observation qu’à des périodes
où les taux de défaut sont extrêmement élevés succèdent généralement des périodes où les taux de
défaut sont faibles. Tous les calculs montrent que les primes sur le marché du crédit sont aujourd’hui
trop basses pour couvrir le risque actualisé de défaut des entreprises. Cette observation est valable
tant pour l’Europe, les Etats-Unis et le Japon que pour les marchés émergents. S’agissant de ces
derniers, on constate ainsi à la fois un très important resserrement des spreads et une envolée des
indices boursiers. Des inquiétudes naissent donc quant à la valorisation de ces actifs, de même qu’en
ce qui concerne celle des actifs immobiliers. On observe notamment en Espagne ou au Royaume-Uni
une forte progression des prix de l’immobilier et, parallèlement, du taux d’endettement des ménages.
La poursuite de la réduction des primes de risque est devenue extrêmement difficile à justifier par les
variables fondamentales qui déterminent le risque sur ces actifs.
La deuxième inquiétude concerne la prise en compte dans la valorisation des actifs de l’allongement
de la durée de vie. Les valorisations des titres d’Etat intègrent-elles les effets du vieillissement sur les
déficits et les dettes publiques ? Selon les prévisions, à législation inchangée, l’augmentation des
dépenses de santé et de retraite dans les pays développés sera considérable, même si l’on intègre
les réformes opérées jusqu’à aujourd’hui. Sur les marchés d’actions, de nombreuses études mettent
en évidence une corrélation entre la structure démographique de la population et la valorisation des
actifs. Le cas du marché américain montre que lorsque l’on a peu d’acheteurs structurels d’actions
face aux vendeurs structurels, à savoir les retraités, la valorisation est faible. Ce raisonnement est
également valable sur le marché immobilier, où cette corrélation est sans doute plus marquée du fait
de la nature même des actifs. Enfin, les marchés financiers n’anticipent pas de hausse de l’inflation :
l’inflation anticipée à 25 ans sur le marché américain est quasiment la même que l’inflation anticipée à
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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5 ans. Or, nous savons que le vieillissement provoque une hausse de l’inflation, puisqu’il mène à une
augmentation du nombre de consommateurs par rapport au nombre de producteurs.
On assiste donc à une mauvaise fixation des primes de risques et à une mauvaise anticipation des
déterminants des prix futurs des actifs. Outre les effets sur la richesse et la demande, les erreurs de
valorisation induisent également une mauvaise allocation de l’épargne, aujourd’hui happée par les
déficits publics et l’immobilier au détriment du financement des entreprises. Les plus-values sur
certains actifs et les anomalies de valorisation détournent l’épargne d’investissements plus efficaces.
Ces anomalies de valorisation s’expliquent en grande partie par l’accroissement de la liquidité
mondiale lié à l’accumulation de réserves de change dans les pays émergents, qui entraîne la
recherche d’actifs à rendement élevé pour investir cette liquidité. Lorsque la prime de risque de ces
actifs à rendement élevé disparaît, cette épargne se transfère vers d’autres actifs à rendement élevé.
L’allocation des risques entre les groupes d’agents économiques
Une première illustration de ces risques est donnée par les fonds de pension. Les fonds de pension à
prestations définies sont en difficulté dans la plupart des pays, à l’exception des Pays-Bas. On
observe ainsi aux Etats-Unis et au Canada une couverture insuffisante des engagements du fait de
l’utilisation d’un taux d’actualisation inapproprié. Ceci a provoqué une forte substitution des fonds de
pension à cotisations définies aux fonds de pension à prestations définies. Ce phénomène transfère
massivement les risques des investisseurs institutionnels et des entreprises vers les futurs retraités.
Les salariés cumulent dès lors le risque d’entreprise par le risque d’emploi et par celui concernant la
valeur future de leur retraite.
Un autre exemple est celui des marchés de dérivés. La partie du marché des dérivés de crédit qui sert
à la couverture a permis aux banques de transférer le risque de défaut vers les investisseurs
institutionnels. Ce faisant, on a troqué un risque systémique bancaire pour un risque patrimonial pour
les épargnants, ce qui est difficile à justifier microéconomiquement, puisque celui qui doit
normalement porter le risque d’un emprunteur est celui qui détient le plus d’informations sur lui, à
savoir la banque.
Les actifs de couverture utilisés comme support d’investissement
Dernier point, certains marchés, qui étaient des marchés de couverture, de hedging, sont devenus
des marchés d’investisseurs. Ainsi, la structuration des crédits ne s’effectue plus sur des dettes cash,
mais sur des dettes synthétiques. Il en résulte une forte hausse du ratio entre l’encours de CDS –
désormais lié à 90 % à la structuration, et non plus au hedging – et les titres d’entreprise. Certains
sont très inquiets de cette évolution, que l’on peut observer sur beaucoup d’autres marchés de
dérivés. On peut ainsi se demander s’il est souhaitable que des actifs prévus au départ pour gérer le
risque, à savoir le transférer à des agents mieux à même de le supporter, deviennent des supports
d’investissement.
Les trois principaux groupes de risques nouveaux ou au développement récent sont donc liés à la
mauvaise valorisation du risque due à l’abondance de liquidités, à un changement dans la répartition
des risques entre les agents économiques, et à une modification de la nature des actifs financiers, par
rapport à celle qu’ils avaient lorsqu’ils ont été créés.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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I. Qui supporte réellement les risques financiers ?
André LABOUL1
Je vais me concentrer sur l’accroissement des risques financiers portés par les ménages. Les risques
sont de plus en plus diversifiés entre les institutions, mais également vers les ménages. Si la
diversification est positive, elle peut être source de préoccupations lorsqu’elle s’effectue vers des
agents qui ne sont pas en mesure de supporter les risques ou une convergence de certains risques.
Un transfert croissant de risques vers les ménages a été observé, tant conjoncturels que structurels,
sur le passif comme sur l’actif des ménages. Je me limiterai à deux cas particuliers, à savoir au passif,
les risques liés aux prêts immobiliers et, à l’actif, les risques liés à la retraite, mais il ne faut pas en
ignorer d’autres, notamment, dans le domaine de l’assurance, la couverture insuffisante dans certains
pays des risques liés à l’habitation, à la santé et aux catastrophes.
1. Au passif : Les risques liés aux prêts immobiliers
Les marchés immobiliers bénéficient de puissants facteurs de développement : un environnement
macroéconomique favorable, des innovations techniques et financières permettant un meilleur
système de financement des prêts (credit scoring et réduction des coûts de transaction), ainsi
qu’une réglementation plus souple du crédit. Ce dynamisme s’accompagne d’une hausse des prix
de l’immobilier et d’une augmentation de la dette immobilière. Cette dette reste supportable, sa
charge étant stable voire déclinante, dans la majorité des pays. Cependant, dans le contexte
actuel de hausse des taux d’intérêts, on peut s’attendre à une baisse des prix de l’immobilier, un
impact sur la consommation, via notamment le lien entre le patrimoine immobilier et les dépenses
de consommation. La charge de la dette devrait augmenter, notamment pour les prêts à taux
variable, ce qui aura un impact sur la rentabilité des banques à travers une détérioration des
marchés du crédit. Mais une bonne résilience est attendue, tant des ménages que des institutions
financières. L’augmentation de la vulnérabilité des ménages, l’accroissement de l’accès au crédit
pour les ménages à bas revenus et une prise de risque éventuellement excessive de la part des
banques constituent néanmoins des sources d’inquiétude pour les autorités financières.
Les ménages ne sont pas toujours conscients des risques induits par les prêts à taux variables du
fait d’une mauvaise éducation financière ou de l’existence d’abus commerciaux, de sorte que leurs
décisions sont affectées d’une certaine myopie. Or, la part de ces prêts augmente très fortement,
allant jusqu’à représenter plus de 95 % des prêts immobiliers en Finlande. Les prêts immobiliers
non traditionnels (ou prêts à remboursement in fine) sont également de plus en plus répandus : ils
ont connu une croissance rapide aux Etats-Unis et représentent 40 % des prêts aux Pays-Bas.
Ces prêts ont des caractéristiques particulières, permettant par exemple aux paiements initiaux de
ne couvrir qu’une partie des intérêts dus. La question de la conscience que les souscripteurs ont
des risques encourus est donc posée, dans la mesure où ces prêts ne concernent plus seulement
les ménages à forts revenus. Enfin, les prêts immobiliers en devises étrangères se sont
développés, notamment en Pologne, en Hongrie, en Turquie ou encore en Autriche. Dans ce
derniers pays, ils représentent 37 % des prêts immobiliers. Leur essor s’explique au départ par la
présence de nombreux frontaliers autrichiens travaillant en Suisse qui avaient intérêt à contracter
des prêts en Francs suisses. Puis leur utilisation s’est généralisée, entraînant un accroissement du
risque de change, et donc de défaut, de concentration et de réputation pour les banques. Il existe
néanmoins des limites : stricts standards d’octroi de crédit, collatéraux élevés et options de
conversion.
Il est nécessaire de développer l’éducation financière des ménages. Le gouvernement autrichien a
ainsi réagi à l’expansion des prêts en devises étrangères par des campagnes publiques et le
développement de nouveaux standards de commercialisation et de gestion des risques de ce type
de prêts. Des mesures similaires sont également envisagées aux Etats-Unis pour les prêts non
traditionnels.
1
Le texte n'a pas été relu par l'orateur.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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Si l’on attend une bonne résilience sur les marchés immobiliers, il ne faut pas oublier le danger
encouru sur certains types de prêts, par des sous-groupes à risques, et ce d’autant plus si ces
risques immobiliers sont cumulés à d’autres risques, notamment ceux liés au vieillissement des
populations.
2. A l’actif : Les risques liés à la retraite
Le vieillissement de la population a entraîné différentes réformes au sein des pays de l’OCDE :
augmentation de l’âge de la retraite, promotion de systèmes privés. Or, les fonds de pension ne
seront jamais que les représentants de l’intérêt d’une collectivité de sorte que l’accroissement des
risques auxquels les fonds sont confrontés implique un accroissement des risques pour les
ménages concernés. A cet égard, les déficits des plans à prestations définies, résultant de la
baisse de la valeur des actifs combinée à une augmentation des engagements et d’un sousprovisonnement induit, présentent un sérieux problème. La plupart des fonds de pension
réévaluent aujourd’hui leur allocation d’actifs, notamment vers des obligations ; on assiste
également à un gel des plans à prestations définies et un essor des plans à contributions définies.
Suite à un accroissement de la réglementation et à la mise en place de nouvelles normes
comptables, la stratégie d’investissement des fonds de pension s’est donc modifiée au profit
d’investissements en obligations, mais aussi d’investissements beaucoup plus risqués, notamment
dans des hedge funds. Les principales réponses politiques sont la modification des règles de
financement et d’investissement, amélioration de la gouvernance, mise en place de fonds de
garantie et l’augmentation du contrôle... Elles s’inscrivent dans le cadre de travaux à l’échelle
internationale. L’OCDE a ainsi émis des lignes directrices sur ces sujets. De même, l’Organisation
internationale des contrôleurs de pensions, organisme nouvellement créé, a édicté des nouveaux
principes en matière de contrôle.
L’intérêt croissant pour les plans à contributions définies, lié en partie à la mobilité accrue sur
marché du travail, a entraîné un transfert de risques : risques d’investissement et de longévité,
d’inadéquation des contributions, qui sont souvent trop faibles, ce dont les ménages n’ont pas
conscience du fait d’une éducation financière insuffisante. Par exemple, aux Etats-Unis, 4
ménages sur 10 n’épargneraient pas pour leur retraite. En Autralie, 37 % des détenteurs d’actions
ignorent que la valeur de leurs titres peut fluctuer et enregistrer des moins-values. Cette situation
est d’autant plus problématique que les ménages ont tendance à surestimer leur niveau
d’éducation financière. L’amélioration de l’éducation financière est donc une priorité. L’OCDE a
publié fin 2005 des recommandations sur cette question. Parmi celles-ci on mentionnera les
recommandations suivantes :
• L’éducation financière doit commencer à l’école.
