Le drame romantique - University of Toronto

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HANDBOUND
AT THE
UNIVERSITY OF
TORONTO PRESS
:•'
,
.
DO
LE
DRAME ROMANTIQUE
*fc>*^*
LE
DRAME ROMANTIQUE
THESE
PRÉSENTÉE
A LA
FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS
PAR
PIERRE NEBOUT
ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE
AGRÉGÉ DES LETTRES
PROFESSEUR AU LYCÉE DE ROUEN
iîtffr
PARIS
LECÈNE, OUDIN ET
15,
C ie
,
ÉDITEURS
RUE DE CLUNY, 15
1895
+
\v\
i
A
MON MAITRE
PETIT CE JULLEVILLE
HOMMAGE RECONNAISSANT
P. N.
AVANT-PROPOS
Nous avons
essayé, dans ce travail
sur
Drame
le
romantique en France, d'expliquer une œuvre qui n'a
été
qu'une tentative malheureuse, quelque génie qui en
déborde de toutes parts. Et pour mieux expliquer pourquoi la tentative était bonne à faire, pourquoi elle a manqué, nous avons quelque peu cherché une esthétique de
la tragédie
si
l'on
à son
elle-même,
un critérium.
et
veut peser, juger une œuvre,
Il
en faut un,
mettre
la classer, la
rang, ce qui est encore, après tout, le
plus bel
objet de la critique. Faudrait-il laisser les chefs-d'œuvre
ou
les
œuvres dignes de respect au caprice du
son goût », et
rie
critique continue
vaut-il pas
devra
le
chacun
mieux, au contraire, que
pour chaque
rôle qui consiste à fixer le
«
siècle à jouer le
goût? Ce
rôle,
espérons qu'elle
jouer longtemps encore, et que
savoir ne tuera pas le plaisir
la
beau
de sentir
le plaisir
et
de
de
com-
prendre.
Ce drame romantique
à étudier,
tout
œuvre lyrique
et
est d'ailleurs
manqué
qu'il
est.
bien intéressant
C'est plutôt
une
de combat qu'une œuvre dramatique
;
AVANT- PROPOS
VIII
mais quelle poésie Le vrai Hugo,
!
le plus
sublime,
n'est-il
ses pièces lyriques
inégales,
meilleur,
le
le
lyrique
plutôt encore que dans
là,
si
mêlées? X'est-ce point
du théâtre qui nous enlève au
surtout l'Hugo
et
si
point
nous transporte dans
le
monde merveilleux
turel
?Le
théâtre est
aussi pour lui
que
;
mais
cette cause
du peuple nous
que
l'intérêt
et
réel
surna-
une tribune
politi-
tient tant à
cœur,
en peut bien suppléer quelquefois à l'intérêt
tragique absent.
drame romantique ne pouvait être que
du xvn e siècle,
Shakspeare, Schiller ne lui avaient guère laissé que le
lyrisme. L'évolution du drame psychologique était
accomplie et terminée quand le romantisme est venu.
D'ailleurs,
le
ce qu'il fut. L'antiquité, les classiques
Tout d'abord l'antiquité
moderne mise à
la
avait, la complexité de l'âme
part, trouvé ce
expression de
plus haute
drame psychologique,
tragique. Prenez
l'art
le
sujet des Choéphores d'Eschyle, de YElectre de Sophocle,
qui
est,
à son tour, la plus haute expression du
durera la
drame
on va sans cesse y revenir tant que
vraie tragédie. Dans le drame antique, la fatalité
psychologique
domine tout;
laisse libre
:
et c'est
seulement dans
que s'exerce
passion qui est
le
la
le
champ
qu'elle
passion. Mais c'est déjà cette
drame. La douleur d'Electre humiliée
n'espère plus
qui espère
et
dont toute
la vie a été
le
vengeur, l'arrivée d'Oreste,
concentrée sur une idée morale,
Clytemnestre, sa passion furieuse, sa joie sans remords à
l'annonce de la mort d'Oreste,
toutes ces
âmes qu'oppressait
le
le
châtiment qui libère
sentiment d'une grande
justice à accomplir, le délire qui saisit Oreste après le
crime, cette forme antique du doute
sède Hamlet avant
le
et
du
délire qui pos-
crime, tout cela, c'est déjà
le
drame.
AVANT-PROPnS
que
psychologique' autant
IX
trouver
peut
le
l'anti-
quité.
Transportez cette situation dans
les
temps modernes,
du
affranchis de l'idée de fatalité, convaincus
humain
tre
à
vous avez Corneille. Electre
:
deux pièces
faites
sur
la
même
formule
:
libre arbi-
et le Ciel sont
un
être cher
venger sur un être cher. Voilà ce qui tourmente Ro-
drigue, Chimène, Emilie, Cinna, lesHoraceset lesCuriaces
peu importe que
;
là, la liberté.
dominant
le
tout, la
drame,
c'est
tout l'intérêt
l'être
Seulement,
;
cher devienne
ici la
patrie,
la fatalité ôtée, le libre arbitre
formule devient plus psychologique
;
Y état clame du Gid; cet état d'Ame prend
le
drame intime,
celui de la conscience,
en germe dans l'œuvre antique, se développe et remplit tout le cadre.
laissé
à
Ce développement
aux modernes
atteindre pour
est tout ce qu'avait
l'antiquité, inimitable et impossible
le
reste,
pour
la
grandeur épique,
héroïque, quasi divine des personnages.
Corneille applique la formule
maisquand
il
a
dans plusieurs pièces
;
mis en lutte successivement l'amour con-
tre l'honneur, contre la
reconnaissance, contre les affec-
tions de famille, contre la patrie, contre la religion, la
formule paraît épuisée. Corneille pourra
Nicomède ou Rodogune,
être
encore, dans
un grand tragique
;
il
ne
sera plus Corneille. Reste cependant ce revers de la for-
mule
:
le
devoir succombant, la passion maîtresse
l'héroïsme humain,
émouvant,
la passion,
fois entré,
écueil, le lyrisme:
moins propice
;
humaine, autre
après
sujet
son développement, ses contradic-
Le drame redevient plus simple mais,
avec Racine, dans cette voie, il côtoie un
tions, ses retours.
une
la faiblesse
à
;
un peu moins d'observation, un temps
l'étude désintéressée, une plus grande
AVANT-PROrOS
X
place prise par
le
moi, voilà
passions de l'auteur
les
substituées à celles de ses personnages.
Telle est, en quelques mots, l'évolution du
chologique, la forme la plus élevée de
donne
l'intérêt le
qui
plus intense en réduisant tout à
une
Pendant que Shakspeare
crise.
drame psy-
l'art, celle
se servait, lui aussi, de
cette formule, les classiques l'appliquaient rigoureuse-
ment
et la poussaient à l'excès, en
qui n'était pas l'analyse abstraite
Que
restait-il à faire
les classiques
pour une
supprimant trop ce
des passions.
de nouveau après Shakspeare et
?Rien certainement
;
il
n'y avait plus place
école. Surtout après Corneille et Racine, la
peinture de la passion en soi était épuisée. Si Ton voulait
du moins, non fonder une
des tragédies élevées,
psychologique „
il-
école nouvelle,
mais
faire
d'abord garder la formule
fallait
la lutte intérieure et ,1a crise,
puis fon-
dre ensemble Corneille et Shakspeare, c'est-à-dire, ne
pas trop donner aux unités, créer des personnages un
peu moins généraux que ceux des classiques, tout en
se
refusant quelque peu des libertés que prend Shakspeare,
tout en n'exagérant pas le caractéristique et le grotesque.
Mais on peut affirmer que ces tragédies n'eussent eu
d'original
que la perfection de
la
forme,
le
choix d'autres
personnages, d'autres époques. Elles eussent" été des
variétés combinées de Corneille et de Shakspeare. Ce ne
sont point là les caractères d'une école originale. Or,
romantisme voulait
et
par
la
être
le
une école originale au théâtre,
force des choses
il
devait
être original.
Il
y fut donc lui-même, c'est-à-dire qu'il y resta lyrique
il créa une sorte de drame lyrique, mais d'autant moins
;
drame, par malheur,
qu'il était lyrique. Il
diction, incompatibilité.
y avait contra-
AVANT-TROPOS
XI
Le théâtre romantique eut d'autres
forme passionnèrent trop
tions de
défauts. Les quesesprits
les
presque uniquement occupé de mettre dans
le caractéristique, la vie
On oublia
la psychologie
on
;
fut
la tragédie,
extérieure, la couleur locale.
ou bien on l'élontTasous
le détail.
Mieux encore, on eut dû reconnaître que l'époque ne
convenait pas au drame, qu'on ne se sentait pas dramaturge de tempérament, qu'on ne souhaitait monter sur
la
scène que pour
le plaisir
d'y faire la critique
le
combat
d'y mettre la poésie en vue,
du classicisme,
et d'y
combattre
politique, ce qui ne remplaçait pas la vocation
absente.
Voici quel a été notre plan.
Nous avons, d'abord apprécié, toute autre question
écartée, la valeur poétique du drame romantique, qui ne
laisse pas d'être considérable.
Puis
nous
les
questions
la théorie
la critique
vraie et
nous avons cherché
un critérium qui
dos théories, des écoles,
d'esthétique
romantique,
en partie, a tout brouillé,
fausse
pour
abordons
Comme
dramatique.
la
mette au-dessus
des disputes
;
car
existe
il
encore, sinon des intransigeants qui sont ou classiques
ou romantiques tout d'une pièce, au moins des indécis
qui blâment ou louent sans avoir précisément de bon nés
raisons, des dilettantes qui prennent leur goût personnel
pour
la loi
de
l'art.
Aussi, quoiqu'il y ait quelque danger,
nous avons cherché à dégager ce
qu'il
faudra toujours
appeler les règles du genre. Le beau n'est point ce qui
plaît
y
a
à
tel
ou
tel,
mais ce qui doit plaire à tous
une science du beau. Nous sommes donc
d'une définition très simple, très large de
l'art
:
il
;
il
parti
con-
AVANT PROPOS
XII
siste à
nous émouvoir doucement
de Boileau) par la
peinture de
nous avons défini
passions,
l'art
(la «pitié
dramatique
;
et
une peinture des
:
tableau delà vie s'adaptantà des conditions
un
extérieures qui résultent de ce que
emprunte une
l'art
une scène, des acteurs; ce sont
salle,
charmante»
des passions
la vie et
les
conditions
(Vexistence dit genre. L'idéal de l'ail dramatique sera
d'adapter
le
plus possible de psychologie à ces conditions
drame
d'existence du genre, sans lesquelles le
cadre
et
sort de son
verse dans l'ode ou l'épopée.
L'examen historique, rapidement
des différents
fait,
systèmes, c'est-à-dire des proportions différentes dans
lesquelles s'allient l'étude psychologique
du genre, nous a aidé
tions d'existence
même
critérium, en
temps
tous les systèmes, aucun,
nous
qu'il
en
outre mesure l'équilibre entre
et
les
condi-
à vérifier notre
faisait
admettre
somme, n'ayant rompu
fond
le
et
laforme, aucun
n'ayant non plus trouvé exactement la proportion idéale.
La
perfection d'ailleurs est rare
a sa conviction qui
faite
fait sa
force
l'art
;
;
de chaque époque
or toute conviction est
d'un côté des choses négligé.
Nous pouvons dès lors, en connaissance de cause,
aborder l'examen du système romantique. Nous l'y
vovons préoccupé surtout des conditions d'existence du
genre au point d'en oublier ce qui
noblesse du
drame
minons en quoi
la
:
est la vraie force et la
l'étude psychologique.
Nous exa-
doctrine romantique fut féconde
renouvela, en quoi elle se trompa
et fut
et
chimérique. Puis
nous étudions l'œuvre même, comment
elle reflète
une
époque grande et troublée, ressent Fin tluence des passions
contemporaines
;
comment
donne à l'œuvre un grand
cette
influence d'un
côté
intérêt poétique, de l'autre le
AVANT- PP.OPOS
fausse au point de vue de
révolutionnaire et
l'art
XIII
dramatique. La passion
maladie romantique ont changé
la
drame en ode ou en pamphlet, ont
fait
de
la
le
scène un
trépied ou une tribune.
Nous passons
que
alors en revue les caractères
drame romantique a mis au
toujours l'amour,
la
le
théâtre. Les passions sont
haine, la jalousie, l'amour paternel
ou maternel, l'héroïsme
;
mais l'époque où
les poètos
De
ont renouvelé les passions et spécialement l'amour.
plus, les romantiques,
séparent point
du
au contraire des classiques, ne ^
passion du temps, du
la
du décor. Leur pathétique en sera
lieu,
tempérament,
différent, plus
touchant, plus troublant, plus violent, plus énervant.
étudié les passions qui
Enfin, après avoir
font
nous avons tâché d'apprécier
matière tragique,
la
les
qualités et les défauts de la mise en œuvre, la part du
lyrisme, du mélodrame, l'importance donnée en appa-
rence ou en réalité à l'histoire, au
l'évolution de la
versification qui
costume,
et
enfin
Cromwell]
date de
et le vers nouveau qui est l'enveloppe naturelle du
drame conçu parles romantiques.
Il
n'y a, dans ce travail, ni érudition, ni documents
inédits,
choses qu'il ne comportait point.
sommes au
contraire placé en face
avons considérées dans leurs
grandes lignes,
parant aux œuvres qui ont précédé dans
tâchant d'expliquer l'évolution
.Nous n'avons
même
romantique dont
quement
les
.Nous
nous
dés œuvres, et
le
les
même
les
com-
genre,
du genre lui-même.
pas étudié proprement
l'histoire se déroule encore,
le
drame
mais uni-
quelques drames de haute portée qui ont
tenté de correspondre
au théâtre classique, de conti-
u
AVANT-PROPOS
XIV
nuer chez nous Shakspeare,
périodes où la
grande poésie avait choisi
Nous avons élagué
le théâtre.
œuvres secondaires, oute
toutes les
dramatique du
la végétation
d'égaler les œuvres des
siècle,
qui doit beaucoup
au romantisme. Nous n'avons pas raconté
(ÏHernani, les anecdotes, la
vie privée
;
les
luttes
nous avons,
l'homme dans Hugo, mais seulement
l'homme général et l'homme du temps, ce qui se réflécertes,
étudié
dans son théâtre.
chit
Nous n'en approuvons pas moins ceux qui collecmenus faits sur le Romantisme
tionnent documents et
on
l'a fait
pendant
lir,
détails
;
déjà avec succès, et l'on a bien fait de recueil-
que
qu'ils
étaient encore à fleur de terre, des
les fureteurs à venir, obligés
maintenant
de chercher une autre proie, eussent déterrés à grand
effort et
grand honneur, ou qui même eussent
été per-
dus.
En un
méthodes
ce
mot, nous
;
n'avons
pas choisi
nous n'en avons vu
que nous voulions
la tentative tragique
que d'autres
faire
:
du xtx 6
se placeront à
nous compléteront,
si
entre
deux
qu'une possible pour
expliquer, faire comprendre
Nous espérons bien
un autre point de vue et
siècle.
nous pouvons nous
apporté notre petite contribution
flatter d'avoir
à l'intelligence
du
théâtre romantique.
Nous ne
et
citons guère les critiques
ne renvoyons guère
même
contemporains
aux plus excellents ouÀ quoi bon? Par
vrages, à qui nous devons beaucoup.
la
nature de notre sujet, aucun ne nous a été utile direc-
tement. Nous avons philosophé à notre
loisir
devant
les
œuvres elles-mêmes. Mais formé, indigne disciple, par
AYANT-moros
XV
nombre do maîtres éminents dont nous avons entendu
la
parole ou lu les livres,
à personne,
IN
isard
nous n'avons rien emprunté
nous devons un peu à tout
comme à M.
comme à M.
Girardin
si
le
Petit de Julleville, à
monde,
à
Saint-Marc
Faguet.
P.
N
LE DRAME ROMANTIQUE
LIVRE PREMIER
LA POÉSIE ET LE THÉÂTRE
Ce que nous entendrons par
serait
plutôt
la
:
drame romantique. Le
le
tragédie romantique.
—
II.
La
vrai
titre
tragédie est
un poème dramatique, c'est la grande poésie au théâtre; définition de la grande poésie.
Ses manifestations diverses.
III. Le xvme siècle
Elle adopte le théâtre au xviie siècle.
Les rédeux courants la tragédie sans la poésie: décadence.
formes les plus ingénieuses ne peuvent la faire revivre. Lafosse,
Lamotte, Voltaire et les autres prétendus précurseurs du roman-
—
—
—
:
—
:
— La poésie revient à tragédie renaissance. — Diderot
Abufar
Beaumarchais, Chénier, Ducis, Lemercier
et Pinto. — IV. La grande poésie au xixe siècle. Elle n'est
forme lyria surtout pris
au théâtre qu'accidentellement,
drame romantique.
que. Raisons. — V. La grande poésie dans
tisme.
la
:
et ses idées.
;
elle
la
le
Résumé.
L'objet de cet essai est d'étudier la
terme vague
n'est
tragédie romantique,
drame romantique. Le mot drame
plutôt que le
;
il
désigne toute pièce de théâtre dont
est
le
un
fond
pas absolument comique, quelle que soit d'ailleurs sa
portée.
Le terme de drame romantique s'applique donc
à
toutes les pièces romantiques qui ne sont pas des comédies
pures, et n'ont admis le comique dans
LE DRAME ROMANT.
une action sérieuse
1
1
LA POÉSIE ET LE THEATRE
2
que comme complément nécessaire au tableau de
i
la vie.
Mais nous ne voulons pas éparpiller notre attention sur une
moindre des
foule d'œuvres très secondaires, car le
peut se
génies
A
faire sa place
;
les
au théâtre
comme
talents
plus élevé des
le
grandes œuvres nous occuperont seules.
distance,
mé-
postérité, oubliant les productions
la
diocres où des centaines d'imitateurs ont pris au génie ses
procédés sans
prendre sa poésie, ne voit plus que
lui
chefs-d'œuvre
;
et
même, en cherchant dans
y aperçoit, non point des œuvres éparses semées çà
dans
toute la poésie d'une époque s'est pour ainsi
où.
C'est ainsi que nous disons
dire condensée.
grecque. C'est ainsi que nous disons aussi
sique, et
et là
au hasard de l'inspiration, mais des groupes
les siècles
de poèmes
les
le passé, elle
que nous entendons par
Corneille et celles
là
:
:
tragédie
la
la tragédie clas-
cinq ou six tragédies de
de Racine, sans
même y comprendre
quelques pièces estimables de Mairet, de Rotrou ou de Voltaire.
En
de
la
France, cette parfaite union de
forme dramatique, qui
cle, a
s'était
grande poésie
la
paru vouloir se manifester une seconde
du xix
e
Les croyances changées,
siècle.
velée avaient préparé
et
déjà montrée au XVII e siè-
au début
fois
la société
un rajeunissement des
renou-
passions, de
la
matière dramatique. Le plus grand poète de l'époque a
voulu réformer
le théâtre
dire, ses théories étaient
ses
œuvres n'ont pas
comme
la
poésie lyrique.
moins neuves qu'on ne
le
fait école, quoiqu'elles aient
A
vrai
crut
;
et
contribué
à libérer le génie français, trop inféodé à la tragédie clas-
sique.
Néanmoins à
travers la liberté qui règne depuis lors,
au milieu dune multitude d'œuvres dramatiques condamnées à
plus
vieillir
dans ce siècle
le
menses défauts,
r
ou moins
vite, la postérité
théâtre romantique
il
est
;
pour notre temps l'équivalent de
tragédie classique. L'école romantique,
les
apercevra
en dépit de ses im-
deux termes de drame
et de tragédie
il
;
la
est vrai, opposait
mais, à son insu,
LA GRANDE POÉSIE
c'est
il
do
la
tragédie qu'elle faisait
n'y a plus aujourd'hui
la différence s'est effacée,
;
d'école,
il
ne reste que
des ou-
vrages.
D'ailleurs
titre
théâtre de Victor
le
de tragédie
;
Hugo
seul peut mériter ce
nous l'étudierions donc
seul,
constater dans certaines pièces romantiques
téressant de
d'Alexandre
Dumas
et d'Alfred de
Vigny, par exemple,
trace des passions d'une époque dont Victor
scène
n'était in-
s'il
Hugo
la
est à la
seul grand représentant.
le
II
Le
théâtre est
comme un
terrain neutre
où s'installent tour
à tour les spectacles les plus différents, tantôt l'observation
choisie de la réalité réduite en comédie, tantôt
l'amusement
des yeux, tantôt les péripéties tragiques de la vie
de tout
le
monde, tantôt
c'est-à-dire la
la
les
à suivre la grande poésie,
au théâtre, quand
vent leur expression à
les passions
scène.
la
bientôt qu'à ces époques, au
de
la licence
gaire,
la
s'installer
plus étonnantes
du
sort,
grande poésie adaptée au théâtre. L'étude de
tragédie revient
s'installe
enfin le spectacle des plus grandes
ou des vicissitudes
passions
humaine
quand
elle
d'une époque trou-
Nous nous apercevrons
du chaos insipide ou
du vul-
milieu
des spectacles faits,pour le seul plaisir
grande poésie, amenée par
au théâtre,
se crée à
les
circonstances à
elle-même une forme parfai-
tement adaptée.
La grande
poésie.
Ce mot
Est-ce autre chose que
poésie n'est pas le génie
La grande
a-t-il
génie
le
;
?
elle a le
poésie, c'est l'état
besoin de définition
Oui
et non.
?
La grande
génie pour interprète.
d'âme d'un peuple qui, ému,
secoué par une des révolutions de sa propre existence, est
prêt à gémir ou à chanter, se sent pris de tristesse ou d'é-
nergie indomptable.
Même
en dehors des révolutions,
la
4
LA POESIE ET LE THEATRE
grande poésie
est
toujours en puissance dans l'âme d'une
nation
que
les
;
suffit
il
circonstances favorisent son éclosion
en donnant à des poètes du
des modèles, des idées.
loisir,
A défaut des souffrances et des enthousiasmes résultant d'une
secousse, elle sera faite des idées morales
qui constituent
l'âme d'un peuple, et qui pourront s'exprimer dans
époque d'agitation, ou dans l'époque de repos qui
troubles.
Après
révolution, c'est
la
de
les dernières luttes
dans
de religion,
l'unité et
accepté sans conteste, c'est
La grande
prime,
si
le
donc l'âme d'un penple qui s'ex-
poésie, c'est
je puis ainsi dire, par le poème, tandis que son
activité intellectuelle se
la
après
du pouvoir royal
force
la
;
dernières guerres
théâtre classique.
traduira d'ailleurs par l'histoire,
la philosophie, la critique, tout cela
de
romantisme
le
la féodalité et les
une
suit les
grande poésie,
même
et
pouvant aussi contenir
en général accompagner
l'é-
closion de cette poésie.
A
certain
aura
besoin
elle
prendra
moment
grande poésie sera dans
la
d'interprètes
la
et,
;
suivant
forme lyrique, ou
forme dramatique
elle
;
la
prendra aussi
les
l'air, elle
circonstances,
forme épique, ou
la
la
forme des génies,
c'est-à-dire que, suivant les circonstances qui feront naître
les génies,
prépareront leur éducation, leur tempérament,
du
leur donneront
loisir
grande poésie aura
les
génies
comme
tel
ou leur feront une vie troublée,
ou
tel caractère.
par un moule, mais
la
Elle passera par
elle
préexiste
aux
génies en puissance. Elle est la commotion, l'ébranlement,
l'excitation
;
nelle,
ils la
C'est
sont l'instrument qui vibre et résonne. Elle
ils
est la matière,
ils lui
donnent
la
forme. Elle est imperson-
font personnelle.
par époques
en général qu'apparaît
poésie, c'est par larges afflatus qu'elle procède
peut aussi, alors
étrangère et
la
solitaire, et qui
même
la
;
que l'époque tout entière
grande
mais
elle
lui paraît
nation occupée ailleurs, inspirer un poète
à ce
moment
vibrera, sentira passer en lui
I
LA GRANDE POÉSIE EN GRÈCE
l'âme nationale ou
5
de l\iine universelle con-
la protestation
tre le présent.
Ainsi en Grèce
grande poésie, résultat des commotions
la
héroïques, s'exprime
Homère
fois
Homère
par
sous
la
forme épique,
Une seconde
représentant tout un cycle poétique.
l'âme de
nation grecque, déjà consciente d'elle-même,
la
mais encore éparse dans
s'exprime par
les
républiques ou les tyrannies,
forme lyrique
la
puis après la défaite des
;
âme
barbares qui l'unit et la condense, cette
s'exprime par
théâtrales
le
théâtre en
même temps
du lyrisme, puis par
le
éparse, elle
que par
les
formes
théâtre seul pendant un
demi-siècle, de la mort de Pindare à celle d'Euripide.
poésie lyrico-épique du dithyrambe a donné naissance à
drame d'abord rudimentaire. Les créateurs
comme
drame,
traditionnels
La
un
du
Thespis, Phrynicos, semblent avoir été célè-
bres plutôt pour les nouveautés de formes qu'ils apportaient
que pour leur génie poétique. C'est avec Eschyle que
grande poésie s'empare du théâtre où
Avec Eschyle, Sophocle
règne un
elle
Euripide, toute la
,
attiréeau théâtre. Ces trois grands poètes avaient,
composé des poèmes lyriques
fait
longtemps
absente
;
théâtre
le
;
nul doute qu'on n
genre tragique; mais
le
est
est vrai,
mais ces poèmes n'ont guère
;
pour leur gloire. Après eux, au contraire,
abandonne
poésie
il
la
siècle.
la
?
ait
la
poésie
encore cultivé
grande poésie en était
aucune des productions postérieures n'a survécu
à la consommation journalière, etnous savons que, faute de
concurrents sérieux, on
finit
par reprendre
les pièces
des
grands tragiques. C'est donc que des circonstances diverses
portèrent les poètes
grande poésie
peuple jeune
lissant
sophie,
;
elle se
;
d'autres formes.
D'ailleurs,
la
l'âme grecque n'est plus celle d'un
l'âme de l'âge mûr, de l'homme vieil-
manifeste désormais par l'histoire, la philo-
l'éloquence.
Rome,
vers
morte
c'est
;
mourir avant
A
est
Ainsi
la
peuple
peut
marquée la
diffé-
poésie d'un
lui.
—
et
combien
se trouve ainsi
LA POÉSIE ET LE THÉÂTRE
6
rence entre
les
deux peuples
guère qu'au bout de huit
rude, agriculteur,
la
Lame
que
l'esprit
romain,
manifesté par
oratoire, s'est
romaine, pénétrée et échauffée
Grèce, s'exprimera alors par autre chose qu'une dis-
cipline héroïque
:
par
la
grande éloquence
chante avec Lucrèce et Virgile
criera par la bouche de
pour
fini
grande poésie n'arrive
la
siècles, alors
guerrier,
Plaute et par Caton.
par
—
!
la
;
elle
elle
chantera encore et
et de
Juvénal, et ce sera
;
Lucain
et l'histoire
grande poésie, qui jamais ne
montrée
se sera
au théâtre.
Il
y eut cependant à
avant que
la
langue ou
Rome
l'art
des poètes tragiques, mais
ne fussent
Quoique Pacu-
fixés.
vius et Attius ne paraissent pas avoir été de simples imitateurs
du théâtre grec, on ne voit pas beaucoup où pouvait
au théâtre une poésie un
être leur originalité. Ils mirent
peu
fruste, celle de la
tirait
Rome
révolutions
du monde que
satisfaction
du butin rapporté
le
agricole et guerrière, qui ne
encore d'autre émotion des chutes de peuples et des
théâtre grec
:
l'orgueil de la
mais par-dessus tout
;
leur plaisait par
il
Troie c'était Carthage, et
le «
victoire
Cheval de Troie
» se
encore au temps de Cicéron. L'époque poétique à
qu'on ne
lit
jouait
Rome
ne
que de vieux maîtres
guère.
Ainsi à Athènes
poésie, et à
c'était
d'allusions.
les sujets
voit plus dans les anciens tragiques
et la
Rome
le
la
théâtre ne valut que par la grande
grande poésie, une
fois
venue, ne son-
gea pas à s'emparer du théâtre.
L'âme
française a chanté dès
vères. Puis la foi
et la
forme
monta sur
qu'il prit
les
le
XI e siècle par les Trou-
planches
;
y eut un drame
il
dura tant que dura
la foi
des multi-
tudes. Aussitôt qu'apparaît le doute, les Mystères meurent,
le
théâtre
tragique est vide, et
montre pas de longtemps sur
la
la
poésie sérieuse
maintenant X ode sous toutes ses formes
Mystères,
comme
ils
;
ne
La
poésie,
elle
remplace
scène.
ont remplacé l'épopée
;
se
c'est
les
et elle s'emplit
LA GRANDE POÉSIE AU XVIL e SIECLE
de tout ce que
7
génie païen retrouvé apporte au génie
le
moderne.
Presque aussitôt pourtant,
les
poètes
lyriques de
la
Renaissance, dans leur enthousiasme pour l'antiquité, ressuscitent la tragédie qui n'avait eu qu'un temps à Athènes.
Mais
Peu
attend près d'un siècle l'âme qui lui doit venir.
elle
peu
à
la
poésie va la trouver. C'est
tragédie française, c'est
sion soudaine la
le
Cid qui crée
le
grande poésie delà passion
chevaleresque, fera du
la
Cid qui, révélant par une explo-
même coup
et
de l'héroïsme
admirer une forme toute
nouvelle. Cette forme ne vaut d'ailleurs que ce que vaut
génie dont
un moment
est
elle
Cinna
habitée.
le
un
est
poème tragique, Sertorius n'est qu'une pièce de théâtre.
Quand Corneille a épuisé sa poésie, qu'il se répète luimême, la tragédie n'est plus qu'une enveloppe vide, bourmais les temps
souflée par moments de faux héroïsme
;
drame,
étaient au
pris cette direc-
Les succès de Corneille nous valurent Racine poète
tion.
dramatique au
lui
grande poésie avait
la
la
lieu
de Racine poète lyrique ou épique. Avec
puissamment,
tragédie vit
grâce à
la poésie
:
la
forme dramatique sert tour à tour d'enveloppe à un combat
comme Andromaque,
de passions
à
une élégie comme Béré-
à un fragment d'épopée biblique comme Athalie.
D'où vient que la poésie se dirige à cette époque par
exemple vers le théâtre ? La tragédie antique exhumée a
nice,
frappé
que
les esprits,
même de
aient
usé
la société favorise cette
formes de
politiques,
la poésie
peuvent
se
leur
mode
spectateurs,
le loisir,
Ainsi
alors que d'autres
développer dans
il
faut
les
troubles
au drame une époque de paix, des
un lendemain.
Il
semble qu'une nation après
rude travail de sa formation sente
en a
:
L'état
ambition.
au milieu du labeur des peuples qui travaillent
à leur unité,
le
séduit les poètes et les séduira jusqu'à ce
des chefs-d'œuvre
de se donner
Athènes après
les
le
le
besoin,
comme
elle
spectacle de sa propre vie.
Guerres Mediques
,
et
Paris
LA POÉSIE ET LE THEATRE
8
après l'unité française assurée, quand
vie féodale fait
la
place à une organisation centrale et puissante. D'où la
il y
avait un
faveur qui s'attache aux débuts de Hardy
;
un spectacle. Et puis l'ode s'usait. L'ode
de Malherbe avait résumé magistralement une forme lyripublic
:
fallait
il
que, mais l'avait résumée.
la fin
du xvin e
siècle,
On
plus d'odes avant
n'écrira
En
avant André Chénier.
toute la poésie prendra la forme dramatique
revanche,
de
;
la
fable
drame qui met en scène
même,
tellement décrire un
les humains costumés en animaux
Lafontaine fera ce petit
:
poètes, qui
est naturel à ces
spectacle
avaient sous les
yeux, au lieu de société, un spectacle admirablement réglé,
où chacun
le
avait sa place, peuple, bourgeois, nobles, et sur
devant de
est le seul
la
scène
L'observation
les courtisans et le roi.
procédé possible au poète relégué à son rang,
dans ce monde
si
Après Racine,
La
se prépare.
bien composé, qu'il voit sans s'y mêler.
la tragédie
place
t.out cela fait
meurt. Le changement social
à Dieu, la
foi
au
foi
roi, la foi
à l'autorité,
aux premières inquiétudes du monde
On
contemporain. Bientôt tout va s'ébranler.
essaye, on affirme, on nie,
cherche, on
on combat plume
en
main.
voilà lançant dans la
Vienne un grand esprit, Voltaire le
mêlée des poèmes épiques, des odes,
cours en vers et en prose, des romans
:
des épîtres, des dissatiriques, des articles
de dictionnaire, des tragédies en cinq actes, des comédies.
classique connaît avec lui
La tragédie
un renouveau de viDu mouvie
gueur; mais combien différent de sa première
vement, des
cette
satires,
de l'éloquence
admirable concentration de
justifié les
costume
!
cinq
actes sans
la
vie morale, qui avait
mobilier,
sans décor et* sans
Aussi Voltaire s'agite et se débat
les sujets, tous les
temps, tous
les
!
mais qu'est devenue
;
héros
;
;
il
essaye tous
peine inutile
arrive au succès, car on ignore qu'il puisse exister
tragédie
pour
;
mais tout ce mouvement
innover,
sans
le
fonds
:
il
une autre
factice, ces innovations
de grande poésie, dégoûte
DÉCADENCE DE LA TRAGEDIE
Où
bientôt.
est la poésie ? elle est
Confessions de Rousseau
'le
vers
que
va
;
même,
elle
dans
pour
elle a
;
les
le
9
romans, dans
moment
les
dépouillé
ce n'est pas pour endosser le costume tragi-
reparaîtra plus tard dans Téglogue et l'élégie, elle
avec Chénier s'épanouir dans l'ode et dans
peut-être
l'ïambe, se développer en une épopée des civilisations, en
un De
rervm
Jiotura
attendre que
la
mais
;
tourmente
Révolution est
la
soit passée.
Alors
le
là,
il
faut
romantisme
apparaît.
III
Pour bien comprendre que
poésie est tout,
de
les destinées
qu'à Victor
il
la
genre n'est rien
le
Hugo. Afin de
la
accomplies plus tard par
le
longtemps en Allemagne,
France, tous
la
renouveler tout a été tenté
celui
de
Goethe
du théâtre espagnol, toutes
celui
que
tragédie depuis la mort de Racine jus-
mais l'exemple de Shakespere,
Schiller,
et
de considérer un peu attentivement
suffit
les
et
;
de
réformes
Romantisme, accomplies depuis
et
proposées alors inutilement en
des plus grands talents, des esprits
les efforts
plus larges ne la font pas avancer d'un pas, tant qu'une
les
grande poésie n'est pas née. Considérons un moment
la
multiplicité des efforts et leur faible résultat.
Lafosse emprunte à Otvvay un sujet moderne et n'arrive
qu'à faire un Manlius oublié avec raison. Crébillon donne
aux spectres un rôle important
et tisse les horreurs
mytho-
logiques les plus effroyables, pour arriver à obtenir de Boileau cet éloge
:
Yoilà un auteur auprès de qui
les
Boyer
et
les
Pradon sont de
un
esclave, Spartacus
;
on eût
Révolution
;
mais non, rien qu'un bric à brac
veille
de
la
cornélien.
Lamotte
vrais soleils
!
Saurin prend pour héros
dit
un pressentiment à
la
voit déjà toute la réforme nécessaire,
LA POÉSIE ET LE THEATRE
10
prêche,
il
la
il
veut abolir
il
remplacer par
supprimer
que
et
longs récits, les
les
Lamotte pourtant connaît à
demande que tout marche sans
spectacle
le
peine Shakespere,
confidents,
courageusement contre Voltaire,
la soutient
les trois unités,
il
;
même,
l'exposition se fasse par l'action
qu'on n'abuse pas des monologues. Lamotte propose tout
cela entre
1721
en quoi
a tort
il
et 1726.;
il
donne
il
;
va plus loin
semble beaucoup à celui de Shakespere
;
manque à la forme mais il croit
en somme Lamotte, pour détruire
ce qui
et
quoi
;
Machabées
? les
Edipe
Contre
!
le récit
monologues
les confidents et les
il
dons seulement
Résultat?
!
il
il
bref Lamotte sait
les
fait
le
le
mobilier tragique,
raiis
fait
;
;
voilà
Voltaire a vu
l'air!
nous
contre les vers,
Atten-
les plus justes.
!
révolu-
quelle
il
il
balaye
nous montre
scène,
la
Capitole
le
fond du théâtre, un autel, des consuls, des séna-
teurs, des licteurs
de
;
compose
Romulvs ! contre
unités,
unités défendues par Voltaire! Certes,
les
fait faire place à la tragédie,
dans
prose,
la
va nous rapporter Sha-
trois ans, Voltaire
Voltaire augmente
veut
à tort avoir le fond
kespere d'Angleterre (1729). Shakespere
tion
il
fait Inès !
Piteux avortement des idées
!
:
plan d'un Coriolan qui res-
le
du monde, des robes de pourpre
les
fantômes de Shakespere,
et
et
il
apparaître l'ombre de Ninus, l'ombre d'Amphia-
Voltaire a vu la folie d'Hamlet, et
il
nous apporte
d'Alcméon qui tue ?a mère Voltaire a vu Othello
étouffer Desdemona, il nous apporte Orosmane et Zaïre
il
celle
;
;
fait
des pièces en trois actes
rôles de
qu'il
a
femme
;
il
essaye
même
naguère combattues
sujets nationaux,
il
il
;
;
supprime l'amour
et les
des réformes de Lamotte
enfin
Voltaire adopte
nous montre des chevaliers,
il
tire
les
un
coup de canon. Hélas! tout cela pour aboutir à Tancrède,
tant de mal pour que son chef-d'œuvre soit une Merope,
où
il
n'y a ni canon, ni fantômes, ni capitole, ni sénateurs,
ni licteurs.
Voici, en 1745, une traduction de Shakespere
;
voici
en
EFFORTS INUTILES DE RENOUVELLEMENT
1705
grand succès du Siège de Calais
le
11
voici les pièces
;
de Ducis, un Hamlet, un Othel/o (1769-1773), voici une
traduction de Shakespere par Letourneur
nouvelle
M. de Jaucourt
bert que Shakespere n'a pas d'égal, et
qui dit
:
qui fait de Shakespere
Arnaud de Bacular
un dieu,
qui,
dans son Essai sur
Don
tragédie
la
!
»
romantiques,
des théories
dramatique, propose de substituer à
qui imite
voici
Jamais tragique n'a plus ressemblé à Eschyle
«
Mercier, un précurseur
Voici
;
qui écrit dans l'Encyclopédie de d'Alem-
le
l'art
drame,
Carlos et Jeanne d'Arc. Voici Joseph Ché-
nier qui pille Shakespere en l'injuriant, l'imite dans Brutus
et Ca?sius.
Il
la
y
longtemps que Diderot a exprimé ses idées sur
a
tragédie
pût mettre à
la
scène
1800 son
Staël publie en
duit Wallenstein
core
Louis
dit
le
M me de
1813
1809, Benjamin Constant tra-
l'impression est forte
France.
en
on
drame bourgeois
mais
;
faudra en-
il
tragédie moderne soit
la vraie
En 1820
en
elle
encore au
est
IX d'Ancelot.
C'est que les
reparu
;
le
Littérature, en
livre de la
En
pour que
vingt ans
côté d'elle
infortunes bourgeoises.
les
son livre de V Allemagne.
acclimatée
comme
sans vouloir la détruire,
et,
communément, a proposé qu'à
;
les
temps ne sont pas venus,
la
poésie n'a pas
pseudo-tragiques font des tragédies
actes parce que Corneille et Racine en ont fait
;
la
en cinq
plupart
de ces pièces sont sur des sujets mythologiques, que l'au-
eux-mêmes
teur a pris au sérieux pour
;
Lafosse et Crébil-
Thésée, Codrus, Pohjxène, Electre,
que
des histoires de Grecs, sans voir que, pour Racine, sous
An-
lon n'ont vu dans
dromaque
de Louis
Pyrrhus, sous Néron
XIV,
De pareils
De Beiloy
la
et
titres
et
l'homme
saisi
dénoncent seuls
;
ils
dans
le
confondu
et Voltaire ont
tragédie nationale
et Junie,
ses traits
le
la
cour
généraux.
vide de ces postiches.
les sujets
n'ont pas vu que le
tragédie plus nationale que
y a
il
nationaux
Cid
est
et
une
Siège de Calais et Adélaïde du
LA POÉSIE ET LE THEATRE
12
r
I
l
Le drame romantique
Guesclin.
tagé leur erreur
mands
il
:
souvent que des Français.
et des Italiens plus
Ainsi malgré
coup de canon
le
coup de poignard donné sur
le
audace de Gresset, malgré
empêchés par
n
,
n'a pas, sur ce point, par-
a mis en scène des Espagnols, des Alle-
la
les tentatives
crainte salutaire
la
du
timides des poètes
malgré
public,
les
Avec quelle
vue de l'homme
théories hardies des prosateurs, rien n'avance.
poésie remplir la scène tragique, avec quelle
et de la destinée, car c'est là le propre de
L
du Guesclin,
à? Adélaïde
scène dans Edouard III,
mouvement, du
la
décors, des
tragédie
hommes
coups de
fusil
ou d'épée,
comédies, dans
les
avec leurs
Du
duels, du poison, des
y a longtemps qu'on en voit
mélodrames. Des Français peints
mœurs
il
les
chrétiennes,
il
y en a depuis longtemps
dans Zaïre. Mais tout cela ne fera pas ressusciter
Au
gédie.
?
réels,
habillés exactement, des
vivants,
U dans
des
spectacle,
la
tra-
contraire, à peine les troubles et les catastrophes
de la Révolution ont
elles
ramené
les
grands problèmes des
passions, les grands spectacles de la destinée, que déjà
me
de StaL l trouve ce qui manque à la tragédie ; il n'est
M
:
question des unités, ni
plus dès lors
s'agit
de voir «
gédie ».
la destinée
des monologues,
humaine entrer dans
Cela veut dire qu'il faut au théâtre
la
la
il
tra-
grande
poésie.
Une
née de
autre preuve que la poésie seule, la poésie vivante
la vie
contemporaine, peut vivifier
que, c'est que les
ont
fait
à la fois
avancer
comme
vrais poètes
vrais
la
Schiller et
La Harpe, Luce
forme tragi-
ancêtres du romantisme, ceux qui
tragédie classique vers
du xvin e
la
comme
siècle.
A
le
drame compris
Shakespere, ce sont
les
côté de Lafosse, Crébillon,
de Lancival, Arnault,qui ne peuvent
res-
susciter la tragédie, Voltaire, Beaumarchais, Diderot, Chénier, Ducis, Lemercier,
les
la
galvanisent au moins, non par
réformes qu'ils admettent, et dont nous avons vu l'inu-
VOLTAIRE ET DIDEROT
mais par
tilité,
nouveau dont
l'esprit
ils
que
l'animent, par
mouvement
passion qu'ils lui soufflent. L'invincible
sophique entraîne la tragédie et
13
la
philo-
encore quel-
lui entretient
vie.
Les personnages de Voltaire ne vivent pas
moins
parle par eux
il
sa tragédie est
;
qui nous surprennent dans la
une
;
au
mais
série de tirades
bouche du héros, mais dont
l'à-propos révolutionnaire est saisissant
;
partout
on sent
Voltaire; mais Voltaire, c'est quelque chose.
Diderot a trouvé
et
malheureusement,
le
drame bourgeois,
le
drame moyen qui est de plus en plus,
drame de la démocratie moderne
le
;
celui qui n'a pas des ailes de la poésie
pour voir de haut, ne crée pas des personnages plus grands
que natare, ne
Diderot,
gédie
les
;
choisit
pas
le
grand dans
le
réel.
Pour
passions des puissants ont assez occupé la tra-
les
infortunes du peuple ont droit maintenant à
scène, ou plutôt à la tribune
du
La
théâtre.
peu près
que de
l'idée
vrit la
voie qu'au talent médiocre fait pour intéresser
foule.
Avec
bleaux,
on ne
si
fait
de Diderot
vie des puissants
la
tristes soient-ils
que de
;
sur
avec
la
:
le
théâtre,
la
ta-
malheurs du peuple,
les
Mais en revanche ces
réalité
siècle précédent, d'intéresser
et souveraine
nulle, et elle n'ou-
on peut faire de beaux
tristes spectacles.
spectacles attendrissent
comme au
est à
la
portée artisti-
il
;
une
ne s'agit plus,
élite brillante
bon gré mal gré, épouse
les
pas-
sions publiques.
L'idée de Diderot fera son chemin
elle a deux faces le
drame du peuple. Le drame bourgeois
doit régner, il s'imposera aux sociétés démocratiques
on
refera un siècle après, de mille manières, le Père de famille
et le Fils naturel. Le drame du peuple entrera de force
drame bourgeois
:
;
et le
;
dans
la
tragédie avec Didier, Triboulet, Gilbert.
Jusqu'ici les vraies nouveautés ont été trouvées par Voltaire et
pour
les
Diderot
mêmes
;
elles
le
raisons.
seront ensuite par Beaumarchais
Son drame unit
la
tragédie et
la
LA POÉSIE ET LE THEATRE
14
comédie.
Il
le ridicule.
cour
agit par le ridicule et parle sérieux caché sous
Voilà qui tue
bien
vit
laissa passer
!
fut le cri général
le
la
;
crut pas pressant et
s'amusa elle-même des deux pièces. L'in-
de Beaumarchais sur
fluence
réelle.
noblesse
danger, niais ne
le
elle
;
la
Figaro est
drame romantique
le
père de Ruy-Blas
le
;
c'est le valet
est
qui
a été au collège, qui est poète et auteur, qui a couru
monde,
mais qui agit au lieu de rêver et
dupé; son
fils
sera
moins
IX
Le Charles
lieu
le
d être
valet, plus rêveur et plus solennel.
de Chénier montre
la
moment
le
devenue un
poésie, fût -elle
dupe au
puissance de la
révolu-
souffle
tionnaire, pour renouveler ce que n'ont pu renouveler les
Le
théories.
propos qui
sujet était bien choisi en dehors
est peut-être
royauté,
une de
et, ce
attribué à
même
celles
qui
décidèrent
est vrai,
Avec Charles IX nous sommes encore dans
un peu emphatique de
pareil
;
accoutumé,
il
le
IX
la
Le mot
roi.
ou bien trouvé.
classique, c'est le style
mais
sort de
le
du
qui serait plus triste, le sort
Danton
de ses reines
de l'à-
rendit terrible, car la journée de Charles
le
sied à ce
moment
solennel
songe inévitable; mais
la
tragédie
ses"
;
rois et
c'est l'ap-
l'idée révolu-
par moments on enéclater le vieux moule
drame en vers des romantiques. On y dit Monsieur et non Seigneur. La scène où la reine, Guise et le
cardinal de Lorraine préparent regorgement, où le prince
tionnaire
fait
:
trevoit le
de l'Eglise bénit
les
épées des massacreurs, pendant que
le tocsin sonne jusqu'à la fin de l'acte, n'a rien à envier au
drame romantique que le génie.
LE CARDINAL
le Dieu des nations
Je répands sur vous tousses bénédictions.
Sa justice ici-bas vous livre vos victimes
Sachez qu'il rompt au ciel la chaîne de vos crimes...
L'Eglise, en m'imprimant un signe ineffaçable,
Courez, et servez bien
;
;
DUCIS
n>
Défendit âmes mains le sang le plus coupable,
Mais je suivrai vos pas, je serai près de vous,
(Montrant
et
même
Et, Dieu
agitant an crucifix.)
à la main, je conduirai vos coups
!
tribu de Lévi, tribu sainte, immortelle,
Une seconde
fois le Dieu jaloux t'appelle!
temps de remplir ses décrets éternels
Couvrez-vous saintement du sang des criminels
Si dans ce grand projet quelqu'un de vous expire
Dieu promet à son front les palmes du martyre
Il est
:
!
11
y
!
du drame national qu'on cher-
a là quelque chose
chait.
Ducis fut plus nouveau dans Abufar que dans toutes ses
Shakespere
imitations de
de vraie poésie
et les imitations. C'est
lettres
montrent en
épris de solitude,
encore une preuve qu'un peu
:
plus avancer la tragédie que les théories
fait
dans Abufar
lui
un
fuyant
les
lons qui énervent le talent
d'un
homme
«
dit: « J'ai
de ces
;
qu'il est
lui-même. Ses
pieux et un caractère
fils
entraves
officielles
son père
parle de
il
libre,
et les sa-
comme
il
du temps des patriarches »
désert ». Sa tragédie iï Abufar est faite
rare et digne
épousé
le
deux éléments,
et la tristesse qui fuit
;
l'idée d'une paternité
au désert
va passer en dix ans de
narchie au despotisme.
la
la société,
patriarcale,
cependant qu'elle
tyrannie à l'anarchie, et de
l'a-
La grande poésie commence à ren-
trer dans la tragédie.
La
scène, dans Abufar, est donc au désert, loin des salons
et des règles.
La donnée en
principal personnage est
de
la
maladie d'Amélie et
Farhan a devancé René.
faible d'ailleurs,
est
Au moyen
d'une intrigue assez
Ducis a voulu concilier
morale avec une des études
dans ce qu'elle
singulièrement audacieuse.
une âme malade en même temps
de celle de René. Et notez que
Le
a de fatal,
les
le
bon goût,
la
plus osées de la passion
c'est-à-dire
de
romantique-
LA POÉSIE ET LE THEATRE
lï)
Farhan aime une femme
sœur,
qu'il croit sa
il
a
fui la
tente paternelle, saisi de ce désespoir vague qui va devenir
la
maladie moderne
Un besoin
De
:
fatigant, un désir furieux
moi-même et de voir d'autres cieux,
de ces mouvements qui commandent en maître.
Que l'instinct nous inspire, ou la raison peut-être,
M'ont emporté partout, dans ces champs fécondés
Par les trésors du Nil dont ils sont inondés,
Sous ces affreux rochers, battus par la tempête,
Où ce fleuve s'enfonce et cache encor sa tête
sortir de
Un
;
J'ai couru les déserts et les palais des rois,
Observé chaque peuple et leur culte et leurs lois,
Leurs trésors, leurs soldats, leurs mœurs, leurs origines,
Visité des tombeaux, des temples, des ruines,
Quelquefois sur l'Atlas médité près des cieux
L'éternité du temps, l'immensité des lieux.
C'est là que m'inspirant de la nature entière...
Et Àbufar l'interrompt par
la
protestation de la famille
contre ce spleen orgueilleux.
Et tu n'avais donc pas de famille et de père ?
Tu n'as donc rien aimé ?...
N'avais-tu pas connu nos heureuses familles ?
Vu nos chastes hymens, la pudeur de nos filles,
Tes soeurs, dont le soupçon n'oserait approcher ?
Au bout de l'univers qu'allais-tu donc chercher ?
Des lois ? grâce à nos moeurs nous n'en avons aucune.
Des trésors ? Nos troupeaux font seuls notre fortune.
Des tombeaux ? C'est ici que dorment nos aieux.
Des temples ? Vois la terre et regarde les cieux
Dieu n'est-il pas présent sous ces augustes voiles ?...
!
Saléma, qui aime
frère, ressemble
souffre
comme
elle est
femme,
se
aussi Farhan,
lui,
elle
a des
mots
sa mélancolie est
l'interroge
;
mais
moins emportée
change aussi en langueur dans
Son père
pareils
cette
;
la
Dis-moi, par quels ennuis, à la raison contraires,
les
;
elle
comme
passion
première Amélie.
:
D'une morne langueur
son
croit
qu'elle
peu aux héroïnes pseudo-classiques
rapides progrès
ABUFAR
17
Accabient-ils ton âme, altèrent-ils tes traits
Pourquoi dans
?
avec un regard sombre,
Seule et le front baissé, vas-tu chercher dans l'ombre
Des ravages du temps quelques débris nouveaux,
Et t'asseoir en pleurant snr de tristes tombeaux.
Si elle renaît à
le désert,
la
La
pour exprimer,
vie, c'est
Orientale, une passion brûlante
voilà, cette ardeur
que
ma
vraie
bouche a trahie,
Que cachaient les langueurs de ma mélancolie
Oui, je vis pourFarhan, je l'aime, je l'adore.
C
en
:
est là cet air, ce ciel, ce feu qui
me
!
dévore,
Ce vent de nos déserts, terrible, envenimé,
Moins brûlant que l'amour dans mes sens allumé
!...
Pharasmin exprime aussi un amour déjà romantique
Vous seule avez peuplé
Ces montagnes, ces rocs, ces prés, ce sol aride...
Je n'ai connu, senti qu'une captivité,
Tranquille auprès de voue, loin de vous agité...
Enfin je vous voyais sans avoir cru vous voir...
Je vous suivais partout dans le désert errante.
Je recueillais, avide et d'une bouche ardente,
Votre, souffle, perdu dans les airs enflammés...
On dirait que le ciel tous deux nous y rassemble
Pour nous voir, nous aimer, pour y mourir ensemble
Je ne sais et je cherche, en des transports si doux,
Si je vis dans moi-même ou si je vis dans vous.
Le sentiment de la nature
un point capital, parce que la
galante et enfermée dans les
se
môle à cet amour
romantique. Ainsi
Révolution
Ducis,
donne
et
la
:
c'est
murs des
palais
la
;
les
i
pseudo-
nature et
le
deux grands facteurs de l'amour
mélancolie de la génération qui a vu la
son avortement momentané, est déjà dans
comme dans
la seule
;
passion classique était toute
classiques continuaient à laisser de côté
spiritualisme, qui sont
:
Chateaubriand, et c'est ce qui nous
tragédie un peu originale,
un peu
libre
des
règles pseudo-classiques que nous trouvions à cette époque
LE DRAME ROMANT.
2
i
LA POÉSIE ET LE THÉÂTRE
18
Abufar, ce patriarche du désert, est déjà un grand-prêtre
de la nature et de la solitude Farban, cet homme à l'âme
;
troublée, rempli
Trop
c(
d'une vague inquiétude
»,
serré dans l'espace et dans l'immensité,
veut « sortir de
lui-même
», qui va promener sa
tombeaux et les ruines, qui
monte au sommet des montagnes pour y méditer l'éternité,
qui ne conçoit même le bonheur que sous les traits de la
qui
tristesse
parmi
tristesse, et qui
les rochers, les
veut que sa compagne future porte en
Le doux, l'heureux
René arabe
ce
l'homme
déjà
est
Parmi
:
trésor de la mélancolie,
fatal
une ébauche légère d'Uernani
tique,
elle
et
du drame romande Didier.
un autre précurseur du
romantisme quoiqu'il s'en soit défendu sincèrement, une
surtout, Pinto (1799), montre encore mieux combien la
tragédie se renouvelle forcément quand elle s'inspire de la
pièces de Lemercier,
les
vivante et
poésie
contemporaine,
le
génie
encore
fût-il
absent.
Lemercier
est,
comme
Ducis, un honnête
homme,
indé-
pendant, retiré loin du tumulte révolutionnaire par respect
pour
la
Révolution, plein de mépris pour
qui succède à l'épopée de la liberté.
dernier lieu à
cette
minute
tyrannie...
Eh
!
La
f~
à
la
un scepticisme douloureux
:
« Pinto.
— Et
La
Si tu en fondais une nouvelle
!...
malheureux
!
pièce, intitulée comédie, est
vie. C'est
servitude épique
la
paraît être arrivé en
sera mortelle à la tyrannie d'un siècle!...
d'autres mains la briseront
façon
11
!
Ainsi va
le
monde.
»
un drame mêlé de comédie
romantique, une représentation
mixte
une des œuvres qui ont inspiré à
Hugo
de
la
cette
(^théorie du drame-comédie. Lemercier, ne pouvant d'ailleurs
^l'emplir de grande poésie, dépouille au moins son action
« de tout
le
ornement poétique qui
la
déguise »
;
il
a
c(
rejeté
prestige quelquefois infidèle de la tragédie et des vers ».
PINTO
Pinto est une sorte de pièce à
19
Beaumarchais, mais plus
la
tragique, et qui n'est plus autant tenue à faire rire pour
déguiser
la
leçon et la satire. Pinto, c'est
peuple,
le
c'est
ne bornant plus son ambition à perdre
Figaro grandi,
seigneurs en servant leurs passions, un Figaro qui a
fait
les
son
chemin, devenu conseiller d'un ministre, et menant avec son
maître le pays tout entier il renverse une royauté. Pinto
;
un peu Ruy-Blas. Le sujet de la pièce est en apparence la conspiration de Bragance en réalité, c'est la Révolution française. Pinto, l'homme obscur dont le génie mène
est aussi
;
grands, a pour pendant l'archevêque de Bragues,
les
type du courtisan, plat avec
peuple
;
c'est le
vieux
souverain,
le
le
superbe avec
le
monde des préjugés etdes prérogatives
nobiliaires, qui n'existe déjà plus et ne s'en doute pas, c'est
la noblesse
voyer
de
les valets
Versailles
fouetter cette
vient de prendre la Bastille [Pinto, acte V).
est
là,
XVI
d'antichambre conseillant à Louis
encore de foudroyer
La Révolution
entourant l'archevêque,
victorieuse,
la ville
avec
les
d'en-
canaille qui
qu'il
canons de
parle
la citadelle,
prise depuis longtemps par les révoltés.
Toutes ces scènes sont vives, animées, on y agit presque
il y
a longtemps que la comédie a
plus qu'on ne parle
trouvé
le
le
;
drame moderne,
alors que la tragédie s'obstine à
chercher encore.
Les spectacles de
la
nature
entrant dans
le
drame,
peinture complexe de l'homme avec ses côtés grands et
côtés faibles, rattachent clairement Lemercier aux
tiques.
iv).
Nous
dira à dona Sol
Tu
ses*
le
Le bonheur
-^
a sa mélancolie » (acte II,
retrouverons dans
le
drame, où Hernani
:
dis vrai, le bonheur, amie, est chose grave...
Sou sourire
(1)
«
:
*~)
roman-
Pinto dit quelque part un mot remarquable, qui ne
sera point perdu
scène
la
est
moins près du
rire
que des pleurs
Res severa verum gaudium. (Sénèque.)
(1).
/
LÀ POÉSIE ET LE THÉÂTRE
20
y
Quoiqu'il
le
ait
peu de rapports entre Hernani et Pinto,
poète romantique avait profité des théories et des essais
d'un chercheur qui força les nouveau-venus à s'occuper
de
lui.
liste
La scène où
le
duc de Bragance
se
donner
fait
la
de se3 partisans et de ses ennemis peut être vaguement
l'orio-ine
de celle où Cromwell se
pirateurs, et, par
suite,
fait
énumérer
de celle où don Carlos se
les
cons-
fait aussi
noms des conjurés, scène imitée plusieurs fois
par Dumas, car les romantiques ont ainsi un petit nombre
de clichés commodes soit pour l'exposition, soit pour l'effet.
L'idée du muet Pietro dont Lemercier se sert ingénieusement sera notée par Hugo, qui note tout, et accumule dans
un seul drame dix fois trop d'effets et de trucs, parce qu'ils
redire les
sont propres à étonner
le
démiciens, à épouvanter
la
public, à
jusqu'à l'armoire où don Carlos se
soit
y a
effet
les
aca-
n'est pas
comique équi-
encore analogie entre la situation de
vice-reine de Pinto et celle de la reine Marie
la
il
enfermer qui ne
fait
empruntée à Pinto, pour fournir un
valent. Il
enrager
faire
tragédie classique;
révolution montant
comme une
la
Tudor devant
marée.
Ces constatations poussées plus loin nous montreraient
que les romantiques de 1830 n'ont rien inventé au théâtre,
ni la
peinture complexe
comédie mêlée au drame,
et qu'ils
n'ont pas
même
de
la
vie et de
ni le grotesque
mêlé au tragique,
La
vraie nouveauté de
première
fois
depuis deux siècles
la
ni la
fabriqué à neuf leurs décors
leurs accessoires.
pour
l'homme,
et
1830, c'est que
la
grande poésie
reparaissait au théâtre.
IV
Y reparaissait-elle tout
Pourquoi
la
scène
?
et
entière
?
dans quelles conditions est-elle montée sur
Pouvait-elle susciter une forme neuve et faire
LE XVII e SIÈCLE EST DRAMATIQUE
école
?
moule dramatique
Au xvn e
théâtre
xvi e
il
môme
Se prêtait-elle
par sa nature à entrer dans
siècle
grande poésie a passé tout entière au
siècle, la
Malherbe
;
le
?
d'Aubigné, qui meurt en
;
21
appartient au
1630,
mort avant
était
lui.
n'y a pas d'autres grands poètes que
De 1630
les
à 1700,
poètes drama-
tiques.
Cela fut parce que cela devait être.
classique, sous Louis
XIII
et Louis
La grande
XIV,
poésie
a tout ramené à
l'homme et à ses passions. Le spectacle des bouleversements de peuples n'y est point contemplé directement, mais
de loin et à travers le calme majestueux du règne. Les
grands cris de l'homme qui s'efface et se fait petit en face
des révolutions de la
la
du xix e
poésie
foi,
de
siècle
la politique,
poésie
la
:
seront poussés par
classique
examine
l'homme intérieur c'est là le microcosme en qui elle concentre tout. Le théâtre est bien, dès lors, le cadre qui lui
;
convient
le
mieux. Cette cour, qui est elle-même en repré-
sentation, assistera à la représentation tragique. Les troubles de la passion héroïque traversée par les fatalités de la
vie
;
l'homme
les luttes intérieures,
et ses devoirs, les maîtres
pris entre
du monde
ses
amours
par! âgés entre leurs
passions et leur dignité, entre leurs désirs de vengeance et
la
grandeur d'âme
mander
demande
;
qu'ils tiennent
de l'habitude de com-
quand
ce qui se passe dans l'âme du père
ses
fils, dans l'âme delà femme
mari, de l'amante à qui
sion, noble
elle
la patrie
à qui elle prend son
prend son amant
;
bref, la pas-
ou avide, vaincue par l'héroïsme ou victorieuse,
traînant l'homme au déshonneur et au crime, voilà
tragique. Les grands événements causes
sont dans la coulisse
;
ils
déconcerteraient
qui ne les connaissent plus, dans
le
fonds
de ces troubles
les
spectateurs
un royaume où tout
est
réglé, ordonné, compassé. Si l'on regardait derrière la toile,
on verrait dans Horace une lutte décisive qui va faire d'un
peuple l'escLve d'un autre
;
dans Cinna,
la
république,
LA POÉSIE ET LE THEATRE
22
avec
pire
derniers efforts de son agonie, qui fait place à l'em-
les
dans Nicomède,
;
la liberté
des peuples et des rois aux
prises avec la conquête romaine,
face de la force brutale, maîtresse
le
l'héroïsme individuel en
du monde dans Polyeucte,
;
christianisme que dissout la famille et la société romaines
;
dans Andromague, l'écroulement d'un empire asiatique, avec
des incendies de
vendues
cesses
villes,
des massacres de peuples, des prin-
esclaves des vainqueurs.
et
Et
ces sujets
valent, pour le moins, ceux que les romantiques, dans les
après les drames, prétendent avoir voulu
préfaces faites
traiter.
Mais
grands
événements que
Où
théâtre classique ne représente tous
le
les primitifs
voyaient
par leurs
la fatalité, la jalousie
ces
l'homme.
sur
effets
des dieux,
où les romantiques ont vu les vastes desseins de Dieu
menant le monde au p'rogrès, les classiques n'ont pas voulu
regarder. Est-ce Dieu qui fait gronder l'orage ? Est-ce
Neptune ? Eux, ils font de l'art ils voient l'effet, non la
l'homme s'agite, cela leur suffit quelles mains
cause
;
;
;
tiennent
Il
le fil?
peu leur importe.
n'en fut pas,
romantiques.
En
il
n'en
aient troublé l'âme humaine,
ne pas
les
pouvait être ainsi des poètes
il
ne leur
est pas loisible
leurs seuls plient sans
rompre sous
les
humbles travail-
l'orage.
société en travail démocratique, pleine d'élan et de
un public
du
crainte, de doute et d'enthousiasme, n'est pas
qui puisse, tranquillement assis, contempler
monde
de
contempler. L'ébranlement dure encore, toute
pensée forte et haute en est atteinte,
Une
changements qui
face des plus grands
le
spectacle
sous la forme d'une cour où des rois et des princes
passent
en dissertant éloquemment
âme. La forme dramatique ne
comme
la
se
sur
de
l'état
prêtait pas
leur
facilement,
poésie lyrique, aux épanchements des
âmes in-
quiètes.
De
dans
son côté,
la société
le poète,
au XIX e
siècle, n'est plus,
comme
monarchique, l'amuseur sublime d'une
élite,
LE XIX e SIÈCLE EST LYRIQUE
le
du tableau de
spectateur impartial et inutile
démocratique,
la société
sion »
lutions
tantôt
être le
dans
il lit
;
est prêtre,
il
poète
se croit le pilote qui
il
;
le
encourage
une arme
pouvoir qui
;
pouvoir qui
le
mal.
fait
un carquois toujours
gouverne à travers
élégie
;
courroucé par
le
A
tantôt
entraîne ou retient la foule,
ce poète
il
frappe d'une satire
faut des
jet,
dans
dit sa tristesse
il
il
armes de
il
le
légères qu'il peut
flèches
:
il
écrit
une ode
est
il
;
jette au mal une imprécation.
il
:
est soldat,
il
fait bien, et
plein, des
mal
;
combat,
;
il
est enthousiaste
il
les révo-
faut suivre
route qu'il
lancer à tout instant. Il est triste,
une
Dans
lui faut prêcher, enseigner, civiliser,
il
médecin des âmes
ses écrits sont
la vie.
suppose « une mis-
se
astres la
les
23
Il
note ainsi tour à tour les divers états de son âme, et tout
ou moins, sont lancés
cela intéresse le public, car tous, plus
comme
tique
dans
lui
la lutte
de la vie, dans
la bataille
;
ragent
chacun voit avec intérêt dans l'œuvre du poète
;
l'image de ses passions de tous les jours.
poète vit
Au
;
il
élite,
foule règne, le
s'inté-
du poète.
xvii° siècle,
moins
La
vie de la foule, et la foule par suite
la
resse à la vie
une
démocra-
tous cherchent, s'émeuvent, s'enflamment, se décou-
poète observait plus et éprouvait
le
devait choisir dans la vie ce qui peut intéresser
et
travailler plus
longuement des œuvres plus
complexes. Peu de journaux, peu de revues, et qui ne servent qu'à constater l'apparition
aujourd'hui, au
livre, ce
moyen
même
grands
le
ouvrages
;
compose un
compose par morceaux, et le
des revues, l'auteur,
qui devient rare,
distribue de
des
s'il
au public. Le poète produit donc au jour
au lieu de condenser ce qu'il a éprouvé ou observé
en quelques œuvres puissantes, compliquées, savamment
le jour, et
construites,
nera
la
il
s'éparpille, se détaille
même somme
sera une quantité de
pas d'argent,
il
;
en fragments.
Il
don-
mais, au lieu d'un rouleau d'or, ce
menue monnaie,
et si
un jour
donnera du cuivre. Le rouleau d'or
il
n'a
c'était
LA POÉSIE ET LE THEATRE
24
la
poème épique
tragédie, le
la
;
menue monnaie,
ce sont
les pièces lyriques.
Remarquons
le
bon
surtout
et
Une immense
état de choses.
mauvais côté de cet
le
circulation littéraire, mais qui
sans cesse a besoin d'être entretenue, ne peut l'être que par
des œuvres hâtivement produites. L'œuvre d'art se jette
dans
torrent de la publicité par tronçons qui,
le
partis,
De
l'œuvre d'art.
bienfait
pour
l'artiste seul
;
fois
renommée,
même
reprise et parfaite
?
mais un
il
attend
le
public.
La
foule
poète avide de récompense. L'œuvre
le
ébauchée
partira vite,
de
apportera fortune
lui
doit se hâter pour satisfaire
de neuf, et
bienfait
l'artiste,
car l'œuvre d'art dont
son pain quotidien, qui bientôt
est avide
un
plus, c'est certainement
notre époque que l'œuvre d'art nourrisse
et
une
ne se rassembleront plus. Première déchéance pour
seulement
Non, hélas
vront qui feront oublier
les
sera-t-elle
;
plus
tard
car d'autres œuvres sui-
!
premières, les pousseront devant,
les éloigneront
sans cesse de
être de bronze
ou de marbre
l'artiste.
;
mais
La
statue pourrait
elle restera
plâtre, pauvre statue qui risque bien à
la fin
terre
ou
de s'émietter
En restera-t-il trace dans cent ans ? Mais
même une statue ? Non, c'est une étude, ce
et de disparaître.
souvent est-ce
sont dix études où l'artiste se dépense, et la statue définitive
n'est jamais faite.
Voici Victor
Hugo
:
quel grand poète
quelle belle vie
!
de labeur incessant! quelle ascension constante d'un génie
quelle action sur tout
un
dont
par être
!
dieu
!
que de tons divers, que de beautés qui semblent s'exclure
I
que de cordes à
l'œuvre.
Où
parfaits, oui
siècle
la lyre,
il
finit
quel orchestre!... Mais voyons
est là-dedans le livre parfait?
;
et encore ?
le
Prenons
les
Odes
Des morceaux
et
Ballades, les
Orientales, les Feuilles d'automne, et ainsi jusqu'aux
templations.
Que de
sujets dix fois traités
Con-
dans dix pièces,
dont aucune n'est définitive, dont beaucoup sont à
la fois
trop longues et incomplètes, et qui, restées dans les cartons
ET DEMOCRATIE
POÉ*SIE
du poète, eussent
été peut-être
un magnifique ensemble où
où
les
beautés se seraient
poète adresse une ode à
un jour fondues par
lui
dans
longueurs auraient disparu,
les
De bonne heure le
Vendôme et à l'Arc de
valoir
fait
colonne
la
25
!
deux pièces seront éclipsées par deux autres
L'œuvre du poète contient ainsi tous les essais
de jeunesse, qui, je le veux bien, feraient honneur à la matu-
triomphe
;
les
postérieures.
de plus d'un, mais dont l'intérêt diminue quand on a vu
rité
le
génie dans sa force revenir sur ses premiers essais.
vrai qu'il est intéressant de suivre,
fin,
ce développement d'un
grand
moins grand
serait-il
royaliste,
avait
s'il
débuter par
les
s'il
n'avait pas
un jour produit
Odes
et
Ballades
?
les
Voix intérieures sans
nous
plus autant aujourd'hui
la
;
il
la
;
postérité les
faudra faire un choix, et donner à nos neveux
jouissance non mêlée de quelques chefs-d'œuvre
œuvres complètes seront reléguées dans
thèques pour les érudits.
Cet éparpillement de
pièces d'un génie,
la production poétique,
facultés est le
grand défaut de
nous frappe peu,
mal quand on
vit
avec
rité choisira, et les
Quoi
en
qu'il
;
dès
les biblio-
cette mise
ce débit en détail des plus belles
et si ce défaut
les
ori-
à qui la vie ne s'est pas révélée ne
lors les
en
être
Déjà ces débuts peu
homme
touchent
En
?
commencé par
ginaux du jeune
ignorera
et des opinions de
déjà appris l'histoire du siècle
ait
la
esprit. Mais, après tout,
que nous apprend l'évolution des idées
Hugo, que ne nous
Il est
du commencement à
lui
poètes
la littérature
c'est
mais ce mal
y perdront.
;
soit, l'état
de ce temps-ci
qu'on ne voit pas
est réel
démocratique,
;
;
le
la posté-
du poète,
le rôle
besoins de la foule, la trop grande indulgence de l'ar-
tiste
moderne pour lui-même, tout commandait
à la poésie
de ce siècle la forme lyrique.
Cette forme convenait mieux aussi à la nature
la
même
de
poésie romantique. Quelle est, dans ses traits principaux,
cette poésie
?
D'abord un renouveau de
foi,
ou plutôt une
LA POÉSIE ET LE THEATRE
26
foi
nouvelle, le spiritualisme, foi plus épurée, mais aussi
plus nuageuse que jamais, plus prête que jamais à se dissi-
per au moindre souffle, à se résoudre en larmes et en doute.
Dieu
C'est la croyance à l'immortalité de notre âme, c'est
magnifique nature,
vu partout dans son œuvre, dans la
Dieu vu dans le soleil qui se lève, dans
de
les étoiles
la nuit.
C'est aussi le doute, la lutte intérieure, l'effort pour croire,
hymne de
car l'homme romantique chante son
au
le
comme il
flanc,
dirait, la blessure
découragement de
où
cette vie
où paraît régner
les trônes et les religions s'écroulent
sole de leur chute
l'amour ne peut
colie
;
que met au cœur
désordre,
le
sans que rien con-
de cette vie où tout passe
se construire
ayant
foi,
du doute. C'est encore
une demeure
;
où
vite,
si
c'est la
mélan-
de
nature
l'éternelle impassibilité
en face de nos souffrances les plus poignantes
;
la
c'est aussi le
calme qu'elle met enfin dans l'âme, cette tranquillité de
nature qui parfois parvient à nous guérir.
tique a vu
geuse
lui
le
fond de l'homme. Si
cache encore
le
La
poésie roman-
d'une
le voile
la
foi
nua-
vide de la destinée future, car le
romantisme a cru à l'immortalité jusqu'à
la
mort,
il
ne
lui
cache plus le vide de la vie terrestre. Il apparaît, ce vide,
à l'homme jeune encore, qui voit
ses
illusions et
sa
la
jeunesse s'enfuir, avec
dans l'amour, qui voit l'âge
foi
même
bientôt écoulé, sans que l'ambition,
ait suffi
pour remplir
cœur. Et
le
si
la plus
la vie
mûr
noble,
humaine
est
misère, misère aussi tout ce qu'elle a produit, misère la
gloire, la puissance des peuples, misère l'empire des Césars,
misère Athènes disparue,
en ruines
monde
î
le
Misère ce que
n'est
que ruines
la
;
Parthénon démoli,
fait
tribuns qui ont rêvé
aussi est misère
d'opprimer
la
;
le
la
guillotine a
femmes innocentes
bonheur du monde
;
le
!
le
droit
;
le
pris
les
et les sublimes
et la démocratie
tournant à la démagogie,
pensée,
Colisée
Liberté est couverte de crimes,
Quatre-vingt-treize est sanglant,
traîtres à la patrie, le3
le
l'homme d'aujourd'hui
elle
menace
poète se voit seul au-
POÉSIE ET DÉMOCKATIE
hommes
dessus des
27
qui bientôt ne l'écoutent plus, et
le
vaisseau sans pilote marchera aux mains des inhabiles et
des médiocres.
dans ses
Voilà,
xix c
siècle.
Or
traits les
drame ne
le
plus
poésie
du
se tient
au-
saillants, la
du rêve qui
vit pas
dessus de la vie, mais des passions qui s'y mêlent. Voilà
pourquoi
le
poète a plutôt pris sa lyre
:
tantôt
il
touche
les
cordes d'une main languissante dans sa mélancolie profonde,
tantôt
les
il
tout
reste
le
comme un
frappe avec énergie
combat. Dès
lors,
;
il
tenant cette lyre à
lui
a dit
les illusions
du jeune homme, l'amour du mari,
foyer,
il
Tyrtée allant au
main,
il
lui
a confié
de lajeunesse, l'amour
les
enfants et la joie du
a dit la douleur de perdre les
êtres chers
;
a dit la peine de penser, la douleur de l'inspiration
lui
qui
lui
il
la
attachée au poète, la fierté du
moments, il a tendu la corde d'airain qui
guerre au mal, au crime, venge la liberté, demande
s'impose
génie.
A
sonne
la
;
l'envie
d'autres
pitié
pour
pour
les
les
puissances tombées, pour les orgueils brisés,
peuples abattus, pour
les déshérités et les
méchants
mêmes.
Il n'est
presque rien resté pour
met de poésie sonne
en
fût
Hugo
autrement.
le
lyrisme
:
le
il
drame,
et ce qu'il ad-
n'était pas possible qu'il
Lamartine n'a pas essayé
le
drame.
un génie assez complexe pour créer des
personnages, faire vivre une époque, construire une intrigue. Mais quel est le drame ainsi créé par un poète dont
le
seul avait
génie prenait invinciblement la tournure lyrique
drame
lyrique, tout
?
imprégné des passions du jour, où
Un
les
personnages sont des voix sublimes plutôt que des caractères.
Ce drame
certes est loin d'être médiocre,
malgré
énormes défauts, car un poète qui compte parmi
grands y a transporté beaucoup de
la poésie
du
ses
les plus
siècle.
LA POÉSIE ET LE THEATRE
28
V
Les révolutions s'y reflètent en admirables tableaux c'est
le peuple grondant daos la rue, forçant la volonté d'une
reine (Marie Tudor) c'est le spectacle grandiose delà déca:
;
dence des monarchies, l'Espagne
drame
et
l'Allemagne
intérieur de l'ambition qui rêve l'empire
(Hernani), avec
le
pape
;
c'est le
du monde
Dieu.
et
Le problème de la destinée humaine y est douloureusement agité, dans la vie étrange, triste, « fatale », d'un
r Didier, d'un Ruy-Blas ailleurs c'est la fatalité qui s'attai
;
i.
che à l'innocent ou aux fautes commises
;
elle
poursuit iné-
luctablement Marion Delorme, malgré ses efforts pour se
régénérer et trouver
Borgia
f~
suit
et punit la
Hernani
le
bonheur
;
elle
mère des crimes de
la
poursuit Lucrèce
femme
;
elh'
pour-
inattendue au milieu de la joie
et se dresse
£^des noces.
La grande
la foi
poésie dans
le
drame romantique,
c'est
encore
à l'immortalité, qui soulève et soutient l'âme au
ment de
la
mo-
mort, exprimée par Didier condamné, par dona
Sol mourante. Ce sont les grandes passions élevées au degré
sublime, les grandes douleurs conduites au paroxysme,
colères effrayantes de
l'homme romantique,
les
les
haines et les
vengeances épiques.
Ce
sont les appétits de grandeur du plébéien parvenu à
la liberté politique par la Révolution, tout le
déchaînement
l'homme du peuple, jusque-là en dehors de
du plébéien amoureux des duqui parvient à gouverner les royaumes et qui reçoit
des passions de
la vie publique, les rêves
chesses,
sur son front
ce
même
le baiser
des reines
;
tous les élans de fierté de
plébéien qui avec son courage tient tête aux rois
(Hernani),
les
génie domine
punit
les
s'ils
l'outragent (Triboulet), avec son
seigneurs (Ruy-Blas).
LA GRANDE POÉSIE DANS LE DRAME
Ce
sont les grandes angoisses de la vie
29
l'angoisse
;
de
ramante, de dona Sol suppliant l'homme inflexible qui tient
dans ses mains
la vie
de son amant, l'angoisse de Marion,
suppliant pour Didier
condamné à mort,
l'angoisse de Lu-
crèce Borgia en face de don Alphonse, cette angoisse qui
s«pplie, qui cherche à tromper, qui feint, qui
menace.
C'est la
sombre poésie de
poison qu'on boit, pour tenir
condamné à
l'innocent
qui
comme
sacrifiée,
la
comme
sacrifie,
se
caresse, qui
mort, la mort par
la
le
parole donnée, la mort de
la
hache,
la
Didier,
mort volontaire de
terreur de
la
celui
victime
la
Catarina, la peur de la mort dans
la
jeu-
nesse qui veut vivre, l'appareil lugubre des cortèges funèbres venant troubler les fêtes,
cueil
ouvert,
condamné voyant son
le
entendant de ses
et
oreilles
cer-
dernières
les
prières faites pour lui.
C'est la poésie de l'amour romantique
;
l'amour faisant
préférer le déshérité au puissant, mettant la grande
dans
les
bras du bandit,
du
reine dans les bras
la
dame
sujet
;
l'amour heureux et chaste, l'amour troublé, malheureux,
poursuivi par
la fatalité,
au milieu du tumulte
et
premier baiser dans
le
du malheur,
l'amante accorde parce qu'il sera
l'homme moderne,
et si violente, les
les
si
le
le
dernier
;
extases de
les
nerveux, d'une sensibilité
désespoirs,
les
larmes
les
premier baiser que
reproches et
si
exquise
pardons,
les
poignantes douleurs de la jalousie, de l'amour trompé
qui brise la vie de Didier et de
jusqu'au crime,
Gilbert
;
l'amour dévoué
l'amante qui sacrifie jusqu'à sa pudeur
;
l'amour mélancolique du vieillard dont l'âme est restée jeune
dans un corps
Cest encore
du
flétri.
la
satire
du mal triomphant, du crime
vice des puissants venant briser par caprice
des faibles
pureté des
Puis,
manteau,
;
le
et
bonheur
c'est la luxure des rois et des reines salissant la
femmes
et chassantle
bonheur deshumbles foyers.
enveloppant toute cette poésie d'un magnifique
la
poésie évoquée
du passé
;
les
mœurs,
les
vertus
LA POÉSIE ET LE THEATRE
30
héroïques, les grands vieillards qui représentent l'honneur
et la loyauté
devant
décadence des neveux, l'hospitalité
la
encore sacrée, accueillant
de
fierté
le
mendiant comme un
l'honneur des aïeux dont
la race,
sont là pour voir les vertus ou la honte de
fidélité
Et toute une
du haut de
le
fils,
la
les criminels
trouver
ici,
nous
les
hum-
grands abaissés,
même,
allant
la
fouiller leur
sentiment généreux qui leur vaudra
le
pardon, au moins
Et notons
une prédica-
la scène, les petits, les
peuple consolés et vengés,
âme pour y
sinon
leurs
poésie de propagande morale,
tombant sur
pitié
la
;
chevaleresque du serment.
tion jetée à la foule
bles, le
roi
portraits
les
le
la pitié.
verrons à propos du lyrisme, que
ce ne sont pas seulement les grands thèmes de la poésie qui
entrent
dans
le
drame,- ce sont aussi toutes
poétiques qui peignent
images que
le
la
vie,
la
les
destinée, les
images
passions,
théâtre classique s'interdisait, ne pénétrant
que l'intérieur de l'âme. C'est aussi toute
poésie
la
de
du rêve, de l'impossible, de l'irréalisable, qui
place dans le drame avec la poésie lyrique et les ins-
l'imagination,
a pris
pirations plébéiennes.
Telle est,
la
dégagée des défauts inhérents au romantisme,
grande poésie que
contient
le
drame romantique,
la
grande poésie expression de l'âme démocratique.
Ce n'est donc pas la poésie qui manquera au théâtre,
quand un grand poète abordera la scène. Mais ces poètes
trop habitués à la lutte, ces poètes de combat,
personne
leur
et n'enfantent
payent de
souvent des personnages,
si
beaux
qu'ils soient
poétiquement, que pour être directement
leurs
interprètes.
De
là le
lyrisme exagéré, de
une hu-
là
manité trop spéciale.
Le drame romantique aura encore, nous
d'autres défauts que ceux de son époque
;
le
constaterons,
il
se ressentira
naturellement des défauts personnels aux poètes
trouve précisément que
le
;
et
il
se
grand dramaturge romantique
!
RÉSUMA
31
est celui de tous les poètes de son
énormes.
les plus
dans
est théâtral
Il
dramatique
le
puissante, mais sans frein,
pour
violente,
les effets
au sublime, pour
le
dans
le
les défauts
lyrisme et lyrique
la
scène une imagination
un goût
spécial pour l'antithèse
apporte à
il
;
époque qui a
heurtés, pour le grotesque opposé
développement ambitieux,
le
coup de
la fin, un instinct extraordinaire de l'invidu mystérieux, une vision qui dégénérera plus tard en
cymbales de
sible,
hallucination.
Son génie antithétique exagère la violence des conLes passions nobles sont placées par réaction, non
pas dans le peuple, ce qui serait l'esprit du temps, mais
trastes.
dans des êtres grotesques ou hideux, d'une hidéur physique
ou morale.
pas
faite
preuve que
dernière
Enfin,
pour
le
poésie
la
du
poète qu'une tribune à soulever
la foule, et
siècle n'était
yeux du grand
théâtre, le théâtre n'estaux
pour laquelle
génie seul est un mandat suffisant. Cette tribune,
fit
Du
qu'apparaître.
populaire,
Il
il
jour où
eut obtenu
il
d'élu
préféra la scène politique (1).
n'y paraîtra pas non plus bien longtemps,
pas l'action qu'il espérait avoir
la
un mandat
le
n'y
il
vraie tribune
du
;
il
n'y aura
faudra revenir au livre,
il
poète.
VI
En
résumé,
les trois
popée qui raconte,
vient les habiter
(1)
comme
ce
(Victor
formes principales de
drame qui met en
n'existent réellement que par la
chante,
tent
le
Il
;
quand
:
l'é-
grande poésie qui
elle les a quittées, ces
formes res-
des moules vides, que jamais n'utiliseront les
avait moins besoin
Hugo
la poésie
scène, l'ode qui
raconté, LXVi.)
du théâtre
:
il
allait avoir la tribune. »
LA POÉSIE ET LE THÉÂTRE
32
des talents les plus ingénieux d'une autre époque.
efforts
De
plus, la
ce
moment,
grande poésie ne
ne retrouveront plus
qu'ils
œuvres
nité dans des
après
lui,
habite guère qu'une
les
un
ces genres prennent
dans
le
;
car
le
fois.
A
éclat extraordinaire
génie qui rend l'huma-
typiques ne laisse plus rien à faire
même
genre. Ainsi Corneille et Racine
épuisent l'étude psychologique de
la
passion dans ce qu'elle
a de général et d'humain.
Néanmoins,
ment
exclusif,
le
système français s'étant trouvé relative-
nous voyons que
l'esprit français
ne se con-
tente pas de cette première splendeur de la tragédie,
à la-
A
quelle avaient nui les règles et l'antiquité mal comprise.
peine Racine a-t-il disparu que, pendant un siècle, les
prits les plus habiles, sentant ce qui
à
la tragédie,
leurs
;
mais,
chercheront à
les
même
la
dans un siècle lyrique, de s'essayer
au théâtre
fois
manque extérieurement
perfectionner, en vain d'ail-
temps venus, rien ne pourra empêcher
poésie reparue,
une seconde
la
es-
;
de là une sorte de renaissance
courte, très brillante et avortée
:
le
drame romantique,
re-
naissance qui néanmoins n'est pas négligeable, à cause de la
quantité de grande poésie qui entre au
qu'elle
règles
a délivré
étroites
;
la
scène française
liberté
de
théâtre, et parce
la
servitude
des
péniblement conquise, mais qui
peut-être ne suscitera jamais
le
chef-d'œuvre attendu,
grande poésie ne doit plus reparaître au théâtre.
si
la
LIVRE
II
LES SYSTÈMES
Qu'est-ce que le genre tragique ? D'un critérium pour apprécier les
systèmes divers
.
conditions d'existence du genre
les
:
milieu, c'est-à-dire l'union de la plus grande
somme
;
le
juste
de poésie et
d'observation morale avec les nécessités théâtrales, le mélange raiII. Examen des
sonnable du général et du caractéristique.
—
—
systèmes
le système antique.
Représentation plastique et
poétique de la vie. Action, lieu, temps. Séparation du tragique et
III. Le système espagnol. La tragédie née du
du comique.