• L’éducation financière doit faire partie de la bonne gouvernance des institutions financières.
• Les institutions financières doivent être encouragées à vérifier que leurs clients lisent et
comprennent les informations, surtout dans le cas d’investissements à long terme ou de
services pouvant avoir des conséquences financières importantes.
• Il convient d’organiser des campagnes de communication internationales.
• Il convient de mettre en place un système d’alertes dans les situations à haut risque pour les
consommateurs de services financiers.
L’éducation financière n’est qu’un pilier d’une politique elle doit venir compléter la réglementation
financière et non s’y substituer. Il faut développer une action adaptée aux profils
comportementaux. Les employés faisant souvent le choix le plus facile (autrement dit ils ont un
comportement inertiel), une solution réside dans le développement de plans obligatoires ou plus
précisément, de plans à enrôlement automatique par défaut (opt out) au détriment des plans opt in,
bien que ces plans soient critiqués pour leur faible rentabilité. Autre comportement souvent
observé chez les épargnants, leur tendance à repousser leurs choix dans le futur, d’où le
développement de programmes tels que le Save More Tomorrow, dans lesquels les employés
s’engagent à accroître leur épargne parallèlement à la progression de leur salaire.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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Le développement de la longévité et des plans à contributions définies devrait entraîner celui des
marchés d’annuités. Or, ce n’est pas le cas du fait notamment de l’existence de contraintes
d’offre : manque de données démographiques suffisamment fiables, d’instruments financiers dont
les maturités correspondraient aux engagements représentés par les annuités, problèmes de
pertinence des modèles de longévité, règlementations fiscales peu incitatives… Il faut développer
des données et instruments financiers adaptés. Au niveau de la demande, il faut développer, là
encore, l’éducation financière et créer des incitations fiscales, comme cela se fait en Allemagne.
Les risques auxquels certains sous-groupes doivent faire face sont donc croissants, à l’image du
développement aux Etats-Unis des plans à contributions définies ou de l’assurance de santé
privée. Ces transferts de risques sont généralement volontaires ; ils répondent à une diversification
et à une tendance à la responsabilisation des ménages en principe bienvenues. Ceci pose
néanmoins un problème si les ménages ne sont pas conscients des risques ou capables de les
assumer. Le rôle des autorités financières et des gouvernements est donc très important, pour
améliorer l’éducation financière, la protection de certains consommateurs, le rôle, la
réglementation et la gouvernance des institutions financières, sans cependant sur réglementer.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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II. Quelles incertitudes macro-économiques liées au risque démographique ?
Michel AGLIETTA et Vladimir BORGY
Au-delà des risques financiers, on a déjà fait allusion au risque démographique, qui affecte l’épargne,
la croissance, et les équilibres extérieurs des pays. Or celui-ci est rarement analysé voire mesuré, et
ses conséquences sont peu étudiées, du fait d’un manque d’outils. Nous avons tenté de relever ce
défi dans une économie globalisée, à l’aide du modèle mondial Ingenue II.
1. L’incertitude affecte les prévisions de population
Vladimir BORGY
Le scénario central du modèle Ingenue II pour l’Europe de l’Ouest est celui d’une baisse de la
population totale, passant de 390 à 330 millions d’individus entre 2000 et 2050, accompagnée
d’une baisse de la population active. Le modèle étant basé sur des agents rationnels, qui ont un
comportement de type cycle de vie, nous nous intéressons à l’évolution de la part de la population
à forte épargne. Cette part augmente jusqu’en 2025, puis diminue légèrement. Cette évolution suit
des vagues successives suivant les régions du modèle. Le ratio de dépendance augmente de
manière continue et passe de 0,4 à 1. Il y a de plus une incertitude liée à l’évolution de la
population et donc du vieillissement. Dans cette étude, les projections de population sont
stochastiques (et non déterministes à l’image des prévisions de l’ONU ou d’Eurostat). Les
déterminants structurels de la dynamique de la population sont des variables aléatoires suivant
des lois de probabilité log-normales : les taux de fécondité par âge, et les taux de mortalité par âge
et l’immigration, cette dernière n’étant pas retenue dans cette étude. Le modèle calcule les
incidences macroéconomiques de l’incertitutde démographique. Les résultats sont basés sur
300 simulations. L’ampleur des variations à l’horizon des simulations est importante parce que les
révisions des prévisions ont été considérables. Par exemple, les projections de l’ONU ont
beaucoup évolué entre 1994 et 2004, passant de 340 millions d’individus à 400 millions à l’horizon
2050. L’intérêt des projections stochastiques repose sur les limites des projections traditionnelles,
déterministes. Ces dernières ne permettent pas de considérer l’incertitude, ni d’assigner de
probabilités aux différents scénarios. les variantes hautes ou basses sont en fait peu probables.
Elles sont de plus caractérisées par des corrélations parfaites au niveau des taux qui influencent
l’espérance de vie, ce qui donne des résultats surestimant l’incertitude de la croissance de la
population. Enfin, les erreurs de prévision les plus grandes se rencontrent aux deux extrêmes de la
pyramide des âges, pour les jeunes et les personnes âgées.
Pour l’Europe de l’Ouest, les résultats montrent que l’incertitude sur les projections de population
augmente avec le temps. En outre, il y a 80% de chances pour que la population soit comprise en
2050 entre 310 et 350 millions d’individus à l’horizon 2050.
2. Les risques les plus préoccupants auxquels l’incertitude des prévisions nous confronte
Michel AGLIETTA
Il existe essentiellement deux moteurs de la croissance à long terme : les profils de la population
active et le progrès technique mesuré par la productivité globale des facteurs. Il ne nous est pas
encore possible de penser l’incertitude sur le progrès technique, ainsi que la corrélation entre
l’incertitude sur le progrès technique et celle sur les profils de population. C’est pourquoi nous
avons considéré le progrès technique comme étant déterministe, avec l’hypothèse d’un rattrapage
des différentes zones géographiques sur les Etats-Unis, défini comme le pays leader. Dans le cas
de la zone euro, ce rattrapage se fait à un rythme relativement lent à partir de 2000. Par rapport à
ces deux ensembles d’hypothèses exogènes, le modèle Ingenue est un modèle mondial, à
générations imbriquées, à équilibre général calculable, où les ménages sont rationnels et
anticipent leur utilité sur leur cycle de vie, et où les entreprises maximisent leurs profits sous les
contraintes internationales du commerce extérieur et de l’intégration des marchés de capitaux. Ce
modèle permet de dégager des trajectoires de croissance.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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L’incertitude démographique a un effet sur la croissance et sur l’épargne de l’Europe occidentale.
La baisse de la population active doit conduire à une réduction de la croissance potentielle
systématique pendant le premier quart du siècle. L’incertitude se manifeste ensuite (le temps que
l’incertitude sur le taux de fécondité se répercute sur la population) et devient très importante à
partir de 2030. Le taux de croissance potentielle en 2050 peut être compris entre 0,3% et 1,1%.
L’épargne est pour sa part affectée à la fois par les deux aléas : la fécondité et la mortalité. Le taux
d’épargne va diminuer de façon importante, à cause de l’augmentation du taux de dépendance et
de la baisse de la part de la population à forte épargne. Cette baisse est continue sur le demisiècle et est affectée d’une incertitude sur les deux facteurs, à savoir la fécondité et la mortalité.
Cette incertitude se traduit par une variabilité du taux d’épargne de 2,5% en 2050. Cela semble
peu en absolu, mais étant donné que le taux d’épargne baisse beaucoup, l’incertitude relative
passe de 7% en 2000 à 50% en 2050, ce qui signifie que l’incertitude sur le taux d’épargne en
2050 se situe à la moitié de sa valeur moyenne anticipée. S’agissant du commerce extérieur,
l’excédent courant de l’Europe occidentale est permanent (du fait de la faible croissance) mais se
réduit avec le temps. Il faut noter que l’incertitude démographique peut affecter la balance
commerciale. En effet, une révision des prévisions se traduira par une variation immédiate des
dépenses de consommation alors que la production présentera une inertie plus grande, ce qui
peut se traduire par des sur ajustements du compte courant. Le taux de change pour sa part est
déterminé en rapport avec les équilibres des stocks d’actifs dans le monde et la détermination du
taux d’intérêt mondial. Ce taux de change est celui qui est compatible avec la répartition des
déficits courants dans le monde : il peut être assimilé au taux de change réel d’équilibre au sens
de la théorie standard. Ce taux de change réel va fortement s’apprécier, en moyenne de 75% visà-vis du dollar sur le demi-siècle. En conséquence, l’Europe occidentale va devenir une zone
rentière, situation dont les ménages pourront profiter pendant un certain temps du fait de gains de
pouvoirs d’achat liés à l’appréciation du change et aux revenus des capitaux exportés vers les
zones où les rentabilités sont les plus fortes .
3. Les réformes des systèmes de retraites à envisager par les autorités publiques
Vladimir BORGY
Dans le scénario central, il y a un ajustement endogène des taux de contribution. Ce dernier
augmente de façon significative du fait de l’hypothèse d’équilibre du système de retraite public.
Cette hausse reflète l’accroissement du ratio de dépendance. Les conséquences d’une réforme du
système de retraites en Europe de l’Ouest, caractérisée par un maintien du taux de cotisations au
niveau de 2000 et un ajustement endogène du ratio de remplacement (en forte baisse), sont les
suivantes :
• Les ménages ajustent leur profil d’épargne. Il y aura une forte hausse de l’épargne des
ménages du fait de la moindre générosité du système de retraite public.
• Une baisse de la consommation par tête va se produire, induisant un choc de demande négatif
et donc une dépréciation temporaire du taux de change.
• Enfin, le compte courant sera plus excédentaire.
La nécessité de réformer le système de retraite public est renforcée si l’on tient compte des
projections stochastiques de population, dans la mesure où celles-ci influent sur le taux de
contribution. Comment penser la réforme des retraites dans un environnement où il existe une
véritable incertitude démographique ? Si l’on compare les distributions d’épargne dans le scénario
central et dans le scénario de stabilisation du taux de cotisation, on observe alors, outre un taux
médian supérieur, un accroissement de l’amplitude des trajectoires d’épargne par rapport au
scénario de référence. Il existe ainsi une incertitude macroéconomique associée à une incertitude
démographique. Celle-ci dépendant également des choix de politique économique.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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Les simulations stochastiques de population permettent à notre sens de mettre en évidence de
manière pertinente l’incertitude démographique. La prise en compte de cette dernière révèle des
risques financiers accrus pour les agents économiques et rend les choix de politiques publiques
plus complexes.
Questions aux intervenants
Christian de BOISSIEU
Je vous remercie pour ces présentations riches et complémentaires : certaines adoptent une
approche microéconomique, d’autres, une approche plutôt macroéconomique. Toutes sont
relativement pessimistes et soulignent l’urgence et l’importance des politiques publiques pour éviter
que ces scénarios ne se réalisent.
De la salle
Monsieur Laboul, vous avez évoqué le rôle important de l’éducation des ménages, qui leur permettra
de gérer plus efficacement leur épargne dans le cadre du retrait de la protection publique obligatoire.
N’est-ce pas un défi dans la mesure où l’éducation financière n’est pas une science exacte ? J’en
veux pour preuve le débat sur le risque associé aux investissements en actions. Devant cette
complexité des marchés financiers, n’est-ce pas aux intermédiaires financiers de se substituer aux
carences des ménages à travers le devoir de conseil ?
De la salle
L’éducation financière et le conseil sont indispensables, comme des choix publics. Il faut des
politiques plus volontaristes en direction d’un relèvement du potentiel de croissance. Sans cela, les
particuliers et les institutions ne pourront pas se comporter de façon suffisamment éclairée. La
question du niveau de ces choix publics – France, Europe – devra également être posée.
André LABOUL
La responsabilité finale reste toujours celle des individus. Il ne faut pas transférer la responsabilité des
individus aux institutions financières ou aux gouvernements. L’information et le conseil doivent
néanmoins les aider à exercer leurs choix. La résolution de l’OCDE insiste sur le rôle de conseil,
notion qui doit être différenciée du conseil commercial. Nous prônons à cet effet la mise en place de
codes de conduite. Nous suggérons également une meilleure formation des employés des institutions
financières.
Christian de BOISSIEU
Monsieur Artus, votre présentation repose sur le surplus de liquidité mondiale. Faut-il compter sur la
réduction de cette liquidité et la réouverture des spreads ?
Patrick ARTUS
Aujourd’hui, la liquidité mondiale vient pour 80% des pays émergents, du fait de l’accumulation des
réserves de change en Asie et dans les pays producteurs de matières premières, ce qui signifie que
les grandes banques centrales n’ont plus de contrôle sur la liquidité. Les politiques monétaires étant
nationales alors que les prix d’actifs sont déterminés au niveau mondial, la perte d’influence des
banques centrales est inquiétante. En conséquence, les spreads de crédit vont probablement
continuer à se resserrer.
De la salle
Messieurs Aglietta et Borgy, avez-vous pris en compte dans vos scénarios la variable de
l’allongement de la durée de la vie active ? La structure de population peut être assez largement
modifiée par ce facteur.
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De la salle
Messieurs Aglietta et Borgy, votre scénario montre une très faible croissance en Europe, donc
probablement des tensions sur le marché du travail. Le comportement d’épargne est-il alors
seulement dicté par le cycle de vie, ou pourrait-on envisager des comportements buffer stock, c’est-àdire d’épargne de précaution, qui viendraient renforcer le taux d’épargne ? Cet aspect est-il intégré
dans votre modèle ?
De la salle
La dernière présentation réaffirme la nécessité de réformer les systèmes de retraite vers plus de
capitalisation. Puisque les autorités qui vont proposer les réformes se baseront sur ce type de
recherches, leur avez-vous indiqué la nécessité d’augmenter massivement les revenus à cette fin ?
Existe-t-il un moyen de convaincre les entreprises d’augmenter leurs coûts salariaux afin que ce
modèle fonctionne ?
Christian de BOISSIEU
Michel Aglietta, Vladimir Borgy, vous avez montré que l’on peut nettement moins s’appuyer sur la
démographie comme une donnée solide pour effectuer des prévisions. Elle est affectée d’une forte
incertitude, qui rend nécessaire l’utilisation de modèles probabilistes. Sur quel modèle de cycle de vie
vous basez-vous ? Plus précisément, avec l’allongement de la durée de vie, le comportement
d’épargne et de consommation des jeunes et des vieux retraités diffèrent désormais. Comment
adapter le modèle de cycle de vie des années 50 pour tenir compte de ces évolutions ?
Vladimir BORGY
Notre modèle repose sur des hypothèses et aboutit à des résultats parfois plus stylisés que d’autres
modèles similaires. Nous avons choisi ici de présenter de manière binaire deux scénarios alternatifs,
le scénario central et le scénario par capitalisation. Cette approche n’est néanmoins pas normative et
d’autres hypothèses peuvent également être testées comme les conséquences de l’allongement de la
durée de vie active, un recours accrû à l’immigration ou une combinaison de ces facteurs.
Michel AGLIETTA
Si on veut augmenter la croissance, il faut faire augmenter la population active globale de l’Europe.
L’immigration comme l’allongement de la durée de vie active peuvent être des solutions, mais elles
restent partielles. L’amélioration de loin la plus importante est l’augmentation du taux de participation
des femmes dans la population active. Ce taux, qui est de 75% dans les pays Scandinaves, n’est que
de 62% en France et de 45% en Italie. La mise à niveau de ce taux aurait un effet considérable. C’est
selon cet axe qu’il faut chercher l’essentiel des réserves de ressources humaines nécessaires à la
croissance. De plus, le niveau d’éducation révèle une supériorité en nombre des diplômes féminins
supérieurs par rapport aux diplômes masculins. Le changement de mentalités permettant aux femmes
d’obtenir des postes correspondant à leur niveau de formation aurait un effet important sur la
productivité globale des facteurs.
Les ménages sont homogènes et ne se distinguent que par leur classe d’âge. Cela signifie que le
comportement optimum est celui qui anticipe les revenus futurs et que le modèle ne prend pas en
compte les poches de vulnérabilité. Le système par capitalisation doit être combiné avec le système
par répartition. En effet, ce dernier a un rendement correspondant au taux de croissance de
l’économie, tandis que le système par capitalisation a pour rendement un taux d’intérêt. Si ces deux
variables sont corrélées, elles ne le sont pas parfaitement. En conséquence, du fait du principe de
diversification des risques, les deux systèmes doivent être combinés. Enfin, si certains ménages sont
particulièrement vulnérables, des mesures de sécurité publiques considérables doivent donc être
mises en œuvre pour les protéger.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
- 12 -
De la salle
Michel Aglietta, Vladimir Borgy, les conclusions de Monsieur Laboul aboutissent à une myopie des
agents autrement dit à un écart par rapport à l’hypothèse de rationalité sur laquelle sont fondés vos
travaux. Cette myopie se traduit par une préférence extrêmement forte pour le présent. Ne peut-on
pas attendre une évolution d’une formation microéconomique , par exemple, par des chargés de
clientèle mieux formés ?
Par ailleurs, ces simulations ont un biais d’information concernant le système de retraites par
répartition. Les dangers le concernant sont bien illustrés, mais les données concernant la sphère
financière et plus précisément les évolutions des prix des actifs financiers, sont-elles suffisantes pour
savoir si le système des fonds de pension ne conduira pas à une catastrophe similaire à celle des
systèmes par répartition ?
Michel AGLIETTA
Le modèle, dans sa version actuelle, a un marché du capital intégré : tout se passe comme s'il y avait
un seul actif financier et un seul taux d’intérêt dans le monde. La différenciation se fait sur les taux
d’emprunt qui varient selon les pays. Nous voudrions passer à des investisseurs ayant une aversion
pour le risque, avec un modèle de portefeuille, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
- 13 -
III. Le développement des instruments de transfert du risque de crédit et ses
conséquences pour les investisseurs
Christophe JAECK
Je travaille depuis huit ans sur le marché des dérivés de crédit. Mon analyse portera sur le
développement de ce marché et sur ses impacts en termes de transfert de risques auprès des
investisseurs institutionnels et particuliers.
1. La problématique de transfert de risques corporate
Ce marché comprend environ 1 500 entités, situées pour un tiers en Europe et pour deux tiers aux
Etats-Unis et en Asie. Parmi les produits de première génération, on retiendra les crédits default
swap qui permettent d’échanger le risque d’une entité particulière. Des produits indiciels se sont
développés plus récemment et représentent désormais la majorité des volumes. Enfin, un
développement s’est effectué sur le secteur high yield et sur les marchés émergents. Un autre type
de produits, de seconde génération, se développe. Il s’agit de produits structurés, synthetic CLO et
synthetic CDO, déclinés ensuite en tranches d’indices (marché de la corrélation). Le troisième type
de produits, de type CPPI, se rapproche des produits de gestion alternative, de type hedge funds.
Le volume des produits de première génération a connu une croissance exponentielle même si les
volumes effectivement transférés sont difficiles à estimer. Les acteurs du marché sont une
vingtaine et sont répartis équitablement entre les Etats-Unis et l’Europe. La croissance des
volumes structurés a été similaire, avec toutefois un ralentissement en 2005, lié au développement
des produits indiciels qui ne sont pas pris en compte dans ces statistiques. Les participants sur ce
segment de marché sont les mêmes que sur le marché de base. La taille du marché est estimée à
35 milliards d’euros, ce qui en fait un marché significatif, d’autant qu’il s’agit d’un marché de levier.
On peut ainsi estimer un volume de risques effectivement transférés d’environ 175 milliards
d’euros, montant à comparer aux 200 milliards d’euros du marché obligataire corporate investment
grade en Europe et aux Etats-Unis : le flux de transfert est en ligne avec le marché d’émission
primaire.
En termes d’appréhension du marché par les différents acteurs, les avis divergent. Certains, tels
Warren Buffet (weapons of financial destruction), considèrent qu’il s’agit d’un marché très
dangereux, tandis que l’opinion de la Fed est qu’il permet une meilleure répartition des risques.
Les acteurs insistant sur la dangerosité de ce marché mettent en exergue un certain nombre de
risques systémiques, qui sont aujourd’hui assez limités :
• Concentration des dealers (JP Morgan, Deutsche Bank)
Cet argument est également valable pour d’autres marchés de dérivés, et on ne comprend pas
pourquoi le marché des dérivés de crédits est plus spécifiquement pointé du doigt. Il faut noter
que si la concentration globale est restée forte, la diversification des acteurs selon les produits
et les années a, en revanche, augmenté.
• Liquidité du marché
Dans un premier temps, ce marché a permis d’améliorer la liquidité du marché (obligations…) ;
l’apparition des CDS a permis de créer une liquidité générique sur tous les types de produits.
Cependant, il existe toujours des risques de dislocation offre/demande, comme sur tous les
marchés naissants, qui se sont matérialisés sur le marché des CDS en 2003 puis sur le marché
dérivé des CDS en mai 2005. Ce risque se résorbe dans le temps.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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• Risques opérationnels
Ces risques sont les moins bien traités pour le moment. Cependant, la pression accrue des
régulateurs encourage les acteurs du marché à remédier à ces risques.
2. Les problématiques de transfert de risques des bilans bancaires vers les investisseurs
institutionnels sont-ils un mythe, voire un faux débat ?
La part de cette activité dans les volumes de CDS est marginale, autour de 5 à 10 %. La majorité
du volume traité concerne des produits d’arbitrage ou purement investisseurs. Les instruments
privilégiés de ce transfert de risques ont été jusqu’en 2001 les synthetic CLO, avec un objectif
d’arbitrage réglementaire et un transfert de risques relativement minime. Aujourd’hui, la plupart des
banques disposent d’une réelle activité de gestion de portefeuille, d’autant que la perspective de
Bâle II a encouragé une couverture plus proactive et économique du bilan bancaire. Ainsi, le
marché des CDS agit aujourd’hui comme un filtre transparent entre les bilans bancaires et les
investisseurs, d’où un risque d’aléa moral moindre. Le volume, là aussi difficile à estimer, se situe
autour de 250 milliards d’euros de couverture CDS pour 2005, et ne prend pas en compte l’achat
croissant de risques dans un objectif de diversification.
Le transfert de risques de crédits provenant des bilans bancaires n’a qu’une influence limitée sur le
marché global. En revanche, le phénomène de désintermédiation et de marchéisation du crédit a
un impact plus important. Le marché des CDS joue un rôle primordial dans ce marché, en agissant
comme un filtre, qui permet une véritable transparence des prix et la mise en place de signaux
d’alerte. Les produits structurés deviennent un support d’investissement significatif pour les
investisseurs institutionnels, principalement les assurances et les fonds de pension. L’approche de
ces investisseurs consiste à une recherche de risques différents de la diversification recherchée
par les banques.
3. Les hedge funds
Les hedge funds sont un des acteurs déterminants du marché des dérivés de crédit. Ils
représentent aujourd’hui 30 % des flux de CDS. Cela représente une nouvelle offre
d’investissement et un nouveau type de risque. Le développement de ce marché a permis de
réduire le risque de dislocation sur le marché de la corrélation. Mais le risque de contrepartie pour
les plus grandes banques, agissant comme filtre entre les dealers et les petites banques, est
accru. De plus, le risque de volatilité des hedge funds, fonctionnant plus selon des principes de
mark to market que les fonds de pension, est important. Cette situation est liée au fait que les
nouvelles normes comptables ne se sont pas encore propagées partout.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
- 15 -
Le développement du marché des dérivés de crédit structurés a donc des bénéfices multiples pour
les investisseurs institutionnels, en termes de diversification des supports d’investissement, de
liquidité des marchés primaires obligataires, et de stabilité des marchés financiers. Cependant, il
engendre de nouveaux risques.