Mystère. La convention scénique, absence de décor. La tragédie
psychologique sort peu à peu du spectacle historique. Le comique
et le grotesque dans le drame, restes du théâtre primitif.
IV. Le système shakesperien. Le drame historique et le drame
psychologique. L'émotion poétique et l'émotion psychologique. Le
caractéristique. Le grotesque servant d'antithèse et le grotesque
V. Le système classique.
traditionnel. Enfance du décor.
Les unités leur inutilité. Comment elles sont à la fois une
invention des médiocres et une expression de l'esprit français.
Beauté et grandeur de la tragédie classique.
Nullité de lieu.
Le spectacle de la vie ramené à l'étude de la passion dans ce
qu'elle a de général et d'éternel. Dialogues
les confidents et
leur nécessité monologues. Défaut de la tragédie classique
elle
sous sa forme la plus belle elle
renonce a utiliser la scène
n'est point faite pour la scène.
VI. Shakespere et le théâtre
allemand. Shakespere corrigé par Corneille. Retour au carac:
—
—
—
;
—
;
:
;
;
téristique,
—
à l'émotion poétique. — VII. La tragédie française à
la recherche
Un
drame
du juste milieu ses
;
n'est
quoi ? Parce que
et
ni
une épopée
ni
avant
le
romantisme.
une ode. Et pour-
poète nous invite à venir au théâtre,
parce qu'il nous place devant une scène où vont s'agiter
et se
Il
le
efforts vains
mouvoir, penser, parler, des personnages vivants.
place donc son œuvre, son
LE DRAME ROMANT.
poème dans certaines con3
LES
34
ditions
il
;
transforme
SYSTÈMES.
grande poésie en un spectacle.
la
y a donc lieu d'étudier a priori quelles sont les conditions
indispensables auxquelles la grande poésie pourra devenir
Il
un spectacle sans cesser d'être
la
grande poésie,
d'in-
et
diquer un juste milieu dont ne peuvent sortir ni poètes ni
une œuvre tronquée, incomplète, mal
écoles sans produire
venue.
Nous
critérium,
donc de trouver une
essaierons
afin
mieux
de
Nous pourrons
tèmes.
apprécier
ensuite comparer ces
nous arriverons ainsi au système classique
prendrons mieux alors ce
et
comment
le
;
d'anormal,
une œuvre tragique
?
Il
déterminer.
partons, nous l'avons vu, de la grande poésie. Elle
Nous
prendra
la
forme des passions humaines. Et ces passions
seront exposées par des caractères.
t-elle
systèmes
réforme romantique.
qu'une tragédie,
Qu'est-ce
importe de
sys-
nous com-
;
qu'il a d'élevé et aussi
se justifiait la
de
sorte
chacun des
à reconstituer
les
caractères
demment, mais seulement
tère historique
imaginer,
produire
elle
la
est
tragédie cherchera-
historiques ?
Non,
évi-
passions idéalisées. Si le carac-
au-dessous de ce que
doit le
plus
les
La
grandir
:
peut
poésie
la
l'œuvre d'art doit tendre à
grande somme d'émotion dans un cadre
donné.
Pour
faire
agir les passions, une fable est nécessaire
mais, première condition, la fable sera assez simple
tion,
comme
l'époque,
le
:
;
l'ac-
milieu historique et les détails
accessoires, ne doit servir que de cadre à la
grande poésie
;
tant qu'on peut dire d'une tragédie qu'il était possible d'y
mettre plus de poésie,
Il s'agit
donc
ici
elle est
médiocre.
d'un premier juste milieu
:
tout ce qui
LE GENRE TRAGIQUE.
peut
de grande poésie avec une action et une fable.
s'allier
en lumière
pour mettre
Mais
35
appropriées,
dans des situations
grandes
passions
faut choisir,
avec des
les
il
personnages, une époque, légendaire ou historique.
L'époque, et avec
elle le lieu
imaginaires,
indéfinis,
ne peuvent être en général
comme dans
voir
conception du poète
la
roman,
De
nom nous
le
est
connu
comme
tout prendre, plus possible, plus
humaine qu'une
Les personnagee légendaires
comme
même pour
personnages de
nous
l'intérêt des
parce qu'ils doivent à
semble bien
une
nécessité.
sociétés
s'efface de
:
et prise assez loin
dans
le réel,
le
le
et le
,
nous
il
hommes
les
fait.
mobilier contemporains
et les
non poétique
vulgaire, le
lui-même, travail tout
passé. C'est
Si le poète mettait
il
sous
lui faudrait,
peine de ne créer que des abstractions, leur donner
sortir
que
l'histoire
poésie une vie puissante
sur la scène tragique des contemporains,
tume
à
Edipe, n'ont
Achille,
L'éloignement grandit
de loin,
;
est,
création.
ont existé. L'époque sera donc légen-
qu'ils
daire ou historique,
là
la
des héros
une résurrection
:
elles
plus des caractères
entièrement feints ne nous attachent pas
dont
imagi-
or les conceptions
;
sont préférables.
le livre
théâtre fait
le
prendre corps à ce point. Pour
naires ne doivent pas
le
pièces de
certaines
Shakespere d'un caractère particulier. Car
cos-
le
impossible dès lors do
;
du drame bourgeois.
Pour
le
développement des passions tragiques,
il
~?
faudra
aussi que le poète aille chercher des personnages puissants,
chefs d'Etats, rois, princes. Les passions n'atteignent qu'en
eux
le
maximum
exempts du
frein
grandeur
d'intensité et de
la société, la police,
la
pauvreté,
la
excès ou celle
trise.
C'est pour cela que le
qui,
ils
pouvant
sont seuls
petits la loi,
dépendance.
sion vraiment dramatique est celle qui se
grands
;
que mettent aux passions des
porte
Une
pas-
aux plus
s'y porter, so
mai-
J
J
drame bourgeois ne peutremplacer
LES SYSTÈMES.
36
la tragédie
c'est
;
un cadre trop
tendu, qu'il ne sorte de
maison
la
étroit.
A
moins, bien en-
domesti-
et des passions
ques, qu'il ne prenne quelque grand événement,
une
démocratie, des personnages d'élite
;
il
se
et,
dans
rapproche
dès lors du drame héroïque.
Ajoutons que
la
tragédie peut
avec raison) mêler
fait et
drame romantique l'a
le plébéien aux puis-
(le
ou
le faible
aux grands. Mais par cela même il sera difficile que
n'ait pas une portée politique, ne sorte pas un peu
de l'étude purement morale.
r~- Le choix d'une époque entraîne une certaine quantité de
sants ou
le
drame
vérité historique, de couleur locale, de costume et de
bilier,
logique.
^ Grecs
mo-
autant qu'on en pourra concilier avec l'étude psychoIl
y a encore
une juste mesure à trouver. Les
là
sur ce point avaient une grande liberté. Sauf quel-
ques cas,
Perses par exemple, leur cadre est mytholo-
les
Avant
gique, leurs héros légendaires.
l'écriture,
il
n'y avait
point de passé historique, mais de simples traditions.
mère peint moitié sur ces
Ho-
moitié d'après son
traditions,
temps. Les tragiques peignent d'après Homère.
Mais
les
forcés de
torique.
poètes tragiques des
Le poète cherche son
mesure qu'on avance,
loin.
temps modernes seront
donner un peu plus d'importance à l'élément
il
Si les Grecs et les
roïques, la Renaissance
sujet dans le passé
n'est pas possible de
;
his-
mais à
remonter aussi
Romains remontent aux temps héet
xvn e
le
guère qu'à l'époque historique
siècle
(le Cid,
ne remontent
Horace, Cinna, Xi-
comède, Britannicus). L'Espagne tragique, Shakespere se
contentent du
moyen
même
âge, Schiller et -Goethe prennent
des sujets dans les temps modernes.
La
raison en est facile
à comprendre. L'époque et les héros choisis doivent s'adapce qu'il y a de contemporain au fond de
Des mœurs trop antiques s'allient mal à des
ter facilement à
toute poésie.
passions modernes. Corneille cherchait d'abord clans
valerie et le
moyen âge
;
mais
la
tournure que
la
prit,
che-
grâce
LE GENRE TRAGIQUE.
aux
tiques.
Avec
mœurs
des
commodes
la tragédie rendit plus
règles,
les
héros an-
procédé tout philosophique, l'importance
le
et
37
de
la
couleur locale était nulle
mieux
;
valait
donc une époque vague, indéfinie, ou pour le moins lointaine. Quelques allusions aux faits connus, quelques circonstances qui prouvent aux spectateurs l'identité du héros,
et justifient le poète
de
ce qui est nécessaire à
lui
avoir donné son nom, voilà tout
Racine. Les
Bajazet, sont des Français
c'est
:
à part, Achille,
faits
plus
leur
grand mé-
rite.
-
Ainsi on remontera toujours moins loin dans l'histoire
il
faudra donc un peu plus de vraisemblance historique. Les
;
modèles étant mieux connus, nous voulons d'eux une copie
moins vague. Nous rechercherons, dans la
étude, la juste
que pour
peu de vérité
les caractères très
que convention, et
la
suffira. L'art n'est
première de toutes est d'attribuer une
passion, telle que la
comprend
d'aujourd'hui, à un
homme
grand avant
suite de cette
mesure à garder. Nous pouvons affirmer déjà
d'être. Si
un dramaturge
Le héros doit être
et l'exprime
d'autrefois.
Nicomède, Mithridate, Britannicus
sont presque ce qu'on appellerait aujourd'hui des études
historiques,
dans
prouve seulement que
cela
poète a
l'histoire des caractères et des situations
ment adaptables à
la
Quoi
tragédie.
poète sera infidèle à l'histoire
:
tragédie classique qui n'ait été
la
le
il
le
n'est pas
une passion de
la poésie
matérielles
dramatique
du genre,
nuer, de tout ce qui attire
le
la
inconnue à l'antiquité sous
vit la tragédie.
décor aussi, et en un mot pour tout ce qui
dresse aux yeux,
conditions
immédiate-
qu'il fasse d'ailleurs, le
forme moderne, surtout l'amour, dont
Pour
trouvé
doit s'adapter
s a-
aux
tirer parti, sans se dimi-
spectateur à la scène. Mais elle
ne doit pas abuser du spectacle extérieur. Ce spectacle est
au théâtre chez
lui
;
le
théâtre peut ne parler qu'à nos
spectacle pour les
yeux
œuvres où domine le
yeux ne doivent pas être classées parmi
et l'œuvre rester artistique.
Mais
les
38
les
la
LES
SYSTÈMES.
poèmes dramatiques. La tragédie peut
beauté supérieure qu'elle a d'être
la
et doit concilier
peinture la plus con-
centrée de la vie humaine vue à travers une époque, avec les
émotions que peuvent procurer aux yeux et à
l'esprit les
spectacles extérieurs.
Le public du xvn c siècle venait au théâtre sans se demander s'il pouvait se contenter de lire la pièce. Mais Voldécor et de
conditions
le faire
réclamant
successeurs, en
taire et ses
du
droit d'user
le
scène, ne faisaient pourtant que profiter des
la
drame
où. le
se trouve placé, et
il
sera possible de
autant que l'étude morale ne sera point diminuée
ou dénaturée.
Donc
le
problème
est là
:
adapter
la poésie
du genre dramatique,
tions extérieures
tenir
aux condi-
compte de ce
qu'on se sert d'une scène, de ce qu'on emploie des person-
nages vivants. Tant que
est
Mais
s'il
le
poète écrit seulement, tout lui
s'accommode d'études philosophiques.
nous appelle au théâtre, il faut que les personnages
permis
:
le
livre
vivent aussi d'une vie concrète;
donc
les localiser
dans
le
temps
mœurs, un tempérament,
trouver
le
ils
ont un corps,
et l'espace, leur
un costume,
et,
Les classiques sont restés en deçà,
héros vivants
;
oublie de
faut
ce
faisant,
juste milieu.
les
romantiques sont
souvent allés au delà. Telle école met sur
profond
il
donner des
telle
les
extérieurement, mais
scène
des
moins
autre les anime d'une vie morale intense et
animer extérieurement.
Nous examinerons
chacune à ce point de vue. Le juste milieu,
liance de la
la
qui sonnent
c'est-à-dire l'al-
somme d'étude psychologique et
grande somme d'émotion venant du
plus grande
de poésie avec
la
plus
spectacle extérieur, a été sans aucun doute trouvé par les
Grecs, puis retrouvé par
dérons
parfaite
scène,
il
les
modernes. Mais
si
nous consi-
l'agencement et des détails,
la
adaptation de la matière tragique au cadre de
la
la
perfection
de
nous faudra pour trouver un théâtre qui par
LE SYSTÈME ANTIQUE
exemple ne découpe pas trop
le
le
drame
spectateur en vingt endroits
DECOR.
:
et
39
ne fasse pas voyager
qui en un
différents,
réalise l'idéal du drame né jouable, il nous faudra,
aller jusqu'à Schiller et aux romantiques français.
mot
dis-je,
II
Voyons donc comment
observé
le
comment
elles s'en
diverses écoles tragiques ont
les
que nous venons d'indiquer, ou
juste milieu
sont écartées. Cette courte revue nous
permettra de placer à son point
la tentative
des romantiques
français.
La
tragédie grecque a été certainement un des plus beaux
humain
spectacles que le génie
tout, poétique
et plastique,
combinés.
ait
quoiqu
Il est,
avant
mêlé aussi de
soit
il
danse et de musique.
Plastique,
tacle tragique
il
;
l'est
plus que ne le fut depuis aucun spec-
la plastique
y joue
le
même
rôle
que dans
tout l'art grec, que dans la vie grecque.
D'abord un décor qui
certainement beau quoique
était
simple, malgré la convention qui consistait dans le début à
combiner en un seul
Rien ne prouve d'ailleurs
n'ait pas
connu
le
tique maintenant.
ou quatre décors nécessaires.
que déjà au temps de Sophocle on
les trois
changement de décors comme il se praDans les trilogies d'Eschyle, un seul dé-
cor simple est suffisant pour chaque pièce,
si
nous en jugeons
par celles qui nous restent. Dans l'Ajax de Sophocle
il
est
probable que, sans rien modifier au décor principal,
le
gement des décors pivotants
la tente
d'Ajax
(il
ne
fallait
et
d'ailleurs
de
la disparition
que
la
fermer pour qu'elle
ressemblât aux autres) suffisaient à montrer au
une autre
pa'rtie
du camp. La
tard quand on joua les
scène
change plusieurs
chan-
spectateur
convention put revenir plus
pièces isolées, et que le lieu de
fois
dans
la
même
pièce.
la
Mais
LES SYSTÈMES.
40
comme précisément
dû
avait
faire
à cette époque l'art de la miseen scène
des progrès, on peut affirmer que
bien combiné pour
était
présenter
le plaisir
comme une image
décor
le
des yeux, mais de façon à
éloignée, simplifiée, idéale,
sublime. Ajoutons au décor l'idéalisation des personnages
par
le
masque,
le
cothurne et
costume, un art scénique
le
qui réglait les places, les attitudes et les gestes pour
l'effet
plastique, le rôle du chœur qui chante la poésie lyrique avec
accompagnement de danse.
Remarquons aussi que la scène a peu de profondeur, et
que
par conséquent, se détachait sur
l'action,
tôt à la façon d'un bas-relief.
sonnages sur un fond
;
second, mais c'était tout.
il
elle était
dans
les
mouvements des
de temple,
elle aussi,
même
;
perspective n'était pas
un des
la passion et
non dans
les
ainsi plastique, pareille à
un
bas-relief
tragédie pouvait être toute poétique, et c'est
la
grandeur. La musique, très simple,
qu'un moyen d'expression de
n'était,
la passion, la
danse
mouvements de l'âme exprimés
tragédie grecque était un spectacle
était la traduction des
par les vers.
Ainsi
la
l'oreille,
à l'esprit, mais simple,
parce que tout se réduisait à l'expression de
dire,
un
d'ailleurs l'action était simple,
mouvements de
complet, parlant aux yeux, à
Si
et
acteurs.
En se maintenant
là qu'était sa
décor plu-
le
voyait deux ou trois per-
y avait un premier plan
La
de cette mise en scène
effets
On
comme
une projection de
dramatique
la passion.
spectacle la tragédie grecque offrait, pour ainsi
la vie
sur un seul plan,
elle réduisait au chant lyrique et
comme poème
au
récit épi-
que, interrompus par quelques dialogues toujours poétiques,
parlés ou psalmodiés ou chantés, l'exposition de
la
destinée
humaine
telle
que
la vie,
la font la fatalité, la
de
volonté
des dieux ou nos passions.
La
tragédie est en effet partie du chœur, c'est-à dire
un
cortège évoluant, dansant et chantant des poèmes tour à tour
lyriques et
épiques.
Au moment
où un poète imagina
le
LE SYSTÈME ANTIQUE
premier acteur pour donner
,
:
LE CHŒUR.
41
au chœur,
la réplique
gédie n'était encore que l'exécution solennelle,
et danses,
la tra-
avec chant
d'un morceau de grande poésie. Le sujet en était
vraisemblablement une de ces légendes
dieux, où les
hommes
de
tirées
la
vie des
sont mêlés, légende qui était pour le
poète l'occasion de représenter par
l'ode les as-
le récit et
pects poétiques de la vie. Certaines pièces d'Eschyle, qui
deux ou
déjà
fait
tout
une exposition lyrique
paraître
meux mettant en
Thèbes.
;
rées, et
logue
passions
engage avec
que par des
traits
sont sur-
:
les
fa-
Sept contre
voit le tableau d'une ville assiégée
malmène
le
les
violent.
femmes
Dans le
éplodia-
chœur, reviennent toujours
assiégée
;
les
Etéocle ne les interrompt
de satire contre les femmes. Puis sur-
messager qui
fait
un portrait épique des sept chefs
ses descriptions alternent avec des
chœur
dits par le
la fois,
ainsi,
ainsi son caractère
la ville
à
épique d'un événement
tableau présenté par les chants du
la crainte,
montre
qu'il
le
et
puis vient Etéocle qui
lamentations de
vient
les
Le spectateur y
en proie à
chœur
jeu
trois acteurs
et des couplets d'Etéocle
;
la
symétrie
règne encore dans ce dithyrambe dramatique. Enfin
tastrophe termine la pièce.
Dans
;
morceaux symétriques
cette
la
ca-
épopée mise en ac-
tion la poésie est presque tout encore.
Le théâtre grec conservera toujours le caractère d'une
œuvre surtout poétique. Il ne songera jamais à réduire le
spectacle de la vie où se meuvent les passions, à l'étude
psychologique de ces seules passions. Les essais qu'Euripide
Andromaun drame bourgeois auquel manque le
fera dans ce sens embourgeoiseront la tragédie
que par exemple est
;
prestige de la grande poésie homérique, prestige qui fait
la
suprême beauté des tragédies grecques.
Le réalisme, dans la peinture des caractères,
en question
;
les
tout faits pour ainsi dire dans le
les poétiser,
il
n'était pas
personnages étaient héroïques et entraient
fallait
drame
au contraire
le
;
il
n'y avait pas à
vouloir,
comme Euri-
42
SYSTÈMES.
LES
pour
pide,
faire
de Pelée, de Ménélas, d'Andromaque, des
personnages vulgaires. Les règles de
à ce
drame qui
que
n'était
la
la poésie
poésie s'appliquaient
en action,
sonnages étaient des créations poétiques.
aux hommes véritables que par quelques côtés
blaient
mais
étaient vivants, quoique grandis
ils
;
l'accessoire réaliste
non
pein-
la
et la peinture idéale renfermait
;
nécessaire
non à
l'illusion
Grecs ne cherchaient pas, mais à
les
;
poète cher-
le
chait la représentation idéale d'un héros, mais
ture abstraite d'une passion
que
et les per-
ne ressem-
Ils
la
matérielle
représentation
scénique.
Les questions qu'on appelle aujourd'hui
les règles,
le
théâtre grec les ignorait.
Nous ne parlons pas de
été considérée
d'art.
comme
la
l'unité d'action, qui a toujours
première condition de toute œuvre
Primitivement, on avait sans doute inventé
la
tri-
logie afin de représenter plus largement le spectacle de la
vie, de
pouvoir transporter la scène sur des points
rents,
en donnant en
même temps
repos aux acteurs et à l'attention des spectateurs.
sujet tragique n'était
à ce qu'il semble,
pas,
diffé-
par un entr'acte du
Le
vrai
une action
simple, mais la mise en trois actions d'une idée tragique.
du
L' Orestie n'est qu'une seule tragédie, c'est la fatalité
'
crime qui règne dans une famille jusqu'à ce que
mettent
fin
;
celle
relieront,
se
du milieu sera
préparation, et
telle
dieux
la
troisième
le
le
nœud
n'en
;
la
feront
qu'une
première sera la
dénouement. Naturellement,
de ces actions ne pourra être une tragédie complète
Euménides,
ainsi les
seules, ne signifieraient rien.
arrivera qu' Agamemnon et les
Eschyle.
l'unité
Il
les
sujets
reliés
de
la trilogie,
et
:
il
par
y a donc eu chez les Grecs deux unités d'action
d'action poétique et de conception qui
trois actes
Mais
Choe'phores seront des tra-
D'autres poètes détacheront
gédies.
y
cette idée poétique sera représentée par trois
tragiques, qui
actions
grande
;
les
domine
l'unité d'action tragique
:
les
qui
LE SYSTÈME ANTIQUE
:
LE TEMPS.
règne dans chacun de ces actes, et qui devint
quand
d'action
43
seule unité
la
n'y eut guère que des tragédies séparées.
il
L'unité de temps était une question inconnue des tra-
giques grecs. S'agit-il d'une trilogie? Le poète prend tout
le
temps que comporte
la trilogie
l'unité d'action poétique
:
partagées par un nombre incalculable d'années
de dieux qui sont immortels. Dans Y
homme
au premier acte, est
au deuxième,
deuxième pièce commence, vingt ans
porte
c'est la
;
rions,
Or'estie,
il
dans
même
Enfant au premier acte
s'agit
et rien de plus
quand
;
se sont écoulés
action qui se poursuit.
est vrai, supporter
il
;
Oreste, enfant
L'unité d'action comporte cette durée
naturel.
ainsi
de Prométhée deux des pièces au moins étaient
:
la
qu'im-
Nous ne pour-
qu'un personnage fût
et
barbon au dernier,
parce que l'identité physique est au théâtre
le
minimum
demander personne ne reconnaîtrait
dans l'homme du second acte l'enfant du premier. Mais précisément le tragique grec a évité même ce défaut, car Oreste,
d'illusion qu'on puisse
;
qui est enfant au premier acte
dans
cet
devenu
acte
:
homme
de YOrestie, ne paraît pas
donc pas
ce n'est
le
même
personnage
que nous voyons, mais un personnage nou-
veau.
S'il s'agit
d'une pièce séparée,
nous traitons un seul acte
la représentation.
pas soulevée
commune
faire
:
le
La
:
il
la pièce est traitée
n'y a pas d'interruption dans
question de l'unité de lieu n'est donc
décor est complexe, suivant une convention
à presque tous les théâtres, et
aux Grecs
satisfaisante
comme
l'injure
pour
les
nous ne pouvons
de croire qu'ils n'ont pas su rendre
yeux
cette complexité d'un décor qui
en renferme plusieurs.
Ce
qu'il faut
surtout remarquer dans
le
théâtre antique,
c est que les personnages, tout en représentant des passions,
restent vivants, ne deviennent pas abstraits.
Aucune
règle
SYSTÈMES.
LES
44
ne gêne
poète,
le
il
n'a eu qu'à grandir
l'animer d'une grande passion
milieu assez réel.
non
pu
a
le
comme au xvn
e
un type
naturel,
laisser
dans un
siècle.
système classique outré, qui n'admet que
et crée
l'homme
l'homme qui intéresse
C'est
passion seule,
la
il
;
Grec, et
le
Aussi entre
les traits
le
généraux
système romantique outré
abstrait, et le
(celui de Cromioell par exemple) qui ne considérait au con-
que
traire
les traits particuliers et traçait
grandeur réelle, trop chargé de
entre les deux extrêmes
sans
portrait sans
pour être ressemblant,
grec trouvait tout d'abord,
le théâtre
sans raisonner,
le savoir,
traits
traits
un
juste milieu. Oreste a Ses
le
généraux d'une peinture classique
culiers d'un portrait romantique.
et les traits parti-
La scène de
la tragédie
un
antique, quoique figurée assez sommairement, est
réel et
non
abstrait,
scène change
palais,
;
comme
elle sera
;
lieu
cette
la mer comme dans un
comme dans un appartement
mont comme sous une tente de
au bord de
devant un temple
retiré, sur le
vestibule de Racine
le
sommet d'un
soldat.
Elle
admet tous
les
nobles et non nobles
;
personnages, ne
les
divise pas en
à côté du héros sublime on y voit
on y
rhomrne vulgaire qui parle et agit selon sa nature
voit parfois le comique à côté du tragique, mais sans
préoccupation d'en faire un contraste violent.
Leur sculpture aussi bien que leur poésie et leur drame
;
nous montrent que
la vie
les
Grecs avaient sans hésiter séparé de
ordinaire le sublime sans
œuvres toutes sérieuses
mélange pour en
et tragiques.
De même
faire des
qu'ils n'eus-
sent point mis au fronton d'un temple ou dans la frise les
scènes grotesques que se permettaient
les tailleurs
d'images
du moyen âge, de même ils avaient laissé le comique et le
grotesque à un genre spécial, la comédie. Pensaient-ils à
au
la nécessité de reposer le spectateur du sublime continu
:
lieu
d'émailler de
grotesque
réservaient ce grotesque
le
tissu de la
tragédie,
pour une pièce à part,
le
ils
drame
LE SYSTEME ANTIQUE
LE GROTESQUE.
:
qui primitivement devait reposer
satirique,
de trois tragédies, avant de devenir,
tard,
comme
15
l.e
spectateur
il
arriva plus
une pièce d'un caractère tragique, ainsi Y Alceste
d'Euripide, qui se joue à
la
place du
drame
satirique.
Mais les Grecs mêlaient au sublime assez de naturel,
de mœurs, de traits caractéristiques pour que l'homme fût
comme
vivant. Ils n'ont point fui systématiquement,
les
au type l'appa-
classiques français, tout trait qui donnait
rence d'une personne vivante.^ Voyez Prométhée par exemple,
où tous
personnages sont poétiques, où
les
sublime
le
ne tombe jamais au réel, où cependant l'Océan, Vulcain,
Prométhée lui-môme sont naturels les personnages comme
;
chœur en général, représentent l'opiTOcéan, et comme
nion publique, les sentiments et la moralité du commun des
hommes, sur lesquels se détache la sublimité des héros mais
ce naturel humain donne à la peinture héroïque la vraile
;
semblance de
la vie.
nages simples
pour
le
et
les
la
personnages sublimes
pour
Grecs pensaient que
de rendre
le
la
le
se dérider le
contraste
drame
beau plus beau, peut fort bien dans
que pour
;
la
satirique
du grotesque, au
des cas lui nuire en distrayant violemment
dérouté
suffisante
est
grande poésie
;
force de soutenir le sublime pendant une
trilogie, et d'attendre
les
opposition entre les person-
dans tout son éclat
faire ressortir
spectateur a
Cette
vraisemblance
le
la
;
lieu
plupart
spectateur
poétique
il
suffit
du naturel au sublime que les côtés comiques ou
vulgaires d'un grand homme sont précisément hors de la
d'allier
;
poésie, laquelle consiste à ne prendre à la vie que ce qui
peut intéresser, élever, attacher
;
que, ces côtés grotesques
étant cachés, l'homme n'en sera pas moins naturel
,sera tout aussi vivant, quoique le poète ne
nous
saire de
la
le faire
barbe. Bref,
depuis
le
il
grotesque,
cle. Il est certain
;
qu'Edipe
juge pas néces-
voir prenant son repas, ou se coupant
n'y a pas trace de
ce qu'on a appelé
du moins dan3 Eschyle
que dans Euripide
et
telle
dans Sopho-
pièce,
comme
LES
46
Andromaqué,
élève guère
SYSTÈMES.
entièrement bourgeoise,
est
la
poésie ne s'y
on trouve aussi des caractères tout bourgeois
;
et vulgaires,
comme
ment avec
sublime touchant des autres caractères
le
d'Admète, contrastant étrange-
celui
Prusias et ces Félix de
de Fart épuisé
efforts
abaissé d'un degré
;
;
;
mais,
de véritablement comique, ces
outre qu'il n'y a là rien
la
tragédie antique sont les derniers
la
tragédie s'est embourgeoisée, elle
dans Euripide, sous
logie qu'Eschyle, sous le décor et le
même mytho-
la
costume héroïques,
il
n'y a souvent que l'étude des passions vulgaires, des affections de famille
dans Eschyle
demi-dieux
les
;
Sophocle, des
et
et les héros sont des héros
hommes dans
Les théoriciens du grotesque, pour
Euripide.
aller jusqu'au
bout de
leur système, sont réduits à contester que l'artiste ait le
droit de
mutiler la vie
«
sublime seul. Or
Toutes
vie.
de
ici
formes de
les
La comédie
se
ils
l'art
»,
d'en extraire
c'est-à-dire
prennent à leurs propres
viennent d'un choix
fait
du grotesque
l'art,
de
l'art,
avec
Aussi
en sont-ils amenés à nier
comédie. Plus de tragédie ni de comédie
de
dans
la
naît de ce qu'on choisit, dans le spectacle
la vie, les défauts, les vices et les ridicules.
théoriciens
le
filets.
les
la
une seule forme
qui les comprendra toutes deux. Or de cette forme
jamais un spécimen ne s'est produit. Ou a pu voir
les
romantiques des
temps à un éclat de
rire
;
;
tragédies faire place
quelque
mais a-t-on vu, conçoit-on
comme Horace et les Femmes
C'est que les Femmes savantes
même
quelque chose
savantes fondu3
ensemble ?
sont,
degré que
la
tragédie, l'étude de
dans ses défauts.
entre
le
De
tout temps
sublime et les grandes passions, leurs
le
Misanthrope,
tilhomme,
Tartufe, et
Pobjeucte,
Andromaqué,
incompatibles.
la
même
l'homme en général, mais
l'homme a fait ce départ
tragiques, et les défauts de la nature
de façon à écrire
au
effets terribles,
humaine
Y Avare,
voir de façon
ce sont deux
le
;
voir la vie
Bourgeois gen-
à écrire
le
Cid,
manières de voir
LES MYSTÈRES.
47
III
Tel était donc
le
drame grec, parfaitement adapté
que nous avons appelé
Il
les
va sans dire que ces conditions changeront
au lieu d'un théâtre en plein
une
Il est
fait
et
naturel que le
drame
un peu quand,
se jouera
dans
moyen âge
n'ait
pas retrouvé tout
forme dramatique idéale. Le drame chrétien,
la
pour
air, le
fermée.
salle
d'abord
à ce
conditions d'existence du genre.
fêtes, destiné à occuper, tout travail cessant,
les
pendant des journées entières, l'attention d'un peuple
ignorant, pouvait sans inconvénient être long, interminable
même. Comme
il
était la
mise en action, devant des croyants
légende religieuse,
naïfs, d'une
pouvait se satisfaire des
il
trucs les plus grossiers en fait de
d'accessoires
il
;
religieux, les souffrances
de
âge a
si
peu besoin
pour jouer
du Christ,
supplices de l'enfer.
la foi, les
décors,
d'illusion, qu'il
ne
mais d'être ému, de pleurer sur
le
qu'on l'aime.
Christ crucifié
Il n'est
;
grands
les vérités
va
s'offrir
lui-même
s'agit pas d'être
trompé,
Christ, de lui
prouver
pas encore question d'art
:
on ne
cherche pas à condenser dans une œuvre courte,
table
le
aux circonstances, au
spectacle
durera,
le
des passions
lieu,
;
faits
terribles
Le spectateur du moyen
il
le
de costumes et
suffisait qu'il leur rappelât les
adap-
au temps dont on dispose,
mais de dérouler, tant
qu'il
tableau des légendes sacrées, l'histoire des saints
personnages
:
ce qui
n'empêche pas
intervalles, sublimes,
les
Mystères d'être, par
ou beaux d'une beauté antique. Mais,
tout en considérant curieusement ces types de la poésie primitive, nous n'y trouvons pas par page la dixième partie des
émotions que procurent
les
œuvres venues quatre ou cinq
siècles après.
La notion de l'œuvre
d'art, surtout en fait de théâtre,
monde moderne avec
revient au
dant que
la
œuvres grecques que
fait
l'œuvre d'art.
leur théâtre,
Le
structure et la condensation qui
à
perfectionner, et le théâtre
le
premier constitué, avec Lope de Vega.
le
devenue d'abord
Vie des Saints,
théâtre antique) une
suivie par le
de personnage profane,
de
la
théâtre grec ne prit pas la place de
aida
les
il
espagnol fut
partie
Renaissance. Mais pen-
auteurs espagnols n'empruntèrent à
les
ces
La
la
France ne voyait qu'une chose, imiter en tout
drames grecs,
les
cette vie, celle
rendue célèbre
la
SYSTÈMES.
LES
-48
;
devint ensuite
que
l'histoire,
ou
fournis par l'histoire
du héros. L'unité
un seul
une
fait,
la
il
repré-
que trouve
d'action,
devient une nécessité d'art,
une habitude, une règle, mais
le
:
même, dans
et déjà
lutte attire le poète, et
d'abord l'instinct du génie,
que
;
au second plan, des autres épisodes
sente en l'entourant,
dire
tableau d'une
légende avaient
la
cette vieillesse, souvent
une seule
seule action,
le
marche
de prince,
roi,
on met au théâtre un fragment d'épopée
jeunesse ou la vieillesse d'un héros
cette jeunesse
(c'était la
Vie de
la seule règle
;
on pourrait
poète met une unité d'action dans
héros qu'il a choisie, au lieu de mettre,
la vie
comme
de
firent les
classiques français, la vie tout entière dans l'unité d'action.
C'est ainsi que se trouve constitué en
œuvre
d'art.
Une
pièce,
la
Espagne
Jeunesse du
drame
le
Cid, de Guilhem
de Castro, qui révéla Corneille à lui-même, mais qui pré-
cisément a été transformée
montrera
On
la différence
peut comparer
par
le
génie
français,
nous
des deux systèmes.
les trois
Journées de
pièce espa-
la
gnole aux trois pièces de Y Orestie d'Eschyle, quoique
trois
Journées aient un lien plus
première Journée est l'insulte
geance qu'en
tire
Rodrigue
trophe finale. Dans
satisfait
Dans
la
;
la
faite
étroit.
Le
sujet de
au comte,
mort du comte
et la
les
la
ven-
est la catas-
secondé Journée, Rodrigue, qui a
son père et perdu Chimène, triomphe des Maures.
la troisième,
Rodrigue continue ses exploits
;
mais
TEMPS ET LIED
LE SYSTÈME ESPAGNOL.
l'intérêt est
i'J
concentré sur Ckimène, que divers stratagèmes
forcent à avouer son amour. Rodrigue revient, et, trois ans
après la mort de son père,
même
d'action est la
elle l'accepte
pour époux. L'unité
que dans l'antiquité.
Quant au temps, la pièce entière dure trois ans, ce qui
Orestie dure même davann'est point nouveau l'action de
tage. La scène change plusieurs fois dans une Journée,
l'
;
ou,
si
dans une pièce.
l'on veut,
Il
ne faut pas s'en étonner.
Ouïe
décor est encore symbolique,
même
théâtre peut représenter de suite les lieux les
divers, ou bien, et c'est
ment avec
temps,
le
et,
par convention,
un progrès qui s'accomplira
décor localise
le
permet au spectateur de
la voir
le
plus
forcé-
scène poétique,
la
davantage, et dès
se
lors
trouve accepté ce juste milieu qui consiste à arranger l'action de telle façon qu'elle se passe seulement dans quelques
Le théâtre espagnol n'en
lieux différents.
est pas
L'art du décor lui est encore inconnu,
le
scène un mythe
lieu à
;
y passe d'un
l'action
L'art fruste des mystères s'est
gédie antique,
il
conservé
ici
n'en était pas tout à
n'était pas absent,
il
complexe
était
fait
encore
;
un
dans
même
de
là.
lieu est sur la
;
autre.
la
le
tra-
décor
et conventionnel.
Cette insouciance de la vraisemblance en
fait
de décor
drame peut conserver une
ampleur d'imagination, une allure d'épopée qu'il perdra un
jour. Mais cette ampleur qui vient de ce que le poète, libre
paraît avoir
un avantage
le
:
de toute règle, peut nous faire passer d'un palais en pleine
campagne, au milieu d'une
roman peut
se
donner,
une beauté que pour
bataille, cette
comme
le
drame
écrit
avons affaireau drame représenté,
blance, et
il
y
ampleur, que
le
l'épopée, n'est tout à fait
;
elle
car dès que nous
gêne
la
vraisem-
a pour les spectateurs modernes, plus raffinés,
une quantité de vraisemblance que
le
poète s'engagea nous
donner, en nous dérangeant pour nous faire venir au théâtre
au
de nous laisser
lire son drame. 11 doit se soumettre
aux exigences matérielles du théâtre, ou bien écrire sur
lieu
LE DRAME ROMANT.
4
LES SYSTÈMES
50
son
livre
dans un
Drames
:
pour être
faits
— comme
fauteuil »
dit
lus.
c<
Un
spectacle
Alfred de Musset.
Les changements de décor à vue peuvent paraître simils ne sont à leur place que dans une
plifier la difficulté
:
féerie
;
ils
même
nuisent au drame par leur avantage
qui
changement fantastique de lieu déroute le spectateur. Ses yeux sont éblouis avec son imagination, et son esprit est détourné un moment du spectacle
est d'être rapides
ce
;
principal, le jeu des passions.
Le
théâtre espagnol diffère donc fort peu
antique au point de vue de l'unité d'action,
du théâtre
et au point
de vue du temps et des lieux.
Comme
actions
théâtre antique,
le
espagnol
théâtre
vulgaires, les
n'est pas
le
roi, fils
mour
où
toute proportion gardée, le
côté
la
prose de la vie,
discours insignifiants, tout ce
déploiement
poète ne nous montrera
elle doit
de
laisse
idéal de l'activité
la
les
qui
humaine. Le
pompe d'une cérémonie que
si
armé chevalier en présence du
d'un grand du royaume, Rodrigue inspire de l'arehausser son héros
à Chimène.
le roi
Le
;
poète ne nous
fait assister
au conseil
choisit un gouverneur que pour nous montrer
fureur de don
Gormas
don Diègue,
douleur de l'insulté,
la
évincé,
le soufflet si
la fierté
la
tragique donné à
outrecuidante de
l'insulteur qui sort en bravant le roi lui-même.
Le poète ne
nous mène ensuite dans la maison de don Diègue où l'épée
de Mudarra est pendue au mur, que pour nous y montrer le
vieillard qui rentre
et,
déshonoré, essaye de soulever l'épée,
trop faible pour se venger lui-même, cherche auquel de
Le poète met sur la scène
un fils valeureux
perd son amante on voit Chimène qui se
confiera sa vengeance.
ses
fils il
un
duel, mais parce que ce duel est celui où
venge son père
et
:
précipite au secours de son père frappé.
une
bataille,
ou plutôt ne nous
montrer Rodrigue
se
la fait
Il
ne nous dépeint
raconter que pour nous
couvrant de cette gloire qui doit effacer
son meurtre, exalter l'amour et
le
désespoir de Chimène.
LE SYSTÈME ESPAGNOL.
Dans quelques
le
scènes,
—
LE CARACTÉRISTIQUE
comme
est vrai,
il
poète s'est complu à peindre
le
son héros, sans que ces scènes
théâtre espagnol choisit
fait
du Lépreux,
celle
caractère historique de
intéressent
l'action
le
;
bien une action qui mette
fort
de l'unité dans cette Jeunesse d'un héros
pas encore tout à
51
;
mais
il
ne
sait
élaguer ce qui dans cette Jeunesse
le sujet moral. Il flotte encore un
drame qui est une série de tableaux où vivent
les passions et le drame plus savant, plus calculé pour la
plus grande somme d'effet dans un temps restreint, et qui
résume tout dans une situation ou une crise, dans un « état
n'a pas de rapport avec
peu entre
d'âme
le
».
Le drame espagnol n'a pas encore l'idée de cacher aux
yeux ce qui peut les intéresser dans le spectacle de la vie.
Ses personnages se meuvent dans un milieu poétique, c'està-dire dont les éléments sont choisis
;
mais de
la vie réelle
il
mœurs, de costume, de décor pour
paraisse
naturel
et vivant, quoique plus grand
que l'homme
que nature et cela sans la moindre prétention de ne parler
reste
ce qu'il faut de
;
qu'aux yeux, mais aussi sans
la
moindre prétention de
supprimer tout ce qui ne parle pas à l'intelligence seule.
Il
n'a pas encore l'idée
de
substituer
au spectacle des
passions, procédé qui n'empêche pas de nous révéler leurs
plus secrets
passion
hommes
;
il
mouvements, une étude psychologique de
la
n'a pas pensé qu'il suffisait de nous montrer des
analysant eux-mêmes leurs luttes intérieures et
nous dépeignant dans des monologues
états successifs de leur
Mais en retenant de
et des dialogues les
âme.
la réalité et
des
mœurs
historiques
ce qui en est nécessaire pour que les personnages sublimes
aient une vie propre, en mêlant les personnages vulgaires aux
héros sublimes, le théâtre espagnol est allé parfois,
sant
même
C'est par
parti pris.
un
dépas-
Euripide, jusqu'au comique et au grotesque.
reste d'habitude
et
par tradition plus que par
LES SYSTÈMES
52
On remarque,
en
dès
effet,
moyen
le
populaire à aimer
le
avec
non seulement avec
le
sérieux, et
le
burlesque
^et
rencieuse
de montrer
;
la
cérémonies
moindre intention irrévé-
grotesque
le
tragique, mais avec
le
de citer
religieux et le sacré. Inutile
burlesques mêlées au culte sans
âge, une tendance
grotesque contrastant
le
allié
les
dans
l'art,
surtout
dans l'ornementation des églises, au sentiment religieux
Le
plus profond.
les scènes
fait est
burlesques émaillent
pour amuser
et les acteurs,
amener que
Dans
incontestable.
cours de
le
le
le
Mystères,
les
légende sacrée,
la
peuple, se chargeaient d'en
l'auteur n'avait pas prévues.
L'art n'avait pas appris à satisfaire séparément
le
besoin
d'émotions élevées et le besoin d'émotions burlesques qui sont
dans
la foule.
On fit du
burlesque sur
le
dos du diable. Quel
élan de piété, quelles larmes de joie ou de douleur quand
Christ paraissait, quand
quels sarcasmes quand
quels cris de haine,
gissait des dessous
!
Quelle joyeuse
battu, rossé, se renfonçait
grimaçant
!
Passion
souffrait sa
il
!
le
Mais aussi
démon
sur-
humeur quand Satan,
sous terre, affreux, furieux et
Bref, l'habitude était prise. L'éducation
bon public devint bien plus
le
difficile
à faire
; il
de ce
lui fallait
de
temps en temps sécher ses larmes et se dilater d'un gros
il
fallait que l'auteur dramatique le désopilât par
rire
;
quelque épisode réjouissant,
à
porter atteinte
pour
la
sublime de
le
sans craindre
d'ailleurs
de
que l'auditoire avait
solide admiration
pièce.
la
Cela fut vrai aussi pour l'Espagne
;
et si l'on
songe que
Lope de Vega compose encore des mystères, car
les
autos
sacramentelles ne sont pas autre chose, on ne sera pas étonné
qu'à la
même époque
dans
drames
les
;
des épisodes comiques soient obligés
c'est ainsi
que Guilhem de Castro, ne pou-
vant pas facilement mettre sur
Mores,
la
fait
la
scène
la bataille
contre les
raconter, et en profite pour amuser la galerie
avec son berger peureux
;
il
amène
tesque sans diminuer Rodrigue ni
ainsi
la
un personnage gro-
valeur tragique de l'épi-
—
LE SYSTÈME ESPAGNOL.
sodo militaire qu'il égayé.
LE GROTESQUE
ne s'agit donc point
Il
système, mais d'un reste d'enfance du drame
pour
vaille
on déridera
le
à
tout
au
d'un
ici
poète tra-
condition
:
Les mauvaises plaisanteries,
gros public.
l'heure dans
forme au goût du temps,
sacrifices
compose une
ce succès
;
calembours ont
les
les lazzi,
comme
succès
le
le
;
53
le
la
même
origine, dans
Shakspeare
drame
:
le
çà et
fait
Lope
poète se con-'
là
quelques
reste de barbarie qu'il trouve encore dans son
public.
De même
comprendre pourquoi Corneille,
est facile de
il
imitateur de Castro, a négligé les scènes comiques et
de mots
;
le
fidèle
du théâtre antique une première éducation
neille,
briguant plutôt
que
les
jeux
goût français avait déjà reçu par l'imitation peu
;
et
Cor-
suffrages d'un auditoire d'élite
les
applaudissements d'un gros public, ne fut pas tenu
les
de faire
sacrifices
les
auxquels furent amenés Lope de
Vega ou Shakspeare.
En
résumé, voici
espagnoles.
Il
comme dans
le
le
système qu'on peut
n'est plus question de
le
théâtre antique.
théâtre, elle est profonde
sent s'y mouvoir.
La
;
il
tirer des
musique
Pès
lors,
ni de danse,
scène est tout
la
faut que les
poésie s'empare
œuvres
hommes
puis-
de tout ce que peut
avoir d'émouvant la vie, la jeunesse d'un héros, laisse natu-
rellement par définition tout ce que
vulgaire, d'animal, de grotesque
naturel,
reste
pour encadrer
milieu
vie peut avoir de
avec ce qu'il faut de costume, de mœurs,
les
passions
historique
qui fut
L'œuvre
la
mais, ceci posé, l'homme
;
est à la fois
;
morale
il
le
s'agite sous nos
sien
yeux dans
ou qu'on
et pittoresque
;
lui
le
suppose.
à la psychologie
des passions s'ajoute ce qu'il faut de vie extérieure pour des
spectateurs qui regardent. Sur la quantité de vie extérieure
nécessaire, ce théâtre n'a pas raffiné,
si,
la
provocation
imminent,
épées,
le
il
faite, le
était utile
il
ne
s'est
pas
demandé
choc des passions montré,
de montrer aux yeux
coup qui fait tomber un des combattants,
le
le
duel
choc des
et qui excite
LES SYSTÈMES
54
une émotion,
comique
et
il
plus physiologique que morale.
est vrai,
n'a point mêlé par système
Il
que
grotesque qui
et le
les
le
naturellement opposés,
poétique avait éliminés
le travail
son drame
au spectacle héroïque
lui sont
;
mais
il
a semé dans
quelques épisodes comiques par lesquels
était d'usage de divertir et de reposer
les
spectateurs.
il
En
somme, le théâtre espagnol arrive déjà, dans quelques pièces
de Lope de Vega et surtout dans ce beau drame de Guilhem
de Castro, qui parut à Corneille contenir le germe d'un système
idéal, à ce travail
de condensation qui cherche à mettre
la plus grande mesure d'émotions dans
En
sorte que raffinant dès lors,
un temps donné.
condensant cette condensa-
du lieu et du temps,
un autre système fera de ce
tion, élaguant presque tout ce qui est
tout ce qui s'adresse aux yeux,
choc de passions vivantes, une action tout idéale où chaque
caractère deviendra le type absolu d'une passion.
IV
Avant de considérer
système classique,
le
nous arrêter un peu sur
le
il
est
bon de
théâtre anglais qui ressemble au
théâtre espagnol, mais qui lui est supérieur, et qui
pour
ainsi dire le
Comme
les
mène
système à sa perfection.
autres théâtres, le théâtre anglais procède
des essais nationaux et de l'imitation antique.
En
Angle-
terre l'esprit antique ne pénétra jamais complètement.
XVI
e
siècle
y
vue des mœurs.
On
à Henri VIII, Marie Tudor et Elisabeth.
dépit de
du
la
Le
une époque effroyable au point de
ne voit alors rien de pareil en France
est d'ailleurs
Renaissance,
le
De même,
en
théâtre anglais conserve la saveur
terroir.
L'abus de
la
clownerie populaire, d'un côté, et l'abus des
péripéties sanglantes, de l'autre, passent jusque dans Shaks-
peare
;
Shakspeare garda aussi
l'affectation, le
gongorisme
TRAGEDIES HISTORIQUES
SHAKSPEARE.
55
de Lyly. On voit peu d'imitations antiques, si ce n'est les
drames lugubres imités de Sénèque auxquels mit fin le
succès de Marlow, rendu célèbre par un Edouard II, un
Faust, un Juif de Malte. Aussi Shakspeare n'imitera pas
l'antiquité.
Comme
dramaturges espagnols,
les
à l'école des anciens,
mais
il
en sortira meilleur et plus habile
modernes à
la
Cléopâtre ou
progrès
fait
Troïhis
et
manière antique,
il
Jules César, Antoine
Cressida.
Est-ce à dire que
par l'antiquité sera perdu pour Shakspeare?
A
non, pas plus que pour Lope et Castro.
côté de ses
« plays » historiques, Shakspeare fera des tragédies
Hamlet
et Macbeth.
glais est constitué,
En
il
le
second
effet,
au moment où
y a deux
également en faveur,
quoique
traitera
comme
des sujets antiques à sa manière,
le
;
n'emportera pas de modèles à copier. Bien loin de
il
traiter des sujets
et
se civilisera
il
le
comme
théâtre an-
sortes de pièces tragiques
deux systèmes également goûtés,
remis le premier dans l'ombre.
ait ensuite
Ces deux systèmes sont
les ((.plays » et les tragédies, ou, si
l'on veut, les tragédies historiques et les tragédies propre-
ment dites.
Le premier système est la tragédie embryonnaire
avec
le
temps, donner lui-même,
la vraie tragédie
le
;
mais
la
et
il
devait,
Renaissance, en faisant connaître
théâtre antique, hâta cette éclosion.
vie de roi,
;
parla force des choses,
ou une partie de
la vie
fournir des péripéties tragiques,
d'un
et,
Le poète prend une
roi,
qui puisse lui
en Angleterre, Shaks-
peare n'a que l'embarras du choix. C'est
le
système
des Mystères et que nous avons déjà vu en Espagne.
Vies des Saints succèdent sur
la
légendaires et des rois historiques.
ne
lit
pas l'histoire,
le
sorti
Aux
scène les vies des héros
Pour
le
poète met l'histoire
menu
peuple qui
en tableaux
ressuscite les héros, les fait parler et agir avec
une
;
il
réalité
de vie prodigieuse. Ainsi se forme pièce par pièce l'épopée
de l'Angleterre, Mais, en somme, à part
la
faculté de voir,
de faire vivre ses personnages, de ressusciter
le
passé,
lo
LES SYSTÈMES
56
poète n'agit pas sur
matière tragique. Antoine
la
Henri VII, Henri VIII,
et
Ch'6-
comme Henri
pâtre par exemple, qui n'est qu'un play
VI,
que du Plutarque mis
n'est aussi
en tableaux.
L'intérêt qu'excitent ces sortes de pièces est grand parce
qu'elles illustrent l'histoire nationale.
être
il
employé par un génie, n'en
dramatise l'histoire ou
œuvre
Nous
d'art.
la
Mais ce système, pour
est pas
légende
;
moins rudimentaire
il
:
n'en extrait pas une
souffrons avec les héros tragiques, à pro-
portion qu'ils souffrent eux-mêmes. Doncl'émotion vraiment
tragique sera excitée en nous
si le
poète nous montre un héros
dans une situation où ses passions se combattent violem-
ment, dans une impasse où, acculé fatalement,
la
conséquence de ses actes et ne puisse
ressentant ce que sent
dans
la perplexité
le
il
l'éviter.
voie venir
Car
alors,
comme
héros, nous sommes,
lui,
plus tragique. Il sera donc utile au
la
poète de ne pas donner aux faits trop d'importance et de
ne se servir des circonstances historiques que
comme
minant des développements, des explosions, des
déter-
luttes de
passion.
Un
Prenons Hamlet.
épouser
venge
le
se tue.
daire.
père sur
Ce sont
Mais si ces
dépassions,
si
le
là
meurtrier
pour savoir
la
pouvoir. Le
la
mère
et
fils
du mort
épouse coupable
ne servent que de canevas
à
des luttes
nous voyons le meurtrier inquiet, agité de
le
si
;
des faits tragiques d'un intérêt secon-
faits
remords, craignant le
médite pas
empoisonne son frère pour
frère
reine et prendre le
la
fils
jeune
de son frère, l'épiant anxieusement
homme
vengeance,
ne
sait
et enfin résolu,
pas
le
crime et ne
pour consolider son
premier meurtre, à en commettre un second, à tuer
le
fils
mère plus inquiète encore,
partagée entre l'amour de son fils et la crainte d'un juge et
après
le
père
;
si
nous voyons
la
si nous voyons, dans ce drame de famille
drame historique et où le choix de personnes
royales ne sert qu'à donner aux passions tout leur dévelop-
d'un vengeur
substitué au
;
LES TRAGEDIES PSYCHOLOGIQUES
SHAKSPEARE.
peinent,
si
nous voyons ce
fils,
instruit
57
du meurtre, pour-
par le fantôme de son père qui crie vengeance,
épouvanté de ce rôle de justicier qui pèse sur lui, ferme et
hésitant à la fois, feignant pour dérouter ses ennemis une
suivi
folie
comme un
qui n'est pas loin de devenir réelle, allant
halluciné du spectre de son père à sa mère coupable, effrayé
de
la
destinée qui lui interdit toute joie ici-bas, repoussant
dans son désespoir
la
femme
qu'il
aime
et
qu'on rapporte
bientôt dans son linceul couvert de fleurs, enfin victime lui-
même
au
triste devoir
de son
moment où
alors, nous voici en pleine passion
;
l'accomplit,
il
nous revenons au drame
antique, qui, toute proportion gardée, avait, cherché les
mêmes
situations,
nous revenons à Eschyle, à Sophocle
et
à son Oreste. Le sujet du drame c'est ce qu'éprouvent des
âmes comme
vie, et
le
les nôtres, jetées
au milieu des
de la
fatalités
partagées entre leurs passions. Et voilà, ce semble,
drame
l'histoire
émotion que
idéal. C'est cette
nous avait déjà
fait
Cid espagnol
le
éprouver, non pas en nous narrant
épique du Cid, mais en nous exposant
frances du jeune Rodrigue partagé entre
venger son père
désespoir quand
désespoir de
et
il
l'amour
a tué
Chimène qui
le
qu'il
le
a pour Chimène,
père de celle
pleura à
souf-
les
devoir sacré de
la fois
qu'il
son
aime,
son amant perdu, qui se doit à elle-même de demander
tête du meurtrier et qui craint de l'obtenir, prête à
dans
la
tombe,
la
le
son père mort et
le
la
suivre
pathétique entrevue où l'amant désespéré
vient offrir sa vie, où l'amante offensée la refuse et ne peut
haïr celui qu'elle adore.
Telle est la beauté iïHamlet, de Macbeth, d' Ofhello, de
Roméo
et Juliette,
de Richard III et aussi de
le
Roi Lear,
qui paraissent jusqu'ici l'idéal de l'œuvre d'art où
concentre
Ce
qui
le
les
pour
génie
caractérise ces chefs-d'œuvre, c'est le juste
milieu en tout.
faite
le
plus possible la vie et les passions.
se
En
effet,
il
mouvoir sur
faut à
la.
une œuvre dramatique,
scène, autre chose que des
LES SYSTÈMES
58
tableaux épiques,
personnages, au lieu de passer
et les
leur âme. Mais
devant nous, doivent nous ouvrir
s'ensuit pas que
spectacle de la
le
vie,
il
présenté par
ne
la
grande poésie, doive tout ramener à des émotions éprouvées.
Les passions condensées doivent se mouvoir au milieu
d'événements, et le poète ne peut songer à supprimer
entièrement l'élément épique.
tions de ses personnages
;
émouvoir directement par
misères de ce
monde
entière est l'objet
1
J
Il
nous émeut par
émo-
peut aussi et doit parfois nous
le
spectacle des grandeurs ou des
car, après tout, la
;
les
il
du drame,
grande poésie tout
et la nécessité matérielle de
ramener en général la vie à des passions éprouvées ne peut
faire supprimer une trop grande partie de cette poésie.
Le drame peut réunir et le spectacle de l'homme extérieur
jouet de
7 tacle
la fatalité,
en lutte avec
choses, et le spec-
les
intime de l'homme en proie à lui-même. C'est ainsi
que dans
natures.
l'
Orestie,
dramatique
l'émotion
Nous éprouvons par contre-coup
Cassandre, d'Oreste, d'Electre, de
deux
de
est
les passions
Clytemnestre
;
et
de
de
plus, ce tableau épique de la destinée d'une famille, de la
fatalité qui s'acharne sur
entière, ce
tacle,
une race
en un mot, nous émeut de
pitié
même
pour
la trilogie
et
grand spec-
De
de terreur.
qui exposait les malheurs de
la
race
de Laïus, trilogie que nous n'avons pas complète, mais que
nous pouvons nous figurer de l'ensemble se dégage à la
fin une impression directe, celle du spectacle d'une race
:
vouée à une
fatalité
mystérieuse et lugubre.
le
général
secret de leur éternelle
beauté, de leur éternelle puissance.
Chaque pièce
l'émotion que nous appellerons psychologique,
vient de l'intérieur des
est
un vaste tableau de
âmes mis à nu
la vie
que. Shakspeare est là-dessus
les
composées pour pro-
trilogies antiques paraissent avoir été
duire ces deux émotions, et c'est là
En
;
la
excite
celle qui
trilogie entière
qui excite une émotion poétile
plus antique peut-être des
modernes, incomparablement plus antique que nos grands
l'intérêt psychologique et l'intérêt poétique
classiques
d'Hugo
et le mérite
;
sera
d'avoir parfois excité
une émotion analogue en conservant au drame
lyrique et
grandeur
la
de l'intérêt psycholo-
souffle épique à côté
le
5î)
gique.
Considérons Roméo
pénètrent l'une l'autre
et Juliette
;
les
;
deux émotions
les
deux amants que tout sépare,
situation des
s'y
deux font un chef-d'œuvre. La
et
dont l'amour
franchit tous les obstacles, nous charme, nous émeut, nous
trouble
;
mais cette haine des deux familles, chose bien
définie, à laquelle se joint cette fatalité obscure qui s'abat à
chaque instant sur quelqu'un dans
cette inimitié
vie,
la
cause de malheurs, augmentée de malheurs sans cause, ce
Roméo
qui se tue par une
Juliette, ces
deux amants
le savoir, étaient là
méprise tragique, et tue sa
qui,
il
n'y a qu'un moment, sans
Roméo
tous deux pleins de vie,
vivant
près de Juliette, Juliette vivante pour lui seul dans son
sommeil, et qui sont à présent tous deux morts l'un sur
ennemies qui ont
l'autre, ces familles
sans
fait
le
vouloir
tout ce mal, et qui se réconcilient trop tard en pleurant sur
deux cadavres, voilà
grandes passions
Ne
et
la tragédie
complète
épopée des grandes
psychologie des
:
fatalités.
prenons plus qu'un exemple. Richard III, inférieur en
beauté psychologique à Othello, à Macbeth, compense cette
infériorité par le mérite épique.
des
c<
plays »
Richard III a
de Shakspeare sans
« historié play » et
une tragédie en
les
lacunes
môme
les
;
beauté s
un
c'est
temps. La
tra-
gédie, c'est cette évolution admirable d'un caractère ambi-
tieux et sanguinaire,
en a vu sur
le
comme
l'Angleterre seule peut-être
trône, ce sont ces trois reines qui,
comme
les
d'Hugo, représentent trois générations,
où Richard séduit Anne, type superbe de la
femme sensuelle et héroïque, qui aime la volupté et le sang
trois
burgraves
c'est la scène
;
le
« play », c'est ce spectacle de la force et
jouant du droit, se jouant de
le
la passion,
de l'astuce se
sans borne versant
sang, jusqu'au jour du châtiment. Ainsi,
le
spectacle tra-
LES SYSTÈMES
60
gique de
mêlé à des analyses de passions, voilà
la vie
la
tragédie de Shakspeare.
Dans Shakspeare, plus encore que dans le théâtre antique et
le théâtre espagnol, l'homme de la légende ou de l'histoire,
qui va représenter une passion idéale, marche et s'agite
comme un homme
vivant
vêtements
fait
jour ou nuit. Cet
lui
un homme. Bref,
réelle,
élague,
il
s'asseoit,
il
;
a froid ou chaud,
il
vont ou l'incommodent
ses
n'est point
;
autour de
choisit,
il
arrange
qui servira à son tableau idéal
il
dans
la vie
ne garde que ce
il
;
;
mais au moins
;
lui
un symhole, mais
poète part de la vie réelle
le
il
homme
il
n'enlève
pas de terre ses personnages pour les transporter dans un
monde
abstrait
pied sur
leur laisse le pied sur le sol, et c'est le
il
;
pourront vivre en plein idéal sans nous
le sol qu'ils
paraître de pures conceptions. Tout cela, notons-le, n'est
pas
d'un
résultat
le
système. C'est
théâtre classique
le
qui, supprimant tout lien avec la vie
réelle, reconstituera
systématiquement de toutes pièces une vie abstraite.
Il
n'y a rien à redire, rien à blâmer, rien de trop réel, rien
de contraire, d'inutile
dans
peare
les
:
que relève
traits
«
même au
Hamlet
William Shakes-
l'auteur de
est prince
démagogue, profond
et
frivole, sagace et extravagant. Il croit et
spectre,
il
bafoue
argumente contre
le
le
le succès, tutoie le
vers, fait
un
trône
;
il
Il
les
la force,
passants,
soupçonne
parle littérature, récite des
un
feuilleton de théâtre, joue avec des os dans
cimetière. Il a été à l'université
;
il
est petit, gros
bien l'épée, mais s'essouffle aisément
boire trop tôt,
bien Victor
et
ne croit pas au
dialogue avec
premier venu, hait
mystère.
Hamlet,
portrait idéal d
il
connaît l'hygiène
Hugo,
le
».
;
il
;
il
tire
a sein de ne pas
Ainsi lesté, dit très
personnage peut être lancé en plein
idéal.
Seulement l'auteur de Cromwell
cru que tous
les
s'est
trompé quand
personnages tragiques devaient être
sur ce patron. Et d'abord, pour tous ces détails
il
il S.
taillés
a trop
vu
SHAKSPEARE.
l'antithèse, et
LE CARACTERISTIQUE
en a conclu queles héros tragiques devaient
il
Tous
être faits d'antithèses.
pour
profonds
lui
que
tandis
feintes.
Hamlet
en
grand
effet
et
et
sagaces
et maigre, parce
qu'Hamlet
sont volontiers
d'Hamlet sont
Hamïet ne
;
que
;
extravagants,
et
l'extravagance
est petit et gros
genre sont trop caractérisés
aurait-il à ce
hommes
les
frivoles,
frivolité
la
61
les
saurait être
personnages de ce
mais quel inconvénient y
moyenne, et ni gros
fût de taille
Aucun les personnages tragiques peuvent tous
s'accommoder de cette manière d'être. Et pourtant le détail
de Shakspeare convient si bien à Hamlet qu'il semble
ni gras ?
;
achever l'idée que nous nous faisions de
lui.
Dès qu'Hamlet
Laerte font assaut, cette haleine courte d'Hamlet, ce
et
léger embonpoint sont des détails tout à fait dramatiques et
attachants. Les détails réalistes que
le
poète romantique a
accumulés dans Cromwell n'ont pas, nous
même
le
verrons, la
raison d'être. Ils rendent le personnage prosaïque
Shakspeare au contraire a eu cet art instinctif
l'antithèse, qui est
un procédé chez
et
d'autres.
C'est ainsi que la vulgarité de la nourrice dans
Juliette
fille
ici
rend plus virginal
et plus
le
si
n'est pas
Roméo
et
suave ce type idéal déjeune
italienne, chaste et passionnée à la fois.
que
;
exquis de
Mais remarquons
détail vulgaire sert utilement de contraste, ce
dans un
même
caractère.
On
voit chez
Shakspeare
des types vulgaires qui rehaussent la distinction et la gran-
deur des autres,
et
non dans un
même
caractère des côtés
vulgaires qui auraient la prétention de faire ressortir des
délicatesses.
Corneille avait aussi
que produisent
l'antithèse
s'ils
le
comme Curiace,
mauvais comme Sabine,
ne sont pas sublimes
comme Horace ou
du nouveau en inventant
sont exagérés
ti-ouva
Après avoir abusé de
au point de créer dans Horace des personnages
formules qui,
il
trouvé d'instinct ces oppositions
les rôles vulgaires.
Prusias de NicomMe.
le
Félix de Polyeucte et
LES SYSTEMES
<32
Les personnages uniquement comiques et grotesques sont
rares dans les tragédies de Shakspeare car il ne faudrait pas
;
confondre avec eux
les
personnages enjoués qui mettent par
doucement gaie dans
instants la note
la tragédie.
Ce sont en
qui à l'occasion sont comiques
o-énéral les rôles vulgaires
ou o-rotesques, ce qui ne choque point en eux comme dans
un héros tragique. D'ailleurs les saillies comiques et grotesques sont en réalité en dehors des rôles, ajoutées à la
pièce pour faire rire le parterre. Shakspeare a dû se plier
e
au goût des Anglais du XVI siècle, goût fort peu raffiné
tout le monde fera à ce grand génie l'honneur de croire
;
que quand
coupe
il
lazzis adressés
parse
Il
d'un héros tragique par des
la tirade
au machiniste, ou
un mot obscène,
il
aurait supprimé ces détails
ferions-nous scrupule
tels
vulgaires et
par un com-
avait travaillé pour la
s'il
ou pour un auditoire
postérité seule
primer
qu'il fait dire
n'obéit pas à son goût propre.
dans Roméo
et
éclairé.
Et encore nous
dans Othello de sup-
mots gaillards prononcés par des personnages
odieux, mots qui sont dans leurs caractères,
qui achèvent de les peindre, de les rendre méprisables, sans
faire
et
aucun
même
la
tort à la pureté de
Juliette et de
Desdemona
;
chasteté indulgente avec laquelle ces femmes
pures accueillent parfois ces plaisanteries est
le
dernier trait
qui achève leur portrait idéal.
Il
faut donc
ce qui est feinte
simule
la folie et
hommes,
jusque
par exemple dans Ilamlet. ce
distinguer,
qui est dit pour la galerie
;
;
il
faut distinguer aussi
en
lui
l'homme chaste dans ses discours, qui
y joint encore un mépris non simulé des
qui éprouve et simule à la fois le doute sur tout,
sur
la
jeune
fille qu'il
aime,
prononcera de ces
mots tout pleins d'une ironie amère, exagérera sa méchanceté et son scepticisme et se plaira
même,
blessé au cœur,
à blesser les autres injustement.
Nous ne parlerons pas
été grotesque
ici
d'un certain grotesque qui n'a
que dans l'imagination des théoriciens roman-
LE GROTESQUE
SHAKSPEARE.
tiques et pour les besoins de leur cause
Macbeth,
du tragique
les
;
mort
génie sur
la
de
du fantastique
et
fossoyeurs ne sont point grotesques, mais
vrais, et la peinture
ries sur la
les sorcières
:
fossoyeurs d'ffamlet, sont
les
63
vraie de ces gens, de leurs plaisante-
une ironie tragique du
misère humaine. Shakspeare est ici biblique
et sur les crânes, est
;
Bossuet l'eût pu citer et commenter. L'apothicaire de Roméo, ce dialogue du désespéré qui achète du poison avec
pauvre marchand qui
le
vend à regret, tenté par l'offre d'une
fortune, n'ont jamais excité l'impression du grotesque. Evi-
demment
le
poison tragique n'est pas toujours forcé de sortir
le
d'une boutique de marchand, ce poison se respecte,
parce qu'il
est,
il
désespérés qui
le
nommé
se trouve à point
conservent dans
d'élégantes
roi
Lear
n'est pas
non plus
est
cassettes.
Mais Roméo à vingt ans n'avait pas de poison sur
Le fou du
il
sous la main des
lui.
un» grotesque
:
c'est
du fou sont tragiques, comme les plaisanteries d'Hamlet sur les crânes.
Mais
Reste Falstaff. Celui-là est le grand grotesque
Henri IVn'est pas une tragédie c'est une « pièce historique », où le tragique n'est qu'épisodique. Il y meurt des
combattants
mais un champ de bataille est parfaitement,
une création tragique
;
le
rire, les lazzis
!
;
;
à l'occasion,
ques
;
théâtre tout trouvé pour des scèues burles-
les soldats
n'est pas
pièce.
un
Le
plaisantent sous la mitraille. Falstaff, lui,
un personnage épisodique il est la moitié de la
prince Henri est l'autre moitié. Le tout fait une
pièce gaie
;
et épique,
obscène et morale à
la fois
;
ce jeune
un grand roi, est un grand cœur et un démais le corps
bauché ; il a pour ami un débauché épique
seul, dans Henri, est le compagnon de Falstaff, quin'estque
corps. Ce qui a tenté Shakspeare, c'est précisément d'opposer
dans une pièce deux éléments disparates, égaux en valeur;
prince, qui sera
;
de balancer l'un par l'autre. Henri
et
non un système, comme
Shakspeare a créé
la
Tempête
le
IV est
pensaient
et
le
une pièce unique
les
romantiques.
Songe d'une nuit
d été
;
j
LE DRAME KOMAKTIQUE
6i
une raison pour dire que la tragédie admet des Ariel
des Obéron ? Il a montré qu'on pourrait, en dehors des
est-ce
et
-
genres, faire des chefs-d'œuvre.
moins
comment
voir
faut
le
La tragédie n'en
dans Macbeth
tragédie, et c'est
la
théâtre anglais
est pas
et Othello qu'il
comprise et réa-
l'a
lisée.
En un
mot,
dramatique
part faite au goût du temps, que l'auteur
la
est forcé
de satisfaire,
glais conserve à la tragédie
une quantité nécessaire de
de vie vulgaire et d'ironie frisant
fondre avec
il
C'est là tout
lui.
et ce vulgaire,
;
il
le
comique, sans
réel,
se con-
ne supprime point ce réel
ne l'emploie pas non plus pour lui-même
il
ne mêle point
reste que le théâtre an-
il
la
tragédie et la comédie,
que des grandes passions
et
la
;
peinture poéti-
l'observation
satirique des
mœurs, des vices, des ridicules. Shakspeare atteint la limite où le vulgaire et le grossier peuvent subsister à côté
de ces antithèses que suggère à
il a trouvé
du tragique
un génie comme le sien le spectacle de la vie réelle trans;
formé en vision tragique, mais qu'on ne
à imiter.
n'y a point là de système.
11
Lope de Vega,
il
doit pas
Au fond,
chercher
entre lui et
n'y a pas une différence de système, mais
de génie.
Pour
ce qui
comme ceux
du temps,
est
qui l'ont
précédé,
prend,
le
théâtre
le
temps nécessaire au dé-
anglais
veloppement de son action.
En
Angleterre
lieu à volonté
;
comme
l'enfance
en Espagne,
où
est le
le
décor
poète change de
le lui
fio-urant les lieux
le
théâtre peut représenter bien des lieux à la
cessivement
gligeable.
d'art,
vont
;
le
changement fréquent de décor
Le poète
n'a pas encore
quant aux lieux
les
permet, car,
que symboliquement ou sommairement,
ne
:
il
fois,
est
ou suc-
donc né-
appris à faire
œuvre
suit son action, se transporte
où
personnages et nous y transporte. Le progrès fatal
matérielles lui imposera plus tard de ne
des conditions
LE SYSTÈME CLASSIQUE
65
pas montrer trop de lieux pour ne pas couper trop souvent
l'action par
Une
repos nécessaires au changement de décor.
les
action trop morcelée est pénible
même
à l'imagination
complaisante du spectateur. Shakspeare n'a pas toujours
évité ce défaut. Pourtant il faut voir, non combien de fois
la
scène change chez
lui,
mais à combien de changements
pourraient se réduire ceux qui sont indiqués. Ainsi dans
Ilamlet, au premier acte, la scène est sur la plate-forme,
dans
l'appartement de Polonius pouvant être con-
le palais,
fondu avec l'appartement royal, puis sur
Le deuxième
d'abord dans
salle
;
acte
la plate-forme.
passe tout entier dans
le palais,
chambre de Polonius, puis dans une autre
salles différentes du troisième acte pourraient
la
les trois
se réduire à une.
acte que
se
A
ce compte,
deux changements de
quième. Aussi
il
n'y a dans
le
quatrième
un seul dans le cinen somme, d'adapter les
lieu, et
est-il assez facile,
drames de Shakspeare à notre mise en scène moderne.
Nous
voici
maintenant arrivés à cette tragédie classique
que nous apprécierons mieux et que nous mettrons à sa
place dans cette revue sommaire des systèmes.
La France
cherchait péniblement à fonder, elle aussi,
un
théâtre profane après la mort du théâtre religieux. Trop
enthousiaste de l'antiquité et de
Sénèque,
s'oublier elle-même pour être grecque
de ne prendre à l'antiquité,
que
l'idée
de
l'art et
et
semblait
romaine, au lieu
comme l'Europe
du beau. Aussi
elle
et l'Angleterre,
elle imitait les imita-
tions étrangères. L'Italie avait avant nous créé la tragédie
régulière, imitée des anciens, qui devait être la transition
entre l'art antique et le théâtre moderne. \1 Orfeo de Politien, qui date
de 1487,
la
fameuse Sophonisbe du Trissin, qui
fut imitée plus de dix fois,
LE DRAME ROMANT.
V Or este de Ruccellaï, sa Ros5
LES SYSTÈMES
66
munda, la Tidlie, de Martelli, qui sont nées dans le premier
quart du XVI e siècle, aidèrent aux débuts pénibles de notre
tragédie, qui ne trouvait pas pourtant sa voie. L'imitation
de l'Espagne s'y joignit, bien avant Corneille,
ment à
ce qu'on se figure habituellement
;
ce
contrairequ'elle pro-
mieux d'ailleurs, c'est Pyrame et Thisbé de Théoet la Marianne de Tristan, l'une imitée d'un poème de
duit de
phile,
Gongora,
l'autre d'une pièce de Calderon.
Les beaux vers
lyriques de Marianne, de belles scènes dans
la
Sophonisbe
de Mairet, imitée du Trissin, n'empêchent pas que
tragé-
la
die française est encore à naître, c'est-à-dire que la grande
poésie n'a pas encore paru au théâtre.
A défaut de
on ne
sait
étude de
chef-d'œuvre, des idées bizarres étaient nées,
guère comment, et
la
unités de lieu et de temps.
est à la
il
n'appartient pas à cette
rechercher. Par exemple, cette vaste erreur des
Dans
l'interrègne des génies, l'art
merci des médiocres, qui, n'ayant point d'autre
moyen pour
se faire
un nom
des nouveautés bizarres
;
et
une importance, inventent
du public se porte do-
l'attention
cilement sur des questions de forme
ment
parler, des difficultés,
capables de remuer
se
un
comme
;
ou invente, à propre-
ces violonistes qui, in-
auditoire par
un jeu simple
font admirer en jouant de plusieurs
cordes à
et
ému,
la
fois.
Ainsi tous ensemble, médiocres et ignorants, feront la
loi
au génie qui va venir.
Il
faut avouer que
rent ou inventèrent
Ronsard
la règle
et Jodelle
eux-mêmes admi-
de l'unité de temps
;
mais ce
furent bien les poètes médiocres, et mieux encore des critiques
sans
mandat comme d'Aubignac, qui prônèrent
et
imposèrent ces unités auxquelles Corneille ne se fût pas
astreint.
Il
les
faut dire brièvement en
quoi furent impardonnables
inventeurs et les preneurs des unités, en quoi aussi
ils
furent excusables.
Il est difficile
de se figurer qu'on
ait
pu voir
les
unités
Le système classique.
dans
les anciens,
où
elles
—
ne sont pas.
les unités
On
67
n'en avait rien
trouvé dans Aristote, à qui on lesattribua plus tard.
vait voir qu'en général l'action d'une pièce
pas d'un lieu, mais d'un lieu
tait
neille lors
était
vide.
du Cid, d'une
continu
la
;
ville
comme
spectacle
le
;
du chœur,
C'est pourquoi l'unité de lieu était
Quant au temps de
toute naturelle.
parfaitement
compris que certaines conventions étaient nécessaires
annonce
sort et
pour y
en revenir, il
aller et
heures
mais,
;
rentre en scène
table
après
:
rend à
qu'il se
lui faudrait
y
n'était jamais
l'action, les anciens avaient
un personnage
Cor-
l'entendait
par exemple
scène, à cause
On pou-
grecque ne sor-
tel
:
ainsi
endroit
;
en réalité plusieurs
un court chant du chœur,
l'acteur
convention nécessaire et de plus accep-
au spectateur
la pensée, l'imagination,
;
émue par
le
chant du chœur, ou occupée par un dialogue, ne peut mesurer le temps matériel
;
elle se
trouve en plein idéal
;
nous
ne serons donc point étonnés de voir revenir cet acteur qui
en réalité vient de
dure
qui
trois
ou
partir. Ainsi l'auteur
pendant une pièce
quatre heures peut, sans
choquer
vraisemblance, supposer qu'il s'écoule un jour
de
la
vingt-
quatre heures. Les Grecs ne pouvaient guère aller au delà,
dans une pièce sans entr'actes.
Mais
les
théoriciens les plus intelligents se trompèrent
chez nous en ce qu'ils ne virent pas
dérable
qu'apportait
dans
les
le
changement
conventions
l'invention des actes ou plutôt des entr'actes,
comme
des repos complets pour
le
consi-
dramatiques
spectateur
considérés
:
invention
véritable, car ce qu'on appellerait des actes dans les tragé-
dies antiques n'avait nul rapport avec les actes
Dès que
lié
avec
le
rideau tombe, ou
la pièce,
est coupée. C'est
occupe
la plus
modernes.
même qu'une sorte d'intermède,
et distrait les spectateurs, la pièce
simple des conventions que de
supposer qu'au relever du rideau on se trouve dans un autre
une autre époque. Les étrangers l'avaient bien vu
au moment où Lope en Espagne, Shakspeare en An-
lieu et à
c'est
:
LES SYSTÈMES
6*8
gleterre coupaient l'action à volonté, transportaient,
sans baisser la
même
spectateur à des époques et à des
toile, le
lieux divers, que les poètes médiocres élaboraient ces règles
sans fondement. Notons que les règles
recommandait de
comme
le
comble du
aiment surtout
rielle
on
la
l'antiquité,,
fin et
la difficulté
pour
et contre elles,
France seule en a
la tête tragique,
pu
seuls ont
été dupe.
;
or les médiocres
qu'une dextérité toute maté-
peut vaincre. Mais, en somme,
se battit
qui d'ailleurs se
souveraine alors, et se donnait
de
les difficultés,
un moment
firent
comme une nouveauté
fortune à l'étranger,
on
si
on ne
les
les accueillit, si
observa guère
Eux
au rebours de ce que croyait Voltaire.
faire
;
Les Français n'ont guère eu
sérieusement
ce raisonnement
enfantin
qui détruit tout l'art en détruisant la première des conventions,
raisonnement selon lequel un seul
peut représenter deux lieux différents.
lieu,
prendre judicieusement l'auteur de Cromwell,
dès
lors
la
Comme
scène, ne
com-
le fait
il
n'y a plus
de vraisemblance au théâtre, tant qu'on ne
montre pas
le
ressuscite pas
nous
vrai palais d'Auguste, tant qu'on ne
le vrai
Cinna, en chair
et
en
nous
parlant
os,
latin.
Cette prédisposition à n'admettre aucune
tions de l'art nous a conduits à l'art
qu'on
ait
jamais vu
;
le
car, le théâtre se refusant
ventions qui permettent de reproduire
même qui
théâtre.
la vie,
la
vie
dû devenir conventionnelle pour entrer au
Nous nous sommes montrés là le peuple exact, qui
se défie outre
le
réel et la raison
mesure de
la
,
le
simple et
preneurs des unités
et avait surtout alors,
et l'imagination,
:
le clair,
un
l'esprit français a
certain point
toujours eu,
une certaine répulsion pour
ainsi
qui
rêverie et de l'imagination.
C'est précisément ce qui excuse jusqu'à
qu'une tendance à
Les unités, venues de cette tendance,
core.
aux con-
c'est
a
cherche partout
les
des conven-
plus conventionnel
la liberté
l'abstraction.
l'augmentèrent
en-
LE SYSTÈME CLASSIQUE.
y a un
Il
lien
d'une époque
b monde
et
commun
l'homme
une manière de voir
entre la philosophie et la
et
;
le
pour
moi conscient résume l'univers
il
;
tème, devenu avec Corneille celui de
trouvé les unités établies, qu'il
elles éliminaient
Or
ce
sys-
la poésie, n'eût-il
pas
eût en partie inventées
les
temps
;
élé-
c'est
pourquoi
la nullité
le lieu et le
donné une peine
c'est
;
n'eût précisée
suffisait
; il
céder sans interruption
Rodrigue avait battu
;
les
il
ne
les classiques
pour arriver à l'unité
fallait
Maures
qu'aucun dé-
définie,
que tout eût
de
là aussi, de la
suffisait,
il
;
d'une durée non
nullité de temps,
;
pourquoi aussi
inutile
temps de vingt-quatre heures
tail
ce
;
de l'ac-
absurde en elle-même, est devenue
de lieu, qui est raisonnable
se sont
moi conscient
au milieu
d'un seul coup deux accidents, deux
ments de contingence,
l'unité de lieu,
le
est,
en l'homme,
et
seul objet digne d'étude.
le
poésie
dix-septième siècle c'est
le
monde par l'homme
et de ne considérer dans l'homme que
cident universel,
69
manière dont cette époque envisage
c'est la
:
PSYCHOLOGIE
l'air
de se suc-
marquer que
pas plus
don Sanche en
et vaincu
vingt-quatre heures, que laisser voir qu'il avait pris plus de
temps pour
le faire.
Les unités trouvèrent donc en France un
terrain pré-
paré, alors que partout
ailleurs le théâtre fut réfractaire.
Et, à vrai dire,
toutes ces tendances de l'esprit
temps pour
il
fallait
qu'elles fussent acceptées
;
autrement
piration des médiocres eût-elle été plus forte que
s'il
avait été
avec
d'accord
d'œuvre, possibles sans
que des théories,
goût public
le
génie
pu
n'eût
exigences qui eussent été toutes gratuites
moins en attendant
le
triomphe.
le
génie,
Les chefs-
eussent parlé plus haut
les unités,
et le
?
du
la cons-
Au
plier
se
à des
eût lutté
il
;
contraire
il
se
au
soumet.
L'auteur de Cromivella imaginé (Préface de Cromwell) un
Corneille gêné par les règles, jeté
quité
et
les
unités,
et
qui
malgré
lui
autrement
Sakspeare. Mais c'est là une illusion
:
il
dans
eût
faut se
l'anti-
été
un
résigner
LES SYSTÈMES
70
La mauvaise hu-
à ce que Corneille ne soit que Corneille.
meur du bonhomme Corneille
viennent, quand sa pièce est
un peu gauche
s'est
est évidente contre
faite, et
ceux
qui
que ce grand génie
appliqué consciencieusement,
lui faire
des chicanes sur des vétilles. C'est alors qu'il subtilise
les règles
mais
;
il
ne songe jamais, quand
à s'en affranchir. D'ailleurs les plus grandes
rent après
Cid
le
Cid, et
le
nous sera
il
facile
système classique, avec sa force
sur
une pièce,
fait
il
chicanes
vin-
de voir que dès
le
et ses défauts, existe
déjà de toutes pièces.
En quoi
consiste le système classique dans le Cid ?
Nous avons déjà vu le théâtre,, dans l'antiquité, dans
l'Espagne moderne et en Angleterre, subordonner la peinture dramatique de la vie à la peinture des passions humai-
nes
théâtre classique va, non pas subordonner, mais
le
:
réduire toute peinture de la vie à
c'est le
son temps,
dans
le
fait
Guilhem de Castro.
subir à
il
;
spectacle de la vie
le
hommes
Rodrigue religieux,
Rodrigue armé
la vie n'est
n'y a plus
le
le
voit, lui, la scène
les
qu'il est
homme
;
le
dans une
Rodrigue moyen âge,
mais
il
le
dans
la
père de son amante.
ne tient pas à ce que tout cela existe
légende
la
Il
tantôt
tantôt sur la place,
;
espagnol, parce
mais peu importe,
de guerre et d'amour, voilà tout
d'Espagne, puisque
le
Ro-
personnage vive moralement.
ville,
de
Le Ro-
Rodrigue moitié condottiere,
yeux. Rodrigue est un chevalier
tel
rois,
chevalier, est supprimé. Il ne reste que
au poète que
dans un palais
la vie
étudié que
qui ont des passions.
drigue amantde Chimène, qui a tué
Il suffit
;
de
ramené au spectacle de l'âme hu-
drigue qui dort à côté du lépreux,
pour
Il
passion
l'esprit
contre-coup produit sur l'âme. Ainsi, plus de
chevaliers, mais des
le
la
n'y a qu'une action psychologique.
maine, tout ce qui nous frappe dans
par
peinture de
Cid de spectacle extérieur, plus d'épisodes de
chevaleresque
Le
la
premier travail que Corneille, pénétré de
;
c'est
un
le roi est le roi
légende le dit ;mais ce ne sera,
si
vous
—
LE SYSTÈME CLASSIQUE.
voulez, qu'?m roi.
Un
roi,
ABSTRACTION
71
deux amants, leurs deux pères,
voilà tout ce qu'il fout au poète.
Le drame
densé
?
A
allait-il
gagner beaucoup à être
coup sûr dans
beaucoup.
Il
mais pour
le
le
Cid,
ainsi con-
n'y perdait pas encore
il
y a bien la maladresse des vingt-quatre heures;
lieu, nous avons encore une ville entière
les
;
héros n'ont guère de nationalité, mais
ont des épées, on se bat en duel
;
il
ils
vivent encore,
fait
ils
nuit sur la scène,
on y mnrche, on y court, on s'y rencontre par hasard, on
s'y précipite les monologues, c'est-à-dire la convention, y
;
sont encore courts,
le
récit
y
est
animé,
le
dialogue
y
est
encore mêlé de mouvement. Mais qu'on ne s'y trompe pas,
il
n'y a plus là rien de
neille, fût-il
désormais
commun
libre,
avec Shakspeare, et Cor-
ne deviendra pas un Shaks-
peare.
Déjà dans
le
non content de
Cid, le théâtre classique,
réduire le spectacle de la vie à celui du contre-coup de la
vie sur l'âme
humaine, commence à ne nous montrer ce
contre-coup que par des conversations
;
la vie
réduite aux
passions, les passions ne sont représentées que par la pein-
ture qu'en font ceux qui en sont agités.
ne
fait
déjà négligeable pour
et
y
La
passion pourtant
pas seulement parler, elle fait agir. Mais l'action est
Cinna,
la
le
théâtre classique.