4. Les nouveaux risques
La non compréhension par les investisseurs de l’effet de levier dans les produits structurés et, à
cet égard, l’effet trompeur de la notation, ont conduit à des expériences malheureuses en 2001.
Des problèmes d’asymétrie d’information, entre les banques et les investisseurs, ont été observés.
Enfin, les risques de fraude, au sein de la communauté des investisseurs, sont liés à la facilité
d’utiliser les produits structurés pour dissimuler des marges ou de commissions cachées. Un
risque de suitability du produit a vu le jour avec l’entrée sur le marché d’acteurs (assurances)
n’ayant pas les moyens de mettre en place des couvertures en cas de changement des conditions
de marché. Les risques auprès des investisseurs relevaient de problématiques de transparence et
de gestion, et n’étaient donc pas insurmontables. L’implication de gérants assez tôt dans le
marché, le transfert de technologies en termes de pricing, la création de nouveaux instruments de
couverture (indices) et des efforts de transparence (liés au développement du marché de la
corrélation) ont permis de remédier à ces risques. La meilleure prise en compte du risque de
réputation pour les dealers, les nouvelles normes comptables et l’action plus proactive et
pragmatique des régulateurs ont conduit à la quasi-disparition des risques polluants.
5. Le transfert de risque chez les ménages était relativement limité
Il s’agit d’une exposition essentiellement indirecte au départ, à travers l’actionnariat bancaire ou les
risques de contrepartie, et non une exposition directe au risque financier. Cette dernière a
néanmoins augmenté depuis, du fait de la désintermédiation forte des activités d’assurance et de
gestion, de l’accroissement des expositions à la gestion alternative (même si elle concerne un
segment particulier des ménages) et le développement de produits structurés à vocation retail.
Dans le cas de la désintermédiation, la compétence des sociétés d’assurances et des gérants de
fonds de pension contribue à limiter le risque. Le seul garde-fou en ce qui concerne la distribution
directe des produits de crédit est le risque de réputation du distributeur. La distribution directe de
produits structurés auprès des ménages est encore marginale et limitée à certaines zones
géographiques (Pays-Bas, Scandinavie, Singapour, Australie, Canada). Les volumes transférés,
soit 5 milliards d’euros par an, représentent environ 15 % du marché global. Comme pour le
marché institutionnel, des mauvaises expériences ont eu lieu en 2000 et 2001, en raison d’un
manque d’information, de transparence ou d’expérience des distributeurs sur les produits
structurés de crédit. Toutefois des expériences positives ont également eu lieu, notamment sur le
marché hollandais, liées à une réglementation claire, la présence de distributeurs expérimentés
dans le domaine qui apportent une forte valeur ajoutée en termes de sélection de produits. Les
types de produits sont variés, la transparence forte, et le cadre réglementaire adapté. Il paraît ainsi
possible de s’inspirer de l’exemple néerlandais, qui est assez proche des recommandations du
rapport Delmas-Marsalet sur la commercialisation.
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IV. Point de vue du gestionnaire d’actifs sur les risques portés par les
investisseurs
Olivier GARNIER
1. Les risques non financiers sont aujourd’hui prépondérants chez la plupart des ménages
La plupart des théoriciens estiment que les ménages ne portent pas assez de risques financiers.
En France, moins d’un ménage sur quatre détient des valeurs mobilières alors que 80 %
possèdent un livret d’épargne. Du fait de l’existence des fonds de pension, ce ratio est
sensiblement plus élevé dans le monde anglo-saxon : un tiers des ménages au Royaume-Uni, la
moitié aux Etats-Unis, détiennent directement ou indirectement des actions. Ces chiffres restent
néanmoins en deçà de ce que recommandent les modèles usuels d’allocation d’actifs, notamment
chez les jeunes. En particulier, la détention d’actions aux Etats-Unis est extrêmement concentrée,
le dernier décile possédant 80 % des actions détenues par les ménages, ce qui signifie que
l’exposition moyenne au risque financier surestime celle de la grande majorité des ménages. Par
ailleurs, les actifs financiers des ménages américains entre 45 et 54 ans représentent en moyenne
moins d’un an de revenus alors que ces ménages sont proches de l’âge de la retraite et devraient
être bien pourvus en actifs financiers (deux ans si l’on considère le patrimoine total des individus).
Le principal actif de ces ménages reste donc leurs revenus d’activité présents et futurs, autrement
dit le capital humain. La spécificité de ce dernier est qu’il est peu diversifiable, difficilement
assurable et non vendable à terme. Il existe donc bien des risques importants sur ce capital
humain, d’autant plus que les chocs l’affectant, en termes de carrière, sont très persistants, ce
qu’illustre le phénomène de chômage de longue durée. A la différence des rendements financiers,
il n’y a pas de phénomène de réversion vers la moyenne pour les chocs sur les revenus d’activité.
Les études montrent aussi que ces chocs sont assez peu corrélés avec le rendement des actions.
La corrélation est même négative dans le cas des ménages les moins qualifiés.
L’intégration des risques non financiers avec l’allocation d’actifs montre des effets jouant dans les
deux sens. Les jeunes détenant plus de capital humain, la détention d’actions devrait être plus
élevée en début de carrière, d’autant qu’ils ont la possibilité de compenser un choc boursier
défavorable par un supplément de travail. Cependant, il peut être déconseillé d’ajouter du risque à
un capital humain risqué, d’autant plus que des contraintes d’endettement peuvent jouer.
2. Le report des risques non financiers de la collectivité et des institutions vers les ménages
Dans le passé, les risques non financiers étaient largement intermédiés ou assumés par l’Etat
providence et les employeurs (retraite par répartition, fonds de pension à prestations définies,
assurances chômage et maladie, garanties salariales et d’emploi.) Or, ce système est aujourd’hui
en crise et les protections fournies tendent à disparaître. Cette évolution donne un nouveau rôle
aux marchés financiers dans la gestion des risques non financiers. Il serait cependant utopique de
croire que les marchés financiers peuvent se substituer entièrement aux systèmes de protection
sociale : s’ils permettent une plus grande diversification des risques intra-générationnels, ils ne
peuvent pas assurer le partage inter-générationnel des risques. Il faut donc les voir plus comme
complémentaires que comme substituts.
3. La gestion financière devra davantage prendre en compte les risques non financiers
a. Les modèles de gestion de portefeuille
L’industrie de la gestion d’actifs continue de largement raisonner sur des modèles moyennevariance conçus dans les années 1950 (Markowitz), qui ne prennent pas du tout en compte le
capital humain, le seul paramètre retenu étant l’aversion au risque des individus. Une approche
plus intégrée entre risques financiers et non financiers, est adoptée dans les modèles
d’allocation dynamique (dont certains remontent au début des années 1970 avec Merton),
prenant en compte les variations de revenus et de consommation. Ces modèles plus
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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complexes, utilisés aujourd’hui essentiellement par les académiques, vont nécessairement se
diffuser dans la profession du fait du report vers les ménages des risques non financiers.
b. L’organisation de la relation entre l’épargnant et le gestionnaire
Au cours des dernières années, les fonds diversifiés ont été peu à peu supplantés par les fonds
spécialisés mono classes d’actifs. Dans les fonds diversifiés, le gérant avait la responsabilité,
au moins tactique, de l’allocation d’actifs. Aujourd’hui, c’est à l’investisseur que revient la
responsabilité de faire son allocation entre une très vaste gamme de fonds spécialisés.
L’avantage de ce partage des tâches est de réduire les risques de conflits dans la relation
d’agence entre l’épargnant et son gérant, mais en reportant sur l’épargnant les décisions les
plus complexes et délicates.
Du fait du besoin accru de prendre aussi en compte les risques non financiers, il va falloir, sans
nécessairement revenir à l’ancien système, passer d’une logique de vente de produits
spécialisés à une logique de vente de solutions, adaptées aux besoins des clients, plus faciles
à acheter même si plus complexes dans leur contenu.
c. Les problèmes pour le régulateur
La difficulté, du point de vue du régulateur, est le dilemme entre la simplicité d’utilisation des
produits financiers, customisés en fonction du profil du ménage, et le retour de conflits
d’agence. Ces conflits seront d’autant plus importants que les intermédiaires seront multipliés,
des producteurs de fonds spécialisés aux vendeurs. En outre, les frontières entre les différentes
professions seront de plus en plus difficiles à définir, entre les assureurs, les gestionnaires
d’actifs, les banques d’investissements, professions qui ne sont pas toutes soumises aux
mêmes règles.
Questions aux intervenants
Christian de BOISSIEU
Monsieur Jaeck, selon les chiffres de l’ISDA, le montant notionnel total des dérivés de crédit dans le
monde en juin 2005 était de 12 000 milliards de dollars, avec une croissance annuelle de presque
130 %. Comment réconcilier cette statistique et vos chiffres de 150 ou 200 milliards de dollars ?
Par ailleurs, les enquêtes périodiques de la Commission bancaire permettent d’évaluer que les
transferts de risque sont à 80 % des transferts interbancaires. Cette structure se maintiendra-t-elle
dans le cadre des évolutions réglementaires actuelles ? N’existe-t-il pas un risque que ces risques de
crédit soient transférés de façon croissante vers les hedge funds ou les entreprises non financières?
De la salle
On a l’impression, au vu des exposés, que le transfert de risques s’effectue de plus en plus entre
ménages et non plus des banques et institutions financières vers les ménages. Il y a tout de même au
départ une volonté d’optimisation réglementaire en ce qui concerne les ratios de fonds propres. Une
autre évolution, plus fondamentale, s’est fait jour en matière d’assurance-vie. Le développement des
contrats d’assurance-vie en unités de compte, où l’assuré supporte le risque, se fait au détriment des
contrats en euros, où le risque est supporté par l’assureur. Cette évolution est d’autant plus flagrante
lorsque le marché se porte bien, ce qui entraîne la souscription d’unités de compte non garanties,
avec un transfert évident de risques de l’assureur vers l’assuré. Pour le reste, je partage l’analyse de
Monsieur Garnier ; la responsabilité imposée à l’épargnant incapable d’assurer le choix de produits
spécialisés est effarante. Il faudra donc effectivement combiner la structuration de packages adaptés
aux besoins des épargnants et une activité de conseils pour éviter des erreurs majeures.
De la salle
Monsieur Jaeck, vous avez occulté le rôle des rating agencies. Pensez-vous qu’elles n’ont pas de rôle
à jouer dans l’évaluation des risques des transferts ?
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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De la salle
Monsieur Jaeck, comment expliquez-vous le rôle majeur de la gestion alternative pour absorber les
nouveaux produits sur le marché des dérivées de crédit ? Jusqu’où y a-t-il un syndrome « miniLTCM », c'est-à-dire de report du risque extrême (événement se produisant une fois par siècle) sur la
collectivité ? Est-on sûr que l’écrasement actuel des spreads n’incite pas à laisser supporter le risque
extrême par la collectivité ou l’investisseur ?
De la salle
L’exposé de Monsieur Garnier incite à ne pas éduquer les épargnants uniquement sur l’aspect
aversion aux risques mais également sur les opportunités. Avez-vous des propositions concrètes,
telles que la formation des jeunes ou des formations en cours de vie ?
Christophe JAECK
En ce qui concerne les statistiques, je les utilise seulement pour montrer la croissance sans être
attentif aux chiffres absolus, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas toujours fiables ou pertinents. Il y
a effectivement un problème en termes de traçabilité du marché. C’est la raison pour laquelle mon
approche était plus "bottom-up" pour chaque segment.
L’implication des hedge funds est difficile à mesurer, notamment en ce qui concerne le capital investi
par les investisseurs, dont la hausse, en 2005, peut néanmoins être estimée à environ 100 milliards
de dollars. Ce chiffre doit être multiplié par un levier de 10 voire de 20. La part de marché des hedge
funds dans les volumes traités sur le marché des CDS s’établit pour sa part à 25-30 %.
La problématique de LTCM portait sur la concentration de risques au sein du fonds et les prime
brokers ne disposaient pas de modèles pertinents pour l'évaluer. Ce n’est plus le cas, les modèles
sont nettement plus pertinents aujourd’hui. Le risque de l’exposition hedge funds est plus limité
aujourd’hui et je ne crois pas que soit un risque systémique, mais plutôt un risque de marché.
Le rôle des agences de notation est difficile à juger. Leur objectif est de noter le risque de défaut d’un
produit, alors que la plupart des produits souffrent d’un risque de marché lié à leur volatilité. Elles ont
un rôle positif, au sens où elles apportent un supplément d’information aux investisseurs, mais cette
information est incomplète. On ne pourra donc pas se reposer uniquement sur les informations
publiées par les agences de notation pour distribuer des produits aux particuliers.
Olivier GARNIER
Il y a bien sûr des transferts de risques financiers vers les ménages. Mais en se focalisant sur les
seuls risques financiers, on regarde uniquement ce que l’on sait voir et mesurer, alors même que ces
risques financiers concernent surtout une minorité de ménages. A l’inverse, la partie la moins
analysée, à savoir les risques non financiers, concerne la plupart des ménages.
Il y a certainement beaucoup d’actions à entreprendre pour améliorer la gestion du capital humain et
celle des risques liés au revenu d’activité et à la consommation au cours du cycle de vie. Les
institutions financières ont un rôle à jouer dans ce cadre, d’autant plus que les instruments financiers
sont un outil privilégié de gestion des risques. Néanmoins, il n’est ni possible ni souhaitable que les
institutions financières se substituent complètement aux systèmes de protection sociale.
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Quelles pistes pour protéger l’épargne ?
Table ronde 2
Participent à cette table ronde :
Luc ARRONDEL, Directeur de recherche, CNRS, PSE
Laurent CALVET, Professeur, HEC
Shlomo BENARTZI, Professeur, Anderson Graduate School of Management
David BLAKE, Directeur, Pensions Institute
Olivier DAVANNE, Directeur, DPA Conseil
La table ronde est animée par Olivier PASTRE, Professeur, Université de Paris VIII
Exposé introductif : Zéro de conduite ou mauvaise éducation : débats sur la
rationalité de l’épargnant
Luc ARRONDEL2
On peut résumer l’opposition entre la théorie standard et l’approche comportementale en citant deux
protagonistes illustres du débat. D’un côté, pour Merton Miller, la science béhavioriste est séduisante
mais elle n’est pas prometteuse, car on ne peut rien faire de plus qu’étudier ses paradoxes
occasionnels. De l’autre, selon Daniel Kahneman, personne ne peut croire sérieusement que tous les
individus ont des croyances rationnelles et font des choix rationnels à tout moment.
La théorie « standard » de l’épargnant
La théorie standard comprend le modèle du cycle de vie, initié par Modigliani à la fin des années
1950, et la théorie intertemporelle des choix de portefeuille, associée à Samuelson et Merton à la fin
des années 60.
a. La théorie du cycle de vie
On envisage un individu rationnel planifiant sa consommation sur son horizon de vie ; le patrimoine
est donc destiné à financer les besoins de consommation pendant la période de la retraite ; il
répond donc à un motif de prévoyance. La rationalité de l’individu repose sur trois critères.
- On peut mesurer le bien être de l’individu comme la somme des utilités que l’individu retire de sa
consommation à chaque période. Ces utilités sont actualisées au taux de préférence temporelle.
- Les préférences de l’individu doivent être homothétiques, c'est-à-dire que l’épargne n’est pas un
bien de luxe, mais de la consommation différée.
- Lorsque l’on analyse des choix en univers incertain, on fait référence au cadre de l’espérance
d’utilité.
Dans ce cadre, on peut résumer les préférences de l’épargnant deux paramètres : l’aversion au
risque et le taux de préférence pour le présent.
2
Le texte n'a pas été relu par l'orateur.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
- 20 -
b. Les choix de portefeuille
Sous certaines hypothèses concernant les marchés de capitaux, ce modèle prédit que les
portefeuilles sont parfaitement diversifiés et myopes, c'est-à-dire qu’ils ne sont pas liés à l’horizon
de vie de l’individu. Sous l’hypothèse que les agents ont les mêmes anticipations, les seules
différences entre les portefeuilles des ménages sont dues à des différences d’aversion au risque.
c. Les impasses empiriques de la théorie standard
La théorie standard est confrontée à un certain nombre d’impasses empiriques : insuffisance de
l’épargne à la veille de la retraite ; faible diffusion de la rente viagère ; inégalités patrimoniales à
revenu donné (il y en a autant au sein de chaque classe d’âge qu’entre les classes d’âge). C’est
également le cas pour les choix de portefeuille : faible diversification des portefeuilles, faible
présence sur les marchés d’actions, home bias puzzle, effet de disposition, inertie des
portefeuilles…
Ces impasses peuvent être dépassées en généralisant le cadre théorique. Le modèle du cycle de
vie permet d’envisager des marchés de capitaux plus réalistes : contraintes à l’emprunt ; coûts de
transaction sur le marché des rentes viagères ; élargissement de la rationalité de l’épargnant, en
ajoutant un motif de transmission au motif de prévoyance ; ou bien un motif de précaution en
introduisant un risque sur le capital humain. Dans le cadre des choix de portefeuilles, la faible
diversification peut être expliquée par des coûts fixes de transaction et des coûts d’information. Le
marché des capitaux est incomplet, et l’individu doit faire face à la fois au risque de portefeuille et
au risque sur le marché du travail. Un comportement de tempérance est mis en avant ; il pousse
les ménages à diminuer le risque choisi par rapport au risque subi. Ces impasses peuvent aussi
s’expliquer dans un cadre non standard.
L’approche comportementale
Le représentant de l’approche comportementale le plus marquant en ce qui concerne l’épargne est
Richard Thaler. Il considère que les individus ne font pas toujours des choix maximisant leurs intérêts.
Selon cette approche fondée sur des travaux de psychologie comportementale, les agents ne sont ni
omniscients ni rationnels et leurs croyances sont affectées de biais cognitifs :
• L’actualisation des différentes utilités à chaque période ne se fait pas au même taux (l’individu
pondère plus fortement le futur proche).
• Les épargnants ont un manque de self-control, entraînant une nécessité de se préengager.
• Les ménages ont une propension insuffisante à planifier.
• Il existe un phénomène d’aversion à la perte.
• Il existe également une aversion à l’ambiguïté dans des univers non probabilisables.
Les implications en matière de politique économique
Dans le cadre de la théorie standard, l’accent est mis sur la mauvaise éducation des épargnants et le
mauvais fonctionnement des marchés. Il faut donc donner des cours d’éducation financière,
éventuellement dès l’école primaire, améliorer l’efficacité des marchés par la baisse des coûts de
transaction et faciliter l’accès au marché du crédit.
Pour le courant comportementaliste, un paternalisme libertaire veut aider les individus à être plus
rationnels. Pour augmenter l’épargne retraite, on peut :
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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• changer la valeur par défaut, avec une participation non obligatoire mais automatique aux plans de
retraite ;
• aider les gens à se projeter dans l’avenir ;
• former à l’épargne pour la retraite (Save More Tomorrow).
Ces propositions ne sont pas nouvelles. En 1967, dans les classes de CP, des carnets d’épargne
étaient distribués, les images données aux enfants étaient accompagnées de devises telles que « si
tu veux un jour dépenser, apprends aujourd’hui à épargner ».
Les perspectives de recherche
Elles dépendent de l’approche privilégiée. Pour les tenants de l’approche standard, « ces biais
cognitifs sont parfois importants, mais dans les années récentes, au lieu de s’intéresser aux
faiblesses les plus significatives des modèles de choix rationnels pour expliquer les comportements
de demande réels, on a peut-être trop mis l’accent sur les situations expérimentales » (Becker, 1996).
A l’opposé, Richard Thaler déclare en 1998 que « notre ambition est que d’ici 20 à 30 ans,
l’expression sciences économiques behavioristes devienne superflue parce que les sciences
économiques seront par définition comportementalistes dans leur démarche ».
Les intervenants du débat qui va suivre se situent, pour Laurent Calvet et Olivier Davanne, plutôt du
côté de l’analyse standard, pour Shlomo Benartzi du côté de l’approche behavioriste. David Blake
sortira du cadre que j’ai envisagé, en s’intéressant à la gestion collective de l’épargne retraite.
Pour conclure, je souhaiterais évoquer mon travail de recherche réalisé en collaboration avec André
Masson dont le but est d’aboutir à une mesure des préférences plus réaliste et corresponde plus au
cadre analytique que l’on cherche à tester, en particulier la théorie du cycle de vie. La théorie
standard est caractérisée par deux paramètres, l’aversion au risque et la préférence temporelle. Cette
théorie aboutit à des impasses empiriques. La théorie comportementale apparaît plus réaliste, au prix
d’une multiplication des paramètres de préférence à mesurer. Nous avons souhaité avoir une mesure
de l’aversion au risque élargie et une mesure de la préférence temporelle bornée par l’impatience de
l’individu et les motifs de transmission. Une première étape est peut-être d’améliorer les mesures des
préférences existantes. La littérature empirique montre que les loteries sont parfois artificielles et,
s’agissant des préférences temporelles, il est difficile de reproduire en laboratoire le passage du
temps.
Nous avons tenté d’établir une mesure d’attitude générale à l’égard du risque et une mesure de
préférence pure pour le présent, à partir de l’enquête Insee Patrimoine de 1998. Les mesures sont
qualitatives. Les questions sont nombreuses et diverses, avec des loteries mais également des
questions d’opinion et d’intention, en considérant également différents types de risques ou d’horizons.
Il apparaît que les mesures de préférences obtenues influencent les comportements patrimoniaux, en
cohérence avec les prédictions du modèle du cycle de vie. L’aversion au risque augmente le
patrimoine accumulé, tandis que la préférence pour le présent le diminue. En revanche, l’impatience
n’influence pas les comportements patrimoniaux. L’un des objectifs de l’étude était d’améliorer la
connaissance des inégalités de patrimoine. C’est un succès relatif, dans la mesure où les paramètres
de préférence expliquent 15 à 20 % des comportements patrimoniaux. Enfin, si l’on croise les deux
paramètres, on arrive à profiler les épargnants, ce qui pourrait faciliter le conseil patrimonial. Une
typologie des épargnants a été établie. Il existe donc des têtes brûlées (aversion au risque faible,
horizon court), des cigales prudentes (horizon court, aversion pour le risque élevée), des bons pères
de famille (forte aversion pour le risque, horizon long) et des entreprenants (aversion au risque faible,
horizon long).
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
- 22 -
I. Le coût des mauvais choix financiers des ménages
Laurent CALVET3
Je vais vous présenter une étude empirique, dans laquelle ce qui nous intéressera sera moins la
décision d’épargne que la répartition de l’épargne. La finance comportementale a constaté plusieurs
formes d’inefficiences : la non-participation aux marchés d’actions, la diversification insuffisante des
portefeuilles… Ces inefficiences sont mal documentées. A partir d’une base de données
exceptionnelle, fournie par Statistic Sweden couvrant l’ensemble des patrimoines des citoyens
suédois, nous avons procédé dans l’étude, réalisée en collaboration avec John Campbell et
Paolo Sodini, à l’évaluation globale de l’efficience du portefeuille financier de chaque ménage.
1. Les données
Les données sont fournies par Statistic Sweden, qui les rassemble dans le cadre de l’ISF auquel
sont soumis 5 millions de ménages suédois. Le panel couvre les années 1999 à 2002. Nous avons
pour chaque ménage des données démographiques, une situation patrimoniale très détaillée et les
revenus. La richesse nette des ménages suédois représente 331 milliards dollars (soit 70 000
dollars par ménage), décomposée en 27,5 % pour la richesse financière et 72,5 % de richesse
immobilière. Les Sicav représentent 25 % des actifs financiers. La détention d’action augmente
avec la richesse. La composition du patrimoine varie peu avec l’âge.