Dans Horace
formule est arrivée à toute sa rigueur, et
elle
produit toutes ses conséquences.
Et d'abord le système de l'étude psychologique ayant
amené le système d'exposition par conversations, celui-ci
amène l'usage combiné et exclusif des monologues et des
dialogues
;
mais
les
dialogues entre les personnages princi-
paux supposent encore des rencontres qui nécessiteraient
une action trop mouvementée
mêle peu aux événements,
lui,
il
il
le
personnage tragique se
faut que
puisse peindre ses passions
monologue étant d'un emploi
tique
;
même
seul,
aux spectateurs
chez
;
le
restreint, l'emploi systéma-
du confident permettra un dialogue peu animé,
très
LES SYSTÈMES
72
propre à l'exposition psychologique, à
du
révélation
la
moi tragique.
Ainsi
formule complète que
la
tournure d'esprit du
la
temps imposait aux romans comme aux drames
Clèves) est celle-ci
princesse de
le
:
La
(voir
de
spectacle
vie
la
réduit à celui des passions, le spectacle des passions ramené
à des dialogues,
sorte de
le
et
les
souvent ramenés à une
dialogues
monologue ou d'exposition oratoire
par
facilitée
personnage du confident.
Un
drame
ainsi
conçu s'adaptait facilement aux exigences
des règles, nées d'abord des recherches oiseuses delà médio-
maintenant admirablement propres à achever cette
crité, et
étrange et idéale condensation delà vie au théâtre.
On
conçoit en effet que
intérêt, et
(la diversité
des lieux perd
tout
n'est nullement nécessaire à ces conversations
poétiques, la seule chose que le théâtre classique imite
la vie.
Le temps
n'est
de
pas plus nécessaire: vingt-quatre
heures sont un ample délai
;
car l'exposition des passions,
réduite à des dialogues, s'est réduite par suite à une,crise
il
n'y avait en effet nul intérêt à ce que
tragiques fussent espacées.
remarquer
la diversité
pour ne nous
Il était
des temps
faire assister qu'à
tion, qui
expose
récit, qui
en expose
l'état
;
conversations
les
impossible de nous faire
comme
celle
des lieux
un dialogue. La conversa-
actuel de l'âme, peut donner lieu au
l'état passé
;
le
dernier
moment d'une
passion donne facilement l'occasion d'en résumer les diverses
phases
;
et
une
suite de conversations qui, espacées, eussent
été insipides, prenait
la crise
ramenait
le
un relief suffisant par la concentration
mouvement et une certaine action à la
;
place de l'action que le système avait écartée.
Cette tragédie a déjà dans Horace des défauts qui doivent
être attribués au génie
prit oratoire
même
de Corneille. Ainsi
du fondateur de
beaucoup à changer une
la tragédie
le tour d'es-
a contribué pour
série de conversations qui
pour-
raient être plus animées en plaidoyers tout oratoires, en
LE SYSTÈME CLASSIQUE.
les règles.
LA CRISE
73
en examens de conscience
expositions sentencieuses,
dans
—
faits
Racine n'est pas aussi lourd là-dessus que
Corneille. Mais Corneille a la gloire d'avoir trouvé la for-
mule irréductible de
tragédie, la crise morale, la lutte
la
intime de deux passions. Uniquement préoccupé du contre-
coup des événements sur l'âme,
il
a vu qu'il n& suffisait pas
de montrer des personnages, qui viendraient
exprimer sur
la
scène des émotions dont
resteraient dans la coulisse
théâtre
même,
l'âme humaine devait être
;
tout le théâtre;
fallait qu'il
il
y eût
plus entre des personnages, mais dans l'âme
ainsi
que
de
les luttes
combats de l'âme
;
;
c'est
que se constituait un drame
au stoïcisme
empruntait
qui
non
lutte
même
le
deviennent pour Corneille les
la vie
c'est ainsi
tout psychologique,
tour à tour
causes tangibles
les
et
au
christianisme une sorte de spiritualisme sublime, le corps
n'étant plus compté.
A cette beauté
d'élévation devait s'en joindre
pleur extraordinaire
lieu,
l'exactitude
les
:
une d'am-
circonstances de temps
historique
des
caractères,
du
et
de
milieu
du décor réduite au minimum, presque à rien, il fallait
que le drame sondât la passion tout entièie. Il n'avait
et
plus à peindre
rique animé
même
idéalement
de passions
il
;
tel
ou
caractère histo-
tel
se trouvait
en face de cha-
-que passion placée dans les conditions les plus favorables à
son développement complet.
Il
ture les traits les plus généraux
personnage toutes
résumait toute
les faces
l'histoire
la
il
étudiait à propos d'un
passion.
Dans une
:
;
l'humanité peut à toutes
naître dans ce miroir
crise se
;
la patrie, la colère, l'ambition, la piété filiale, la
paternelle
les
tendresse
époques se recon-
qui ne reproduit d'elle que les traits
immuables. Ce théâtre
est
une philosophie de
les proverbes, les sentences, les
le
;
du cœur humain histoire accession y voit agir l'amour, l'amour
ble à tous, claire pour tous
de
de
assemblait pour cette pein-
la
passion
;
règles qu'inspire au génie
spectacle de la vie morale s'y trouvent réunis. Beauté de
premier ordre, supérieure, inattaquable.
LES SYSTÈMES
74
Mais un seul défaut remet à sa vraie place
tion élevée de notre esprit
rapports avec
n'être pas
le
théâtre
français
ce
;
un drame. Chaque
;
cette concep-
a trop peu de
elle
drame sublime a
effort
de
le
tort de
philosophique
l'esprit
qui trouvait une à une ces conditions d'une oeuvre supérieure, supprimait
sait
une condition de
du théâtre une
fin, le
décor tombé,
l'intérêt théâtral, chas-
classe de spectateurs
;
bien qu'à la
si
costume enlevé, alors que
le
poète
le
philosophe commençait à nous initier au développement des
passions, les derniers spectateurs restés, les philosophes, les
amateurs de
belle psychologie, pris
de froid dans cette
salle
demandé l'adresse du
libraire et sont rentrés chez eux pour mieux lire dans la
solitude et le recueillement du foyer ces admirables études.
Le grand défaut en effet du théâtre classique, c'est de
vide, devant cette scène déserte, ont
n'avoir besoin, pour produire son effet, d'aucune des conditions théâtrales. Quoiqu'il soit agréable d'entendre bien
dire ces dialogues, ces
il
est encore plus sûr
monologues éloquents de
la passion,
de laisser l'imagination seule du lec-
teur se figurer ces personnages sublimes et à peine réels. Si
à nul signe extérieur
Horace, Camille,
le
ne reconnaît Rome,
lui,
?
Qui
dit théâtre, dit représentation
extérieure de la vie. Si de l'homme, de l'époque,
vous ne voulez
concrets
bon assembler une foule devant un
et complexes, à quoi
rideau qui va se lever
spectateur
ne vivent pas devant
s'ils
me montrer que
de
la vie,
des paroles et des senti-
ments, je puis partout vous entendre, je vous entends mieux
dans
le
cabinet.
Ainsi
le
théâtre classique s'écartait, par
mense, du juste milieu trouvé avant
harmonieuse combinaison de réel
lui,
un
de
effort
im-
l'heureuse et
et d'idéal,
d'histoire et
d'invention, de philosophie et de spectacle, de psychologie et de décor,
œuvre
différente
entend avec
les
qui avait
du
fait
le
drame, c'est-à-dire une
livre, c'est-à-dire
oreilles,
de
la
de
la
musique qu'on
peinture qu'on voit avec les
DÉFAUTS
LE SYSTÈME CLASSIQUE.
75
yeux, quelque chose qui occupe pendant quelques heures
l'homme tout entier, en le plaçant devant le spectacle
une œuvre enfin qui par cela même satisfasse le vulgaire et l'élite, ceux qui peuvent comprendre le
sublime, et ceux qui ont besoin, pour en être touchés, de le
même
de
la vie,
voir, de l'entendre.
du théâtre et des systèmes vu
pendant deux siècles, en France et à l'étranger,
C'est pourquoi l'histoire
n'être,
qu'une incessante réaction contre
lui-ci,
gardant pour
le
théâtre classique
les esprits élevés sa
ce-
:
haute valeur phi-
losophique et morale, se verra de plus en plus relégué loin
de
la
scène et du théâtre, auquel par sa nature
n'a point
il
droit.
VI
La grandeur
temps
singulière
système
le
l'étranger.
Mais
et les
la
du théâtre
classique imposa long-
même
personnages antiques,
à
réaction était inévitable. Cette réaction
aida l'Allemagne à retrouver
le
drame. Shakspeare, comparé
à Corneille, à Racine, à Voltaire, parut seul avoir
véritable formule, et c'était raison
;
car
il
connu
la
ne s'agissait pas
pour l'Allemagne de trouver du sublime, mais de fonder un
théâtre.
L'imitation
classique,
de Shakspeare, l'abandon du théâtre
choix de sujets nationaux ou tirés du
moyen
non que
personnages antiques fussent incompatibles avec le drame
âge
les
le
et
non de
moderne, mais
l'antiquité, tout cela alla de front
les
;
héros romains et grecs n'avaient eu tant
de succès en France que pour une raison déjà indiquée
plus reculés de nous,
choisir permettait
ils
pouvaient rester plus vagues
ques cédèrent
le
:
les
se contenter du minimum
Ce minimum n'étant pas du
au poète de
d'histoire et de couleur locale.
tout l'affaire des
;
poètes allemands, les personnages anti-
pas aux héros du
moyen âge ou
des temps
LES SYSTÈMES
76
modernes. L'Allemagne put donc créer une forme drama-
compromis entre
tique qui ne fut qu'un sage
Shakspearien et
plus rapproché de l'esprit anglais que
que que
que
Le
çaises.
difficile
du nôtre, plus
poéti-
nôtre, ne devait pas se tromper aussi longtemps
le
Français sur
les
système
le
système classique. L'esprit allemand,
le
le
vice rédhibitoire des tragédies fran-
théâtre de Schiller est un juste milieu
;
il
serait
de dire en quoi ce théâtre est inférieur au théâtre
Si l'étude des passions y est moins condensée,
personnages y sont plus vivants, et d'autres beautés
viennent du spectacle plus élargi de la vie humaine.
classique.
les
Ce juste milieu auquel la tragédie est arrivée fut l'œuvre
du temps. On ne put profiter des conditions matérielles du
genre que quand peu à peu l'imagination fut devenue plus
exigeante. L'élément plus lyrique, qui mêle à l'étude des
passions les impressions que font les grandes vicissitudes de
la vie, était
la
amené dans
drame parla marche normale de
le
pensée humaine, qui ressentait
vie
moderne,
fertile
si
contre-coups de
les
troublée depuis le XViil siècle,
si
épique,
la
si
en tragédies. D'ailleurs, pour imiter Shakspeare, avec
son drame sans règles, planant sur
le
spectacle
du monde
d'un vol puissant, Goethe et Schiller n'en eurent pas moins
pour modèles
le
théâtre classique avec ses
études
pro-
fondes, sa concentration intense, Voltaire et son art cher-
cheur, avide de
quent,
mouvement
de neuf, déclamatoire et élo-
et
contrepoids nécessaire à cet art trop exclusivement
psychologique.
Quelle meilleure époque
à sa poésie
pour un grand poète qui veut
cadre du théâtre
le
pour profiter des expériences
porains un spectacle où
cœur humain,
poésie de
la vie
les
ils
?
Quelle meilleure occasion
faites et
trouveraient à la fois l'étude du
coups de théâtre des
héroïque
!
au large,
la
événements
et
la
Et je ne parle pas de cette petite
cour de Weima»*, une cour de Louis
la poésie est
montrer aux contem-
XIV
en
petit,
mais où
paix à côté du volcan de la Révo-
—
LE SYSTÈME ALLEMAND.
Ton contemple de
lution qui s'allume et que
un beau
et terrible spectacle
qui encourage
l'art,
rend ses égaux,
SHAKSPEARE COREIGÉ
;
comme
loin
et puis la protection
mais surtout est l'ami des
77
du prince
artistes, les
premiers ministres ou conseillers
les fait
;
nul sacrifice à faire à la foule, un public éclairé qui admire et
se laisse conduire
de
sie
fois
génie souverain
n'ayant nul besoin
de plus se rencontre l'accord et de
la
grande poé-
parlant une langue faite et des procédés du théâtre, d'où
résulte
le
plus beau spectacle qui se puisse imaginer
ainsi présentée,
yeux, par
la
le
prince ou sujets.
flatter
Une
;
le
la
jeu des passions, par
couleur de
les
musique des vers, par
la
mise en scène, par
la
car
;
poésie dramatique émeut l'âme et
plastique des atti-
la
tudes et du geste, en un mot, confond et résume autant qu'il
est possible les jouissances variées
diverses formes de
que peuvent donner
poésie, peinture, sculpture et
l'art,
les
mu-
sique.
Il
semble donc qu'avec Schiller surtout, et nous verrons
jusqu'à quel point avec
le
drame
ait
théâtre romantique en France,
le
réuni pour la première fois toutes ses conditions
d'existence et d'action complète.
Le théâtre de
Schiller, c'est le
système de Shakspeare un
peu corrigé par Corneille. Schiller mieux que Goethe distingua ce que devait être
pour modèles, parmi
dies,
et
non
pièces
les
les pièces
vraie tragédie
la
;
il
du poète anglais,
sut choisir
tragé-
les
demi-comiques, demi-féeriques qui
ont inspiré à Goethe la forme de son Faust.
Comme
il
présente
Shakspeare, Schiller peint
le
l'histoire,
dans
sonnages, tout en
tité
de
destinée
humaine
;
tableau de la vie, sans tout ramener au contre-
coup sur l'âme humaine
dans
la
réalité,
la
;
comme
légende,
il
Shakspeare,
idéalise
les laissant vivants. Il
choisit
il
quelques per-
conserve
la
quan-
de détail typique, de couleur locale et de
costume qui peut
s'allier
vivre sur la scène. Il va
à son tableau idéal et qui
du
réel à l'art,
au
le
fera
lieu de partir>
78
LES SYSTÈMES
comme
les classiques,
d'un art abstrait qui ne peint que les
passions et ne se sert pour ainsi dire des
personnages que
par nécessité.
Quant aux corrections
Shakspeare,
faites à
elles consis-
tent surtout à ne pas admettre le grotesque pour ainsi dire
supplémentaire, concession du poète anglais au goût de son
temps. Le drame de Schiller est aussi plus serré que celui de
Shakspeare,
n'admet que
il
personnages nécessaires, et
les
tout ce qu'ils disent est nécessaire au
s'amuse souvent
pour donner à
nous
;
ses
personnages un
oublier que nous
fait
La concentration de
nages y ont
drame
la vie réelle,
« nature »,
air plus
il
sommes dans un drame.
Schiller est plus forte
plus occupés
l'air
Shakspeare
;
pour mieux nous placer dans
:
;
person-
les
c'est l'influence
du théâtre
français.
Schiller fait aussi
un emploi
plus discret
du temps
;
il
corrige parfois les libertés un peu exagérées de Shakspeare
il
va sans dire que nulle part
il
;
ne s'astreint par parti pris
à l'unité de temps des classiques. Il profite, en la restrei-
gnant un peu, de
la liberté
en cela un progrès à
des lieux, laissant
tiques français.
Le
dans un acte
le
à fait adapté
;
lieu de la scène
drame
faire
le
;
comme
ou à peu près
;
décor d'un appartement pouvait servir
d'un palais,
chambres ou
fois
n'est pas encore sur ce point tout
Schiller se passait de décors
moins
faire et les
aux roman-
change jusqu'à cinq
pour indiquer un autre appartement. Ce qui
sortir
diversité
la
aux conditions matérielles du théâtre
Shakspeare,
tout au
de Shakspeare sur
salles
la
fait
que, sans
scène peut se trouver dans plusieurs
Un
de ce palais.
romantiques
le
feront
:
progrès reste donc à
rendre
la
scène fixe pen-
dant un acte, ne point faire trop voyager le spectateur. Pour
Schiller,
il
est bien évident
entendue de Shakspeare
la multiplicité
que ce fut paradmiration mal
qu'il
des scènes et
conserva ce détail matériel de
méconnut
le
progrès réel con-
tenu dans l'exagération classique, à savoir
les cinq lieux,
—
LE SYSTÈME ALLEMAND.
que
un
SCHILLER
79
théâtre classique avait eu tort ensuite de réduire à
le
seul.
Voilà tout ce que
le
théâtre allemand a d'original, au
Frulpointde vue qui nous occupe, des conditions du genre.
Un
grand
pas avait été
reconnu
avait
les
fait
dernier progrès s'était
dans
le
fait
on
allemande
la poésie
laissait
peu à désirer. Ce
en Allemagne grâce au dévelop-
pas été acceptés
n'eussent
:
Shakspeare, à constituer un
système de drame moderne qui
pement de
dramatique
l'art
excès du système classique, et on était
sous l'invocation de
arrivé,
par
si
;
car
les
progrès du genre
grande poésie, entrant
la
cadre du drame, n'avait eu
la
puissance de les im-
poser.
VII
C'est ce qui nous expliquera pourquoi ce
accepté en Allemagne, ne
une admiration peu
le fut
éclairée
même
pas en France
;
progrès,
pourquoi
pour nos classiques nous
attachera pendant deux siècles à un système
si
défectueux,
tant que la grande poésie ne sera point revenue au drame,
même
fût-ce
De
pour un temps
et sans
sique avait de grands défauts, et
riger
y bien
réussir.
plus, les Français sentirent bien que le système clas-
mais
;
ou plutôt
ils
se
essayèrent de les cor-
ils
refusèrent à voir son défaut
l'esprit français
capital,
ne pouvait avoir conscience de
ce défaut capital, une manière trop philosophique de concevoir
avec
le
le
drame, "que quand
temps et
aussitôt après
elle
les
il
se serait
révolutions de la pensée.
Racine,
pour
La
tragédie,
sentit qu'elle avait à se modifier, et
s'obstina à vivre, à se corriger
lité, ses efforts
lui-même transformé
se rajeunir,
:
de
là sa
grande
vita-
ses transformations inté-
ressantes mais incomplètes. Incomplètes, parce que l'amour-
propre national
empêcha longtemps d'avouer ce
qu'elle
LES SYSTÈMES
80
devait reprendre au
drame dont
longtemps Elle
avait
rieur
la
elle
;
lui
elle était sortie
pour vivre
de l'homme inté-
pris l'étude
eût dû lui reprendre, dans une certaine mesure,
peinture de la vie extérieure.
Nous
l'avons
avec Voltaire, avec
vue,
Lamotte, de
Belloy, se débarrasser, quoiqu'à regret, des plus gênantes de
ses entraves
la
;
on cherche à
mouvement,
la
pompe du
donner tantôt
lui
prose, tantôt la diversité et
la
spectacle
au décor, on cherche peu à peu
s'imagine enfin que
moyen âge ou Eustache
tragédie ait fait
la
A
la veille
de
de
liberté
;
on donne quelque rôle
du costume
la vérité
;
on
le choix exclusif des personnages an-
tiques est le défaut capital
que
la
vérité des lieux, tantôt le
la
le
;
on va donc chercher dans
de Saint-Pierre, ou
le
Zaïre, sans
moindre progrès.
révolution
romantique, on ne craint
plus depuis longtemps d'emprunter des sujets à Shakspeare
à Schiller, dût-on
comme
les
sur
la
manies
les
accommoder à
les
Marie Stuart de Lebrun
les plus ridicules
;
la
manière française
mais on reste ferme sur
du système
vieilli,
par exemple
questions de versification, de périphrases, de style
noble. Les concessions
qu'a faites la tragédie ne lui ser-
vent à rien, parce qu'elle ne redescend pas jusqu'à
réelle
pour s'en
l'idéal.
faire
un point d'appui dans
Aussi un des coups d'éclat qui
débauche de réalisme
:
la
la
la vie
recherche de
tueront sera une
V Henri 111 de Dumas.
LIVRE
III
LE SYSTÈME ROMANTIQUE
Les précurseurs
et les
combattants.
— II.
Victor Hugo.
La
pré-
— Examen des divers points de réforme. —
théorie romantique. — Le grotesque dans
III» Le grotesque dans
drames. — IV. Le drame théorie Cromwell. — V. Le sysface de Crorawell.
la
la
les
:
tème corrigé par
les
œuvres.
Les deux grandes différences entre
9
le
drame
classique et
drame romantique, c'est le retour au caractéristique,
un art de présenter des personnages plus concrets et vivants
c'est aussi l'intention de mêler « le drame
de la vie au drame de la conscience. »
le
c'est-à-dire à
;
Toutes
les
autres réformes s'ensuivent
caractéristiques appellent
le
Les personnages
mélange dan3 une certaine
et du décor;
mesure du grotesque, l'intervention du costume
le lieu, lui aussi, se caractérise, et les
unités deviennent fa-
cultatives.
11
ne faut donc compter parmi
les
précurseurs du roman-
tisme que ceux à qui est apparue cette lacune essentielle de
la tragédie
:
l'absence de caractères au sens étroit
LE UkAME ROMANT.
du mot,
6
et
LE SYSTEME ROMANTIQUE.
82
cette autre lacune
l'absence
:
du drame de
opposé au
la vie
drame de la conscience.
Quant à ceux qui ont critiqué la tragédie, combattu les
unités, demandédu décor, cherché des sujets nationaux, etc.,
ils
sont légion.
On
en trouvera
Un
classique ait existé.
même
avant que
la
tragédie
livre entier pourrait se faire sur les
prétendues origines du romantisme, alors que peut-être
suffisait d'être
ses
d'avoir
siaste
dans
la
révolution romantique
il
comme Hugo,
racines dans la nouvelle école, d'être enthou-
moyen âge à l'antiquité,
drame romantique, sans même avoir lu
de Shakspeare etde préférer le
pour trouver
Madame
le
de Staël.
En
tous cas l'histoire des revendications
de détail, qui se confond presque avec l'histoire de
la tra-
gédie au xviii siècle, porterait en elle une excellente leçon
de l'esprit critique, qui voit
l'inutilité
les
sans le génie qui saisit d'un coup d'œil
:
défauts de détail,
le
vice rédhibi—
toire.
Comme
nous l'avons vu, presque tous
rent romantiques
;
les
systèmes fu-
théâtre classique seul omit le caracté-
le
ristique et le concret.
Eschyle, Euripide, Lope de Vega,
Guilhem de Castro, Shakspeare,
Schiller furent des
roman-
tiques. Les Français ne s'en sont pas toujours douté,au
pour
les
Grecs, que
les
moins
pseudo-classiques prirent de bonne
pour des classiques.
Les premiers romantiques en France remontent
foi
Avant
loin.
Corneille, dès 1628, les théories romantiques étaient
affirmées par François Ogier, dans sa préface écrite pour une
tragédie
de Jean de Schelandre.
Il
y soupçonnait que
Grecs pouvaient bien avoir été des romantiques,
l'affirmait Stendhal,
quand
après, le romanticisme.
il
définissait, juste
« l'art de présenter
deux
les
comme
siècles
aux peuples
les
oeuvres littéraires qui, dans l'état actuel de leurs habitudes et
de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner
plaisir possible », et qu'il ajoutait
furent
:
éminemment romantiques » Ogier
.
le
plus de
« Sophocle et Euripide
répudiait les règles
FRANÇOIS OGIER.
et déclarait
que
l'art
tragique devait admettre
tique etle comique, en
un mot
le
« Dire qu'il est malséant de
pièce
mêmesparsonnes
les
caractéris-
en une
faire paraître
même
incontinent après, de choses
et,
et comiques,
hommes, de qui
des
la vie
le
grotesque des romantiques.
traitant, tantôtd'affaires sérieuses,
importantes et tragiques,
communes, vaines
83
ignorer
c'est
les
jours et
la
condition de
heures sont bien
les
souvent entrecoupés de riset de larmes... »(1).
On
Ogier
voit,
le
Cromwell
;
il
aussi audacieux
est
que l'auteur de
ne met nul correctif à sa théorie, et n'indi-
quant pas dans quelle proportion
le
comique doit être em-
mélange exact des deux éléments
ployé, semble approuver le
que voulait l'Hugo de 1827.
Un
des premiers romantiques fut aussi
quel Ogier
tement
mettre
sa préface
comique
le
comme
fit
et le
Shakspeare,
;
il
manquait
;
tragique
;
il
ce que
tout
poète pour le-
mettait sur la scène,
l'imagination
peut y
son gré. Malheureusement
la transportait à
le
le
Jean de Schelandre mêlait exac-
il
lui
génie, en sorte que sa tentative rentre dans les
innombrables tentatives inutiles.
Avançons jusqu'à la fin du xviii 8 siècle. Nous trouverons
dès lors deux sortes d'ancêtres du romantisme dramatique
:
ceux qui introduisirent, sans
taire, les
les
comme Vol-
défigurer
poètes dramatiques de l'Allemagne ou de l'Italie
ceux qui luttèrent par
les théories.
viennent de Mercier et de
Madame
Les uns
;
et les autres
de Staël, surtout de
cette dernière.
Mercier, en 1773, exposait déjà avec violence des idées
alors singulières par la forme, très sensées
condamnait absolument
délie et les
l'imitation antique, et
premiers qui, copiant servilement
faitregretter les
(1)
au fond, quand
c(
Mystères». Pour Mercier,
Voir Petit de Julleville
1893, page 105.
:
Le
il
maudissait Joles
Grecs, ont
d'ailleurs, toute
Théâtre en France, 3e Edition,
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
84
la tragédie est
du comique
non avenue
;
son idéal, c'est aussi
du tragique qui
et
manque
supérieur. Mercier voyait bien au fond que ce qui
au théâtre tragique,
c'est le caractéristique et le grotesque*
tout cela d'instinct. Mais qu'eût-il produit avec
Il
voyait
le
mélange du comique
qu'un côté de
la
question
M me de Staël,
de
la
Or, ce qui
génie de cette
il
:
?
Tout dépend delà
eût fondus.
les
ne voyait
Il
comme
ne s'occupait point,
il
grande poésie.
valeur de
fait la
femme
en nous révélant
du tragique
et
proportion dans laquelle
le
fusion
la
du drame un spectacle
ferait
M
rae
de Staël, ce qui prouve
étonnante, c'est qu'elle fut à la fois,
l'Allemagne à sa
un ancêtre du
façon,
lyrisme romantique et un ancêtre du drame romantique.
M me
En somme,
Allemagne régner
grande poésie dans l'ode
la
et qui excite l'émulation delà
grande
cette
les
au théâtre,
partie
notre
la rêve-
de la sensibilité de l'Allemagne et de l'Angleterre est
entré dans
nous
et
France en nous commentant
Ce qui distingue en
poésie.
qui a vu en
romantique, c'est que quelque chose de
poésie
rie et
femme
de Staël, c'est une
le
le
tempérament de
verrons,
commotions
développé
aussi fait
le
il
de
les résultats
et
moi
et
la sensibilité
comprendre à
la
France
rêveuse et sentimentale du nord,
par contre-coup à
Comme
la poésie française.
faut en chercher certaines causes dans
Révolution, qui ont
la
mais
;
las
et,
M me
de Staël a
modèles de
la poésie
ce faisant, elle a excité
ressemblance et à l'imitation.
la
En fai-
sant remarquer que l'âme moderne ne ressemble pas à l'âme
antique, que les modernes ont puisé dans
tien l'habitude
mêmes, que
jets
comme
de
se
la poésie
par
les
replier
le
repentir chré-
continuellement
sur eux-
allemande est nationale par les suque la littérature romantique
idées,
est la seule qui soit susceptible encore d'être perfectionnée,
parce qu'elle a ses racines dans notre
pour
le
théâtre qui devait se nourrir de
la
sol,
elle
travaillait
poésie romantique.
Quant au théâtre allemand comparé au théâtre
français,
MADAME DE
vu parfaitement
elle avait
d'abord que
les
donnée
une
abstraits
85
Elle comprenait fort bien
clair.
tragédies françaises sont trop
abstraite,
elle disait,
;
STAËL.
que
bâties
sur
personnages y sont trop
les
reprenant un mot de Benjamin Cons-
tant dans la préface de Walstein, que « les Allemands pei-
gnent des caractères
Français
et les
seulement des pas-
sions ». C'était le caractéristique qu'elle réclamait ainsi. Elle
comprendre aux Français
regrettait aussi qu'on ne pût faire
qu'une scène comique est destinée à faire ressortir une
tuation
tragique.
Dans
le
même
du procédé d'abstraction
pos
dans
ordre d'idées,
classique,
elle
à
pro-
disait
que
tragédie française a les situations ne sont pas pré-
la
sentées dans toute leur force »
;
et elle ajoutait,
fort bien que le théâtre ne doit pas oublier le
du drame de
vie à côté
assez
si-
comment
la
la conscience
:
«
On
indiquant
drame de
la
n'y voit pas
créature semblable à nous se débat avec
y succombe, en triomphe, s'abat et se relè e
puissance du sort ». Elle remarquait aussi, dans les
la souffrance,
sous
la
drames grecs,
hommes
que
la
»
ce
Ce
.
toujours
qu'elle
le
planant sur
destin
demande
grande poésie reprenne
la vie
des
aussi par ces paroles, c'est
place au théâtre. Elle
sa
constatait qu'aucun de ces perfectionnements n'était possible avec les unités de lieu et de temps, et « sans l'exacte ob-
des
servation
peindre
)>
;
factice: «
ou qu'on
elle
On
mœurs du temps
du pays qu'on veut
et
reprochait à nos alexandrins leur
pompe
ne peut dire en vers alexandrins qu'on entre
sort,
qu'on dort ou qu'on veille». Elle préférait
aussi les sujets nationaux, et pris dans le passé; enfin dans
ce
même
chapitre sur
l'art
dramatique, où
se
trouve à peu
près toute la Préface de Cromwell, elle attaquait l'imitation
à outrance de nos chefs-d'œuvre, doutant que cette imitation en pût faire croître de
nouveaux
:
«
doit être stationnaire, et l'art est pétrifié
Rien dans
quand
il
la vie
ne
ne change
plus ».
Victor
Hugo
dans son autobiographie raconte que Talma
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
86
las des tragédies réclamait
avec plus de
Mme de
un
réalité,
un
vrai rôle, autant de
Staël fait l'éloge de
Talma
sant dans ses rôles, par son jeu,
l'homme
trouve
entier, et
le
le
;
elle le
montre introdui-
romantisme, c'est-à-dire
Ducis déjà romantique.
M me
Schlegel avant
quand
il
elle le
Farhan dans Abufar,
de Staël avait combattu
gédie française, lui reprochant de négliger
vie,
grandeur
Précisément
curieux qu'un des rôles où
plus admirable soit celui de
cette tragédie de
W.
est
il
un homme.
roi qui fût
disait
le
drame de
la
Plusieurs tragédies françaises font
«
:
la tra-
naître aux spectateurs l'idée confuse que de grands événe-
ments ont
lieu peut-être
».
Stendhal avait compris que
le
nal
;
nous avons
cisme.
Il
système
il
quelque part, mais
témoins
placés pour en être
les
cité plus
voit avec raison
à imiter
pour
le
mal
qu'ils sont
théâtre devait être origi-
haut sa théorie sur
dans
le
romanti-
Pinto de Lemercier un
le
mélange de comique et de tragique
veut aussi qu'on exploite l'histoire
nationale, et
il
;
n'est
pas loin de prendre Joseph Chénier pour un grand tra-
gique parce qu'il a choisi
comme
sujet la
Saint-Barthé-
lémy.
Stendhal n'a pas d'ailleurs le mérite d'avoir vu d'avance
;
un combattant, non un prophète.
Parmi les livres qui aidèrent, en tant qu'événements, à
c'est
préparer ou établir
le
romantisme,
il
faut surtout citer la
traduction de Schiller donnée par de Barante en 1821
même
année paraissait
le
;
la
Shakspeare de Letourneur revu
par Guizot.
Le jour où
tous ces desiderata, où tous ces retours au
système rationnel, réunis dans
la
Préface de Cromwell, for-
cèrent l'attention du public et du théâtre, la lutte s'engagea.
Non
pas sur
le
terrain élevé.
A
peine
si
dans toute l'Eu-
rope trois ou quatre esprits supérieurs auraient pu discuter
entre eux la question de caractéristique
tesque.
et celle
du gro-
LES ENNEMIS.
Elle se livra
gneur
sur
questions secondaires,
les
madame, sur
et les
87
sur les sei-
les unités.
Les ennemis furent nombreux.
Il
n'entre pas dans notre
plan de faire de l'histoire anecdotique et de raconter ces ba-
romantiques. Elles ne sont qu'un épisode comique
tailles
de l'histoire littéraire du xix e
siècle.
Il
nous
suffira
de dis-
tinguer les divers mobiles qui poussaient les combattants.
D'abord
tragédie était en possession du théâtre.
la
tradition, en 1828, avait
deux
siècles de durée.
tragiques étaient donc parfaitement sincères
comme
Manzoni,
spectateurs dont parle
les
La
Les poètes
ils
;
étaient
prévenus
qui,
en faveur des règles, ne pouvaient plus juger impartiale-
ment. Quand on pensera qu'à ces raisons s'ajoutait la concurrence
aux
qu'allaient faire
talents
classiques
les talents
romantiques jeunes et en possession d'un système meilleur,
et le dépit des vieux auteurs,
rend
ait été
bruyant. De plus
on comprendra que
les
le diffé-
tragiques, devenus acadé-
miciens, fournisseurs ordinaires du théâtre français, censeurs pensionnés par le roi, firent cause
pouvoir qui se défendait contre
Cromwell
partistes
les
;
les
commune
les idées
avec
le
Dès
nouvelles.
tendances romantiques étaient un peu bona-
dans Hernani
elles
sont
déjà révolutionnaires
;
drames romantiques effrayaient donc autant par leurs
audaces politiques que par leurs audaces
acteurs
même
s'en mêlèrent.
La
littéraires.
putation, leur fortune, leur talent à la tragédie
compromis soudain
était
;
Les
plupart devaient leur ré;
tout cela
de jeunes comédiens pouvaient
plus facilement acquérir le genre de talent nécessaire au
drame, où
les autres se
trouvaient dépaysés, avec leurs ha-
bitudes prises.
C'est ainsi que tout fut sujet à combats et à escarmou-
ches
;
pied à pied les classiques défendaient et les sujets
antiques, et les personnages nobles, et la tirade pompeuse,
et
le
vers sans enjambement, et
phrase.
la
majestueuse
péri-
LE SYSTEME ROMANTIQUE.
88
D'ailleurs
le
drame romantique ne remporta pas ce qu'on
En somme, le système passa, le théâtre
appelle une victoire.
se trouva
émancipé,
la
tragédie morte, les
règles
étroites
ruinées, mais les œuvres nouvelles restèrent discutées
;
le
drame romantique avait contre lui d'abord les défauts
énormes du chef de la réforme, puis surtout sa portée po-
mêmes destinées que
litique et sociale. 11 eut les
révolutionnaires avec lesquelles
il
les idées
revendiquait une parenté
étroite.
II
La chaleur de
explique l'importance que prirent
la lutte
tout à coup des idées bien simples,
déjà exprimées,
mais
émises de nouveau avec éclat dans la Préface de Cromwell.
Il
ne faut pas nous attendre
critique écrites par
un homme savant
prétention de l'auteur,
—
éblouissantes, écrites par
que
l'histoire
un poète dont
de
la
pourtant
le
la
polémique
génie n'a d'égal
Préface
la poésie
qui est
lyrique,
en
les
prétentieuse
est celle qui consiste à
époques
trois
l'époque
temps modernes par
le
:
drame,
diviser
l'époque primi-
antique, qui
l'époque moderne, qui est dramatique,
mer
c'est
pages de
plus risquée, la plus vague et la plus
des théories de
tive,
mais des
—
jeunesse.
la
La
trouver des pages de
ici à
est
épique,
pour arriver à résuet le
drame par Sha-
kspeare.
L'époque
Cet
homme
pastorale,
primitive est caractérisée fort poétiquement.
qui
s'éveille, qui,
laisse ;a
divinité, est
une
Genèse est tout,
heureux d'une
pensée s'en
aller
jolie description
les
;
vie libre et
en hymnes
mais pour
le
vers
la
poète
la
Juifs seuls ont existé à l'époque pri-
mitive.
L'époque prétendue épique est caractérisée plus vague-
PRÉFACE DE CROMWRLL.
r,A
ment encore
« les migrations de peuples, les voyages, les
;
chocs d'empires,
moyen
mine toute
la
guerre », se retrouvent aussi dans
Homère, selon
âge.
89
Hérodote
l'antiquité.
le
théoricien romantique, do-
le
un Homère,
est
théâtre
le
antique est épique par ses sujets pris à l'épopée, par ses per-
par ses ressorts
qui sont des héros,
gonnages
oraoles, fatalités, par ses tableaux qui sont des
ments, des funérailles, des combats, par
le
songes,
:
dénombre^
chœur qui
est
les
propor-
tions gigantesque de la scène et de l'hémicycle, le
nombre
la
commentant son œuvre, par
voix du poète
des spectateurs.
Il
ya
là
une idée juste
:
c'est qu'il n'est
genres littéraires de vraie barrière, que
pas entre
drame
le
n'est
les
que
l'épopée et l'ode mêlées, c'est-à-dire la grande poésie au
Mais tout ce que
théâtre.
tableaux,
la
le
poète
fatalité,
les
batailles,
du théâtre an-
dit
s'appliquer à Shakspeare
tique pourrait
les
;
les ressorts, les
tout
funérailles,
Les
cela est dans Shakspeare, dont le théâtre est épique.
drames historiques, Richard III
pée du moyen âge héroïque.
%
D'ailleurs les trois époques
selon
théoricien
le
germe l'épopée
un
:
Henri, sont l'épo-
les
se pénètrent
mutuellement
Bible, c'est-à-dire l'ode, renferme en
la
drame l'épopée homérique contient
un commencement de drame le drame
et le
reste d'ode et
;
;
contient en développement l'ode et l'épopée, qui ne
le
con-
tiennent qu'en germe.
Mais l'auteur infirme
que
cette proposition
la
théorie
des trois époques par
phases de l'humanité (ode,
les trois
épopée, drame) 3e retrouvent tour à tour dans chaque
Or
térature.
masse
»,
ment, dès
les littératures
comme
il
les
lors, cette
ne peuvent être
examine
;
elles se
lit-
prises « en
Com-
sont succédé.
succession des trois phases dans chaque
retrouver dans
Sans
littérature
peut-elle
compter
tour de passe -passe qui consiste à représenter
les trois
le
phases de
se
la littérature française
l'ensemble
?
par Malherbe, Cha^
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
90
pelain, Corneille, qui sont à
peu près contemporains
;
Cha-
de représenter l'épopée française au
étonné
pelain fort
détriment de nos épiques du moyen âge. Mais
le
poète se
gardait bien de jeter sur notre littérature un coup d'œil
trop curieux.
Les affirmations romantiques sur
la divinité
de
la religion
chrétienne, « complète parce qu'elle est vraie » sur les deux
vies, la
passagère et l'immortelle, ne sont pas de celles que
nous ayons à discuter
et corps, n'est pas
un
ici.
la lutte entre les appétits
que,
comme
le
veut
La
le
mais un
;
poète, partie
nature.
Et
les
s'impose
âme
divine, soit
devoir
le
,
paru en
cette dualité a toujours
Le
,
la
par notre
instincts nobles acquis
plus grands effets dramatiques.
:
soit
immatérielle de notfe
résume simplement l'éducation
convention sociale,
fait
de l'animal et l'intelligence,
être, elle représente la conscience de notre
qu'elle
humain, âme
dualité de l'être
article de foi
effet la
source des
poète sera ainsi conduit à
du grotesque, que nous examinerons. Notons
pourtant sa théorie fort ingénieuse du christianisme source
sa théorie
de
la mélancolie,
sentiment nouveau, qui est « plus que
gravité et moins que
d'examen, qui,
la
tristesse »
lui aussi, est
et
la
source de l'esprit
nouveau. La mélancolie serait
venue de ce que l'Evangile a montré à l'homme l'âme à
travers les sens,
l'éternité derrière la vie
ellfe
;
augmentée de l'ébranlement, du bouleversement
par
la
se serait
social causé
nouvelle religion, les nations avant été précipitées
pêle-mêle
les
unes sur
les autres
;
le
peuple, que les catas-
trophes antiques, les chutes de rois, les chutes d'empire ne
troublaient guère, est
remué jusqu'aux
entrailles.
L'homme,
lui-même, en présence de cette instabilité des
choses, commence à prendre en pitié l'humanité, à méditer
sur les amères dérisions de la vie. De ce sentiment pouvait
se repliant sur
naître dans l'antiquité
nisme en a
tiré la
le
désespoir d'un Caton
;
le christia-
mélancolie.
Ces vues sont ingénieuses
;
mais
les erreurs
sont capitales.
LA PRÉFACE DR CROMWELL.
La première
qu'aient faite les poètes romantiques consiste à
confondre avec
avec une
foi
91
le
christianisme primitif celui du xix e siècle,
vigoureuse et instinctive,
la foi spiritualiste et
philosophique, avec une religion grossie de dogmes, aussi
et aussi grossière
positive
épurée par tout
La
foi
paganisme, une religion
le
pensée humaine.
la
de 1830 est réellement
meurt
qui se
que
de
le travail
elle est
;
le
réaction
la
dernier éclat d'un feu
contre
le
grand boule-
versement de 89. Ceux qui étaient catholiques en 1820 ne
l'étaient plus en 1830. Quant au christianisme primitif, il
n'a
pu engendrer
mélancolie
la
primitive, robuste,
toute
avec
la
foi
au contraire suscité une
d'élan, et
mépris de cette vie terrestre,
chair,
a
l'humanité. Quel rapport entre cette
seconde jeunesse de
foi
il
;
la
mélancolie? Le
mépris du corps et de
le
invincible dans
n'est pas la mélancolie, qui, elle, est faite, à l'insu
ceux qu'elle prend, de doute
et
non de
De plus, c'est dans le cœur du
Hugo de 1827, s'éveille cette
la
une éternité heureuse,
même
de
foi.
peuple que, selon
le
Victor
mélancolie nouvelle
elle
;
n'y avait aucune place du temps des catastrophes antiques.
Mais est-ce
peuple qui
le
ils
lité
?
Les poètes antiques n'ont-
pas éprouvé la commotion des chutes de rois
La
?
fata-
qui s'attache aux familles héroïques ne les a-t-elle pas
frappes de mélancolie
timent de
foi
drames, au temps d'Eschyle
fait les
comme au temps de Shakspeare
?
La
pitié
pour l'humanité,
robuste dans l'immortalité future
traire
:
si
vous songez à
qu'elle produisit sur
la
les
la
foi
?
âmes, à ce
foi
au droit
la
de
là
;
c'est
s'é-
divin, la foi
à une providence sûre de ses desseins,
firent,
de sang se versa pour un résultat qui parut
lendemain de
la secousse
moment unique où
à cette heure terrible où tant de ruines se
colie
sen-
Non, bien au con-
Révolution française, à
croula pour l'homme qui pense la
aux dogmes,
le
vanité des choses est-il la conséquence d'une
la
où tant
dérisoire au
Terreur, nous comprenons alors
la
mélan-
que date cette grande maladie dont l'huma-
LE SYSTÈME ROMANTIQt'E.
92
du doute,
nité pensante est désormais la proie, la mélancolie
de
perdue,
la foi
mélancolie de l'âme que nul rêve, nulle
la
espérance religieuse ne console plus de
la justice
la force, force
L'auteur
des armes, force de l'or ou force
donc
a
même du
résultat
pour un
pris
où
du nombre.
sentiment chrétien
le
doute, et des commotions sociales, mais
de ces commotious intimes qui,
même
vie terrestre
la
semble définitivement destinée à succomber sous
est vrai,
il
secouent l'âme
d'une nation, qui ébranlent un peuple enivré
de progrès, de fraternité,
instant de liberté,
et
un
retombé
bientôt à la tristesse de l'effort inutile ou mal récompensé.
Sur
d'examen
l'esprit
Cet esprit, dans sa
;
les
haute portée,
mense cadavre
le
xvin
poète
le
date
la
fait
même.
du dix-huitième
nuées de rhéteurs, de grammairiens, de sophistes
qui « viennent s'abattre
e
de curiosité dont
d'une poésie nouvelle, l'erreur est
l'autre base
siècle
et
comme
des moucherons sur Tim-
du monde antique,
î>
siècle, et
au plus depuis
le
c'est
surtout depuis
xvi° que nous les avons
vus.
Nous commençons à voir clair dans la théorie de la Préle poète romanface, et voici comment il faut la résumer
réalisé
dans
drame
très marqué du
avoir
un
tique, qui croit
sio-ne contemporain l'idéal du drame moderne, a éprouvé
:
le
besoin de s'autoriser de Shakspeare
sentera doac tout
reproduira
le
drame moderne,
monde moderne.
le
Il
;
Shakspeare repré-
et le
drame moderne
fallait
donc attribuer
au monde moderne les deux caractères principaux qui
sont ceux du nouveau drame romantique, comme de toute
la littérature
men
qu'il
romantique,
eût
la
mélancolie et l'esprit d'exa-
pourtant avec plus de gloire revendiqués
le romantisme lui-même.
Quant à Shakspeare, le poète, content d'avoir personle drame
nifié en lui le drame, l'abandonne prudemment
de Shakspeare avait, en somme, peu de rapports avec le
par
;
drame dont
la
théorie vient
ensuite.
Mais
il
fallait
un
LA IMŒFACE DE CROMWELL.
patron inattaquable,
dans
et,
colossale théorie des trois
du débutant,
l'idée
époques,
93
en Shakspeare, devait mettre hors de combat
en
cette
troisième résumée
la
les dissidents
les écrasant.
C'est la partie faible, enfantine presque, de la Préface
la généralisation
bien d'un jeune
homme
:
Ces pages sont
est hardie et ignorante.
y
de vingt-cinq ans.
Nous examinerons à part
les théories
que
la critique
la question du grotesque dans
œuvres romantiques. Disons un mot de
et les
fait le
poète du système classique, et de sa
polémique au sujet des unités.
La question
des unités a fort
vieilli.
Nous avons essayé
de montrer et leur inutilité et l'emploi judicieux qu'en ont
étant donné
fait les classiques,
préface dirigées contre
les
système. Les pages de la
le
tragiques de
l'empire qui traî-
naient encore dans la Restauration, sont parfaites d'esprit,
de verve et de raison
extrême rigueur
et
.
Les unités, en
effet, prises
dans leur
imposées à perpétuité, étaient bien de-
venues de ces « chicanes que
la
médiocrité, l'envie
et
la
routine font au génie ».
C'est aux conditions matérielles du genre qu'il faut demander une sentence définitive contrôles unités.
Comme un spectacle qui dure deux ou trois heures
doit contenir des repos, le spectacle se trouve coupé néces-
sairement en actes
Mais
:
trois
ou cinq,
la
question est secondaire^
demander au spectateur
qui s'est distrait un quart
n'est plus nécessaire de
il
qui a vu
le
rideau se baisser,
d'heure, de revenir à sa place pour retrouver l'action juste
au
même
point,
précédente.
pour entendre
Il est très
écoulé quelque temps entre
le lieu
de
l'illusion,
la suite
de
la
conversation
admissible qu'il se soit, dans
les
deux actes
;
il
drame,
que
scène pendant l'entr'acte ait changé. Et même
non seulement s'accommode d'un certain temps
la
écoulé dans l'entr'acte, mais exige presque cet
dans
le
l'est aussi
l'action.
Et
puis, après tout,
quand
même
intervalle
certaines
LE SYSTEME ROMANTIQUE.
94
convenances matérielles n'exigeraient pas que
coupé par quelques repos,
fût
que
repos, parce
même une
la
tion vivante de la
serait pas
nécessité de
vie,
même
compensée par
spectacle
tenir une action,
faire
dans un seul lieu gênerait
crise,
le
eût fallu inventer ces
il
idéale, et
représenta-
la
que cette gêne ne
plus grandes beautés d'abstrac-
les
tion et d'analyse. Les classiques, d'ailleurs, éludèrent fran-
chement
l'unité de lieu, et la médiocrité
Ne pouvant
ne s'en aperçut pas.
dérouler toute une action dans un lieu unique,
Et cette
indécision fat le comble de la logique. « Où a-t-on vu vestibule ou péristyle de cette sorte ? » demande l'auteur de
déroulèrent dans un lieu indéfini, indécis.
ils la
Cromivell. Nulle part assurément, et c'est
poète classique. S'étant laissé une
pouvait-il
La
mieux
ce que veut le
imposer
fois
la règle,
faire ?
préface attaque avec assez de raison les récits qui
remplacent pour
les
spectateurs ce qui est « trop caractéris-
pour se passer dans
tique, trop intime, trop local,
chambre ou
carrefour, c'est-à-dire tout
le
Ces moyens avaient en effet
plique pas qu'ils
classique. Il
fait
n'aient été
leur temps
excellents
l'anti-
drame».
le
;
ce qui n'im-
dans
le
théâtre
avait d'ailleurs, et nous l'avons montré,
y
une
grande exagération à dire que ces scènes «caractéristiques»
sont tout le drame.
Dans
Corneille et Racine, la
plupart
pas du
récit de
des récits étaient nécessaires. Je ne parle
Rodrigue dans
tre les
le
Cid. Mettre sur la scène la bataille con-
Maures, étrangère à
sultat dans la pièce
l'action,
et
n'ayant d'autre ré-
que de grandir Rodrigue,
classique
Ce récit d'un exploit
au drame que la scène
Corneille, l'eût-ilpu, n'y eût pas songé.
fait
en présence du
en question.
Il
conte Cinna
;
ces importait
roi est plus utile
en est de
la
même
subterfuge
la
conjuration que ra-
;
tout au plus
faire passer plus
adroitement
peu à une étude psychologique
dira-t-on que Corneille eût
le
pour
vue du combat des Horaces et des Curia-
par lequel
pu
il
fait
croire
d'abord au
vieil
LA PRÉFACE DE CTCOMWELL.
Horace que son
fils
a
fui.
scène sur les murailles de
Le drame moderne eût placé la
Rome, et l'erreur que fait le vieil
Horace eût paru naturelle;
à la vue de son
raille
fils
95
le
en
quittant la mu-'
vieillard
n'en voulant pas
fuite,
voir
davantage, prononçant son admirable imprécation, eût été
peu à peu détrompé, à mesure qu'on eût vu, des remparts,
Horace revenir sur
ses pas et courir
de victoire en vic-
toire.
semble que
Il
le
brisement des idoles, dans Polyeucte,
pou\ait s'accomplir devant
le
l'empoisonnement de Britannicus. Mais
où
toutes les occasions
rieur au spectacle
scène rendait en
le
personna-
spectateur, et les
ges présents exprimer alors leurs passions
de
;
même
pour
poètes fuyaient
les
spectacle réel risque d'être infé-
vu par l'imagination,
effet risible,
un peu
et l'étroitesse
de
la
plus tard, le fantôme de
Ninusdans Sémiramis. Et puis, rappelons-nous que Phèdre empoisonnée parut ridicule aux grands seigneurs
non seulement elle devait boire le poison dans la coulisse,
;
mais
elle
ne devait pas reparaître mourante.
Et Phèdre, après avoir
pris de la
Vieût eu se confessant mourir sur
Le poignard
mort aux
rats,
le théâtre.
seul était assez noble
pour certains spec-
tateurs.
Il faut, ces
réserves faites, reconnaître que la préface de
Cromwell a pleinement raison de ne plus accepter pour
l'art
dramatique ces
théorie, le
poète
restrictions
donne
gênantes.
en
Pourtant,
trop de place au spectacle
;
le
non pas uniquement psychologique, mais
or l'assassinat de Henri IV,
avant tout psychologique
celui du duc de Guise, l'exécution de Jeanne d'Arc, la
drame
doit être,
;
décapitation de Charles I er et de Louis
XVI,
qu'il
cite
pour des spectacles nécessaires au drame, ne sont que des
tableaux vivants déplacés dans tout système dramatique,
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
96
bons pour
mélodrame. Schiller a su à
le
mettre de pa-
la fois
épargner aux yeux des
reilles scènes sur le théâtre et les
spectateurs, par exemple dans l'exécution de Marie Stuart,
qui est un modèle en ce genre.
Le poète romantique
Shakspearedans toutes
n'a pas d'ailleurs prétendu imiter
ses libertés
aux Anglais, Hugo
Espagnols
et
qu'il s'est
amusé, dans
son
;
malgré lui, comparé aux
est classique.
Sans compter
invraisemblable
Cromwell, à
observer rigoureusement l'unité des
saura bientôt, dans
il
aux
de
traditions
le
vingt quatre heures,
reste de son théâtre, rester fidèle
l'esprit français,
conditions scéniques où
il
se trouve
L'argumentation contre l'imitation
gros mots pour
les
pédants qui
tenir
et
au XIX
est
e
compte des
siècle.
dure jusqu'aux
la conseillent.
L'artiste, £Ûr
de son originalité, distingue spirituellement deux sortes de
modèles
lesquels
:
ceux qui se font d'après
on
diocrité et
ler
fait les règles
les règles et
ceux d'après
prend de haut avec
n'y avait que des génies
pas sur la médiocrité.»
;
le
avec
le
Il est
dans
:
« L'art
le vrai, et la
mé-
Nouveau du
ne compte
question était
génie una pièce classique est une tragédie
sans le génie, c'est quelque chose de vide
et
;
d'ennuyeux.
Bellay, le héraut de la Renaissance romanti-
que, sonne l'assaut de la citadelle pseudo-classique
le
la
répond vertement à ceux qui l'accusent de par-
comme s'il
bien là
;
il
marteau dans
les théories, les
jetons bas ce vieux plâtrage
:
«
Mettons
poétiques et les systèmes
qui
masque
la
1
façade de
l'art! »
La nature et la vérité, voilà les seules règles qu'il reconLe drame réfléchit la nature, mais comme un miroir
de concentration. Ces métaphores sont commodes, elles sont
naisse.
élastiques.
Ce que
que
le
poète, en
somme,
les passions politiques
ou
avait devant les yeux, l'idéal
littéraires,
que
les
excès de son
génie touffu l'ont empêché de réaliser nettement, c'est
drame mitigé
;
un mélange de Corneille
et
un
de Shakspeare,
LA PliKFACE DU CROMWELL.
que Schiller, sauf
sliakspearienne des lieux,
la multiplicité
avait déjà réalisé pour son pays.
!>7
Ce drame, moins abstrait que
le classique, «
illumine à la fois l'intérieur et l'extérieur de
l'homme
croise « dans le
»
il
;
môme
La formule
vie et celui delà conscience ».
Le vulgaire
la
et le trivial
môme
tableau le drame de la
est inattaquable.
n'entrent dans
le
drame qu'à
condition d'avoir un a accent».
Nous examinerons la question du vers dans un chapitre
spécial. Le poète s'arrête un moment sur la langue. Une
école qui a longtemps duré prétendait alors que l'époque de
perfection de la langue et de la littérature française est
le
XVII e siècle, ce qui est probablement vrai, en un sens
en
conclusion, qu'au xix e siècle
tirait cette
,
et
faut parler la
il
langue du xvn siècle, ce qui est exagéré. S'il est vrai qu'il
y a pour les langues et les littératures une époque de perfection, comme il y a un âge mûr pour les sociétés s'il est
e
;
permis de déplorer dans notre temps la décadence
d'écrire et de composer,
œuvres
littéraires,
lité n'est
le
manque de
de regretter
les
la
mander aux
sensibi-
la
ne faut pas non plus de-
il
écrivains contemporains d'écrire dans
gue passée de mode.
«
Les langues ne
critiques arriérés l'auteur de
idiomes humains
comme
de tout
en emporte quelque chose
Fatal, en
où
époques
langue n'a pas à se torturer
pour exprimer mille nouveautés,
et
effet, et
il
affirmait
:
Cromwell
;
chaque
;
«
il
siècle
qu'y faire? Cela
avec
une lan-
se fixent pas »,
Il
la
répond
en est des
y apporte
est fatal ».
raison que les langues
fixées sont des langues mortes, et que le français des
ques de
l'art
pas encore maladive ou prétentieuse, où les effets
simples ne sont pas usés, où
aux
de
sincérité et de foi des
tragi-
Restauration était un français mort.
n'a pas tout à fait aussi raison à propos
du goût.
Il
est facile de rejeter bien loin, à cause de leur goût affaibli,
certains écrivains de l'Empire et
Restauration, et de proclamer que
génie. Mais
le
du commencement de
le
goût
est la raison
génie n'a pas toujours la raison.
LE DRAME R0MANT.
la
du
Le goût
7
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
98
chez
le
poète romantique n'était pas sûr,
il le fut de moins
Le goût, raison du génie, est
sentiment des excès qu'il faut éviter aucun
en moins
avec
avant tout
le
temps.
le
;
de nos grands poètes n'a plus gâté son génie que celui-là.
C'est une disposition
que de
se croire
commune aux
directement
les
poètes romantiques
interprètes de la Divinité et
d'en tirer une conclusion agréable pour leur vanité ou leur
orgueil, à savoir que cet interprète inspiré ne peut se trom-
nous ajoutons que
per. Si
l'esprit critique
de ce siècle est
porté à ne plus juger, à faire taire son goût pour être tout
entier au plaisir de connaître, à considérer avec intérêt et
pour eux-mêmes
les accidents, le caractéristique,
prendrons que l'auteur de
content de repousser
les
la
préface
et les genres, et
règles
cepter que les principes immuables de
critique de juger
de leur organisation personnelle
et
»,
de « regarder
vains.
de n'ac-
demande à
l'art,
la
de se placer au point
le sujet
Admise, cette manière de voir mènerait
au despotisme de
non
écrivains « d'après les lois spéciales
les
de vue de l'auteur,
nous com-
de Cromwell,
avec ses yeux
».
loin et substituerait
l'omnipotence des écri-
la critique étroite
Or-4'écrivain écrit pour être lu
et compris,
de
là
pour ses œuvres une conditition d'existence.
ble
;
que
les
que
d'ajouter
Il est juste
incontestablement
le
goût public, dont relèvent
les écrivains, est
un critérium
fort varia-
contemporains ont souvent de mauvaises habi-
tudes, que la raison universelle est souvent en retard, que
le
temps seul efface
le
choquant des nouveautés
et
prépare
une moyenne de goût plus favorable aux productions qui
ont étonné tout d'abord. Il est donc» parfois fort dur pour
les écrivains
et qui
œuvres
de se soumettre à un goût public gâté, injuste,
ne sera que dans un demi-siècle à
qu'il
juge
;
la
hauteur des
de n'être appréciés que par quelques
esprits élevés qui seuls fondent
le
goût sur
généraux, échappant à l'influence de
théorie de la préface ne
s'arrête
la
les
principes
mode. Aussi
la
pas à moitié chemin, elle
LA PRÉFACE DE CROMWELL.
à l'usage des médiocres, l'apologie
fait,
somme
génie, elle les nie, en
patibles
abrupte,
la
flamme qui
;
du génie
le
;
génie est
ne va pas sans fumée »
«
montagne
la
bouche en
on
prouvant que
lui
« s'effarouche » des hardiesses
cet aigle,
et,
« s'abattre
lui
il
:
pure image
« la médaille qui a son revers ».
est
il
critique n'est pas satisfaite,
comme
du
défauts
chêne au tronc ridé, aux rameaux noueux
le
de versificateur,
si la
des
défaut et génie sont incom-
car ce que le vulgaire appelle défaut devient la
;
condition sine qua non
est la
99
Et
ferme définitivement
son infirmité » qui
c'est «
du génie, faute do pouvoir,
sur les esprits avec une aussi
vaste intelligence ».
La
vérité
La
mots.
que
est
le
poète trompe
lecteur
le
sublimité continue est impossible
avec des
mais
;
mor-
les
ceaux sublimes se détachent sur un fond, et pourquoi ce
fond, qui peut au moins être neutre, serait-il mauvais, pour-
quoi
la
Les
trame
serait-elle affligée de taches et de déchirures ?
esprits
élevés consentiront toujours à « quitter la
critique des défauts pour
beautés »
;
la
grande et féconde critique des
mais à condition que
prétention de
lui faire
prendre
les
les
auteurs n'auront pas
uns pour
les autres.
peut rejeter bien des défauts de Shakspeare sur
ses contemporains,
breux
qu'il
et
ne
de jeune
qu'il
a
pour
cette théorie
donnera
la
facile vanité
le
poète romantique,
d'avouer
grossiers défauts de ses ouvrages
les
Et
corrigera pas.
homme
;
posée. «
l'artiste
Il
ce n'est point
mûr
est resté
vaut mieux,
dit-il,
;
»,
ici
fanfaronnade
fidèle
passer
à cette loi
le
temps à
les
défauts
ce sont les défauts de l'auteur qui ont pro-
si
duit les défauts
du
du
nom-
on ne corrige un ouvrage que dans un autre
ouvrage. » Mais
livre,
il
semble que corriger
livre c'est corriger les défauts
livre,
les «
pour déclarer
dépouiller son esprit de ses défauts qu'à corriger
de ses livres
On
goût de
mais ces défauts existent.
La conclusion de
c'est qu'il se
le
la
en améliorer
la
les
défauts
de l'auteur. Corriger un
composition et l'expression, suppri-
100
mer
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
les fautes d'art
en laissant subsister
nesse, empêcbe-t-il d'ailleurs d'en
les idées
de
la jeu-
un nouveau
faire
?
Et
puis l'ouvrage qui en corrige un autre, est lui-même corrigé
par un autre, et
la
perfection étant
Etrange
livres tous imparfaits.
nous a habitués, car
la
difficile
une
se trouvera avoir produit
atteindre, l'auteur
résultat auquel
ce
à
de
suite
siècle
théorie romantique est devenue celle
de toute une génération.
pour laquelle
une chose
Et quel respect de la postérité
jugement des con-
écrit, puisqu'il récuse le
il
temporains, quel respect de
devant laquelle
la postérité
se présentera volontairement avec tous ses défauts,
il
et qui
à ses éloges joindra l'éternelle restriction d'un blâme sévère.
L'origine de cette erreur est dans la maladie romantique,
que
nous avons décrite
siècle.
l'élite
Dans
démocratie moderne,
la
des gens dégoût,
mais
la
solide,
et le
le
l'engouement d'un
public n'étant plus
foule des médiocres, l'ad-
miration est devenue moins éclairée
souvent acceptés en bloc;
immense des
L'orgueil
ailleurs.
poètes a été d'ailleurs encouragé par
;
beautés et défauts sont
poète,
s'il
n'a pas le goût
prend pour des envieux malveillants ceux qui louent
avec restriction.
Le poète
des Orientales en particulier a toujours affecté
de ne plus tenir compte de ses œuvres publiées et de laisser
à ses amis
le soin
de sa réputation.
A
la fin
de sa vie, à
propos d'une édition ne varietur fort pauvre en variantes,
nous avons vu
l'ouvrage,
le
poète déclarer qu'il ne s'occuperait pas de
comme si
les
plus grands génies n'avaient pas
tenu à faire eux-mêmes cette toilette in extremis de leur
œuvre, à disposer eux-mêmes l'édition testamentaire,
celle
qui doit faire foi pour la postérité.
Les auteurs du xvir5
il
s'agissait
siècle étaient plus
de leurs défauts
:
ils les
craignaient point de revoir et de corriger
pas d'avoir écrit
tel
drame en quinze
modestes quand
reconnaissaient,
;
ils
jours,
point à faire croire que des vers travaillés à
ils
ne
ne se vantaient
ils
la
ne tenaient
lime fussent
LA THEORIE DU GROTESQUE.
au contraire
101
armés du cerveau de Jupiter poète.
sortis tout
Notre admiration pour
le
plus grand des poètes de ce temps
ne doit pas nous empêcher de signaler cette vanité exubé-
Combien
rante.
noble fierté
la
de Corneille est modeste
auprès de l'orgueil emphatique et mystique de Lamartine et
comme
de Hugo, et
auraient eu besoin de l'amitié d'un
ils
Boileau qui eût noté
les vers
durs,
chevilles épiques,
les
strophes redondantes, les traits et les métaphores qui
les
sont sur la limite
qui eût dit
Hugo,
Ce
«
:
des défauts
!
»
du sublime
livre n'ajoutera rien à
Et
puissante
et
condensée,
fait
et repris plus tard, des
que
votre gloire
œuvre magnifique que
quelle
médiocres, des volumes qu'on
au rebut
du grotesque, d'un Boileau
et
celle
débarrassée des
d'un
pièces
de fragments mis d'abord
ouvrages séniles éclos dans
un cerveau usé par soixante ans de production incessante
Mais
à
la postérité fera le triage, et c'est
préparer à nos
!
de
la critique
ce plaisir sans mélange.
fils
III
La
du grotesque
théorie romantique
est fondée
sur
amène à la vérité la poésie
apparemment depuis l'origine sans
christianisme. C'est lui qui «
elle
cherchait
la
trouver.
Le
christianisme, soit, a montré dans
l'homme
le
»
;
la
la
bête et l'ange, la chair et l'âme, la matière et l'esprit. Mais
est-ce pour les glorifier
ler l'une à l'autre,
également?
pour enseigner
mépris de ce monde. Et
veut que
le
drame
Etrange raisonnement
pas
de
le
droit
rectifier
le
;
pourquoi
pour immo-
c'est
néant de
glorifie le grotesque,
bête, la chair, la matière
à côté du bien,
c'est
Non
le
le
la terre et le
christianisme
c'est-à-dire
la
!
!
Parce que Dieu a créé
le
mal
difforme près du gracieux, l'homme n'a
de procéder autrement dans ses
Dieu. Le mal existait aux temps grecs
créations,
;
comment
LK SYSTÈME ROMANTIQUE.
102
les
dramaturges grecs n'ont-ils pas cherché à mêler, eux
que
artistes, et
que
C'est
aussi, lu bête à l'esprit?
l'art choisit
Grecs étaient des
les
en vue de l'impression qu'il
peut produire.
Le christianisme
Rien
comédie.
emporte avec
comme Hercule
lui,
Pygmées cachés dans
sa peau de lion »,
moins vrai qu'Aristophane
cent comédies, que
Aristophane
;
qu'elle s'est
Cratinus,
près de
écrit
se
borne pas
au contraire développée
a duré plus
qu'elle
Eupolis,
comme
eu plus de
poètes que la
longtemps.
Hugo
Ménandre
Diphile, Philémon,
remonte pas jusqu'à Epicharme
je ne
;
littéraire l'eût
l'histoire
;
ignore
garanti contre ces théories démesurées qui sautent
gement par-dessus des
siècles
les
n'en est pas
il
a
existe, qu'il
qu'Homère
emportait
comédie grecque ne
la
qu'elle a peut-être
tragédie,
homériques, Eschyle,
colosses
ajouter agréablement
Sophocle, Euripide, et
à
la
avec assurance qu'Aristophane et Plaute
beau nous dire
la tragédie,
l'art
évidemment. L'auteur a
faux
ne sont rien auprès des
« les
amené dans
aurait par suite
de plus
entiers.
A Rome
si
non
lar-
plus,
Plaute n'est pas seul. Le poète de vingt-cinq ans ignorait
sans doute aussi
le
drame
satirique
où
le
grotesque
se
don-
nait carrière à propos des personnages et des légendes de
la trilogie,
si
bien
qu'il
semble que
les
Grecs, après avoir
pleuré pendant trois tragédies sur leurs héros, aient éprouvé
le
besoin d'en rire avant d'aller souper.
pas mêlé tragédie et drame satirique,
Mais
ils
n'ont
ils
s'en
seraient
gardés.
D'ailleurs l'auteur n'ignore pas tout sur ce sujet,
d'ignorer
;
il
avoue
partie de l'art est
le
grotesque,
modernes,
il
« le
le
grotesque antique, mais,
il
feint
dit-il, cette
encore dans l'enfance, l'épopée étouffe
se dissimule.
Au
contraire, dans les
grotesque a un rôle immense
Et d'abord dans
horrible ou bouffon
la
religion,
:
traditions
le
temps
».
grotesque est partout,
populaires,
êtres
fantas-
J.A
THEORIE DU GROTESQUE.
103
gnomes
et les lutins, le
par l'imagination, les
tiques créés
diable et l'enfer, les tarasques et les gargouilles.
encore on ne peut nier que l'antiquité
Ici
cela
mais l'auteur
;
Lerne
dégage galamment
se
peuple
l'hydre de
Pourquoi? C'est une gargouille
est « banale », dit-il.
inventée par un
eu tout
ait
;
un peu plus esthétique
et plus
éclairé.
Les Cyclopes sont des géants
;
les
gnomes sont des nains
l'auteur en conclut qu'ils sont supérieurs
avaient des nains aussi, et
le
moyen âge
!
Mais
les
;
Grecs
ses géants.
Tout
ce grotesque est de tous les temps, de toutes les civilisations
primitives.
Négligeant ainsi
nous montrer
pour
dans
les
l'antiquité, le poète a
beau jeu
grotesque régnant exclusivement
le
temps modernes.
C'est surtout dans l'architecture gothique qu'il lui sup-
pose un rôle exagéré
sur
les enfers,
;
tympans, peints sur
les
général du grotesque
;
est-ce
pour
Non,
figurent sur les cathédrales?
ment
;
l'enfer est là
les
purgatoires, sculptés
vitraux, ne sont pas en
ce n'est pas l'enfer qui est grotesque,
Et puis
c'est le diable.
les
l'art
que
c'est
les
pour effrayer, non pour
plaire.
Les coutumes bizarres du moyen âge, que
gue, n'ont pas plus de rapport avec
l'art
;
grotesques
pour l'enseigne-
le
poète allè-
prouvent
elles
la
barbarie, tout simplement ;aux temps primitifs, la populace
impose à
ces
la loi
sions étranges
où
« cérémonies singulières,
la religion
les superstitions, le
ces proces-
marche accompagnée de toutes
sublime environné de tous
ques ». D'ailleurs, ajoute
le
poète, « le type
les grotes-
du beau
re-
prendra bientôt son rôle et son droit, qui n'est pas d'exclure
l'autre principe, mais de prévaloir sur lui ».
Cet accord harmonieux du grotesque
Shakspeare qui va
cela
veuille
dire
le réaliser.
tout
et
du beau,
simplement
:
Shakspeare
encore à ses belles conceptions une part de
du moyen âge,
et c'est
pour
c'est
Nous avons bien peur que
la
mêle
grossièreté
satisfaire la foule qui est gros-
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
104
Shakspeare avait eu un public plus élevé,
sière. Si
gardé de grotesque que
pour
la quantité nécessaire
n'eût
il
le
con-
traste qui rend le tragique plus tragique. Toutes ces affir-
mations de
aucun;
Préface sont gigantesques et sans fondement
la
telle celle-ci:
drame du
diose, le
«L'ode
vivrait-elle pas de l'idéal
Et
?
rapprocher davantage de
de
vit
drame
le
résume
contient,
d'idéal et de grandiose ?
et devient visionnaire
;
les
ouvrages modernes.
est
un
lui faut se
là
nous admettons cette
si
suit,
à savoir que
donc
théorie grossit de plus en plus
poète verra
Il
il
l'ode" et l'épopée? Il vit
La
le
ne
elle aussi,
Certes
?
que devient l'affirmation qui
classification,
le
l'épopée du gran-
mais pour s'élever de
la réalité,
au plus haut idéal possible. Et
drame
l'idéal,
Pourquoi l'épopée,
réel ».
le
prouvera que
drame dans tous
le
Paradis perdu
draine, parce que Milton a reconnu le sujet impropre
au drame, que l'œuvre de Dante
Dante
est
un drame parce que
l'appelle Divine Comédie.
Donc
christianisme a créé
le
le
drame parce que
chris-
le
tianisme a montré à l'homme qu'il est à la fois périssable
et
immortel,
tien
Et
;
et boue. Ainsi le
drame devra
même
drame veut précisément supprimer
que l'âme, pour détacher l'homme de la
le
si
voir
âme
poète lui impose toujours la
le
aura pas
le droit. Il
mort
!
et
Allons dîner
:
Autre affirmation
comme
le
dans
l'art
l'art.
triomphe
bouille
ait
;
le côté
le
visage
:
Tout ce qui
de
le
de
est
l'art,
dans
car
la vie qui consiste
là
à
aucune impres-
poète tient à ce qu'Eli-
à ce que César sur son char de
peur de verser
d'encre
man-
juge dira
non prouvée, énorme,
ingénies... «
ou morale. Mais
sabeth jure et parle latin
« le
»
persuadé qu'il ne tirera de
sion esthétique
:
ne
et
terre ? Il n'en
» C'est la négation
néglige précisément
aller dîner,
!
et qui reste là
minœ murorum
la nature est
boue
la
faudra donc montrer les héros
geant et buvant, pour qu'ils soient complets
A la
être chré-
leçon morale.
;
à
d'un
ce
que Cromwell bar-
régicide
«
qui
le
lui
LA THÉORIE DU GROTESQUE.
en riant
rendra
Certes
».
de procéder
poète a raison de dire
et le
une des suprêmes beautés du drame que
« c'est
que
manière
cette
pourra amener des beautés,
105
Mais
».
dégage
la
faut-il toujours
môme
l'homme
adopter cette formule d'où se
philosophie, à savoir la diversité de l'homme
et la dualité de sa
imposer au
:
grotes-
le
nature? Non! mille
drame
âme, ni
qu'il est bête et
On
non
fois
ne peut
morale, ni celle de rappeler à
nulle
de
celle
lui
montrer
qu'il
ne doit être qu'une âme.
du grotesque, exagérée, incohéun drame monstrueux, Cromwell.
est cette théorie
Telle
rente, aboutissant à
La
question se trouve fort embrouillée.
En
réalité, elle se
subdivise en plusieurs questions.
La première est celle-ci Y a-t-il un genre tragique ? Y aun genre comique ? Tous deux doivent-ils et peuvent-ils
:
t-il
ne faire qu'un drame, où tous
aspects de la vie sont
les
rendus? La Préface prononce là-dessus un oui catégorique.
Il est vrai qu'elle
est
démentie par
œuvres de
les
Nous avons déjà admis qu'on ne pouvait
Shakspeare
question est celle-ci
:
peut-elle admettre le caractéristique
Une œuvre
?
car
l'auteur de Cromwell n'est souvent que
Là-dessus, nous
la
fois
Eschyle et Aristophane.
et Molière,
La seconde
l'auteur.
à
être
le
tragique
grotesque de
du caractéristique.
sommes tombé d'accord que
le
défaut du
théâtre classique est de n'avoir pas admis assez de caractéristique.
Le
caractéristique est donc mis hors de cause.
Reste
tesque
le
grotesque
le
;
Et d'abord, mettons
terrible
il
y
a,
drame
doit-il
admettre
le
gro-
?
Ugolin,
:
en
différent
effet,
les
aussi hors de
Sorcières
un grotesque qui
du tragique. Sous
entendre tout détail de
le
la vie
cause
de Macbeth,
nom
le
grotesque
Don Juan
,
n'est pas a priori bien
de grotesque
basse, familière,
propre à la comédie et non à la tragédie.
il
faut
qui paraît
LE SYSTEME ROMANTlQl'E,
106
Ce grotesque peut
comme
;
être.
si
merveilleux
nous
nécessaire,
soit
sont moins nécessaires que les traits
vraisemblance et
la vie
Mais que jet
effets.
nierons absolument,
le
surtout pour les personnages entièrement
la
un délas-
impression du drame
convenu qu'elle le doit
il est
employé dans Alceste avant que Sha-
l'a
kspeare en vînt tirer de
accessoire
1
et
comme
tragique,
Euripide
contrepoids,
un repos
sera
il
sement du tragique, pourvu que
reste
comme
amené
être
caractéristique
le
comiques, qui
comiques ajoutés pour
un caractère tragique. Nul
à
doute qu'on ne puisse animer, passionner un tableau de
vie tragique sans le secours
du comique
le caractéristique, c'est-à-dire
Une
suffit.
tragédie vivante,
le détail
et
la
du grotesque
à la façon de
;
humain,
familier,
Shakspeare,
sans grotesque toutefois, n'est point inconcevable.
Concluons
but de
l'art,
la plus
pièce également tragique et comique
parce qu'elle produirait une impression am-
comique y affaiblirait le sublime. Le
en effet, est, non la peinture exacte de la vie,
parce que
biguë,
mais
une
:
est impossible
le
grande impression
sublime que possible, ou
sible.
le
possible, le
sublime aussi
comique aussi comique que pos-
Le poète pourra au tableau de
la
vie
sublime mêler
quelquesTr^îts_ole_Ji^yieIxeëITèTpuisque c'est par
la
repré-
drame peut produire
son effet, il devra donner l'impression du vraisemblable
à côté de celle du sublime, pourvu que l'une ne nuise pas à
sentation extérieure de la vie que
Ces
l'autre.
traits
le
personnages vulgaires,
de vie réelle,
scènes comiques ou grotesques opposées aux scènes tratraits caractéristiques
giques,
soit vulgaires,
soit grotes-
ques, peuvent apporter la vraisemblance, étant donné que
l'homme
idéal est réel par quelque côté!
ristique,
ce
quantité à
rendre
le
la
comique,
pièce
en très petite
ou aux caractères, devra concourir à
sublime plus frappant en
semblable, dans
Mais ce caracté-
ce grotesque mêlé
la limite
où cela
le
rendant plus vrai-
se peut faire sans
que
le
LE GROTESQUE DANS HEftXANt.
sublime s'abaisse, sans que
la
10?
force de l'impression tragique
diminue, personnages, scènes,
ou mots grotesques
traits
n'étant là que pour « lester » l'idéal.
Comme nous
nani;
remarqué, entre ces théories et
l'avons
drames nul rapport
;
poète revient à
le
la
doctrine de la Préface ne convenait qu'à
la
les
Her-
raison avec
Crom-
well, où. la réaction contre la dignité classique dépassait le
but
;
elle n'est
réellement l'expression théorique du
point
drame romantique.
Une
courte revue des scènes grotesques du drame nous
montrera facilement que
dose.
Dans
le
grotesque est
JJernani, la première
giques de 1830
le
utile,
mais à petite
scène fut pour les tra-
suprême du grotesque
nous trouvons
;
aujourd'hui que don Carlos y est un peu cavalier, que
duègne
une duègne peut-être un peu trop vraie
est
la
nous
;
une complice bien peu honnête
duègne trahit don ïfcuy, elle peut
pensons que dona Sol a
là
mais, après tout, cette
;
Ce personnage, qui ne reparaît plus, ne
peut faire grande tache sur le drame. Quant au comique de
la scène, c'est un comique pour ainsi dire tragique don
Carlos y plaisante comme plaisante un grand seigneur
avec un valet il n'y est point comique, à vrai dire. La scène
des courtisans qui au II e acte accompagnent le roi et « protrahir
dona
Sol.
;
;
fitent
de ses distractions
mais une
satire
sont un peu forcées,
théâtrale
;
les
avec naturel,
et s'ils
?
invités
tement par une
de sa
de Juliette,
pas une scène comique,
est vrai
que
les
couleurs en
en tenant compte de l'optique
s'égayent dans un bal de noces,
Non
;
sont
drame qui s'épanouit en
sières
il
mêmes courtisans au bal du V e acte causent
comme le ferait le chœur antique, des événe-
peut-on y redire
des
;
même
ments survenus,
licieuses
», n'est
méprisante
ces gaîtés plus
bonheur pour
catastrophe.
nourrice
les allusions
dans
utiles
n'otent
Si
les
rien
à
ou moins mace
ve
acte
du
clore
subi-
plaisanteries
gros-
la
se
pureté tragique
un peu gaies de don Francisco ne
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
108
diminueront pas dona Sol. Ces gens-là sont des comparses,
destinés h. faire effet de vraisemblance et de contraste,
à nous informer
de ce que nous ignorons
besoin de se guinder,
office sans avoir
En somme,
classiques.
de ce fameux grotesque
de personnage comique
;
confidents
les
poète n'a gaère mis dans Hernani
le
:
font leur
ils
:
comme
aucun personnage n'y joue le rôle
un ou deux traits épars, et c'est
tout.
Marion de Lorme
est celui des
de personnages et de
traits
on y sent mieux
;
fut
y a
le
plus
composé avant
voisinage de
le
il
ce qui s'expliquo
Lorme
peut-être par ceci que Marion de
Hernani
drames où
comiques,
Cromwell
et
des théories du grotesque. Mais Saverny est un personnage
comique sans être un personnage de comédie
seigneur
jeune
repoussoir pour Didier,
profond
et
au
;
comme on
gai, jovial,
élégant,
er
1
acte,
la fait à...
le
il
léger,
héros sévère,
fait la
triste,
en action
Le
e
côté
le
;
c'est
un
taciturne
cour à Marion de Lorme,
Marion, tandis que
le
sombre Didier,
comme on
qui blesse en aimant, adore la courtisane
une vierge
;
merveilleux
adore
peut-on mieux montrer que par ce contraste
changement qui
comique du
rôle de
s'est fait
en Marion de Lorme?
Saverny s'accuse davantage au
Pour échapper à la mort, il a fait le mort, et dès
lors il joue un rôle burlesque, mais ce n'est qu'épisodiquement du moment où Didier, poursuivi comme duelliste, est
poursuivi aussi comme homme du peuple assassin d'un marle burlesque officier du
quis, Saverny reprend son vrai rôle
régiment d'Anjou redevient le gai, mais élégant, généreux
ar
acte. Ainsi, un
et héroïque marquis qu'il se montre au
personnage tragique a pris, pour une raison tragique, un
III
acte.
:
;
i
masque grotesque
sa
:
admirez comment
propre théorie, tellement
d'ailleurs
que
la crainte d'être
infamante, n'est peut-être
le
poète
ruse avec
On peut dire
condamné, même à une mort
il
s'en défie.
pas suffisante
que Saverny consente, malgré
les
pour expliquer
prières de ses amis, à
*-
LE GROTESQUE DANS MARION DK LORME.
gratuitement son oncle dont
affliger
désespoir
qui
Dans
le
ce Saverny vivant, plaignant son pauvre oncle
;
pleure mort, c'est du
le
endurer
lui faut
il
109
môme
ce
drame de
qualité inférieure.
drame, quelques épisodes comiques ont
marche de
trop de longueur et alourdissent la
l'action
:
ce
sont l'arrivée des comédiens et leur comparution devant
Laffemas
ces traits comiques ont
;
plupart pour but de
la
ridiculiser par ricochet l'odieux lieutenant criminel, et sont
ainsi justifiés
;
mais
poète s'y arrête trop.
le
Enfin nous trouvons encore dans Marion de Lorme un
personnage de bouffon. Si
sa justification,
quand
le
le
grotesque porte en lui-même
que
alors,
le roi,
que
le
se
le rire
de cour,
grotesque corrige
sophie supérieure de
l'art,
le
tragique
;
montre avec raison à côté des
larmes, qu'on peut invoquer pour
les
ces fous
poète n'en abuse pas. Alors, oui, l'on peut dire que
bouffon corrige
c'est
le
évidemment dans
c'est
les
rappeler
rapprocher une philo-
le
difforme sculpté sur
cathédrales gothiques, se réclamer
du peintre qui mêle
aux pompes royales, au triomphe de la beauté une hideuse
figure de nain, du christianisme qui mêle sans cesse à l'idée
de la grandeur de l'homme, l'idée de sa misère, du paganisme qui
fait injurier le
triomphateur par ses soldats, du
moyen âge qui fait bafouer les grands et le roi lui-même par
un bouffon. Dans Marion de Lorme, Hugo a fait avec
l'Angely une scène parfaite (iv 8), où il éclaire à l'aide du
,
bouffon
si
les
profondeurs mélancoliques de ce caractère royal
complexe.
Mais ce personnage du bouffon de cour,
et le grandir
et
démesurément pour en
faire
il
va
le
reprendre,
un héros étrange
gigantesque de tragédie. Nous n'avons pas
ici
à faire
l'analyse du caractère de Triboulet, mais à distinguer seu-
lement
le
rôle
du grotesque dans
quantité de grotesque
ne
le
y
a
t-il
le caractère.
Or
quelle
dans Triboulet? Moins qu'on
penserait à première vue, moins peut-être que ne
pensait
le
le
poète. Triboulet n'a de grotesque que l'apparence
LE SYSTEME ROMANTIQUE.
110
physique et
la situation sociale qu'elle
aux situations comiques où
comiques
c'est
qu'il
il
lui a
faite.
peut avoir, tout cela est son rôle de fou,
un masque sur
vrai
le
Triboulet
;
en
réalité, c'est
un grotesque peu comique qu'un personnage forcé
grotesque
provoquant au
la pitié.
cette
sur
l'effet
;
que
poète a pu avoir tort d'accoupler
le
apparence physique et cette situation sociale
une passion tragique. Toute
fallait-il
le
les
question est
là.
avec
Mais ne
face d'un roi, montrer
le roi petit
corrompu?
et
Il
morale qui prétend nous montrer dans
aussi la thèse
parias et les
la
un bouffon en
pas placer
bouffon grave et terrible,
y a
d'être
spectateur est une réflexion triste
le
du personnage un sentiment tragique,
profit
reste
Il
Quant
aux mots
peut se trouver,
monde
de ce
grotesques
des amours et
des douleurs dignes de la tragédie. Mais là encore le gro-
tesque ne dépasse-t-il pas
l'homme du peuple
du
et
roi aurait séduit la fille et
le
roi,
but? Pourquoi l'antithèse de
un homme du peuple dont
à la passion révolutionnaire, et pourquoi,
ici
cherchant
des douleurs dignes de la tragédie,
le
pas aux humbles, aux
aux opprimés, au
méprisés,
d'aller jusqu'aux bossus et
poète ne
s'arrête-t-il
lieu
aux nains?
L'exagération est sensible. Les cas d'exception, voilà
défaut fréquent dans
combien
le
le
ception,
et
il
faiblesses de l'art
;
et ce
le
qui montre
que ce génie a
dans un cas d'ex-
mettra une quantité inattendue de vérité générale
humaine. Triboulet
s'est
théâtre d'Hugo,
génie en lui était grand, c'est
beaucoup suppléé aux
le
qui se vengerait, ne suffit-elle pas
trompé en
le
est peut-être invraisemblable
concevant
;
le
génie
l'a
;
néanmoins
l'art
fait
vivant, quoique d'une vie étrange.
Ajoutons que dans l'exécution du
s'étale parfois inutilement. Ainsi
détail,
le
grotesque
quand, pour accentuer
la
leçon morale, l'auteur nous montre Triboulet aidant lui-
même
à
enlever sa
deau sur
les
yeux.
fille,
sans voir qu'on lui a mis un ban-
LE GROTESQUE DANS RUY BLAS.
111
les drames d'Hugo qui s'approchent le
du mélodrame sont ceux qui contiennent le moins de
grotesque. Il n'y en a point ou presque point dans Angelo,
Chose bizarre,
plus
Marie Tudor.
Dans Ruy Blas, don Guritan, personnage grotesque,
tout son rôle est froid.
est peu nécessaire au drame
;
Si
don César
qu'il est, et
se contentait
que
d'être
poète eût
le
fait
personnage comique
le
de
un usage tragique,
lui
on pourrait admettre dans une tragédie ce type fort curieux
du bandit grand seigneur de
Malheureusement
il
joue dans
complication étrange
la
pièce un rôle bizarre, d'une
remplit
il
;
Hernani burlesque.
race, cet
le
acte qui est dans sa
IV
première partie une farce truculente, et dans
imbroglio italien, comique dans
dramatique,
proquos.
si
aux
l'on pense
On peut
accepter
le
trueuse de don Salluste
utile
à
la
machination mons-
cour un parent disparu depuis longtemps,
que nous n'avons pas à apprécier
mélodrame),
il
;
ici
ressuscite à la
et,
(voir
dans un but
du
chapitre
le
du vrai parent qui ne veut point
donne les noms et titres à un va-
se débarrasse
servir son plan, et dont
let
seconde un
résultats terribles de ces qui-
un grand seigneur
;
la
apparents, mélo-
personnage au début du drame,
comme
on peut l'accepter
ses effets
il
tout cela est compatible avec une tragédie, mais
les
choses vont s'embrouiller singulièrement. Remarquons que
le vrai
don César
est
vengeance de Salluste
prouver à
désormais un personnage inutile à la
pour
; le drame peut finir sans lui, et
Ruy
que
la reine
luste ne se sert pas
en
ce don César qui revient
quer
la
reine qu'elle ne doit pas
par cela seul que
?
;
:
Ruy
précaution que
sont pris dans les
Blas est son valet, don Saldu vrai César à quoi bon alors
il fait manà bien peu de chose
effet
filets
Blas avait prise d'écrire à
venir.
Mais
Ruy
Blas
et
la
la
reine
de Salluste, et n'en sortiront pas,
est le valet de Salluste, et que
Ruy Blas
Salluste peut le dire. Si le poète veut sauver la reine, ilfaut
faire tuer Salluste
par
Ruy
Blas, qui se tuera ensuite
;
s'il
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
112
veut sauver
avant
deux amants, Ruy Blas tuera don Sallnste
les
la situation
:
il
régler ce compte avec sa
quitte à
qu'il n'ait parlé,
conscience ensuite.
Au commencement du
est clair
que
Ruy
Blas
don
V e acte n'aura pas changé,
comme on
drame
le iv
9
et,
un
acte est
tiroir
subsiste tel qu'il était.
Salluste.
;
sauver la
n'a qu'à
reine en se sacrifiant, en tuant
marquer,
e
IV acte, telle est
La
l'a
situation au
déjà
fait re-
on peut l'enlever,
Or un
le
acte tout entier en
hors-d'œuvre, c'est trop. Encore pourrait-on faire grâce
burlesque du rôle de César qui est de pur orne-
à la partie
ment, en faveur du comique qui s'y montre
;
mais dès que
César devient un ressort mélodramatique, dès qu'il sert à
le factice saute aux yeux
et le percondamné non comme grotesque, mais comme
ressort de mélodrame indigne de la tragédie sérieuse.
Par ce court examen on a vu que l'auteur de la Préface
deCromwell a singulièrement restreint le rôle du grotesque
qui « se contente d'un coin du tableau ». En général, le
grotesque épargne les personnages principaux. Ni Her-
embrouiller l'intrigue,
sonnage
;
est
nani, ni Carlos, ni dona Sol,
dier, ni
ni
Marion Delorme,
ne sont grotesques
même
par
le
plus petit côté
que n'atteint que des personnages
peu
près,
L'emploi
comme dans
qu'il
secondaires
ni "Di-
Ruy
Angelo, ni Tisbe, ni Lucrèce Borgia, ni
;
le
il
;
Blas,
grotessert à
Shakspeare, de contraste ou de repos.
du grotesque
a fait
défauts réels du drame romantique
;
n'est point
un des
Terreur de Le Roi
muse, nous l'avons vu, est plus imputable à
la
s'a-
passion ré-
du grotesque.
Nous avons précisément fait cette constatation afin de ramener les théories à leur juste valeur, ainsi que le drame de
volutionnaire qu'à la théorie
Cromwell
;
il
suffit
de
les
plus brillante que juste.
analyser
comme une
variation,
113
IV
Quoiqu'il s'en défende,
Hugo
a fait dans Cromwell « de
poésie d'après une poétique »,
la
comme ceux
des ouvrages dans leur système »
artificielle » qui « n'existe
il
;
pas pour
c<
qui
font
a composé « l'œuvre
l'art »,
c<
une théorie
et
non une poésie. »
La
du
première
conception
sujet, c'étaient
La
défectueuse.
est
les révolutions,
les rois
poésie
descendus de
leur piédestal, dépouillés de leur caractère sacré, traînés à
l'échafaud, et en face d'eux le politique profond et impi-
toyable, l'hypocrite raffiné de Bossuet
faire
un Cromwell en
vie
à côté de ce drame, quel qu'il
;
le
c'est
:
une erreur de
prenant à une autre époque de sa
soit, se
dressera toujours
l'image grandiose du drame qu'il fallait faire. Cromwell
Cromwell rêvant le trône est
renversant las rois est grand
;
vulgaire
le
l'auteur
;
vulgaire
âme,
il
le
fait l'étude
non l'étude
et
titesse.
;
met
grand à l'arrière-plan
et
prend
d'une petitesse dans une grande
d'une grande
Dès lors quelque génie
manqué.
âme
qu'il déploie,
qui a une pe-
son drame sera
froid et
Cela donné,
préoccupation qui
la
de faire un portrait qu'un drame
est de
il
;
le
domine
mêler au tragique beaucoup de comédie
;
de mêler
à la psychologie beaucoup d'histoire et d'érudition.
ment ne pas
faire
est tenu,
comme
sion (!)
il
;
une œuvre confuse
tout ce qui est art,
ne peut, pas plus que
mille faces d'un être
d'un côté
et
que
humain
le reste soit
Ce qui manque à Cromwell,
(1)
Ce sont
les propres
LE DBAMK ROMANT.
;
il
dans
c'est
L'art
?
à
Com-
dramatique
l'unité
la peinture,
doit
plus
est
en a une autre qui
d'impres-
montrer
les
éclairer son portrait
la
demi-teinte et l'ombre.
c<
l'unité d'impression ».
termes de la Préface.
8
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
114
L'auteur
perdu dans cette complication de
s'est
embrouille
veut peindre,
à plaisir. Il
hétérogène, multiple, composî de tous
Dandin
traits
dit-il, « l'être
qu'il
complexe,
les contraires »,
un
Cromwell tyran de l'Europe,
Cromwell jouet de sa famille, Cromwell régicide, CromCromwell austère et
well père d'une jeune fille royaliste
Cromwell entretenant quatre
sombre dans ses mœurs
un
« Tibère » et
«
»,
;
;
Cromwell mauvais poète. Il ne sera pas conne nous montre encore un Cromwell sobre et frugal,
fous de cour
tent
s'il
;
même temps
en
qu'un Cromwell guindé sur l'étiquette, un
Cromwell grossier soldat
et politique
orateur lourd, diffus, obscur,
Cromwell
un
était
et les proscrivant
défiant à l'excès,
;
Il
nous apprendra
visionnaire «
dominé par
aux astrologues
toujours menaçant, rare-
croyant
de son enfance,
fantômes
un Cromwell
et un
de tous ceux qu'il
— donc excellent orateur.
Cromwell
encore que
des
parler le langage
habile à
voulait séduire,
délié,
— donc mauvais orateur,
ment sanguinaire rigide observateur des prescriptions puritaines, perdant gravement plusieurs heures par jour à des
;
bouffonneries... trompant ses remords avec des subtilités,
rusant avec
conscience
sa
pièges, en ressources
intelligence
Il
y
;
en adresse,
intarissable
;
en
maîtrisant son imagination par son
;
grotesque et sublime. »
a la tant de traits qu'il n'y a plus de figure.
Même
chacun de ces
nous montre
le
traits est
soldat bourru,
est trop hypocrite
trop raisonneur.
trop accusé.
fécond,
l'orateur est trop
;
On
ne peut pousser à
défauts ou toutes les qualités à l'extrême
balance
cela.
Pour une bougie
qu'il
souffle,
le voilà
poète
le
casuiste
la fois
tous les
il
;
aucun équilibre dans
Or,
Si le
bourru, l'hypocrite
est trop
il
faut que ceci
ce
Cromwell.
grotesquement sen-
tencieux.
Par
la
de
prétention
faire
l'étude
époque, l'auteur se condamnait, une
un mauvais drame
;
«
fois
historique
d'une
de plus, à faire
fureter les chroniques, fouiller au
—
CROMWELL.
115
e
hasard
ne
LA MATIÈRE DU DRAME.
mémoires anglais du XVII siècle»... Corneille
ni ne furète. Le drame ne dure que vingt-quatre
les
fouille
heures
;
Hugo
s'en vante dans
Or, dans ces
préface.
sa
vingt-quatre heures, voyez ce qu'il veut faire tenir
a
« Il
:
cédé au désir de peindre tous ces fanatismes, toutes ces
superstitions, maladies des religions à certaines époques
hommes, comme
l'envie de jouer de tous ces
dit
à
;
Hamlet
;
d'étàger au-dessous et autour de Cromwell, centre et pivot
de cette cour, de ce peuple, de ce monde,
double
et cette
conspiration, tramée par deux factions qui s'abhorrent, se
l'homme qui
liguent pour jeter bas
sans se mêler
;
les
gêne, mais s'unissent
sombre,
et ce parti puritain, fanatique, divers,
peu
désintéressé... et ce parti des cavaliers, étourdi, joyeux,
scrupuleux, insouciant,
humbles devant
soldat de fortune
dédaigneux oubli de
que
le
et
cette
famille dont
Cromwell
rabbin
et
le
dévoué... et ces
et
;
juif,
astrologue,
sième
;
l'histoire permettait
chaque membre
vil
de deux côtés,
naïf,
de gagner
pourvu
la partie,
;
de
et ce
usurier
espion,
sublime par
vage Carr, dont
jouant sa tête
troi-
le
l'histoire
tout ordre et de tout genre
ne dessine qu'un
:
assassin
Ludlow
;
Syndercomb, tueur
larmoyant
et
dévot;
qui alla plus tard laisser sa
épitaphe à Lausanne
;
enfin
qui avaient de l'esprit »,
mais
trait,
et les fanatiques de
un peu déclamateur
colonel Overton, lettré
ce sau-
Harisson, fanatique pillard
Barberone, marchand fanatique
Garland,
;
peu
et se souciant
qu'elle l'amuse... et
bien caractéristique et bien fécond
Et
plaie
élégant et crapuleux, mauvais poète et bon gen-
tilhomme, vicieux et
rigide
une
et ce Rochester, ce bizarre Rochester, ridicule et
spirituel,
gustin
est
d'imaginer
du Protecteur,
Ben-Manassé,
Israël
si
et les quatre bouffons
;
ce Thurloë, l'Achates
cet
ambassadeurs,
«
comme
;
le
;
;
Au-
brave
l'austère
et
cendre et son
Milton et quelques autres
dit
un pamphlet de 1675. »
tous ces personnages, en effet,
chacun avec son caractère propre
;
sont dans le
drame,
sans compter les autres
LE SYSTEME ROMANTIQUE.
llfi
personnages accessoires
:
un panorama historique
ayant un nom, leurs suites,
teurs,
crieurs,
les
gentilshommes, ou-
valets de ville, seigneurs et
vriers et soldats, le Parlement, etc..
L'auteur a pris
que du spectacle
où
ils
le
:
61 ac-
;
pages, huissiers,
toute
l'Angleterre.
vaste pour le grand. Souvent
il
n'y a
tous les ministres figurent dans une scène
ne prononcent pas un mot.
Quatre fous apparaissent de temps en temps et chaque
fois
chantent chacun deux chansons où
d'oeuvre
le
moyen âge
Odes
recueil des
peu
l'effet
par leurs
y a des châte-
il
des sylphes et des gnomes,
laines et des abbesses,
hors-
qui seraient bien mieux placés dans
Ces fous produisent
et Ballades.
fort
qu'en attendait l'auteur, celui de faire contraste
folies
avec
sublime tragique.
le
Les personnages tiennent à chaque instant un langage
biblique incompréhensible
;
si
quelques énigmes de ce genre
étaient indispensables pour la couleur locale,
suffisait,
deux au
plus.
De même
La scène des ambassa-
qui reviennent à chaque entrevue.
deurs est trop longue
ment Comwell
;
traitait
d'une seule réception
celleries de l'Europe,
;
l'histoire qu'il
mais nous voyons
faire
défiler les
chan-
nous assistons à un chapitre d'histoire
:
Des rapports de Cromwell avec
L'auteur se croit
met dans
discours qu'il ne
pour nous montrer com-
envoyés des nations étrangères,
les
mis en action, et intitulé
les puissances.
suffisait
il
un exemple
de dogmes
les discussions
la
bien obligé
si
bouche de
à
suivre
ses personnages des
comprend pas lui-même
et
;
pour nous
toucher du doigt ce Cromwell « orateur, lourd, diffus,
obscur »,
il
lui fait
en
effet tenir
une harangue lourde,
diffuse et obscure, laquelle, par surcroît d'exactitude, dure
non point, à
la vérité, trois
heures,
comme
chronique trop exigeante, mais pour
le
le
demandait
la
moins une bonne
heure.
A l'imitation
faire entrer
de Shakspeare,
dans son drame
le
poète français a voulu
la foule,
avec ses mille voix.
CROMWELL.
—
LES RÔL'
L'essai tenté est malheureux.
DE FEMME.
S
Peu importent, non pas seu-
lement à des spectateurs, mais à des lecteurs,
du peuple qui attend
causeries
il
;
l'a
les cris et les
n'est pas nécessaire
nous sachions que tel ckoyen étouffe, que
avec son voisin qui
117
que
autre se
tel
bat
poussé, que nous connaissions l'effet
produit sur la populace par les colonels
qui passent au
femme du Protecteur que tel juge épaisse,
bonne femme nous dirons à l'auteur, qui nous
galop, ou par la
tel
autre
;
cache trop longtemps
le
vrai
drame, ce que
bourgeois au soldat qui contient
dit
un bon
des spectateurs
la haie
:
Laissez- moi voir un peu, seigneur pertuisanier.
Tout
il
les
cela,
n'est pas
jours de grande fête, se trouve dans la rue
;
besoin de dépenser tant
de talent à nous
Notez que « ces voix de
la foule » ont toute
dire en vers.
le
une scène, plus de quatre pages.
Il
n'y a pas de femmes dans ce drame,
ou
celles
qui
passent devant nos yeux ne laissent point de trace dans notre
esprit.
La femme du Protecteur
est
qui ne peut se faire aux grandeurs
assez comique, ni assez tragique
non un
;
une bonne bourgeoise
:
c'est
caractère terne,
portrait. Prusias, dans Corneille, est vulgaire, ce
qui est encore une physionomie, à tout prendre
Bourcier est insignifiante
dans
Il existe peut-être,
Cromwell
;
vaut point
la
la fille
de
la sottise,
ne
peine d'être reproduit. Elle ignore que son
la
dramatique qui était
Une
Rochester,
aussi, arrive
Elisabeth
vie réelle, des jeunes filles
que lady Francis,
mais ce caractère, qui confine à
père est un régicide
détrompée.
;
et nulle.
aussi candides et aussi naïves
et
ni
une photographie,
;
mais nous n'avons point
là
en germe
:
la situation
lady Francis n'est point
scène, assez amusante d'ailleurs, entre elle
fait ressortir
une niaiserie virginale,
qui, elle
au grotesque.
Presque tous
les
autres personnages sont tragiques et
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
118
même
grotesques par doses égales, de
qu'en général une
scène comique alterne avec une scène tragique.
Beaucoup sont plutôt grotesques. Rochester
est trop
burlesque, la fureur de Carr est trop burlesque
des caricatures.
semble que
Il
ainsi
:
poète se soit
une scène où Cromwell, pensif
guant, exprime ses remords,
un devoir
et
monolo-
manque absolument
son effet
Cromwell pour un
parce que Rocbester
est là qui, prenant
ro)^aliste^ interprète
grotesquement toutes
le
toujours
;
fait
exclusivement tragique, préoccupation
de ne jamais être
exagérée
le
ses paroles. Là,
grotesque, non content de prendre une place, ne laisse
plus
même au
lui,
le
suit
Cromwell
est aussi
tragique son domaine propre
partout pour
croit son
fils
s'attache à
il
;
La
neutraliser.
le
scène où
parricide, puis reconnaît son erreur,
rendue grotesque par
Ro-
bouffonneries de
les
chester.
Le drame s'interrompt à chaque
à
une étude de mœurs
place ».
Dans
une foule de
la
même
;
de l'anecdote pure.
de Milton se vantant de ses vers latins
sur
est de
Parlement
le
;
pein-
la
en
11
Cromwell des textes de
comme pour montrer, toujours
sanction
puérilement choisis,
d'une manière anecdotique,
Tout
a piétine
il
ne servent ni à l'action, ni à
c'est
vient proposer à la
lois
;
instant pour faire place
n'avance pas,
scène où Cromwell ouvre son courrier,
détails
ture de Cromwell
il
les
se passe sur le théâtre
de
mœurs du temps.
;
l'auteur donnera ainsi des
proportions énormes au moindre incident par
la
pompe
théâ-
trale déployée.
Pour nous montrer
ces discussions bibliques
qu'aimaient
Anglais du temps,
il
tions,
les
et cela plusieurs fois.
ractère de Cromwell,
de tous
En
les
il
introduit des députa-
Pour indiquer un
montre par
le
trait
menu une
du
ca-
réception
ambassadeurs.
dehors des imperfections qui tiennent à une mise en
œuvre désordonnée des théories de
normesqui tiennent aux défauts du
la préface,
il
y en a
d'é-
poète. Ainsi son intrigue
—
CHOMWELL.
LINTRIGl'K.
119
du pur mélodrame et contient de quoi défrayer plusieurs
drames du boulevard. L'amour du grotesque le pousse à
est
utiliser toutes les ficelles
du drame, de
comédie pêle-
la
mêle, substitutions, erreurs, quiproquos,
narcotiques.
Il
donner une idée de cette intrigue ourdie
faut pourtant
pour un drame sérieux.
Des conspirateurs royalistes ont juré de s'emparer de
le
tuer. L'ordre du roi, porté par l'un
Cromwell sans
dans son chapeau, est que Rochester s'introduise
d'eux
chez
au
Cromwell, l'endorme,
roi.
un
Voilà
cliester so
roi
le
présenter à Cromwell
fait
prendre et l'amène
fasse
en humeur
de
mélodrame.
Ro-
comme un nouveau
chapelain. Or, ce Rochester est un fou qui s'amuse à cour-
voyez
le rôle
tragique
le
le
:
Comwell
de
tiser la fille
grotesque de
pieds de sa
et fait
mille excentricités
;
vous
du grotesque balançant exactement le rôle du
conjuré chargé de l'exécution du complot est
la
fille,
Cromwell aux
pièce. Il est surpris par
et s'en tire
en épousant une
vieille
duè-
gne. Cependant une lettre avertit Cromwell d'un complot
tramé, avec quelques détails, mais insuffisants
mais non
instruit.
il
;
est
Remarquez que nous sommes
prévenu,
au mi-
ici
du deuxième acte, les deux premiers actes comptant
160 pages, quatre fois autant que deux actes ordinaires. Mais
lieu
nous avons déjà
fait
connaissance avec toute l'Angleterre,
toutes ses sectes religieuses, tous ses partis politiques, ses
corp3 constitués, et nous savons exactement
les
relations
politiques de l'Angleterre avec toute l'Europe.
Donc au moment où Cromwell
est averti
de
la
conjura-
on doit proposer au Parlement un décret qui rétablit la
royauté en sa faveur. Cromwell est bientôt plus instruit un
tion,
;
sectaire qui le
nonce
les
conjurés, sauf ceux de sa secte, et
prend que son
il
hait, mais veut sauver l'Angleterre,
fils
conspire
n'a en réalité rien
fait
;
ce
fils
n'est
lui
un Juif
lui
ap-
qu'un débauché,
que boire joyeusement avec
conjurés, ses amis de débauche.
dé-
et
les
Cromwell délibère en son
120
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
conseil privé
prendra
s'il
la
couronne, et ne résout rien.
Cependant ce fou deRochester, qui a trouvé moven d'obtenir
une entrevue avec Francis, la fille de Cromwell, lui donne,
au
d'un quatrain,
lieu
pour
endormi. Ressort dramatique
entré en possession de
conjuration
quand
;
le
cette lettre, tient les
le
examinera, car
qu'il
préoccupations à
lui qui reçoit les
la fois.
le
le
il
se
de roi
déguise en soldat
conjurés et les laisse passer
se réveille
Parlement en
titre
;
portant Rochester endormi, et cro}'ant tenir
Rochester
la
apporte
;
il
ne veut pas avoir trop de
il
Puis
de
fils
lui
force à boire lui-même,
Cromwell
offrir à
Cromwell
Cromwell,
faux chapelain Rochester
Rochester qui s'endort. Cependant
grande pompe vient
répond
livrera
il
douteux.
assez
un breuvage préparé, Cromwell
et c'est
aux conjurés
la lettre qu'il écrivait
convoquer au rendez-vous où
les
ils
le
c'est
;
reviennent
Protecteur.
avec mille bouffonneries, Cromwell
se
démasque et les fait arrêter. Cependant la grande salle de
Westminster se prépare pour le sacre. Cromwell a accepté la
couronne, et
moment où
les
la
il
républicains s'apprêtent aie poignarder au
prendra
gnant pour son mémoire
le
;
mais
le tapissier
Barebone, crai-
et ne voulant pas voir tacher de
sang
velours du trône, louépar lui pour la cérémonie, les dénonce.
Le peuple
est hostile à l'usurpation de
tecteur entre
au
et,
on
;
harangue
le
moment de prendre
la
;
il
met
couronne,
seulement l'hérédité du Protectorat
complot
et
le
déjoue ainsi.
Cromwell. Le Pro-
la robe, ceint
Il
;
il
la refuse,
a été prévenu du
Le peuple enthousiaste applaudit. Et Cromwell
murmure Quand donc serai-je roi ?
dé-
:
En somme,
à part
les
épisodes plus ou moins burlesques,
l'intrigue se réduit à ceci,
ter,
epée,
arrête les conjurés, leur fait
grâce.
solé
1
acceptant
Cromwell déjoue
well est
empêché de
républicaine. Voilà
la
que par l'étourderie de Roches-
conjuration royaliste
;
mais Crom-
une autre conjuration
mince dessin de la pièce le reste du
se faire roi par
le
canevas est rempli par des tableaux de mœurs.
;
—
CROMWELL.
LA CRISE.
drame
Sil'intrigue est mince, peut-être le
est-il riche
en
en psychologie? Pas davantage. L'auteur en con-
situations,
cevant une crise appelle
classique, et sur ce point
spectacle, de décor, de
la
121
comparaison avec
la
tragédie
a tout le désavantage.
Trop de
la
il
mouvement,
d'accessoires multiples
;
trop grande foule des comparses nuit au drame psycho-
logique.
La
crise classique était
duraient deux heures
;
renfermée en cinq actes
renfermée en cinq actes, dont
jour
vingt-quatre heures
;
deux
représentation dure un
la
morales étaient condensées en
réelles par le théâtre classique
dureni au moins douze heures chez
en sorte que
le
le
temps
réel doit
réel et le
Cromivell
temps mis à
;
est nuisible à
il
temps idéal
de chose
la
produire et de
l'effet
confondent
la refuser
même,
;
il
à cause
le
la
du
réduit à peu
se fait
et n'ose l'accepter d'abord, puis
parce qu'il soulèverait
théâtral
un temps
des hors-d'œu-
elle se
roi,
;
idéal. Ainsi
la multiplicité
Croimvell voudrait être
:
couronne,
tout
se
bien plus lâche,
paraît
vre qui la coupent. Cette crise
la
poète romantique
le
condenser beaucoup plus de temps
dans
crise
vingt-quatre heures
;
spectateur ne peut croire que l'action qu'il a
vue n'a duré qu'un jour
que
qui
de l'auteur romantique est
la crise
est
peuple contre
proposer
forcé de
lui.
Voilà
en réalité, nul combat intérieur, à part quelques
;
vagues remords d'avoir poussé à
veut régner,
c'est
la
mort du
une ambition vulgaire,
moment
roi.
il
Cromvvell
paraît un
sur lui-même
il lui échappe
s'en rendre compte
un mot de pitié, mais il n'en continue pas moins à vouloir
être roi. Ce n'est pas là un caractère digne de la tragédie
il est
trop vulgaire, en somme.
S'il y a à peine crise morale, il n'y a point non plus
;
;
concentration suffisante,
la
préface.
tout
un
dans
le
Dans
la
malgré
formule excellente de
la
crise morale,
caractère, toute une vie.
les
classiques
Néron
résument
tout entier est
personnage de Racine, toute sa vie dans
les
vingt-
LE SYSTÈME R0JÎANTÎ<3ÛÊ\
122
quatre heures où nous
même
pour Oromwell,
moment de
celui, quoi
fruit
agir.
la
qu'en dise l'auteur, où
il
de son régicide, mais celui où
et arrive
au pouvoir.
n'en est pas de
choisi
Oromwell
de
vie
Il
moment
cause du
à
dans
crise
voyons
le
le
;
point
n'est
cherche à recueillir
il
commet
le
le
régicide
y a pourtant dans Cromwell une
un joli tableau
Il
excellente étude des contradictions humaines,
de
la vie politique, des tracas,
des hypocrisies, du jeu double,
même un
des mille habiletés d'un démagogue, mais pas
démagogue
caractère de
;
autant de petitesses que
juste
de grandeurs ne forment pas
un caractère tragique.
Cromwell d'après
Si nous jugeons
critérium du juste
le
milieu que nous avons trouvé plus haut en définissant ainsi
le
drame tragique
idéal
— des passions
:
avant
personnages qui auront un caractère poétique
tiques qui les
donnera quelques
on
quels cependant
planches
les
;
juste
des
aux-
traits
rendent vraisemblables et
extérieurement sur
tout,
et idéal,
caractéris-
les fassent vivre
ce
qu'il faut
de
mœurs, de personnages épisodiques et de décor, etc., pour que le drame paraisse vraisemblablement se passer dans un milieu réel
si donc
vie réelle,
de
d'histoire,
;
—
nous examinons Cromivell à ce point de vue, nous
rons un drame où
le
personnages épisodiques,
un caractère,
le défini-
milieu, les détails caractéristiques, les
la
peinture des mœurs, et dans
les traits réels, le
côté anecdotique, ont tout
envahi, un drame, en un mot, où l'accessoire a remplacé
le principal,
où
a tué l'action.
pour
devait
voir,
mœurs
anglaises, mais
la
a chassé
le réel
Dans un drame
la
le
où l'épisode
poétique,
sur Cromwell, certes,
seulement ce
qu'il
en faut pour
vraisemblance, pour qu'il ne fût pas dit que
est peint
çais.
comme
Mieux
Cromwell où
Londres
Paris et que ces Anglais sont des Fran-
vaudrait,
les
on
vraisemblance, l'Angleterre et les
à
défaut
de
juste
milieu,
héros fussent des Français du xix°
un
siècle,
mais avec une forte étude des passions, avec un beau ca-
—
CROMWELL.
ractère de
ivell
démagogue, de profond
arrêtant l'essor
empêchant
la
du
Plus tard, son génie formé,
qu'un
Crom-
mœurs réellement
poète,
concentration de
123
politique,
avec des personnages et des
toriques,
et
RKSUMÉ\
his-
rabaissant au réel,
le
la vie
morale.
poète sera moins intempé-
le
rant. Il saura peindre l'époque dansses traits caractéristiques
sans compiler chroniques et mémoires.
dans Hernani,
scèneoù Cromwell maître de
les conjurés, celle
où
il
les
Hugo mettra un
Delorme,
Nous retrouverons
réduite à des proportions raisonnables, la
— Corneille jugé par
la
conspiration se fait énumérer
punit
;
écho de
dans
seigneurs à
les
le
cadre de Marion
la vie littéraire
tion de ce qu'il avait fait pour Milton
la
;
mode,
du temps,
— à l'imita-
les ouvriers
qui tra-
vaillent
au trône de Cromwell reparaîtront dans Marion
Delorme
travaillant à l'échafaud de Didier, et
au
lieu d'une
scène minutieuse et invraisemblable, nous aurons une opposition tragique.
amusant
Rochester s'incarnera dans Saverny, aussi
et distingué
cette fois
qu'il
était
dans Cromwell
insupportable. Les fous de Cromwell céderont
insipide,
la
place au fou l'Angely et à Triboulet.
Cromivell résume exagérée toute la théorie romantique.
Des drames sont venus ensuite qui n'ont rien ajouté à
cette théorie, mais qui installèrent le romantisme à la scène.»
Le More de
duction
et Christine,
des ouvrages originaux
Dumas
Vigny,
Venise, d'Alfred de
Henri III
;
n'était point
;
n'est
d'Alexandre
qu'une tra-
Dumas
sont
mais leur rôle a été fort restreint
du tout un novateur,
il
;
n'inventait rien
son
le reste, il le prenait aux autres
un Didier plus sauvage. Quant au système employé, Christine est une imitation de Cromivell
que des intrigues
Antony
même
;
;
est
;
l'auteur
y
inséra
bles d'Hernani.
même
plus tard des imitations trop visi-
Henri III
était
une imitation des scènes
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
124
de
historiques
nalité de
ces
physique où se montre
par
Mérimée
Vitet et de
deux drames,
(1)
;
la seule origi-
c'était la peinture de
parti pris
le
1
moyens violents et un peu en dehors de
Henri III ne souleva point de bataille, la
des
D'ailleurs,
l'on voit par
réussit, et
pour cela admis
mais Henri III
était
;
à'Hernani que
la bataille
blic n'avait pas
torique
agonie
d'exciter l'émotion
on n'avait nulle objection à
le
le
pu-
tragédie romantique
la
une pièce en prose,
temps que Pinto avait donné
l'art.
pièce
et
;
une pièce his-
faire. Il
y
avait long-
modèle de ce genre de
La difficulté ne
drame prétendit se substitragédie en adoptant les vers, le jour où le sys-
pièce, sans aucune rébellion
commença que
tuer à la
le
jour où
tème de Cromwell
du parterre.
le
qui arriva
se présenta sur la scène, ce
avec Hernani.
V
Ni
la
Préface ni Cromwell ne donnent
système romantique
théories
et
;
si
l'idée exacte
nous passons par-dessus
que nous examinions
le
la lutte
du
des
système dans Hernani
ou Marion Deiorme, nous verrons que toute cette bataille
était pour faire adopter aux Français le système de Shakspeare et de Schiller. Otez en effet dans
tique l'antithèse
d'Hugo,
il
classique,
et tout ce
restera le
qui vient
le
drame roman-
du génie
particulier
drame allemand mitigé par
des passions,
des
le
drame
caractères vivants, concrets,
Ces scènes historiques de Vitet, ces comédies de Mérimée, qui
nouvelles dialoguées, n'ont pas un grand rapport avec la
tragédie romantique, même le Théâtre de Clara Gazul, qui précéda
Cromwell. Il n'y a là de nouveau que l'emploi de l'histoire et de la
couleur locale. Une traduction de Schiller fournissait plus à Hugo.
Depuis longtemps, le Pinto de I.emercier était connu. Mérimée ne
fait guère que le mal imiter.
(1)
sont
des
LE SYSTÈME CORRIGE.
le
souci
du
détail
125
d'une certaine
caractéristique,
cou-
leur historique, d'une certaine quantité de décor et d'acces-
Hugo
soires.
n'a point profité
drame a cinq
le
modéré
et
Schiller
changements fréquents de
des
même
dans
:
il
son
lieu,
change pas dans un
actes, le lieu ne
Ainsi se montre,
tique,
Shakspeare
assagi
a
acte.
excès du drame roman-
les
caractère français, modéré avant tout,
amoureux
de clarté et d'unité. Le drame romantique a réglé l'emploi
du grotesque, l'emploi de
Hugo
n'a
plus
l'histoire,
Shakspeare avait donné
en Espagne. Si vous
le
car depuis Cromwell
ces drames-chroniques
essayé de
modèle
faites
et
dont
qu'on trouve aussi
abstraction des passions
du
temps, du tempérament propre au chef des romantiques,
de son amour pour
le
mélodrame, en somme,
Hugo,
une façon de Shakspeare retouché par Corneille. Si
œuvres sont singulières, ce n'est point le système qui
c'est
les
a égaré l'auteur et
c'est
l'a
conduit à
la
son impuissance dramatique
temps
ni
:
chute des Burgraves
il
;
ne saura pas long-
imaginer une crise et étudier consciencieusement
des caractères, ni combiner une intrigue poétique, fût-ce
une brillante ballade à délecter l'imagination
tuera vite à l'étude morale,
drame,
le
l'ode, et la prédication.
;
tableau vivant,
il
le
substi-
mélo-
LIVRE QUATRIEME
L'ÉPOQUE
L'influence du temps
:
au théâtre.
la politique
comment
—
La
JI.
passion
romantique,
sujets, intrigues, personnages.
III. La maladie romantique
maladie religieuse, maladie politique, maladie de l'amour, mala-
révolutionnaire
;
elle fait dévier la tragédie
—
:
—
die de l'ambition.
IV. Les héros de la tragédie atteints de la
maladie romantique
V. La
Hernani, Didier, Ruy Blas.
maladie romantique et le drame bourgeois Antony.
VI. La
maladie romantique dans Chatterton.
—
:
—
:
Il
de
la
semble d'abord que
xix e
le
Révolution, puisse donner des
poésie
;
mais au contraire,
Restauration.
La
au plus haut point
en
serait-il
la
loisirs
et
les
troubles
du calme à la
moins san-
et plus décisive
à
la fois
dès
au théâtre que pour y
portent ainsi
dramatiques
œuvres
poésie
livrer des batailles, et les
après
la lutte politique,
glante, devient plus ardente
la
siècle,
n'alla
marque des
luttes politiques.
autrement, quand déjà
Comment
les plus belles
inspira-
tions de la poésie lyrique sont les mélancolies, les tristesses
ou
les exaltations
gieuse.
causées par
la
Révolution politique et
reli-
l'époque.
128
De
là,
sans aucun doute, pour la poésie dramatique de
graves défauts, compensés imparfaitement par l'intérêt qui
des luttes sociales. Il est juste aussi
s'attache à ce reflet
d'ajouter que les romantiques gâtèrent tout par des défauts
personnels, par une trop grande hâte de produire et de lutter
;
leurs compositions sont
incomplètement mûries
;
la
matière poétique tirée des événements contemporains n'est
pas suffisamment digérée dans l'œuvre dramatique, en sorte
que non seulement
mais
poèmes lyriques, ce qui
les
est naturel,
drames réfléchissent jusqu'aux changements pas-
les
sagers de l'opinion.
En
1827, quand- Cromwell fut composé,
mençait à s'éprendre de
l'opinion en France,
la
France com-
la
légende Napoléonienne
toujours dominée
;
d'ailleurs
en réalité
par
la
grandeur des souvenirs Napoléoniens, n'accepte que mo-
mentanément
les
Bourbons. Bonapartisme
ne faisaient qu'un alors
;
de ne pas contrarier ces sympathies pour
l'empire
;
fidèle
le
libéralisme
souvenirs de
les
gouvernement termina l'Arc de Triomphe
le
rapporta de Sainte-Hélène
sionnait
et
Louis-Philippe aura soin après 1830
les
cendres du héros
La pensée de Victor Hugo
pays.
de l'opinion. Royaliste à 16 ans,
à 21, en 1823
;
il
écrit l'ode à l'Arc de
d'une politique éclectique, de
le
fut
poète ne
et
qui pas-
un écho
l'est
plus
Triomphe, expression
la politique
d'un poète, qui
tient à tous les partis par leur côté esthétique
ou humanitaire.
En
il
Il
1827,
il
écrit l'ode à la
Colonne de
la place
Vendôme,
où.
admire trop l'empire pour être encore royaliste au fond.
devient libéral. Mais
le
poète était obsédé par
le
grand
fantôme impérial jusqu'au jour où cette obsession céda
place à une autre,
de Napoléon
quand
le
fantôme prit à ses yeux
la
la
forme
le Petit.
Cette obsession se retrouve dans son théâtre.
Le choix du
sujet de Cromwell est caractéristique de l'époque. L'espèce
d'usurpation de Cromwell ressemblait, surtout pour des
royalistes,
au rôle que joua Bonaparte vis-à-vis des Con-
129
LA POLITIQUE AU THEATRE.
seils
que
l'homme
;
le
comme dans un moule, la
XVI, la Révolution, voilà ce
poète versât dans ce drame,
poésie contemporaine. Louis
dans Charles
1
n'osa pas traiter
le
qu'il devait voir
reusement
il
dramatique sur tous, et
et
crise
il
er
et
l'avouait pas
glants, car
il
;
;
il
imagina ce bizarre moment de
n'était plus royaliste
il
pas
Il n'osait
au fond, mais
ne voulait pas réveiller
eût fallu prendre
les royalistes et
Malheu-
Cromwell.
vrai sujet, le sujet épique
dont l'intérêt est vraiment trop mince.
prononcer
se
parfaitement choisis pour
et l'époque étaient
ne se
il
souvenirs san-
les
parti. Il raillera
donc à
Cromwell en répandant sur eux
la fois
grotesque
le
à pleines mains. Qui sait quelle part n'a pas eue dans sa théorie
du grotesque
camps
et
le désir
de mettre
de voir tous
le
régicide,
le
les
deux
?
Cromwell sera donc non
mais l'usurpateur. Pris par ce côté,
penseur, Cromwell est
le
a
il
comme Milton est le grand
grand homme d'action qui triom-
certes les sympathies de l'auteur
phe facilement de
les
hommes, de quelque parti qu'ils
fussent, à la fois grands et petits
plus
grotesque dans
ses faibles
;
ennemis. Royalistes
et révo-
y a là comme
Cromwell est
parfois burlesque, mais la force d'un homme impose, en
dehors de toute moralité. C'est la faiblesse de ce drame
lutionnaires
lui sont
également
un scepticisme à qui non
éclectique
;
la passion lui
la
sacrifiés. Il
grandeur, car
manque
;
impartiale de deux fanatismes opposés
la
piété
trop la peinture
c'est
;
royaliste qui animait les odes,
lui
il
ou
faudrait ou
le souffle
révo-
lutionnaire qui galvanisera les drames suivants.
A
part ce défaut capital et qui
même
reléguerait
Cromwell,
réduit pour la scène, au rang des ouvrages de second
ordre, toutes les
passions de l'époque se reflètent dans le
drame. L'opinion du poète sur Napoléon passe dans tout
le
rôle de Cromwell, opinion mixte, encore indécise, faite des
jugements que portaient
alors sur
l'homme
les royalistes, les
révolutionnaires, les admirateurs. Voici l'opinion mixte
LE DRAME ROMANT.
9
:
l'époque
130
Ce grand Cromwell que rien au monde n'égala,
Ce fameux général, ce profond politique
A qui l'Europe chante un éternel cantique,
Ce maître, ce héros pour qui le monde croit
Le sceptre trop léger, le trône trop étroit,
Se laisse prendre enfin...
Voici l'opinion royaliste
:
Cromwell, un vagabond,
à peine gentilhomme,
Là, régner sur des rois comme un césar de Borne
Voilà quinze ans qu'on donne à cela du génie
Concevez-vous, mon cher? Parce qu'il a gagné
Je ne sais quels combats...
Un mince aventurier,
t
!
(Cromioell, IV, 4.)
de voir
Il est facile
ici
où
raille les royalistes. Ailleurs,
est la
sympathie du poète
Cromwell humiliant
ment c'est le despotisme de Bonaparte domptant
conventionnels
le
les
:
il
Parle-
anciens
:
Charle, ô roi martyr, comme Olivier te venge
Quel fouet honteux succède à ton sceptre éclatant
1
Une
!
autre tirade est réellement l'apothéose de Napoléon,
est l'oint
du peuple
Révolution
;
et l'oint
c'est le discours
mauvais discours,
très
de Dieu,
le
modérateur de
de l'orateur du Parlement,
beau morceau lyrique
:
On voit peu de mortels, maîtres des factions,
Qui sachent gouverner le pas des nations.
Il roule lourdement, le grand char où nous sommes,
Que les événements traînent tout chargé d'hommes,
Et pour le bien guider dans les câpres chemins,
Il faut un ferme bras et de puissantes mains.
Souvent, marchant la nuit sous un ciel peu propice,
En évitant l'ornière on tombe au précipice,
Car ce char, dont la terre entend l'essieu crier,
Ne se dételle pas et ne peut s'enrayer
Il faut qu'il marche, il faut qu'il roule, il faut qu'il aille
Il faut qu'on voie, ardents comme au jour de bataille,
Ruer malgré le fouet, courir malgré le frein,
Les coursiers que Dieu lie à son timon d'airain,
!
!
'
LA POLITIQUE AU THEATRE.
131
Et qu'enfin, écrasant rois, peuples, capitales,
Sa roue aveugle passe en ses routes fatales
!
Quand on laisse au hasard courir ce char pesant,
Dans sa profonde ornière il coule tant de sang
Que les chiens, s'ils ont soif, sur sa trace l'étanchent
Le monde alors chancelle et les royaumes penchent.
Aussi quels soins
De
il
faut pour choisir
cocher
le
ce lourd chariot qu'on tremble à voir marcher!
Il faut qu'un double appel l'ait fait monter au faîte
Elu par deux pouvoirs, il faut que sur sa tête
Le choix du peuple tomba avec le choix de Dieu...
Ailleurs,
Tous
fit
;
un
touche
trait qui
ces républicains sont les
mon
leur vertu de cire à
les
;
révolutionnaires
:
mêmes au fond,
soleil se
fond.
(Acte II, Se. 10.)
Le poète montre quelque
méprisant
populaires qui,
courtiser
telle la
;
part la situation des pouvoirs
le
peuple,
sont
forcés
Convention obligée de subir
tions des sections.
Carr
le
auprès
pur,
de
le
les
députa-
de qui
les plus
farouches sont des tièdes, qui annonce tranquillement au
protecteur son intention de l'immole rà
en attendant
le
complot
le
Le
Révolution, mais
lui révèle
comme une
injure les
des saints
repousse
et
remercîments du tyran,
mystique
la
sauve pour sauver l'Angleterre,
est
la
caricature
de la Terreur
et féroce.
de
rôle
la foule
dans
les révolutions
est peint
dans
une scène assez shakspearienne, quoique noyée dans trop
de détails à effet, celle où le peuple crie tour à tour Vive
Mort à Cromwell
Cromwell
!
payés,
magistrat qui
le
et
femmes qui voient dans
d'un
prince,
seurs qui,
plus
le
la fin
de
la
voit les hurleurs
les
pouvoirs, les
terreur et l'avènement
retour des bals, des toilettes, les fournis-
comme Barebone, au
sanglantes,
On y
!
harangue tous
milieu
des
tragédies les
n'ont d'autre souci que leur fortune et
,
132
l'époque.
révolutionnaires farouches, vendent au prétendant le
qui,
velours du trône et
le
sauvent de
la
conspiration pour sau-
ver leur facture.
La révolution de 1830 donna le signal d'une foule de
drames sur Napoléon, pièces à tableaux et à déclamations
révolutionnaires.
Hernani
composé avant 1830. L'em-
était
pereur, dans la personne de don Carlos, y est opposé au roi
;
grandi déjà par l'ambition d'être empereur, et rempli de
pensées graves à mesure qu'approche
Don
Carlos devient tout à
fait
le
moment
grand quand
il
décisif,
tient
dans
main les destinées d'une partie du monde. Le monologue
lui-même évoque Charlemagne, le puissant empereur, la
sa
grandeur
si
fugitive de son œuvre,
humilié des rois qui « sont à
rôle secondaire et
le
la porte »
Respirant la vapeur des mets que l'on apporte...
Il
n'y a pas d'empereur dans Marion de
s'amuse, dans
il
y
a
un
roi
;
Ruy Blas
partout
pour sa mémoire,
faible et
L or me, dans le Roi
mais dans chacune de ces pièces
le roi,
sans grande injustice d'ailleurs
est effacé
ou odieux. Louis XIII
dominé par son ministre, son caractère
avec finesse
et,
quoi qu'on ait
malgré que l'auteur
moindre
;
se
soit
dit,
avec vérité
défendu
;
est
est
tracé
néanmoins,
sincèrement de
la
allusion, le pouvoir d'alors vit parfaitement dans
ce caractère de roi faible un signe des temps et un danger.
Le Roi
s'amuse fut aussi interdit à cause du portrait sati-
rique d'un roi de France dont
le
poète ne cache (V, 3) ni la
bravoure, ni la chevalerie, mais dont
les
passions politiques^ ne
le
drame, inspiré par
met en lumière que
le
cynisme
et les vices.
La grande
figure impériale est encore évoquée par
Ruy
Blas dans son monologue, en face d'un roi fantôme, d'une
monarchie pourrie de vices, et relevée un moment par
un ministre ué du peuple. Il y a là une vigoureuse satiro
LA POLITIQUE AU THÉÂTRE.
par
inspirée
modernes, par
de l'argent dans
rôle
le
mépris de ces
le
gouvernés par des banquiers
du grand poète qui pleure
Que
le
<r
gouvernements
les
trois
cents avocats »
admirable
;
133
cri
grand empire
de détresse
:
tombe, ô puissant empereur
Les bons font place aux pires
Ce royaume effrayant, fait d'un amas d'empires,
Penche Il nous faut ton bras! au secours, Charle-Quint !...
Hélas ton héritage est en proie aux vendeurs...
Oh
t
fais-tu dans ta
lève-toi
!
viens voir
!
I
—
;
!
!
Enfin l'empereur redevient
et
gigantesque drame des
il
revient
d'Elbe,
(comme
comme
est
les rois
de Sainte-Hélène,
revenu une
le
l'homme de
fois
l'île
craignaient de le voir encore revenir
comme
il
sur les bords de la Seine).
en
est
revenu enfin pour reposer
La légende y
mais on reconnaît bien
tique,
protagoniste de l'étrange
le
Burgraves. Mort ou cru mort,
atteint le fantas-
encore, fût-il inconscient,
là
souvenir de Napoléon dans cet empereur abhorré des
princes dont
a ruiné les châteaux.
il
de Frédéric sur
honoré par
magne
le
défaite
la
situation de
Voyez
le
monologue
l'empire sans chef,
dés-
séjour de l'ennemi, sur l'œuvre de Charle;
voyez encore
le
discours
aux Burgraves.
(Partie II, Se. vi.)
Vous m'entendiez jadis marcher dans ces vallons
Lorsque l'éperon d'or sonnait à mes talons
Vous me reconnaissez, Burgraves, c'est le maître,
Celui qui subjugua l'Europe...
Et qui donna, touchant leurs fronts du sceptre d'or,
La couronne à Suenon, la tiare à Victor...
Celui qui, comprimant Gênes, Pise, Milan,
!
Etouffant guerres,
cris, fureurs, trahisons viles,
main l'Italie aux cent villes.
démembré Henri le Lion de mes mains,
Prit dans sa large
J'ai
Arraché ses duchés, arraché ses provinces,
Puis avec ses débris j'ai fait quatorze princes
Enfin, j'ai quarante ans, avec mes doigts d'airain,
Pierre à pierre, émietté vos donjons dans le Rhin...
!
Rien ne manque à l'analogie
;
l'empereur apostrophe
les
l'époque.
134
grande armée qui servent maintenant sous
vétérans de sa
ceux qu'on appelle
Vos
les fils
<l
soldats m'entendront
!
des grands barons. »
sont à moi, j'y compte
Ils
1
étaient à la gloire, avant d'être à la honte.
Ils
moi qu'ils servaient avant ces temps d'horreur,
Et plus d'un se souvient de son vieil empereur,
N'est-ce pas, vétérans, n'est-ce pas, camarades ?
Bans doute vous croyez
C'est sous
Nous sommes
vous vous dites
Etre des chevaliers
fils des grands barons et des grands gentilshommes,
Nous les continuons... Vous les continuez
:
!
Les
!
Cette
dans
D'un
le
passion politique qui se montre perpétuellement
drame a deux
côté elle
superbes de ses vers,
tue
le
tion,
drame,
malheureusement opposés.
résultats
inspire au
elle
poète les accents vrais, émus,
vivifie sa poésie
;
de l'autre
pour un personnage, pour donner carrière à
piration lyrique.
De
pouvant
il
tirades auraient
pareilles
dans un drame emprunté à
raine, mais
était trop tôt
l'histoire
pour
un Napoléon, a
faire
elle
trop voir qu'il est fait pour une situa-
elle fait
le
l'ins-
mieux
fait
presque contempo-
tenter, et le poète, ne
fait
un Frédéric ou un
Charles-Quint.
II
Mais
la
passion politique a
graves encore pour
le
eu des conséquences plus
théâtre romantique.
Nous avons vu dès 1827 le poète conquis à l'idée démoelle commandera dans son drame le choix la hié: ar-
cratique
;
,
chie des personnages
;
elle sera la
base de tout un système.
Les romantiques étaient fatigués des rois de tragédies.
Les abandonner tout à fait, il n'y fallait pas songer
les
;
rois sont trop
les
ils
mêlés aux grands événements où se trouvent
grandes passions
;
les rois
furent donc conservés, mais
furent mis au second plan, et le peuple au premier.
Ce
l'idée révolutionnaire dans le drame.
qu'on appelle en style de théâtre
grand premier
que de normal
ment
plus
les rois s'en
;
En
sont
môme
inférieures
hommes,
le
trône.
la liberté, les
déploie,
La Révolution
a
un homme nouveau
fait
les
la vie politique
et
;
énergies qu'elle
du peuple aux grands
grands problèmes de
auprès
soutient ou ren-
la foule,
ambitions qu'elle autorise,
l'initiation
est terne
le roi
;
du plébéien de génie qui dompte
verse
cela,
vont, leurs passions ne nous intéressent
spécialement, elles sont celles des autres
elles leur
le
ne pouvait faire autre-
la tragédie
;
et
Us furent
ont l'avantage.
ils
135
jeune premier
furent des héros plébéiens.
rôle
opposés aux rois sur lesquels
rien
le
secrets,
aux
sociale, tout cela
un nouveau protagoniste tragique.
Marion de Lorme s'éprend d'un amour véritable qui
devait s'incarner dans
la
transfigure moralement, donnée pathétique certes où nous
ne voyons rien de trop peu vraisemblable, quoi qu'on
Elle n'a connu jusqu'ici que des gens de cour
aimer de cet amour vrai un gentilhomme,
sionnel ne s'en déroulerait pas moins
;
le
:
elle
et le
ait dit.
pourrait
drame pas-
duel pourrait venir,
Didier, qui serait alors Didier « de quelque chose », serait
arrêté, puis s'évaderait, et
le reste.
Mais,
n'y eût
il
pas
d'autres raisons, la passion révolutionnaire veut que Didier
ne
soit
pas gentilhomme, ou que,
soucie peu; car
compter avec
il
s'il l'est, il
l'ignore et s'en
faut remarquer les ruses de cet art qui doit
l'aristocratie
une allure plus héroïque
pour donner à
et
avec
la
ses
personnages
démocratie qui leur
donne des passions fougueuses: Didier peut donc
tilhomme, étant enfant trouvé
dédain. Ce plébéien
vêtement noir
et
se
son
;
mais
il
est
être
gen-
plébéien par
détache vigoureusement avec son
âme profonde
sur ces seigneurs au
costume éclatant, au cœur léger.
La même
le
habileté laborieuse saura dans JLernani concilier
besoin d'une antithèse politique rabaissant
de l'homme du peuple, et
à ce dernier. Hernani
le
le
le roi
à
la taille
besoin de laisser une noblesse
bandit est préféré par dona Sol
l'époque.
.136
au
Hernani
roi Carlos,
générosité
bandit brave
le
le roi, l'écrase
voilà pour la passion politique
:
de sa
mais ce bandit
;
un brigand vulgaire
ce héros, cet amant de
un grand seigneur qui a pris les montagnes
pour venger son père. L'habileté du poète romantique a sa
n'est pas
dona
;
Sol, c'est
On
faiblesse.
peut l'accuser d'avoir
mis un bandit
et
en
facile,
effet,
là
de
où
exagéré l'antithèse,
un plébéien.
suffisait
sur cette
faire,
eût été
Il
donnée moins anti-
même drame, plus humain peut-être. Hernani
un Didier espagnol. Le poète eût évité bien des
thétique, le
serait
reproches;
le rôle
gination et
le
de bandit
drame
permet des excès d'ima-
lui
mêlé de mélodrame. Les passions
est
politiques conspirent ainsi contre l'auteur, elles exagèrent
son défaut:
génération
la disposition
réaction immodérée
la
l'antithèse, et le défaut de sa
à
tendance au noir, au
la
:
contre
les
fatal,
au fantastique
;
dont
classiques,
rois
l'acharnement des pseudo-classiques de 1820 à 1830 est
responsable, s'ajoute
à ces
causes
pour transformer
héros plébéiens en bandits, en ouvriers,
et,
car
les
défaut
le
va s'accentuer eucore, en personnages misérables et difformes.
Il
les
y a dans
deux drames
l'autre
:
comme
deux,
;
le
:
du
la satire
l'indique le titre.
Roi
De
roi
ces
s'ayjwse,
Tribonlet s'amuse.
satire de la luxure royale, c'est celui-ci
homme
n'a qu'elle
lui
les
l'un pourrait être intitulé
Le premier,
pauvre
il
Roi s'amuse deux drames
le
domine tous
prend
a une
fille,
au monde
et
et la déshonore.
:
Un
sa seule joie, sa seule richesse
ne
vit
Une
que pour
soif de
elle.
Le
;
roi la
vengeance, plus
grande encore que son impuissance, pousse ce
serf, cet
une entreprise insensée il s'arrange pour
attirer le roi libertin dans un coupe-gorge et l'y faire
assassiner. Il croit un moment, épouvanté lui-même de ce
succès surhumain, tenir sa vengeance, mais il avait compté
esclave, à toute
sans sa
fille
qui,
;
avant d'être déshonorée,
avait aimé
le
l'idée révolutionnaire dans le drame.
séducteur
déshonorée, l'aime encore et donne-
roi, et qui,
pour
rait sa vie
Elle la donne, en effet
lui.
projets de vengeance de son père,
les
jette
dans
piège à
le
la place
qui devait frapper le roi
et
;
satisfaite, et qui croit tenir
à l'eau,
le
137
elle-même
meurt sous
du
roi,
le
père,
a deviné
elle
;
et
vengeance
ivre de
dans un sac, prêt à être jeté
cadavre du luxurieux tout-puissant, tient
cadavre de sa
fille
;
se
couteau
le
et c'est sa
fille
foule
qu'il
le
aux pieds
dans son accès de fureur.
Ce drame
Mais
ici
humain.
est simple,
intervient
dans ce
grotesque, dont la part
le
drame, depuis Hernani, augmente sans cesse. Ce n'est plus
seulement
dignité
enfant
plébéien
le
devenu bandit, que
trouvé,
le
grand seigneur
romantique opposera à
la réaction
du prince tragique, que
la
génie démocrate et com-
le
patissant pour les faibles dotera des
grandes passions, des
nobles sentiments enlevés aux rois, ce sera, mieux encore,
bouffon de cour, l'homme difforme, bossu, contrefait. Et
le
voilà
Quasimodo dans
voit double avantage
y
drame. Cet excès évident,
le
il
;
tourne au profit de
le
l'idée
huma-
Il a
nitaire ce qui était réaction littéraire et politique.
plus trouvé sa formule
poète
de
pour forcer par des combinaisons
inattendues l'émotion d'un public blasé
« transfigurer
:
la
laideur physique par la beauté morale », et ce sera bientôt
même
:
un amour,
racheter la laideur morale par
passions monstrueuses et tous
les
les
toutes
crimes par un bon
sentiment.
Voici donc
parce
fille
;
qu'il
aussi,
est
et
second drame
le
malheureux
pour
:
Triboulet est
de plus
;
il
royale,
il
Vallier,
le
lui jette
en proie
passions du
un père dont
roi
;
les
il
le roi a
maudit. Triboulet sera puni
:
pour sa
craint
de faire du mal aux
le plaisir
reux et pour détourner de sa propre famille
attise les
méchant
la
heu-
luxure
femmes des seigneurs
;
il
insulte le
comte de Saint-
déshonoré
la fille, et
sa propre
fille
ce père
sera la proie
LEPOQUK.
138
du
roi,
cuai.no le comte,
et,
se venger, mais
tuer
le roi
;
déshonneur
le
sera impuissant
il
lui-même
tuera
il
et
sa
fille
sang de sa
le
veut
il
;
en voulant
retombent
fille
sur sa tête.
On
voit
quels
romantique,
politique et
la faire accepter,
que
de
effort
de
dirigeant l'Etat, relevant
le
dépensé pour
est
dans
va
Mais
voie.
sa
démocratique
l'idée
réaction
la
l'étrange grandit à mesure
une reine amoureuse
montrer
Comme
génie
quel
comment
romantique
théâtre
le
suprême
et
produit
complexes
effets
un
d'un valet,
royaume que
le
au théâtre sera
le roi
valet
abandonne.
de l'antithèse,
toujours, sous les exagérations
il
ne nous y trompons
y a un drame simple et humain
la reine
pas. Le drame n'est pas, d'ailleurs, un pamphlet
le pamphlet
sera amoureuse d'un valet, sans le savoir
voici le
l'eût montrée aimant son propre valet. Donc
un homme du peuple, qui n'a
drame simple et humain
ni noblesse, ni richesse, mais une grande intelligence et
;
:
;
—
—
un grand cœur, aime secrètement sa reine qu'il sait seule,
il rêve
d'être le
abandonnée, souffrant de cet abandon
aimé
d'elle,
de
femme,
d'être
protecteur et l'ami de cette
;
relever par
amour pour
tres, d'être
pour
amour connu, son cœur
cette reine,
il
l'Etat exploité par les minis-
elle
elle le vrai
roi.
devient ministre, favori,
rêvée, relève l'Etat, et
un jour,
ouvre son cœur
le
hommes,
pour
lui
elle
:
elle
il
sent
son
l'admire et l'aime
il
il
accomplit l'œuvre
cette reine vient à lui, lui
voit plus
qu'une femme, dont
elle le baise
Tout à coup,
apprécié, son mérite distingué par
;
grand que
les autres
reine pour tous, elle n'est
est le soutien et le refuge, et
au front. Mais par un autre coup soudain, ce
un ennemi mortel de la reine et qui
sait leur secret les fait tomber tous deux dans un piège
infâme pour déshonorer sa souveraine. Le grand ministre
bonheur
tue
le
s'effondre,
misérable et s'empoisonne pour que
jamais pure de tout soupçon.
la reine, soit
à.
l'idée révolutionnaire dans le drame.
139
Voilà l'esquisse idéale du drame. Ce dessin fournissait
siècle
l'occasion de
à l'auteur
aussi bien
développer l'idée du
les passions n'en étaient pas diminuées.
;
était pris
;
Mais
le pli
l'exagération, la réaction violente, la théorie
du
grotesque et des antithèses stupéfiantes triomphent une
dernière
reux de
fois
formule est bien trouvée
la
;
la reine
il
;
eu
est,
effet, difficile
à
:
le valet
la
poésie
amoudémo-
cratique d'exprimer plus énergiquement cette idée, que
génie est
le
valeur de l'homme et qu'il a seul droit au
la seule
gouvernement des Etats. La préface affirme d'ailleurs la voRuy Blas quelque chose de grand,
lonté de montrer dans
de sombre, d'inconnu,
((
le
peuple,
le
peuple orphelin, pauvre,
intelligent et fort, placé très bas et aspirant très haut, ayant
sur
dos
le
les
marques de
la
servitude et dans
cœur
le
préméditations du génie... » et un peu plus loin
le
les
poète
lui-même distingue dans son drame un sujet philosophique le peuple aspirant aux régions élevées, un sujet hu:
main
:
tique
:
un homme qui aime une femme, un sujet dramaun laquais qui aime une reine dramatique, en effet,
;
mélodramatique même.
Pour mettre debout une
mélodramatique,
la féerie
coup de baguette
fait
telle
du domestique
un autre coup de baguette
la
s'écroulera.
féerie
pour
faire jouer cette
quée qu'on ne
le
:
le
lui
le
procédé
Un
comte de Garofa,
rendra ses habits de valet, et
il
faut inventer
immense machine, bien
pense encore (1)
!
Certes
il
plus compli-
naît de cette
emmêlée des beautés incontesta-
retour de Salluste en laquais, l'écroulement subit
du bonheur de Ruy Blas qui ne
mier ministre qui
doit
vivait qu'en rêve, ce pre-
ramasser ce mouchoir, tout cela
frappe, étonne, saisit. Mais
(1)
le
Mais quels ressorts
formidablement
intrigue
o
blés
invraisemblance,
n'ont pas effrayé l'auteur.
nous-mêmes nous nous
frottons
Voir l'analyse du rôle de don Salluste dans notre chapitre sur le
mélodrame.
140
les
l'époque.
yeux devant de
métamorphoses
pareilles
à l'auteur, pourvu qu'il puisse à la
du peuple,
bizarre apothéose
faire
antithèse suprême,
fin,
démocratique apportée dans
Concluons. Si
le
grandes beautés
elle
;
die, les passions
qué
suprême
l'art
de
d'une
l'éclosion
le
dominer
contenir,
pouvait et
source
la
des
personnel de
la
plus
tragé-
le
produit d'une époque démocratique.
d'un génie intempérant, à qui a man-
les défauts
côté, l'ardeur
drame.
un théâtre à tendances démocratiques
;
était naturellement
Mais
renouvelait
mot de
dernier
démocratique
l'idée
de son théâtre,
être l'âme
devait
poète avait su se
populaires,
passions
les
le
le
Dieu
devant
bénir,
invoqué, cette reine par ce laquais. Voilà
la passion
Qu'importe
!
:
la
mesure,
la lutte
la proportion, et,
d'un autre
politique et littéraire, ont
calme
tragédie
et
reflétant
empêché
comme un
miroir tranquille l'âme humaine et contemporaine.
Le poète,
avec sa thèse politique, se substitue trop souvent à ses per-
une antithèse grimaçante met face à face les rois
l'homme du peuple, les puissants et les grotesques,
sonnages
et
les
;
heureux
La tragédie en
et les difformes.
dans sa grandeur. D'un autre côté, quand
la
est
atteinte
passion poli-
tique s'apaise et permet au poète d'être seulement specta-
teur
des grands spectacles de ce monde, elle inspire à la
tragédie de grandes scènes,
plus belles
réflexions
le
lyrisme
sur la fragilité
puissance, de la gloire,
comme
popée napoléonienne,
de
la
lorsque
le
plus élevé, les
des empires, de la
le
Révolution,
souvenir de
élève
l'é-
jusqu'au
sublime des scènes (THernani, de Le Roi s'amuse, des Burgraves,
de Marie Tudor
(1)
;
beautés aussi lyriques que
(1) La belle scène où Marie Tudor exhale sa fureur impuissante
devant la colère juste et irrésistible de la foule. C'est aussi beau que
les imprécations de Camille
« Oh! l'Angleterre, l'Angleterre à qui
détruira Londres!... » On j^ense aux rois des Tuileries; ils ont dû
souhaiter aussi bien des fois la destruction de ce Paris, qui n'avait
qu'à se soulever pour faire crouler une royauté.
:
LA MALADIE ROMANTIQUE.
dramatiques,
certes
mais
;
141
n'est point
il
interdit
à
la
tragédie de se placer parfois à cette hauteur et de cher-
cher à produire cette émotion puissante. Les héros tragi-
ques ne doivent point trop philosopher, mais
même
peut parfois se placer au-dessus
une
sorte de
tragédie
la
de ses héros, dans
parabase tragique qui a sa grandeur et son
intérêt.
III
On
s'aperçoit clairement aujourd'hui
des malades et
furent
dans
la littérature
que
sensibilité
la
les
romantiques
exagérée
était
Commençons par
de 1820 à 1840.
que moquerie ou dédain seraient
die est
que
ici fort
injustes
une des noblesses de cette génération qui
arriver à la vie
intellectuelle
au moment
le
dire
sa mala-
;
se trouve
plus critique
dn monde moderne. Et puis, n'est-ce pas le développement anormal de la sensibilité qui fait le grand artiste, et
dans
combien
d'organisations
réglée par la raison absolue et
ment
équilibré
?
Il
semble
cette
sensibilité
un tempérament
même
que
la
est-elle
parfaite-
sensibilité,
en
France, s'exaspère et devienne morbide de plus en plus
dans l'énervement de
l'existence.
est
Il
la sensibilité et
passions et
les
la vie à la
vapeur
et
de
la lutte
pour
intéressant d'étudier cette affection de
comment
elle a,
dans
le
drame, modifié
les
caractères.
La maladie romantique sévit d'abord sur la génération
qui arrive à l'âge d'homme au moment où la Révolution
finit. Des hommes qui se sont mêlés à la Révolution, les
uns en ont profité,
les
autres
avant de périr elle-même tous
ont péri. Elle
les
a
grands esprits
dévoré
et les
grands cœurs. Ceux qui étaient trop jeunes encore pour y
être mêlés, qui en furent victimes par contre-coup ou restèrent spectateurs attristés des horreurs et des bassesses de
142
la
l'époque.
commencent
ceux-là
fin,
Chateaubriand,
avec l'immense
partout,
génération
la
de courir
exilé, est obligé
que
tristesse
romantique.
monde, seul
le
lui causait ce
bou-
leversement immense. Disciple de Rousseau, comme tous
esprits de son temps,
il
contemple
la vie
sauvage, et
Doué d'une
à jamais du contraste qu'il voit ou qu'il imagine.
grande
sensibilité,
il
mentdes croyances,
ressent toute la
le
scepticisme,
qui perd et regrette sa
le
commotion
:
l'ébranle-
vide envahissant l'âme
du passé
foi, l'horreur
les
s'attriste
découra-
et le
gement en face de l'avenir. En même temps, ruiné, pauvre,
il souffre
le tourment moderne, celui de l'homme qui se
sent noblesse et
de
la
force
et
déchaînement
obligé
génie,
des
conflits
au premier moment du grand
démocratique
ne
,
un grand
d'abaisser
au milieu des
qui,
et
vices,
trouve
pas
place,
sa
au souci des
esprit
besoins
journaliers, à la fatigue déprimante de la lutte pour la vie.
Mélancolie,
tristesse,
pour longtemps
de l'amour-propre qui
pération
conscience d'avoir une
vanité
souffrante
physiques
souffrances
tempérament tout
le
,
finit
par transformer
la
valeur en orgueil irritable et en
découragement
profond
l'écroulement de tout, écroulement de
la foi
causé
par
qui soutenait
du trône qui supportait la société, écroulement
du nom et du manoir des ancêtres, voilà
le
trône,
de
la famille,
l'homme romantique, chassé de
de sa maison, en butte à
et qui a
atteignant
longue exas-
entier,
vu mourir
ou par l'effrayant
les siens
la
sa
persécution et
par
couteau de
le
des morts
contre-coup
voilà Chateaubriand, le Chateaubriand de
la littérature
romantique. Telle est
la
cette génération et la suivante la
événements
et
la
de son église,
patrie,
au malheur,
la guillotine
domestiques,
René,
le
père de
maladie qu'excita chez
commotion des mêmes
commotion des oeuvres où s'exhalaient
le
scepticisme douloureux, les souffrances orgueilleuses de ïa
poésie
Mme
persécutée,
du
génie
méconnu.
de Staël, Benjamin Constant, de
Chataubriand,
Sénancour, nés de
MALADIE DE LA
143
FOI.
en littérature, une première génération
1770 à 1790,
voilà,
romantique
Lamartine, Vigny, Michelet, Hugo, Sainte-
;
Beuve, George Sand,
de 1790 à
nés
Presque tous sortirent de
seconde.
la
1805, sont de
avec l'apparente renaissance sociale, avec
momentané
qui
donne
dogmes
des
les forces
le
rétablissement
religieux et politiques, avec l'âge
physiques, calme
l'orgueil des satisfactions,
apporte à
les nerfs,
aux besoins d'amples richesses
mais de jeunesse en jeunesse
la
et se transmet,
livres, passe
la
maladie romantique
maladie,
et
propagée par
;
les
chez tous ceux qu'elle a
frappés laisse des traces.
Le premier phénomène de
cette
maladie est
la
fièvre
religieuse,
qu'elle soit le doute, le scepticisme le plus
loureux,
marasme de
de
le
la sensibilité,
dou-
perdue, ou la réaction violente
la foi
de l'appétit de
foi
contre
le
matérialisme
qui effraye.
Dans Rousseau
déjà,
foi spiritualiste,
la
l'éducation tout idéale de l'humanité
matérialisme
frappée,
;
mais
être ébranlée dans
qu'au fond de
la souffrance
dont
la foi est
passer du
l'esprit
la
sensibilité,
la
réclament contre
le
déjà maladive, elle n'a pu être
catholicisme au
tout son être,
et
révolte spiritualiste
spiritualisme,
il
est
sans
vrai de dire
de Rousseau
il
y a
du doute. Etat éminemment maladif, doute
humain ne sortira que par le retour à la foi
ou parla négation complète.
Cet état domine toute
la
Révolution. Les
hommes
qui
ont épuisé leur foi et cherchent à s'arrêter au spiritualisme, comme sur une planche entre deux abîmeg
mais, tournant le dos au vide, ils en voient un autre la
la font
;
;
souffrance persiste et le spiritualisme vacille.
malgré
nia
;
mait
entre
ses efforts
elle
et
les autels
La Révolution,
élevés à l'Etre
abandonna Dieu à l'ancien monde
qui
suprême,
le récla-
comme
sien et l'emporta en exil. La religion n'est
mains do Napoléon qu'un joug à mater les
les
hommes,
et
Dieu, un -pape qui
le
sacre pour la foule.
144
l'époque.
En
avec
1815,
le
pour
Rapportée de toutes pièces,
la religion rentre.
moyen âge
et la
cérémonie du sacre,
les politiques qu'un drapeau,
verneoient. Mais cette religion,
des poètes s'en empare
on veut
moyen
le
du
la foi fait
siècle
monde
on l'accepte, on
court de couleurs.
marche,
guère
des artistes et
la veut, entière,
âge, les cathédrales, les chevaliers
fortune pour l'art à
l'esprit
;
et
le
elle n'est
un moyen de gou-
;
bonne
Puis tout s'use,
oripeaux sont abandonnés,
les
de plus en plus place au spiritualisme, flottant
du déisme au panthéisme, et à l'heure de la mort, il ne
reste au dernier, au plus grand et au plus longaeve des romantiques qu'une foi en un Dieu vague, au-dessus de toute
religion, de tout culte et
La
romantique
foi
même
est
de toute philosophie.
donc un besoin de croire qui
cherche à triompher du doute, né des bouleversements de
la
Révolution. Car la divinité avait elle pu permettre tant de
crimes,
et
tout
désordre pouvait-il rentrer dans un
ce
ordre voulu par une providence
peut-être
un moment
doute
le
;
?
— La Restauration calma
Tordre ramené,
noblesse
la
maladie
rétablie, puis l'ardeur
de la lutte substituèrent à
du doute une santé
Le doute est étouffé par un élan
à dessein. Dans les Méditations sur-
factice.
religieux qui s'exalte
tout,
V Homme,
la
le
Désespoir,
la
sont caractéristiques de cet état.
l'optimisme venu du succès
;
Providence à l'homme,
Puis
la
foi s'accroît
on arrive à l'âge
où. les
avec
idées
se figent, et chez
Lamartine
magnifique
tient alors le milieu entre la foi catho-
lique et
;
elle
un panthéisme
la
foi se
spiritualiste
en poésie
cristallise
qui est la
dernière
expression de l'esprit religieux dans ce siècle.
On
voit
combien ce qu'on appelle
la
foi
chez
les
roman-
tiques fut quelque chos9 d'agité, de douloureux, et quelle
secousse dut imprimer
aux génies
licisme au spiritualisme, doutes,
réactions et exaltations
de fébrile et de maladif.
la transition
efforts,
du catho-
découragements,
mystiques, partout quelque chose
LA MALADIE ROMANTIQUE.
Le second
l'incertitude
caractère de la
que
de
les
maladie romantique, c'est
comme
comme
au sujet des dogmes politiques. Là,
en religion, on peut dire que
celle
145
la libre
la
cause de
la liberté,
pensée, était gagnée d'avance
hommes de
même
de
et
;
génération romantique parvinrent
la
insensiblement avec leur siècle à un spiritualisme dégagé de
dogmes, de mêmeen politique
ils
partisans de la cause du peuple
mandé un quart de
siècle, et,
se trouvèrent tous,
;
en 1848,
mais ce résultat avait de-
pendant ce quart de
siècle, ils
Pour les esprits élevés etqui, après
préoccupent encore du problème
« cherchenten gémissant ».
le
problème religieux,
social, quelle série
se
de douloureuses questions, de méprises, de
déceptions cruelles, de cas de conscience insolubles que cette
phase de
vie française de
la
1789 à 1848! Cette révolu-
tion, qui se réclamait de principes
l'admettre, renier des siècles
;
il
élevés,
si
il
fallait,
des fureurs sauvages, tant de sang versé
terribles,
parte? ce n'était pas
droit divin,
le
pour
accepter des erreurs
fallait
!
Bona-
tradition de l'an-
la
cienne France, ce n'était pas non plus la liberté
au moins,
;
vis-à-vis de l'étranger, c'était la victoire, la gloire
du nom
français, une épopée. Enfin
trône ré-
tabli
se
avec
Restauration
la
l'autel, l'esprit français, si agité
calmer
ses anxiétés
;
voici
au moins
faite, le
de
fièvres,
la paix, le
on va se reposer du despotisme militaire et de
sanglante
a
le
?
Non
;
manque
royauté
la
la
va voir
mal réparé,
démagogie
à ses promesses,
trône et l'autel, on n'a ni liberté, ni dignité
;
la
on
Charte
n'est pas exécutée. Respecte-t-on l'Empire tombé, la gloire
de
française, les débris
pouille,
on juge, on
insulter nos
marche,
il
se
est le droit ?
la
fusille
grande armée?... Non
sans jugement
héros. L'esprit
débat dans
Aimer
le
les
roi,
pauvres, les
mélancolie, ajoutée à
LE DRAME ROMANT.
la
on dé-
moderne veut continuer
sa
monarchie.
Où
menottes de
c'est bien
cause de celle du peuple, du pays
opprimés, ne
;
l'étranger vient
;
faut-il
?
;
Et
pas
la
mais
les
les
sépare sa
s'il
malheureux,
aimer
?
les
Immense
mélancolie religieuse. Enfin, voici
10
l'époque.
146
encore une
fois le
en question,
le
la
trône renversé, les rois en exil, tout remis
On
foule maîtresse, le vaisseau à la dérive.
gouverne pourtant
Lamartine apaise des tempêtes
;
;
mais voici un autre Dix-Huit Brumaire, un empire, sans
noir de la corruption croissante des
gloire, avec le point
mœurs, de l'abaissement des consciences
;
cette fois, des
deux grands malades romantiques l'un se résigne et se
l'autre s'exaspère, et
il écrit à tant la ligne pour vivre
tait
ces superbes, ces furieux, ces délirants
ments
:
névrose romantique
la
le suit
;
écrit
;
poèmes des Châti-
dans
fausse son
l'exil,
génie, pour ne s'apaiser que plus tard dans une tin de vie
patriarcale et voisine d'une seconde enfance,
où le
vieillard
espère enfin la réalisation de l'idéal humain, de la paix universelle
:
dernier reste de
réalité, les
menaces de
Ce malade romantique, déjà
?
Non,
le
si
la
tourmenté, verra-t-il- clair
de
la vie intellectuelle et
porte en lui
il
toute souffrance et qui fait
rance un délire qui
cache
Se consolera-t-il par l'amour des
tristesses et des incertitudes
?
lui
l'avenir.
au moins dans son cœur
vie publique
romantique qui
la foi
même
fatigue.
la fièvre qui
de
la
grandit
de toute joie, de toute espé-
L'amour
lui
causera des joies
hommes d'autrefois, mais aussi des douleurs
qu'ils ont ignorées, et, comme toujours, c'est la douleur qui
subsiste et chasse le reste. De quelque côté qu'il se tourne,
inconnues aux
l'homme romantique
Pour les autres
est destiné à des souffrances nouvelles.
siècles, le
la foi sincère,
en dehors de
de
la
problème de
résolu
tait pas, puisqu'il était
la fin
du mariage
faiblesse,
de
la
,
L'amour, dans
j'entends
;
l'amour,
et de la famille, c'est-à-dire
ne comptait pas
;
il
était
un
nature, une concupiscence de la
chair qu'on avouait à peine, et dont
repentir.
la vie future n'exis-
la foi d'ailleurs,
excluait tout attachement terrestre
reproduction des êtres
péché, une
:
le
il
fallait
plus tard se
théâtre classique, est-il autre
chose qu'une noble galanterie ou une passion coupable
?
Il
LA NÉVROSE ROMANTIQUE DE L'AMOUR.
147
aucun rapport avec l'immortalité et la vie future.
Le thème, c'est Aimons, jouissons de la beauté la vie est
courte, et au bout c'est le tombeau. Thème païen ramené
n'a là
:
:
par
Renaissance
la
L'amour
dure jusqu'au XIX
la vie
conscience de sa
la
au moins
nalité immortelle,
siècle.
plus de spiritualisme possible.
le
que jamais, sinon
a, plus
e
pour l'homme romantique.
est bien autre chose
mis dans toute
Il a
Il
et qui
person-
désir sans borne de cette
le
immortalité, seule idée consolatrice des tristesses de cette
vie
plus
et
;
ne
rien
un
elle doit s'unir,
désir infini
quoi bon exister
Que
?
il
Il s'est
;
qui
trompé
ou
un jour
;
cette
mais
femme
faut
femme
elle
;
par son égarement
et
consolera.
si
l'homme romantique,
aime,
qu'il
le
cette vie
:
croit
se
aimer
ailleurs,
mariage éternel
;
elle
elle
lui ?
gémis-
celle qui lui doit être
faible,
?
unie
méconretarde
se ravit
le
pourquoi vivre plus longtemps seuls
?
résigne pourtant à vivre, l'homme romantique
trouve dans sa
branlable
pour
faite
à chercher en
malheureux,, puisqu'on doit être unis
S'il
perd soudain
la
donc pas
recommencer
est bien
?
le
pauvre âme, aveugle et
la
à
lors,
de cette vie où tout est néant
Dieu qui
trahit n'était
le
? Il
naît sa destinée
bonheur dès
cherche avec
la
condamné. Dès
serait
Quelle plus grande souffrance,
sant
pas trouvé l'âme-sœur
l'âme romantique
faire
aller vers
après avoir trouvé la
La femme
s'est
y voit
il
l'amant sans son amante pleure et craint la
;
solitude éternelle à laquelle
Mieux vaut
il
:
;
confondent
se trouvent, s'embrassent et se
la vie et l'éternité. Si elle n'a
à laquelle
l'amour
deux corps
voir l'union passagère de
y
deux âmes qui
le
doute de l'immortalité
s'il
console plus. Vienne donc
l'en
refusé à
pour
;
augmente
plus
à la vie future,
croit
il
dégoût des misères terrestres
qui
foi à la
le
rend
réunion éternelle une patience iné-
mondains.
les obstacles
sans crime
femme mariée
la
jusqu'au
fidèle
aimé, malgré
à
un
tombeau à
Il
autre,
l'objet
peut ainsi aimer
s'il
ne
la désire
148
l'époque.
plus pour ce
monde
attend,
il
;
attendent tous
ils
deux
l'heure de la réunion.
arrive que la mort ait tout à
S'il
cher, le désespoir et
solitude de
la
mort prochaine.
font croire et désirer la
Un
seul être vous
Qu'importe
coup enlevé l'être
l'homme romantique lui
manque,
et tout est dépeuplé...
Je n'attends rien des jours...
le soleil ?
Je ne demande rien à l'immense univers...
ma dépouille à
commun entre la
Si je pouvais laisser
Il n'est
rien
de
la terre...
terre
et
moi.
(Méditations, I.)
De
là
à se figurer, poétiquement du moins, par
du dégoût de
lement mourir,
pas
;
il
est
le
maigre
la
comme
c'est la raison
qu'exhale
de
la vie,
névrose physique,
il
souhaite
le
de cette éternelle plainte
poète romantique de 20
et porte
la
pour
nature
;
c'est
la
vigueur de l'âge ôtent
qu'il
voie
se
l'époque où
il
écrira Y
empreint d'une belle mélancolie,
où
reste trop de Millevoye.
il
grands
et la foule
état d'esprit (1).
Hugo,
si
Il
des disciples
va mourir (Odes. V,
par ses parents de sa fiancée
est «
Et
1).
pièce composée d'imagination
et lui trop
avec
Automne (Médita*
Chrétien mourant
passèrent par cet
robuste depuis, n'a pas échappé
une séparation passagère, tout
il
que l'au-
le
à cette névrose poétique. Pour une peine
vie, »
suffit
déjà dépérissant
tions)
Les
qu'un
a
de mourant
à 30 ans, à l'âge où
toute créance à sa prédiction funèbre.
l'attriste
l'effet
va réel-
de longs cheveux sur un visage pâle,
jusqu'à ce que l'embonpoint et
tomne
n'y
il
,
qu'il
il
d'amour,
ne s'agit pas
pour
dans sa
et fatal
ici
d'une
le
jeune poète a été séparé
on
les trouvait trop
;
;
sombre
pauvre encore pour
le
mariage
jeunes
et la famille.
(1) Nous-mêmes y avons un peu passé, nourris tout jeunes de poésie
romantique. La province y passa aussi. Madame Bovary, c'est l'étude
du ravage que fait la maladie romantique sur une petite bourgeoise.
LA MALADIE ROMANTIQUE
Rien
hommes
langueurs chez des
martine, à une vie pleine de
149
que ces désespérances
n'est plus curieux à constater
ces
et
L'AMBITION.
:
comme La-
destinés,
de gloire, et qui
jours et
ne devaient ignorer aucune des joies du succès, du luxe,
de
la popularité,
de
la gloire.
Quand l'homme romantique
a passé la courte saison de
passion juvénile, que ces rêves d'amour éthéré, d'union
la
mystique des âmes font place
au besoin de
la vie
réelle,
france
commence pour
du temps.
Il
œuvres
laissées
grande
aux hommes,
fait
après soi
faut-il pas
commencer dès
ne
faut-il pas
que
l'artiste
route
sa
il
veut
la
gloire des grandes
monde à
ce
apprécié,
être
vienne un peu sur cette terre
?
a besoin d'être encouragé, d'être dirigé dans
et
;
la gloire
et élevée,
la
maladie
la
mais, pour avoir une action,
;
ne
Car
une autre souf-
une autre phase de
lui,
a une ambition,
du bien
gloire
au sentiment plus net de
s'y faire place,
1
produit sur les
effet
hommes
est
pour
lui
un critérium nécessaire de lui-même, de la valeur de son
œuvre à mesure qu'il travaille, il faut qu'il apprenne où
il doit diriger ses efforts.
Mais que de temps pour être
;
aperçu
cie,
hommes
des
méconnu,
puis, alors
que d'années
!
même
que
le
regardé dédaigneusement par
à
rester
inconnu,
bon public vous appré-
les
grands,
les riches, les
puissants de la terre, jusqu'à ce que l'on soit devenu soi-
même un
La
de ces puissants dédaigneux
démocratie,- pour laquelle
tard une
qui lui donnera plus
il
!
va s'enthousiasmer, et
inconnue aux
popularité
écrivains des siècles précédents, est d'abord pour le jeune
homme
romantique
Dans une
que,
il
prince
une
il
la
multitude immense où
aristocratie, sous
suffit
à
l'artiste
ou d'un grand
élite
;
lui suffit
il
sait
:
de posséder
il
est perdu.
les
bonnes grâces du
apprécié, r^çu, choyé
est
d'ailleurs
de plaire et
il
un gouvernement monarchi-
restreindre
d'être
par
son ambition
admis dans
la
:
familiarité
l'époque.
150
des puissants et des nobles
peut
anobli,
être
autorité
;
il
son coin de
Il
quant à
;
lui, il
sait qu'il
reste à sa place en dehors de la politique, dans
toute faite.
la société
même
n'en est pas de
dans une
société
qui tend à
devenir démocratique. La vie est une bataille
l'homme
;
romantique a maintenant conscience de sa dignité,
que tous peuvent prétendre à tout
bornes. Or,
ne
ne peut avoir ni puissance ni
qu'il
si
:
de
il
sait
une ambition sans
là
quelquefois la noblesse de sa famille, l'aisance,
un monde de choix tout prêt
à l'accueillir,
salons ou-
si les
verts lui rendent faciles ses débuts et lui permettent de vivre
tout entier dans l'idéal, souvent aussi son génie n'est point
pressenti, ni des médiocres qui ne voient rien, ni des illus-
ne voient qu'eux. Fût-il né,
tres qui
comme Hugo/
d'un
père général, d'une mère Vendéenne, avec des relations
dans
les
lui faut
deux
partis,
il
entre dans la vie sans ressources
d'abord, c'est la
loi
organisé, l'exercice libre de ses facultés,
et
pour écrire
peut stimuler
et,
le loisir
moyens de vivre
partant, les
l'activité, si
il
;
impérieuse qui pousse tout être
d'abord on a
le
pour penser
:
besoin
le
nécessaire
:
Magna; mentis opus nec de lodice paranda
Sollicitai...
Or
le
plus grand des
autobiographie,
poètes romantiques, d'après son
vécut une année avec sept cents francs
peut-on douter que
la
gêne
caractères moins robustes la
surtout sont impressionnables
noblesse et la qualité,
comme
:
augmenté chez d'autres
maladie du siècle ? Les poètes
n'ait
;
leur travail, qui vaut par
les pierres
précieuses,
la
n'est
pas, il laisse beaucoup à la
ramène souvent l'esprit à la réalité
pas continuel et n'absorbe
rêverie, c'est-à-dire qu'il
alors
:
que des hommes de
talent, philosophes, historiens,
savants, ont supporté la gêne sans trop en pâtir, absorbés
par leur travail d'esprit sans relâche,
beaucoup de temps pour
souffrir.
Et
le
ici,
poète de génie a
disons-nous que
la
LA MALADIE ROMANTIQUE
:
l'aMBITION.