2. Diversification des ménages
Les participants sont des ménages détenant des actifs financiers risqués et pouvant commettre
des erreurs de diversification. Fin 2002, ils représentaient 62 % des ménages. La valeur moyenne
du portefeuille financier d’un participant est de 35 500 dollars, décomposés en 16 000 dollars de
cash (dont Sicav monétaires), et 20 000 dollars d’actifs risqués, dont 9 200 dollars d’actions, le
solde correspondant à des Sicav. Les études précédentes, concentrées sur le portefeuille actions
des ménages, n’envisageaient donc qu’un quart du patrimoine. L’action la plus détenue fin 2002
était Ericsson (par la moitié des ménages détenteurs d’actions pour un montant d’environ 2
milliards de dollars). Les actions sont concentrées dans certaines industries (télécoms ou valeurs
bancaires et financières) et sur des entreprises suédoises. Les Sicav, quant à elles, sont plus
ouvertes vers l’international.
Pour mesurer la diversification d’un portefeuille, il est comparé avec un indice mondial des
marchés actions. L’indice de référence est le MSCI All Country World Index, qui existe en version
hedgée, où le risque de change est couvert, et en version non hedgée, où il n’est pas couvert. La
version hedgée est efficiente, mais elle est difficile à obtenir pour un particulier. Les portefeuilles
d’actions suédois apparaissent ainsi mal diversifiés, les ménages prennent beaucoup de risques et
sont très loin des benchmarks. La situation est très différente s’agissant des portefeuilles complets
puisque les ménages sont alors beaucoup plus proches la frontière d’efficience définie par l’indice
mondial non hedgé. L’efficience peut être mesurée par le ratio Sharpe. Celui-ci amène à une
conclusion surprenante : la majorité des ménages a un meilleur ratio Sharpe que le marché
actions suédois. L’investisseur médian réalise un gain par rapport à l’indice suédois, et une perte
de l’ordre de 0,30 % par an par rapport à l’indice non hedgé et une perte de 1 % par rapport à
l’indice hedgé. Ces pertes sont relativement modestes.
3
Le texte n'a pas été relu par l'orateur.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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3. Qui commet les plus grosses erreurs ?
Certains ménages perdent pourtant plusieurs milliers d’euros par rapport à l’indice, ce qui
représente jusqu’à 25 % de leur revenu disponible. Ce sont des agents qui investissent
directement en actions ; les Sicav jouent donc un rôle important en termes de diversification. En
termes de catégories socioprofessionnelles, les ménages sophistiqués (riches, éduqués,
expérimentés) choisissent un bon ratio Sharpe, mais prennent plus de risques et réalisent des
pertes importantes. Inversement, les ménages moins sophistiqués subissent des pertes plus
limitées grâce à des investissements moins risqués. Les retraités et les chômeurs investissent
inefficacement en prenant peu de risques, tandis que les entrepreneurs et les familles nombreuses
investissent de façon conservatrice ; ces deux catégories réalisent donc peu de pertes. Ces
résultats sont cohérents avec l’idée que les ménages connaissent leurs limites.
4. Quel est le coût de ne pas participer ?
Si un ménage investit mal, il serait peut-être préférable qu’il ne participe pas. Cette idée est
empiriquement valable, certaines variables (comme le niveau d’éducation) étant corrélées avec la
non participation, un ratio Sharpe et un niveau de risque faibles. Le coût de non-participation pour
un ménage peu expérimenté qui choisit un ratio Sharpe et un niveau de risque élevés est assez
élevé de l’ordre de 4 %. Ce coût est beaucoup plus réduit, de l’ordre de 2 %, si ce même ménage,
conscient des erreurs qu’il serait susceptible de faire en y entrant, investit de manière moins
risquée. Ne pas participer est alors raisonnable en termes de coûts de transaction et
d’apprentissage.
En conclusion, les ménages suédois sont en majorité bien diversifiés. L’industrie financière
suédoise est efficiente : par l’intermédiaire du cash et des Sicav, les ménages suédois arrivent à
un excellent niveau de diversification. Une minorité de ménages est très mal diversifiée et les
pouvoirs publics et les autorités financières doivent s’en préoccuper. Enfin, la sophistication
améliore l’efficacité mais augmente également la prise de risque.
Questions aux intervenants
Olivier PASTRE
Les particularités du marché financier suédois expliquent-elles les résultats ?
Laurent CALVET
Je reste prudent. Les données ne sont actuellement disponibles que pour la Suède. Il y a cependant
plusieurs particularités : le taux de participation est élevé (62 % en 2002 contre 25 % en France) ;
l’économie est ouverte et les autorités suédoises ont pris conscience très tôt de l’enjeu de la
diversification.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
- 24 -
I
II. Les programmes d’éducation financière exercent-ils une influence sur les
comportements d’épargne ?
Shlomo BENARTZI4
Je vais aborder le sujet de l’éducation financière et de son manque d’efficacité aux Etats-Unis.
1. Des éléments alarmants quant au comportement individuel vis-à-vis des plans de retraite
Au Royaume-Uni, les plans à prestations définies fonctionnent selon un système opt-in, c'est-àdire que les salariés doivent faire la démarche de s’inscrire. Ces plans sont financés intégralement
par les employeurs, et ne coûtent rien aux salariés. Cependant, seulement 51 % des salariés
s’inscrivent. Il semble très difficile de considérer cette attitude comme rationnelle, quel que soit le
cadre théorique employé.
Aux Etats-Unis, un transfert s’est opéré vers des plans à contributions définies (401k). Les salariés
décident s’ils épargnent, combien ils épargnent, comment leurs fonds sont investis, et à quelle
vitesse ces fonds seront dépensés à la retraite. La plupart des gens n’achètent pas d’annuités
mais retirent des fonds chaque mois. La plupart des salariés n’épargnent pas suffisamment – un
tiers n’épargnent même pas du tout. Les salariés qui épargnent ne le font qu’à hauteur de 6 % de
leur salaire. De plus, lorsque les salariés sont mis en situation de faire des erreurs de gestion, ils
les font. Cinq millions de salariés américains ont ainsi investi plus de 60 % de leur épargne retraite
dans les actions de leur entreprise. Il est très inquiétant que seuls 25 % des salariés sachent qu’un
fonds diversifié est plus sûr que des actions de leur entreprise. Bien qu’il soit de toute évidence
nécessaire d’approfondir les études concernant la phase de désaccumulation, il apparaît que les
retraités dépensent trop rapidement leur épargne, ce qu’illustrent les 17 % de veuves réduites à
des ressources inférieures au seuil de pauvreté après la mort de leur époux.
2. Une solution : l’éducation financière
L’impact des formations financières sur le comportement des agents en termes d’épargne retraite
est très marginal. Il en est de même pour l’amélioration des connaissances. Une très grande
entreprise a ainsi organisé une formation en Finance pour ses employés tout en souhaitant en
mesurer les effets. Les participants ont été soumis à un questionnaire avant et après la formation.
Le premier a obtenu un taux de bonnes réponses de 54 %. Il faut cependant signaler que les
questions étant à réponses fermées (oui/non), répondre au hasard permet 50 % de bonnes
réponses. Le taux de bonnes réponses après la campagne d’éducation n’était que 55 %.
3. Solutions alternatives et conclusions
L’efficience de l’éducation financière n’est aujourd’hui, au mieux, que faiblement étayée par les
études empiriques. Toutes sortes d’hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce manque
d’efficience, comme la difficulté de la matière ou le choix d’une méthode d’éducation inadaptée. Un
changement de méthode pourrait ainsi permettre un gain systématique d’efficience, ce dont je
doute néanmoins. Par ailleurs, on peut s’interroger sur le caractère opportun de ces formations.
Celles-ci contribuent en effet à répandre l’idée selon laquelle il est plus facile d’être gestionnaire de
portefeuille, que d’être médecin ou avocat.
On ne peut par ailleurs pas ignorer les coûts de l’éducation financière. Il faut rechercher une
méthode plus économique pour aider les salariés à préparer leur retraite. Par exemple, le conseil
en investissement pourrait être utile. Il est également envisageable de modifier la conception des
programmes de formation. Ainsi, le programme Save More Tomorrow, prenant en considération la
tendance des individus à repousser les choix difficiles dans le futur, permet aux salariés qui
4
Le texte n'a pas été relu par l'orateur.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
- 25 -
souhaitent épargner plus de se s’engager à le faire, non pas immédiatement mais dans l’avenir, en
particulier après une augmentation de salaire.
L’étude du cas d’une entreprise dans laquelle ce programme a été mis en place est à cet égard
éclairante. Elle montre que les salariés ayant l’ayant suivi épargnent à terme plus que ceux qui ont
bénéficié d’un simple entretien personnalisé avec un conseiller financier et a fortiori, que ceux
ayant choisi de ne profiter d’aucune de ces deux mesures. A la différence des personnes ayant eu
un entretien avec un conseiller financier, les salariés ayant suivi les recommandations du
programme Save More Tomorrow ont globalement augmenté de manière progressive et régulière
leur effort d’épargne et, si pour certains d’entre eux cela n’a pas été le cas, aucun n’a diminué sa
capacité d’épargne.
Je ne souhaite pas abolir l’éducation financière, mais montrer qu’on peut sans doute trouver des
méthodes plus efficaces d’un point de vue économique.
Questions aux intervenants
De la salle
Monsieur Calvet, il existe peut-être des points de comparaison entre les cas français et suédois. Il
ressort de votre exposé que la perte pour les épargnants est faible grâce à la forte diversification
internationale des Sicav, ce qui tient à la petite taille du marché domestique. Si les plus gros perdants
sont les épargnants qui gèrent leur portefeuille directement, c’est peut-être également lié aux
fluctuations du titre Ericsson sur la période considérée. Cette faible diversification des portefeuilles
gérés directement se retrouve en France. En revanche, la diversification des Sicav est différente :
environ 40 % des Sicav détenues par les ménages sont diversifiées internationalement, en grande
partie au sein de la zone euro. Il n’existe donc pas les mêmes avantages de répartition des risques,
sectoriels comme de change. Vos résultats ne risqueraient-ils pas d’être moins bons dans le cas de la
France ?
Laurent CALVET
Cette analyse est juste. On voit que les institutions financières jouent un rôle important. Il n’y a pas de
contradiction entre les résultats obtenus dans le cas de la Suède et des Etats-Unis au sens où lorsque
les ménages investissent directement en actions, leur niveau de diversification est insuffisant. En ce
qui concerne la France, s’il y a moins de Sicav internationales, le marché est plus grand et un certain
nombre de grands groupes internationaux sont représentés au sein du CAC 40. Il n’est donc pas clair
que le ratio Sharpe du marché français soit très éloigné d’un indice international diversifié. Par
ailleurs, la diversification au sein de la zone euro est un avantage, dans la mesure où les ménages
français peuvent investir dans un marché élargi sans risque de change.
Olivier DAVANNE
En ce qui concerne la couverture du risque de change, vous faites preuve d’une grande tolérance visà-vis des institutions financières suédoises. En effet, la bonne référence en termes de portefeuille
efficient diversifié internationalement est de couvrir le risque de change. Or, si la pratique dominante
en France comme en Suède consiste au contraire à ajouter du risque de change au risque actions, il
s’agit d’un dysfonctionnement majeur de la sphère financière. Vos résultats montrent que les pertes
en bien être sont importantes par rapport au portefeuille couvert en risque de change.