151
critique ne doit point être trop sévère pour ces souffrances
des poètes; l'héroïsme lui est facile à
mais ce n'en
elle,
moins un moment dur que celui où
est pas
génie, jeune
le
encore mais jugeant déjà de haut
voit pauvre,
gêne
la
et
d'hommes
reux
la foule des hommes, se
méconnu, menacé dans ses facultés même par
l'indifférence du public, quand des millions
qui ne vivent point par l'intelligence sont heu-
et satisfaits.
commencé,
Si la célébrité a
les jalousies, les
Aux
vient éclipser.
elle
amasse inévitablement
haines féroces des médiocres que
moqueries se joignent
le
génie
calomnies:
les
que de blessures d'amour-propre, que de coups portés à
La
l'orgueil, à la vanité.
dura plus de
lutte romantique, qui
vingtans, développa singulièrementlirritabilité d'orgueil du
chef d'école et des autres poètes. Cet orgueil était, a priori,
immense dans
nels,
sombre
naïf
dans
et triste
et
résigné
même
des défauts person-
Chateaubriand,
irritable
et
Vigny
dans
;
mystique
et
dans
Hugo,
cet
orgueil
et
à l'école est imputable pour une part à ce spiri-
tualisme romantique,
ment,
dans
Lamartine, énorme
amer
superbe,
commun
en dehors
l'éccle
et parce
si
sublime et
à son
qu'il croit
si
exalté. C'est sincère-
âme
immortelle, à son
essence divine, parce qu'il croit tenir son génie de Dieu,
que
le
poète se regarde
comme un
se vénère
être supérieur à l'homme,
c'est
sincèrement que ce poète
lui-même comme une
chose sainte, parle de ses
détaché en mission ici-bas
;
ailes, se
prend pour l'orgue dont Dieu ébranle
pour
prophète envoyé aux révolutions, et croit sentir
dans
le
ses
cheveux, avec
céleste qui le fait vibrer
que
ce
poète
travail, et,
est
un
le
;
vent qui
c'est
les touches,
les agite,
le
souffle
sincèrement peut-être aussi
artiste incomplet,
dédaigneux du
ne pouvant admettre que des oeuvres inspirées
d'en haut soient imparfaites, se croit incompris parce qu'il
est critiqué, et se
garde de retoucher
ses vers, sacrés
pour
lui-même. Vraie maladie encore, intéressante peut-être chez
l'époque.
152
génies, beaucoup moins chez la foule des imitateur?, qui
les
se
donnent, eux aussi, des
Ainsi,
de prophètes.
airs
contre-coup trop fort des événements
le
siècle troublé,
l'ébranlement moral causé par
un
l'incertitude religieuse et politique,
la
d'un
Révolution,
idéal trop élevé
l'amour, un orgueil exagéré, irrité par les difficultés de
lutte
pour
la vie et
rend
sante,
pour la gloire dans une démocratie
hommes romantiques
les
fiévreux,
de
la
nais-
malades.
Tels sont les auteurs, tels seront leurs personnages dans le
drame.
IV
Dès le pre mier abord. J e^Jiérosr oman tiques se distinguent aujourdIhuj_ pour nous par une se nsibilité exagérée
et
maladive ceux surtoutqui représentent plus spécialement
;
sur la vie et la destinée,
le poète, ses idées
«
Salluste,
Ils
c'est-à-dire
les
non pas don Carlos, François I r don
mais Hernani Didier, Ruy-Blas, par exemple.
jeunes premiers
»,
,
,
ont to us plus ou moins
le
/atoZi^pjmme^n^dis^ italors
i
;
mélancolique et
carac tère
et
caractère,
ce
ils
l'ont,
:
en dehors des passions qui vont
aux événements qui Jgs__ypnt
les
préalablement
agiter,
attrister, a priori,
La
par une intui tion de leur des tiné e mauvaise.
comme
tristesse
de leur situation__d'homme du peuple, de bandit, d 'enfa nt
trouvé, leur_ajjonné une
m anière
d'être
inégale,
irascible;
l'amoureux romantique passe brusquement de l'adoration à
]a colère,
à
la
de l'enthou siasme aujJésespoir, de
ina^vaJSâ—Jmmeur.
vient chez dona Sol
sa tristesse à lui
vous avez
;
froid...
elle
:
il
l'a
à peine
vue
qu'il
s'empresse tendrement
Ce manteau
ruisselle
la
tendresse
Hernan i. quand
Considérez
!...
»
:
il
s'exclame sur
« Dites-a.oi si
— Lui ne répond
LA MALADIE ROMANTIQUE
pas,
il
ne sent ni
Un
ange vous
Et comme
froid ni la pluie et
le
ment à son amante
LE HEROS FATAL.
:
cette question
il
adresse brusque-
:
combien vous êtes douce?...
dit-il
surle manteau qui ruisselle,
elle insiste
prime prétentieusement cette antithèse sur
cœur opposées
à celles de la nature
Ah quand
!
ex-
:
se gonfle et s'emplit de tempêtes,
Qu'importe ce que peut un nuage des airs
Nous jeter en passant de tempête et d'éclairs
Sol est toute à
la joie
qui veut épouser dona Sol, et
d'ailleurs
!
de l'heure présente
s'exaspère de n'avoir qu'une heure
Comment
il
tempêtes du
les
l'amour jaloux bouillonne sur nos têtes,
Quand notre cœur
Dona
153
il
;
;
mais
lui
ne pense qu'au duc,
il
est bouillant
l'homme romantique
de fureur.
calme
serait-il
?
N'aime^Ml pas^plus^aiii que lui ? Enfant trouvé, horcme
du peuple, ouvrier, brigand, il faut qu'il paie de bien des
ces quelques
désespoirs
trouve dans un
quille
est
quand, à
menacée,
de banni
!
il
Le
amour
moments de
idéal.
joie délirante qu'il
He rnani
peut-il
être tran-
d'un mari^ej)rm^^lL cionJt dona Sol
la veille
de
est forcé
lui j)ffrirj?a
roi vient traverser
pauvreté,
sa
nani est proscrit, sa têteest misjsi^ymxj\_i\ arrive
enlever dona Sol
Il
;
veut partir, tout à coup
elle
Et tandis que dona Sol calme, sachant ce
voilà
que
vision de
il
la
la
sensibilité
mort, veut
le
!
aimant
qu'elle veut,
suivre malgré tout,
du héros romantique
l'échafaud grandit dans son cerveau
s'exalte,
;
il
che dans l'ombre »
>),c<
;
la
ne veut
pas « emporter dans son antre » ce trésor da beauté
voit que « ténèbres
pour
refuse.
n'est plus temps, je vois l'échafaud de trop près
jusqu'au bout, jusqu'à
vie
encore cet amour. Her-
:
il
ne
uj^orribre dénoûment qui s'appro-
comme un mourant
il
bénit dona Sol
l'époque.
154
d'avoir aimé « son front maudit »
sa nuit »
veut
il
;
se lève,
fuir, et,
comme dona
cerveau cède à
il
reste,
il
s'asseoit,
la folie
Sol
là,
sur ce
voix étrange et qui sonne
le
marche,
banc de
la folie,
réel,
le
pierre,
il
fait
murmure, d'une
des prières d'amour
comme
son
revient,
il
ne voit plus
:
parfois le soir
chantais, avec des pleurs dans ton œil noir.
Soyons heureux
Puis
il
ses pieds, lui
Chante-moi quelque chant,
Tu m'en
veut « rentrer dans
rappelle,
le
le tente,
met à
il
se relève, s'écrie,
qui
veut rester
asseoir son amante, se
;
I
buvons
tocsin éclate,
!
car la coupe est remplie...
ne l'entend pas,
il
la folie est
venue.
..
Eh non c'est notre noce
Qu'on sonne... Nous aurons une noce aux flambleaux!...
!
montagnard,
L'arrivée d'un
réclame met seul
fin
le
!
devoir impérieux qui le
cette scène d'hallucination
à
amou-
un
peu énervé du xix e siècle.
A chaque entrevue il repasse par les mêmes alternatives de découragement et d'exaltation, de fureur et de
tendresse dans ce délire sombre il fait tout pour se faire
reuse, très belle et d'un pathétique propre à l'homme
;
haïr, se traite
méchant
se dit
«
l'exil,
les
<£
l'écrin
il
est
il
est
((
<i
lui-même de fou furieux, de sombre insensé,
fers,
la
il
rappelle encore
mort,
l'effroi, « la
le
sang, les pleurs,
dot de douleurs » r
de misère et de deuil » qu'il offre à sa fiancée
funeste »,
il
Une
».
et sourd de mystères funèbres,
âtne de malheur faite avec des ténèbres
sa terrible hallucination le reprend,
Où
souffle
il
voit
!
rouge
mais je me sens poussé
impétueux, d'un destin insensé.
vais-je ? Je ne sais,
D'un
;
porte malheur à tout ce qui j'entoure,
une force qui va
Agent aveugle
Et
»,
:
LA MALADIE ROMANTIQUE
Je descends,
je
LE HEROS FATAL.
:
descends, et jamais ne m'arrête
155
:
Si parfois, haletant, j'ose tourner la tête,
Une
voix me dit Marche et l'abîme est profond,
Et de flamme et de sang je le vois rouge au fond.
Cependant, à l'entour de ma course farouche,
Tout se brise, tout meurt Malheur à qui me touche.
Oh fuis détourne-toi de mon chemin fatal.
Hélas sans le vouloir je te ferais du mal
:
!
!
!
!
!
La
!
fin est très belle
au
reste,
de
folie
parce qu'il est malade d'amour
on ne peut s'empêcher de penser que
du héros
;
quant
cette sorte
mieux justifiée dans Hamlet, dont
fatal est
tiennent un peu ces héros romantiques. Quelque chose de
la sensibilité
Hugo
septentrionale est entré avec
comme on
poésie française, et,
dit,
l'a
dans
la
est
un
endurer
les
Hernani
héros de ballade allemande.
Il
faut une
femme fortement
éprise
pour
brusques accès de l'amant romantique.
comme tqus les
jaloux,
méfiant et
est
Il
caractères sombres. Hernani, revenu
dans son déguisement de pèlerin, témoin des apprêts
mariage, se croit trahi
devoûment de dona
sitôt, et
où
il
lui
;
Sol,
veut livrer sa
tête,
qui refusait tout
il
doute
Il insulte
ensuiieJa
il
arrêter par
iemme
ofl^àr_jorj_s^n^_ej_exjna^[oji^[e
Ilja'est pas
les
aime,
qu'il
valets
otag e
,
il
e
acte^
devant
court à lui,
pelle
et lui
«
il
le
la fait
Madame
»,
et,
l'air
a
quand
il
la revoit
au
elle
reculer d'un regard de défiance, l'ap-
attendant, pour
l
dire
garde son honneur.
d'une caricature.
:
ui_aitjnqntré
défian t, qui pr end tour à tour les
a plutôt
le roi
tombeau de Charlemagne, quand
tendre-Ies—bms^-qVelle
pris aujgijjt q ui
justifie,
accè s_de jalousie.
son
pas sûr qu'elle n'ait pas
n'es t
succombé_aux_ieniations royales,
IV
de
l'accable
guérj_encore ^séparé de dona Sol que
emmenée comm e
le
désespère aus-
de 3on mépris, pourjtomber^à genoux dès qu'elle se
jgjb
du
l'heure
beau coup de théâtre
dans ce
tente en vain de se faire
don Ruv.
d'elle,
à
deux
Un
«
Mon amie
»
poignard
personnage si
le
attitudes contraires,
l'époque.
156
Le pardon de don Carlos supprimera
C~
malade
d'ailleurs le
en ôtant de sa vie tout ce qui
dans Hernani,
faisait
la
sombre, son devoir de vengeance, sa haine contre un rival
d'amant désespéré.
et sa douleur
En un
seul jour
il
redevient
grand, riche, honoré, reprend son rang, épouse son amante.
Mais sa maladie, pour s'évanouir tout d'un coup, n'en
était pas
L
dit et
moins
et explicable
réelle
;
sa situation de ban-
de banni admise, ses souffrances sont bien humaines.
la
même
situation qu'Hernani, cette situation de « ver de terre
amou-
Didier, placé vis-à-vis de la
reux d'une
mêmes
coupable envers
la vie
drame.
Comme
duire chez
la
« son souffle
de lumière
femme
croit
soupçons, ce mépris, ce dégoût
trompé deviennent bientôt tout
candeur de cet
parler de sa « nuit » et de sa «
la vie
de Fange.
un misanthrope, pour des
Seul, à vingt ans,
Didier,
«
brume
de
ange
» qu'il
comme Her-
raisons différentes.
amère
la vie était
le
s'intro-
qu'il croit sienne, parler lui aussi
» qui ternirait la
ne veut pas mêlera
nani, est
l'a
soup-
qu'il
Hernani, voyez-le hésiter avant de
impur
»,
mêmes
mépris par son amante
lui, et ces
où l'amour
chaque instant des mêmes
désespoirs sombres, des
même
çons furieux, du
de
est pris à
étoile »,
scrupules, des
femme aimée dans
et triste
;
Je voyageai je vis les hommes, et j'en pris
En haine quelques-uns et le reste en mépris
Car je ne vis qu'orgueil, que misère et que peine
Sur ce miroir terni qu'on nomme face humaine
;
;
;
me voici, jeune encore et pourtant
Vieux, et du monde las comme on l'est en sortant.
Ne me heurtant à rien où je ne me déchire
Si bien que
;
Trouvant le monde mal, mais trouvant l'homme
Or je vivais ainsi, pauvre, sombre, isolé,
Quand vous êtes venue et m'avez consolé.
Il
craignait d'aimer,
tout à l'amour,
amour comme
il
le
ne
il
a fui
sait s'il
sien,
;
maintenant
trouvera
profond
et
pire.
même
qu'il est
dans une femme un
sombre,
lui,
le
plébéien
désabuse du reste, qui souffre de son isolement, qui juge
LA MALADIE ROMANTIQUE
amèrement
LE HEROS FATAL.
:
qui interroge anxieusement
la vie,
157
destinée,
la
qui vit et pense en poète, inquiet sur Dieu, sur l'âme, sur
la
fin
de l'homme. Pareil amour est aussi maladie
peinture qu'il en
la
Vous m'aimez
fait
;
voyez
:
prenez garde, une telle parole,
pas d'une façon frivole.
Vous m'aimez Savez-vous ce que c'est que l'amour ?
Qu'un amour qui devient notre sang, notre jour,
Qui, longtemps étouffé, s'allume et dont la flamme
S'accroît incessamment en purifiant l'âme,
Qui seul au fond du cœur, où nous les entassions,
Brûle les vains débris des autres passions?
Qu'un amour à la fois sans espoir et sans borne,
Et qui même au bonheur survit, profond et morne
Hélas
!
ne se dit
!
!
!
Comme
Hernani,
Didier semble prendre à tâche, dans
sombre inquiétude, de dégoûter de
sa
;
amer,
« glacial »
ses
lui
femme
la
qui
au moindre prétexte, l'amant soupçonneux devient
l'aime
;
le
jeux de scène
:
poète prend
il
peine de l'indiquer dans
la
rebute l'amour
comme
il
rebute à
dessein la reconnaissance par ses façons bourrues, et sauve
les
gens sans vouloir
s'emplir, pour
un
les connaître.
rien, de jalousie
;
Cette
le
âme sombre va
jour où
il
a
soupçonné
que Saverny peut avoir remarqué Marion, Didier va devant lui, tout à sa fureur, et c'est dans cette posture de
jaloux ténébreux que nous le retrouvons à l'acte suivant.
Aussi se battra-t-il à
première occasion et se
la
laissera-t-il
arrêter sans résistance, ces sortes de caractères acceptant
peut encore assombrir leur
avec joie tout ce qui
somme, Marion a
adieu (acte II,
sort dont
il
est
La marche
se.
iv)
;
ni son soupçon
menacé, ne
En
commençant,
ni le
le justifient.
des deux intrigues a d'ailleurs une ressem-
blance qui s'ajoute à
Hernani ne
vie.
raison de ne pouvoir s'expliquer son froid
voit
la similitude
des caractères.
dona Sol que pour
la
Comme
torturer de
ses
soupçons, de sa douleur, pour refuser de l'entraîner plus
longtemps dans sa nuit, de
même
Didier, sauvé par
Ma-
158
l'époque.
'
refusejlus que jamais de
fugitif avec elle,
rion,
femme
sort fatal la vie de cette
mener avec
ce
il
la
lui « à
l'abîme profond
roue » de sa destinée
vient de l'enfer et
Qui descendit du
Le
»,
de
son
la
la faire briser .par
lui aussi se dit fatal et
méchant
;
:
me
pour
ciel
donne à
ciel te
;
y va
il
lier à
innocente et dévouée, de
suivre aux enfers
moi,, l'enfer à
moi
te
lie.
? (III, 6.)
(III, 6.)
Son amante ne peut comprendre cet homme qui se dit
méchant quand il est bon, qui s'accuse delà perdre quand
mais lui suit des
elle met son bonheur unique à lo suivre
astre
mauvais
»
il
n'a
même
point
yeux « son
le courage,
;
;
l'amour de se mieux cacher des sergents et de
la pitié,
fuir
avec
elle
;
bonheur de ce héros romantique semble
le
amante, qui éclate en sanglots
être de torturer son
Ah
!
tuez-moi,
Parler ainsi
:
vous voulez encore
si
!
Et l'amant, ayant comblé
la
mesure, s'agenouille alors,
boit les pleurs qu'il a fait verser.
.
Je ne parle pas
ici
des tristesses de Didier qui sont jus-
drame même
désespoir, quand il apprend
tifiées
par
le
quand, pour
la
seconde
fois,
pèlerin se livre lui-même,
dont
il
pourrait déjouer
piège
toutes ses illusions écroulées,
voir que la mort,
quand
qui s'est prostituée pour
dernier moment,
il
il
le
dans
naturel
son
nom de son amante
comme Hernani déguisé en
le
;
se livre lui aussi à
il
le
est
il
:
il
;
ne voit plus
et
ne veut plus
amoureuse
insulte la courtisane
sauver
;
Laffemas
naturel encore quand,
naturel aussi quand, au
secoue tout préjugé, comprend l'héroïsme
de Marion
et lui pardonne
ce ne sont pas les tristesses
du drame que nous trouvons exagérées, mais seulement
;
cette tristesse a priori, romantique, cette maladie
Ruy-Blas a aussi
la
malade comme amant
maladie romantique
:
le
haut
rang
de
;
il
du temps.
n'est point
l'amante
lui
LA MALADIE ROMANTIQUE
interdit
atrabilaires de Didier
allures
les
pendant
est,
;
159
comme
et
au comble du bonheur,
actes,
trois
LE HEROS FATAL.
:
il
n'a
il
nulle raison de souffrir et de faire souffrir les autres. Mais
nous retrouvons en
lui
l'homme romantique,
plébéien
le
plein de génie et de rêves, qui sent sa noblesse, souffre de
son origine basse et de son rang infime, qui
Orphelin, par pitié nourri dans un collège,
est
devenu, au lieu d'ouvrier, un rêveur, puis un poète
(I, 3) qui dit
« A quoi bon travailler ? » découragé de
bonne heure par le doute, par les « méditations sur le sort
des humains », qui pensif et paresseux, amoureux de luxe
:
et de beauté, passe son
temps
Devant quelque
palais regorgeant de richesses,
regarder entrer et sortir des duchesses.
A
Bref, de la misère dorée un
tombé à
rêves,
il
est
vivre
:
détail
jamais
la
l'époque romantique,
de
caractéristique
n'y eut plus de dévoyés, de
il
plus de suicides
jamais
moment par la liberté et les
comme Rousseau, pour
domesticité,
rare, hors
du théâtre,
poètes
c<
Entendez-vous
s'écrie Alfred
le
drame que Ruy-Blas
se
trouve,
sa reine,
cœur
il
cet
y a toute l'ambition
la
qu'en l'aimant
;
aucun respect dans
les
la fait
distances que
supprime
les
On
mots
:
:
aussi
?
»
vraisemblance,
homme du
d'égalité,
hauteur d'une femme, ou bien on ne
subsister, l'amour les
domes-
besoins du
les
et d'intelligence, osant porter les
jouissance de la démocratie nouvelle.
soi,
pour
contre
Dans
sous la livrée d'un laquais.
plein de
être
bruit des pistolets solitaires
de Vigny. C'est donc
est
il
au théâtre
qu'ils se fassent valets, et,
même, Chatterton s'empoisonne pour ne pas
tique.
misérables,
d'auteurs au désespoir, car
peuple,
yeux sur
tout l'appétit de
ne se hausse à
la
descendre jusqu'à
le
désir laisserait
Ruy-Blas
dit-il,
sans
l'époque.
160
jaloux du
...Eh oui
Puisque j'aime sa femme.
roi
!
sans doute
!
Lui aussi, effrayé de lui-même,
noir que le crime ».
a,
comme
les autres,
la
qui l'entraîne, d'un abîme « plus
vision d'une « fatalité s
Quelle plus grande maladie que de
sentir
se
Sous l'habit d'un valet
les passions
d'un roi ?
Guéri, transporté au ciel par l'accomplissement fantastique de ses
tout son
la
il
rêves,
bonheur
il
que
songe
le
dans
cru
les
roi,
il
était
grand
choses humaines
il
;
;
si
et
;
entrait par lui
la justice
idéale dont
avait l'amante
l'amour emplissait son cœur, dont
sait
d'un fiévreux
Dans son hallucination,
dernière crise va l'emporter.
s'est
comme
retombe dans sa maladie,
n'était
beauté royale ravis-
la
son imagination ambitieuse, puis tout
s'est
écroulé
;
c'est le réveil, la fièvre -qui se rallume, puis l'agonie.
Je suis fou, je n'ai plus une idée en son lieu
Ma raison, dont j'étais si vain, mon Dieu, mon Dieu,
Prise en un tourbillon d'épouvante et de rage,
N'est plus qu'un pauvre jonc tordu par un orage.
;
Il
n'a pas d'ailleurs
à cette fatalité
frénésie
Il
une
quand
;
le
il
un
seul instant l'idée de se soustraire
héros romantique embrasse
Didier,
en venant au monde.
il
femme aimée,
Buraraxes)
;
il
est ouvrier,
elle
il
;
un
obstacle fatal
est bandit, elle est noble
;
est atteinte
est libre, elle est
elle est
mort à
est enfant trouvé,orphelin, comme
honnête, c'est une courtisane
est valide,
n'a son père
S'il
Ruy-Blas, Otbert, Gennaro
sépare de la
il
mort avec
semble donc que tout héros romantique doive traîner
fatalité
venger comme Hernani,
il
la
a perdu l'amante prédestinée.
pairesse
il
est valet, c'est
;
il
le
est
une reine
;
d'un mal mystérieux [Les
mariée au tyran de Padoue
d'Angleterre.
;
LA MALADIE ROMANTIQUE
Ainsi dans ce jeune premier
nous retrouvons
le poète,
au début, perdu dans
ANTONY.
:
des drames romantiques
l'homme du XIX e
la foule,
à tout, peut aimer au-dessus
161
siècle,
pauvre
qui aspire à tout, se sent égal
de
lui,
malade que
enfin ce
nous avons étudié plus haut. La maladie romantique qui
génération de poètes
affectait cette
au théâtre,
s'est traduite
dans l'intrigue par l'invention d'une situation exceptionnel-
lement
triste, celle
société,
de bandit, d'enfant trouvé, banni de la
de déshérité, voué à une destinée
fatale, et
dans
le
caractère par les brusqueries, les fureurs, les désespérances
morbides que nous avons analysées.
Nous venons de
par
la
Hugo
et
voir des esprits de premier ordre atteints
maladie romantique et
au grand premier
rôle, qui représentent plutôt
nité jeune et idéale,
représentent
satirique.
et
Ils
que
tandis
leurs défauts,
nerveux, Hernani,
énigme douloureuse
;
ils
vie
la
sont
position dans la société, comme
Dumas
desc end d 'un degré,
à"
1
L'auteur
Blas, sont
qui
est
il
et
poétiques.
victimes des événements,
Antony
non de leur
Avec
et Chatterton.
de Vigny,
l'art
romantique
soutient une thèse sociale.
Antony, dont
le
talent devait prendre bientôt
tous les caractères delà santé exubérante, ne fut
temps
atteint de la maladie
romantique
;
trop vite peut-être ettropcomplètement.
ne rêva guère sur
les
il
s'en
pas long-
guérit vite,
Ce cerveau robuste
problèmes religieux, ou moraux, ou
sociaux, dont les autres romantiques furent troublés.
LE DRAME KOJ1ANT.
la
pour eux une
leurs propres passions,
des circonstances, de
ces deux drames de
personnages
ces héros, trop sensibles
Ruy
Didier,
de
n'attendent rien
les autres
l'huma-
souvent avec une intention
telle qu'elle est, et
Malgré
communiquant comme
la
principalement au jeune premier
à leurs créations,
Mais
11
l'époque.
162
moment
un
connut
il
la
pauvreté, ses humiliations, les
tracasseries lâches et imbéciles de la vie administrative, la
moquerie
sotte,
le
dédain du bourgeois, toutes
dures au jeune auteur qui a conscience de sa
un moment de
C'était assez pour se trouver pris
colie
romantique, qui était dans
que
l'air et
le
choses
valeur (1).
mélan-
la
génie rendait
séduisante. Si nous en croyons l'auteur lui-même,
si
plication à.'Antony est dans
drame. Le
le
une pièce de vers qui précède
fait, s'il est réel,
sur lequel
pour une femme qui
un amour
c'est
curieux de voir ce que
la
L'amant
élégie.
effrayant sourire.
*>
poète a brodé,
le
est
mariée.
est
Il
maladie d'alors inspire de délire
à un esprit vigoureux et sanguin. Tout
dans cette
l'ex-
Cette
drame
le
femme
est
déjà
à noter « son
complaît
s'y
aime, un autre
qu'il
l'a
déjà possédée, sujet de fureur sombre, et, après lui, tout à
l'heure, cet autre la possédera encore
reur sombre. Lui ne reconnaît pas
sujet de fu-
autre
:
les lois
de
la terre, celles
un
qui vendent par contrat les caresses et font des baisers
devoir
;
il
ne reconnaît pas non plu9
meurtre
le
;
et voilà le
de crime et
poète (?) qui rêve
d'échafaud, car quel remède
femme
celles qui interdisent
à sa folie furieuse
Tuer
?
la
qui ne peut être à lui seul.
Sincère ou affecté, ce délire montre assez ce que devient
dans un tempérament de créole
ici
l'homme romantique, au
amante,
doit le réunir à son
la
poésie d'un Lamartine
:
lieu d'attendre l'éternité qui
la
sommes
poignarde. Nous
en face non d'une maladie morale, mais d'un accès d'hypocondrie furieuse.
Cette
dans
le
rage,
sauvagerie,
cette
drame. Le Didier de
avoir encore été joué
;
il
une
:
connu, sans
Dumas
société qui
Voirie fragment d'autobiographie intitulé
auteur dramatique.
justifier
la
fallait
était déjà
de l'enfant trouvé,
enfant naturel, mais dans
(1)
Hugo
ne
fit
leur
Comment
un
fait
je devins
LA MALADIE ROMANTIQUE
homme
aucune place. Cet
paria qui ne peut dire
même
qui
ignore
la
ANTONY.
:
163
un
intelligent, passionné, c'est
nom
son
source
ni
de sa fortune
une femme,
à
l'offrir
un
;
sujet bien
pour y épancher la bile noire du romantique d'occasion, du poète employé de ministère, du plébéien venu
trouvé
un monde encore
trop tôt dans
de préjugés aristo-
plein
cratiques.
Antony
Ce
est
que
un maniaque
veut-il
:
lui
le
;
de l'hystérie
c'est
;
ressemble d'ailleurs: toute matérielle
possession seule est
la
peinte sur
a la folie
Didier un rêveur, un poète
posséder, posséder seul
?
romantique. Adèle
au fond
il
;
comme
n'est point
visage.
le
sujet de
scrupules,
ses
Leur entourage
de ses désirs, de ses remords.
est
comme
Le problème romantique est transposé du monde de
Antony n'a pas seulement les
l'âme dans celui des sens
yeux fixes et sombres »,, « la fièvre »; l'homme fatal a un
eux.
<r
;
poignard, caché dans son portefeuille, et dont
de cachet
lui sert
ce poignard,
garde dans
les
;
un peu plus
aux moments de rage,
les tables d'hôtel
les éclats
et
de voix subits
ricanement satanique,
les
;
il
il
le
pommeau
dans un crâne
boirait
le
;
l'enfonce jusqu'à la
en tuera
Adèle. Toutes
poses du héros poétique, de Didier, d'Hernani,
amère,
le
il
et furieux,
les
l'ironie
yeux
fixes,
grincement des dents, Antony
prend, mais en habit noir et dans un salon moderne.
Antony aimait Adèle
dès que le colonel d'HervaxîL
la demande en mariage, Antony disparaît (il ne
peut lui
offrir un nom, il n'en a pas). Adèle mariée, le colonel en
;
voyage,
il
il
reparaît, avide de possession
;
il
explique sa fuite
y a trois ans, sa naissance, sa vie de paria, sa passion
sauvage
et
capable d'un crime. Dans les bras de ce Satan
en redingote, Adèle
mari.
Antony
berge où
elle
faiblit,
la poursuit,
va passer
et
prend peur et
la
organise son guet-apens
chambres communiquent
entre elles
Adèle retiendra l'autre
la nuit
-,
fuit vers
son
devance, l'attend dans l'au-
;
il
venue,
:
deux
en retient
une.
pénètre
chez
il
16*4
elle,
l'époque.
par
balcon.
le
porte à Paris
proie
Il tient sa
envoyé à Strasbourg
avec
liera
se
elle se livre.
;
précautions
a pris ses
il
;
;
chain. Adèle s'est abandonnée, elle est sa
plein bal
Antony, en
;
prenant sa
du
retour pro-
maîtresse
:
bonen
humiliée
déshonorée,
est
l'em-
domestiques
les
colonel et reviendra l'avertir, dans lô cas d'un
heur empoisonné, car Adèle
Il
son domestique
défense, la déshonore
encore davantage. Le domestique d'Antony survient, précédant de quelques heures
critique
Adèle
:
chez
s'enfuit
tente de l'enlever
;
de sa
l'idée
colonel. Voilà
le
Antony
elle.
fille fait
moment
le
l'y poursuit,
Adèle au
résister
bord du précipice de l'adultère public. Antony va peutpourtant, quand
l'entraîner
être
porte
:
Antony veut
pas sa proie,
lui
il
mais
il
propose de
la
fuir,
frappe à
colonel
le
se ravise,
tuer,
il
ne
la
lâchera
de
sous prétexte
sauver sa réputation, qu'il pourrait sauver encore rien qu'en
fuyant
y consent,
elle
;
et se déclare meurtrier
sinée
Dénoûment
»
!
naturel,
il
tellement
la tue,
la
me
« Elle
:
violent
donne pour innocente
résistait
partout
personnages
les
je l'ai assas-
:
ailleurs,
ici
fort
nous ont habitués à
leur folie furieuse.
La maladie romantique
une plus grande
vrose
bizarre, vulgaire,
romantiques,
victime.
cœur
;
il
dieu, est
le
donné aux autres héros
basse.
mais non
Dans beaucoup
héros est une sorte de dieu, la
cette né-
d'oeuvres
femme
sa
un grand esprit, un grand
à son âme immortelle. Antony, au lieu d'un
Mais ce héros
croit
avait
sensibilité nerveuse,
est
un démon épouvantablement jaloux, qui s'immole
une victime tremblante. Qu'une femme pure, une Catarina,
une Maria de Neubourg, une dona Sol, s'abandonne, faible
et tremblante, à
à tous, à
jours, soit
;
romantique
les
l'amour d'un
l'âme duquel
elle
homme
qu'elle juge supérieur
croit son
âme
liée
pour tou-
mais quel rapport entre ces héroïnes de l'amour
et cette Adèle,
excuses de l'autre
:
une Madame Bovary qui n'a pas
Emma tombe et retombe dans
car
LA MALADIE ROMANTIQUE
romanesque
l'adultère par soif d'idéal
de ses sens
;
quand
quand
il
du
style,
musculaire, cet amant fatal
elle
;
sa
tremble
même
l'exagération
;
déploiement de force
le
au torse puissant frappaient
d'exaspérer
Mais
bourgeois.
le
aux rapins,
plaisait
aux jeunes gens chovelus de 1830 dont
grand
est la victime
sens de l'autre
dans ses bras forcenés.
la saisit
de joie
Adèle
165
de terreur et de désir
frissonne
elle
L'allure furibonde
la foule
;
les
DE VIGNY.
aux rugissements d'Antony,
la tutoie,
il
contre
elle est faible
tête se trouble
A.
:
plaisir
le
cette
était
ardeur de
réaction contre l'art classique, qui après cinquante ans teinte
de ridicule
les
grands .ouvrages, rend grotesques
les
mé-
diocres.
VI
jChattertoix_ est aussi
La maladie de
Alfred de Vigny,
Le
sortir.
un malade romantique.
il
s'y est
même
que
sort injuste
pensée, la tristesse de
vision
ou
hostile
aux hommes de
médiocres rois du monde,
démocratie de plus en plus
dans l'avenir à
voilà les préoccupations
lectuelle,
foule
grand poète méconnu du
voir le
douloureuse d'une
indifférente
confiné sans en vouloir
la
fait
peuple, haï des pouvoirs, et les
la
point épargné
et d'orgueil n'a
tristesse
la supériorité intel-
habituelles de l'auteur
VEloa.
Le poète
le
est le
martyr perpétuel à qui
pain et ne laisse que
lui
le suicide.
la
société refuse
De Vigny réclame pour
droit « d'écouter les accords qui se forment lente-
le
ment dans son âme,
et
que
le
bruit grossier d'un travail
positif et régulier
interrompt et
nouir
la
;
la
vie
et
pensée,
le
fait
infailliblement éva-
pain et
le
temps
».
Les
infortunes de Gilbert, de Chatterton, d'André Chénier, de
Tasse
et
de Dante, tout
le
secours de son plaidoyer.
martyrologe des poètes vient au
l'époque.
166
En
théorie,
il
a raison
:
de leur vivant,
suffiraient à les reconnaître
Oui, certes
y regarder.
gens
délicats, les jeunes
et les
main
mais qui
;
mais
délicats
?
est
Les
?
Les
rien,
égoïstes
et
jaloux
ne passent point leur temps à prendre en
On
nourrir aux frais de l'Etat
tant, la société
savait
l'on
y regarder
Les jeunes gens ne peuvent
cause d'un poète.
la
sait
si
?
connaisseurs,
confrères,
prétend que quelques vers
il
les
ne peut
humaine n'a jamais eu de base
née du désordre
désordre. Mais
si
et
bonne au fond,
la
médiocrité, contre
cause de la pensée
et
;
n'est encore qu'un
ne îéforme pas
l'on
est
c'est
le
pour
faire des lois
jeunes talents qui prometidéale, elle
moins grand
la société,
la
cause
un mérite de soutenir contre
pouvoir égoïste et malveillant
la
l'invincible mélancolie qui n'a pas quitté
Alfred de Vigny en présence de cette pensée, négligée ou
opprimée à jamais,
désespoir calme et non tapageur qui
le
a fait sa vie chaste et pure de tout trafic, le mettent à un
rang supérieur.
Cependant à
de cette attitude s'ajoute l'élément
la noblesse
morbide d'orgueil etd'égoïsme qui distingue
Alfred de Vigny eut,
d'autres
finit
;
il
par se
souffrit
il
est vrai, la
en silence, s'absorba
stériliser.
De 1835
le
romantisme.
dignité qui
manqua
en lui-même
à 1863, près de trente ans,
l'auteur d'Eloa ne produisit qu'un
volume de poésie
journal d'un poète. La pensée, trop élevée, a refusé
poésie d'autres inspirations que les plus sévères.
que Les Destinées
et surtout
à
et
La
Il
et le
à
la
faut dire
liaison du Berger sont
d'un poète qui n'a pas de supérieur.
L'orgueil mystique et souffrant se montrait déjà chez
Alfred de
Vigny dans
des Poèmes antiques
tifiée d'ailleurs,
et
la
préface mise en 1837 au-devant
modernes, par
d'avoir été
le
dans Eloa même, où, suivant
femme
et
la prétention,
mal
jus-
premier à innover, dans Moïse,
les
habitudes romantiques,
la
qui aime est uuè victime fascinée, où le héros fatal
sombre, Hernani ou Antony, qui
fascine la
femme,
LA MALADIE ROMANTIQUE
:
DE VIGNY.
A.
167
devient cet ange déchu, au « front inquiet », au « geste
impatient
ténébreux
», si
Peu de
et si
beau.
poètes se sont autant pris que celui-ci pour des
inspirés d'en haut.
Il
montre au commencement de
se
austère dans
la
silence de
préface, achevant
son
dix-sept nuits
frémissant encore des souffrances qu'il
m'a
;
«
travail
le
causées et clans un recueillement aussi saint que
la
me demande s'il
hommes ». Cette émo-
prière, je le considère avec tristesse et je
sera inutile ou
sera écouté des
s'il
tion n'est pas feinte
tisme
;
mais
de Christ, et
il
du roman-
elle est caractéristique
poète s'apparaît à lui-même
le
;
comme une
sorte
chante son martyre perpétuel et sa per-
pétuelle immolation.
Le poète
idéal, celui qu'il veut défendre, c'est le rêveur
incapable de
lutter, trop rêveur, trop souffrant, inférieur
au grand écrivain,
qu'il
Vigny
d'accord
tomberait-il
douteux
cache
a
pour
et
;
il
;
<i
répand
ses
grand écrivain
entière
une conviction
«
œuvres
souvent ingrat».
philosophie
»;
Il
et
un
sol
a « médité dans la retraite sa
au peuple,
parle
il
profonde
« à larges flots sur
dans sa voie ceux qui croient en
lui »
de grandes révoltes
peut-il
et des haines larges et
y avoir
L'auteur va nous le dire
:
;
homme de
d'un Hugo, d'un Lamartine, n
ment
est sain,
est
et
calme
pas malade
chemin,
« quelles
il
qu'il cher;
il
est stu-
son exacte raison domine et dissimule
voltes et les haines qui le
?
« son juge-
;
exempt de troubles autres que ceux
;
».
à celui-là
génie, qui a tout l'air
che, de passions autres que ses colères contenues
dieux
son cœur a
;
sublimes
un homme supérieur
cet
conduit
il
« l'ardeur d'un
perpétuel combat enflamme sa vie et ses écrits
Comment
C'est
?
peut-être dans cette distinction que se
distinctifs
traits
Alfred de
part.
de cette infériorité
plus de vanité. Celui qu'il appelle le
le
grave »
dur
et c'est
caractérise à
rongent en secret
enchaîne ses idées et ses livres
»,
:
il
il
œuvres pourront s'attacher à toutes
les ré-
se trouve
sait
un
d'avance
ses
œuvres
168
l'époque.
dans l'avenir
».
d'âmes,
entraîne du nord au sud selon son bon vouun peuple dans sa main ». Celui que Vigny
loir
;
qu'il
tient
il
appelle
maître de
est
il
Dieu
et souffre
un prêtre
est directement
il
de cette inspiration qui
un malade.
et
de beaucoup
lui et
poète n'est rien de tout cela, mais
le
inspiré de
C'est
Enfin, «
le
trouble.
d'une nature « plus
Il est
passionnée, plus pure et plus rare», d'une nature « divine»,
grand mot,
voilà le
pas l'œuvre divine
et,
;
par suite, inhabile à tout ce qui n'est
son âme, « volant au plus petit
souffle,
erre dans l'espace qui n'a pas de routes humaines »
hommes qui ne
lors plus de rapports avec les
ou rompus sur quelques points
veulent dire par
que
là
divins.
pas
la critique n'a
—
:
«tendresses écrasantes et disproportionnées
un
sa tête brûlée »
moments
il
;
où
« volcan » se
est «
va
il
la
irritable
il
est assez
et s'y
clair
;
commune
secrètes et des
malade, et ne
la
maladie romantique
à tous les
particulière
il
a
poètes, s'a-
au tempérament
vie,
« se tait, s'éloigne, se retourne
renferme
comme
Cet orgueil d'archange
;
des enthou-
dans l'intérieur de
comme un
va «
nerveuse
heureusement tout
Vigny
«
de l'homme qui, lui aussi, toute sa
son poète idéal,
même,
forme
», «
meurt des peines
se
apparue aussi complète, aussi intense. C'est qu"à
maladie
la
il
consumé par des ardeurs
noble maladie d'esprit
joute
«
;
».
Ce diagnostic
n'e-t jamais
du
« dès
« le feu couve dans ce cratère», à d'autres
langueurs inexplicables »,
sait
divinité
dès lors une sensibilité trop vive, des
siasmes excessifs qui l'égarent »
;
la
poète est plongé dans a des extases involon-
le
taires ». Il conserve
des autres »
défauts leurs
commence
elle
:
droit de les
le
Voilà donc pour
poète. Voici maintenant sa maladie
l'enfance »
« dès
Les poètes romantiques
».
juger, et qu'elle peut bien prendre pour des
traits les plus
;
soient altérés
et
dans un cachot
cette
maladie
comme
sur
lui-
».
ne sont pas
comprend Alfred de
encore une imagination puissante, une âme qui
le
poète,
tel
que
le
LA MALADIE KOM ANTIQUE: CHATTERTON.
169
retient et juge toute chose avec une large mémoire, avec
un sens droit et pénétrant, une nature d'élite, impatiente de
a les dégoûts, les froissela méchanceté et de la médiocrité
ments et les résistances de la société humaine le jettent dans
;
des abattements profonds, dans de noires indignations, dans
des désolations insurmontables, parce qu'il comprend tout
trop complètement et trop profondément, et parce
va droit aux causes,
oeil
d'autres
yeux
qu'il
à
s'arrêtent
n'est pas là le vrai poète
de Vigny lui-même,
sur la limite où
penseur trop attristé, et se
choses.
il
Le
montre
«
où
le
;
la surface.
ces dispositions d'esprit est sorti
rialiste
Alfred
vrai poète, d'ordinaire, ne voit pas aussi loin
Chatterton. Ily
gence
comme
poète devient un
le
par dégoût du fond des
tait enfin
chante parce qu'il ne voit que
De
combattent ». Ce
qu'ils
l'effet
celui-là est surtout,
:
que son
déplore et dédaigne, quand
drame-thèse de
le
par une société maté-
l'esprit étouffé
calculateur avare exploite sans pitié l'intelli-
et le travail. Il a
c'est l'histoire
et qui attend la
d'un
voulu que sa fable fût très simple
homme
qui a écrit une lettre
réponse jusqu'au soir
;
elle
arrive et
:
le
matin
le
tue
».
Fort heureusement d'autres personnages sont mêlés à cette
histoire, sans
animer assez
glais, avait le
tempérament
romantique,
le
drame. Chatterton,
le
le
comme An-
plus apte à recevoir la maladie
spleen des poètes français.
Pour peindre
sa
misère, l'auteur le montre logé dans une chambre garnie chez
des marchands
promis par
:
traité
là
à
n'y pouvait réussir,
il
s'efforce de finir à jour fixe le
un
il
libraire
a pris
le
ancien ami de son père, et de
attend
tel
le résultat
chez
;
le
parti d'écrire au lord-maire,
lui
demander
protection. Il
de sa démarche. Le dégoût de
lui qu'il est prêt
au suicide
réussit pas. 11 se tue en effet
poème
jour venu, voyant qu'il
cette
si
quand
la
la
vie est
démarche ne
lettre
attendue
lui
apporte une place de valet de chambre.
A
peine paraît-il, que nous
visage pâle,
il
est « faible
voyons
la
maladie sur son
de corps, épuisé de veilles et de
/
170
l'époque.
pensées »,
malgré
bottes molles et son air à la fois
ses
militaire et ecclésiastique, petite vanité de l'auteur qui
à
fait
ressemblance,
sa
pareil cas.
Le caractère
ni
Le
le
principal est
trait
scepticisme absolu sur
est bien plus
le
homme où
il
découragement
le
vie
et la
;
ne veut
même
pas éviter les coups de ses ennemis
;
Dieu
;
lui, cette force
persuadé que
choses qui
des
c'est la volonté divine
et~ctes~
vie
des
la force
lutter, se raidir contre les obstacles, c'est résister à
pour
il
;
est
:
au suicide par
et
Chatterton
son caractère. Dans cette situation, ilji e lutt e
choses et
plus,
au
que tout
commencement la pièce
moment morbide dans la
est acculé
il
homme
autres héros romantiques
les
précisément l'étude de ce
d'un
monde
le
malade que
au suicide dès
est décidé
et
est beau, quoiqu'il ait le défaut,
point de vue du théâtre, d'être celui d'un
éloigne d'agir.
l'a
militaire
l'air
molles aient rien à voir en
ni les bottes
ecclésiastique,
que
sans
:
pousse au suicide,
le
pourquoi résister
?
Chatterton est
vocation poétique est d'inspi ration c éleste,
la
comme une
considère
lo rs~~se
que
l'inspiration plus forte
lui
;
victim e
c'est le
fatale
de
thème ro mantique
par excellence. Chatterton dit un des plus beaux mots qu'ait
aux
inspirés
nature divine
poètes
;
mais qui est
âme
Il
romantiques
y a aussi de
l'ai
la
Il
la
louée à l'heure et vendue. »
maladie dans
est sorti
tude, celle de la poésie
ou plutôt, tout à
vivre. Enfin,
<r
:
immortelle, je
de Chatterton.
le
:
muse,
il
il
le
soit-elle,
s'est plus
le libraire
il
rappelé qu'il
fallait
sans pitié dont
il
est
s'acquittera à jour fixe
manuscrit d'un ouvrage nouveau. L'ouvrage n'est
pas prêt
:
le
désespoir l'envahit- Ce désespoir vient vite.
Si Chatterton n'était pas déjà malade,
ger
noble
;
ne
a signé avec
il
la fierté, si
du collège avec une seule aptia donc voulu vivre de sa muse
débiteur un traité par lequel
avec
vénération de leur
la
mot d'un sublime qui confine au ridicule,
sublime
J'ai manqué de respect à mon
la situation
;
il
obtiendrait
un
il
sursis.
trouverait à arran-
Ce qui
te
menace,
LA MALADIE ROMANTIQUE! CHATTERTON.
comme une
c'est la prison, qu'il considère
méprise,
les
courage cette persécution de
comble pour Chatterton
lutterait encore,
la vie
le
Il
est
âme immor-
n'aura pas davantage
lord-maire et son offre
d'accepter cette place, où
celle
avec
mesure
connaissant les revirements possibles de
vite supérieur à sa situation,
montre impropre à
ridicule,
se
il
la
force
encore
montrerait
si
qu'une meilleure en sortirait
fatalement. Chatterton d'ailleurs ne
le
la
un homme dune santé ordinaire
;
pareil traitement.
de mépriser
moins
Mais
la société.
Chatterton ne peut supporter pour son
:
un
telle
fond des
le
qui devrait envisager
et
i
un dés-
honte,
honneur, idée étrange chez un poète qui voit
hommes, qui
17
la lutte,
pouvait vivre. Ce qui
c'est son
début poétique.
Il
porte la peine, presque méritée, de la supercherie qui lui
valut une célébrité prématurée. L'orgueil de frapper vite
un grand coup sur une
son
style
et
société blasée l'amène à travestir
son nom, idée romantique,
Delorme, mais dont
sera victime
il
;
celle
à être mystifiée. Aussi Chatterton, après avoir
de Joseph
n'aime pas
société
la
admirer
fait
nom du moine Rowley, voit le doute s'élever
prétend de lui, et un Zoïle nommé Baie prétend
ses vers sous le
quand
il
même
savoir que les vers n'ont été que traduits par
les
d'un moine du x*
les
siècle
bourgeois de croire
poser qu'un jeune
aussi cette
Il
y
lui et
les rôles.
;
le
les
un grand
nommé
quand
;
car
comment sup-
du génie ?
dernière goutte du calice..
de dix-huit ans
cri
quaker
ait
est aussi
la
misan-
misanthrope que
hommes. L'auteur a même
c'est le
;
fort
quaker qui s'en charge. Cette
la véritable
beauté de
d'alarme poussé.
dramatiques ont souffert un
puis,
Baie
Chatterton souffre et émeut, mais ne
misanthropie est d'ailleurs
a là
Rowley
Chatterton n'empêchera pas
est-elle la
accuse autant
soutient pas la thèse
y
et
de maladie certainement dans
thropie de Chatterton
bien divisé
le
homme
amertume
a moins
;
elle leur a
moment de
apporté des
la
pièce
:
il
Les autres poètes
rn.Ulio.ns.
la
démocratie
;
de lecteurs et
L EPOQUE.
17 2
une fortune, et
avec
réconciliés
il
la
réputation et la popularité,
elle.
père de nos pessimistes actuels.
est le
viendra
comme
d'or
pour souverain
et
hommes
reaux
ï>.
se
ton cœur,
elle
pontife
se sont
<r
La
;
société de-
aura pour Dieu un lingot
un usurier
sont divisés en deux parts
La
ils
Alfred de Vigny esc resté triste
:
Les
juif...
martyrs
et
bour-
pièce est par-dessus tout une satire sociale.
Cette satire aurait plus d'autorité
si
moins d'orgueil
montrait. Mais l'orgueil est une maladie romantique.
s'y
LIVRE V
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
L'AMOUR
I.
L'amour classique et l'amour romantique. L'amour roimntique
est un retour à l'amour chevaleresque, né des mœurs germaniques et du christianisme. C'est plus exactement le spiritualisme
dans l'amour.
que.
—
Jean-Jacques. Naissance de l'amour romanti-
II.
L'amour dan3 Lamartine. Jocelyn.
—
III.
L'amour roman-
Marion. La
l'amour passion purifiante
courtisane amoureuse chez La Fontaine, Lamartine et JeanJacques. Réhabilitation de la courtisane.
IV, L'amour jaloux
Hernani, Ruy Gomez, Marie Tudor, Christine.
V. L'amour
ingénu
Blanche, Catarina, Marie de Neubourg, Ruy Blas.
au
tique
théâtre
:
:
—
:
—
:
— VI.
mour
L'amour
libertin
:
etle devoir conjugal
clusion
:
la
.
—
:
Différence entre l'amour classique et l'amour romantique.
L'amour dépeint dans
férent de
—
VII. L'adon Carlos, François L* r
ConCatarina, Marie de Neubourg.
le
drame romantique
est bien dif-
passion qui parle dans les tragédies classiques.
Habitués que nous sommes aux passions de notre époque
et
de notre littérature,
mesurer
la
il
nous faut
faire
un
effort
pour
transformation.
Elle peut s'indiquer d'un mot.
tisme en poésie est un retour aux
De même que le romanmœurs et aux sujets che-
valeresques, qui se combinent avec l'inspiration
moderne
LES PASSIONS ET LES CARACTERES.
174
même
de
spiritualiste,
et
l'amour romantique
retour à l'amour chevaleresque, modifié par
lisme du XIX
e
pris
de
l'amour
femme,
le méL'amour cheva-
chair et glorifiait la virginité.
germanique
leresque, c'est l'amour
de
n'est pas véritablement l'amour
doctrine chrétienne n'enseignait que
la
;
la
un
c'est
spiritua-
siècle.
L'amour chevaleresque
chrétien
le
antique,
et le prix
Marc-Girardin
c'est
et ce qui le distingue
;
respect
le
grand
plus
de
la
singulier attaché à sa défaite; Saint-
définit
dram. xxxv)
bien [Littér.
très
le
caractère particulier des Walkyries, leur chasteté farouche
qui n'épouse que leur
par
On
la
saisit
la
tendance sera
vaincues
le
est
la vie
fini.
arrive à des idées dégagées sur
Le prix attaché d'abord à
vénération pour
la
la virginité
Au
désirée
femme
Et fatalement, le
but de
le
drame de l'amour
moyen âge en
même. La ""femme
la
vertu du chevalier et
vaincue,
la
fois
déjà, là, une tendance à spiritualiser l'amour.
moyen âge
fait la
Une
vainqueur. «
passion, ce n'étaient plus que de simples femmes. »
par
le
;
le
la
mariage.
christianisme,
Vierge mère de Dieu, sont des éléments
chrétiens qui peuvent entrer aussi dans l'amour chevaleresque
mais n'oublions pas que
c'est aussi bien l'esprit
;
germanique
qui s'empare de Marie et lui donne l'importance qu'elle a au
moyen
âge. Car c'est plutôt dans
sens du platonisme que le
le
christianisme modifia l'amour germanique
;
la vieille poésie
germanique donne pour but au chevalier de poursuivre et de
vaincre la Walkyrie
la récompense attachée à sa défaite
;
fait le
prix de la vie
christianisme,
sa
dame,
même
lui
de son
donne.
faisait
et
«
dans
la
ne veut pas
la
propre amour
La
chevalerie modifiée
contente
se
chevalerie
défaite
et
,
;
de
il
des vertus
dit
par
le
l'amour de
se
contente
que l'amour
Saint Marc-Girardin,
une tentative qui n'a jamais réussi quoique sou-
vent essayée,
maines
;
chevalier
le
et
la
tentative
particulièrement
de se servir
de
l'amour
des passions hu-
pour
conduire
L'AMOUR PAÏEN
l'homme à
jusqu'à
Dieu,
un acte d'abnégation
On
saisit
bien là
échapper à
et
surtout
fait
au-dessus des
de l'amour
pour
sens,
satisfait et
se
en amour un but
un
faire
qu'il n'at-
Le platonisme, celui de Pétrarque, celui de
du moyen âge enlaçant étroi-
teindra jamais.
est le dernier effort
tement, dans un embrassement où
tinguer,
la
femme
Mais avec
et la croix,
;
ne veut plu?
il
les dis-
l'amour et Dieu.
Renaissance l'amour redevient païen
la
platonisme n'y est plus qu'affecté
poésie
moyen âge
femme et
dame sert
de l'homme des temps
effort
idéal, c'est-à-dire se proposer
Dante,
sa
pas
N'a-t-il
s'élever
tristesse
la
la
de sacrifice ?
grand
le
pour
chevaleresques
sauvé.
est
le
pour
bien
qui sert
celui
;
il
175
Aussi
id.)
l'amour
identifier
Dieu
l'amour pour
bien son
dram.
la vertu. » {Litt.
allé
est-il
RONSARD.
:
:
c'est
un mot
;
le
d'ordre en
l'amour platonique est un thème que l'on rebat sansr.
conviction.
On
encore de
aimée, tout en étant capable
mort des sonnets pour une dame en
cette prière toute païenne
femme
plus pour désirer la
ne se cache
idée.
faire jusqu'à la
On
lui
adresse
:
Cueillez, cueillez votre jeunesse
Ronsard répète sur tous
les
!
tons ces vers de Catulle
:
Vivamus, mea Lesbia, atque araemus
Nobis,
Nox
Dès
dédaigne
on
terie
règne à
le
littérature
plus
occidit brevis lux,
perpétua una dormienda.
lors la chevalerie est
âge,
la
quum semel
est
la
il
on
;
cour, les
morte
mœurs y
n'y a .plus un
du but en amour, parce
est la satisfaction
des sens.
à l'idéal chevaleresque
;
les
on s'éloigne du moyen
;
redevenu païen. La galan-
est
qu'il
M" e
sont
légères.
d'amour
idéal
est
;
Dans
on ne parle
entendu que ce but
de Scudéry seule s'attache
autres écrivains étudient
canisme de l'amour, sa psychologie
;
le
mé-
mais on s'arrête au
17G
LES PASSIONS ET LES CARACTERES.
moment où
la passion est
comme au
vaincue ou victorieuse
seuil de ce qu'on ne doit pas dire
poète étudiera avec
le
;
mouvements de la passion mondaine et termais quand il l'aura fait, il s'en confessera et se
restre
retirera dans la dévotion. Le siècle est, en amour, dévot et
galant, rien de plus l'amour ne sort plus guère du boutout au plus
doir et du salon, surtout dans la tragédie
génie tous
les
;
;
;
s'aventure-t-il sur les
dans
le
imaginaires
rives
pays de Tendre.
ignore
Il
s'il
de
pastorale,
la
y a un Dieu
et
une
nature.
Rien de plus noble que
Lafayette
roïque
;
mais
l'amour
Ils
Mme de
héros de Corneille et de
triomphent de l'amour après une lutte hé-
ils
:
les
sentiment du devoir est élevé chez eux,
si le
l'est
moins, et c'est pourquoi
n'ont point un idéal de l'amour.
Racine exprime toute
ils
triomphent.
en
Certes l'Hermione de
violence déçue, toute la fureur ja-
la
louse de l'amour qui cherche en vain à se tromper
en représente toutes
tendresse délicate
amants ne voient
,
de Racine dont
la
;
;
Junie
grâces, toute la douceur, toute la
les
au
mais,
pensée
aille
de
delà
rien. Il n'y a pas
la
possession,
les
un héros ou une héroïne
au delà de l'aveu
et
du bon-
heur charnel.
Au
dix-huitième siècle,
a galanterie
les
femmes
même
s'y font
les
sens sont tout dans l'amour;
disparaît devant
moins
André Chénier
peindre la volupté
la
des
mœurs
hommes
se
mettent
prier, les
moins en dépense de délicatesse
épuise avec
la facilité
et
La
d'esprit.
couleurs
les
les plus
plus enchanteresse
;
;
poésie
tendres à
tout ce
que
l'amour sensuel peut encore avoir de plus suave et de plus
exquis,
il
l'exprime et
le
respire,
mais enfin
il
n'y a là
qu'un poète aux pieds d'une courtisane ou d'une mondaine
facile.
André Chénier,
génie par
que
la
la
arrivé à trente ans, frappé en plein
Terreur, trouva à Saint-Lazare une autre
volupté
:
l'indignation
;
il
l'étreignit
port f.irouche avant de monter à l'échafaud.
muse
avec un trans-
LAMOUR DANS
ROUSSEAU.
J. J.
177
II
Mais J.-J. Rousseau, qui appartient à un monde nouveau,
fait
la
renaître l'amour idéal,
du spiritualisme,
Aimer une femme,
quoique épurée par
foi,
la
idéal qu'il avait oublié.
comme au moyen
bientôt, tout
vertu.
la
que l'imitation de
romantisme, l'avènement
ramènent l'amour à un
raison, ne
Et
retour à
le
même
avant
littérature chevaleresque par le
une
âge, l'amour sera
sera aimer Dieu.
ce
C'est de Rousseau que date pour la seconde fois ce paradoxe
romantique qui consiste à
foi supérieure. C'est
faire de
l'amour une religion, une
quelque chose d'absolument neuf que
passion pleine d'idéal et de volupté à la
le
cœur de
et osé
;
cerises,
ce jeune vagabond, de ce petit bourgeois, timide
à respirer
filles,
me charme
beau jour
plus au
cœur,
ma
goûtés en
j'ai
la
verdure et à
que
que
sais
plus,
me
celle
d'aucuns
mes
vie...
comme
les vôtres,
comme
dans
en
la
mémoire d'un
plaisirs
plaisir
passion,
;
même
il
trouve
que
j'aie
que vous n'en aurez
commençant
tout au plus par
madame
Basile,
amours de Rousseau pour ma-
dame d'Houdetot, si les sens ont une part, ils
part. L'amour est à lui-même son but,
de lui-même
si
revient
y trompez
dans mes amours
scène muette avec
plus tard dans les
me
lecteurs, ne vous
peut-être eu plus de
jamais dans
la
touche plus,
en finissant par cette main baisée,
là. » Ici,
des
cueillir
emportait dans son cœur un bonheur singulier
il
pour une main baisée. « Je
;
la
qui remplissait
après une journée passée en tète à tête avec deux
charmantes
pas
fois,
n'ont que leur
il
se
rassasie
en lui-même son bonheur
repoussée, est une
félicité,
;
la
l'amant adore, et
peut se résoudre à brûler en silence et à jamais pour un
objet impossible à atteindre.
dans
la
On
voit
pour
Nouvelle Héloïse une passion
LE DRAME ROMAJNT.
la
première
luttant
fois
victorieu12
LES PASSIONS ET LES CARACTERES.
178
elle-même et renonçant à son
sèment contre
arrière-pensée, pour l'éternité, parce qu'elle se
même. Dans
les
romans du
sacrifier sa passion à
XVII e
son devoir
;
un
lui-même à sa passion
;
l'amant de Jean-Jacques
son amour
effort héroïque, anéantissait
lui rien céder, le nourrit et l'exalte
nier de l'orgueil et de la foi
et la destinée immortelle
immortelle
elle et
tire
:
l'un ni l'autre, se sa-
premier domptait
le
;
il
le
;
y
a
et,
dans ce der-
dans l'essence divine
la foi
âme
comme
de l'âme, l'orgueil que cette
d'un sentiment qu'elle sent immortel
qui l'élève au-dessus du corps et de ses désirs
L'amour de Rousseau
Révolution
qu'il
par
second, sans
amour-là peut rester tout-puissant dans l'âme sans
l'autre
à elle-
l'amant savait
siècle,
Rousseau veut, sans compromettre ni
crifier
sans
objet
suffit
était
;
cet
l'avilir.
né du spiritualisme et de
la
inaugure, l'un redonnant un essora l'âme,
ouvrant au plébéien
les portes
la vie publique.
de
C'est le grand qui aimait auparavant, c'est le peuple désor-
mais
;
et
l'amour puisera
en
lui
des aspi-
des énergies,
rations toutes neuves.
Mais bientôt
Dieu lui-même,
menace
doute, qui a tué les dogmes,
le
et la foi,
douloureusement ébranlée, déses-
pérément retenue par ceux à qui elle échappe, devient ce
que nous avons appelé la maladie romantique. Les poètes
se
pour grandir l'amour
travaillent alors
lui-même une
foi
l'amante en Dieu
.
:
l'amant
Il est
;
il
tend à être
aime Dieu en l'amante et
certain qu'il
y
eut
un moment de
l'époque romantique où l'amour fut plus grand,
plus divin qu'il n'avait jamais été
que l'amant,
et c'est là l'excès,
;
plus
pur,
mais aussi peu s'en faut
dans
la
conscience de son
origine céleste, ne s'adore lui-même dans l'âme à laquelle
il
unit et identifie la sienne.
Lamartine
qui l'occupe
et
il
est plus rempli de
;
il
est plus fier
lui-même que de
la
femme
d'aimer qu'il n'en est heureux,
ne peut s'empêcher, dans l'expression de sa tendresse,
de faire réflexion sur
le
boûheur de
celle qui
est
aimée
l'amour romantique
avec tant de génie. Heureuse
la
179
jocelyn.
:
beauté que
poète adore.
le
!
s'écrie- t-il,
Tu peux,
tu
peux mourir
!
Dans
la postérité
lègue à ce qu'il aime une immortelle vie,
Il
Et l'amante et l'amant, sur l'aile du génie,
Montent d'un vol égal à l'immortalité
!
Jocelyn est
le
poème dont Lamartine
voulu faire
a
l'épopée de l'amour, tel qu'il l'entendait et tel que par lui
des milliers d'amants l'entendaient à son époque
harmonie préétablie de deux âmes entre
à cette formule qu'aboutit l'excès
a choisi
élève entre
les
parmi
deux âmes
vœux du
traqué par
les devoirs le
la
Une
sommets des Alpes. On
sinue dans son
la
plus saint, celui qui
sait
il
renoncement du
un
cloître
;
trouve une retraite sur les
comment il partage
bientôt cette
un orphelin
vie avec l'orpheline qu'il prend pour
sous l'apparence
de
révolution vient arracher
solitude et au
bourreaux,
les
et
Révolution.
la
barrière la plus infranchissable:
la
sacerdoce.
jeune diacre à
car c'est
du spiritualisme
ferveur amoureuse après les tristesses de
Le poète
union et
:
elles,
;
comment,
trompeuse d'une amitié fraternelle,
âme un amour
qui
la
s'in-
remplit tout entière,
qui bientôt, partagé, s'exalte chez tous deux par la solitude,
sous
dans
de Dieu censé présent, amour violent mais calme
l'qgil
la certitude
rien de la terre
de l'union et de
la
amants, frappés soudain dans cette
jamais par
les
vœux
indissolubles
et bientôt par la souillure
deux
possession éternelle que
ne viendra troubler
comment
;
félicité,
du
les
deux
sont séparés à
prêtre,
par l'absence
de l'amante qui, incapable d'aimer
a cherché dans l'ivresse malsaine, dans le dégoût
amène, dans une mort de soi-même cherchée avec
fois,
qu'elle
désespoir, l'oubli de la douleur éternelle
rapproche
comment
les
le
deux amants au
lit
;
comment
de mort
le
hasard
de Laurence,
prêtre Jocelyn absout et envoie au ciel
la
péche-
resse dont l'âme, sauvée par l'amour, est restée pure. Mais
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES.
180
ce pardon et
le
suprême de
baiser
point seuls réunis
;
Jocelyn mort,
seulement associés dans
point
âmes doivent
pas assez
corps, et,
du poète,
:
deux âmes,
dans une vision,
et
les
au
ciel
;
fait
ont
les
deux
ce n'est
même
;
retrouvent leur
ainsi unies,
elles resplendissent aux yeux
se déifient dans l'immortalité
mains l'amour a
les
deux corps ne sont
même tombe
la
s'unir et s'identifier
ces
mourante ne
la
!
De deux hu-
des dieux,
Vêtus
d'air et de jour au lieu.de vêtements,
Se tenant par la main ainsi que deux amants...
Et, comme pour venir assister à leurs jeux,
Tout ce qu'ils appelaient ressuscitait pour eux;
Et les plantes croissaient à leur seule pensée.
Puis
le
monde
entier accourt à ces noces
célestes,
que
célèbrent des millions de génies, deux anges descendent, et
c'est l'apothéose
finale
Et pendant
Aux
:
qu'ils chantaient,
les
anges du Seigneur
doigts des deux amants rougissants de bonheur
le double anneau des noces éternelles,
Et sur leurs fronts baissés ouvrant un peu leurs ailes,
Laissaient percer du ciel un rayon de l'amour;
Et mes yeux, foudroyés de ce céleste jour,
Virent les deux amants ne former qu'un seul être
Passaient
Où
l'un ne pourrait plus de l'autre se connaître,
Et, dans un lumineux évanouissement,
Fondre comme une étoile au jour du firmament.
Et comme, pour mieux voir, je détournais la tête,
Tout le lac frissonna du vol de la tempête,
Et roula dans ses bruits, avec solennité
Laurence Jocelyn Amour Eternité
:
!
!
Je ne parle pas de ce
!
!
qu'il
y a de puérilement
théâtral
dans cet épilogue, ajouté d'ailleurs après coup, dans ces
anges qui couvrent
soin de laisser
haut
;
les
amants de
passer par
je ne parle pas
non
un
leurs ailes en ayant bien
petit coin
la
lumière d'en
plus de ce caractère sacré que le
poète a donné à Jocelyn, de cet orgueil égoïste d'un
amant
L
qui aime pour
AMOUR ROMANTIQUE
lui-même
:
et se laisse
JOCELYN.
181
—
on souffre
aimer,
d'entendre Laurence mourante parler de Jocelyn
d'un Dieu dont
à tout prendre,
<r
il
y
a bien là, dans
cet
hommee, de
petitesses, un idéal
regard de Dieu, loin des
le
haines et de leurs
crifice
renoncement obscur
vie de
le
fait
y
il
a dans ce sa-
à la religion, dans cette
de charité, une grandeur
et
;
de même on trouve dans cette entrevue
prêtre
pardonne, dans cette réhabilitation
morale incontestable
suprême, où
leurs villes, de leurs
;
de l'amour que Jocelyn
comme
—
âme »
mais
amour épuré sous
l'image a consacré son
de l'amante qui a souillé son corps, dans cette apothéose de
Laurence transfigurée, de Laurence pure
fut jadis avant sa chute,
tienne
!
une idée noble
chré-
un peu
impressions que donne le
Peut-être, car, avouons-le, tout cela est
visionnaire. Mêler à l'amour les
spectacle de la nature, c'est bien
pris et
qu'elle
et telle
et peut-être
;
mais n'y
a-t-il
pas parti
procédé à faire vivre des amants dans cette solitude,
au milieu des glaciers, sur lesommet des montagnes,
pour nous
les
montrer déjà
flottants
dans
le ciel
;
comme
n'y a-t-il
pas excès à mettre ainsi l'amour au-dessus de toute chose
humaine, à diviniser
les
égaux de Dieu
Voilà
l'idéal
les
romantique. Que de vies
au rêve de l'impossible
plus qu'une
le
veulent
c'est
amants qui deviennent presque
?
!
Prenez
monographie de
les réalistes
il
jettera en proie
Madame Bovary,
c'est
l'adultère bourgeois,
qui font de Flaubert
un des
bien
comme
leurs
;
l'admirable peinture des ravages faits dans l'âme d'une
jeune bourgeoise par
l'idéal
amoureux de Lamartine.
III
Ainsi
la
grande ambition des poètes romantiques,
c'est
transformer
une
d'agrandir, de purifier l'amour,
c'est de
passion qui était une source de faiblesses en un sentiment
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
182
vertueux qui ramène l'homme à Dieu, à
conscience
de
théâtre du temps tous
les
la
son immortalité.
Nous retrouverons dans
traits caractéristiques
le
de cet amour, moins les exagérations
lamartiniennes.
Pascal a
dit: «
Cet oubli de soi que cause l'amour fait naître
des qualités que l'on n'avait pas auparavant »
lui.
Ce
il
ajoute
ne peut subsister à côté
qu'une mauvaise passion
ailleurs
de
et
;
pour les romantiques que, né dans
n'est point assez
une âme bonne ou neuve, l'amour soit le mobile de nobles
il
faut encore que par une conséquence toute
actions
;
naturelle, jeté dans
la rachète et
disse,
une âme légère ou
purifie
la
souillée,
sorte de
;
il
l'agran-
transfiguration
morale.
Marion de Lor'me est le meilleur drame de Victor Hugo, le
le plus moral; c'est le seul des drames mo-
plus pathétique et
dernes qui soit comparable aux drames d'Eschyle et écrase
l'âme par
l'idée
Ajoutez que
tithèse
y
d'une fatalité inéluctable.
c'est celui qui a le
est supportable
;
moins de défauts. L'an-
plus tard le poète essaiera de rendre
sublime un bouffon, d'apitoyer sur une scélérate
seul
dans Marion de Lorme au moins, l'amour chasse
elle
;
avec un
bon sentiment il voudra faire oublier les crimes et incestes
ne reparaît que par héroïsme, et alors
amour nous émeut, sans nous
révolter
la
;
la courtisane,
courtisane par
comme une énorme
invraisemblance.
Donc Marion aime
qui n'a connu que
et
mal né. Elle
;
la richesse,
ne
vit plus
du peuple qui
persécuté par
bat,
le
voilà
qui a vécu dans les fêtes,
s'éprend d'un
homme
pauvre
quitte tout pour le suivre. Didier veut
Paris, se réfugier à Blois
elle
femme
la
elle quitte
;
fuir
Paris et vient à Blois
que pour cet enfant trouvé, pour cet
;
homme
comme
un homme. Pauvre déjà, il sera
une fatalité
insulté par un noble, il se
arrêté, proscrit. Marion n'avait jusque-là
est
que du désintéressement
;
;
du jour où
elle
accepte la vie
AMOUR PURIFIANT: MARION DR LORME.
L
avec ce proscrit, c'est
à deux, sous
la fuite
Pour
et errante.
elle
bonheur ne dure
le dévoûment qui commence, c'est
un déguisement, la vie hasardeuse
a
y
il
est repris, jugé,
Elle se
traîne partout suppliante,
gardes,
devant
n'est rien
puisqu'elle aime,
;
il
à genoux
ne peut
dona
cette
les
cela
est juste qu'elle soit
mal-
même
avec
cardinal.
le
heureuse avec celui qu'elle aime, qu'elle meure
lui si elle
devant
Tout
devant
roi,
un bonheur. Ce
condamné.
encore
là
pas. Didier
le
183
sauver. Marion n'est jusque-là qu'une
le
Sol. Voici le tragique
;
voici ce qui arrache la pitié
femme, qu'un grand amour a
ne sera pure
purifiée,
pour personne. Son passé, ce passé qui n'est plus pour
ce passé
devant
la
:
elle,
expié par la passion, se dressera à chaque instant
elle,
pour
courtisane
l'insulter,
pour
lui refuser le droit
abreuvée de
montera,
le
fiel,
d'aimer;
de
calvaire
l'amour.
Son
Saverny
passé, c'est
qui
Marion, Saverny qui
la
qui ne peut
plaisante,
croire à la pureté et à la sincérité de ce
nouvel amour
courtise, c'est-à-dire
de
méprise
la
;
mensonge qu'elle fait à Didier, qui vient
d'entendre la voix de Saverny et qui soupçonne, mensonge
qui vaut à Marion son propre mépris à elle. Son passé,
son passé, c'est
le
de refuser
que
mariage
c'est l'obligation qu'il
lui
Didier
qui lui vaut la colère, les soupçons,
les
lui offre, refus
fait
doutes de Didier; c'est ce livre «
oublié sur sa table,
Lorme
Ah
Son
La guirlande d'amour
que Didier trouve par hasard
vaut l'insulte que Didier, sans
de
le
la connaître, fait
:
il
»
lui
à Marion
:
!
vile créature,
impure entre
les
femmes
!
passé, c'est Laffemas, la convoitise féroce, qui torture
l'amante pour avoir
la
femme. Son passé,
c'est le
Didier, qui enfin l'insulte en face, dans la
mépris de
cour du château
découvre Marion sous Marie. Ce passé
de Nangis, quand
il
la poursuit sans
relâche,
il
lui
crie à
la face
:
Tu
es
une
,
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
184
courtisane, et tu ne seras, quoi que tu fasses,
tisane
tu n'as pas le
;
qu'une cour-
droit d'aimer, ou pour aimer,
tu te
prostitueras.
Ce
passé ne la frappe pas seulement
la frappe,
Didier, parce qu'elle ne veut pas
dégoûté, de la vie
en duel,
s'échapper de sa prison,
n'était
que malheureuse,
délicat
il
elle
;
il
se
fait arrêter,
pouvant
à la mort.
Marion
livre
la
il
amant.
l'épouser, va se battre
se
devient sublime.
on peut trouver osée
;
en elle-même,
douleur plus grande encore, dans son
Le point
est
conception romantique
;
après tout elle n'est pas inadmissible. Marion se résigne à
amour. La situation
souillure par
la
comme
Euripide,
Hugo
frappe fort
est
il
;
extrême, mais
faut
trouver du
cette
pudeur que
nouveau.
Elle sacrifie donc à l'amour jusqu'à
l'amour
redonnée. Suprême et écrasante victoire
lui avait
de son passé sur
elle,
que personne ne
coup de grâce de
reproche,
lui
souffrances éprouvées.
lité
toi
Ce
n'est
la fatalité
effacée à
défaite
;
l'avance par
pasLaffemas,
c'est
la
les
fata-
qui lui crie jusqu'au bout: Vends-toi pour aimer, vends-
pour sauver l'homme que ton amour a perdu
bourreau.
—
et livré
au
Elle se vend.
Avant de céder, à genoux devant la porte de la prison
qui ne s'adresse pas
à
fait une prière jnuette
elle
Dieu, mais à Didier, et voici, sans doute, ce que, dans
pensée du poète,
dit
Marion
:
<r
pardonneras pas, peut-être, mais
mon
Didier, tu ne
je t'aime
plus que
la
me
moi-
même, je t'aime pour ton bonheur et non pour le mien,
j'aime mieux ta vie que ma pudeur, j'aime mieux que tu
mais il
sois vivant et moi misérable. Vis et méprise-moi
:
faut t'aimer plus qu'aucune
femme ne
t'aimera pour faire
ce que je fais, pour te sacrifier la virginité que je tenais
de ton amour et
me
refaire infâme
pour
C'est sublime et cela frise le grotesque,
toi.
»
comme
presque
toutes les idées romantiques. Mais Marion n'est point au
L'AMOUR PURIFIANT
bout de son calvaire
leur en douleur,
n'aura pas
:
Et
il
;
elle
même la joie amère
comme elle
:
la prison s'ouvre ainsi,
ici ?
pour n'être
l'avait prévu, jurer
amour
pas crue que c'est par
le
de son sacrifice
qui vous êtes-vous prostituée
faudra,
lui
185
suprême expiation, lorsque, de douest parvenue jusqu'à la prison, elle
Pour que devant vos pas
A
MARION DELORME.
qu'elle a tout fait, et accepter
mépris de Didier, et voir son sacrifice refusé.
Frappe-moi, laisse-moi dans l'opprobre où je suis.
Repousse-moi du pied, marche sur moi, mais fuis.
Ne me refuse pas, tu sais ce qu'il m'en coûte.
Cette malheureuse sera-t-elle repoussée jusqu'au bout
Mourra -t-elle maudite par celui à qui elle
Le poète l'avait voulu ainsi d'abord Didier
:
se traîner
la
sur les genoux, et,
mort. Puis
il
changea
Didier pardonne
fort
que
le
qu'il
Marion avec passion
lui
pardonner,
A
il
lui
;
il
lui
pardonne
demande pardon
à
;
il
fait
;
il
étreint
plus que de
:
l'heure où je suis, cette terre
comme une ombre
Au nom du Dieu vers qui
te
allait
un second dénoàment;
veut avoir et qu'il n'a pas
S'efface
Je
fit
?
Marion
son amour éclate invinciblement, plus
;
mépris
une parole,
sans
d'avis,
a tout donné
laissait
?
bouche est sincère...
mort va m'entraînant,
et la
la
pardonne.
MARION
ciel
!
DIDIER
A
Pardonne-moi
ton tour maintenant,
!
Lequel des deux dénoûments est
rêter, car enfin,
vrai dire,
le
le
meilleur
?
auquel
s'ar-
pardonner ou ne pas pardonnersontdeux? A
drame
n'est pas dans la fin,
il
commence avec
la
première scène, avecla première insulte qu'endure Marion.
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
186
D'une manière
spectateur
le
;
de l'autre
et
Marion
poète pardonne et aussi
le
est lavée parce qu'elle a souffert
premier dénoûment, Didier
plus antique, car
gardant à jamais
outragée
et
y a dans ce drame quelque
il
impitoyable des anciens
la fatalité
Montrer
!
jusqu'au
femme
amour
qui aime
romantique
drame bourgeois
première faute
suite,
,
il
;
et le
Marion de Lorme,
la
que
roman vont
la
quoique ce sujet
du poète,
la
respect humain,
avant tout
vaincre la fatalité et amnistier
Euménides
le
tribunal des
la
fatalité
la
originelle
qui suit
c'est
,
nom
victime
hommes, triomphe de
après Oreste. Eschyle dit aux dieux, à
;
la
dans
ainsi
Athéné
la religion
au monde
Tu ne
:
seras
les
et
acharnée
fatalité
:
Vous ne
serez point implacables daus votre vengeance. Victor
dit
en-
de l'amour pour
de tolérance, représentée par
l'idée
le
premier dans l'intention
intervenant au
pitié
Didier-là
ce
exploiter.
souillure
soit le
cette
aime d'un
une thèse que
soutient déjà
c'est
aux pieds de
parce qu'elle
lui,
en
Didier fondant
juste, s'humiliant
fier,
plus
sans bornes et sans
est bien
femme
méconnue
grandir peut-être
bout, c'était la
encore, c'était en faire une victime.
amour, Didier pur,
chose de
cette
mépris de Didier mourant,
le
;
plus grand,
est
inflexible,
le
mais
Hugo
dans ton
point inflexible
mépris.
L'idée de Marion
pas
même
Boccace
deLorme
n'est pas inouïe
;
elle n'est
neuve.
et
La Fontaine ne
d'élever trop l'amour
génie à idéaliser
la
;
sont pas
soupçonnés certes
ni l'un ni l'autre ne sont portés par
passion, à la plier par force à des thèses
sublimes et chimériques; et pourtant
ils
ont placé
l'amour
dans une courtisane. La Courtisane amoureuse de La Fontaine est
un modèle d'étude
délicate. Il veut conter
Comme une de ces femmes
Qui font plaisir aux enfants sans souci
Put en son cœur loger d'honnêtes flammes
;
LA FONTAINE ET LA COURTISANE AMOUREUSE.
et cet
amour
est profond, ajoute-t-il.
Jusques au vif
La
et des
187
voulut la blesser (L'Amour).
il
courtisane est,
comme
celle
de Hugo, des plus riches
mieux apparentées.
Mettre à ses pieds la mitre avec
la crosse,
C'était trop peu.
Comme
la
dans Marion, quand
pudeur
la
passion vraie Ta purifiée,
reparaît.
Constance n'eut
Que
l'amour au cœur
devenue.
sitôt
la voilà craintive
Elle n'osa déclarer ses désirs
D'autre façon qu'avecque des soupirs.
Auparavant pudeur
Ne
Elle ne sait
comment aborder l'homme
teux d'elle et de sa
la
ni retenue
l'arrêtaient.
vie,
rougissant au
qu'elle aime,
nom
courtisane est transformée, elle a disparu
On
Chez
n'en est plus dès le
elle aussi, la
moment
fuis d, dit
;
:
qu'on aime.
honte cède à l'amour
marche sur moi, mais
hon-
seul de l'amour
Marion
Constance vous adore
«Méprise-moi,
:
;
et la
Romaine
:
;
Méprisez-la, chassez-la, battez-la,
Si vous pouvez, faites-lui pis
encore
:
Elle est à vous.
Le même
sort l'attend
;
celui qu'elle
aime
l'insulte.
Femme
qui vient se produire elle-même
N'aura jamais de place à mes côtés.
Enfin, quand Constance a passé par cette torture et de
plus grandes encore, et qu'elle éclate en sanglots, que fait
Camille?
Il lui
pardonne; mieux encore r touché, malgré-lui,
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
188
par
la
tour
;
puissance irrésistible de l'amour vrai,
mieux encore,
il
la
veut pour
il
femme
l'aime à son
:
Je me déclare aujourd'hui votre amant
Et votre époux, et ne sais nulle dame,
De quelque rang et beauté que ce soit,
Qui vous valût pour maîtresse et pour femme.
Voilà l'estime,
l'amour, dans
le
XVII e
dit la
le
pardon,
les limites
la réhabilitation
de ce sentiment
tel
même
par
que l'entendait
La Fontaine, dans son épicurisme gracieux,
même chose que l'ardent spiritualiste de 1830
siècle.
:
Ce que la belle avait
donné de plaisirs en sa vie,
Compter pour rien jusqu'alors se devait ;
Pourquoi cela ? Quiconque aime le die.
Pris et
On
trouvera une analogie plus saisissante, sur
tion morale
l'épopée
du pardon accordé, entre
qui
un amour
la
ques-
drame de Hugo
et
lui aussi
a mis en scène une
non pas une courtisane
souillée d'abord, en
de Lamartine, qui
courtisane, et
le
ensuite la souillure
efface
c'est la souillure qui vient
;
dans Jocelyn
après l'amour, et l'amour repa-
malheu-
raît sous cette
tache pour témoigner en faveur de
reuse, que le
désespoir d'amour a seul pu précipiter dans
la
boue.
elle est
Un jour
enfin, elle rencontre celui qu'elle a
mourante
homme, un
aimé
;
homme est à présent plus qu'un
non seulement
parle au nom de Dieu
et cet
prêtre,
l'amant, mais
la
il
;
prêtre pardonne, purifie la créature salie
le
et en même temps que' le prêtre absout,
la relève
l'homme demande pardon. Je cite cette scène où l'on sent
dans la conception générale l'influence des idées de Hugo.
et
;
Laurence parle
:
Oh oui, je me repens
mon cœur reproche à ma pensée,
prodigués, de ma vie insensée,
!
De tout
De mes
ce que
jours
soupiré pour rallumer ailleurs
Ce que Dieu n'alluma t/u'une fois dans deux cœurs,
D'avoir tant
MARION DE LORME ET LAURENCE.
189
De cet oubli du ciel dont je fus prévenue
Par cette grâce même, hélas
qui m'a perdue
De ce temps en soupirs pour du vent consumé,
Je me repens de tout, hors de l'avoir aimé !
Et si devant ce Dieu mon amour est coupable,
Que dans l'éternité sa vengeance m'accable
Je ne puis m'arracher du cœur, même aujourd'hui,
!
!
!
Le
seul être ici-bas qui m'ait fait croire en
lui
;
Et dans mes yeux mourants son image est si belle
Que je ne comprends pas le ciel même sans elle.
Oh s'il était là, lui Si Dieu me le rendait
Même à travers la mort, oh s'il me regardait
Si cette heure à ma vie eût été réservée,
Si j'entendais sa voix, je me croirais sauvée
Sa voix m'adoucirait jusqu'au lit du tombeau
!
!
!
!
!
:
!
—
«
Laurence, entendez-la » criai-je. Le flambeau
comme un éclair du ciel dans l'ombre obscure;
Elle se souleva pour fixer ma figure
Dieu, c'est bien lui dit-elle.
Oui, Laurence, oui, c'est moi
Ton frère, ton ami, là, vivant devant toi
C'est moi que le Seigneur au jour de grâce envoie
!
Jeta
:
—
!
!
!
Pour te tendre la main et l'aplanir la voie,
Pour laver plus que toi tes péchés dans mes pleurs
Tes fautes, mon enfant, ne sont que tes malheurs.
C'est moi seul qui jetai le trouble dans ta vie
Tes péchés sont les miens et je t'en justifie
!
;
!
communs entre nous
prends tous sur moi pour les expier tous
J'ai du temps, j'ai des pleurs et Dieu pour innocence
Va te compter là-haut ma dure pénitence.
Ah reçois de ce cœur au tien prédestiné
Le plus tendre pardon qu'il t'ait jamais donné
Reçois de cette main, que Dieu seul t'a ravie,
Ta précoce couronne et l'éternelle vie
Réunis à l'entrée, au terme du chemin,
Tous lesdons du Seigneur t'attendaient dans ma main.
Aime-la pour les dons de Dieu crois, aime, espère
Laurence, cette main t'absout, au nom du Père
Peines, crimes, remords, sont
Je
;
les
:
;
!
!
!
!
!
!
L'analogie
aussi
est
frappante
;
car, dans
le
drame,
c'est
un pardon au nom de Dieu, que Didier prononce
;
LES TASSIONS ET LES CARACTERES
190
deux poètes
et le plus hardi des
il
est
encore Lamartine; car
au nom de Dieu
prétend parler
;
aux hommes
c'est
que Didier dit Pardonnez c'est la pitié que le poète
demande. Dans Lamartine remarquez cette doctrine: Dieu-,
dit Laurence, n'allume qu'une fois l'amour dans deux
:
cœurs
;
donc cet amour
;
respecter et à
le
il
s'engage, pour ainsi
serait rien sans l'amour,
ne
Laurence n'a cru en
parce qu'elle a cru en Joceljn
Ainsi Brizeux
à
dire,
le
récompenser. D'ailleurs, Dieu lui-même
;
l'amour
lui
que
aimer Dieu.
fait
:
Souvent je me demande et je cherche en tout lieu
Ce qu'est Dieu sans l'amour ou bien l'amour sans Dieu.
Aimer Dieu,
A
n'est-ce pas aussi nourrir son âme
l'humide baiser de quelque jeune femme?
Dans cette femme
Aimer visiblement
aussi, n'est-ce point ici-bas
le
Dieu qu'on ne voit pas
?
Ainsi, ces deux amours, le céleste et le nôtre,
Pareils à deux flambeaux s'allument l'un par l'autre
;
L'idéal purifie en nous l'amour charnel,
Et
le terrestre
amour nous
fait voir l'éternel.
Marie.
Donc
le
lavées. Idée
prêtre
pardonne,
humaine,
et,
Marion
et
Laurence sont
aprèstout, évangélique. Pourquoi
? Le christianisme veut qu'il y ait au ciel plus de joie
pour un pécheur repentant que pour un juste. Jésus avait
plus de tendresse pour la pécheresse convertie que pour
non
les
femmes d'une
vie sans reproches.
ses péchés à Madeleine, elle n'était
Et quand
point encore
il
remit
la
cour-
tisane par aspirations idéales, qu'ont imaginée, très
poéti-
quement
Pour
d'ailleurs, des poètes
être complet,
Hugo remonter
de
la
il
contemporains.
faut toujours
à Bousseau.
de Lamartine
La première
et
de
idée romantique
prostituée qui se refait une virginité par l'amour vrai
LA LAUKE DE ROUSSEAU
de
purifiant vient
et
Les poètes,
lui.
des feintes d'amour
vérité
ils
;
Rousseau
et
surtout, s'obstinent toujours à l'illusion
à la
191
l'est
veulent croire
ils
;
veulent voir dans
les
femmes quelque chose de ce qu'ils ressentent, et ils ne peuvent admettre une courtisane sans quelque vertu la beauté
;
est si forte, et
aiment tant à être trompés
ils
des quelques délicatesses qui
restent
!
Aussi, témoins
parfois encore dans
les
âmes avilies, ont-ils facilement rêvé la métamorphose
de
la
somme
cru jusqu'au bout à
la délicatesse
pour
moitié illusion, moitié paradoxe,
grandes dames qui
des
Rousseau
courtisane en amante vertueuse.
pas en
dans sa Laure,
publique purifiée par l'amour à une
la fille
d'elle,
parce qu'il
égare. Laure aime, elle est
refuse de se donner à celui qu'elle aime,
en
la traite
délicatesse nouvelle,
vertueuse qui
mettre au-dessus
dédaignaient? aussi oppose-t-il,
la
femme honnête que l'amour
honteuse
la
n'a-t-il
de Thérèse,
lui
fille
le
;elle l'çtonne
monde
déserter le
fait
par sa
fierté, sa
séduit par la force d'une passion
et
fuir
dans un
couvent. Elle se refuse d'abord parce qu'elle n'est pas aimée.
aimée,
elle se
Son amant,
refuse pour ne
lui,
veut l'épouser
jusqu'au bout. L'honneur du
l'amant
pour cette
et douce.
le
vie, qui lui sera
Rousseau ne
pardon religieux
cisme lamartinien
;
;
Rousseau n'ose pas
la joie
;
fait
on
;
la
lui
réhabilisuffisent
désormais éternellement amère
pas encore intervenir
n'en
est
mais l'amour,
Dieu ni
pas encore au mysti-
même
chez cette courti-
sane, a déjà toute la dignité que lui donne une
telle
aller
ce mariage,
de sa
de sa nouvelle vertu
conscience
tation et la
;
monde défend
Laure refuse
s'avilirait.
;
pas avilir celui qui l'aime.
conscience de cette dignité
âme immor-
lui suffit et lui fait
trouver des charmes au plus grand désespoir.
Ainsi Rousseau n'est pas seulement l'initiateur de l'amour
romantique,
(1)
le
modèle de Goethe
Dans Werther.
(1),
de Lamartine,
il
est
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
192
aussi l'initiateur de cette thèse romantique
que l'amour vrai
purifie.
Le défaut dans
que
c'est
le
ces créations de courtisanes vertueuses,
poète ne montre pas assez la courtisane pour que
son personnage
ait
deux
femme aimante, presque
âme, qui
aime
sacrifie
et qui
en aime une autre, puis
est
qu'elle
en est une et injurie
une
pourtant
il
amour à
celui qu'elle
vient nous dire
courtisane
elle-même
;
:
cette
s'écrie
honnêtes femmes. C'est
les
voilà soutenir une thèse à
;
prend une
il
vertueuse, dévouée, d'une grande
sa jalousie et son
femme
factice
Dans Angelo
faces.
bon marché
;
et le résul-
On nous fera avouer facilement que des courtisanes
comme Tisbe sont bien intéressantes et dignes d'être aimées
mais nous nierons que des femmes comme Tisbe soient,
tat?
;
puissent être des courtisanes
;
pour nous
faudrait,
il
admettre, une étude spéciale qui prendrait tout
Le
caractère de Tisbe est
que, affublé
d'une robe
un
le faire
l'intérêt.
caractère tragique quelcon-
de
Bref,
courtisane.
le
mérite
de Tisbe, c'est d'être, non une courtisane, mais une amante
romantique
fice
absolu,
que
la force
souffrir
;
on ne
sait
s'il
une vertu. Aimer
lui,
ainsi, fait
le
l'amour romanti-
;
bonheur
lui
terrestre,
rend doux de
aimer encore plus,
et
de l'homme un Dieu
meurs, mais
comme
c'est divin
la divinité, ils
l'amour
;
je souf-
l'amour a
;
meurent en témoi-
dernier terme de l'amour humain.
c'est tout différent de
dans Corneille,
perd
récompense, son propre but, l'amour est
c'est divin; je
ainsi ses martyrs,
gnant pour
rend capable d'un sacri-
quel espoir divin qui
se sacrifier ainsi, c'est
est ici sa propre
mais
la
renoncement
l'inspire, parce que,
lui reste
fre,
de l'amour
d'un renoncement chrétien. L'amour romanti-
seul est capable de ce
que seul
il
;
On le
voit,
l'amour classique. Ce qui est grand
c'est le devoir
;
ce qui est
grand dans Hugo,
le bonheur
un ;dans Hugo, l'amant sacrifie son bonheur à l'amour
Tisbe meurt pour aimer; Marion sacrifie à son amour même
c'est
sont
l'amour; dans Corneille et Racine, l'amour et
;
L'AMoUR JALOUX
sa
pureté
Hugo donne
;
à
193
IIERNANI.
:
passion la sublimité qui
la
un sublime effort de l'âme
Dieu peut mourir,
moderne, son suprême acte de foi
au devoir,
éiait réservée
c'est
:
l'amour est Dieu.
IV
Le romantisme
l'amour
les violences
non seulement dès Racine, mais dès
:
se montrait capable de
toutes les morts
être
pu renchérir sur
n'a
même
mépriser tous
comme
est-il juste
les
de
l'antiquité
il
dangers, de braver
de commettre tous
crimes. Peut-
les
de dire qu'en s'épurant, en préten-
dant au
titre
corrigé.
Néanmoins on trouve encore dans
de passion sublime et de vertu, l'amour s'est
le
théâtre roman-
tique une vive peinture de ce que peuvent dans
l'amour
la
jalousie, le désespoir.
^
fjpmn"!
Tarons vu,
La
n
la
maladie romantique.
est
un
des effets de çette^ maladie.
En même
Ru y,
temps_qne_don
jalousie,
le roi est jon rival, et
nous
Her-
nani en est plein d'un e joie sauvage, car son, devoir de ven-
geance se confond avec sa jalousie, et contribue à donner
à ce dernier sentiment
une énergie singulière
cherchait vie nt da ns son cliemip, cerival
:
ce roi qu'il
rencontre face
le
ù face^le^Jiniyjej^^sjm^
fois
d'une
un amant, en déclarant qu'Hermonde sait par cœur cet admira-
situation embarrassante pour
nani est de sa suite. Tout
ble et furieux couplet
:
le
« Oui,
de ta suite, ô
roi...
» qui ex-
prime tout ce que peut avoir de plus sauvage, déplus farouche
la
haine d'unchevalior à demi barbare. C'est autre chose que
l'expression classique de la haine
emporté, plus désordonné,
tigre, et
il
c'est
;
c'est plus
plein
y a quelque exagération dans
d'images surtout
;
lyrique, plus
de soubresauts de
les
images, trop
mais ces images, ces désordres, ces bonds
de fauve, c'est de la vie,
LE DRAME ROMANT.
c'est
fort pittoresque.
13
194
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
Son
peut
son épée
lendemain, et
le
mépris,
son
violentait
et
une femme
même au
il
;
brise
haine n'éteignent jamais en
la
grand seigneur, qui
il
traiter
fer contre le roi, qui refuse, et
le
la jalousie
;
de
roi
le
celui qui
et de lâche
veut croiser
lui le
rencontre dès
le
son aise écraser
d'impudent
il
Hernani
rival,
à
est sous le bandit d'occasion
;
manteau pour le sauver des
poignards, et se réserver pour lui-même le châtiment.
Chevaleresque avec le roi, Hernani paraît l'être moins
avec don Ruy, puisqu'il s'introduit chez lui sous l'habit
d'un pèlerin et qu'il abuse de l'hospitalité dans un moment d'oubli mais, ce déguisement de pèlerin il ne le
garde pas longtemps, et il fait bon marché de sa vie en
l'offrant aux valets du duc
et quant à son oubli, il le
il
jette
son
roi
;
;
reconnaît, l'amour
l'a
égaré, l'amour
et la fatalité qui le poursuit, et
don
Ruy
est aussi
droits d'offensé
pour
lui offrir
il
grand que
il
lui,
désespoir plutôt
? le
offre sa vie
sans rien
en expiation
;
perdre de ses
sauve du roi celui qui est encore son hôte
après
le
jugement de Dieu. Hernani,
l'honneur, refuse ce duel et tend sa tête
;
filèle à
mais on voit que
ce n'est point le chevalier repentant, c'est l'amant désespéré
qui
demande
la
mort.
Mais comme il apprend que dona Sol vient d'être enlevée,
la jalousie et le besoin
dans son âme
il
offre à
;
son désespoir
don Ruy de
rir, et alors se
altérés de
conclut
les
le
lui
le
délai
dessus
:
venger tous deux avant de mou-
pacte du cor. Ces deux
la
la
hommes,
même femme,
l'un ne
de vie pour se venger, l'autre
qu'il faut
pour
le
avait fait oublier sa haine
vengeance au sujet de
demandant que ce
accordant
de vengeance reprennent
vengeance, incarnent ce que
l'amour jalouxade plus furieux, et quand
est sorti de l'urne des conjurés,
refuse de céder sa place à don
il
le
nom d'Hernani
est superbe
Ruy Gomez,
de joie
;
il
celui-ci lui oilre
ses biens, dona Sol et la vie. Et pourtant sa haine tombera
quand don Carlos l'unira à dona Sol ; il n'a plus que son
,
L
père
AMOUR JALOUX
à venger
qu'un
95
héroïque
jalousie
la
un type
est
type d'honneur castillan,
dans son premier
disait le poète
est
Hernani
la jalousie.
d'amant jaloux, plutôt
Hernani
]
nous ne nous en étonnons pas, car cette
;
haine était surtout de
comme
UUY GOMEZ.
:
;
titre.
Rny Gomez
don
représente la jalousie touchante du vieillard sacrifié.
L'amour chez un
ou odieux,
dire
du poète qui
vieillard est considéré
conséquent
et par
l'essaie ce
que
à traiter.
se dit à
lui-même
drate de Racine, un de ces vieillards
Ah
En
Ne
déjà glacé par
il
la
son
;
et royale. Victor
Hugo
;
amour
Au
vieil «
est
!
nous paraît jeune, ce n'est
est
une
a abordé
d'homme
faiblesse
cette faiblesse
même
la difficulté
à rendre poétique, touchant, terrible
cet
:
Mithridate est un caractère
;
qu'il
amour
ridicule de vieux
des années
le froid
question
grand
est si
point un vieillard
non un
Mithri-
!
Racine a éludé
;
amoureux
le
qu'il eût mieux vain, plus sage et plus heureux,
repoussant les traits d'un amour dangereux,
pas laisser remplir d'ardeurs empoisonnées
Un cœur
héroïque
comme ridicule
On peut
difficile
même
reste noble
il
;
a cherché
à l'occasion,
des vieillards.
contraire de Guritan, qui n'est qu'une caricature,
oison »,
don Ruy
est touchant,
d'abord tendre et non furieuse
voir pitié et regretter
Ait oublié
Il est
et
le
;
parce que sa passion
nous ne pouvons qu'a-
que cet amour
corps en rajeunissant l'âme.
touchant, parce qu'il est mélancolique.
dans l'Odyssée, voudrait revenir à
qu'un laboureur.
un
la vie, fût-ce
Don Ruy voudrait
retourner à
Achille,
pour n'être
la
jeunesse,
fût-ce pour n'être qu'un pâtre des champs.
Quand passe un jeune
pâtre, eui, c'en est là, souvent,
Tandis que nous allons, lui chantant, moi rêvant,
Lui dans son pré vert, moi dans mes noires allées,
Souvent je dis tout bas
mes tours crénelées
:
—
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
196
Mon
vieux donjon ducal, que je vous donnerais,
que je donnerais mes blés et mes forêts,
Et les vastes troupeaux qui tondent mes collines,
Mon vieux nom. mon vieux titre, et toutes mes ruines,
Et tous mes vieux aïeux qui bientôt m'attendront,
Pour sa chaumière neuve et pour son jeune front
Oh
!
!
touchant tant
Il est
demande de
qu'il
des
«
pitié,
la
semblants d'amour », plutôt que de l'amour
Hélas quand un vieillard aime, il faut Tépargner.
Le cœur est toujours jeune et peut toujours saigner
!
tant
ne veut qu'une
qu'il
nous sentons que ce qui
désir impuissant
que
tude, de l'abandon.
cule dans son
la
le
affection
de sœur,
navre surtout,
!...
que
tant
moins
c'est
le
douleur de sa vieillesse, de sa soli-
Il est
touchant tant qu'il se sent ridi-
amour comme dans
jalousie, et qu'il en
sa
demande pardon.
Ecoute, on n'est pas maître de soi-même
...
...On est jaloux, on est méchant, pourquoi
;
?...
Parce que l'on est vieux, parce que beauté, grâce,
Jeunesse, dans autrui, tout fait peur, tout menace
Parce qu'on
De
est jaloux des autres et
;
honteux
soi.
Ce vieillard amoureux reste même grand, tant que cet
amour cède à la fierté féodale, à l'honneur, au respect de
l'hospitalité
il
;
Hernani avec dona
lorsque, surprenant
impose silence à sa vengeance parce que Hernani
hôte
;
offre à
lorsqu'il
proscrit,, et qu'il
don Carlos sa
consent à laisser
le roi
tête
pour
Sol,
est son
du
celle
emmener dona
Sol
plutôt que de lui livrer Hernani.
reste
Il
une
soif
norer en
dona
grand quand son
vieil
de vengeance contre
le
rendant parjure à
Sol. Il laisse
pour ne voir
que
amour
le roi
failli
le
place à
désho-
l'hospitalité, et qui lui a pris
vivre Hernani,
le
trahi fait
qui a
oublie
compagnon de
sa
en
lui
le
vengeance
rival
;
il
L'AMOUR JALOUX
Quand
conspire.
le droit
il
lui
de frapper lui-même
co qui domine en
MARIE TUDOR.
son rôle
le
roi.
Alors
si,
il
reste noble, car
moinsle vieillard amoureux que le
lui, c'est
finissait là,
la
abandonne dona Sol pour avoir
vieux seigneur insulté par don Carlos.
si
197
désigné Hernani pour exécuter
le sort a
sentence des conjurés,
:
lorsque
le roi
Don Ruy serait
parfait
a pardonné, uni dona
Sol à Hernani, don Ruyrestait sur ces mots qu'il prononce
Moi
soûl, je reste
çant à leur tyrannie. Mais
il
l'enfer,
Sol.
avec l'aspect
vienne,
anéantir tout
Don Ruy,
le
On
geance, on l'admettrait,
que
le
si,
à
démon
d'un
si
;
sa fureur espagnole,
bonheur d'Hernani
touchant et
si
le ridicule et l'odieux.
lui
sacrifice,
de drame
n'y aurait plus
faut que, tout entier désormais
don Ruy
un commun
royauté rentrant dans leur devoir, renon-
la vieillesse et la
il
!
don Carlos dans
à
s'unissait
s'il
condamné
:
sorti
et de
de
dona
noble d'abord,
frise
comprendrait encore sa vensans le voir, on n'entendait de
son de son cor, éclatant tout à coup dans les
ténèbres. Mais non
;
il
vient, son
amour de
vieillard n'est
plus que vulgaire, sa jalousie s'est rapetissée
Et que
:
ferais- je, moi, cette nuit ? J'en mourrais.
Je ne l'aime point non plus, quand
il
envie jusqu'à
l'embrassement suprême des deux amants. La réflexion est
tragique, mais
elle
est
placée dans
la
bouche de ce
vieil-
lard jaloux.
Deux femmes
de Victor Hugo,
croire chez
le
représentent l'amour jaloux dans
et la passion politique
poète à une
qu'elles soient
le
théâtre
du temps peut
intention de les opposer,
dans des drames différents.
A
faire
quoi-
Marie Tudor,
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
198
la
reine passionnée, impudique et jalouse, s'oppose laTisbé,
pure et jalouse qui se
la courtisane
sacrifie.
Le poète dans Marie Tudor a voulu peindre une reine
qui soit « une femme grande comme reine, vraie comme
femme ».
;
Mais ce qui Ta surtout tenté,
sar la
c'était fatal, c'est d'abais-
reine au niveau d'une simple femme
;
car l'Her-
du
Ce que
montre le drame romantique, c'e?t une reine qui aime un
simple chevalier, comme Marguerite de Bourgogne, un
écuyer comme Christine, un favori. sorti de rien comme
Marie Tudor. L'art trouve évidemment un plaisir démocramione de Racine,
sa
Bérénice et toutes
les
théâtre classique sont amoureuses, mais d'an
femme
tique à montrer ainsi la
temps
huma
qu'il
y
fait
reines
roi.
effaçant la reine, en
même
une étude, certes intéressante, du cœur
n.
Mais, pour triompher des raisons qu'une reine a de garder
un amour bien grand et bien pur
ou une passion bien
sensuelle et bien violente pour un homme qui ne mérite pas
davantage. Le premier cas, le théâtre romantique le montre dans Maria de Neubourg. Dans Marie Tudor, au contraire, dans Christine, Marguerite de Bourgogne, la passion
ou son objet abaissent la reine
pour la reine de Suède,
c'est l'objet, car son amour est assez noble; pour Marguerite,
c'est la passion, qui est de la débauche
Marguerite est
une reine courtisane pour Marie Tudor, c'est l'objet et
sa dignité,
pour un
il
faut ou
homme
qui en est digne,
;
;
;
la
passion qui ne sont point du genre élevé
débauchée, mais
elle
n'est qu'une
femme
;
elle n'est
point
sensuelle, éper-
dûtnent éprise. Ces amours-là sont assez jaloux d'ordinaire,
et la reine l'est
favori l'est.
beaucoup,
Quand
la
une comédie,
elle
quand
il
elle n'est
plus très jeune et
apparaît pour
la
première
son
fois ; elle
trahison de Fabiano, et elle joue avec lui
a déjà appris
et
elle
lui
est parti,
fait faire
—
ce
des protestations d'amour,
mouvement de scène
est
très
l'amour jaloux
—
beau,
comme une
bondit
elle
la mort du coupable qu'il
lionne blessée,
altérée
:
c'est
du moins.
pour une trahi-
lui faut. Elle le croit
ne peut l'obtenir de
elle
199
est reine. impérieuse et offensée
de vengeance. Elle
Mais
MAKIE TUDOÏt.
:
la justice
Simon B e rnai d l'homme de mélodrame
qui sait tout et ourdit tout, lui offre un instrument de vengeanco terrible, l'homme même dont Fabiano a souillé
Gilbert. Que va faire la reine? Faire assassiner
la fiancée
son d'amour
;
alors
-
-,
:
Fabiano
venge
?
amoureuse
C'est ainsi qu'une reine
et trahie se
ce serait un crime, qui trouverait son excuse dans
;
un trop beau
drame serait fini
fureur de la reine descendra donc jusqu'au mensonge
à l'infamie. Ce Gilbert, qui pour se venger donne sa vie
passion
la
pour
rôle
la
et
mais
;
âme,
et son
prend
elle les lui
la reine
parce qu'il aura conclu avec la reine
dévoué corps
La femme
gaire
en
;
le
que
même pas
:
!
après
?
C'est bien ce
Et
;
majesté offensée,
la
toute
justifier
hauteur
commis. Fabiano ne pourra
la
de
que
reine; elle
répon-
lui
que qui m'a trahie est
sais bien
me venger
tuer par un sbire ou
le
est
à mort, tu es bien puéril
qie j'emploie pour
sinat
Tu
«
payé
tout cela
pacte de lui être
le
semble
adresser de reproches à
dra d'un regard
condamné
il
se dira
fera
relevé que par la
n'est
et la passion avec laquelle
il
il
;
toute honnêteté vul-
ici
rien
l'amour,
crime, bas,
;
vengeance.
jalouse a dépouillé
même temps
infamie
la
moyens ne sont plus
les
;
et
âme pour
le
mentira,
il
;
Fabiano pour assassiner
par
sans doute
la reine aurait
poète démocrate, et puis
le
de t'occuper du
toi
je
:
veux
;
que
moyen
un
oui, c'est
je
te
assasfasse
bourreau, que t'importe? Je préfère
le
bourreau parce que je veux une vengeance plus éclatante.
puis
d'abord
n'es-tu pas
et se défend,
assassin
courbe
?
la
x>
Et Fabiano, qui résiste
quand il reconnaît
tête
Gilbert dans l'homme qui l'accuse, et qu'on lui présente
poignard avec lequel
que ces
il
a tué
effets sont fort
le juif.
le
Remarquons en passant
dramatiques: son crime
poursuit
200
le
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
criminel
innocent
devant
Tudor
dressant devant
et, se
bouche pour
se dire innocent
en
C'est
effet.
le
courbant
criminel
superbe parce que dans
femme
avec
hauteur d'une majesté souveraine
la
tête
la
reine orgueilleuse on
la
sent la
gira de rien
la
est
il
aux mains du crime. La rage de Marie
la justice
est
l'empêche d'ouvrir
lui,
d'un autre crime, dont
qui aime encore. Elle avoue ses faiblesses
ne rou-
et qui
parce qu'une reine ne rougit pas aux yeux
de ses sujets. L'orgueil sauve tout, a Pardieu, messieurs,
vous n'avez pas besoin de vous éloigner...
voix,
il
me
semble! » Elle s'humilie
mieux abaisser l'homme qui
pardon de vous
encore, sa rage le dit.
la vie et
furieuse, mais
orgueil, pour
trahie
:
Il
Je vous demande
«
par cet homme-là,
aux pieds, mais ellel'aime
le foule
semble qu'elle ne
hache que pour
la
honneurs,
les
ne baisse pas
avoir fait coudoyer
inylords!» Cet homme, elle
chafaud et de
l'a
je
même par
menace de
le
rendre d'un seul coup
lui
son amour. N'est-ce pas
aimant encore, qui
le fait
maîtresse
la
mettre à genoux de
force devant elle, qui se trouve humiliée de son
basse et s'écrie
:
de satin,
homme
je
ne relèvera seulement pas
femme amoureuse encore
N'est-ce pas la
beau jeune
« Il
veux
blant, pieds nus,
insolent, que j'ai
un
cou blanc où j'avais mis
une corde.
liées,
qui
manié par
collier
d'or,
dit
effaré
me
ble
Je
!
l'aime
elle
que
dire,
le sais
«
:
j'y
«
!
»
Ce
et trem-
Ce
veux mettre
vil,
explique tout
:
» Elle ne peut
ce que
;
nous
et
vous
mais je l'aime,
elle ajoute
peut-être
elle
un lâche, un miséra-
vous, et j'en rougis
« J'aimerais
:
Fabiano
aime
je sais tout
un homme
c'est
comme
Tenez,
que voulez-vous que j'y fasse? » Et
homme.
:
bourreau.
le
Aussi son changement n'étonnera-t-il guère
allez
tête
»
explique alors elle-même pourquoi elle
comment
attitude
la
couvert de velours et
en deux,
voir plié
le
mains
l'é-
ce
mot qui
moins un honnête
mieux marquer quelle passion sen-
iuelleet malsaine la possède. Et ce trait est. vrai. Gilbertaussi,
L'AMOUR JALOUX
GILBERT.
:
201
qui aime mieux, dit en parlant de Jane infidèle :« J'aimerais
femme
peut-être moins une
tuerez
la
femme
fidèle.
Vous croyez que vous
trompe? Non, vous ne
vous
qui
tuerez pas, vous vous coucherez à ses pieds
avant
seulement vous serez
;
pardonné à Fabiano
La
«
:
triste. »
vie de cet
La
reine Marie a
homme
la
comme
après
donc
est nécessaire
ma vie. » Dès lors elle est de nouveau possédée par l'amour
comme elle l'a été un moment par la vengeance ne trouà
;
vant autour d'elle que de
la
haine pour son favori,
sert de sa propre rivale, de celle qui, croit-elle,
elle
se
aime encore
Fabiano. Mais son projet de sauver son favori ne s'accomplit
peuple veut
pas facilement
:
avons alors
spectacle d'une
le
le
sa couronne pour sa passion.
évader Fabiano
faire
le
et
de
mort de Fabiano,
la
lui substituer Gilbert, et
désespoir de Jane elle a d'abord
sion
:
«
Que m'importe
»
?...
le cri
son amant se trouve menacé,
«
:
nous
Elle s'attendrit
la
devant
égoïste de la pas-
comprenant ce qu'on souffre quand on aime
reparaît dans la reine
et
femme passionnée qui risque
Elle a songé au moyen de
;
pourtant,
mais dès que
passionnée et
Tu ne bougeras
la furieuse
pas.
Ah
!
ton
amant Que m'importe ton amant ? Pardieu je sauve
mien comme je peux, aux dépens de qui se trouve là. »
En somme, Marie Tudor est une belle peinture de
!
!
le
la
passion jalouse. Les réserves ne peuvent porter que sur un
point,
traité à
son heure dans cette étude
:
la
réaction
politique qui oppose l'amour sensuel d'une reine à l'amour
plébéien, généreux et grand.
A côté de Marie Tudor, en effet, se trouve un type
d'amour jaloux tout à fait opposé, pur, noble, capable
c'est chez l'ouvrier Gilbert que le
de tous les sacrifices
:
poète romantique
l'a
placé.
L'amour de Gilbert
et la passion de
points de ressemblance
vengeance
;
:
le
la
reine
ont deux
premier est un désir âpre de
mais Marie Tudor veut se venger de son amant
coupable, et Gilbert de celui qui a séduit sa fiancée.
C'est
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
202
La
tout différent.
seconde ressemblance,
que
c'est
la
passion persiste chez tous deux, malgré la trahison de l'être
aimé. Mais ce qui est une faiblesse, dramatique d'ailleurs
et vraie chez la reine, est une grandeur chez Gilbert.
roman-
Gilbert est un des beaux caractères de la tragédie
meuve dans un ensemble de
tique, quoiqu'il se
mélodramatiques qui
lui
élevé une orpheline,
Jane
d'abord,
il
aimée comme
il l'a
comme une amante
Ses sentiments ont
douceur de
Prends garde, lui dit Joshua,
qu'il n'est
amour
pas aimé
qu'il n'est pas tout
dans un langage
un enfant, à
est inquiet d'ailleurs,
comme
il
pour
elle, et
il
d'amour
lui
charme
plein de
il
voudrait et
reconnaisance que
Jane plus de
;
est
la tendresse.
imprudent
c'est
femme, ça ne s'aime pas tant que ça
heure. » Son
fille
elle
;
de l'amour pater-
la force
nel, la violence de la passion et la
«
sa
;
l'aime à présent
sa fiancée.
ressorts
Gilbert a recueilli et
font tort.
;
la
a
en
voir
croit
il
bonne
vaguement
sent
il
une
;
pressenti
exprime ses soupçons
et de vérité. Il
y a
là
une manière de sentir l'amour toute moderne, non classi« Sans doute je
que, et qui ne doit rien à l'Allemagne
:
voudrais être un voleur et un assassin, et être aimé de
Il
n'y a que cela au monde, être aimé...
d'amour de
Oh
!
toi
Jane,
,
que je t'aime! Tous
toi.
Je
dit. Il est tard,
c'est triste
Bientôt
sance
;
il
les
toi...
mot
seul
reconnaissance de côté.
jours davantage. Je voudrais
Aime-moi ou ne m'aime pas, tu en es bien
Pardonne-moi tout ce que je t'ai
il faut que je te quitte,
adieu. Mon Dieu
mourir pour
la maîtresse.
que
laisse toute la
Un
suis fou.
I
de te quitter
apprend à
!
»
la fois la
trahison de Jane et sa nais-
donne sa vie pour se venger mais s'il la donne,
tient plus, Jane perdue pour lui. Avant de
pacte pourtant, il a essayé de se sacrifier aux deux
il
;
c'est qu'il n'y
faire le
amants, car
demandé à
n'est repris
il
croyait encore Fabiano épris de Jane
la reine,
pour prix de sa
vie, leur
il
a
bonheur, et
il
;
de sa soif de vengeance que quand Fabiano a
l'amour jaloux
Maintenant
renié celle qu'il a déshonorée.
203
Gilbert.
:
dans sa
est
il
Que pense à présent cet homme qui aimait une fille
indigne ? Remarquons d'abord que ce genre de situation tragique a été négligé, en général, par les poètes du xvn"
prison
Les amants, dans
siècle.
n'aiment pas
;
Le
trahison accomplie.
interdit, et la tragédie
pas sur
rait
une
tragédie classique, aiment ou
s'était fait
tolé-
à
un
Je baiserais
derais par.JoD
autre, à
humain
que
aime encore
s'il
;
Jane déshonorée
est: «
A
elle vient
il
?
pour
le faire
:
Ta
«
Cette voûte s'appuie sur
Fuyons
ma
vite
!
vivre, moi, je suis aimé! »
;
la
ma
;
il
L'homme
se sacrifier à son
ne
ainsi
s'y
vie,
d'hier. D'ail-
Jane,
si
vous ne
lui a-t-elle dit
Je veux
:
mon
pour
«
Je
éva-
Jane m'aime
la vie,
viens-nous-en, Jane.
Et
il
!
Je veux
reconnaît en Jane repen-
l'homme qui aime,
femme pardonnée
C'est qu'en effet, pour un plébéien
est toute la vie
Jane
tête et l'écrase. J'ai besoin d'air.
tante son épouse. Ainsi, pour
n'empêche pas l'amour
majesté.
le
évader, son premier mot
as tout préparé
sion, dis-tu ? Vite, vite, la vie.
ici.
dans
Jane, c'est que der-
ainsi
Mais à peine Jane
»
t'aime », qu'il s'écrie
Je meurs
serait
mais
deman-
cœur. » Voilà qui
persiste à voir la
quoi bon vouloir sauver
m'aimez plus
lui
n'en est pas moins beau. Car ne prenez pas
et
quand
y
je le sais.
brisé,
sont que je la ramas-
mon
je la serrerais sur
au mot Gilbert
leurs,
cœur
de moi. Elle
voulait
si elle
ne s'y oppose.
un misérable,
bas de sa robe et je
le
ruisseau de la rue avec celles qui
serais là et
faute devenue
la
égal, je l'aime. J'ai le
c'est
!
je l'aime.
rière
l'eût
dans sa prison aime encore Jane qui
« Jane s'est donnée à
est
royaux
une majesté qui ne
respect des adultères
déshonorée, nulle dignité classique
bien
en face d'une
se trouve
scène une allusion
la
réalité. Gilbert
s'est
Eh
la
mais rarement on
comme
mêle pas de
amoureux
est
Gilbert, l'amour
ou de vaine
heureux de pouvoir
fierté
amour, ce que ne pourrait
pour qui une raison d'Etat dominerait
la faute
est épousée.
l'homme
Le pardon
faire
la passion.
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
204
de Gilbert pour Jane séduite est aussi un effet de
romantique
qui tombe
La
:
pour
pitié
courtisane
la
!
doctrine
la
pour
pitié
femme
la
!
Tisbe est
le
pendant de Gilbert
pour le
se sacrifiant
donnant pour époux
bonhéhr de celle qu'il aime,
l'homme qu'elle aime. La comédienne de la pièce représente l'amour héroïque la grande dame, Catarina, ne représente que l'amour ingénu. Tout d'abord Tisbe aime passionnément
cette femme de théâtre qui s'est refusée aux
et lui
;
;
podestas et
s'est
ne supporte pas
son amant
homme
donnée à un jeune
l'idée
d'une rivale
:
qu'elle
elle la tuerait
la tuait et la pleurait, elle serait
;
aime,
mais
si
heureuse. Vient
pas de repos que, servie
un soupçon dans le cœur elle n a
par Homodei, elle ait acquis la
preuve que son amant
trouve chez
le
moment où on
lui jette
:
se
Catarina
moment, surprend Catarina
vient à ce
et
sur-
elle
;
manteau do
le
Rodolfo, écrase la grande dame, surprise, de sa haine et
son mépris, puis tout à coup
grande dame
est la
lui
La
de celle qui a sauvé sa mère.
fille
de-
pardonne parce que cette
preuve complète que son amant ne l'aime pas,
ne tarde
elle
pas à l'avoir dans une lettre écrite par Rodolfo à Catarina
et
où celui-ci
dit de Tisbe
femme
« Cette
:
Dès lors, sa
un type d'hé-
»
!...
résolution est prise, l'amante jalouse devient
roïsme, c'est
elle
sauve de
elle
la
qui
mort
se
la
sacrifiera
à ceux
femme du podesta
;
qui s'aiment
;
a une der-
elle
nière entrevue avec Rodolfo qui croit qu'elle a aidé le po-
desta à empoisonner Catarina.
tuer.
La
t-elle
pas
qu'il
tire
un poignard pour
Tisbe est heureuse de mourir; aussi ne
:
que
lui
importe
ne l'aime pas, qu'il ne
là qui la tue.
retourner
le
justifier, car
Elle se
le
? Il suffit
l'a
fait
le
;
lui
crie
c'est ce
mot-
comme on
répéter
détrompe-
que Rodolfo
jamais aimée
îa
se
ferait
poignard dans une plaie; puis, sans daigner se
elle
veut mourir et par
frapper. Alors seulement,
gie, elle
Il
lui, elle
quand Catarina
avoue qu'elle a préparé leur
fuite.
le
force à la
sort de sa léthar-
La scène
est belle
l'amour jaloux
et tragique. Il est à regretter
Tisbe se
finir
que
et touffu, tel
et je
;
il
faut citer la Christine
caractère de reine complexe
voulu dessiner
l'a
fausse de Cromwell
reuse.
le
la
trop mélodramatique.
avec l'amour jaloux,
de Dumas. Je laisse de côté
205
seulement que ce rôle de
meuve dans un milieu
Four en
Christine.
:
Dumas d'après la formule
la femme amou-
ne prends que
abdique pour aimer, pour n'être plus qu'une
Elle
femme, pour
visiter Paris et
Rome avec un amant
;
mais cet
amant, Monaldeschi, n'est qu'un fourbe et un ambitieux qui
rêvait de se faire épouser parla reine. Elle semble en avoir
quelque doute quand
à conserver de ses droits royaux
elle tient
celui de haute justice sur les gens de sa maison.
déçu conspirait aussi contre
Gustave une récompense de
elle constate
plus vil des
le
punir
à
tirer
Monaldeschi
de
Charles
sa trahison. Christine l'apprend
en outre que son écuyer est
le
;
pour
elle
le
;
plus lâche et
hommes, qu'il accuse un innocent et s'offre à
condamne à mort et le livre pour l'exécuter
elle le
celui qu'il accusait
;
mais
'suffit
il
se jette à ses pieds, implorant, lui
pour quelle
faiblisse et
pardonne
encore que Monaldeschi
rappelant leurs amours,
tout. Il lui faut
une autre
infamie de l'écuyer, infamie qui prouve une fois de plus
trahison de l'amant
d'une maîtresse qui
Monaldeschi se débarrasse par
:
le
gêne
;
la reine alors
venge sa
elle-même en donnant l'ordre de frapper.
blessé, se réfugie à ses pieds;
mais
elle l'y fait
le
la
poison
rivale et
Monaldeschi,
achever quand
elle voit expirer Paula.
La
scène est saisissante, d'un pathétique violent
reine, qui devant elle fait assassiner
tableau à sensation
;
mais
médiocre. Christine est une
pire
dont
peu d'intérêt parce
elle
le
:
cette
son favori, c'est un
caractère en lui-même est
femme
qu'elle est
faible, qui
nous ins-
dupe d'un homme bas
devrait voir la bassesse. Trahie, elle n'a ni les
emportements de fureur hautaine, ni la faiblesse hardie
de Marie Tudor, qui est une Christine refaite et meilleure.
En somme, Dumas a voulu excuser, laver Christine quand
;
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
206
elle
condamne définitivement Monaldeschi,
c'est
moitié
par pitié pour Paula, victime de l'écuyer. Christine n'est
pas un type de
dans
ailleurs,
de
la
A
passion jalouse
la
est
jette Monaldeschi.
mort
côté de ces passions violentes,
a peint
de la fin
l'intérêt
;
peinture de l'angoisse physique où la peur
la
le
théâtre romantique
l'amour roma-
l'amour ingénu et
plus rarement
nesque.
Blanche, dans
Roi s'amuse,
le
même
ingénu, trop ingénu
maison
en allant à
l'église
Blanche
Il a raison.
homme,
elle
;
;
un type d'amour
n'est jamais sortie de sa
jamais vu de Paris que
n'a
et
est
ce qu'elle en voit
encore Triboulet n'est-il pas rassuré.
dimanche par un jeune
est suivie le
et elle adore son air noble et fier
pleine d'illusions
;
sur ce beau cavalier, elle les exprime à sa gouvernante d'une
manière qui peint bien
la
naïveté suprême d'une innocente
Oh
!
cela se voit bien,
femmes que moi ne le touchent en
D'autres
:
rien
:
pour lui Di jeux, ni passe-temps, ni fête,
ne pense qu'à moi.
Il n'est
Il
Suit
une
de
scène
Blanche
sort
s'en faut
de peu.
sans tache
encore
la poésie.
acte iïHernani.
Ici
l'ingénuité
mais
;
on
sent
de
qu'il
Le poète aime à pousser jusqu'aux
limites ce genre de scène, et
un peu de
d'où
séduction
Tel
il
ne
le tout
Blanche
le fait
est
génue vulgaire qui tombe dans
pas sans s'écarter
à Vheure,
le
du cinquième
trop exactement
piège
;
c'est
l'in-
du drame
une petite provinciale qu'un galant
veut embrasser à chaque instant et qui résiste un peu, mais
bourgeois
;
on voit
là
pas trop. Elle n'a qu'un
Ah
!
vous
me
joli
vers
:
tromperez, car je trompe
mon
père.
L'AMOUR INGÉNU
Quand
a été enlevée et qu'on
elle
trop ingénue
elle reste
que deviendrait
la
;
innocemment
l'offre
le roi
présente au
séducteur royal
le
;
mais
prend
;
elle
ne
sait
crier,
comme
scène du jardin, qu'un laissez-moil bien vulgaire
la
Elle en sort déshonorée, et
roi.
honte « devant tous ces
sa
Triboulet fait sortir les seigneurs et interdit
lui-même sur un ton superbe
grandi par
la
dominer
roi libertin
le
;
une chambre qui
dans
elle s'enfuit
précisément celle du
ne veut pas exprimer
dans
roi,
semble-t-il, trouver
offre d'être sa reine, et elle
lui
au sérieux
pour tout sauver,
est
207
pièce? Aussi faut-il qu'elle reste gaucLe
et maladroite
et
la
elle devrait,
;
des accents qui feraient reculer
dans
BLANCHE,
:
ici,
;
hommes».
porte au roi
la
d'ailleurs, le bouffon,
majesté paternelle offensée et affligée, peut
la
;
scène serait
mais
belle,
il
y a
confession de Blanche à Triboulet, je ne sais quoi
la
de peu délicat qui choque
spectateur
le
;
Blanche y pleure
surtout, quoiqu'il lui échappe des exclamations qui sentent
encore
y
autant que l'ingénuité, mais Triboulet
la niaiserie
trop. Il faut
parle
le spectateur,
qu'un père
d'être ridicule, surtout
quand
sa
en pareil cas, devant
soit
sublime ou ridicule.
Triboulet a bien
fille,
avec
répond à ses imprécations contre
nuité,
vient de la souiller
la
même
l'air
ingéqui
le roi libertin
:
Dieu, n'écoutez pas, car je l'aime toujours.
Voilà
point
le
le
plus faible de ce caractère et
cet
amour
elle
connaît à présent la bassesse.
amour
est
persistant de Blanche pour le
imaginé pour
de Triboulet. Et
mois
Ainsi
elle
la leçon
le
père travaille
étrange
»,
rendez-vous
comme
trop que
le
roi
la
cet
punition
pendant
le
pour préparer sa vengeance.
à laver
du
voit
morale qui est
continue à aimer
qu'il faut à Triboulet
accepte des
On
du drame,
séducteur dont
roi
son honneur, et
:
«
c'est
la
unique,
dit Triboulet, encore bien
fille
c'est
près d'être
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
208
comique, quand
il
apprend tout cela
avoue,
lui
le
elle
roi,
adore
oui, sa fille
:
mourrait pour
elle
déshonore. Et pourquoi? L'ingénue se croit aimée,
le lui
les
a juré
femmes,
dit cela si bien,
il
:
c'est
père aime aussi
blant
!
Un
beau
si
le roi,
dit Triboulet.
—
hier soir qu'il l'adorait
ingénue bien risquée
roi
comme
:
;
cela lui
dites, et,
s'écrie
à cette
roi
Hier
suffit.
l'air
elle
soir ?
sem-
fais
encore
lui a dit
Voilà une
de s'être
faite à
voit le roi plai-
ingénu-
s'étonne, toujours
des choses qu'il lui # a déjà
fille
cachant sa tète dans
poitrine de son père, elle
la
:
Et
Le mot
femme,
cette
est
tragique et
exact,
le sacrifice
est-elle effrontée!
il
est
photographié,
de Blanche
incorrigible finit par une
l'est
c'est bien
meurt, ce n'est point expressément,
désespoir de n'être pas aimée,
sait qu'elle fait
mal
c'est
mon
-et elle
;
:
pour
comme
est
il
la
peu
ingénue
cette
elle
meurt
lui qu'elle
Tisbe, par
pour sauver
l'ingrat.
:
Je ne veux pas mourir pourtant
J'ai
mais
trop
ingénuité énorme
pour son infâme séducteur. Et
Elle
la
roi
doux avec
si
— Je
l'air.
le
Quand
roi.
santer avec Maguelonne, elle
qu'il dise
en a
a tout
elle
le
Elle espère bien que son
!
il
D'ailleurs
ee métier de maîtresse de
ment,
a des yeux
il
le
qui
roi
le
j'ai
;
mieux à
faire,
père à soigner, à consoler...
tombe en souhaitant longue
à celui pour qui elle meurt
vie et toute prospérité
c'est lui souhaiter de faire
encore beaucoup de victimes comme elle. Mais l'ingénue
ne voit pas si loin. Hugo est lourd, on le voit, quand il veut
représenter la jeune
jusqu'à
la
fille
;
ingénue
;
il
force la note et va
caricature.
Catarina représente aussi l'amour ingénu de
non plus de
la
la
femme
et
vierge trop naïve. Elle est mariée, mais sans
L'AMOUR INGÉNU
amour
un tyran comme
n'y en a pas dans
il
lodrame. Ce tyran
elle
mé-
tremble devant
lui,
Catarina,
à l'honneur
est
il
mariage,
ont
Rodolfo,
elle
voit furtive-
elle le
manquer
l'amour ingénu qui continue après
le
romantique. Cela dure depuis sept ans. Mais
trait
failli
pour
pour
elle est
;
mille dangers. Ils s'adorent sans
c'est
;
ne se connaissent pas
Ils
fille.
ment au prix de
ils
elle le redoute, elle
et quel tyran!
plus truculent
le
ne peut l'aimer. Elle continue à aimer celui qu'elle a
aimé jeune
lui
209
non un mari, mais un tjran,
elle a,
;
CATARINA
:
ne plus se voir
;
depuis un mois elle est sur-
enfermée.
veillée,
La pauvre femme,
pauvre jeune
la
voit
plutôt, se
fille
avec terreur séparée à jamais de celui qu'elle adore, séparée
du monde,
et,
n'ayant plus de mère, privée de toute affec-
tion. Elle pleure et souffre.
enfermée,
suis
Dieu
!
Et
«
ne
je
verrai plus. Je
le
gardée, en prison. C'est
fini.
Cet amour était donc bien coupable
!...
une heure, de temps en temps. Cette heure,
fermée,
vite
si
-c'était le seul
un peu
d'air et
suis pas
comme
les
de
ma
si
par où
étroite et
tout cela ne
me
entrait
il
Et puis moi
vie...
ferait rien
:
mon
!
voyais
le
autres femmes. Les plaisirs,
les
distractions,
soupirail
dans
soleil
Hélas
Je
je
ne
les fêtes,
moi, Dafné,
cœur qu'une pensée, l'amour
depuis sept ans je n'ai dans
le
qu'un sentiment, l'amouf
qu'un nom, Rodolfo. Voilà sept
ans que
je l'aime.
marie sans
pitié
seulement pas
Dieu
!
;
Ce bien-aimé,
une nuit
il
pénètre
elle le voit
dans
mais regarde-moi donc que je
que depuis cinq
te dise
Comme
;
on vous
n'ose
je
Crois-tu que cela fasse une vie
bien changée, n'est-ce pas
que je
toute jeune.
J'étais
Par exemple, mon mari, eh bien,
lui parler.
bien heureuse. »
miracle
!
;
?
sa
enfin
chambre
te voie
!
par un
:
Tu me
Oh
((
trouves
je vais t'en dire la raison
:
c'est
semaines, je n'ai fait que pleurer. Il faut
bien des choses. Par où
commencer
?
On m'a
enfermée. Je ne puis plus sortir. J'ai bien souffert. Vois-tu
?
il
ne faut pas t'étonner
LE DRAME ROMANT.
si
je n'ai pas tout
de suite sauté à
1-i
210
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
Non,
ton cou, c'est que j'ai été saisie.
mon âme
der,
laisse-moi penser que
!
l'heure je te répondrai.
où
tu sais,
dire
1
me
ne
On
a
tu
es là.
parle
Tout à
moments comme
des
on veut regarder l'homme qu'on aime
regarde
Tais-toi, je te
:
tiens,
rassembler mes idées, laisse-moi te regar-
pas, laisse-moi
je suis heureuse
!
!
Tais-toi, je t'aime
cela,
et lui
Tais4oi,
!
»
y a là, en dépit d'une affectation de réalisme qui sent
drame bourgeois, une peinture vraie et touchante de
Il
le
l'amour ingénu qui ne voit que son objet, ne rêve point,
ne raffine point. Rodolfo auprès de tout cela est
n'est, lui,
ni
Didier, ni héroïque
les côtés
odieux de son rôle. Car
l'aime,
est son
et
il
il
faible,
il
fait croire à
amant, alors que son cœur
parle d'elle avec
un mépris
injuste
est à
Tisbe qu'il
une autre,
quand
il
écrit à
Catarina. Mais les héros romantiques sont ainsi faits
peut être l'amant d'une
tresse, semble-t-il, est
elle est
elle,
l'âme sœur
;
femme
pour
et
les sens,
passe pour la
n'est pas forcé d'avoir
croit-il, a
on
l'amante pour l'âme
;
femme mariée malgré
N eu bourg
;
une maîtresse pour
mais
voulu se venger de sa rivale
;
même
un
la trahir
Rodolfo arrive ainsi à tuer sa maîtresse parce que
c'est lui le
;
aimer une autre. La maî-
pour Catarina, pour Maria de
homme
il
comme Otbert, ni profond comme
et jaloux comme Hernani, sans compter
ingénu
;
celle-ci,
dans ce cas
coupable.
Les mensonges
et les
aveux de Catarina à Tisbe, qui a
découvert leur intrigue, sont encore de l'ingénuité. L'ingénuité de Catarina est dans toutes ses actions, dans toutes ses
paroles, c'est soncaractèrespécial, et cette ingénuité fait d'elle
une des créations
les plus typiques du drame romantique.
mieux mourir que de nommer son amant mais,
ce qui est bien ingénu, en face du danger, de la mort,
elle est faible.
Et Saint-Marc Girardin a tort de la
Elle aime
blâmer.
sanglote,
;
Quand
il
s'affole,
lui
faut mourir, elle supplie, elle pleure,
elle
demande du temps, beaucoup de
l'amour ingénu
temps
elle
;
maria de neubourg
:
veut un jour, puis
lendemain
elle
211
sent qu'elle sera
demande un
aussi
cloître.
Il
y a des
mots frappants d'ingénuité, l'ingénuité dans
la
terreur
faible le
elle
;
;
demande de dénoncer son amant. Elle crie
Mon
Dieu
Et comme î\.ngelo lui dit Vous ne répondez pas
elle dit
Si, je vous réponds
Angelo
Mon Dieu!
on
lui
:
!
répétant
Décidez-vous
:
bien
Laissée seule avec
elle crie
grâce
!
grâce
elle
!
!
le billot et la
mépris leur lâcheté,
de Venise et de
à
la société
un mot de
se laissera
puis tout
à coup, elle
prononce
que
pitié
massacrer à coups d'épée, mais
elle-même au-devant de
la
Neubourg
Catarina. Elle est aussi par
fléchit,
en déses-
elle n'ira
elle
point
mort. Rien là de l'héroïsme
violent, cette terreur de la mort, c'est
reine Maria de
de son
Tisbe,
la
convenu des tragédies. Malheureusement,
La
bourreaux,
écrase
révolte contre les lois injustes
se
;
ses
elle
;
appelle sa mère, elle s'accroche
crie, elle
pérée
elle
la
hache, elle s'égare,
Par moments, devant
retrouve l'énergie de l'innocence
moment
par
perd
eu froid
a
s'écrie qu'elle
Elle
froid.
raison.
elle
—
:
dans l'oratoire,
elle
!
:
:
ce pathétique
du mélodrame.
a quelques rapports avec
certains
côtés l'ingénue qui
aime, mais c'est une femme, tandis que Catarina est restée
une jeune
Elle n'est guère plus mariée que
fille.
du tyran de Padoue, mais
l'aime point,
il
ne
elle est reine, et si
la terrorise pas. Elle
mais
femme
garde une majesté
mélancolique qui convient à son rang, et que
l'étiquette,
la
son mari ne
commande
confie à sa suivante favorite Casilda,
elle
sa
peur de don
Salluste, qu'elle a exilé et qui la hait, son désir
d'amusement,
ses
sa
ingénuités de femme,
répulsion pour
les
son
ennui,
grandeurs, pour la
présidence du
conseil, ses souvenirs d'enfance,
Que ne suis-je encor, moi qui crains tous ce3 grands,
Dans ma bonne Allemagne, avec mes bons parental...
...
l'envie qu'elle porte
aux
libres
lavandières
qui chantent.
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
212
comme
n'a point gardé,
Elle
des quinze ans, qui
mais
elle
fait
commence
neuve encore
;
Catarina, l'amour ingénu
vierge reste dans la femme,
la
âme de
aimer, son
à
qu'un jeune
suffit
il
que
vie et se soit blessé en lui apportant
pour qu'elle perde tout repos
le
bout de dentelle ensanglantée et
inconnu. Ingénue,
ait risqué
cœur
en
se trouble
elle aussi, elle
la fleur,
de l'amoureux
lettre
la
sa
d'Allemagne,
fleur
lit
a sur son
elle
;
vingt ans est
homme
le
recon-
naissant dans le messager du roi, elle perd contenance en
le
voyant blessé
et elle se trahit
:
Puisqu'il avait écrit la lettre,
L'apporter, n'est-ce pas
il
pouvait bien
?
Casilda
Mais
n'a dit en rien
il
Qu'il eût écrit la lettre.
Elle est ingénue encore, en
une amante, quand
qu'elle saute
tenir
la
ingénue, c'est
scrupules
honneur ont
qu'elle
revoyons,
aime
Ruy
comme
Blas et
les
plus
nobles
sa dignité d'épouse, son
;
lutté avec l'amour et ont
;
elle
ne
lui
sûre d'elle et de
homme
Blas est devenu par sa
;
lui
et
qu'elle
plus grand. Elle
le
forte
;
triomphé
elle
a
fui
,
elle est
l'homme
avoue son amour que quand
;
la
force à parler, elle avoue
comprend,
et qu'il est
redevient ingénue pour
de son amour, et redevient
elle
un jour, l'admiration pour ce
génie qui soutient l'Espagne
femme
et reine
confiance qu'elle a dans son honneur.
la
fine
Ruy
amour premier ministre elle n'est plus une
une femme qui aime, mais qui a passé par
devenue une femme noble
à cet
que
duel de
au cou du vieux don Guritan pour en ob-
Quand nous
est
le
ce qu'elle veut. C'est la coquetterie d'une ingénue.
faveur et son
les
même temps
apprend
elle
pour
elle
le
dire l'ingénuité
pour
Elle
lui dire la
reste dès lors
femme qui aime d'un amour pur, gardant
intacte la
l'amour ingénu
maria de neuboukg
:
213
majesté royale, quoique prête à tout compromettre héroï-
quement
si
elle voit
qu'elle
mettre
les
moment
a aimé
données du poème),
atterrées
s'empoisonne, et
reine et la
la
la reine refuse
;
femme
la
pardonne,
elle
aime court un grand danger. Quand
un laquais (il nous faut bien ad-
celui qu'elle
qui aime reparaît
la faiblesse
jamais sur
qui juge
bien
les
tion à l'ingénuité.
», qui, forcé
il
cœur ingénu. Les
insensées »,
ce
c<
il
il
génie »,
âme
la vie, cet
un collège
homme
d'Etat
tout, casse les minis-
de préten-
a l'esprit puissant,
s'il
!
de se mettre laquais,
la
des choses, une grande ambition,
rêveurs
» le sont
vœux
espère tout du
vers
sort
souvent. Jeune
le ciel
en strophes
pensif et paresseux,
;
qui distingue bien les ingénus des
habiles,
qui sont
passe son temps à regarder à la porte des palais
entrer et
sortir
il
En
il
et
jette « ses pensées et ses
actifs,
cette
pas au premier abord
n'a
Et pourtant,
hommes
vue nette des
a le
Quel abîme de
donnée dramatique.
la
hommes, réforme
tres prévaricateurs,
Blas
nettement qu'apparaît
se le figurer
ne paraît plus avoir d'illusions sur
si
Ruy
que nul ne
Blas, l'orphelin « par pitié nourri dans
de science et d'orgueil
il
au palais,
voile de tristesse.
précisément l'invraisemblance de
Ruy
;
de désillusion désormais dans
quand on cherche à
Blas
épouvantée
mais qu'elle portera à tout
la reine,
visage un
le
déception et
C'est
de
sont un
Ruy
;
supplie, elle se désespère.
elle
mort, on sent qu'elle va retourner
devinera
femme
de pardonner
se perd,
« crédule
marchant pieds nus dans
manque
à l'Espagne
et
du génie naissant. Valet,
guéri de son ingénuité,
l'orgueil ».
est
il
;
les
à
son
chemins,
méditations sur le sort des humains,
croit qu'il
l'ingénuité
des duchesses
Il
se
il
dit
avoir
il
c'est qu'il est
le
là
paraît désabusé,
perdu
trompe. Moins ingénu,
qui est instruit, une position dans
propre à tout,
au monde. C'est
il
« la joie
et
eût trouvé,
lui
monde
;
s'il
est
im-
ingénu. Mais quelle ingénuité
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
214
nparable à
'
amoureux d'une reine? Ce qu
celle d'être
ambition ou libertinage, ou enfin passion admissible
serait
homme
chez un
de cour, approchant sa souveraine, n'est-
immense ingénuité chez ce jeune poète vêtu
d'une livrée ? Il cherche à justifier son amour et il
trouve que cette pauvre femme, la reine, est bien malheuil juge le
roi en deux mots, et
reuse avec un tel mari
ce pas une
;
il
une
voit que c'est
génu
« famille qui s'en
va
C'est bien l'in-
».
un bouquet
qui fait une lieue pour trouver
aussi
qui risque sa vie
et
à s'introduire dans le parc royal. C'est
bien aussi l'ingénu qui se laisse équiper en don César et
prend
personnage que
le
lui
impose don Salluste, sans
réclamer, sans avoir de scrupules, sans prévoir que
songe ne peut que s'écrouler un jour.
qu'il
en a
le
costume,
Tout à coup
verte,
peut l'aimer,
il
ridicule
il
;
quelle féerie!
mais non pas
comte
se croit
reine passe,
la
il
et
Au
grand d'Espagne
devant
est là
ce
contraire, dès
sinon sans échec,
elle, tête
?
cou-
au moins sans
Le jeune grand homme en est ébloui,
Ecuyer de la reine, il
stupéfait ni effrayé.
joue cette fois avec espoir son rôle d'amoureux ingénu qui
marche
du parc
la
main ensanglantée pour avoir escaladé
royal.
Devenu
ministre,
il
les grilles
garde l'ingénuité qui
s'appelle en politique l'honnêteté, et qui condamne à
une chute
rapide les ministres qu'une reine amoureuse ne soutient pas.
Il
veut,
les
comme quand
impôts,
brigandage,
rielles,
il
les finances,
les
sortait
du collège, réformer
décharger
malversations,
le
concussions
les
»,
le
ministé-
rendre honnête l'homme de police qui, « dur au
pauvre, au riche s'attendrit », punir « tous
dus
l'Etat,
peuple, supprimer
monarchie de
Charles-Quint.
Don
voir que c'est pure ingénuité que
juges ven-
peut d'une minute
à
Salluste
lui
fait
la
bien
de prendre cet air de
redresseur d'abus, de « faire sur tout
alors qu'on
les
rendre riche l'Espagne épuisée, refaire
bref,
un bruit démesuré
l'autre sentir
s'écrouler ministère, duché, grandesse et blason.
»,
sous soi
L'AMOUR INGÉNU
Quand
tout s'écroule en
du maître,
jeune homme,
le
poète, ingénu, reparaisse.
sion, alors
semble,
danger
que
Ruy
effet,
un homme d'Etat
assez ingénu pour
voix
RUY BLAS
:
Blas paraît rester
semble qu'à
il
;
manque absolument de
Il
Je
sais bien qu'il
expliquer, révéler sa naissance, et cela lui coûte,
il
est encore ingénu
car
;
rina,lecoup en fermant
cautions qu'il prend
que
page
attend,
les
quand
Ruy Blas, de ne point
Ruy Blas compte sans
veut
jours,
qui ne
pas
Catapré-
les
Mais quand
?
comme
reine,
la
du palais
sortir
de
l'étonnement de
pas, sans l'amour de
comprendra
en quoi
d'envoyer chez Guritan un
préviendrait
il"
lui tout
le ferait
yeux. Que signifient
celle
?
comme
vieux fou n'écoutera
le
écouterait,
il
du
reine
pour
faut,
déci-
pourrait, ce
Il
courir au palais avertir lui-même la
qu'elle court.
la
domestique, rêveur,
le
minutes sont précieuses.
les
215
il
le
trois
la reine
reine qui peut
la
s'inquiéter, sans sa fierté qui ne se figure pas avoir à crain-
dre.
La première précaution
ter par la police de
d'exil?
la
la
journée,
projets
les
N'obéit-il pas,
sort
jour.
le
et
va prier dans quel-
s'en
Il
paralyse
de
Salluste
comme
toujours
danger
instinct qui fait fuir le
le
et
ainsi,
En
!
le
mité est tout.
et qui
mais
il
rentre
Ruy
n'est point
aussi
il
Il
sûr?
l'imminence
il
lui
moment pour l'homme
échappe
à l'extré-
Blas agit d'une façon très vraisemblable
montre que
ici
;
aux armoires,
poète connaît la nature humaine,
le
ingénu
ne paraît changé
clefs
or ce
?
pour
est-il
l'homme menacé
théâtre de cette catastrophe,
pour un moment
dit-il,
ferait Catarina, à cet
qui, dans
des grandes catastrophes, fait croire à
qu'en fuyant
de faire arrê-
reine ce don Salluste en rupture
Non. Ruy Blas
que église tout
n'est-elle pas
énergique ou héroïque. Le soir
qu'il était parti.
il
la
voit les meubles
maison dort,
ne sent pas autour de
n'a revu personne,
A
il
lui
il
son arrivée rien
à leur place,
les
tout cela le rassure,
l'ébranlement d'un malheur.
ignore tout ce qui
s'est
pu passer,
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
21(3
cela lui suffit,
il
ne cherche pas plus loin
ces gens qui, recevant
une
;
ressemble à
il
soupçonnée
lettre
d'apporter
de funestes nouvelles, restent un jour sans l'ouvrir. L'idée
Car
de mourir alors est bien ingénue.
mort peut au
sa
contraire parler pour Sallu^te contre la reine.
à prendre était dès
Mais
il
le
matin
ne veut pas garder
:
bout avec
la
je
poète et de se dire
naissance
?
Rien
;
je
la
En
Il
son origine
reine
n'est pas l'affaire
tragique.
révolutioonaire jusqu'au
après tout qu'est-ce que
:
tout cas,
d'ailleurs
passer pour grand seigneur,
Là
s'il
Le
Blas
est le point faible.
devenu premier ministre
époque démocratique
et,
valet qui s'est fait
n'était ingénu,
et
aimé d'une
il
plaît
de notre temps s'y
reine,
même
un
il
n'a
à notre
en dépit des énormes défauts de
donne un charme poétique tout
Comme poème Ruy
serait
Car quant à ce conte d'un
lien d'invraisemblable en lui-même,
lui
Ruy
le fait.
tous deux ingénus.
ici
Blas est donc un ingénu.
il
il
Ce
sans lui rien raconter et elle pardonne
sans rien comprendre. Ils sont
la pièce,
tout.
du poète, que ce dénoûment simplement
mourant
meurt
valet
habile,
faut qu'une reine pardonne au laquais
donne un baiser d'amour. Elle
malfaiteur.
plus
mort laverait
sa
;
et lui
Ruy
de Bazan,
mérite d'être César
César de Bazan.
reste
tairait à
Scrupule peut-être exa-
?
n'a-t-il l'ingénuité d'être
le
seul parti
attachés à son
les bénéfices
faux nom, sa noblesse est volée
géré que
Le
de tuer Salluste,
particulier.
un ouvrage immortel, le rêve
retrouve, il résume la poésie des aspiBlas
est
rations démocratiques.
VI
Don
Carlos ne
représente
plus
l'amour
profond qui
remplira le cœur de l'homme de peu, de celui qui n'a
que son amour pour tout bien au monde. Le prince et i'em-
L'AMOUR LIBERTIN
DON CARLOS
:
pereur ont bien d'autres pensées en tête
une
217
l'amour sera donc
:
distraction.
Don
un
Carlos avant l'empire est
despote
;
secrètes, et
avoir espionné
s'introduit, après
il
prêt à jouer
du poignard; chez
gneurs qui ont une nièce belle
pris tous ses
libertin doublé d'un
renseignements
il
;
et
jeune;
que
sait
entrées
les
vieux sei-
les
il
est vrai qu'il a
la
grande dame a
barbe du vieux »,
un amant
comme un libertin cynique il en a conclu que toute dame
qui a un amant peut en avoir deux, et, en chevalier mal
appris, brutal et insolent, il le dit devant elle, avec une
sans barbe*qu'elle reçoit
<(
à
la
ironie qui est plutôt d'un goujat que d'un roi.
Partageons, voulez-vous ? J'ai vu dans sa belle âme
Tant d'amour, de bonté, de tendres sentiments
Que madame, à coup sûr, en a pour deux amants.
Tant de discourtoisie
démocrate pour
les rois.
Enfin don Carlos, avec une pres-
surpris
sans égale,
tesse
ouvre son manteau
le
;
une sévérité grande du poète
est
par
adorablement du vieillard trompé
tance sévèrement
le vassal, et,
tique, se fait héberger
les
amants,
le
;
libertin
c'est lui qui
:
la
convenu,
repoussé,
il
il
et
dame,
se joue
et
maintenant
après une conversation poli-
la
nuit. D'ailleurs
lendemain sous
Hernani; reconnu,
pire
le
le
espionne
il
surprend l'heure du rendez- vous
donnent, arrive
fait le signal
pour
oncle de
le vieil
sauve
roi
qu'ils
se
balcon de dona Sol,
cherche à se faire passer pour
emploie
la
persuasion,
emploierait la force
J'ai là pour vous forcer trois
il
offre
son em-
:
hommes de ma
suite...
Hernani ne surgissait tout à coup. Il manque absolument de grandeur d'âme et de délicatesse en amour.
Hernani est son rival, et aimé de dona Sol ce serait assez,
si
;
selon la casuistique chevaleresque,
croisât le fer avec lui, sans
se
pour que don Carlos
déshonorer
;
mais, tout au
LES PASSIONS ET LES
18
CARACTÈRES
met au ban de l'empire,
jusque chez don Ruy, exige qu'il lui
contraire,
il
l'hospitalité
reux se
et le
le
;
saisit
comme don Ruy
et
poursuivant
soit
livré,
malgré
le
délicat
amou-
refuse,
de dona Sol, qui fort heureusement est aussi
Espagnole que
lui et
porte un poignard sur
elle.
Il n'est
point étonnant que ces passions de libertin, car
c'est bien
l'amour libertin qui est dépeint dans don Carlos,
s'en aillent, soit avec l'âge, soit devant des préoccupations
mot de regret sur
doux collier des bras de l'amante, « qui manque au
rang suprême ».
er
Carlos est un roi libertin, François I
sera un rci dé-
plus graves; empereur, à peine a-t-il un
ce
bauché.
entouré de gens qui encouragent ses vices
Il est
boulet
pousse dans
le
femmes de
caprices
;
la belle
le
sentiment
sa course
!
les
de ses
est riche et tout-
il
qui domine en
lui,
qui met
il
;
ne s'arrête parfois
que pour exprimer cette satisfaction,
ce contentement de soi et des autres
Ah
Tri;
cette corruption, c'est la joie vul-
gaire de vivre et de courir au plaisir
au milieu de
;
;
lui
la satisfaction
rien ne s'oppose à ses désirs
humeur dans
moque de
turpitude, et se
sa cour lui rendent facile
aussi
puissant,
de
la
n'importe, excepté ce jaloux, tout
:
me
plaît.
Tout pouvoir, tout vouloir, tout avoir! Triboulet,
Quel plaisir d'être au monde et qu'il fait bon de vivre
Quel bonheur
!
!
TRIBOULET
Je crois bien,
Un
sire,
vous êtes ivre.
mélange de délicatesse chevaleresque ne
mal pour l'exactitude historique
:
LE ROI
Tu ne m'as
pas encor redit que tu m'aimais.
fera
pas
L'AMOUR DÉBAUCHÉ
FRANÇOIS
:
1
er
219
BLANCHK
Oh
!
c'est fini.
LE ROI
Je
Ne
Oh
!
sans le vouloir, blessée
t'ai,
sanglote donc pas
comme une
délaissée
;
;
plutôt que de faire ainsi pleurer tes yeux,
J'aimerais mieux mourir, Blanche.' j'aimerais mieux
et dans ma seigneurie
courage et sans chevalerie.
Un roi qui fait pleurer une femme ô mon Dieu,
Lâcheté
mon royaume
Passer dans
Pour un
roi sans
!
!
De
séduisant qu'il paraissait presque d'abord,
terrible et odieux,
devient bientôt
la
jeune
du peuple, pure
fille
et
débauché
François I er
comme
pauvre,
le
va chercher
lorsqu'il
va chercher Blanche dans sa retraite ignorée, puis, après
l'avoir
déshonorée, l'écrase de cette
que
l'insulte. Qu'est-ce
le
pauvre
le
une proie pour
?
père! s'écrie avec ironie
ce
nom pour
Ton
Ton
Il
même
puissance
le
le
puissant et
roi,
le riche
père
!
père
!
mon
il
bouffon
moi
veux
est à
veut ce que je
1
!
mon
fou
!
mon
Triboulet
j'en fais ce qu'il
Oh
entier
!
!
sais-tu qui
me
Ton
le
débauché
de la bête contente
!
nous Bomraes
:
quinze millions d'hommes,
pour moi, tout est à moi, je suis
Lorsque
rire
«
plaît.
Richesse, honneurs, plaisirs, pouvoir sans frein ni
est
:
lorsque Blanche prononce
s'en protéger,
La France, uu peuple
Tout
et
peuple à ses yeux, qu'est-ce que
tient sa proie
le
loi,
Roi.
dans ses bras,
il
a
le
:
BLANCHB.
Comme
Enfin
le roi
le
dans
il
rit
!
Oh
1
mon
Dieu, je voudrais être morte.
dernier trait de cette étude de débauché,
le
bouge de Saltabadil.
c'est
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
220
VII
L'amour romantique peut
i'i
même
résister
à l'honneur et
jurée (Hernani), ce qu'il ne faisait pas aux temps
la foi
amour romantique, au nom
dont il se réclame, se met au-
chevaleresques, parce que cet
de Dieu
et
de l'immortalité
dessus des préjugés de ce monde.
à remarquer
Il est
voirs
;
dans
tère parce
dans
pourtant
Hugo,
que l'amour romantique
l'esprit
même
qu'il respecte
théâtre de Victor
le
il
les vrais
un sentiment
est
de l'âme (Marion de Lorme). Cet amour
conjugal doit être sacré pour
encore
devoir social,
fille,
la
eu
qu'elle
a
pureté de
résister
quand
le
lui
;
;
le
;
la
femme
qui n'est point encore
mais Julie,
précisément parce
courage d'obéir à son amour, saura
le
vrai devoir sera là.
Que
dure et pénible, pleine de luttes, c'est pourquoi
est méritoire
;
retomber du devoir
à qui la
même
classique n'oserait pas,
;
elle
mais Julie mourante, délivrée de ce devoir
d'amour pour l'homme
domptée
lui
cette résistance
un
qu'elle a respecté, pousse avec son dernier soupir
telle
devoir
déjà, dans Rousseau,
succombe, car ce qui passe pour un
mariée, cède à l'amour
soit
qui,
des poètes, ne peut que purifier, qui. lave
les souillures
ne peut donc devenir immoral et déshonnête
Julie,
de-
n'y a pas d'adul-
si
mort
dans
la
la rend.
Une
délivrance de
longtemps gardé dans
cri
héroïne
la
mort,
la faiblesse
pour l'héroïne romantique, l'amour, union immor-
des âmes, reprend ses droits dès que le devoir con-
jugal, chose passagère et terrestre, n'est pins.
Est-ce à dire que tous les auteurs romantiques soient
restés
dans ce juste milieu, dans ce respect du devoir sur
terre concilié avec le respect d'un
le
amour immortel
cas de Pauline et de Julie est étudié
de George Sand,
et,
comme Saint-Marc
?
Non.
dans « Jacques
Girardin
l'a
»
fort
l'amour romantique et le devoir
bien remarqué,
l'auteur
nouvelle,
toute
aussi
221
du roman y prêche une morale
qu'odieuse
claire
;
au
nom
d'une
au nom
que peu sincère au fond, voici supprimé
d'une conception de l'amour
doctrine mystique,
aussi bizarre
devoir du mariage
la
:
ceci, n'est pas tenue à
femme,
et c'est
une femme qui
le
écrit
aimer plus longtemps qu'elle ne peut
aimer, ni à rester fidèle lorsqu'elle n'aime plus. Le mari
l'amant de
n'est que
l'amant du jour.
qui doit céder sa place à
la veille,
Voilà l'excès. Aussi, depuis, l'adultère
a régné dans la littérature,
s'y glorifie
il
mais
;
il
n'y a
pas un adultère dans toute l'œuvre dramatique de Hugo.
Si l'amour
s'y
élève au-dessus de tous les
inonde, la richesse, la fortune,
devant
vrai devoir.
le
jamais devant
par
la
lui,
Ou
le
plutôt
préjugés du
rang même,
il
s'arrête
devoir ne se dressera
le
car le devoir n'aura jamais été oublié
passion naissante
ou grandissante.
Hugo,
aiment un autre homme que leur mari, Catarina, et Maria
de Neubourg.
Toutes deux ont les excuses que mettent en avant les
Deux
femmes mariées, dans
le
théâtre de Victor
femmes coupables, si le poète avait pour les adultères la
pitié qu'il a pour Marion de Lorme. Catarina n'a pas pour
mari, comme Fernande, un honnête homme sincère et
épris,
que
la
trahison désespérera
noble, a été, malgré
elle,
;
non, Catarina,
fille
mariée au podesta Angelo,
vil
et cruel, instrument aveugle de Venise, qui gouverne par
le poison et le poignard. Comme Pauline, elle aimât un
jeune homme, quand est venue cette union forcée
homme,
elle l'aime
toujours
;
son mari, elle
peine. Il n'y a pas dans Catarina
lointaine de
même
la
le
:
ce jeune
connaît à
pensée
la
plus
faillir.
La reine Maria de Neubourg est le type de ces pauvres
femmes mal mariées, qui, froissées par l'indifférence ou la
grossièreté d'un mari, languissent le reste de leur vie. Elle
s'ennuie
:
l'étiquette
lui
défend de sortir quand
elle
le
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
222
veut, déjouer, sinon avec les parents
même
Elle ne peut
Que de
du
roi, qui
n'en a pas.
inviter à sa table sa suivante favorite.
regrets alors, que de regards mélancoliques jetés
sur son enfance
si
heureuse, passée dans cette petite prin-
cipauté bourgeoise, sans la gêne des grandes villes et des
cours royales
Dans
sans
situation,
dire. Elle voit
lui
le
!
cette
un homme l'aime. Elle l'aime,
en lui un soutien pour la cou-
ronne, un appui solide pour
ambitions qui se
royaume.
Un
tueux chez
cet
aveu
partagent
elle, seule
le
au milieu de ces
pouvoir et
l'argent
du
jour, l'aveu s'échappe, passionné et respec-
Ruy
Blas, chaste et triste chez la reine. Mais
est leur seule faiblesse.
Maria de Neubourg ne
pense à son honneur en jeu que pour exprimer sa confiance dans
Ruy
Blas
:
Reine pour tous, pour vous je ne suis qu'une femme,
Par l'amour, par le coeur, duc, je vous appartien ;
J'ai foi dans votre honneur pour respecter le mien.
RUY BLAS
Devant Dieu qui m'entend, sans peur, à haute voix,
Je le dis, vous pouvez vous confier, Madame,
A mon bras comme reine, à mon cœur comme femme
Le dévouement se cache au fond de mon amour
Fier et loyal
L'amour
les
les
comme
gne ou dans
Allez, ne craignez rien.
!
me semble, les hauteurs moraRuy Blas ni la reine ne sont pas
atteint là, ce
plus élevées
pourtant,
!
les
;
et
héros de Lamartine, sur une monta-
les
nuages.
Pour bien juger l'amour romantique, il faut toujours
revenir à l'amour classique, et voir combien il y a loin de
la galanterie
suelle et
noble et touchante du Cid, de
la
passion sen-
impérieuse d'Hermione, au sentiment profond,
à la vertu d'aimer qui
est
dans Marion de Lorme,
Blas, Angelo, Marie Tudor.
Ruy
l'amour romantique et le devoir
Même
dans notre époque
prose, pour nous,
sorte de vertu,
fils
et
223
plus pratique et revenue à
la
de romantiques, l'amour est resté une
on se
glorifie
encore de toutes
les fai-
blesses qu'il inspire.
Un
héros classique ne dirait pas ces vers
Oh
béai soit
!
Il
ne
la vie
dans
de
et de spectres suivie,
Mais qui permet que,
las d'un si
Je puisse m'endorinir
ma bouche
pas parce que,
le dirait
par désespoir d'amour,
d'un côté
et
il
rude chemin,
sur ta
est
s'il
la vie,
que
main
!
capable do se tuer
n'osera pas ainsi mettre en balance
l'amour de l'autre, et dire que mourir
bras de celle qu'on aime,
les
:
qui m'a fait une vie
le ciel,
D'abîmes entourée
d' Hernani
c'est là
dire de telles paroles,
une
félicité
croire
à
rachète les malheurs
suprême.
Il faut,
un lendemain
;
pour
héros
le
classique désespéré sort de cette vie sans que rien le console.
Marion refuse d'épouser Didier, parce qu'elle
gne de l'amour qu'elle a offensé ce n'est point
est indi-
;
cause du monde,
comme
la
même
Laure de Rousseau quand
refuse d'épouser son amant, mais à cause de la divinité
mariage
dire
de l'amour.
et
Une
à
elle
du
héroïne classique ne pourrait
:
Frappe-moi, laisse-moi dans l'opprobre où je suis,
Repousse-moi du pied, marche sur moi, mais fuis...
car l'amour classique n'a
il
est égoïste
Marion
est
avec une
comme
sublime
infinie
;
il
s'en
douceur,
pour ces amants que
se
point cette
toute passion.'
force de sacrifice
Le dernier
dégage une angoisse
parce
la fatalité
pareille
tout
sépare, au moment où
trouvent dignes l'un de l'autre, où chacun voit
une
infinie
que l'amour est
ce qu'il perd était unique et prédestiné
pour
lui.
;
acte de
ils
comme
Jamais
émotion ne se dégage du théâtre classique,
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
224
dans Polyeucle
peut-être,
sinon,
l'amour et
Aimer
sans espoir et y trouver une amère
romantisme
chrétien en
la
est
et
pour
des
plaisir ni
sens,
spectateur
le
Les amants romantiques peuvent
l'art.
Le
platonisme
le
par convenance, par respect pour
c'est
douceur qui
chevalerie.
humain, moins théologique. Les
amants classiques ne parlent pas du
mais
la
Dante
reprendre à
allé
faisant plus
le
dans
existait
vie,
moment
parce qu'un
,
faire qu'un.
semblent n'y
remplir
à
suffit
la foi
mettre
se
au-dessus des sens parce qu'ils espèrent en l'autre vie.
Le
théâtre classique n'a rien de pareil à l'amour de Rodolfo et
de Catarina, de
Ruy
mour romantique
Blas et de Maria de Neubourg.
est capable
de tous
classique n'était capable que
somme,
romantiques ont
les
de respecter
fait les
quelque chose de grand et de pur
longtemps
L'amour
est
la
le
grande
d'Etat,
une
et
le
de "l'amour
nous ont
tout entier
aimer. Otez l'amour,
ne
elle
?
inspiré.
l'amour romantique
;
Qu'importe au plébéien
force.
monde
faiblesse
En
nous aurons encore
respect de l'amour qu'ils
classique est
l'honneur.
premiers
et
;
L'a-
L'amour
les sacrifices.
La
vie
vaut plus
la
pour
la
raison
lui, c'est
peine d'être
vécue.
Pour tout
dire,
dans l'expression nous rencontrerons de
l'excès, de l'affectation,
une
religiosité risible aujourd'hui.
Les personnages chargés de soutenir
la thèse
à savoir que l'amour est saint et divin,
la
romantique,
soutiennent as*ez
maladroitement pour qu'on voie qu'il y a thèse.
De
là l'air
amoureux aux moments
La conscience de remplir un sacerdoce en
prétentieux, la pose vaniteuse des
pathétiques.
aimant n'abandonne jamais
les
jeunes premiers
et
on
dirait,
aux moments religieux où l'amour est en jeu, que les
Jeux amants réunis officient, accomplissent un acte sacerdotal
dans
Deux âmes comme
les
nôtres qui s'épanchent l'une
l'autre, dit Rodolfo, c'est
quelque chose de limpide et
:
«
de sacré que Dieu ne voudrait pas troubler. » Les
amants
l'amour romantique et le devoir
«
même
posent
se
225
en égaux de Dieu et tutoient
Je t'aime, tu m'aimes,
et
Dieu nous
voit.
l'Eternel
Il
:
n'y a que
nous trois d'éveillés à cette heure. » Tout cela se dit avec
accompagnement d'yeux
a levés
au
ciel
i>,
selon les indica-
On
tions dont les poètes romantiques sont prodigues.
yeux au
les
avant de faire un aveu, par exemple
ciel
Ruy Blas;
dans
l'amant à qui l'amante dit
croit voir le ciel s'ouvrir
née
I,
que
je vois
Ruy
scène v).
romantique.
Blas
Mais cela
»
1
:
tous
vœu
le
Oh
!
;
«
Devant mes yeux c'est le ciel
simplement la phraséologie
Rodolfo
de
et
trop
l'extase a
Les
Catarina
ici
les
amants romantiques
Vl)
qui
est tout
allures d'un
font
aussi
de mourir à ce moment-là. Hernani peut encore
avec assez
s'écrier
«
risible
hystérique.
état
»,
c'est
s'embrassent (journée III, l re partie, scène
près d'être
la reine
Je t'aime
(romance de Marie Tudor, jour-
de
L'extase
a
:
lève
de naturel
III* acte,
(
qu'un coup de poignard de
toi
me
scène IV
serait
)
:
!
»
doux
parce qu'il souffre et ne voit pas d'issue à son désespoir
mais que
la
charmante dona Sol, dans
de cette nuit de noces, alors que
mauvais souvenir,
il
faut pour cela
profondément
bonheur que
le
n'est plus
qu'un
«
;
en somme,
elle craint tout
l'affreuse angoisse
de
dé prévoir une
si
âme romantique,
amie des images de
la vie, et
fin
si
la
qui ne trouve à
ou une diminution au
remède de mourir au moment
où.
il
complet.
le dua.m:; humant,
;
rêveuses délices
Et j'aurais bien voulu
comprend moins aujourd'hui
:
bien connaître cette
triste
mort, tellement
le
malheur
le
dise, elle aussi
mourir en ce moment »,on
les
lo
est
LIVRE VI
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
(Suite.)
—
II. L'amour
L'amour paternel dans
Le Roi s'amuse, Triboulet, Le comte de Saint-V allier.
IV. L'amour
Les sentiments de
la famille
depuis la Révolution.
paternel dans les poésies de Hugo.
—
III.
—
—
maternel dans Lucrèce Borgia.
V. L'héroïsme. La
La religion du serment et de l'hospitalité.
VI. Le
et l'expression de la passion. Expression de l'amour, de
et du désespoir. L'émotion physiologique, les excès, la
peur de la mort
Triboulet, Catarina, Monaldeschi.
—
clémence.
pathétique
la
douleur
mort
et la
;
Mon
où
les
sujet devrait
pères et
est nécessaire,
les
me
renfermer dans l'étude des drames
mères ont un
avant d'aborder
rôle
la
au théâtre, de montrer un peu ce
la
;
mais,
ici
encore,
il
peinture des sentiments
qu'ils sont
devenus dans
poésie depuis l'époque classique.
L'enfant, à l'époque classique, ne compte qu'à l'âge de
paraître en cour et de faire figure
race
;
jusque-là,
il
n'est
est
comme
héritier de la
pour ainsi dire qu'un
devenu homme,
fils
pré-
somptif.
Quand
il
attention
à lui
mais l'amour paternel est peu tendre
;
son
père
fait
:
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
228
c'est
complaisance du chef de famille pour
la
l'héritier,
Voilà
c'est l'ambition paternelle, c'est la fierté paternelle.
pourquoi don Diègue,
Horace, sont
le vieil
ont autant d'héroïsme que de tendresse,
cette différence
;
nom
ils
;
ne sont guère
ils
Saint-Marc Girardin a vu
faibles, et c'est là leur beauté.
juger sainement,
dignes
si
mais, trop voisin du romantisme pour le
n'en a pas démêlé
il
les
raisons
de cette dignité des pères classiques, blâmé
la
au
a,
il
;
tendresse
quelquefois la faiblesse des pères modernes. Pourquoi
et
ne pas admettre
sont dans
la
deux faces du caractère paternel qui
les
nature
?
Pourquoi
un guerrier ou un pontife
La
Révolution, en supprimant l'aristocratie, a supprimé
de
l'idée
la
race et des devoirs héréditaires. Plus d'aïeux
famille est plébéienne
cour
;
l'enfant est le
plus intime
l'a
il
;
;
le
;
le
;
genoux,
de
la
;
il
il
l'a
;
vu
les
;
loin
la
faire ses
le
des-
siècle le père disait
premiers
il
l'a
:
;
;
il
a été, lui
du père héroïque,
rapports entre
ont pris quelque chose de moins raide
au xvii*
la
a été de moitié avec la mère
un peu mère nous sommes bien
majesté patriarcale
;
non plus à
peut-être bercé,
nourriture et l'éducation du petit être
la
aussi,
lui,
foyer est plus étroit, l'affection
l'enfant né, le père lui a
pris sur ses
vu grandir chaque jour
dans
père vit chez
de son père, et non plus
fils
cendant des ancêtres
pas
père resterait-il toujours
le
?
père et
le
se
ils
le fils
tutoient
j
vous.
Il
L'enfant, comptant dans la famille,
poésie
;
et cette poésie
de l'enfance
comptera dans
temps, et dans ce temps surtout à Victor Hugo.
l'enfant pour
lui-même, trouver
grâce délicate qui est
faite
candeur, de beauté frêle
l'espoir de la
vieillesse,
;
la
est particulière à notre
et apprécier
en
lui
Aimer
cette
d'innocence, d'irréflexion, de
voir en lui la joie
c'est
du présent
et
ce qui était réservé à une
LA POÉSIE DE L'ENFANT DANS HUGO
époque où la vie de famille
s'est
229
développée grâce à
Révo-
la
lution.
Les émotions du foyer modeste, plébéien,
dont
lesses de l'enfant, la joie
qu'il
y
En
?
Hugo
en partant, Victor
laisse
Comment
remplit
il
la
Qu'est-ce que la
qu'éveille la première culture,
c'est ensuite l'amour, c'est l'union
du
l'affection
deuil
traduisant ses impressions à lui, et chacun
C'est l'imagination,
?
le
a exprimé tout cela.
s'y reconnaît. Il suit le cours de sa vie.
vie
gentil-
les
maison,
foyer, la paternité
;
avec
c'est
femme
la
choisie,
l'homme devenant
citoyen, servant son pays de son intelligence,
entrant à
son tour dans la grande œuvre du progrès, s'intéressant
aux problèmes sociaux
ramène au
dont
enfants sont
les
dans
elle est
c'est
;
peu à peu
les
Odes
hommes
et
vieillesse qui
la
foyer, au milieu des petits enfants,
le
grand-père,
à leur tour. L'imagination,
Ballades
;
avant d'être un homme,
l'auteur était déjà un novateur littéraire de génie
il
dans
est épars
tomne
d'automne,
les
les
drames,
;
l'amour,
Odes, les Orientales, les Feuilles d'au-
émotions du
les
;
les
remplissent
père
Chants du crépuscule
les discours, les
;
le
les
Feuilles
citoyen est dans
Voix intérieures
,
les
Châtiments,
les Misérables, qui reflètent tour à tour les élans, les orages,
les
inquiétudes, les découragements et les colères de la vie
politique
;
les
douleurs du père attristent
les
Contempla-
tions, et les dernières joies de la vieillesse éclairent Y Art
grand-père
d'être
:
avant
à
les
le
poète
mères ce qu'elles allaient
ne l'invente pas,
dire.
Qui ne
s'est
il
dit
trouvé
conversation autour du feu, coupée soudain par
une
l'entrée de l'enfant ?
rompt
d'Hugo dans son déroule-
voilà l'œuvre
ment simple et naturel.
La grâce de l'enfant,
;
voilà tout le
yeux bleus
Chacun s'arrête, la causerie s'intermonde occupé de la tête blonde et des
:
Lorsque l'enfant paraît,
Applaudit à grands cris
le cercle
;
de famille
son doux regard qui brille
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
230
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être
Se dérident soudain, à voir l'enfant paraître
Innocent et joyeux
c'est
de
la poésie exquise.