Laurent CALVET
L’objet de l’étude était de montrer le comportement des ménages. Cependant, le problème des
produits mis à la disposition des ménages est important. Lorsqu’ils sont bien guidés par les institutions
financières, ils s’en sortent bien. L’une des conclusions de cette étude est que les institutions
financières devraient mettre à la disposition des ménages des Sicav diversifiées avec couverture du
risque de change. C’est un produit qui existe dans les hedge funds, et on peut s’interroger sur
l’absence de prise en compte de la couverture de risque de change par les Sicav.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
- 26 -
Philippe HERZOG, Président de l'Institut pour l’éducation financière du public
L’intérêt des deux dernières interventions est de nous permettre de mesurer les coûts et avantages de
l’éducation financière. Il nous revient ensuite de trouver nos concepts et nos méthodologies dès lors
que nous pensons qu’il devient nécessaire d’éduquer. Vous posez de plus la question du pourquoi,
qui est primordiale.
En ce qui concerne l’esprit de l’éducation, des deux écoles de pensée présentées par Luc Arrondel, la
première est plutôt top-down, tandis que la seconde est la plus ouverte, la plus compréhensive de la
réalité des gens et de leurs comportements. Une raison éthique nous pousse par ailleurs à adopter
cette deuxième approche. Notre but est l’aide à la décision, et il nous faut envisager des trajectoires
de vies extrêmement différentes accompagnées de profils de risques non financiers tout aussi
différents.
Les évaluations ne sont que les premières, et portent en outre sur une période où il y a eu des
événements financiers négatifs, mais il faudrait pouvoir différencier les cibles. Par exemple, est-il
payant et nécessaire de cibler les jeunes scolaires ? L’évaluation ne donnera pas les mêmes résultats
suivant la qualité de l’information et de l’accès à l’information : information et éducation doivent être
liées. Il existe aujourd’hui un maquis d’informations peu accessibles ou lisibles. L’accès du grand
public aux sources d’information doit être facilité, et non uniquement par le biais d’un conseil
personnalisé.
Il me semble important en France de comprendre à quoi sert un système financier et de dédiaboliser
la finance. Sans cela, il y a un climat négatif vis-à-vis de toute décision des épargnants. Dans cet
esprit, j’éprouve de la méfiance face à la pure et simple délégation à des fonds collectifs, en lesquels il
faudrait avoir confiance. Une connaissance du fonctionnement de ces fonds se justifie. Par ailleurs, on
est dans un contexte d’incertitude globale, qui ne peut que conduire à des comportements sous
optimaux. On ne peut pas travailler que sur les peurs.
Laurent CALVET
Les années 1999 à 2002 sont en effet loin d’être neutres sur le plan de la volatilité. Quand on observe
les plus gros perdants sur la période, on constate qu’ils ont appris de leurs erreurs. Par ailleurs,
l’industrie financière suédoise travaille très étroitement avec les autorités publiques. C’est une façon
supplémentaire de protéger les ménages, qui complète l’effort d’éducation.
De la salle
Monsieur Calvet montre que le gouvernement suédois a positivement contribué aux investissements
des ménages. Il serait souhaitable que le gouvernement français fasse de même. Or, les règles
concernant les fonds de pension, en particulier les PERP, stipulent que l’épargnant doit
obligatoirement investir son argent en obligations, sauf s’il exige le contraire. Cela signifie que
l’intégralité de son investissement est placé en obligations moment où il prend sa retraite, et donc qu’il
aura des obligations pendant la période suivant la retraite. Cela signifie que son investissement sera
placé en obligations pendant 30 ou 40 ans. Ne serait-il pas judicieux de modifier ce texte ?
Laurent CALVET
On pourrait suggérer que ces obligations soient indexées sur l’inflation. Il est effectivement très risqué
de maintenir un tel portefeuille pendant 30 ou 40 ans.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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III. L’expérience britannique en matière de gouvernance des fonds de pension
David BLAKE5
Je suis pleinement conscient que l’opinion répandue en France sur les fonds de pension est très
négative. Il existe au moins trois bonnes raisons qui justifient leur existence.
•
Ils aident à la diversification des marchés financiers.
•
S’ils sont bien conçus et que l’adhésion y soit automatique, ils permettent de faire face aux
problèmes d’éducation financière insuffisante des salariés.
•
Enfin, le système alternatif public de retraite est en faillite.
1. Définitions
a. Les plans de retraites britanniques
Il s’agit d’arrangements volontaires entre employeurs et salariés, créés en tant que trusts
discrétionnaires au milieu du XIXe siècle. Les salariés reçoivent une promesse de retraite, et
non une garantie de retraite, dans la mesure où il est extrêmement complexe de garantir un
montant de retraite indexé sur l’inflation à un travailleur de 25 ans.
b. Les trois fonctions des fonds de pension
Ils ont une fonction de collection et de protection des fonds, et de versement des prestations de
retraite. Ils servent également à déterminer qui est éligible : à savoir les actifs et leurs épouses,
mais également les gens qui quittent l’entreprise et conservent leurs droits. Enfin, les fonds de
pension ont une fonction de gestion d’actifs.
c. La gouvernance des fonds de pension
La gouvernance renvoie à des mécanismes formels par lesquels les institutions prennent des
décisions, sont responsables vis-à-vis de toutes les parties prenantes, et agissent ce faisant en
accord avec des règles de conduite publiques et privées.
La gouvernance d’entreprise renvoie à la relation entre toutes les parties prenantes d’une
entreprise (actionnaires, dirigeants, travailleurs, fournisseurs et clients), définie par les règles
de l’entreprise et la loi, et insistant sur la valeur de l’entreprise pour l’actionnaire.
Appliquée aux fonds de pension, c’est la relation entre les parties prenantes au fonds de
pension, définie par la loi et le trust deed (statuts), qui insiste sur le bien-être des membres, tout
en reconnaissant l’importance de la survie à long terme de l’entreprise. De ce fait, cette
gouvernance est similaire par certains aspects à une problématique emplois contre retraites.
2. Modèles de gouvernance
a. Le modèle anglo-américain
Il s’appuie sur la common law anglaise. Les fonds de pension sont des trusts, et bénéficient
d’incitations fiscales. Ainsi, dans le système britannique, les fonds investis ne sont pas
imposés, pas plus que les plus-values, mais le revenu de retraite est imposé (EET). Cependant,
lors des 30 dernières années, la loi s’est attachée à définir et à limiter le fonctionnement des
trusts.
5
Le texte n'a pas été relu par l'orateur.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
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b. Le modèle allemand/d’Europe continentale et le modèle japonais
A l’opposé, le modèle continental fonctionne sur un système de management et de contrôle,
tandis que le système japonais est basé sur des participations croisées.
3. Les trustees
a. Pouvoirs
Les administrateurs des trusts, les trustees, détiennent la propriété des fonds, et agissent en
« bons pères de famille » dans la gestion de ces fonds. S’ils n’ont pas nécessairement de
connaissances particulières en matière d’investissements, ils ont l’obligation de faire de leur
mieux en obtenant l’information et les conseils nécessaires. Dans le cadre de la common law,
les trustees doivent agir dans le meilleur intérêt des bénéficiaires et disposent pour cela de
pouvoirs étendus mais assument également des responsabilités de contrôle des décisions
prises et jouent un rôle important dans la gouvernance.
b. Délégations
Dans la plupart des cas, les trustees délèguent une partie de leurs fonctions, à savoir
l’évaluation du passif, la gestion au jour le jour de l’investissement, à des sous-comités qui
bénéficient de l’aide de consultants. Cependant, ils restent responsables en fin de compte du
versement des retraites. En fonction du type de fonds, il existe quatre types de délégations. La
gestion de petits fonds est entièrement déléguée à des compagnies d’assurance. De grands
fonds sont gérés en interne, et le contrôle s’effectue via une relation d’employeur à employé. La
délégation extensive consiste à gérer de grands fonds avec des contrats de service à court
terme pour déléguer certaines fonctions. Cependant, les coûts de coordination peuvent être
paralysants D’autres grands fonds fonctionnent en délégation intensive, c'est-à-dire qu’ils ont
un groupe régulier de fournisseurs. C’est en principe une solution efficace et équitable.
La liberté offerte aux trustees, associée à leur responsabilité, permet des solutions spécifiques
pour avoir des mécanismes de retraite plus efficaces que si l’Etat devait les gérer lui-même,
mais crée des relations d’agence et introduit les problématiques associées.
4. Relations d’agence et délégation de pouvoir de décision
Si une entreprise a un plan de retraite, les managers nomment des trustees pour gérer ce plan
dans l’intérêt des membres. Les membres sont ici le principal, pour qui agissent les trustees. Mais
les trustees deviennent à leur tour le principal d’une relation d’agence en appointant des gérants
de fonds, qui à leur tour contrôlent que les managers des entreprises dans lesquels ils investissent
agissent dans l’intérêt des actionnaires. Il s’agit donc de relations d’agences circulaires. Pour
résoudre les problèmes d’agence qui peuvent surgir, il faut soit établir un contrat incitatif ex ante,
motivant l’agent de façon qu’il agisse dans l’intérêt du principal, ou avoir une menace crédible ex
post pour le forcer à compenser ses actions en défaveur du principal.
5. Législation limitant la liberté des trustees
Depuis les années 1970, la législation insiste sur les responsabilités des trustees. Ainsi, les Social
Security Act de 1970, 1985 et 1990 ont insisté sur les droits des employés qui quittaient
l’entreprise. Puis le Social Security Act de 1986 a régulé la flexibilité accrue du marché du travail.
En 2002 et en 2005, l’OCDE puis l’Union Européenne ont publié des codes de conduite pour les
trustees. De nombreuses lois ont également incité les trustees à mieux informer les membres sur
leurs plans de retraite, à traiter équitablement les hommes et les femmes, ont imposé une règle de
non-discrimination en ce qui concerne les handicapés et ont réduit les surplus des fonds de
pension. Les trustees sont régulés depuis 1995 par l’Occupational Pensions Regulatory Authority,
tandis qu’un fonds de compensation était établi pour corriger les conséquences de manœuvres
frauduleuses. Enfin, en 2005, un fonds de protection des retraites était établi pour protéger les
membres des conséquences de la faillite de leur compagnie. On se dirige vers un système de
garantie de retraite, et non plus de promesse de retraite.
Colloque du Conseil scientifique de l’AMF - Paris, le 15 mai 2006
- 29 -
6. Critique du modèle de délégation aux trustees (rapport Myners)
Le rapport Myners de 2001 insiste sur le manque de qualification des trustees, comparant
l’amateur éclairé britannique à l’expert informé américain. Les trustees, mal informés, se
reposaient trop sur l’expertise des consultants, dont ils ne comprenaient pas les conseils. Ils
manquaient de cohérence en ce qui concerne les objectifs, d’attention à l’allocation des actifs et
étaient trop averses au risque. Le Pensions Act de 2004 s’est basé sur ce rapport pour exiger des
trustees d’avoir la connaissance et la compréhension dans dix domaines (investissement,
allocation d’actifs, loi et régulation…). Les trustees peuvent désormais subir des amendes s’ils ne
fournissent pas l’information nécessaire au régulateur. Cependant, de nombreux trustees sont
désormais à la limite de leurs capacités et échouent selon un ou plusieurs des critères de la loi de
2004. De plus, les trustees ayant les capacités nécessaires, tels que des directeurs financiers,
sont forcés de quitter le conseil des trustees du fait de conflits d’intérêts entre l’entreprise et le
trust.
7. Conséquences
De nombreux déficits sont dus à une moindre contribution des employeurs dans les années 1990,
au crash boursier de 2000 à 2003 et à la longévité accrue des individus. Le transfert à un système
de cotisations définies s’est traduit par des cotisations plus faibles, des coûts plus élevés et le
transfert du risque vers les individus.
8. Conclusions
Les fonds de pension anglo-américains ont encore un rôle important à jouer dans la gouvernance
d’entreprise, en s’appuyant sur leur accès à une connaissance spécialisée et à l’expertise des
marchés. Leur responsabilité peut générer des standards plus élevés de gouvernance
d’entreprise. Cependant, ils s’y impliquent rarement. A mesure que le monde se complexifie, le
modèle de l’amateur éclairé fonctionne de plus en plus mal. Il est difficile de différencier les
conséquences d’une complexité accrue et d’une législation plus pesante. Cependant, le modèle
des trustees est plus flexible que le modèle continental européen. Il faudrait maintenir l’idée de
l’homme prudent, mais professionnaliser les trustees, en particulier leur permettre de mieux
comprendre le cercle d’agence qui les affecte et devenir proactifs.