Le père
bruit
travaille
jouer ailleurs
pour
!
à côté les enfants jouent et font
mais
mère
la
père s'insurge,
le
pour sa poésie
lui et
Oh
;
;
un domestique ou
survient
;
:
réclame
il
du
faut aller
il
enfants
les
:
que j'aime bien mieux ma joie et mon
ma famille avec tout mon loisir,
plaisir,
Et toute
Dût
la gloire
ingrate et frivole,
Dussent mes vers, troublés de ces ris familiers,
S'enfuir, comme devant un essaim d'écoliers
Une
troupe d'oiseaux s'envole.
mes amis, l'enfance aux riantes couleurs
Donne la poésie à nos vers, comme aux fleurs
L'aurore donne la rosée.
Après
travaux du jour, vient l'heure du repos. Le
les
père prend
les
mains de l'enfant,
les joint et lui
dicte la
prière touchante qu'elle fera pour tous, pour la mère, pour
le père,
pour
la famille
faite, l'enfant
encore
rêvant de
là,
vivante et
s'endort dans
la
famille morte
son berceau, et
la vie qu'il fera
à sa
pour tous » (Feuilles d'automne, xxxvn)
la famille.
Ainsi partout, de ces
le
fille.
;
la prière
poète reste
«
La prière
poème de
scènes intimes autour du
est le
foyer, dans le cabinet, dans la chambrette de l'enfant, naît
une poésie suave
et si naturelle
qu'on a peine à
toute nouvelle pour notre âge. Partout aus-i
son bonheur paternel exprime un
une crainte
et
vœu
le
la
poète dans
touchant qui paraît
comme un pressentiment des malheurs
Moi, quel que
soit le
monde,
et
l'homme
croire
et l'avenir,
Soit qu'il faille oublier ou se ressouvenir,
Que Dieu m'afflige ou me console,
Je ne veux habiter la cité des vivants
futurs
:
L
ENFANT DANS LA POESIE LYRIQUR
231
Que dans une maison qu'une rumeur d'enfants
Fasse toujours vivante et
folle.
(Feuilles d'automne, xv.)
Seigneur, préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur, l'été sans
La cage sans oiseaux, la ruche sans
La maison sans enfants.
fleurs vermeilles,
abeilles,
(Feuilles
malheurs
Ces
d automne,
vinrent pourtant
pressentis
:
le
xix.)
poète
devait vivre toute la vie, joies et douleurs, et tout chanter.
Les Contemplations sont
Il
est
poème de
le
temps que
je
me
la
douleur paternelle
:
repose,
Je suis terrassé par le sort,
Ne me parlez pas d'autre chose
Que des ténèbres où
l'on dort
!
Que veut-on que je recommence ?
Je ne demande désormais
A la création immense
Qu'un peu de silence et de paix.
L'humble enfant que Dieu m'a ravie
.Rien qu'en m'aimant savait m'aider
C'était le bonheur de ma vie
De voir ses yeux me regarder.
;
Si ce Dieu n'a pas voulu clore
L'œuvre qu'il me fit commencer,
S'il
Il
veut que je travaille encore,
n'avait qu'à
me
la laisser.
Cette douleur des Contemplations n'est pas aussi héroï-
que que
blesse
!
Au
quement
roi,
celle
la
à qui
du
vieil
e
xvii siècle,
mort de
ils
ses
:
le
;
elle est
peut-être une fai-
vieux Corneille supportait héroï-
deux
fils
;
il
appartenaient, d'après
Malherbe, frappé du
Périer
Horace
même
rendus au
du temps.
à son ami du
les avait
les
idées
malheur, disait
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
232
Pour moi, déjà deux fois d'une pareille foudre
Je me suis vu perclus,
Et deux fois la raison m'a si bien fait résoudre,
Qu'il ne m'en souvient plus.
Le père moderne
Mais
gentilhomme.
n'est pas aussi
petits-enfants ont remplacé pour le
les
enfants partis
sa maison
;
poète les
n'a point été jusqu'au bout la
cage sans oiseaux. Le grand-père chante alors ses petitsfils,
et
nous entendons encore de douces chansons. L'en-
fance, dans Y Art d'être grand-père, n'est plus dépeinte par
un poète de trente ans
;
mais on y écoute encore son babil-
lage charmant, mêlé au radotage de génie du vieil aïeul.
Un
père aime à voir marcher son
fille
;
mais
jour.
coin du feu,
ils
aiment l'enfant plus
de l'âge rapproche
luttes, ils
petit,
l'âge fort
:
ils
le
vivent au
le
bercent,
du plus jeune
avec un attendris-
plus vieux
le
grand-père écoute et admire l'enfant
sement inconnu à
il
à entendre jaser sa
devoirs de la vie l'éloignent presque tout
les
Les grands-pères ont renoncé aux
la faiblesse
le
fils,
;
aussi le connaît-il mieux, et
n'y a qu'un grand-père qui puisse peindre l'enfant avec
son langage,
le
mots charmants,
photographier, pour ainsi dire, avec ses
moues,
ses
ses
dévouements
naïfs, ses pré-
tentions amusantes àjouer l'homme.
III
Ainsi
le
poème de
l'enfant et
dans l'œuvre lyrique d'Hugo
;
de
en
la famille
est-il
de
moderne
même
dans
est
le
théâtre? Tous les pères et toutes les mères se reconnaîtrontils
dans Triboulet
Non
certes
:
et
Lucrèce Borgia
nulle part
le
que dans l'amour paternel
l'idée
?
poète n'a plus peint l'exception
et maternel.
C'est qu'il avait
préconçue de représenter des antithèses vivantes,
l'amour paternel
triboulet
:
233
de montrer le père et la mère dans le monstre. Tl faut
évidemment admettre son point de vue ; nous avons déjà
nos réserves.
fait
y a dans Le Roi s'amuse, avant tout, une satire la sadu pouvoir absolu, la satire d'un roi immoral dans sa
et dans ses mœurs, la satire de la débauche toute-puis-
Il
tire
vie
:
sante, qui
times
;
il
opprime
y
donc croire à
doit
et
sans recours pour ses vic-
déshonore,
a ensuite une moralité
la
pureté de
rupteur du roi
il
;
punition terrible
:
tales qu'il excite.
fille
encourage
l'immoralité
Le Roi s'amuse
d'un cas psychologique spécial
de
;
victime des passions bru-
sera la
Enfin, dans
fille, il
et aurait besoin
or, Triboulet est le cor-
;
favorise et
sa
Triboulet a une
femme
la
hommes
croire à l'honnêteté des
:
:
il
y
a l'étude
mettre l'amour paternel
dans l'âme de ce bouffon, de ce bossu, de ce déshérité, source
Ce dernier
deux premiers,
amuse ; ce n'est
nouvelle d'effets et de situations dramatiques.
élément du drame ne vient qu'après
comme
l'indique bien
le titre
:
les
Le Roi
s
point, avant tout, le père que le poète a voulu peindre dans
Triboulet, mais
Néanmoins
le
bouffon difforme posé en face du roi
c'est son rôle paternel
!
que nous avons à exa-
miner.
Il
ne faut pas en vérité
lui
comme
demander,
Saint-Marc Girardin, d'être droit puisqu'il
un seigneur puisqu'il
qu'il est bouffon
;
pour
la
fait
est valet, d'être plein de dignité puis-
n'exigeons pas non plus de lui qu'il se
console facilement lorsque
déshonorer,
le
est bossu, d'être
comme
les
le roi lui
pères à qui
a pris sa
le roi
fille,
pour
prend leur
la
fils
défense du trône. Triboulet n'a point là d'aïeux pour
un devoir de l'héroïsme, il n'a pas de race, lui, il
du peuple? Il n'en est même pas; il n'a
pas de famille il n'est même pas un serf, il est presque un
lui faire
est
du peuple
;
;
chien de palais. Est-ce que franchement,
si
droit d'attendre de lui de l'énergie et des
cris,
lui
demander
la
vous avez
le
vous allez
dignité de celui qui se sait fort
?
Est-ce
234
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
qu'un père
comme
ressemble à d'autres? Ëst-c6
celui-là
qu'un misérable, un opprimé, un esclave, n'aime pas son
enfant avec un
grondant,
s'il
amour
plus jaloux, plus farouche et plus
que n'est l'amour d'un Horace
est outragé,
ou d'un don Diègue? Triboulet, selon Saint-Marc Grirardin, n'est pas seulement trop amant, trop jaloux, il est trop
tendre. Mais cet enfant, c'est une
précisément une
qu'on aime un
Le
fils.
de
fille
la
même
fils,
façon
est fort, s'il est intelligent,
fils, s'il
est grand, flatte l'orgueil
s'il
non pas un
et
fille
et l'on n'aime pas
du père;
Horace,
si
si
Ro-
drigue meurt avec gloire, rien n'empêche et on trouve beau
que
douleur paternelle soit tempérée et consolée par
la
la
du chef de
point
d'orgueil
enjeu le
race. Mais de la fille au père,
père aime dans sa fille, non lui-même, non sa race, non
résignation du citoyen et l'honneur
satisfait
:
sa force, -non son génie, mais elle-même, sa mère, et le sou-
de l'amour, elle-même, c'est-à-dire sa beauté,
venir
grâce, sa tendresse, sa faiblesse surtout
;
de
même
sa
que
la
mère est plus tendre souvent ou tendre d'une autre manière pour
sa
le fils,
parce qu'il est un
autrement que son
fille
fils,
Le malheur qui enlève une
lation
?
rable,
Le
fils
homme,
;
la fille
sa
fille
pièce «
Ce
n'est point la
un souvenir hono-
meurt tout
mort de son
qui a inspiré à Victor
A
Hugo
que sa
fille
est son seul bien,
être qui lui rende son
amour,
;
entière,
la
fils,
mais
la
mort de
du marquis Fabrice
qu'il n'a plus
sa
comme
perte est irré-
ces Contemplations et la
Villequier » et la a Confiance
Ajoutez que Triboulet est veuf,
quelque conso-
souffre-t-il
meurt ce qui n'est que grâce et jeunesse
parable.
père chérit
parce qu'elle est une femme.
fille
a pu laisser une oeuvre,
un nom glorieux
le
sa
de sa
;
le
seul
triste
vie.
seule affection,
la seule joie
».
femme
Sur ces données, je ne m'effaroucherai donc pas si pour
fille est une ivresse, un paradis, si, de
même qu'Andromaque dit à Hector « Tu es pour moi un
Triboulet voir sa
:
père et une mère vcnérable, un frère et un époux superbe »,
l'amour Paternel
triboulet
:
Triboulet dit à Blanche, pendant
fiévreuses qui les réunissent
235
entrevues courtes et
les
:
D'autres ont des parents, des frères, des amis,
Une femme, un
mari, des vassaux, un cortège
D'aïeux et d'alliés, plusieurs enfants, que sais-je
Moi, je n'ai que toi seule
Un autre est riche
!
Toi seule
Un
es
mon
trésor, et toi seule es
mon
Ils ont l'orgueil, l'éclat, la
Us sont beaux. Moi,
Chère enfant
Mon
Mon
épouse,
bien
l
!
âme
femme,
;
grâce et la santé,
vois-tu, je n'ai
que
ta beauté,
ma cité, mon pays, ma famille,
ma mère, et ma sœur et ma fille,
!
univers, c'est toi, toujours toi, rien que toi
Je ne m'effaroucherai pas
comme
eh bien
;
autre croit en Dieu, je ne crois qu'en ton
D'autres ont la jeunesse et l'amour d'une
font,
?
—
!
joies de l'amour paternel
si les
feraient celles d'un autre
amour, oublier au
bouffon son esclavage, sa tristesse, son abjection, sa laideur,
dont on l'abreuve,
les insultes
ceté.
avec une terreur jalouse,
ceux
et
jusqu'à sa propre méchan-
Je ne m'étonnerai pas non plus
même
s'il
ce père garde sa
si
redoute
—
ce père, qui est un bouffon,
rité ? Il
aura
la
fureur et
douleur de
la
un esclave bafoué, un déshé-
désespoir de l'esclave impuissant,
le
rage du misérable opprimé, qui voit dans tous
le défi, et l'insulte,
même
I
vil,
il
yeux
au
que cette rage sauvage, tantôt
sourde, tantôt éclatante et rugissante
Enfer
les
surcroît à son malheur. N'est-ce pas,
contraire, la nature
Est
—
au vice.
qu'il excite
Aussi de quelle sorte sera l'indignation et
la
fille
juste châtiment
m'a tout
pris
!
— Oh
!
:
que ce tour charmant
atroce, horrible, et s'est fait lâchement
!
Scélérats, assassins, vous êtes des infâmes,
Des voleurs, des bandits, des tourmenteurs de femmes !
Messeigneurs, il me faut ma fille il me la faut
A la fin 1 Allez-vous me la rendre bientôt ?
main qui n'a rien d'illustre,
Oh voyez Cette main,
Main d'un homme du peuple, et d'un serf et d'un rustre,
!
—
!
!
—
Cette main, qui paraît désarmée aux rieurs,
Et qui n'a pas d'épée, a des ongles, Messieurs
!
—
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
236
—
Voici déjà longtemps que j'attends, ce
La porte, ouvrez-la
Rendez-la-moi
!
me semble
Oubliant son rôle de singe royal,
à la face des
jette
il
seigneurs des menaces et des insultes qui
venaient d'un égal. Triboulet est grand
comme
la mère à qui on arrache son enfant,
à qui on prend son
bondir
les feraient
si elles
même que
!
!
grand
là,
comme
petit. N'est-ce point aussi la
bête
la
nature
ces faiblesses, ces attendrissements de ce monstre
qui se fait suppliant, qui pleure, quand sa rage s'est en vain
heurtée au rire des seigneurs
Dira-t-on que ses paroles
?
et
ses sentiments sont conformes à sa situation, mais que
le
poète pouvait ne pas
venir réclamer sa
noble
mais
;
On
viole?
le roi la
fille
mettre dans cette situation de
le
aurait raison
Voyez
:
est
supériorité
dans Le Roi
n'est-il pas
s
Triboulet, a
pour prix de
;
ne
les poètes
ne se contentera pas,
pourquoi Saint-Marc Girardin
?
confronter avec don
enlevée et déshonorée par
grâce que
la
le
Le comte de Saint- Yallier,
fille
le roi qu'il insulte
lui a faite
maudire
il
ne
François I er sur
le ravisseur, espé-
lui fera ôter la vie
qu'apparaître dans la pièce,
fait
tel qu'il est,
où.
d'un père
il y a des pères
d'Hugo qui
fameux père noble classique, il
l'échafaud. Il vient, lui aussi,
las. Il
chambre
Soit,
!
le
Horace
vu sa
et le
rant que
la
déshonneur de sa race.
prendre pour
Diègue
vieil
;
amuse
allé le
comme
le roi
le
de
s'agissait
pères de Corneille, répète Saint-Marc Girar-
les
quelle supériorité
ont cette
s'il.
s'agit de Triboulet, qui
il
certes, de pleurer chez lui
din
même
à la porte
ferait pas honte
il
dont
y passe
il
;
est
mais
au père de don Juan
;
modernes ne sont donc pas impuissants à con-
cevoir et à rendre l'héroïsme tragique. Est-ce Corneille ou
Hugo
qui parle
ici
:
Sire, je ne viens pas
Quand on
redemander
ma
fille
;
n'a plus d'honneur, ou n'a plus de famille.
aime ou non d'un amour insensé,
Je n'ai rien à reprendre où la honte a passé.
Qu'elle vous
L
AMOUR PATERNEL
ma
Sire, au lieu d'abuser
TRIBOULET
I
237
bien plutôt
fille,
Que n'êtes-vous venu vous-même en mon cachot
Je vous aurais crié
Oh
Oh
!
Victor
Triboulet
ma
grâce pour
!
:
faites-moi mourir.
La tombe
et
non
l'affront.
Hugo a si bien voulu se garder de
comme un père noble, qu'il a créé
Saint- Vallier
admettre que
un
pour établir
le
!
Faites-moi mourir, grâce!
fille et grâce pour ma race,
contraste.
faire parler
comte de
le
donc
faut
Il
caractère maternel autant que paternel de
Triboulet est naturel, étant donné Triboulet, c'est-à-dire
le
plébéien, le bouffon, le déshérité.
Mais pourquoi
poète a-t-il choisi
le
étudier l'amour paternel
paternel, mais ce
Le
un
pareil être pour
ne voulait pas étudier l'amour
Il
?
qu'est l'amour paternel
dans Triboulet.
théâtre romantique part d'une autre idée que le théâtre
classique. Celui-ci part d'une idée philosophique
dans
ses traits
généraux
autres passions,
devoir
le
;
soit
en lui-même,
soit
exprimer
:
comme
l'amour paternel,
les
aux prises avec
le
poète romantique a une idée humanitaire, une
idée politique, une idée de réaction contre l'art classique, et
une idée de leçon morale. De
l'idée
humanitaire
le déshérité,
:
apitoyer
conception complexe
là sa
le
théâtre sur
en montrant l'amour et
du
le
roi
au
peuple
;
du père
les souffrances
l'idée politique: transporter l'intérêt des
grands aux
;
petits,
peuple, en mettant les grandes passions dans
l'idée
de réaction contre
l'art classique
prendre
:
pour protagoniste, au lieu du prince majestueux,
fon trivial et grotesque, et rendre tragique ce
L'idée morale est la plus belle, nous l'avons
jour. Il
;
misérable et
le
est bien évident
raux de l'amour paternel
qu'à mettre dans ce bouffon
tité et la qualité
créer
et à
créer un
le
type
bouf-
grotesque.
mise en son
qu'avec ce but complexe,
romantique ne peut prétendre à exprimer
ne peut aspirer qu'à
le
le
poète
les traits
géné-
type du
père
singulier de
grotesque et odieux
la
d'amour paternel que comportent
;
père
il
;
quan-
sa con-
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
238
Le
sa nature.
dition,
un peu grimaçant
disparate et
pourvu
produise un
qu'il
obtenu est inégal,
caractère ainsi
;
mais peu importe au poète,
A
effet violent.
la vérité, la
gédie de Shakspeare, de Corneille et de Schiller est
tra-
en
moins qu'humaine, est
substituée au type grand, largement humain ou surhumain
décadence
ici
l'exception curieuse,
;
;
mais
poète,
même
même
Triboulet à certains
quand on
du séducteur qui
l'a
n'est
indécent.
mais non
On
et
même
or
le
voit la
roi,
fille
fois.
le
est
Il
carac-
est tout cela
il
ses souffrances
enfermée avec
fille
constate sa honte,
il
:
moments. Triboulet
émouvant dans son amour
gique,
aussi, le
pour sa cause, à ce que
tère paternel soit avili et ridicule
réclame sa
vérité
son idée admise, a erré plus d'une
n'y a pas d'intérêt,
il
A la
époques ne se répètent pas.
les
dans
touchant,
mais quand
;
quand ensuite
il
éprise malgré tout
déshonorée, Triboulet n'est pas tra-
pas vrai.
Il est
pouvait montrer
la
inadmissible, choquant,
fureur du père offensé,
rage du père joué et bafoué.
la
IV
Dans Lucrèce Borgia
analogue à
Ici
est
développée une leçon morale
celle qui avait inspiré
au poète Marion de Lorme.
encore à l'idée de leçon morale s'ajoute l'idée humani-
taire
:
apitoyer sur
le
criminel, et l'idée de réaction contre
la tragédie.
L'idée de
âme
leçon morale est
femme
choisir la
encore
plus chargée
la
plus tragique
;
:
dans cette
un bon sentiment qui lutte avec les
donner à cette femme un fils, lui don-
horrible, placer
mauvais instincts
;
ner l'ambition d'être digne de ce
un jour
à partir
pour
la
de crimes
la
fils,
de pouvoir
lui dire
mère », et faire de cette ambition,
d'un certain moment, le but de sa vie puis, comme
courtisane amoureuse de Didier, montrer aux spec:
«
Je
suis ta
;
l'amour maternel
:
luorèce borgia
239
tateurs que le crime porte en lui sa fatalité, son châtiment
préparer ce châtiment par des souffrances, en faire
un martyre où
la
compassion pour
ses crimes,
inutiles
douleur jusqu'à
la
Mais en punissant cette femme, nous inspirer
la catastrophe.
de
douleur s'ajoutera à
la
;
comme
elle
;
en l'écrasant sous
récompenser par notre
la
pour remonter au bien
;
poids de
le
de ses efforts
pitié
nous attendrir sur
la
mère,
tout en châtiant la femme.
L'effet de l'amour maternel qui se réveille dans Lucrèce,
en
c'est d'exciter
regret de ses crimes
elle le
renonce
elle
;
à ses vengeances, ou du moins elle croit
mour de son
fils
amène
y renoncer; l'abesoin d'être aimée de lui, une
le
soif d'affection, de tendresse et
«
Ne
de paix.
sens-tu pas, dit-elle à Gubetta, que tous les
odieux dont on t'accable peuvent aller éveiller
le
la haine dans un cœur où tu voudrais être aimé
épargnez-moi
de
lui.
d'être jamais
l'angoisse
haïe
noms
mépris
et
Dieu,
!...
méprisée
et
»
que
C'est là qu'est tout le drame, c'est de là
son châtiment
;
son tourment
commence
déjà,
lui
il
viendra
commence
par cette crainte qui l'empêche de vivre.
La première
fils
honte de Lucrèce est d'être prise par son
pour une femme qui cherche un
à la fête de Venise
amant. Puis
Gennaro
frappée au cœur
elle est
jette à la
fille
Enfin, atterrée, éplorée,
visage devant son
rompre avec
tueuse,
elle
se voit
au moment
fils,
que
par l'insulte
du pape, sans savoir
qu'elle est là.
nom
son
même
où
craché au
elle
vient de
sa vie de crimes. Elle ne pourra plus être ver-
mère aimée et respectée, elle n'en a plus
l'ayant maudite, il l'insulte,
la maudit
Gennaro
;
l'insulte à la face
de son palais, et
elle n'a
le droit.
étale
il
jamais rien
fait
à Gennaro que de l'aimer.
C'est
retomber
alors qu'elle
sur
elle
;
veut se
le
qu'elle se fait livrer par
venger. Sa
coupable
qu'elle
don Alphonse,
vengeance va
fait
est
son
chercher,
fils
;
elle
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
210
veut alors
sauver
le
un homme qui
La
»
î
homme
a Cet
:
Lucrèce Borgia
?
est
Marion
qui criait à
fatalité
sauver
Don Alphonse
votre amant, Ma-
pardonner!
l'a insultée,
ne peut y croire
dame
mais quoi
;
Tu
<£
:
n'as
pas le droit d'être une amante honnête », crie à Lucrèce
«
Tu ne
seras pas
jusqu'au
Comme
aimée de ton
tu empoisonneras
bout,
Madame,
«
:
il
sauvé
est
qui
croit
le
me
qui est-ce qui
?
» Enfin
il
fils!...
princesse Negroni
la
;
salle
la
qui se dresse devant
du
festin,
par son
fils
faut parler
ses
Et
;
le
il
pas
:
<r
Je
si
«
:
le
attend
Ah
trouvait prise
devant sept
fois,
Pourtant
» ?
vous êtes
!
courage d'achever son aveu.
le
coup pour
résiste-t-elle ?
lui
il
elle parle
:
ma
tante
!
»
toi,
quand
:
Je
La
donc con-
voilà
s'y résigne
mère
suis ta
soit
pas un parricide:
tu es innocent encore
est inadmissible,
Lucrèce ne
crier
elle
!
;
et
elle
Pourquoi
pourquoi supplie-t-elle encore un moment?
Pour que Gennaro ne
par pitié pour
fois,
pu
qu'elle n'a
prononce ces mots avec tant d'horreur qu'elle n'aura
damnée au couteau de Gennaro,
Il
fils
grands que Gennaro ne peut rien soup-
ne comprend pas
il
encore son
elle se
mère
suis ta
fois
qui apparaît
couteau de Gennaro la menace,
crimes sont
çonner,
fois
en flagrant délit de crime? Cette
victimes, criera-t-elle
son
:
main. Va-t-elle
la
son titre de mère, ce titre
avouer encore parce que chaque
contre-
lorsque la mère,
c'est
couteau à
elle, le
le
Non
place encore une
à la frontière, fait
soudain au seuil de
avouer enfin
»
elle rede-
boit
il
l'empoisonneuse tragique, à la Borgia,
à
toi.
que ce n'est
dit
cède,
Lucrèce a sauvé son
:
sera au souper de
fils
malgré
fils
Gennaro doute des bonnes intentions de
pas cela qui est du poison
poison,
ton
Didier doute de l'amour de Marie quand
vient Marion,
Lucrèce
:
tu seras criminelle
fils,
s'écrie pas
selon
:
elle est forcée
!
Saint-Marc
4 Je suis ta
de verser
le
mère
« Gennaro,
»
Girardin,
»,
que
une première
poison à son
fils
par don
Alphonse, qui avec un mot serait apaisé, une seconde
fois
l'amour maternel
Lucrèce borgia
:
au plus tard quand, Gennaro refusant de prendre
poison, Lucrèce éprouve une
arracher l'aveu
tomber
faire
Gennaro a
enfin lorsque
;
le
le
contre-
anxiété horrible qui doii lui
qu'un mot à dire pour
qu'elle n'a
241
couteau levé et
le
lui éviter
un crime,
lui
châtiment des mains.
Ces objections ne sont pas entièrement justes.
Lucrèce,
telle
que
tout une ambition,
poète la comprend,
lo
aimée de son
être
fils
par-dessus tout, être méprisée et haïe par
sait déjà
que
la
qu'elle
est
la
Borgia
est
sa
au
moment
où
elle
Alphonse
:
«
où
précis
dans
retombe
Je
Borgia.
mère
;
Peut-elle
une crainte
Gennaro
or,
apprendre
lui
Peut-elle le lui apprendre
?
crime
moment
au
l'empoisonne,
elle
le
lui
a par-dessus
;
Va-t-elle crier à don
?
mère », pour que don Alphonse, douimmédiatement avec ce prétendu fils ?
qu'elle n'évite pas à Gennaro, innocent et
suis sa
tant, la confronte
Il est
difficile
vertueux, cette douleur, qui va empoisonner sa
d'un pareil monstre, tant
le fils
précaire
vie, d'être
y a un moyen,
si
de ne pas avouer.
soit-il,
Lucrèce Borgia obéit à don Alphonse, après tous ses
Si
qu'elle est la Borgia, c'est qu'elle sait toutes
efforts, c'est
du crime,
les ruses
prévoyant pas,
le
qu'il
et
qu'elle
imprévoyance
doute de Gennaro qui
est-ce qui
me
dit
Gennaro refuse
a
c'est
cette
contre-poison,
le
frappera au visage
la
ne
dramatique,
est
:
«
Qui
que ce n'est pas du poison ?» Et lorsque
remède,
le
faut qu'elle épuise toutes les
il
prières avant d'avouer encore
;
Gennaro
finit
Qu'a besoin Lucrèce d'avouer maintenant
?
par accepter.
Lucrèce, c'est
toujours l'idée du poète, s'est donnée pour tâche de se rendre
digne
de cet aveu, lorsque dix ans d'expiation auront
effacé
dans toute
drame,
c'est
l'Italie
que ce
les
s'enchaîneront l'un à l'autre
à dire
:
c<
Tu
es
crimes
vœu ne pourra
mon
fils
;
»,
des
Boro-ia.
s'accomplir
chaque
fois
l'insulte
;
ses
Et
le
crimes
qu'elle est prête
née do ses crimes
passés vient réveiller invinciblement en elle la soif devenir DRAME ROMÀNT.
[fi
.
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
242
geance,
nouveau
ce
et
amène
crime
une
de
insulte
Gennaro, qui refoule l'aveu maternel.
L'idée est dure, impitoyable, mais développée logique-
ment
;
la
situations
question est presque celle-ci
:
Faire naître des
où une autre mère
:
«
Lucrèce Borgia ne
s'écrierait
Mon
fils
»
!
où
peut pas, parce qu'elle est Lucrèce
le
Borgia.
Elle ne le peut pas
—
de Gennaro.
même au dénouement,
Girardin, je
qui pèse sur
terreur
reconnaisse
sous le poignard
Madame, lui crie Saint-Marc
vous en conjure... Changez en pitié cette
« Criez-le donc,
s'attendrisse
et
que votre
scène, faites
la
vous et sur lui-même
sur
sur vous qui l'aimez à travers tant de remords
seul
homme
au monde qui
à qui ce respect doit
est plus pénible.
Ne
soit
une
serait
avec
belle
drame
le
que Lucrèce
tout
même
qu'il est
Mais
conçu.
est
Il
parle. Elle s'écrierait
:
la
«
il
est
dans
le
Je
mère
!
:
mère
seule fin
mort
la
fils
est
aussi, qu'elle souhaite le
» sûre, alors seulement,
« C'est
:
Ce
ï>
trop tard pour
suis ta
caractère de Lucrèce
l'attende pour oser dire
qu'elle
la
condamne
qu'il
incompatible
mort,
craigne cette malédiction, et puisque son
qu'elle se
en vous.
est
elle
ne maudirait pas sa mère, peut-être
mais
;
sacré
majesté du caractère
la
que Gennaro n'appellerait pas moins
sible ;il
:
lui, le
craignez pas, tout abaissée que vous
situation.
tel
sur
tenu de vous respecter, mais
cette majesté est sacrée
;
;
devenir d'autant plus
soyez par vos crimes, d'attester
maternel
vous
fils
»,
pos-
efface
qu'elle
condamné,
coup mortel,
moi qui
suis ta
que Gennaro ne pourra plus
maudire.
C'est
alors
seulement
que
cet attendrissement réciproque
voudrait introduire
:
Lucrèce poignardée
Gennaro empoisonné par
pleurant
ensemble
pouvait
la
sa
mère,
fatalité,
peut-être
venir
que Saint-Marc Girardin
par
son
fils
et
pleurant l'unsur l'autre,
une
fatalité
juste
pour
Lucrèce, injuste pour Gennaro, terrible et cruelle à tous deux
!
l'amour maternel
non seulement
Ici
c'eût été plus
humain, mais
drame
n'est pas fini
saire, car tel qu'il est, le
plus rien à dire ;mais Gennaro, que pense-t-il
t-il ?
Il est
commode de
trop
faire
le
mère, subterfuge que d'ailleurs
mot de Lucrèce, qui
de face sur
le
scène, c'est-à-dire
la
c'était
?
néces-
Lucrèce n'a
;
Qu'éprouve-
tomber expirant sur sa
ici
doit
changer
dans l'âme de Gennaro,
c'est une catastrophe inattendue que ce cri maternel,
bouleverser Gennaro
nous voulons voir
;
nous sommes venus
lui,
pas baisser
pour cela
le
poète la relève
et l'a éclairée
;
pour
;
elle
lui,
nous
c'est ici
pense-t-il,
a,
poète ne devait
le
dénoùment.
âme monstrueuse
émus de
à condition de nous inspirer cette pitié qu'il
pitié
lui est
;
c'est
permis
de nous présenter un aussi sombre tableau du châtiment
taché au crime. C'est un peu
là
va
côté humanitaire,
le
a pris une
il
il
produit sur
l'effet
le
;
rideau aussi vite, ni brusquer
le
En condamnant Lucrèce,
Au
poète n'emploie pas.
un coup de théâtre, tout
est
243
luorèce borgia
:
at-
de « l'humanitairerie »
romantique pourtant Saint-Marc Girardin pousse les choses
;
un peu
loin
quand
inspire l'intérêt...
il
Ne
dit
:
«
la pitié qu'inspire l'ex-
cuse jusqu'au respect et à l'admiration.
de
la
sa
tragédie ancienne, telle que
Phèdre
c'était l'idée qu'il
ne
vaise passion pour perdre une
l'homme sur
qui fait trembler
La
La
conçue Racine dans
fallait
qu'une seule mau-
âme
:
leçon austère et dure,
sa fragilité, et qui lui inspire
digne de Port-Royal,
leçon morale qui
qu'il
sort de
leçon qui sortait
l'avait
un scrupule et une surveillance perpétuelle
siècle chrétien et
aujourd'hui qui
C'est le vice
poussons pas
;
leçon digne d'un
comme
étaitRacine.
nos drames modernes,
c'est
ne faut qu'une seule bonne qualité pour excuser beau-
coup de vices
leçon indulgente et qui met
;
le
cœur de
Ce reproche est difficile à admettre
la leçon qui ressort de Marion de Lorme et de Lucrèce Borgia n'est pas si indulgente, nous l'avons vu. Le poète veut
l'homme
fort à l'aise. »
nous apitoyer
la
coupable.
;
nulle part
Au
;
il
n'annonce l'intention de laver
fond, dans le moraliste humanitaire,
il
y
244
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
du nouveau.
a l'artiste qui cherche
romantique de
l'idée
comme un
rendre
Il
faut aussi accepter
intéressants
criminels
les
résultat de l'esprit de curiosité plus porté à étu-
dier qu'à juger et
condamner,
comme une
et
tendance de
comme en
notre temps à reviser l'absolutisme en morale
politique.
La
Lucrèce Borgia a de pires défauts que ceux-là.
tion est trop mélodramatique.
éloigné son
mère
?
Quel besoin que Lucrèce
ait
élever loin d'elle, lui ait caché sa
l'ait fait
fils,
situa-
Est-ce que ces Borgia se cachaient de leurs enfants?
Cette Lucrèce n'est pas vraisemblable.
Surtout
mère
la
est trop
ou trop peu dépeinte
maternel devait être un des nombreux
complexe dans une Lucrèce
quelle sorte de
mère
mois
;
deux
fois
il
d'un caractère
fils
a vingt ans
;
;
Hugo
Borgia.
Maigre
non
être
trouve empoisonné par
se
n'a fait
elle lui écrit
faitl'impos«ible pour le sauver, chose fort naturelle
tout: voilà l'étude
et
mère devait
la
une Lucrèce Borgia
qu'une mère banale. Son
les
ou l'amour
eût été intéressant de montrer
11
est
;
pour être vraie
faite
pour nous attendrir outre mesure, ou
sérieusement étudiée.
traits
tous
elle, elle
;
et c'est
du cœur maternel contenue dans Lucrèce
psychologie. Et pourtant le problème
psychologique se posait avant tout dans un pareil sujet
pour nous attendrir sur
faire
la
mère,
fallait
les
De même dans Marion
comment la courtisane peut
vertueuse
gique, que
humanitaire
le
;
:
obscure et
crimes l'amour maternel était vi-
vace.
et
;
d'abord nous la
comprendre, nous expliquer cette âme
comment parmi tous
fidèle
il
il
se
mais non,
eût été utile de montrer
transformer en amante
au problème
poète suppose résolu,
il
au nom d'une formule,
crimes l'amour maternel,
psycholo-
a substitué
il
la
et cette juxtaposition doit
émouvoir. Nous sommes plus exigeants.
thèse
place à côlé des
nous
LA JACTANCE HÉROÏQUE
L'héroïsme est un ressort que
gardé de négliger.
A
:
HERNANI
drame romantique
le
l'imitation de Corneille,
à exciter l'admiration pour
Hugo
courage héroïque
le
245
Don
:
et
Hernani représentent pour
et
Saverny ce que j'appellerai l'héroïsme français.
dans Hernani de
dans sa main
la
le roi et
jactance
;
il
;
lui déclare qu'il
royaume,
avec
lui
met
qu'il le
obligera
il
;
un moment
lui;
avec de
ya
l'hé-
tient
croit forcer le roi à se
battre et celui-ci refuse de se défendre
que Hernani, plus hautain que
Il
Hernani
castillane.
triomphe
de bandits à l'assassiner
Carlos
ainsi dire l'héroïsme espagnol,
belles scènes cornéliennes
roïsme vrai et de
s'est
cherche
il
chef
le
grand
est plus
au pouvoir du bandit,
sa tête à prix, qu'il
le
met,
mettra au ban de l'empire
;
lui,
il
au ban du
Hernani
lutte
de jactance héroïque.
HERNANI.
J'ai le
du monde où
reste
je te braverai.
DON CARLOS.
Et quand j'aurai
le
monde
?
HERNANI.
Alors j'aurai la tombe.
Cela est beau
comme du
d'images
Corneille, autrement.
de
plus
l'ampleur
xvn e
siècle français n'a pas
cela,
Il
la
la
Il
y
romantique
poésie
de ces mots-là.
Il faut,
a en
;
le
pour
Shakspeare, Schiller et quelquefois Hugo.
y
a aussi quelque chose de cornélien et de romain dans
scène du complot découvert
;
Hernani, qui passe pour un
bandit, va être relâché, l'empereur ne punissant que ce qui
peut être duc ou comte. Et pourtant
pfis et
mené
qu'il est
à la mort
désespéré
;
comme
il
réclame.
les autres.
Il
veut être
Pourquoi? parce
mais aussi parce que sa
fierté se révolte,
.
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
246
parce que, son rival don
Ruy
complices étant arrêtés,
et ses
et puis
ne veut pas être libre
ici une préséance, il la réclame
il
il
;
il
;
désespoir et celui de la fierté féodale
Puisqu'il faut
être
Dieu, qui donne
M'a
fait
le
duc
est
jette à
;
mourir étant
du
la fois le cri
:
grand pour mourir,
je
me
lève.
sceptre et qui te le donna,
duc de Segorbe
et
duc de Cardona
Hugo, qui aime trop les détails d'étiquette, tire ici un
très bel effet du droit qu'ont les grands d'Espagne de se
couvrir devant
Ont
le roi.
le droit
Oui, nos têtes, ô roi,
de tomber couvertes devant
Et quellejactance épique dans
toi.
ce cri de rage
:
Je suis Jean d'Aragon, roi, bourreaux et valets,
Et si vos écbafauds sont petits, changez-les
t
Hernani,
il
d'ailleurs, n'est fort
malheureux en amour
est
faible, c'est très
;
devant
la
heureux au
humain, mais ce
mort que quand
V
e
acte,
est
il
n'est plus l'héroïsme cor-
nélien.
Le vicomte de Saverny
çais, léger, viveur,
mais bon cœur.
tête,
opposé à Didier,
représente
un peu vain de
et le
11 est,
dans
le
gentilhomme fran-
sa noblesse, mauvaise
la pièce,
gentilhomme n'y
continuellement
est pas trop sacrifié
par l'auteur révolutionnaire à l'homme du peuple.
pourtant, et c'est une maladresse du poète,
un gentilhomme de
il
Une
fois
manque pour
savoir-vivre, en tenant aussi
fort
à
nom de l'amant que Marion préfère. Même avec
une femme légère c'est être un peu léger, ou lourd.
savoir
le
Il est
encore un peu bien léger lorsque,
nom
de son sauveur inconnu,
sa maîtresse en
il
pour savoir
le
poursuit celui-ci jusque chez
enjambant un balcon. Mais l'exposition a
besoin qu'il agisse ainsi. Autre inconséquence
:
Saverny
L
HEROÏSME
mort pour
fait le
!
DIDIER ET SAVERNY
dérober à
se
la
justice en lui
247
abandonnant
son adversaire, et cet adversaire sera accusé à
duel et de meurtre
c'est
:
Mais Saverny, quand
il
la
il
doit la vie, se livre à la
tard, afin de sauver son sauveur,
tager son sort. Dès lors
qui méprise
mort,
ou de par-
il
est le type de l'héroïsme français
rit et
plaisante devant elle, qui s'habille
de gala pour
la bataille ou le billot, qui est aussi grand
gneur dans son cachot que dans son château. Il refuse
s'évader seul
où
y
veut donner sa
de
La scène
diversement héroïques, est une des plus belles qu'il
si
Didier est sombre
ait.
place à Didier.
sei-
deux jeunes gens, à quelques minutes de l'échafaud,
les
sont
et
de
découvre que son adversaire dans
ce duel de jadis est celui à qui
un peu
fois
conduite.
lui ait soufflé cette
justice,
la
encore peu généreux, quoiqu'on
son illusion morte,
quant à
vrance
lui,
il
pleure, non sur sa vie, mais sur
la
mort, indifférent,
au gibet ou à l'échafaud, aspirant après
il
;
:
philosophe sur
il
est héroïque
la déli-
parce qu'il ne songe qu'à
son
amour devant la hache. Saverny est héroïque par sa légèreté même, il plaisante sur l'ennui de ne plus aller au bal,
et de
fera
ne plus voir octobre,
ce
soir
quand
sera
il
il
s'occupe de
mort
;
la
pluie
son héroïsme
d'abord à être assez léger pour ne pas penser à
puis à philosopher sur la mort, quoique cela lui
pour consoler son ami
!
décapité et non pendu,
il
qui
le
Enfin, quand
il
la
soifc
apprend
qu'il
consiste
mort,
pénible,
qu'il sera
est heureux, tranquille, et Didier,
chapitre pour l'encourager, s'aperçoit qu'il dort.
moment même où
homme
de
il
la foule
marche à
la
mort,
il
le
Au
ranger un
pour qu'un enfant qui cherche à voir
puisse être au premier rang. C'est parfait,
un type qui ne
fait
et
Saverny
est
cède pas aux meilleurs. C'est un marquis
de Molière élevé à
la
hauteur d'un héros de tragédie.
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
248
La clémence de Don
avec
Carlos
clémence d'Auguste
la
;
appelle
mais, en
comparaison
la
de compte,
fin
la
ressemblance est mince. Auguste est un ambitieux qui est
devenu une grande âme.
a vu
vanité du pouvoir et
la
découvert,
il
hésite,
comblés
;
il
à
va céder à
Les conjurés
s'offense et
la colère,
mesure.
la
pardonne,
coup qui
sentiment
frappe.
sont
lui-même,
veut
ses amis,
ceux
quand l'aveu d'Emilie met
donne
A
homme
complot
le
;
;
il
veut
résoudrait pourtant,
Il s'y
un
fait
sang et
le
grand
tour à tour
s afflige
Alors, Auguste
et ce qui lui
le
s'accuse
il
punir et ne peut s'y résoudre.
il
;le
en est dégoûté
flotte,
il
descendre du trône.
qu'il a
L'ambitieux a versé
pour arriver au pouvoir
sacrifié les siens
comble
le
sublime,
effort
il
cette force, c'est le dernier
de l'ingratitude,
l'excès
de l'avoir méritée,
il
avec
oppose l'excès de
le
la clé-
mence.
Don
Carlos lui ressemble seulement en ceci qu'il pardonne
moment où
par un effort de grandeur au
bravent
le
plus; mais, à part ce détail,
caractères diffèrent.
Don
Carlos est loin d'avoir
d'Auguste. Et d'abord, est-ce aux conjurés
C'est plutôt à
Hernani
qu'il unit
faire d'elle sa maîtresse. C'est
le
la
grandeur
pardonne
qu'il
?
à dona Sol, renonçant à
une
une amourette. Qu'était Carlos?
conjurés
les
la situation et les
victoire
remportée sur
Un libertin qui voulait
une
duchesse et l'avait prise de force à son amant. Mais quand
il
voit qu'il ne peut se faire aimer de
mourrait avec Hernani,
s'aimer
ment,
la
l'ancien
les
il
amoureux. Si
prend
lui,
la
l'ambitieux,
et
qu'elle
laisser
Carlos, eût aimé véritable-
victoire eût été plus belle.
homme,
dona Sol
résolution de
Dans
l'homme
Corneille c'est
jaloux
du pouvoir
une dernière fois dans la grande âme que les
grandeurs humaines ne peuvent remplir et qui va devenir
supérieure aux haines politiques. C'est Auguste tuant en
qui
s'agite
LA CLÉMENCE
lui
Octave. Dans
en
lui le libertin.
Le
AUGUSTE ET DON CARLOS
'.
Hugo
il
249
n'y a qu'un ambitieux qui tue
théâtre romantique, qui prend ses sujets dans le
moyen
mœurs, certaines
âge, en montre sur la scène certaines
vertus, qui caractérisent pour lui l'époque héroïque, et en
cela
il
prépare un clément de vraisemblance et de cou-
se
leur locale, parfois
même un
respect de l'hospitalité joue
Hemani,
Burgraves.
les
Ruy
chez don
le
se
ressort dramatique. Ainsi le
un grand rôle dans Hemani et
donnant pour pèlerin, pénètre
jour où celui-ci va épouser dona Sol
;
il
y pénètre afin de livrer sa tête, mise à prix, devant celle
qu'il croit parjure. Mais voici qu'il a beau tenter les valets
de son hôte par l'appât de la somme, son
Ruy
sacré et don
le roi
lui-même. La scène est très
d'Hernani, qui crie en vain son
passions.
belle, et
nom
le
d'hôte
le
rend
bandit contre
par
le
désespoir
proscrit, et par l'idée
Nous sommes
émus quand nous voyons le devoir maître des
Quand don Ruy trouve les amants embrassés, le
du devoir de
toujours
titre
prépare à défendre
se
l'hospitalité qui plane au-dessus.
vieux seigneur est frappé dans sa religion hospitalière
l'injure crie
vengeance
Ruy
don
le
bandit
il
lutte pourtant,
:
;
soudain survient
sur
la
les
tête
;
réclamant
;
scène des
lui-même pour s'affermir dans sa
au roi, mais il se crie
héroïques actions de chacun des aïeux peints
muraille
donner sa
cette admirable
et
la vertu des ancêtres
à lui-même
roi
ne peut se résoudre à livrer son hôte
hésite,
il
portiaits semble lui servir à
fidélité à
le
;
et
quand
pour
sommes émus, même
celle
si
la
;
il
cite
revue est
finie,
il
est prêt à
de son hôte. Ici encore nous
cet héroïsme,
si
cette vertu n'est
plus de notre temps.
Aussi
c'est
parce que Hernani a
qu'il doit sa vie à
t-il
manqué
don Ruy. Le respect de
pas un peu trop de part
ici ?
à l'hospitalité
l'hospitalité n'a-
Ce sentiment, qui a
sa date,
250
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
pivot de tout
un drame
Nous ne
?
nani ne mourait que parce
secouer
cette
meilleur
drame
l'honneur,
il
Le poète
pitalité.
On
a vu
qui s'attache à lui
cher Carlos et de
moment
il
;
le
bonheur
le
est là.
elle
Her-
de
a
et s'y est
sa vie est de cher;
reprend
le
Le poète
a fait celui
:
ou de périr
tuer
fatalité,
si
Hernani ne peut
avait pas le droit.
n'en
la fatalité
;
de mourir, nous ne
Hernani avait juré de venger
son père, et ne Ta pas vengé
il
pensons pas
le
qu'il a juré
Mais
serions pas touchés.
abandonné:
modernes comme
pour des spectateurs
admissible
est-il
a
il
oublié
brutalement.
cru faire
le
un
Le
drame de
la fatalité.
tenait à cette religion
du serment
et
de
l'hos-
retrouve ces deux notes héroïques dans les Bur-
graves elles servent au poète à donner une belle idée de la
:
décadence des mœurs chevaleresques
moquer des serments
coups de pierres,
comment de
les
et
y
a d'ailleurs
si
ici
fils
se
mendiants à
nous n'avons qu'un hors-
et qui n'a nul rapport
peu
les
tenaient les serments et prati-
ils
quaient l'hospitalité. Seulement
d'œuvre lyrique
en voyant leur
aïeux rappellent dans de beaux couplets
temps
leur
;
repousser
faire
avec un drame où
il
d'unité.
VI
Le théâtre classique nous intéresse par le seul développement des passions il s'adresse surtout à notre intelligence
et quand il cherche à émouvoir notre sensibilité, c'est notre
;
sensibilité d'artistes.
;
A vrai dire,
ce théâtre, essentiellement
psychologique, est un enseignement plutôt qu'un spectacle
il
nous apprend comment
qu'il
le
ne nous
les
les
;
passions se comportent, plutôt
montre vivantes
et agissantes.
décor, c'est-à-dire ne localisant pas
Supprimant
l'action, plaçant ses
personnages dans un milieu idéal plus que réel, ou plutôt
ne
les
plaçant dans aucun milieu,
dire, entièrement de la vie
il
les
isole,
pour ainsi
ambiante pour mieux analyser.
DES PASSIONS
251
somme d'émotion
qui peut venir
L EXPRESSION
1"
âme
leur
Toute
seule,
la
même
par
les
yeux
par
le
geste et par l'attitude plastique, qui faisait partie de
l'art
supprimée
est
;
l'expression de la passion
grec, ne paraît pas intéresser
le
poète classique.
Les
mouvements intérieurs de l'âme ont seuls du prix pour lui.
Dans Athalie et Esther seulement, Racine se sert de la
musique et un peu du spectacle (la scène dans Athalie est
un temple). Les personnages classiques sont donc tout âme
;
il
ne semble pas qu'en dehors de l'acteur qui leur en prête
un pour
âme
la scène, ils aient
toutes morales
;
est venu, mais
ils
et
c'est
ils
peuvent en mourir, quand le
n'en sont pas malades,
moment en
ce n'est Phèdre,
si
porte avec peine
le
souffrir
moralement,
poids de ses voiles.
dans Euripide,
elle faisait
beaux bras
parlait de ses
la tra-
décadence, parce que Phèdre est une ma-
non contente de
lade, et que,
Le
passions de leur
les
pourquoi on a pu dire que dans Phèdre,
gédie était en
comme
un corps que
au moins par instants. Leurs douleurs son*
affectent
Que
sup-
elle
serait-ce,
dénouer ses cheveux
tragique, que nous
voyons bien plutôt sur
et
?
théâtre classique est conséquent avec lui-même
personnage
si,
la
;
ce
voyons, que nous entre-
scène dans un costume indécis,
dans un décor indécis, dans une époque indécise, qui n'a
même
que rai*ement des sièges pour
nage n'est point
pas en nous
le
sujet
genre de
pitié qui
nous éprouvons au théâtre
parle Boileau, et
Mais
si le
la
s'asseoir,
aux misères du corps,
et
va vers elles
est cette pitié
ce personil
;
n'excitera
la pitié
que
charmante dont
terreur y est toujours une douce terreur.
théâtre classique est ainsi conséquent avec
lui-même, nous avons déjà remarqué qu'il ne remplissait pas
toutes les conditions d'existence
avons admis
comme
du genre dramatique
;
nécessaires à l'illusion théâtrale
nous
une
certaine quantité de caractéristique, de décor, de costume,
et
même
ques,
une
petite quantité de ce grotesque des romanti-
qui n'est autre chose que les quelques détails réels
252
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
par lesquels
le
nité vivante
comme
Il
personnage dramatique
l'huma-
se rattache à
appartient déjà à l'humanité idéale.
il
faudra donc que, pour être conséquents avec nous-mêmes,
nous admettions dans l'expression de
douleur quelques
traits
de
la
passion et de la
la vie réelle, et
que cette passion
un peu sur le corps, très peu,
nous voulons nous en tenir à la théorie
et cette douleur se répercutent
—
certainement,
de
la pitié
pour que
si
charmante, qui est
la passion idéale
homme
vivante et incarnée dans un
grande mesure à garder,
d'instinct
;
ils
juste ce qu'il faut
vivant. Il
âme
et
y eût
nécessité
la
contraint les romantiques, venus
effet,
dégageant
passion
la
presque de l'influence du milieu, avaient pu facilement
tracer sa
l'est
marche
idéale, et représenter, bien plus qu'elle ne
dans aucun théâtre, ce qu'on appelle l'humanité en
général. Aussi ce qu'ils ont fait une fois
certain point définitif.
de Racine,
Il est
est-il
la
passion avec ses
inconséquences, ses faiblesses
n'est plus à faire.
La
jusqu'à un
certain qu'après Y Andromaqve
représentation idéale de
la
jalousies, ses
ne
le
de toute influence du corps, du tempérament,
qu'ils étudient
le
autorisé
passion dans un corps vivant,
après les classiques. Ceux-ci, en
et
une
des impuissants.
poète dramatique à mettre
la
là
gardent
non secouer nos
Les conditions du genre n'eussent-elles pas
que
y a
et tous les vrais artistes la
veulent remuer notre
ressource
nerfs,
—
la vraie,
nous paraisse bien réellement
et ses fureurs,
situation que Corneille a étudiée dans
Cid, et, en général, la lutte de la passion contre
peut plus guère tenter après
se
veau,
et,
ment
;
pour tout dire,
il
fallait
lui.
le
Il fallait
devoir,
du nou-
frapper plus fort ou autre-
donner des éditions nouvelles, des transpositions des
héros classiques.
Euripide, comparé à Sophocle, est un romantique comparé à un c'assique
railleries
pour
pourtant, mais
lui
;
Aristophane ne trouve pas assez de
reprocher un pathétique,
auquel
il
n'atteint qu'en
si
puissant
s'écartant de la
l'expression caractéristique de l'amour
noblesse de
Sophocle,
qu'en violentant
le
253
spectateur, en
parlant à ses nerfs et à ses yeux, en faisant intervenir trop
souvent
peinture do
la
la
misère, de la souffrance physique
pour rendre plus poignante
c'est
Euripide
;
les
la
Or Hugo,
souffrance morale.
boiteux, les aveugles et les héros en haillons
qu'Aristophane reproche tant à Euripide, ce sont don Juan,
duc de Segorbe, en manteau de bandit,
Ruy
l'enfant trouvé Didier, le valet
difforme ïribouîet,
le
Blas
suprême de
idéale ne produirait plus. L'effort
moyens
voilà les
;
une émotion que l'analyse répétée de
d'exciter
passion
la
drama-
l'art
tique, allant jusqu'à ses limites extrêmes et dépassant presque
le
but pour émouvoir un public
vieilli et
blasé, ce
antithèses qui nous montrent le cercueil
nous font entendre a
banquet, qui
dans
sont ces
la salle
la prière des
du
morts à
travers les refrains de l'orgie », qui mettent «la cagoule à
côté du masque. »
De même le
la
échapper
théâtre romantique donnera aux douleurs, à
au désespoir, des
passion,
le
que n'avait pas
cris
personnage classique,
et
il
peindra
laissé
même
cer-
taines passions que le théâtre classique n'aura pas repré-
sentées
il
ira
ainsi la peur de la
:
même
mort
jusqu'à représenter
ce qu'on fait
les
difficilement sans
abaisser la tragédie au niveau
et l'amour
sortir
de
L'amour du personnage romantique a des
;
ment,
il
;
son désespoir trouble un
sentons dans sa passion
et sur son
le
la
vie
;
l'art
sans
et
du drame de boulevard.
rements, des larmes soudaines
douleur
de
souffrances de l'agonie,
cris,
pleure de joie,
moment
des égail
sa raison
rit
;
de
nous
contre-coup de son tempéra-
tempérament
le
contre-coup de ses pas-
sions.
Quand Hernani expose
à
dona Sol
ses scrupules
d'amant
déshérité et pauvre, qui ne veut pas entraîner dans sa vie
femme
de son âme
tourmentée
certitude
malade
;
il
la
qu'il
aime, à
s'ajoute le
y a dans tout ce
qu'il
la
douleur et à
l'in-
trouble de son cerveau
pense l'e>agération d'une
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
254
imagination surexcitée, un commencement d'hallucination.
Pour l'homme dominé par
seulement
qu'il cause
la
le
;
malheur devient
de simples métaphores
vision qui hante
la nuit
la nuit, la
:
l'égarement qui
l'homme
à
ôte
volonté), « une force qui va.
La
;
Hernani
nous prenons sur
la
une douleur fondée sur
celui de Britannicus),
ou tout au moins sur un soupçon sérieux de trahison
est
presque involontaire
;
il
a l'âme
désespérer du bonheur, et presque sans
lui,
il
trouve
comme une
le
conscience de sa
j>
est-elle
une preuve, un malentendu (comme
elle
la
;
ne sont pas
et ce
cerveau de l'homme dont l'âme est forte
le
jalousie de
trouble
tempête sont bien une
et le corps faible. Hernani se croit, (et là
fait
n'est pas
le
où Ton s'enfonce
une tempête, un enfer
vie agitée devient
là
malheur
les nerfs, le
perte ou l'accident arrivé, c'est déjà
?
Non,
malade à force de
le
vouloir, malgré
âpre volupté à souffrir, sans se
laisser arrêter par la crainte
de faire souffrir.
Il
l'avoue
:
II ne sait caresser qu'après qu'il a blessé...
Hélas! sans
le vouloir, je te ferais
du mal.
Quand Hernani dit à dona Sol « Epouse le duc » elle
« Vous ne m'aimez plus » Hernani proteste
répond
:
lui
:
!
:
,
DONA SOL.
Je ne vous en veux pas, seulement j'en mourrai.
HERNANI.
Mourir pour qui
Pour si peu ?
!
DONA
?
pour moi
? se
peut-il que tu
meures
sol, laissant éclater ses larmes.
Voilà tout!
Cet attendrissement des
deux
amants,
cette
ironie
y a de la passion et du désespoir, cet
éclat de dona Sol, donnent à l'expression de la passion un
caractère réel, et nous émeuvent autrement qu'une passion
de Hernani, où
il
l'expression caractéristique de l'amour
dessinée seulement
même
dans ses
traits
255
généraux. Je dirai
chose de ces manières de parler entrecoupées où
la
les
du trouble de l'âme.
idées ne se tiennent pas, à cause
HERNANI.
Hélas
Ne
Je
Oh
j'aime pourtant d'une
!
amour bien profonde
Que n'ai-je un monde
1
pleure pas, mourons plutôt
!
Je suis bien malheureux !...
qu'un coup de poignard de toi me serait doux
te le
!
donnerais
!
!
!...
Si l'on veut encore mesurer la distance entre le xvii e et
le
Xixe siècle, dans l'expression de
on
passion,
la
lira la
8
4 scène du II* acte, celle du tocsin, cette lutte d'amour,
de générosité,
ces
passionnés, et
tout à coup la
Saragosse
élans, ces cris subits,
ces
calme et égarée
qui s'allume, et cette ironie
de Hernani à côté du désespoir de donaSol
boka sol
tocsin
!
le tocsin ?
hernani, toujours à
ses
Eh! non,
)u
:
(se levant effarée).
Le
Entends-tu,
murmures
voix du tocsin qui éclate,
genoux.
c'est notre
noce
on sonne.
Cet égarement, qui est sur
la limite
où
la
peinture de la
passion serait la peinture d'une maladie, a sa puissance de
pathétique
;
les
montrent peu
la
comme Macbeth
auteurs classiques y recourent peu
passion hallucinant ceux
et sa
délire
de
Phèdre.
On
n'avait
même
;
ils
qu'elle possède,
femme. Racine a osé
parce qu'il avait l'exemple de l'antiquité
;
la folie
de
d'Oreste
même
jamais vu
pour
les
le
héros
classiques s'embrasser, se tenir enlacés, avoir de ces élans
et
les
mêler à leur bonheur jusqu'au calme de
environne
la
:
Des flammes de tes yeux inonde
Chante-moi quelque chant...
ma
paupière,
nature qui
LES PASSIONS ET LES CARACTERES
256
Parle-moi, ravis-moi N'est-ce pas qu'il est doux
D'aimer et de savoir qu'on nous aime à genoux,
D'être deux ? d'être seuls ? et que c'est douce chose
De se parler d'amour la nuit quaud tour repose ?
!
Hugo,
Victor
une amoureuse
Burgraves, a pu mettre en scène
clans les
poitrinaire, qui se meurt, quoique la pein-
ture de la maladie au théâtre excite en nous une émotion
trop physique et nerveuse, parce que cette maladie est pré;
une sorcière a un
le
drame romantique
cisément là fantastique et surnaturelle
remède qui peut
Comme
la guérir.
l'amour,
la
douleur a dans
une expression plus complexe où entre
c'est-à-dire
de
ici
la physiologie.
Dona
vivre son mari; Marion supplie
laisser
donner à son amant; Triboulet supplie
rendre sa
caractéristique,
le
Sol supplie don
fille;
les
Ruy
de par-
le roi
seigneurs de lui
Jane supplie Marie Tudor de
laisser vivre
Gilbert qu'elle aime. Ces situations sont toutes pathétiques
au suptême degré;
elles
contiennent
la
d'anxiété qui puisse bouleverser l'âme
;
plus grande
menace
paternel se trouve en face d'une volonté terrible qui
passion son
d'ôter à la
amène par
objet.
instant l'égarement
l'inflexibilité
de
prendre tous
les tons,
la
La
;
la
somme
l'amour ou l'amour
terreur de tout perdre
supplication heurtée à
personne suppliée, conduit
le
suppliant à
à invoquer toutes les raisons, à tenter
tous les points faibles, et finalement le pousse à la révolte
désespérée qui ne tient plus compte de sa vie, ou à l'abat-
tement de l'impuissance dernière.
Dona
a juré
:
Sol repousse
que
lui
raisons qu'on lui donne. Hernani
les
importe
?
Non, non, rien ne te lie,
Cela ne se peut pas Crime, attentat, folie
1
Puis c'est l'explosion, chez
!
une femme restée jusque-là
timide, de toute la fureur d'une passion espagnole
douce
et innocente
menace,
le
poignard à
la
main
:
;
la fille
.
l'expression physiologique de la douleur
Prenez garde, don Ruy
Mon
si
vous portez la main sur
femme
fille,
mon époux
!
sentiment de l'impuissance de sa colère, et
c'est le
toute l'énergie fébrile d'un
la
suis de
oncle!... écoutez-moi, fussé-je votre
Malheur
Puis
Je
!
257
la famille,
moment
qui tombe, ayant épuisé
faiblesse, l'excuse
l'aveu de sa
à genoux,
frêle, et la supplication
de son emportement:
Pardonnez : nous autres Espagnoles,
.
Notre douleur s'emporte à de vives paroles !...
.
et
.
l'argument
le
plus simple et
amour
qui aime, son
le
plus fort pour la
demande
plus qu'un sursis
femme
:
Pitié, je l'aime tant!^
Puis, le désespoir qui ne
Faites grâce aujourd'hui
Puis
!
coquetterie et la candeur de la
l«i
instant possible d'aimer
Ruy
femme
qui croit
un
deux hommes, qui essaye d'atten-
drir
don
faire
prendre pour de l'amour.
promet une affection
et lui
:
qu'elle veut lui
Je vous aimerai bien aussi, vous...
Puis encore une concession du désespoir, qui ne demande
plus qu'une minute et qui s'écrie
...
Oh
!
:
pas encor, daignez tous deux m'entendre!...
et les supplications haletantes,
entrecoupées de reproches,
toute la puissance de l'être dépensée pour obtenir
moment
un
seul
:
Un
instant,
Vous
Un
Alors,
monseigneur
êtes bien cruels
!
instant, voilà tout
elle
fait
croire,
LE DRAME ROMÀNT.
!
mon don Juan
— Qu'est-ce
!
.
que
je
!
Ah
!
deux
tous
veux d'eux
?
.
pour
le
faire
croire
aux deux
17
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
258
autres, qu'elle a obtenu ce qu'elle
moment de
gagné
demande,
profite d'un
et
de ses bourreaux pour
silence
croire
tout
:
Entin, on laisse dire à cette pauvre femme
Ce qu'elle a dans le cœur...
Et
amène
enfin le désespoir complet
se résigne à ce qu'on agisse sans elle,
parlé
elle
;
demande seulement qu'on
une chance,
celle
de persuader
même temps
en
moment
lui
de poison
fiole
le
moyen
rache de
l'idée subite
;
avec
la
elle
aura
permette de courir
:
que tout
parlé,
danger pour
le
dans un objet qu'Hernani tient à
est
dona Sol
;
mais quand
Lorsque j'aurai
Tout ce que tu voudras, tu le feras!
et
calme
le
femme
ruse féline de la
main,
la
le
la
qui trouve
de dissimuler une seconde, dona Sol soudain l'ar-
main sans
la
défiance, et,
comprenant
alors
que
tout est inutile, en boit la moitié.
même,
Cette scène est la vérité
et
il
être
n'est pas
un de ces
étant
donné
.
Les supplications de Marion Delorme au
de
la situation,
qui ne nous remue, trop peut-
cris
la
leur.
même
puissance d'observation et d'analyse de
Le ton
le
les distances,
à leur âge, pour un duel
parler, ces
appelle
qui fait que
puissant par ce qu'il a d'humain
tour à tour
;
la
dou-
familier pris avec le roi, cette familiarité de la
douleur qui supprime
prend
partent
roi
!
de
le faible
son plaidoyer
:
ces deux raisons qui reviennent
l'humilité de
éclats
;
la
femme
colère contre
qui ne sait
le
comment
cardinal
qu'elle
un monstre, ces raisons naïves, enfantines, que
trouve la douleur extrême
:
Pouiquoi leur en veut-il
Jamais vu mon Didier...
?
Qu'ont-ils fait?
Il
n'a
même
l'expression physiologique de la douleur,
les
mères des jeunes gens qu'elle invoque,
naïveté avec laquelle elle explique
comment on
se bat
moin,
de faiblesse
ce cri
pour un rien,
même mot
Oh
!
que dona Sol
je
tâche et
se
à
les assistants pris
té-
:
Nous n'avons que des
Que le regard d'un roi
le
poignante
la
comment on
259
vous aimerai,
pleurs, des cris, et des
genoux
ploie et brise sous nous
!
:
sire, si
vous
le faites
!
et enfin l'étouffement de la douleur et des larmes,
tout ce
pathétique nouveau dans
roman-
le
drame
caractérise l'art
tique.
Plus loin, détail trop violent cette
fois
supplie les greniers, supplie les soldats,
les maîtres, ainsi
des
condamnés
l'amante affolée
:
comme
s'ils
étaient
que, dans des exécutions à mort, on a vu
se refuser à croire qu'il n'y a pas
pour eux
un recours quelconque, demander une heure aux gendarmes,
et supplier le
bourreau à genoux.
Les mêmes
de fureur, d'ironie superbe,
alternatives
d'imprécation, d'insultes, de menaces, puis soudain de fureur
impuissante devenant de
la
ce ne soit émouvant, ce père
fille.
que
cet
homme
douleur, qui grandit
terrassé
froide et jette ce cri
Marion
dit
:
plus
le
On
ne peut nier que
qui s'humilie soudain, ce
Marot en
bouffon qui relève la tête et traite
la
retrouvent dans
la supplication, se
scène où Triboulet réclame sa
frère,
vil, efface les
parce
distances;
par l'angoisse, qui sue d'une sueur
du corps
« J'étouffe »
;
:
«
Je
suis
cette humilité
malade
si
»,
comme
grande à pré-
sent du bouffon qui se fait petit, qui essaye de rire, qui,
l'angoisse au cœur, feint de croire
à une espièglerie, qui
s'excuse, lui aussi, d'avoir été furieux, sur sa faiblesse et sa
bizarre nature de disgracié
:
On a comme cela ses mauvaises
Quand on est contrefait
Ce pauvre Triboulet qui vous a
journées,
fait tant rire!...
260
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
et qui à
bout de prières trouve cette exclamation
Vraiment, je ne
maintenant que vous dire
sais plus
toute cette joie d'avoir retrouvé sa
et
larmes, cet
homme
fille,
personne suppliée
flatte la
pour être méchante »
belle
!
ces rires et ces
qui croit qu'on lui a joué
« qu'on le laissera tranquille désormais.
Catarina
:
un de ces tours
aux enfants, ce souffre-douleur qui espère
joue
qu'on
vraie
si
physiquement par ce qui
;
lui
la
t>
Vou3
«
:
pauvre femme
arrive
«
:
Un
êtes trop
est accablée
instant, je suis
tout étourdie... Je n'ai pas tout compris. » Elle demande, à
bout de forces
me
vous
Et
« Est-ce que c'est vraiment impossible que
:
laissiez la vie ?
s'épouvante
qui
x>
ce dialogue entre le bourreau et la victime terrifiée,
aussi trouvé
de tout ce qui
peut
mécontenter, est
le
:
CATARINA.
Mon Dieu
!
ANGELO.
me
Eh
bien
Si.
Je vous réponds
!
vous ne
répondez pas
?
CATARINA.
Elle saisit au vol
:
Mon Dieu
un mot de
la
vainqueur qu'elle donne au tyran
femme
Oh
!
!
ne
Madame; vous
me
dites pas
l'avez dit
!
Tisbe
<r
:
:
comme un argument
Vous avez
oh! je
l'ai
dit
bien entendu!
que vous ne l'avez pas
désespoir enfin se tourne de tous côtés,
Pauvre
:
dit
!
»
Son
contre l'idée de
mourir, contre Àngelo, contre Tisbe, prend à témoin Tisbe
contre Angelo, Angelo contre Tisbe.
Le procédé
est le
même
partout
:
peindre la passion chez d'autres que
consiste
il
des rois esclaves du
décorum, puis à mêler dans l'expression de
ques-uns de ces
traits
d'abord à
qui rappellent que
le
la
passion quel-
héros a un corps
LA SOUFFRANCE ET
L' AGONIE.
261
une abstraction. L'homme même est là
Jane dit « Chacun des coups
cloche frappe sur mon cœur »... « Voyez comme je
et qu'il n'est pas
vivant, criant et gémissant.
de cette
:
Vous voyez bien que
baise vos belles mains
avec
je parle
douceur, d
En comparant
Saint-Marc Girardin
avec celle d'Iphigénie,
comme
de Catarina devant
l'attitude
compare
toutes les fois qu'il
les
mort,
la
se
trompe,
deux époques.
Il
n'a pas vu que l'héroïsme des classiques ne pouvait être celui
des romantiques, et que chacun des deux systèmes a ses
beautés,
comme
ses lacunes.
Les héros romantiques ne pren-
nent pas toujours facilement leur parti de mourir,
qui souffrent pour mourir le disent. Phèdre a pris
et
ceux
un poison
dont on ne souffre pas, doua Sol a pris un poison dont on
Le
souffre.
poète a cru qu'une beauté naîtrait du contraste
des premières souffrances avec le calme délire et l'extase
qui suit.
Viens, ô
Dans mes
.....
Il
mon
jeune amant,
horriblement?
bras... N'est-ce pas qu'on souffre
Mort
dort! c'est
non pas, nous dormons.
!
mon
époux, vois-tu, nous nous aimons...
là, c'est notre nuit de noces...
Nous sommes couchés
Il n'est
pas bon, cependant, que
drame nous émeuve
le
trop par ces moyens. Entre la
recherche trop idéale du
théâtre classique qui dissimule
la
catastrophe,
et
un
impitoyablement brutal qui nous montrera l'agonie,
un
juste milieu. Victor
Hugo
il
art
y
a
ne Ta pas toujours gardé.
Les deux derniers actes de Le Roi s'amuse nous semblent
d'un art inférieur.
qu'elle aime, soit
écouter à
et
;
Que Blanche
mais que nous
la porte, saisir
se
la
sacrifie
pour celui
voyions sur
l'affreuse conversation
le
théâtre
du bandit
de sa sœur, qu'elle se résolve à se faire égorger par
le
cou-
teau qu'elle voit aiguiser, et que, sachant l'assassin derrière
avec son
excessif,
fer
levé,
malgré
la
elle
pousse
la
porte
du bouge,
précaution qu'on prend de baisser
c'est
la toile
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
262
au moment où
couteau s'abaisse. Les angoisses de
le
time qui veut se livrer
sentant à l'avance
partis, je le
le
frapper, tous ces traits
la
veux bien, d'une imagination puissante
Encor
savait
si l'on
:
comme
Si l'on ne souffrait pas
Au
à cette idée, se repré-
et qui résiste
coup qui va
la vic-
ils vous frapperont,
mais on vous frappe au front,
!
visage
Je suis glacée
mourir ayant
ne sont pas dignes de
l'on s'adresse
de charmes
;
la
;
le
Il
en
de
est
froid
!
C'est ici trop à nos nerfs que
l'art.
terreur n'est plus douce, et
spectateur est mal à
sur lui une voie de
si
la pitié
l'aise, le
n'a plus
poète emploie
fait.
même du
que ce sac sur lequel
il
V e acte
;
quand Triboulet découvre
piétine, triomphant, contient sa
fille
drame devrait finir aussitôt. Il continue pour nous
mettre sous les yeux une étude impitoyable du désespoir
paternel. Il ne faudrait qu'un ou deux des traits qu'il prodigue ce n'est plus la peinture delà douleur, c'en est la
photographie. Il faut pour écrire les deux dernières scènes
un grand génie, mais un oubli complet des conditions du
théâtre. Ce serait très beau dans un roman, le roman admet
l'étude d'aprè3 nature mais le drame est un tableau qui doit
être composé avec choix parce qu'il s'adresse aux yeux et
non pas seulement à l'imagination. J'admire 1 effrayante
morte,
le
;
;
vérité de ces traits
:
Ne meurs pas, je t'en
... Mon bras n'est pas
Que
Le
prie...
bien, n'est-ce pas,
n'es-tu morte, hélas
!
il
te gêne...
toute petite encor,
jour où des enfants en jouant te blessèrent... etc.
Mais je ne peux pas entendre dire cela au théâtre
comble de
d'une
ouvert,
l'art serait
famille le
la
mère
alors de
nous
jour où une mort survient,
le
se jetant sur
fille
le
;
le
faire voir l'intérieur
corps de sa
cercueil
qu'on
PATHÉTIQUE RÉALISTE
emporte. L'effet serait sûr,
moins qu'elle ne
Hugo
la
:
Une
serait
salle
aussi
avec des
est faite
par un
impitoyable
et
tête...
des mots d'une réalité analogue,
traits et
un modèle en ce genre détestable
Châtiments, exciter
les
à
terrifiée
pièce des Châtiments:
L'enfant avait reçu deux balles dans la
c'est
263
se révoltât.
poète lyrique est souvent
excessif.
TRIBOULET
haine contre
la
;
mais
le
il
procès-verbal exact plutôt que
dans
fallait,
massacre de
la
rue
par une œuvre
d'art.
Quand
poète lui-même perdit sa
le
faute artistique de noter
moment que
premier
ceux-ci ne peuvent
Oh!
je fus
ces
dans
fou
commit
les pères, si
sans pleurer la pièce
lire
il
la
poignantes impressions du
connaissent tous
comme un
fille,
le
bien que
:
premier moment...
ce qui la condamne.
Dans
Christine, le seul
grandeur de
fois à la
drame de Dumas qui atteigne partrouve une scène où
la tragédie, se
l'auteur a. spéculé aussi sur le mal qu'il ferait à nos nerfs
et pourtant
a
montré
il
est difficile
les terreurs
de
la
condamner. C'est
de Monaldeschi devant
la
scène est naturelle d'ailleurs, dès qu'on admet
pièce et
le
celle
où
;
il
mort. Cette
la fin
de la
caractère de Monaldeschi. Je ne dis pas qu'il n'y
un poète tragique que de mond'une reine, qu'il trahit, et
aimé
trer un lâche ambitieux,
qui, démasqué, condamné à mort par cette reine, montre à
ait pas
mieux
à faire pour
nu pendant un
vil
acte tout ce qu'il
y
a de bas, de lâche et de
dans une nature d'homme.
Monaldeschi croit avoir réussi à faire retomber sa trahison sur Sentinelli qu'il a faussement accusé, tandis qu'au
contraire son crime est découvert et son châtiment prêt.
Sentinelli,
chargé par
la
reine irritée d'arrêter son ancien
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
26*4
ami, veut s'ôter tout remords.
pour
mort
lui la
Il
?
Ne
serait-il
Monaldeschi, qui hait
?
prend Sentinelli pour
Sentinelli, qui
que Sentinelli cherche ainsi à
Cet écuyer qui trahit
coupable, qui croit
le
répond
l'attendrir,
gnarderait lui-même son ami.
est
point touché d'une ancienne
aux supplications
amitié, sensible
tion les
demande à Monaldeschi ce
traître à la reine était son ami, voterait-il
qu'il ferait si le
A ce
mot
ambi-
sa reine, qui sacrifie à sa basse
deux femmes qui l'aiment,
donc condamné à mort
poi-
qu'il
Sentinelli l'arrête.
et qui lui ont tout sacrifié,
enfermé dans sa chambre
et
sans pouvoir s'évader. Paula, qui l'aime, vient lui apporter
du poison
et lui confie
Monaldeschi
un anneau double
empoisonnera
s
avec
l'un
;
moment venu,
le
anneaux
des
et
enverra l'autre à Paula, qui l'imitera. Monaldeschi ne peut
se
résigner à cette idée de mourir ainsi
une
frayerait pas dans
bataille,
;
mort ne
la
ou quand
l'ef-
sera vieux.
il
le condamné. Monaldeschi
demande quelques minutes il veut écrire
Bientôt Sentinelli vient chercher
hésite, tremble,
;
mère pour partir il lui faut ses gants, son chapeau et
il se trouble, il demande si ce
son manteau
manteau est
bien le sien, dans cette horrible angoisse du condamné à
à sa
;
;
mort pour qui tout
Il
est prétexte à retarder le
Sentinelli
un poignard
saisit
deschi ruisselle de sueur
;
il
et
;
le
trahie, prise de pitié
pour
de Sentinelli
;
;
Monal-
un moment
mort et peut-
ressaisit
anneaux
vouloir trahit
sa rivale
;
Paula s'em-
le secret, et
Christine
mourante, donne l'ordre
Monaldeschi s'enfuit blessé au cou par l'épée
il
Christine qui, au
On
:
aussitôt Monaldeschi, qui veut se débar-
poisonne, mais sans
:
il
l'ordre de
rasser de Paula, lui envoie l'un des
de l'exécution
fatal.
vêtement
a cru que Sentinelli allait l'en
cœur de Christine qui révoque
être va pardonner
le
élargit l'agrafe
percer. Conduit enfin devant la reine,
le
moment
ne peut avec sa main tremblante agrafer
se traîne
mourant
moment où Paula
;
il
implore
la pitié
de
expire, le fait achever.
voit que, le rôle étant admis, le
poète a été logique
résumé
en allant jusqu'au bout.
pour nous émouvoir,
Il s'adresse,
à l'instinct de conservation
peinture impitoyable de
265
mais enfin
;
détails mélodramatiques, dont
émeut par une
il
humaine.
lâcheté
la
Dumas
De
abuse, sont
ici
petits
à leur
place. Ainsi, le poignard de Sentinelli, qui sert à élargir les
agrafes,
comme
celui
d'Antony servira de cachet,
est bien
trouvé.
En
résumé
,
le
processus idéal de
théâtre classique n'avait exprimé que
la
passion
;
il
s'était
le
appliqué à conser-
ver à l'émotion tragique son caractère bienfaisant, de façon
que
le
spectateur ne fût jamais
ému
jusque dans son corps
par l'expression trop réelle du désespoir, de
mais tout
se tenait
dans ce système
;
la
douleur
;
passion ainsi
et la
exprimée convenait à des personnages qui ont au plus haut
degré le caractère idéal. Etant donné que le drame romantique localise l'action dans un
lieu réel
et
qui change,
admet une certaine quantité de décors et de costume,
qu'il ajoute, en un mot, à la vie morale de ses héros un
appoint de vie physique, qu'il leur donne un tempérament,
il était
nécessaire que l'expression des passions se modiqu'il
fiât, et
que
la
terreur et la pitié inspirées par des héros qui
vivent plus réellement de la vie extérieure, touchât plus
que notre intelligence
et notre
âme,
théâtrale moins pure peut-être, mais
blante. Progrès ou décadence
?
et rendît
Décadence pour
sophe qui cherche à dégager de tout
l'émotion
plus forte, plus trou-
l'idée
;
le
philo-
progrès pour
dramatique qui demande que l'étude de l'homme
mieux aux conditions du genre. D'ailleurs le procédé romantique est dangereux et conduit souvent les poètes
le critique
s'adapte
trop loin. Si nous considérons que l'important est d'expri-
mer
la
passion aussi
prendre à
idéale
la vie réelle,
que
possible, et qu'il
c'est-à-dire
ici
ne faut
à l'expression réa-
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
266
liste
des passions que ce qu'il faut pour donner aux héros
la vie
bler
souvent le drame
mélodrame en cherchant à trou-
des planches, nous trouvons que
romantique tombe dans
ou
terrifier
le
le
spectateur, en développant
trop des
passions qui n'éveillent en nous qu'une émotion physique,
comme
la
crainte de la mort, en montrant
des spectacles funèbres ou attristants,
agonies ou
Ici
la
comme
encore, la vérité sera
;
le
tableau des
entre les deux procédés,
romantique en
quand l'imagination des poètes n'a pas
la
le
vue des cadavres.
classique et le romantique
quand
complaisamment
le
est plus près,
trahi la formule
ou
passion de la lutte ne leur a pas fait exagérer
cette formule.
LIVRE
LA MISE EN
J.
Vil.
ŒUVRE
dans la conception même du drame romantique
drame de la vie à celui de la conscience.
Exagération du lyrisme.
Il y a un autre lyrisme, le lyrisme dans
II. Le
l'exécution.
Beautés et inconvénients du lyrisme.
mélodrame dans le théâtre romantique, dans la conception du
drame, dans l'intrigue.
III. Les types du héros de mélodrame.
Simon Renard, Salluste.
IV. Les coups de théâtre mélodramatiques.
VI. Hugo imiV. Alexandre Dumas et le mélodrame.
tateur de Dumas, Dumas imitateur d'Hugo.
Le lyrisme
il
;
il
est
consiste à mêler le
—
:
—
—
—
—
—
—
—
Nous avons étudié dans les derniers
drame romantique, les sentiments qu'il
les
livres la
matière du
doit à son époque,
passions et les caractères, c'est-à-dire la quantité de
psychologie qu'il contient
ment
On
;
il
a souvent lancé contre
sation de lyrisme. Il est juste
sément que
mais
nous reste à examiner com-
ces matériaux ont été mis en
le
œuvre.
drame romantique l'accuen effet dédire, non pas précile
théâtre romantique a le tort d'être lyrique,
qu'il a le tort d'être trop lyrique, et surtout essentielle-
ment lyrique.
LA MISE EN ŒUVRE
268
préface de Cromwell indiquait que tout drame est
La
lyrique
dans un sens
et
;
parle de croiser
cience,
c'est
du poète
comme
au drame
le
drame
vit
la
cons-
car la per-
;
propos du drame de
se fera voira
son impression sur
avec celui de
la vie
cela veut dire mêler l'ode
sonnalité
Quand Hugo
juste.
est
l'idée
drame de
le
la vie
de personnages,
que
est évident
il
:
Mais
vie qu'il nous donnera.
la
les
passions seront le noyau du drame, et c'est pourquoi
le
drame est arrivé fatalement à trouver sa plus haute expresdrame psychologique, non pas
sion dans le
laisse
une place au drame de
a exagéré la place
la vie
caractères
;
a presque négligé
s'est
pas assez effacé
a revendiqué le droit d'appa-
il
personnages à travers
raître toujours, et de conduire ses
vie, qu'il leur fait fertile
théâtre romantique
il
;
Le poète ne
celui de la conscience.
derrière des
Le
la vie.
du drame de
celui des clas-
Shakspeare (Hamlet) qui
siques, qui l'est trop, mais celui de
la
en événements, en malheurs, en
bouleversements.
Dans
la
tragédie classique,
nel que possible
il
:
poète est aussi imperson-
le
peint la vie dans
permettra d'étudier
et
il
les lance
comme un
dans
le
;
le
crise
il
;
:
voit
la
il
a créé les personnages,
dès lors
cesse de
qu'il
;
crise qui lui
et qui
ils
agissent seuls,
marchera
marcher
;
le
temps
le
caractère se
poète ne paraît pas. Corneille fait triompher
Racine
devoir,
voilà
passion
la
instrument remonté,
prévu jusqu'à ce
développe
la
l'homme
imaginé une
réfléchie dans la conscience. Il a
montre plutôt
simplement à quoi
la
on reconnaît
passion maîtresse
le
:
poète dans son
œuvre.
Le drame romantique
n'admettre,
comme
est bien différent.
les classiques,
même
que ceux qui naissent du jeu
jette ses héros
lutte avec
dans
la
eux-mêmes,
il
vie
les
;
au
Au
lieu
de
pour incidents du drame
des passions,
lieu
de
les
le
poète
montrer
en
montre volontiers luttant contre
d'autres obstacles que leur propre passion. C'est qu'il a
le
2(W
LE LYRISME
dessein trop large de peindre plutôt la vie que l'homme
il
ne condense pas,
il
la
déploie
à peîne
le
il
;
leur langage
:
lance dans
les
comportent,
se
les suit
il
voit plutôt
il
semble-t-il, avant de
il
sait ce qu'il
qu'il
peindra
semble que
le
drame pour voir comment
le
de
l'œil,
il
les écoute,
Le poète
dehors.
le
pour
ses quatre
lutte de
la
la
il
note
il
classique,
commencer son drame, a une
veut étudier, quelle passion
neille d'ailleurs sait,
mes,
dedans de l'homme,
le
poète romantique creuse moins l'âme
le
;
;
drame,
vie dans son
le croit, la
poète classique voit
dehors
de ses héros
ils
le
;
comme il
idée
fera agir.
:
Cor-
ou cinq premiers dra-
passion et du
devoir. Il
poète romantique agisse autrement
ses
;
yeux
sont tombés sur une anecdote, une ballade, une légende,
un fragment de chronique
il
les
prend
jetés
et par la force
dans l'action
Chemin
il
y
voit des héros intéressants
de son imagination se
les
il
;
;
suit plus
qu'il
a une idée
beaux coups de théâtre. Pourtant
souvent
:
les
il
le
poète
soutiendra une thèse politique,
donnera une leçon de morale sociale
tenir cette thèse et
dirige.
de belles scènes, de
faisant, se présentent à l'esprit
belles tirades, de
ne
\
c'est
donner cette leçon
même
qu'il a
ses
drames
l'origine
cherché un
du drame romantique
hommes
du drame
La
qu'il soutient
il
dans tous
élever l'âme. C'est tout différent. Déjà donc à
:
dans la conception
les
même
il
pour sou-
sujet dans la légende. Sa thèse, Corneille la dissimule,
n'en a qu'une d'ailleurs, la
:
les figure
même
la
personne du poète apparaît
de son œuvre
et les choses à sa thèse.
On
:
on voit
qu'il pliera
sentira tout
le
long
la prédication et le prédicateur.
thèse
morale à développer
l'origine dans l'esprit
personnages,
appropriées
:
il
se croira obligé
ainsi
fera parler des
du poète
il
;
n'existe pas
de développer des thèses
se souviendra régulièrement,
vieillards féodaux,
l'hospitalité antique,
toujours à
mais à propos de certains
quand
de leur faire
de leur faire regretter
il
vanter
la liberté anti-
que, fût-ce indifférent au drame. Si ces drames ne
con-
LA MISE EN ŒUVRE
270
tiennent pas de thèse,
comme une épopée
sont traités
ils
c'est un récit merveilleux de douleurs, de
joies
humaines, avec l'unique but de charmer
et
par ce déroulement de poésie. Dans Hernani,
ple,
y
une conception première
a-t-il
chologique que
t-il
proposée
s'est
voulu peindre
?
Aucune.
mêmes,
des passions
il
?