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IV. Quel rôle pour le gestionnaire professionnel dans les décisions financières
des ménages ?
Olivier DAVANNE6
Les motifs d’épargne sont extrêmement divers. L’épargne de précaution à court terme et l’épargne
destinée à des projets d’investissement à moyen terme nous intéresseront moins. L’épargne à long
terme, qu’elle soit « dynastique » (dans un but de transmission par donation ou héritage) ou épargne
retraite, pose plus de problèmes. Le risque pour l’épargnant est très mal mesuré par la volatilité du
portefeuille en mark-to-market. En effet, les chocs de prime de risque sont moins mécaniques, mais
perdent de l’influence à long terme. Il est difficile sur une épargne longue d’identifier la frontière
d’efficience des placements. De plus, pour l’épargne retraite elle-même, il est nécessaire pour
l’épargnant d’avoir une bonne perception du couple rendement-risque à l’horizon de sa retraite, pour
définir l’effort d’épargne à fournir. Les erreurs de gestion sont extrêmement coûteuses, dans la
mesure où elles peuvent entraîner une baisse drastique du niveau de vie après la fin de la vie active.
1. L’intervention de professionnels de la gestion est donc absolument nécessaire dans ce
domaine
Au niveau du conseil, un suivi est nécessaire, pour expliquer aux ménages quels produits et quel
niveau de risque financier choisir, mais aussi pour aider l’épargnant à interpréter ce qui se passe
au niveau de son épargne lorsque le marché fluctue. Il faut développer un type de conseil
consacré à l’analyse prospective du portefeuille. Cependant, ce n’est pas suffisant. Le gestionnaire
doit aider ensuite l’épargnant à gérer des produits diversifiés. Il sera également nécessaire de
créer des produits optimisés pour amener l’investisseur sur sa frontière d’efficience. L’objectif de
l’éducation financière, quant à elle, n’est pas de faire du ménage un spécialiste, mais de l’aider
dans sa relation avec les prestataires. C’est là que commence le débat : comment peut-on aider le
ménage dans cette relation qui est mal définie ? Ce problème est d’autant plus prégnant que l’on a
créé en France un nombre invraisemblable de produits financiers (PERP, PERCO, PEE,
assurances-vie…).
2. De la théorie à la pratique : la situation actuelle
Il n’y a pas aujourd’hui suffisamment de produits diversifiés. La logique actuelle ne présente pas
de fonds diversifiés à horizons différents, les réseaux de distribution privilégiant les assurances-vie
et les OPCVM spécialisés. Les produits de gestion diversifiée doivent être améliorés. Ils sont en
général très contraints par les benchmarks. Tout indique que les gestionnaires s’éloignent en
général très peu de leurs benchmarks. Ainsi, lors de la bulle puis de son éclatement entre 1998 et
2001, les recommandations des gestionnaires ont très peu évolué. De plus, notre recommandation
d’éclairer l’épargnant sur l’environnement financier, le rendement et les risques potentiels, est très
peu suivie.
La façon dont les ménages assument les risques financiers actuellement est mauvaise. Il n’y a pas
assez d’actions dans leur épargne, supplantées par les livrets et l’assurance-vie. Ceux qui
s’éloignent des livrets et de l’assurance-vie souffrent d’une rigidité de leurs choix d’investissement,
voire d’aspects pro-cycliques dangereux, achetant des actions lorsqu’elles sont chères. De plus
l’information offerte aux ménages sur l’évolution des actions est extrêmement faible.
3. Conclusions
La question essentielle est celle du développement de produits répondant réellement aux besoins
des ménages, c'est-à-dire un produit de gestion diversifiée, d’un type nouveau, avec de
l’information complète, géré à différents horizons. Il faut que de grandes institutions – Fonds de
Réserve des Retraites, Caisse des Dépôts – donnent l’exemple.
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Le texte n'a pas été relu par l'orateur.
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Il serait également possible de centrer les avantages fiscaux sur ce type de produits. Cette
suggestion n’a pas de sens à court terme, dans la mesure où il faut au préalable que ce marché se
développe.
Enfin, il est absolument nécessaire pour les pouvoirs publics de mener une réflexion générale sur
l’organisation du marché de l’épargne longue.
Questions aux intervenants
De la salle
Il ressort une question des deux exposés que l’on vient d’entendre. On parle de l’attitude des
épargnants vis-à-vis de la mort, qui n’est pas pour eux une donnée statistique simple. Il reste
également le problème de la sortie en rente, que les ménages évitent. Malgré les défauts du marché
de la rente, on ne peut pas expliquer simplement, par la rationalité standard, pourquoi les ménages
évitent ce marché.
Par ailleurs, David Blake nous a montré un système qui souffre d’un double problème de délégation,
par rapport aux trustees et vis-à-vis des gestionnaires d’actifs. Un équivalent se retrouve dans les
fiducies canadiennes. Il existe des fiducies mixtes, où des représentants des salariés siègent au
conseil de gestion.
David BLAKE
Le modèle britannique est mixte également. Les salariés élisent un tiers du conseil des trustees et
cette proportion passera bientôt à 50 %. Le problème est que peu de salariés sont candidats à ces
fonctions et ce d’autant moins que les exigences qui pèsent sur les trustees sont grandissantes.
Cependant, l’idée d’un équilibre entre les représentants de l’employeur et ceux des salariés est
essentielle dans le système des trusts.
Olivier DAVANNE
Une des raisons pour lesquelles il n’y a que peu de rentes est que de nombreux ménages visent à
laisser un héritage. Si on a prévu de laisser un héritage, le risque n’est pas de se retrouver sans fonds
mais de laisser un héritage plus faible.
De la salle
Ce résultat est valable en France, où la retraite publique assure encore un taux de remplacement
élevé. Les gens peuvent donc arbitrer entre épargne retraite et legs. Au Royaume-Uni, où les taux de
remplacement moyens sont de l’ordre de 20 à 25 %, les risques sont plus importants, le risque n’est
pas tant de laisser moins d’héritage, mais d’être âgé et démuni. Dans le système du 401k américain,
la sortie en rente n’est proposée que dans un quart des cas.
Olivier PASTRE
J’aimerais avoir votre point de vue sur l’activisme limité des grands gérants d’épargne. Bien qu’étant
propriétaires d’une grande partie du capital des entreprises, ils n’interviennent que très peu dans leur
gestion.
David BLAKE
La loi de 2004 requiert des trustees qu’ils poussent leurs gestionnaires de fonds à être beaucoup plus
activistes. Dans le passé, les gestionnaires de fonds ne votaient même pas aux assemblées
générales. Désormais, ils seront remis en question si de telles situations se reproduisent. Le National
Association of Pension Funds, organe rassemblant les fonds de pension, est devenu beaucoup plus
activiste dans ce domaine. Ils remettent par exemple en question les rémunérations de certains
dirigeants, lorsque les résultats de l’entreprise laissent à désirer. En cela, nous suivons le modèle
américain, qui nous a devancés de quelques années.
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Olivier DAVANNE
Je comprends l’opinion de David Blake selon laquelle les fonds de pension traditionnels anglais à
prestations définies ont encore un avenir. Cependant, un courant à l’importance croissante exprime
l’opinion inverse. Les entreprises privées ne peuvent pas mettre en place un fonds de retraite car ce
n’est pas leur métier. Avec l’allongement de la longévité, mettre en place un tel plan revient à émettre
de la dette sur 30 ou 40 ans. La référence en termes de coûts est le rendement obligataire. Ces coûts
se répercuteront nécessairement sur les salaires. A terme, les salariés britanniques seront pénalisés
par ce système. Les gens épargnent pour leur retraite en achetant des obligations dont le rendement
réel est de l’ordre de 1 % inférieur au taux de croissance. Ce système semble donc condamné.
David BLAKE
Si l’on considère que les salariés sont pleinement rationnels et suivent la théorie du cycle de vie,
l’utilité globale est ce qu’ils négocieront dans le futur. Les plans à prestations définies du secteur privé
sont en train de disparaître et sont remplacés par des plans à cotisations définies pour lesquels les
taux de cotisation des employeurs et des salariés sont plus faibles. Du fait des déficits au RoyaumeUni, l’employeur cotisait à hauteur de 24 % du salaire, tandis qu’à l’équilibre cette contribution serait
de l’ordre de 12 %. Dans le cadre d’un plan à cotisations définies, les employeurs abondent le fonds à
hauteur de la cotisation de l’employé. Les salariés ne comprennent pas que l’employeur abondait
auparavant le fonds dans une dimension quatre ou cinq fois supérieure. Des conflits grandissants se
préparent entre le salarié et l’employeur, entre les retraités et l’employeur, voire entre deux
générations de travailleurs, du fait des déficits.
Laurent CALVET
Je souhaite revenir sur l’importance de la diversification internationale. L’une des conclusions de mon
étude serait d’encourager les intervenants (autorités publiques, institutions financières et ménages) à
promouvoir la création de Sicav internationales bien diversifiées et au risque de change bien pris en
compte. Il serait également important de les structurer afin de minimiser les risques de gestion. Aux
Etats-Unis, il existe des Sicav dont les frais de gestions sont aux environs de 0,15 % par an, grâce à
de la gestion indicielle sur des volumes importants.
De la salle
L’expérience américaine montre une évolution vers une faible couverture. Il n’y a plus que 13 % des
salariés couverts par des plans à prestations définies, tandis que 60 % d’entre eux ne sont couverts
que par des plans à cotisations définis. Le risque financier est alors porté uniquement par les
ménages. Etant donné la capacité de gestion limitée du salarié moyen démontrée par
Shlomo Benartzi, il est nécessaire de s’inquiéter. Si le système par répartition a des difficultés, cela
n’a strictement rien à voir avec ce qui va se passer aux Etats-Unis d’ici quelques années.
Olivier DAVANNE
La disparition des plans de retraite à prestations définies dans le secteur privé aux Etats-Unis est
désormais irréversible. Ce n’est pas le cas pour le secteur public, qui dispose d’un mécanisme
similaire à la répartition, mais une grande mutualisation du risque mais avec suffisamment d’argent
pour que le système fonctionne. Le problème du secteur privé est le même que celui que nous
avons : il s’agit de chercher comment organiser le marché de l’épargne afin qu’il soit efficient. La
littérature sur le rendement des régimes de retraites montre que le rendement de la retraite par
répartition est approximativement au niveau de la croissance de l’économie. Un Américain,
investissant son épargne dans un portefeuille constitué d’obligations du Trésor américain, et dont
l’effort d’épargne serait identique à celle d’un Français, ne serait pas à plaindre. Le défaut est que
l’épargne est facultative pour le salarié américain mais il suffirait que le Congrès américain décide de
contraindre les salariés à épargner au niveau européen pour qu’ils ne soient plus à plaindre.
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David BLAKE
Il existe plusieurs tendances mondiales, en particulier la fin des plans de retraite à prestations définies
et la banqueroute des systèmes de retraites par répartition. Si les promesses de retraites et de santé
européennes étaient capitalisées, la dette nationale serait plusieurs fois supérieure au revenu
national, et les pays concernés (France, Italie, Allemagne...) devraient quitter la zone euro. Ces
promesses devraient être capitalisées, car elles font effectivement partie de la dette nationale.
Nous sommes d’accord sur la tendance de transfert des risques vers les salariés, qui ne comprennent
absolument pas ces risques et sont loin d’épargner suffisamment. C’est le devoir des intermédiaires
de concevoir des produits, simples d’accès, qui répondent à ces problèmes, tant pour la phase
d’accumulation que pour la phase de désaccumulation, alors que nous disposons aujourd’hui de
centaines de produits inadaptés.
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