Où
;
souffrances, de
d'émouvoir
exem-
par
psy-
est l'étude
poète ? quelle passion a-
le
Au
lieu de tirer les incidents
a d'abord pris et imaginé les inci-
dents, et, jetés au milieu, seshéros vont, s'agitent, parlent,
chantent,crient, souffrent
et tout cela
;
C'est ainsi qu'on
spectacle attachant.
forme néanmoins un
compose une ballade,
une ode. Bref,l'intrigue préexiste aux passions,
dans
se développent
S6ns où
le
est-ce l'amour
?
l'intrigue le permettra,
comme
diverses souvent, variées
la
vengeance
est-ce la
?
vie
le
Blas, c'est un rêve
plébéien,
?
la
fois.
Pas plus que
la
Ce sont surtout de belles scède beaux cris, de beaux discours.
;
c'est
amoureux d'une
le
développement merveil-
même
leux d'un songe, mais non pas
Ce
Herna?ii,
devoir.
nes, de belles situations,
Ruy
même.
Tout cela à
Est-ce le devoir domptant la passion
passion domptant
passions
les
l'étude d'un état d'âme.
reine, qui arrive à être
grand
seigneur et à se faire aimer, nous ignorons ce qu'il pense
du présent
et
qu'au jour où
pendant
de l'avenir, de lui-même
le
rêve s'écroule.
comment une
d'un amour pur
compte pas
;
et
:
ce
le
amenée à aimer
mais en revanche nous avons
mort
se livre à
psychologique,
sujet de la pièce, ne nous
changement d'âme,
cette crise,
l'histoire
ne
mer-
et qui vit, de Didier qui s'é-
qui se fait reprendre,
comédiens qui
le
tableau d'une troupe de
une répétition devant un lieutenant
criminel, la tentative de
On
Dans Marion de Lorme^
courtisane peut être
veilleuse de Saverny, cru
chappe
des autres, jus-
trois actes, le poète, oubliant l'étude
qui eût été pour un classique
dit pas
et
Marion pour sauver Didier.
sent partout dans le théâtre romantique la main
poète qui vous conduit où
il
du
veut et ne vous laisse guère
LE LYRISME
271
c'est que son
oublier ou sa thèse, ou ses vues sur la vie
le fait seul de
drame ne peut s'abstraire de son époque
choisir pour protagoniste l'homme du peuple ou l'homme
déshérité, c'est une thèse, donc c'est un peu du lyrisme le
:
;
;
poète apparaît.
épisode comique arrive inutile-
traîne sur la scène plus longtemps qu'il ne fau-
ment ou
drait, c'est
nous
Quand un
encore
revient à
du
du poète
lyrisme, car alors la théorie
l'auteur se
et
l'esprit,
montre.
défaut des drames qui sont faits sur une poétique
C'est
:
le
celle-ci
mémoire.
se rappelle toujours à notre
L'excès du lyrisme se voit manifestement dans les Bur-
n'y a point de drame, mais une suite de tableaux
graves
: il
de
vie héroïque
la
où
les
personnages récitent
des vers
magnifiques.
Le drame romantique est encore lyrique dans l'exécuLe poète, qui ne sait pas s'abstraire assez de son drame,
tion.
ne
comme
sait pas,
il
le
faudrait, s'abstraire entièrement
il
n'y a guère de variété
les
grands premiers rôles
des caractères qu'il compose. Aussi,
dans
les
caractères romantiques
;
se ressemblent tous par certains côtés, parce
s'y incarne trop.
le
Hernani, Didier,
Ruy
que l'auteur
Blas, sont presque
même homme.
Si nous entrons dans les détails, le lyrisme se rencontre
aussi
aux
:
défaut moins grave alors parce qu'il
parties vitales
brillants
du drame. Ainsi,
les
touche moins
monologues sont de
morceaux lyriques. Les personnages expriment
souvent des idées qui ne sont pas celles de leur temps, mais
celles
de l'auteur.
Il est
certain que parfois Hernani,
dit
aux seigneurs des
avant 1789
le
monde
;
que
les
ne leur dira guère
vérités qu'on
admirables réflexions de don Carlos sur
féodal et sur la fragilité des
poète plus que d'un
Ruy
1830, que Triboulet
Blas parlent en révolutionnaires de
homme
de guerre, que
guère pu exposer aussi nettement
décadence de l'Espagne
empires sont d'un
et aussi
et ses causes
;
Ruy
Blas n'a
largement
la
que Barberousse n'a
pu voir aussi
xiip siècle
l'homme
l'Allemagne du
;
qu'ils n'eussent pas faits aussi
beaux
Hugo.
Mais, en général,
suffisamment à
la
suffit
il
que ces morceaux tiennent
trame du rôle
et enfin ce sont
détail est
d'ailleurs
situation de
mort des réflexions philosophiques habil-
beaux vers
sans Victor
déplacés,
la
Marion de Lorme (vi, 8
v, 4),
Didier trouvent tous deux sur la misère de
et sur la
lées de bien
dans
clair
que, dans
;
l'Angely et
de
ŒUVRE
LA MISE EN
272
ils
;
ne semblent pas trop
de grandes beautés. Le lyrisme
une façon d'agrandir
souvent
au bout d'un
siècle
on ne
drame
le
saisira plus
guère
;
le
caractère lyrique de bien des morceaux.
Malgré leur antiquité
vous découvrirez
relative,
autant dans les classiques ce lyrisme de détails
tout
et d'allusions,
qui tranche encore sur l'anachronisme général des passions
et des
mœurs. Voici, par exemple, des réflexions sur
d'un grand empire
la
chute
:
Je songe quelle
autrefois
était
cette ville
Si superbe en remparts, en héros
si fertile,
Maîtresse de l'Asie, et je regarde enfin
Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin.
Je ne vois que des tours que la cendre à couvertes,
Un fleuve teint
de sang, des campagnes désertes
Est-ce Pyrrhus qui parle
ici,
verse cette larme sur la misère
Quand Néron
offre à
ou
le
!
poète, qui à ce
humaine
moment
?
Junie d'être sa maîtresse et qu'elle
déclare n'avoir mérité « ni cet excès d'honneur ni cetteindignité », n'est-ce pas d'un bout à l'autre, dans les quinze
vers qu'elle prononce, une favorite vertueuse de Louis
qui refuse
la
place de la reine,
autre, enfin, remplit la majesté
?
cette place
celle
De
de Louis
XIV
une
»
Est-ce Bérénice qui dépeint la grandeur
Racine
« dont
de Titus ou
XIV ?
cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur ?
Tes yeux ne
sont-ils
pas tout pleins de sa grandeur? etc.
LE LYRISME
et croit-on
que
les
273
contemporains, quand
cette tirade, n'applaudissaient pas le roi
Agrippine
applaudissaient
lui-même
à Auguste, ces
quand
elles font,
deux fameuses prédictions d'opprobre indélé-
de gloire immortelle
bien quelle guerre
il
?
Est-ce Mithridate qui voit
Rome ? Est-ce
faut faire à
ou un janséniste qui disserte sur
que Victor Hugo, car
grâce?
la
masque de tous
ses princes,
toutes ses héroïnes.
La
le
grand
roi
Vallière, la
même
C'est
si
Polyeucte
Racine mérite autant l'épithète de lyrique,
sens,
?
un peu trop étudié
Tune à Néron, l'autre
et Livie n'ont-elles pas aussi
l'histoire à l'avance,
bile et
ils
dans ce
perce sous
le
Montespan, sous
abuser du droit qu'a
le
poète de se substituer lui ou son époque au personnage et
au temps
qu'il représente,
Tu
que de
faire parler
Néron
ainsi
:
sais bien, Narcisse....
le
Et c'est cette vertu, si nouvelle à la cour,
Dont la persévérance irrite mon amour.
Quoi
!
Narcisse, tandis qu'il n'est point de
Que mon amour n'honore
et ne
Qui, dès qu'à ses regards elle ose se
Sur
ou de
Louis
le
cœur de César ne
lui faire dire
XIV
Vallière
les
fier,
vienne essayer....
à Junie ces galanteries
fait sa
Romaine
rende plus vaine,
si
délicates
déclaration à l'humble et douce
où
La
:
Quoi
madame, est-ce donc une légère offense
De m'avoir si longtemps caché votre présence?
Pourquoi, de cette gloire exclu jusqu'à ce jour,
M'avez-vous sans pitié relégué dans ma cour?
!
Ecoutez encore Racine
:
ne dirait-on pas qu'il prêche
chute à celles qui résistent encore
Et
je
la
:
vous nommerais, madame, un autre nom,
Si j'en savais quelque autre au-dessus de Néron...
Bérénice demande à Titus un simple soupir, Bérénice,
c'est-à-dire
M
llc
Mancini, ou
LE DRAME ROUANT.
quelque autre
:
\8
LA MISE EN ŒUVRE
274
Ah
Un
Titus, car enfin l'amour fuit la contrainte...
!
soupir,
un regard, un mot de votre bouche,
Voilà l'ambition d'un cœur
comme
le
mien...
Je ne parle pas d'Esther pour les allusions
Théramène pour la complaisance des détails
J'aurais aussi trop beau jeu
3i je
montrais
dans certains caractères de Corneille, quand
une
est
série d'études
du
le
récit
de
défaut d'art
le rôle
personnage sur
force remarques philosophiques, ou bien
du
et
lyriques.
tragique
lui-même avec
une
suite de plai-
un enchaînement de conversations élégantes, ingénieuses, calquées sur
celles de l'hôtel de Rambouillet, où l'on cherche le fin du
doyers
fin
;
subtils, qui fait
témoin
souvent de
la tragédie
Sabine d'Horace qui pourrait être
la
si
tou-
chante, et qui disserte tant avec des refrains formules où
l'on voit clairement l'excès de ce
nalyse
psychologique.
Ces
système, abusant de
personnages
qui
l'a-
raffinent,
creusent, argumentent, annoncent qu'ils vont exposer l'état
de leur
âme
et
moralisent avec des sentences générales, ont
des défauts aussi visibles que les héros romantiques.
En somme, le lyrisme, dans la conception du drame, est
un plus grave défaut pour le théâtre romantique que le
lyrisme dans les détails. Le grand tort d'Hugo a été, là
encore, de se laisser duper par les formules
;
il
n'a pas vu
du drame était d'être le drame de la consoutrer la formule
s'il était bon de ne pas
psychologique, de mêler un peu, comme Shakspeare, le
drame de la vie à celui de l'âme, il ne fallait pas subordon-
que
la noblesse
cience; et que,
ner
le
second au premier. Voilà en quel sens être lyrique
constitue pour le
drame romantique un vice fondamental.
LE MÉLODRAME
275
II
Le mélodrame
est,
dans
grave défaut que le lyrisme,
C'est toujours
le
un plus
mélodrame vient du lyrisme.
théâtre romantique,
le
et le
poète qui substitue le tableau de la vie exté-
rieure à celui de l'âme.
ce tableau de la vie
Quand
il
quand
extérieure,
vues philosophiques sur
la vie,
corse trop pour la foule
étrange, semée de périls et de coups
mélodrame.
Un
mélodrame,
à des
substitue
il
des inventions qui font la vie
c'est
de surprise
un drame dont
:
il
y a
l'intrigue
les
passions
surexcitées, le style emphatique et favorable à la
déclama-
ténébreuse,
est
tion vibrante
ment sur
Il
;
les
situations
inattendues,
en un mot, un drame
fait
pour agir violem-
du spectateur.
les nerfs
a existé un genre de mélodrame qui fut dès
le
xvin*
un mélange de tragédie, de drame bourgeois, de
comédie, de musique et même de danse, avec son affreux
tyran, sa victime persécutée, et son tendre amant, avec
son dénoûment moral, où le vice est puni et la vertu récom-
siècle
pensée.
un autre mélodrame qui n'est que
premier transformé par le romantisme, mais conservé
Il
le
existe aujourd'hui
dans ses éléments essentiels parce
même
qu'il a
toujours eu le
public, et qu'il faudra toujours au peuple illettré cette
grossière pâture d'émotions violentes.
gues en abandonnant
On
a varié
les intri-
le tyran classique et la princesse per-
sécutée pour les grands scélérats du couteau, du revolver
ou du poison, pour
les
grands manieurs de lame
de duels, et aussi pour
les
pièces à spectacle
et
où
coureurs
l'on voit
des espions, des traîtres, des régiments qui défilent à cheval,
des batailles qui remplissent
et
le
théâtre d'une odeur de poudre
d'un fracas de mitraille.
Le mélodrame
avait toujours joui des libertés que récla-
LA MISE EN ŒUVRE
276
mait
draine romantique
le
modèle que
sorte de
yeux
les
:
ils le
aussi le
:
mélodrame
était-
une
il
poètes romantiques avaient sous
les
drame a
regardèrent trop. Le
fini
par res-
sembler au mélodrame.
Le mélodrame chez Hugo ne se présente pas seulement
accident le mélodrame se trouve souvent à l'ori gine même, à la racine du drame.
Le mélodrame naîtra tout d'abord de l'antithèse l'op-
comme
;
;
position violente de
deux personnages trop
produira, n Ain si opposer
n'était pas
seulement
pour braver
le roi, le
sa
cette
passion
cette
du
;
faire
le
dans Hernani
bandit au roi
dominer,
faudra que
il
le
bandit à la hauteur
même Y il y
touchent au mélodrame par l'excès
quelque chose de mélodramatique aussi à montrer une
noble éprise d'un bandit
ciales!
le
;}}e
existe déjsty
drame,
il
et
une duchesse
La scène où
a
fille
la pas-
les barrières soil
y a trop
loin,
Triboulet s'emporte
contre les seigneurs et se hausse à leur
taille
à force d'in-
dignation est très belle, parce que précisément
par
de
est vrai, vit
ne pas connaître
mais entre un bandit
mélodrame
;
bandit outre
le
outrée, cette haine surexcitée,
passion
sion, dont le propre est de
le
une antithèse trop peu naturelle
grandeur d'âme, qui haussent
roi,
différents
il
les
amuse
pour eux, ne sort pas de son rôle, mais il y a déjà
tendance au mélodrame quand Triboulet crie en parlant du
roi,
là, et,
en
s 'installant
dans
le
cabinet du roi
:
Dites-lui de ne pas entrer, que je suialà,
quand il se place dans le
M. de Cossé, qui n'est pas
du
fauteuil
M'avez-vous entendu, monseigneur
et le
mélodrame s'accentue au
V
e
quand
roi,
son ordre
sorti sur
il
dit
à
:
?
acte,
quand
croit mettre le pied sur le cadavre
du roi
heureusement d'une beauté étrange
et puissante
;
la
le
bouffon
situation est
;
mais pour
LE MÉLODRAME
arriver à ce résultat
pied, quels ressorts de
Quand
l'antithèse
:
277
un bouffon tenant le roi sous son
mélodrame mis en œuvre
!
violente
se
non plus entre
mélodrame naît
trouve,
deux personnages, mais dans un seul, le
encore. Lucrèce Borgia est un monstre plein d'amour soit,
mais le contraste de ce monstre et de ce sentiment si pur
est mélodramatique
l'émotion chez une pareille femme
;
;
comme une note fausse, en dépit de l'auteur
moyen de toucher doit être rangé parmi les moyens
détonne
et ce
;
mélodramatiques.
D'autres héros romantiques sont encore mélodramatiques
sans être constitués par une
dans
antithèse
l'allure trop heurtée et trop forte
avons déjà vu que
roi prête
le
de
la
passion.
Hernani opposé à
rôle de
au mélodrame par
mélodrame
le
;
l'antithèse
;
le
est
Nous
du
celui
caractère
même
d'Hernani y prête aussi par ce fait que les passions fortes
se trouvent dans un bandit. Le héros tragique peut vouloir
enlever une femme,
il
l'emmènera dans un palais
héros de mélodrame, étant bandit, l'emportera dans les
tagnes au milieu des balles
souffrir, désespérer
;
furieux et des éclats
et Didier, ces
;
Hernani
le
le
héros tragique peut aimer,
bandit a des élans d'amour
de colère
épouvantables.
héros sombres, emportés,
mélodrame par
le-
;
mon-
fatals,
Hernani
touchent au
l'excès de leurs passions, par leurs
atti-
tudes théâtrales, par leurs éclats de voix, par leurs subites
fureurs et leurs abattements excessifs.
Le mélodrame
est ainsi
la source
de graves défauts
;
il
en produit de plus graves encore.
Le
théâtre romantique offre souvent
matique de
tions
de
la vie
un tableau mélodra-
par l'excès du mouvement, les complica-
l'intrigue, par l'abus
du tragique,
des idées de
mort, des duels, des empoisonnements, des assassinats.
Le théâtre
classique se contentait, pour représenter les
luttes de la vie morale, d'un
petit
nombre de
situations et
d'une intrigue simple qui presque toujours peut se résumer
LA MISE EN ŒUVRE
278
en deux mots
Quels sont
en
pièce
la
:
les faits
d'une crise.
est l'exposé
effet
matériels du Cid?
Une
dispute,
un duel,
où succombe le père de Chimène, le récit de la bataille qui
a fait de Rodrigue le sauveur de l'Espagne, la démarche de
Chimène et le jugement du roi. Dans Horace ? le récit du
combat,
meurtre de Camille
et le
:
hors ces deux
faits,
ce
ne sont que des événements moraux. Pour exposer la lutte
du devoir et de la passion, il suffit à Corneille d'un malheur
changement de
qui sépare deux amants, d'un
détache Polyeucte de ce monde.
Il
religion qui
faut plus de quelques
mots pour exposer les sujets romantiques.
Le mélodrame s'y épanouit partout souvent
;
les mille
il
forme
de l'action laborieusement tissée. Ce n'est pas
fils
assez que des passions d'exception se développent dans des
étranges, tous les incidents
circonstances
Le
dinaires.
inquiété
mystère,
pour
les
spectateur est
par
stupéfié
,
les
déguisements,
le
comme Hernani,
conduits
par
comme
fortune
la situation
s'y
des
cachent
mari ou
reste
de
comme
Didier,
ouvrent toutes
les
Rodolfo chez Catarina. Les rois en bonne
dans
des
le
tuteur qui
armoires
nuit.
la
rivaux
et, surpris
grand bruit avec
lui, et se
Le s am ants,-
les
;
même,
arrive à
^flambeaux et valets, se jouent de
/le
première .inventée
par la fenêtre
inconnus qui
s'y battent en duel chez leur maîtresse
le
le
spectacle
yeux.
portes,
par
surpris,
l'inconnu,
poète, pénètrent chez leur maîtresse par des portes
dérobées
ou
extraor-
instant
,
les substitutions,yle
Les amants, par suite de
par
chaque
à
merveilleux
le
sont
tout
font héberger
le
monde
s'y
déguise. Hernani, grand seigneur déjà déguisé en bandit, se
dérrmàfl^nj)^r[n_j2nur péné t rer chez don Ruy,
le roi enjjanplil,
N
-
en
pour -Uv4aire^échapper,
conspirateur.
revient de
Don Ruy
l'enfer ».
comédiens pour
fuir
se déguise
il
il
déguise
se déguise encore
en masque
« qui
Didier et Marion sont déguisés en
la
maréchaussée
;
Saverny
fait
le
LES ACCESSOIRES DE MELODRAME
279
mort, et se déguise en officier du régiment d'Anjou avec
un emplâtre sur
pour suivre
lieux
chez
aller
François I er se déguise en écolier
;
femmes
les
Triboulet
;
pour
l'œil
et
pour
bouffon
le
à moins
lui,
dans
aller
déguise
se
que
en
bourgeois
bourgeois Triboulet
le
ne se déguise en bouffon pour paraître à
la cour
Blanche
en jeune cavalier pour sauver son amant et se
se déguise
courir après son
fils,
;
Lucrèce Borgia se masque pour
tuer à sa place.
faire
mauvais
les
don Alphonse
et
se
masque pour courir
après Lucrèce Borgia.
Dans Marie Tudor, l'homme condamné à mort
entier caché sous
un
voile noir
;
est tout
uns croient que c'est
les
Fabiani, les autres que c'est Gilbert, et tout l'intérêt du
Quand
dernier tableau repose sur ce tour de passe-passe.
Ruy
il
Blas paraît en laquais de don Salluste, pour lui-même
est déguisé
herbe porte
première
c'est la
:
la livrée
;
il
l'est
homme
que grand
fois
en
aussi pour le spectateur qui, à
son langage, ne prend pas une minute cet homme-là pour un
laquais. Bientôt
Ruy
don Salluste
Blas reprendra au
mourir
à
;
quoi bon
Ruy
Blas
grand
homme
— car
le
qui
V
e
acte
la fatalité
—
le
de robe noire qui
le
pour
laquais
ministre, c'est
de sa naissance
dissimule ou
le
aussi,
;
a recours à ces petites
com-
est couvert
d'une sorte
le laisse voir
suivant le
costume de laquais
le
de laquais
n'est pas le
ce
s'empoisonne, c'est
victime de
en César de Bazan.
la livrée
d'ailleurs ?
drame romantique
binaisons,
l'habille
besoin.
A
côté des déguisements, les portes secrètes et masquées,
lesarmoiresjouentun rôle considérable dans Lucrèce Borgia ,
Angelo,
Tout
peut
même
les drames en
du mélodrame,
dans
l'outillage
saisir les nerfs,
effrayer
faisant la
le
vers, Uernani,
Ruy
c'est-à-dire tout
Blas.
ce qui
tout ce qui peut assombrir le drame,
spectacteur
comme on
grosse voix, se trouve dans
un enfant en
drame romantique
effraie
le
;
on y voit des conspirateurs entrer « en grands manteaux,
280
LÀ.
chapeaux rabattus
»,
MISE EN
ŒUVRE
dans
ténèbres
les
un domino
;
noir
masqué traverse un bal, s'arrête immobile quand on lui parle
on voit dans ses yeux « luire une flamme », il répond
;
d'une voix
sépulcrale
«
V
e
qu'on
autant
Le Roi
le
peut dire
».
amuse ne sont qu'un long
Le IV*
la
masure de Saltabadil de
représente
théâtre
mélodrame. Le
façon qu'on voie du dehors tout ce qui passe au dedans il
et le
acte do
s
;
y
a deux lieux sur la scène en
même
temps, et
même
trois,
car la masure a deux étages et nous voyons ce qui se passe
dans tous
les
deux. C'est un décor que
laisser au mélodrame. Bientôt
complique d'orage
tissent,
ciel se
le
et d'éclairs, des
le
drame eût dû
couvre, la nuit se
coups de tonnerre reten-
dans ce milieu effrayant se passe une action épou-
vantable
;
le
bandit aiguise son couteau pour frapper l'hôte
qui frappe à la porte
;
on voit Triboulet venir
et le bandit
lui passer un cadavre empaqueté dans un, sac
piétine sur ce sac qui contient sa
La
lueur des éclairs.
besoin, quelque
fille.
Il la
Triboulet
;
reconnaît à
la
tragédie, on peut l'affirmer, n'a pas
système qu'elle adopte, de ces horreurs.
Elle n'a peut-être pas besoin non plus des cinq cercueils,
du drap noir, des pénitents, des cierges de Lucrèce Borgia,
du cortège funèbre de Marie Tudor. Une fois dans cette
faut que les plus grands spectacles
voie, elle irait loin. Il
de
la
tragédie soient les passions et l'intérieur de l'âme.
Le mélodrame
pas
aller l'y
est quelquefois
prendre. Ainsi
dans
mais pourquoi l'auteur
choisit-il ce lieu et ce
drame dans Angelo,
aux mains de Venise,
mais
il
ne faut
du mélodrame peut
cause du lieu et du temps,
paraître à sa place dans A?igelo, à
vrai
la vie,
l'appareil
temps
?
Le
ce n'est pas sa situation de podesta
celle
qu'il
expose dans
la
première
journée, mais sa situation de mari jaloux, altéré de punir
une femme
qu'il
croit
la porte secrète, la clé
Dix,
si
terrible qu'on
et les allées
et
coupable.
A
quoi donc
de Tisbe, l'homme du
meurt presque pour
venues à travers
les
servent
Conseil des
l'avoir regardé,
murailles
?
Tout cet
LE PERSONNAGE DE MÉLODRAME
SIMON RENARD 281
:
appareil n'est donc qu'un accessoire mystérieux et effrayant,
pour
bon
la
du boulevard à
foule
romantique a trop
que pour dénoncer Catarina,
laquelle
Homodei
sacrifié.
elle
drame
drame
le
n'est dans le
pouvait être dénoncée autre-
ment. Le mélodrame enlevé dans Angelo,
ne reste qu'une
il
intrigue bourgeoise assez pauvre, rien d'héroïque duns les
passions, rien qui exige des héros historiques
billot, la
hache, l'espion,
portes secrètes
les
le
;
:
poison, le
déguisement
de cavalcade jeté sur une action trop nue.
III
A
côté des accessoires de mélodrame,
de mélodrame dont
le
ya
il
le
personnage
théâtre romantique a souvent fait
usage.
Le personnage de mélodrame
c'est
l'homme providentiel ou
poussé par
le
est
ou bon ou méchant,
Le
le traître.
traître, l'espion,
ressentiment et poursuivant ténébreusement
son œuvre de vengeance, a
autour desquels
meut
se
saisi
tou3 les secrets de
haine
sa
a la clef de toutes leurs portes.
vie,
il
est
un homme de cœur qui
s'est
sait
il
;
les
leur
donné une tâche, une
fait
servir
à
procédés que l'autre applique au mal.
Ce personnage ténébreux
il
ceux
L'homme providentiel
réparation à faire, un crime à punir, et qui
une œuvre bonne
toute
aide aussi beaucoup
le
fait
un grand
effet sur la foule,
poète embarrassé de son exposition
en venant dire à un autre personnage
vous appelez ainsi, vous avez
:
«
fait ceci et
Je
sais tout,
vous voulez
vous
cela. »
Simon Renard, par exemple, dans Marie Tudor est
l'homme profond qui mène toute l'action comme un dieu
invisible. Il tient les fils do l'intrigue, et combien compliquée
de
!
la
pagne.
Légat de l'empereur
reine d'Angleterre
Or
la
à Londres,
il
représente auprès
son futur mari,
reine a un amant,
le
prince d'Es-
Fabiani. Cet aventurier,
LA MISE EX ŒUVRE
282
Simon Renard
Comment
voit tout,
il
doit
détruire.
le
Comme
prend-il ?
s'y
sait tout,
il
Tout
sujet
le
est présent partout, et
il
est
là.
Dieu, tout simplement
;
ourdit
il
une machine compliquée comme un univers, qui s'appelle
l'intrigue romantique.
Nous
à
Il
voyons d'abord, préoccupé de son œuvre, errer
le
recherche d'un homme, l'homme «
la
comment
cherche,
le
?
En
se
difficile
à trouver ».
promenant
nuit.
la
Voici ce qui se passe sous ses yeux, fort à point. Paraissent
Simon Renard
l'ouvrier Gilbert et sa fiancée, Jane.
tout, entendtout.il entend
que
que Jane ne l'aime qu'à moitié.
la vie et
pour
se
mêler à
effrayantes et
la
apparaît
Il
conversation, prononcer des paroles
disparaître.
de Lorme, pareil
voit
donc que Gilbert aime Jane plus
Ainsi l'Angely dans Marion
à ces diables qui sortent d'une
boîte,
pour prononcer d'une voix lugubre quelque
se dressait
Jane ramenée chez elle, Gilbert est
abordé par un mendiant juif, autre personnage de mélodrame notez bien que Simon Renard invisible voit tout,
entend tout. Ce Juif de mélodrame rôde, lui aussi, pour une
prédiction fatale.
;
œuvre ténébreuse,
de chacun.
maison
éloigné
la
aussi sait toutes les petites
et d'accourir s'il
entend crier main-forte. Gilbert
raconte sa propre histoire à
Madrid
et
;
il
affaires
autour de sa
veiller
de quelques pas, survient Fabiani
cient lui
Naples
lui
ordonne à Gilbert de
Il
raconte
même
lui
;
le
Juif omnisdepuis
Fabiani,
ce qui se passe dans
conscience de Fabiani, puis l'histoire des biens de lord
Talbot que
Fabiani
dont Fabiani
sait la vie
de déshonorer
son rang
papiers,
;
s'est fait
donner,
mystérieuse, et qu'il est en
afin qu'elle
ne puisse jamais
enfin, et c'est là l'important,
constatant
la
de Jane
l'histoire
naissance
de
il
lui parle
Jane, que
espère perdus à jamais, mais qu'il voudrait,
les
produire lui-même au
s'ils
moment
de ces
Fabiani
existent
encore, avoir en sa possession pour les empêcher
produire ou
train
remonter à
de se
favorable,
LE PERSONNAGE DE MÉLODRAME
Or
afin d'épouser Jane.
pour
les
ces papiers, le Juif les a
mais que Fabiani peut
seing donné par
donner en
lui
reine à Fabiani
pour garder blanc-seing
Fabiani,
trouve pas
les papiers
;
jetés loin
le
de lord Talbot,
fille
de
lui dit
lui et
comme preuve
d'amour.
et papiers, le tue, et
ne
temps de
lui
apprendre que
montre
les
papiers qu'il a
lui
:
Venge-toi
comprendra quand Fabiani, après
lui le
donnant certain
lui
Juif mourant appelle au secours,
le
Gilbert survient, l'homme a
est
vient
royale,
Juif connaît aussi l'existence, blanc-
le
la
il
;
somme
vendre contre dix mille marcs d'or,
blanc-seing, dont
Jane
SIMON RENARD 283
:
cadavre à l'eau, voudra
ce que
!
Gilbert
l'avoir forcé à jeter avec
chasser pour entrer chez
le
Jane. I/explosion de fureur de Gilbert inquiète Fabiani,
qui a pris parti
;
donne à Gilbert sa
il
entre chez Jane, Gilbert ramasse
clé
poignard de Fabiani,
le
comme dans
accessoire qui va bientôt être utile, et
espoir
il
s'écrie
ma
pour que Gilbert
son dés-
Qui veut me venger de lord Cambrassil
:
Simon Renard
qui, « faisant un pas », dit fort à point: Moi
Et il emmène Gilbert. Or vous saurez que Simon Renard a ourdi
à l'instant tout un plan ténébreux suggéré par le dieu du
mélodrame il dénoncera à la reine la trahison de Fabiani,
et
prendre
vie
pour paiement
?
survient
!
:
la reine
voudra
se
venger par
la
mort de Fabiani, une sé-
duction n'est pas un crime suffisant pour
un crime de lèse-majesté
soufflera ceci à la reine
honneur pour
sa
;
;
c'est alors
le
perdre,
il
faudra
que Simon Renard
Gilbert abandonnera sa vie et son
vengeance; on
lui fera
sassin aposté par Fabiani pour tuer
jouer
la
reine,
le rôle
il
d'as-
accusera
Fabiani, tous deux seront mis à mort. Ce plan compliqué
se
réalise
en
effet,
et
le
par Gilbert jusque chez
poignard de Fabiani, conservé
la reine,
sert de
preuve décisive (?)
œuvre»
contre Fabiani. Mais
Simon Renard
Fabiani condamné,
reine contre tous veut
la
croit pouvoir se fier à
pleins pouvoirs
;
or
n'a pas fini son
le
Jane qui aimait Fabiani
Jane
fait
sauver, elle
et lui
donne
évader Gilbert au lieu
de
LA MISE EN ŒUVRE
284
Fabiani avec
la
complicité de maître iEneas.
la
qui a compris
promesse de
apaiser
Fabiani pour cette nuit peut seule
tête de
la
mais
;
a rendu
reine
la
Simon Renard,
delà reine, excite une émeute que
la faiblesse
de maître iEneas
la tête
responsable de celle de Fabiani, et maître iEneas a rappelé
le batelier
qui sauvait Gilbert.
qui est sous
de ce
le
En
que
sorte
c'est Gilbert
A
drap funèbre. Mais est-ce Gilbert ?
moment on ne comprend
plus rien.
partir
semble que
Il
Simon Renard, qui soupçonne Gilbert sous le voile, et
qui sort en disant
« Voyons donc », ait fait opérer une
:
dernière substitution, et fait placer en effet Fabiani sous ce
fameux
voile, car
Simon Renard,
avoue à
le
c'est
en
deus
eût
la reine qu'il
effet
Fabiani qu'on exécute, et
machina,
a tout
quelle
et
machine
comment
conduit. Mais
que Jane croie avoir reconnu Fabiani sous
fait-il
de
et parle
Gilbert qui
la
voix de son cœur,
marchait à
passe-passe qu'opère
tisme, le lecteur
la
que
alors
mort, avant
Simon Renard
?
y perd son latin et
le voile
c'était bien
dernier tour de
le
Mystère
le
!
se
et
roman-
spectateur encore
davantage.
Don
nard
Salluste,dans Rxiy Blas,esï
il
;
c'est la
un plan
quintessence du
conçoit
d'aussi
traître.
le
pendant de Simon Remais pour
loin,
le
mal
n'a créé de personnage mélodramatique
aussi invraisem-
blable. Il veut perdre la reine qui le chasse et fait venir
César pour
Il lui
«
lui
proposer d'aider à
propose de
lui
la
invraisemblable que
reine lui
inspire
cette
et
Ruy
fait le valet
fois
don
venger d'une femme.
de refaire de
» César refuse
Salluste entend la conversation de
le récit
le
payer ses dettes,
un beau seigneur d'amour.
:
Jamais Dumas lui-même
;
lui
mais quand
Blas et de César,
de son amour pour
un plan bâti de toutes
pièces. Voici ce plan.
Se servir de ce valet ambitieux qui aime
la reine, le faire
passer pour don César, qu'il va faire enlever et vendre aux
corsaires d'Afrique, le pousser en cour, faire de lui l'amant
LE PERSONNAGE DE MÉLODRAME
SALLUSTE
:
285
de la reine, surprendre la reine dans une situation
déshonorée. Le
qu'elle soit
Ruy
aimera
et
moyen
bourg qui
Ruy
Blas ne
donc que Salluste
que Salluste puisse
Ruy
écrire par
maison du fau-
démon
le
de portes
et
dans
et tiendra
d'Espagne déshonorée. Mais ce rendez-
ses griffes la reine
vous,
comme
là
Ce rendez-
palais.
la petite
pleine de trappes
à Salluste,
est
secrètes. Il arrivera
du
sortir
donné dans
faut qu'il soit
il
elle
Blas assez pour se rendre à un appel pressant
commettre l'imprudence de
vous,
telle
quand
survenir,
?
le
donnera pas, car
de
n'ait plus besoin
faire venir la reine.
il
lui
aimera.
Il
faut
l'heure venue
Comment
Blas, secrétaire inconscient, ce
fameux
billet
adressé, dit-il, à dona Praxedis, et qu'il fait signer César
mais
Ruy
si
Blas,
une
?
cusable
;
;
grand d'Espagne, ministre peut-
ne reconnaissait plus Salluste pour son
être, refusait d'obéir,
maître
fois
;
fait
Il
?
Il
faut donc avoir
et
il
fait écrire et
contre lui une
Ruy
signer à
preuve
irré-
Blas cet étrange
où Ruy Blas se reconnaît laquais et s'engage à servir
son maître en bon domestique. Dès lors, le marquis de
billet
Finlas tient tous
les fils
dans sa main. Les personnages ne
sont plus que des pantins qui lui
venu ministre
se
amant de
et
montrer pour tout
laquais,
il
refera
Il est inutile
un
reine,
la
faire crouler
laquais
obéissent.
il
;
Ruy
Blas dede
suffira à Salluste
il
a
fait
un prince du
du prince.
de faire sentir l'invraisemblance.
pas de scélérat capable d'ourdir en
n'est
Il
un moment une
pareille
trame, de tout prévoir et de tout préparer d'aussi
loin.
Les mesures de Salluste sont trop bien prises
croit
pas un instant que
Ruy
;
il
ne
Blas s'oppose à ses desseins, et
il
a tort.
Ce plan ne s'accomplit pas
traverses qui constituent
imprévue de César,
par Guritan
;
le
d'ailleurs sans de
nombreuses
quatrième acte. C'est l'arrivée
l'idée qu'a
Ruy
Blas de prévenir la reine
mais tous ces incidents ne sont
compliquer l'intrigue et amuser
la foule.
là
que pour
Ce IV e acte
est
du
LA MISE EN ŒUVRE
286
grotesque pur, un intermède où se joue l'habileté éblouissante du mélodrainaturge et la verve étincelante du poète,
non
sans inconséquences
seconde
fois, le
Enfin
pourtant.
arrivera à temps pour tout réparer
;
don
Salluste
César escamoté une
drame, arrêté pendant un acte, marchera
le dénoûment, dénoûment encore plein de surprises.
Pur mélodrame. Dès qu'il faut rattacher à la réalité cette
histoire merveilleuse de valet amant d'une reine, l'invraisemblance éclate de toutes parts. C'est un rêve de poète
qu'on a par force encadré dans une intrigue de Ponson
du Terrail.
Homodei ressemble beaucoup à Salluste, dont il est une
vers
première ébauche. Ce sbire, qui a
vainement poursuivi
Catarina de ses déclarations, a juré de se venger.
veut
Salluste
deshonorée,
que
d'Espagne
reine
la
Homodei doit arriver à
amant par son mari
surprise avec son
soit tuée
par
son mari,
il
veut
que Salluste cherche surtout
Il s'agit
chez
la
le
ce
;
soit
Comme
surprise
que Catarina
mais
il
et
soit
veut qu'elle
vengeance même, tandis
plaisir
de
la
vengeance.
donc pour perdre Catarina de conduire Rodolfo
elle, et
de
surprendre par son mari
la faire
;
mais
c'est
un peu simple pour des gens de Venise. Homodei trouve
bien plus intéressant de
mettre
les
les faire
deux rivales aux
Homodei en
surprendre par Tisbe, de
prises.
Tisbe appellera Angelo,
est sûr, et Rodolfo ne
pourra plus s'en
aller,
car Homodei, espion du Conseil des Dix, connaît un passage
secret par lequel
enseigner
le
il
conduira Rodolfo chez Catarina sans
retour.
lui
Homodei aborde donc Rodolfo, avec
Vous vous appelez Rodolfo, vous
l'indispensable exorde
:
le plan d'Homodei manque une première fois par le crucifix qui sauve
Catarina. Homodei lui-même est assassiné (il faut bien
se débarrasser de lui dès ce moment), mais il a le temps
voulez ceci, vous avez fait cela, etc.. Mais
de faire parvenir au podesta un
billet
de Rodolfo à Catarina.
Fureur du podesta. Appareil mélodramatique d'une ven-
LE TRAITRE DE MELODRAME
HOMODEI
'.
287
chambre de
Catarina transformée en chambre ardente. Mélodramatique
geance de podesta,
encore
le billot et la
hache dans
procédé qu'emploie Tisbe pour sauver Catarina
le
ce narcotique qui la fait passer pour morte
ne
soupçonneux,
si
Comment
lui a
accepte-t-il
femme
?
qui, sachant que le
nom
?
C'est bien le
de l'amant de sa
entre Roderigo et Pandolfo, ne soupçonne pas
flotte
ce Rodolfo
comment
poison de Tisbe, alors que Tisbe
le
raconté l'histoire de ses deux flacons
même homme
;
de sa vengeance
confie-t-il le soin
:
aussi tout cela
;
pas sans de grandes invraisemblances
va-t-il
Angelo,
la
qu'il connaît, le frère
prétendu de Tisbe.
IV
11
y
deux manières de comprendre
a
surprendre
le
l'intérêt tragique,
spectateur ou l'émouvoir.
Prenons un exemple la situation de Mérope levant la
hache sur l'étranger qu'elle ignore être son fils. Le poète
:
tragique a
le
choix entre deux
spectateur ne sait pas non plus
Mérope,
et
Mérope
;
ou
sur son
fils
motion
est préférable
il
n'est
il
le
point ému, mais
sait,
qu'elle ne
spectateur n'en sera
genres d'intérêt
qu'Egisthe est
et
il
voit
;
pas moins
est évident
il
la surprise
et
:
ému
ou
le
de
sera surpris avec
une mère lever
connaît pas
à
il
:
le fils
la
hache
que
l'é-
remarquez que
par
le
surprise de
la
Mérope.
Aussi
le
théâtre antique ne changeait pas
connues du spectateur dont
dents, était tout entier
l'esprit, tranquille
de ce que nous allons voir sur
Shakspeare
Hamlet
fait
?
légendes
sur
les inci-
aux passions analysées. Euripide,
qui change parfois la légende, nous avertit dans
dans
les
comme
un prologue
la scène.
l'antiquité.
Le spectateur ne
qu'ignorent les personnages de
la
Où
est
sait-il
pièce
?
le
mélodrame
pas d'abord ce
Ne
connaît-
il
pas
.
LA MISE EN ŒUVRE
288
les
meurtriers du père d'Harnlet
?
Le drame
est tout entier
dans l'âme d'Harnlet, sans autre incident que ses irrésolu-
Le roi tente un piège à Hamlet, il nous en prévient,
Hamlet flaire le piège et se méfie. Hamlet tue Polonius,
tions.
mais nous savons
Dans
comme
lui
que Polonius
duel nous savons à l'avance que
le
caché
était
poisonné. Quel imbroglio eût fait de tout cela
romantique!
De même pour Macbeth;
la
théâtre
;
vengeance arrive,
nous voyons
duel est
il
va se porter.
n'est point
un coup de
poète nous a transportés là
le
Dans
prépare.
elle
nous connaissons
le Ciel,
la
discussion naître,
le
même où
elle se
mariage projeté,
le soufflet venir.
pivot de toute une action morale.
le
théâtre
l'âme de Macbeth est
à nu devant nous, nous voyons à quel crime
Quand
le
là.
em-
le fleuret est
Un
seul
Dans Hernani,
ce ne sont que duels, surprises nocturnes, complots avortés,
conspirateurs arrêtés
bandits
,
courant dans
villes
les
Qu'est-ce que ce bandit, ce bandit plein d'honneur, aimé
dame
d'une grande
Nous ne
?
le
IV
saurons qu'au
e
acte
par un coup de théâtre soudain. Qu'est-ce que cet inconnu
qui se trouve aux
Gomez
?
prises avec lui,
Attendons
qu'il ait
Ruy
que surprend don
produit son coup de théâtre
en ôtant
le grand chapeau qui lui couvre le visage, ou le
grand manteau qui cache son costume Dieu le roi
Qui
sera empereur ? Nous ne le saurons, comme don Carlos
:
et
palpitant avec lui
,
qu'au
!
troisième coup
Qu'est-ce que ce pèlerin qui vient chez don
dons
qu'il ait
de canon.
Ruy
?
Atten-
encore produit son coup de théâtre en s'écriant
d'une voix « tonnante »
lus d'or ? »
!
Le
:
«
roi survient.
a une muraille à double
Qui veut gagner
Hernani va
ici
mille caro-
être pris
fond. Mais don
!Non,
il
y
Ruy, menacé de
mort par le roi, va vers son portrait, il va livrer Hernani ?
Non, il continue son discours. C'est le bal chez Hernani.
Quel
est ce masque sinistre ? Attendons
voici
le bal finit
époux tout à leur bonheur mais quoi, encore le masque?
Enfin nous allons le reconnaître. 11 est temps. Au denoû-
les
;
;
;
LES COUPS DE THEATRE
289
ment (ÏAngelo, nous ne savons pas que réellement Catarina
morte
n'est pas
du coup de
comme
nous avons,
et
théâtre. Qu'arrive-t-il
Rodolfo,
La
?
la surprise
surprise qui
nous
nous empêche d'être émus de l'émotion de Rodolfo,
saisit
qui nous intéressait seule,
du coup de théâtre
si
nous n'avions pas été stupéfaits
à une émotion
;
tragique on a substi-
tué une émotion mélodramatique. Ainsi,
de
lités
plus souvent, au
le
nous montrer des hommes aux prises avec
lieu de
poète nous
la vie, le
du
ces coups
sort
;
met nous-mêmes aux
les fata-
prises avec
ce n'est plus le contre-coup de l'émotion
du héros que nous ressentons, nous sommes nous-mêmes en
une émotion
proie à
grand but de
le
nous
dénaturent cette
égale, et ainsi se
douce terreur et cette
pitié
charmante qui sont toujours
La terreur devient
l'art.
réelle et l'angoisse
étreint.
Ce
n'est pas que les émotions vraiment tragiques
quent dans
scènes où
le
le
théâtre romantique
;
pathétique est grand sans
le
secours des sur-
prises et des coups de théâtre. Ainsi la belle scène
Carlos surprend
la
où don
conspiration est dramatique, et pourtant
poète nous a prévenus que don Carlos a découvert la
le
conspiration, au lieu
de
le
faire
apparaître
machina. Rien de plus dramatique que
de Lorme
en
s
man-
on y trouve d'admirables
a
et
il
pas pour
à
sons
nous dans
anxiétés
ses
au
V
e
V
e
soudain ex
acte de
n'y a pourtant aucune surprise
amuse où Triboulet cherche
même
le
sans
;
scène (III, 3) de
la
sa
fille
Marion
n'y
il
Le
roi
nous nous intéres-
:
partager son
De
ignorance.
poète s'est bien gardé de ne pas
nous prévenir du jeu de théâtre qui consiste à faire tuer
acte
?
le
Blanche par Saltabadil, lequel
du
roi
:
la surprise et la
moins tragiques
?
la livre
Bien au contraire
triomphe encore, nous
à Triboulet au lieu
douleur de Triboulet en sont-elles
:
alors
fou de vengeance, et qui piétine
le
misérable,
cadavre de sa
croyant frapper celui qui Fa deshonoré.
LE DRAME ROMANT.
que Triboulet
souffrons déjà pour ce
Si
nous
fille
en
étions
19
LA MISE EN ŒUVRE
290
surpris avec
stupéfaction tuerait l'émotion
lui, la
que Triboulet pleure,
lui,
Dans Lucrèce Borgia,
la
demander
sans
d'explications.
poète nous a une fois pour toutes
le
Gubetta, en sorte que partout où nous
édifiés sur
nous soupçonnerons un coup de
paraître,
nous
;
nous expliquer ce coup étrange, tandis
serions occupés de
la
verrons
le
Borgia
;
même
grande apparition de Lucrèce au dernier tableau a
De même nous pouvons
préparée.
de Gennaro, et surtout de
la
être
émus de
été
la surprise
douleur de Lucrèce, quand
les
jeunes gens la démasquent, parce que nous savons que c'est
Lucrèce
qui
l'a
naît
quand don Alphonse présente à Lucrèce l'homme
;
insultée sur le fronton de son palais, et qu'elle recon-
Gennaro, nous savons depuis longtemps que
pable était son
fils.
Dans
ces scènes,
le
le
cou-
poète a trouvé
le
vrai tragique. Pourquoi a-t-il ailleurs cédé au plaisir facile
d'étonner
la foule
Marie Tudor
Dumas
et
Han
est entré
dans
l'emphase,
le
le
né pour
le
mélodrame
que sont ses romans,
Déjà dans Henri III,
?
;
passion outrée, la férocité invraisemblable
la
soupçon,
ne font qu'un
;
la
fureur, la vengeance
ce sont coup sur coup
des apostrophes, des
cris furieux
:
«
Au
premier
toute prête
des exclamations,
Qu'est cela
?
Mille
damnations, ce mouchoir appartient à la duchesse de Guise
armes réunies de Clèves
Voilà
les
serait
venue
et
drame romantique avec
font du duc de Guise une sorte de possédé.
indice,
Pourquoi
sa cour.
était
un mélodrame perpétuel
sinon
?
d'Islande dans Hernani
?
Le mélodrame
Henri III
par des apparitions magiques
souvenu de
s'est-il tant
ici
!
Saint-Mégrin...
tu ne t'étais donc pas trompé
!
et de
!
Lorraine... Elle
Mayenne, Mayenne
et lui... lui...
Saint-Pol
!
!
DUMAS
Je
Saint-Pol
vais...
HENRI
:
!
III
ET SA COUR
Qu'on me cherche
291
mêmes hommes
les
qui ont assassiné Dugast. »
se
Il
femme avec une
conduit envers sa
brutalité qui
dément pas, et exprimée en termes exagérés qui font
justement le mélodrame « On connaît Henri de Lorraine,
ne
se
:
et l'on sait qu'il a toujours chargé son poignard de réitérer
un ordre de
pour
écrire
sa
bouche.
»
Saint-Mégrin
Il
veut forcer
un
billet
duchesse à
la
de rendez-vous qui
un guet-apens. C'est simple et primitif. Mais comment
Le farouche seigneur a du poison tout prêt,
est
l'y forcer ?
mais
la
duchesse accepte
serre le bras avec son
le
poison
que fera
;
gantelet
oie
obtiendra ce que n'obtient pas
la
idée de
mélodrame
le billet, il
en
nicus,
menace de
;
la
la
mort
Néron dans Britan-
cachant derrière une tapisserie, genre d'em-
prunt familier à l'auteur qui ne s'en défend pas dans
VII. Enfin
préface de Charles
le
duc de Guise,
fidèle
tempérament mélodramatique, non content de
son
:
se substitue
duchesse à envoyer elle-même
renouvellera le stratagème de
se
? il lui
torture
cette
l'émotion physiologique
à l'autre. Puis, forçant
duc
le
et
fer,
égorger Saint-Mégrin,
le fait étouffer,
la
à
faire
ironie sauvage, avec
la duchesse. En somme, ce n'est pas un
un fantoche. Qui dit caractère dit quelque
chose de vivant et de divers. Le procédé qui consiste, en
mouchoir de
le
caractère, c'est
toute occasion donnée,
à faire prononcer
plus cruelles, et commettre les actions les
res,
est
Les
les
paroles les
plus
sanguinai-
un procédé enfantin.
personnages
sympathiques
eux-mêmes des
ont
Le doux Saint-Mégrin se coupe
une mèche de cheveux avec son poignard ce poignard
habitudes de truculence.
;
avait déjà servi
de ciseaux au héros romantique,
élargir les boutonnières récalcitrantes
;
il
pour
lui sert ailleurs
de cachet (Antony).
Dans
et
le
mélodramatique,
au surnaturel
;
le
Dumas
magnétisme
va jusqu'au fantastique
et la
magie
lui servent.
ŒUVRE
LA MISE EN
292
Le rôle d'astrologue ou de Juif est une obsession du
drame romantique. Depuis qu'Hugo en a mis un dans
Cromwell, il n'y a plus de drame sans astrologue.
Ruggieri dans Henri III est défectueux en deux points.
Ruggieri
un vrai sorcier
est-il
?
Cette supposition est trop
enfantine pour le spectateur actuel.
comment
lit-il
pas sorcier,
S'il n'est
l'avenir ? Simple prestidigitateur,
pas digne du drame.
Cette
il
n'est
histoire de narcotique, de
lit
de repos qu'un ressort amène, d'alcôve ouverte aux yeux
de
Saint-Mégrin,
mélodrame
c'est
de
la
magie
aussi le truc enfantin
;
pur mélodrame
;
du mouchoir oublié par
duchesse, truc sur lequel repose toute l'action.
la
Les scènes où l'émotion physiologique est substituée à
l'émotion psychologique ont beaucoup d'action sur la foule,
c'est incontestable
et les
;
dramaturges romantiques,
pour une
par
ont été tentés
élite,
l'effet
sûr
écri-
foule que
vant, à une époque de démocratie, plus pour la
et brutal.
Ainsi la scène où la duchesse de Guise, pour empêcher
les
meurtriers d'entrer
pendant que son amant
passe son bras de femme, en guise de barre, dans
anneaux de
Au lieu
s'enfuit,
les
deux
porte, et se laisse affreusement meurtrir.
la
d'un mouvement de passion, nous avons un bras
bleui. C'est d'ailleurs
donner trop d'importance à une porte
fermée dans un drame sérieux.
Henri I1I}
tirant les
c'est
yeux
et
une intrigue mince en somme,
qui
historiques froides et
l'intrigue
même
force sa
femme
aime, et
,se
longues, sans
(1), laquelle se
à donner
un
autre rapport avec
réduit à ceci
(1)
:
un homme
rendez-vous à celui qu'elle
fait assassiner l'amant.
Dans Charles VII, les défauts romantiques
Le héros du drame, qui était dans Hernani un
drame
mais
détache sur un fond de scènes
Depuis le livre de Vitet, on croyait
et on en mettait partout.
l'histoire
se
corsent.
bandit, dans
indispensable au
DUMAS
:
RICHARD DARLINGTON
293
Notre-Dame un Quasiniodo, est, dans Charles VII, Yacoub,
un africain, un Antony arabe, qui lui aussi se croit maudit,
avec l'air fatal du fils dont la mère est morte en le mettant
au jour. Cet
air fatal et sa cause
une invention de
sont
Chateaubriand qui eut toute une fortune.
Richard Darlington
un mélodrame d'un bout à l'ausimple un homme ambitieux et qui
est
La donnée en est
commet tous les crimes pour arriver
tre.
:
tout d'une pièce encore,
Monaldeschi
;
comme
à son but, personnage
duc de Guise, comme
le
puis sa victime, qui est sa
et le
personnage
actes
du premier, qui
si
femme,
ses dupes,
cher au mélodrame, qui suit tous
les
mène tout. Il ne
grand crime commis sur la
sait tout, voit tout,
peut cependant empêcher
le
victime innocente. Pour surcroît de mélodrame, ce person-
nage
est le père,
inconnu, de
Richard Darlington,
père, qui cherche à prévenir les crimes de son
parti pour la victime, use
Richard,
il
se
démasque
du
;
seul
moyen
où ce père, encore amant de
deux
de punir
bourreau de Londres
c'est le
L'effet, d'ailleurs, est produit
qu'il ait
et ce
prenant
fils,
fois
:
il
!
y a un prologue
celle qu'il a séduite et
fuyant
demande l'hospitalité au docteur Guy, chez qui
la jeune femme met au monde le fils qui sera Richard.
L'amant masqué est subitement démasqué par le père de la
avec
jeune
elle,
fille
qui survient tout à coup
;
la
jeune
fille
s'éva-
nouit en reconnaissant dans son séducteur le bourreau de
Londres. Comme on le voit, du bandit, du bouffon, le
drame romantique tient à aller jusqu'au bourreau.*
Le mélodrame est flagrant. Ce n'est pas à dire qu'il ne
soit puissamment combiné. Richard Darlington
est un
chef-d'œuvre dans
les
le
genre inférieur qui cherche à produire
émotions brutales et violemment malsaines.
La Tour de Nesle
comme Antony
le
est
le
type du mélodrame héroïque,
type du mélodrame bourgeois. Rien n'y
manque la quantité de mystère
Deux des personnages, et non
;
et
de surprise est énorme.
plus
un
seul, sont
de ces
LA MISE EN ŒUVRE
294
héros méchants tout d'une pièce, qui se jouent à machiner
abominables
les plus
Marguerite
et
Buridan. Tous deux n'obéissent qu'à leurs
mais
instincts mauvais,
même
Buridan
criminelle, moins
quelque temps
Buridan
de sa
et
n'est
que méchante
et s'y voit
chacun des deux
pris
crime projeté, punis deux
et
cette ironie
est prêt
à tout,
La
reine
traîtres a
tendu ses
du dernier
punis dans leur cœur de
tous deux
;
qui,
L'épouvantable imbroglio est
et rusée.
;
qui
celui
triomphe
La continuité de
Il
prend
il
hasard,
raille,
résultats les plus imprévus.
modèle du genre
filets
;
d'un innocent.
sur le
donne surtout une allure étonnante.
jamais étonné des
le
vengeur
perte,
espère avec une ironie superbe.
lui
lui-même
criminel
rôle de
lui-même
sur
deux doigts
à
lutte contre la
il
du héros de mélodrame,
est l'idéal
compte toujours
même
le
sympathique
plus
est
pour contenter son ambition
parce que
femme
sombres complots. Ce sont
et les plus
fois,
sont punis
père et de mère (étrange et seule affection qui leur reste)
et arrêtés
comme
assassins.
La
trépidation et l'emphase du
langage arrivent au dernier point.
inspire
restée
Le
récit
:
vieillard d, est
célèbre.
;
malheur épouvantable, éperdu de terreur,
croire,
«
« C'était une
La passion outrée
à chaque instant aux héros du drame une formule
célèbre elle aussi
celui à qui l'on annonce un
belle tête de
veut
il
même
Dis-moi que tu
— « Oh
dis
!
forcer le narrateur à dire le contraire
lui as volé
cette lettre,
que ce n'était pas une croix,
pas au bras gauche
n'y veut pas
!
»
:
dis-moi, etc..»
dis
que ce
Cela caractérise assez bien
n'était
le style
mélodramatique.
VI
Dumas
qui est responsable en grande partie de
du mélodrame dans le drame romantique. Le mélodrame est même tout ce que Dumas a apporté de nouveau
C'est
l'invasion
DUMAS IMITATEUR D HUGO
dans
nani
drame. Pour
le
Hugo
;
le
la
est plein d'imitations
scène où Steinberg donne à
velles de Paris, le
celui de
n'est pas original,
il
copie
il
de Her-
de Marion de Lorme, ajoutées après coup,
et
exemple
le reste
drame de Christine
295
monologue de Christine
don Carlos,
tent à Monaldeschi
scènes où Paula
les
un De
:
Hernani, l'inévitable
ta
Dumas
Christine en deux vers.
(II, 2)
et
suite, j'en
heure
Quelle
:
suis
est-il ?
Cromwell, que
plexité de
le
Adoptant
de Vitet.
imité de
!
délayé
réel,
au
La
l'imitation.
comme
l'idée
celle
fausse
drame doit mettre en scène toute
l'homme
par
n'était pas poète et tous les
morceaux poétiques de Christine sont de
l'est
imité de
Sentinelli jet-
poétique aussi de Christine est inspirée d'Hugo
de Henri III
par
Christine des nou-
la
de
com-
lieu d'un caractère idéal,
Du-
mas représente Christine sous tous les aspects et alors
qu'elle ne joue vraiment dans le drame que le rôle d'une
;
reine qui aime et qui se venge,
la reine
amie des
lettres,
— de
Descartes malade, hôte de
Dumas
là le
tient à
prologue où l'on
la reine, et cette
inutiles et
peut se tenir non plus
dans Cromwell,
à
— puisla reine
un autre, détails
imités de Cromwell. Dumas ne
un ambassadeureten
épisodiques,
voit
conversation de
Corneille et de la Calprenède avec Christine,
chassant
y représenter
de
accueillant
faire
la révolution,
allusion,
comme Hugo
à Napoléon, à Cromwell
lui-même.
Le premier
être
résultat de cette imitation des disciples a
d'encourager
Hugo
C'est ainsi qu'il arrive
à
persévérer dans
pu
cette voie.
du bandit de Hernani au bouffon de
Le roi s'amuse. Mais jusqu'ici on peut attribuer tout le mal
aux défauts d'Hugo qui grossissent naturellement avec le
génie comme une loupe avec le visage où elle est enracinée.
Bientôt
il
n'est plus possible de douter des effets désastreux
produits par
le
mélodrame de Dumas sur
le
drame roman-
Après Dumas imitateur d'Hugo, on verra Hugo
imitateur de Dumas. La Tour de Nesle est jouée en 1832,
tique.
LA MISE EX ŒUVRE
296
et dès l'année suivante, le
Hugo
dans
A
outrance.
qui lui
la voie,
ce
moment
drame romantique entre avec
sera fatale, du mélodrame à
se place la
série des trois mélo-
drames d'Hugo, qui sont en prose. Lucrèce Borgia trahit,
malgré la puissante personnalité du poète, l'imitation
de
Tour de
la
l'étrange
faire
forme
Hugo
Nesle.
grotesque
presque
Marie
de
création
habilement
allie
le
monstre criminel
et la
malheureusement dès
lors
tous les effets matériels,
déguisements,
tous les
même
en une
possible les
est pris à
scène
La
mère touchante
;
;
mais
il
adopte
tous les tours de passe-passe,
tous
les
masques
i).
pitié
et
étonnants,
spectacles
dalles secrètes,
le
tous
caractère
Marguerite de Bourgogne (9 e tableau,
un peu sentimentale pour le monstre
criminel, l'idée de justifier la
femme perdue en
la
comme une victime de la séduction de l'homme,
Dumas l'idée de la reconnaissance entre le fils
quand
Dumas
;
il
le fils
tombe victime de
donnant
est prise à
et la
;
criminelle,
à
antithèse
de Lucrèce Borgia a d'exagéré, sa veine subite de
clémence,
pour
en
trans-
deux natures,
du mélodrame. Ce que
énervants
cris
les
faux
pour
il
;
naturelle de son système
la suite
aussi habilement que
il
personnage
Bourgogne
Lucrèce Borgia
de
caractère
le
exagérée qui semble
s'empare du
de
mère
sa mère, est prise
a seulement attendu que sa Lucrèce fût frappée
la faire parler.
L'intrigue de Marie Tudor ressemble à celle de Christine
deux souveraines, amoureuses d'un
les
;
favori, se
montrent tour à tour reines hautaines ou femmes passionnées,
et
toutes deux,
au moment suprême de
faiblissent soudain.
La
la
vengeance,
tour de Londres, le billot et la hache
de Marie Tudor empêchèrent à son tour
Dumas
de dormir
jusqu'à ce qu'il eût composé Catherine Howard, jouée en
1834
;
chacun des deux auteurs
sur l'autre
:
à son tour
le philtre
romantiques renchérit
de Catherine Howard, qui
parait tuer et ne fait qu'endormir, ce philtre renouvelé de
HUGO IMITATEUR DE DUMAS
Shakspeare, séduit l'auteur
à? Angelo
297
(1835)
;
on trouve
aussi dans Angelo la scène de jalousie terrible que joue le
roi
dans
Catherine Howard.
Comme
Ethelwood, Homodei
circule invisible dans les palais, passant par les murailles.
Tout
les
l'appareil
mélodramatique servira dans
Burgraves, qu'il tuera
;
car le
Ruy Bias
mélodrame
est
avec
et
les
d'Hugo une des causes de l'avortement
du drame romantique, qui eût pu se soutenir à côté de la
poésie lyrique. Alexandre Dumas aurait été le mauvais
défauts personnels
génie du drame romantique,
si les
même d'Hugo
défauts
n'avaient été les premiers agents de décomposition
est juste de
:
ce qu'il
ne pas oublier. La chute des Burgraves
et les
événements politiques de 1848 à 1852 sauvèrent
Hugo du
mélodrame mais Dumas s'y endurcit,
du mélodrame furent usés à la scène,
les trucs
;
beau jeu
romans.
dans
les
contes
et
quand
ils
eurent encore
merveilleux qu'on appelle ses
LIVRE
VIII
LA MISE EN ŒUVRE
(Suite).
I.
Le caractéristique dans
les
caractères
et
l'expression.
vraisemblance historique. Les caractères historiques
Louis XIII. François
tique.
—
III.
La période
L'alexandrin du drame et le
La
IV.
I er .
Le costume
classique
Versification.
et
et
—
II.
La
don Carlos,
:
le
décor.
la période
—
roman-
caractéristique.
Conclusion de cette étude.
Nous avons examiné dans le théâtre romantique les défauts qu'avait amenés dans la mise en œuvre des passions
l'idée
d'un
poète surtout
place, plus de place
de la conscience,
lyrique
même au drame
en sorte que
le
de donner autant de
de la
vie
qu'au drame
besoin de frapper autre-
ment que par le développement des passions causa l'abus du lyrisme, des coups de théâtre et du mélodrame.
à étudier maintenant les détails de la mise
de l'introduction, dans ce drame,
dépendent
en œuvre qui
Il
nous reste
du caractéristique. Nous laisserons de côté
le
grotesque
LA MISE EN ŒUVRE
300
une exagération du caractéristique
qui est
avons déjà étudié.
nous reste
Il
et
que nous
comment
à étudier
le
drame romantique caractérise ses héros, c'est-à-dire crée
des caractères et non seulement des passions, c'est-à-dire
donne aux personnages une existence moins abstraite que
comment il observe
comment il comprend
celle des
héros classiques,
la
vraisem-
blance
historique,
le
costume,
comment
il
comprend
décor. Enfin l'expression carac-
le
téristique sera encore ce qui rendra la versification
roman-
tique différente delà versification classique.
Le drame romantique
leur donnant un
nous révèlent, en
Ils
âme,
ses héros d'abord
caractérise
tempérament
même
et
une
sensibilité
temps que
le
trouble
trouble de leurs sens et de leurs nerfs,
le
en
physique.
de leur
et
nous
intéressent ainsi davantage à leurs passions et à leurs dou-
Nous avons
leurs.
plus haut consacré
un chapitre à
l'ex-
pression physiologique des passions. Enfin le caractéristique est dans
que
le style
même. La
poète veut voir à
le
vie extérieure, la nature,
côté de
comme
considéré
vie intérieure des
la
consciences, existent aussi pour ses héros
;
dans leur langage,
peinture de leurs passions, la nature,
la
les objets extérieurs se reflètent (1).
Oh
Que d'arracher
Va
j'en ai respiré
!
!
le
parfum
Renoue à d'autres jours
Je rentre dans ma nuit.
De
se
!
C'est assez
I
jours par moi froissés...
\Id.
HT,
4.)
(Id.)
passe un jeune pâtre....
Tandis que nous allons,
En
tes
Et que c'est douce chose
parler d'amour la nuit quand tout repose!
Quand
(1)
un crime
tombant dans l'abîme.
ce serait
la fleur en
lui
chantant, moi rêvant,
ce sens le caractéristique, oppose à l'abstraction dans l'ex-
pression des passions, confine au lyrisme. C'est presque tout un, en un
que les héros romantiques expriment leurs passions dans
un langage caractéristique et qu'ils les expriment dans un langage
sens, de dire
lyrique.
LE CARACTÉRISTIQUE
Lui dans son pré
moi dans mes noires
vert,
301
allées,... etc.
Les vieux, dont l'âge éteint la voix et les couleurs,
Ont V aile plus fidèle...
mieux
Ici je résumerai
ristique entre les
la différence
deux drames,
le
que met
entre les deux héros, entre les deux tirades,
Ray
à un seul drame,
nage,
Ruy
le
caracté-
classique et le romantique,
Blas, par exemple, à
si
un
je m'arrête
seul person-
Blas, et à une seule tirade.
J'admets naturellement le point de départ je suppose pour
;
,
argument commun aux deux drames, classique
tique, l'amour d'un valet
un
Ruy Blas
éblouissant fait par
Dans
le
drame
et
classique,
et la crise rapide.
et la
roman-
d'une reine pour
mélodramatique de don Salluste,
valet, la haine
d'âme,
pour une reine
et
rêve
le
chute soudaine de ce rêve.
nous n'aurions guère que des
Dans
le
états
romantique, nous avons
d'abord la poésie qui résulte des changements qu'amène le
temps qui
Entre chaque acte
s'écoule.
défini, appréciable. Voici
est
devenu écuyer
Toison d'or,
il
liberté d'user
;
est
que
au III e
Ruy
est
un temps
acte, voici qu'il a grandi,
devenu ministre
du temps
se passe
e
Blas, au II acte, de valet
celle
et
il
a la
duc. Ajoutons que la
dont abuse
le
moins
l'art
romantique. Puis nous avons encore l'intérêt qui résulte des
changements de
lieu.
Nous
voici à
puis chez Salluste, puis dans la
la
cour, chez la reine,
chambre du
peu de changements relativement
;
niais,
conseil.
ailleurs,
Ici
nous
verrons à un intérieur féodal succéder un paysage, une
rue
la
le
la nuit, le
spectacle éblouissant d'un bal dans un palais,
vue sombre de
la place
spectacle moral
sera encore
du
de Grève. Ce spectacle complète
sans attirer sur lui seul
l'attention.
Ce
caractéristique, ces incidents matériels, ces
surprises, ces coups de théâtre, toutes ces choses enfin dont
i'abus constitue le
mélodrame,
et qui, suivant
que
le
poète
en use ou en abuse, rendent plus vivante la psychologie
dramatique ou
la tuent.
LA MISE EN ŒUVRE
302
Prenons
le
Ruy
Blas.
Ce
n'est pas
idéal.
Il vit,
il
a un corps,
en a
même
plusieurs.
héros seul,
en général, ni un être
—
condition sociale,
il
l'homme
a une
il
Nous avons
une idée de son éducation, de son tempérament, de ses
rêves, de ses déboires. Il a été boursier de collège,
des vers. Il a eu faim.
a chaud
Il
plein air. Il serre la
main des gens
des fleurs, escalade
les grilles
les
bancs
pour
les
;
ou
qu'il rencontre. Il
héros
une
classiques. Il a
belle
ramasse un mouchoir
ferme une fenêtre.
grand costume
et
sortir. Il veille
chez
il
oublie
et
en déshabillé
le
lui
suis-je
Une
?
écriture.
jour du mois,
que vois-je?»
scène nous montrera
:
On
le
voit en
le
les
moments
a mal à la tête,
il
quand
c'est
Il se
trouve mal. Il
prend son chapeau pour
il
;
se
il
avec une lampe. Dans
che ses idées, mais réellement
«Où
cueille
n'y a guère de fleurs, de grilles ni de bancs
il
en écharpe,
crise,
le
il
ACTE
V.
un peu une façon de
parler.
caractéristique dans l'expres-
— scène
RUY BLAS,
i.
seul.
Rêve éteint, visions disparues
au hasard f ai marché dans les rues (1).
J'espère en ce moment. Je suis calme. La nuit
On pense mieux (2). La tête est moins pleine de bruit (3).
Rien de trop effrayant sur ces murailles noires (4).
Les meubles sont rangés, les clés sont aux armoires.
Les muets sont là-haut qui dorment. La maison
Est vraiment bien tranquille (5). Oh oui, pas de raison
C'est fini.
!
soir
!
D'alarme. Tout va bien. Mon page est très fidèle.
Don Guritan est sûr alors qu'il s'agit d'elle.
mon Dieu n'est-ce pas que je puis vous bénir,
Que vous avez laissé l'avis lui parvenir,
Que vous m'avez aidé, vous, Dieu bon, vous, Dieu juste,
A protéger cet ange, à déjouer Salluste,
!
cher-
héros classique dit:
sion.
Jusqu'au
fait
pour déposer des bouquets sur
blesse et porte le bras
de
a
il
dormi en
froid. 11 a
LE CARACTÉRISTIQUE
Qu'elle n'a rien à craindre, hélas
Et
!
303
rien à souffrir,
qu'elle est bien sauvée, et que je puis mourir ?
lâche
et tombe dans l'abîme
Meurs comme on doit mourir quand on expie un crime
Meurs dans cette maison, vil, misérable et seul
Meurs avec ta livrée enfin sous ton linceul
Oui, meurs maintenant,
!
!
!
!
!
—
(Il
Dieu
démon
Si ce
!
vient voir sa victime morte
!...
pousse un meuble de façon à barricader la porte secrète.)
Qu'il n'entre pas
du moins par cette horrible porte
!
— Oh page a trouvé Guritan,
certain,
Il
pas encor huit heures du matin
— Pour moi, prononcé mon
et j'apprête
!
c'est
le
n'était
(6).
arrêt,
j'ai
Mon
moi-même
supplice, et je vais
sur
ma
tête
Faire choir du tombeau le couvercle pesant (7).
J'ai du moins le plaisir de penser qu'à présent
Personne n'y peut rien. Ma chute est sans remède
Que Dieu me soit en aide
Elle m'aimait pourtant
Je n'ai pas de courage l (8)
!
—
!
!
(Il pleure.)
Oh ! Von
Nous
(Il cache sa tête
(Relevant sa
Ceci
paix ! (9)
dans ses mains
Dieu
aurait bien
dû
laisser en
tête et,
comme
sais
pleure à sanglots.) (10.)
égaré, regardant la fiole.)
L'homme qui m'a vendu, (11)
du mois nous sommes (12).
pas. J'ai mal dans la tète (13). Les hommes
me demandait
Je ne
et
!
quel jour
Sont méchants. Vous mourez, personne ne s'émeut (14).
Et dire qu'on ne peut
Elle m'aimait
Je souf fre
Jamais rien ressaisir d'une chose passée (15).
!
Je ne
Pour
—
1
—
la verrai plus
avoir à
peu près
le
schéma de
correspondante, on supprimera
les réflexions
qui se présentent,
les
si
la
scène classique
mots en
italiques. Voici
nous analysons de près
détail.
le
Ce vers marque un égarement physique que le personnage classique n'éprouve guère.
(2) Il ne ferait pas
(1)
sur
lui
—
cette observation physiologique.
verait pas cette sensation physique.
—
— (3)
(4) (5)
Il
Il
n'éprou-
ne serait
LA MISE EN ŒUVRE
304
pas ainsi attentif aux objets extérieurs pour chercher dans
calme ambiant un prétexte à ne pas
le
de
la
s'alarmer.
psychologie très délicate, très aiguë.
n'existe guère pour le héros classique.
—
—
-
C'est
(6) L'heur j
(7) Il n'emploie
images caractéristiques pour exprimer des idéjs
pas ces
—
n'a pas ce manque de courage
—
qui inspirent à
humain.
pas
l'homme, redevenu enfant devant
douleur, des mots d'en— (10) Une sanglote —
n'achète pas de
— Le jour du mois
guère pour
poison
en
—
—
jamais mal à
ne
abstraites.
très
(8) Il
(9)
n'a
Il
ces
faiblesses
la
pas.
fant.
a.
il
;
la tête.
point ces observations
mots
qui
désespoir.
et,
n'existe
(13) Il n'a
lui.
peignent
—
;
il
cruelles,
d'une
et
manière
si
ne cherche point ces
si
caractéristique
mélancoliques sur
philosopherait
fait
Il
(14)
(15) Il n'a point de ces réflexions
pour cette raison,
bonheur
(11) Il
(12)
le
familières
si
vanité du
la
dans un langage plus général.
II
Soit que le poète tragique conçoive d'abord des passions
et des caractères abstraits et leur cherche ensuite
dansle
passé, soit qu'attiré
il
mette ensuite dans
il
est certain qu'il
historique, et que,
il
les
par
personnages choisis un caractère,
ne peut ni ne doit s'enchaîner à
fît-il
un corps
les grandes figures du passé,
la réalité
une œuvre historiquement fausse,
peut faire une belle tragédie.
Mais peut-on admettre un travestissement de
soit
Non, évidemment. Quelle sera donc la
Le poète devra avant tout ne pas dénaturer abso-
grandiose qu'il
mesure
?
lument
le
l'histoire, si
!
caractère dans
devenir du
son essence
;
l'ambition ne peut
désintéressement, la cruauté de
d'âme,
la force
cheté.
L'œuvre
d'âme de
la faiblesse,
le
la
grandeur
courage de
d'art, qui n'est pas tenue d'être
la lâ-
exactement
vraie au sens vulgaire, est tenue à ne pas mentir.
LE DRAME ET L'HISTOIRE
Mais, cette condition respectée,
305
poète peut négliger les
le
composer à sa manière un carac-
détails qui le gênent, et
Quelquefois
tère vivant qui ne blesse pas les idées reçues.
elle-même hésite sur un caractère entre deux opi-
l'histoire
nions
;
évidemment
le
poète aura
le
choix.
Les personnages ne peuvent tous être pris dans
l'amour,
et en particulier
l'histoire
;
apparaît avec des caractères
(|ui
nouveaux dans la tragédie moderne, a dû. être placé le plus
souvent dans un personnage non historique, ou tout au moins
peu historique
;
malgré
le
précepte de Boileau
:
Et toujours aui grands cœurs donnez quelque faiblesse,
historique
le
côté de son
Déjà, dans
il
montrer dans un personnage
n'est pas toujours facile de
il
s'en trouve
la liste
âme que
l'histoire néglige.
des personnages d'une pièce classique,
souvent d'inventés,
ou, ce qui revient
au
même, le nom seul se trouve dans l'histoire, par exemple
la femme d'Horace, Maxime,» Néarque, Sévère.
Le XVIIe
siècle a pourtant osé rendre amoureux les plus farouches
e
héros de l'antiquité, et c'est un de ses défauts. Le xix
y tombera moins, en inventant davantage. Il donnera presque toujours le rôle d'amoureux à des personnages
imaginés
et, dans le drame comme dans l'opéra, la forsiècle
;
mule
est
à peu
près celle-ci
:
grands premiers rôles
les
sont les personnages historiques, les jeunes
inventés ou empruntés à
Le
les
rôle
temps
comme
donné aux personnages historiques varie suivant
et les auteurs, car ici
sur les rois.
diverses
des modérateurs, soit
les
et
d'Horace
;
il
;
c'est
comme
des personnes cruelles
les adorer.
Louis XIII était
à son image que les rois du Cul
sont d'honnête3
LE DRAME ROMANT.
représenté les rois soit
n'y avait à son époque aucune
détester ni de
un prince neutre
interviennent les opinions
Corneille a
ou grandes ou clémentes
raison de
premiers sont
chronique privée.
la
souverains,
fort
sages
20
et
LA MISE EN ŒUVRE
306
conciliateurs.
un
Auguste
politique
XIV,
Louis
aussi
faible
une grande âme,
est
Racine
lâche.
et
d'Egypte
le roi
a sous
yeux
les
son objet est surtout de peindre l'amour
et
amoureux
rois et les princes
fait-il les
:
que
plutôt
grands. Ainsi Pyrrhus, Oreste, Achille, Mithridate, Néron,
Aucun
parti pris.
Mais avec
cratie la situation des rois
l'art
un peu de leur
pulaires
usé de
et
dans un
la
naissance et
enlevé,
po-
mais en
;
révolutions,
de
rang,
le
illusions?
ses
Le
malheureusement
restait
il
rois
la noblesse,
divin, toutes
droit
extérieur
prestige
a perdu sur
siècle qui
le
une époque
à
accuser
passions
les
les
démo-
la
même pu
a
envers
partialité
et
perdent dans
ils
;
d'avoir épousé
pouvait-il être autrement
et
romantisme
On
prestige.
romantique
théâtre
le
le
va changer
trop apparent que les rois sont loin souvent d'être les per-
sonnes
plus intelligentes
les
royaume
la distinction
:
et
de leur
meilleures
les
entre le mérite de la
faite
s'est
fortune et celui que l'homme né de rien peut acquérir dans
la lutte
;
et
il
luttes romantiques, et
bagage
qu'un mince
plus à l'époque des
vraiment nous ne pouvons reprocher
tragédie nouvelle.
,
deLormek
s'il
rois
Nous ne sommes
Que le pouvoir ait
Le Roi s'amuse à cause de François I er Marion
d'être injuste à cette
interdit
aux
n'est resté
de valeur personnelle.
cause de Louis XIII, nous
comprenons
le
avait raison, le poète n'avait pas tort.
ne sont pas beaucoup plus maltraités
là
A
qu'ailleurs
;
qu'ilya plus de souverains mauvais que de bons dans
tre
et
romantique, mais n'est-cepas
chaque
que
don
Charles-Quint jeune,
songe déjà à l'empire
dans Hernani
c'est le bouillant roi
et qui
la
:
l'amour lutte en
jeunesse
lui
la
théâ?
C'est
?
d'Espagne qui
songe encore à l'amour
contre l'ambition
vont céder à
j'avoue
le
avec injustice.
tradition classique, l'auteur l'a pris dans
crise
de
Carlos
mais
proportion naturelle
roi pris à part n'est pas traité
Qu'est-ce
la
la
;
vrai dire, les rois
;
selon
un moment de
;
les
passions
grande passion de l'âge
LES PERSONNAGES HISTORIQUES
mûr
;
307
l'amour doit céder, c'est que l'amour des princes
et si
n'est qu'un
amour
léger, qu'une
galanterie, qu'une succes-
comme
impérieux,
sion de caprices
chez tous
gens qui
les
n'ont qu'à choisir pour satisfaire leurs passions et dont l'âme
par une
sollicitée
foule de jouissances n'a pas le
temps de
concevoir un long désir.
Cette conception ne porte aucun préjudice au Charles-
Quint de
Les circonstances,
l'histoire.
tourent et
la
peinture
même du
les détails qui
l'en-
caractère font suffisamment
reconnaître Charles-Quint jeune, et rien ne blesse l'idée générale qu'on peut se faire de lui d'après l'histoire
donc
plit
conditions
les
d'un
caractère
;
rem-
il
historique
de
drame.
-Les considérations historiques contenues dans
le
fameux
ettrop long monologue sont certainement excellentes
le
du drame
meilleur morceau
du pape
rôles
les réflexions
et
;
:
c'est
l'appréciation idéale des
de l'empereur est plus en situation que
de don Carlos sur
tout le passage qui va depuis
:
le
peuple et
«
Les hommes, c'est-à-dire
les révolutions
;
foule, une mer », jusquà: « Gouverner tout cela... »
évidemment
inspiré par les événements de 1829 et
est
1830 mais on pourrait pourtant justifier ces réflexions
une
;
de don Carlos, caron a vu de tout temps des émeutes populaires
renverser des chefs de peuples;
dire avec certitude
là
il
y a un
Louis
faire
son
desseins
est
difficile
peint tel qu'il était vers la fin de
est
ministre
et
de
parce
sa
beaucoup de volonté, laissant
qu'il
sent
une âme supérieure,
lui
en
lui
de
confiant
grands
toute sa
instinctive de l'homme bon
moyens cruels et sanglants que Richeemploie. Louis XIII est d'ailleurs, dans l'histoire, une
faible
pour
répulsion
les
figure pâle et peu distincte
fort
il
poète n'eût pas écrit ce morceau-
siècle.
XIII
royauté, avec la
lieu
le
malade, ennuyé, sans
vie,
et
:
;
peu paru dans son règne,
sa personne et sa
il
était
malade
;
volonté ont
la seule
ques-
LA MISE EN ŒUVRE
308
tionqui
son propos, dans ce temps où
soulevée à
ait été
du nouveau à tout prix, est de savoir s'il a été
dominé par son ministre ou s'il l'a volontairement soutenu,
conspirer lui
s'il l'a gardé malgré lui, au point même de
l'on cherche
aussi contre Richelieu, ou
si,
plus profond qu'on ne le croit,
a toujours compris la supériorité de celui-ci sans s'en of-
il
Le
fenser.
de
de compte
fin
garder d'exagérer
qu'il faut se
et
donner comme
le
M. Marius Topin ne prouve
de
livre intéressant
pas grand'chose en
tout au plus montre-t-il
;
de Louis XIII
la faiblesse
par Richelieu
terrifié
;
mais
il
ne
non plus transformer Louis XIII en politique
profond et lui prêter les vues du cardinal
tout le monde
faut pas
;
XIII
s'accorde à penser que Louis
ministre, mais
naître en lui
ne pouvait mécon-
gardait parce qu'il
le
du trône contre
plus ferme soutien
le
gardait à regret son
les sei-
gneurs.
Le poète dramatique
même
avoir,
c'est
il
d'un prince
s'agit
de ces disqui ne peut
Le
dans un drame, qu'un rôle effacé.
tère de Louis
fait, et
n'a pas à se préoccuper
quand
cussions, surtout
XIII
prête
même la
aux
deux
opinions,
carac-
un
c'est
meilleure preuve qu'il n'avait qu'un
caractère indécis. L'histoire prouve qu'il a laissé périr
meilleurs amis, et
âme
faible
préférences
contre
en
fait
et
Victor
meilleur qu'il ne fut; car
roi
de
ses
un témoignage
encore
est
Hugo
le
l'ont fort
probablement
avec une grande finesse.
qui soutient son
trône et
regret un prêtre décapiter
pressente
le
royaume,
et
;
le
le roi n'était
quand tous
les
y
Il
le
si
pâle,
a dans Louis
XIII
seigneur
des seigneurs
plus tragique et
vre de Richelieu
fait
Louis XIII de Marion de Lorme
bon au fond. Ce caractère complexe, quoique
est traité
le
de ses occupations et
d'amis
lui.
A. de Vigny
est
ses
ce n'est pas d'un romain, c'est d'une
puérilité
la
;
si
;
il
qui
voit
semble
à
qu'il
plus fatal résultat de l'œu-
que
le
premier seigneur du
seigneurs seront abattus, pour-
LES PERSONNAGES HISTORIQUES
quoi épargnerait-on
siné le portrait
le
plus grand
Hugo
?
sinon absolument
idéal,
vraisemblable, ce qui
tout,
est
habillé de noir, malade, qui a
régner
», qui s'avance
d'avoir
mal dormi
de ce
« bien
en s'étirant
les
a très bien des-
;
par
bras et se plaignant
joyeux de
lui,
soutenant publiquement, toujours sur
raison d'Etat à
bruyant
la
disputer
les
timide avec
le3
à
la
ses
amis et
cardinal, chaste et
personnage le moins
du théâtre d'Hugo.
C'est le
et le plus vivant peut-être
est
jouer un
lui
l'intimité et le
aimant
hache du
lui
point de sacrifier
le
fauconnerie,
femmes.
Le Roi s'amuse
mélancolique,
roi
assez de vivre sans
bon tour, disant du mal de Richelieu dans
n'osant
du moins
vrai,
jaloux de son ministre et n'osant
résister, triste d'être effacé
la
309
franchement une
satire. Qu'elle ait
été inspirée par les idées révolutionnaires de 1830, ce n'est
pas douteux
l'histoire.
;
mais
poète romantique n'a pas
le
travesti
François I er a été un brillant débauché, un cheva-
un protecteur des arts. La fête qu'il donne nous montre
du premier coup le roi tel qu'il était en paix nous avons
sous les yeux cette cour où les poètes sont bien traités.
François Ier nous apparaît bientôt comme un débauché volier,
;
luptueux
et délicat à ses heures, sinon toujours
épicurien et poète sentimental
les
il
moments et dans
;
il
endroits où
les
;
il
est poète
est raffiné et blasé
il
se
compromet
garde encore un certain vernis de gentilhomme
;
;
le
dans
plus,
l'auréole
de gloire qui l'environne n'a pas été écartée systématique-
ment par
le
poète
;
rappelons
L'homme de Marignan
A
de Triboulet
:
(V. 3.)
part Charles-Quint, François I er et Louis XIII, les
autres
cune
la tirade
personnages historiques
réflexion. Ainsi,
de
Hugo
n'appellent au-
peu nous importe que Marie Tudor
ait
plus d'amants dans
que
les faits
le
drame que dans
l'histoire.
Tant
allégués ne déshonorent pas une mémoire, la
LA MISE EN ŒUVRE
310
personnages
des
vie
obscurs pour que
le
des dessous assez
contient
élevés
poète suppose, sans grand
scandale,
En somme,
drame d'Hugo ? Ne
lui a-t-il pas au contraire donné une superbe allure ? Néanmoins nous accorderons qu'Hugo eût dû montrer ses auà celui-ci une maîtresse, à celle-là un amant.
Marie Tudor
diminuée par
est-elle
teurs et citer la chronique
même
le
scandaleuse à propos de
Marie Tudor.
y a un
Il
assez grand
de
Christine et
Henri III
qu'on nous
tout ce
historique, mais
;
La
son héros.
mais
au
ici
:
trop
théâtre est l'exacte vérité
a su transformer et grandir
poète
si le
quantité de Vitet que
son Henri III n'en
le
nous importe peu de savoir
Il
dit
précisément
c'est
passions sont bien étudiées, c'est-à-
si les
précisément
dire
qui peuvent nous intéresser
qui gâte tout.
d'histoire
si
déploiement d'histoire dans deux
Dumas
des drames
fait
pas
même un
Dumas
a mise dans
caractère bien des-
siné.
La
vérité historique est en
même
que
cle ont
le
grande partie négligeable, de
caractère national. Les classiques du XVII e siè-
des Grecs qui ne
fait
sont pas toujours Grecs
;
un Français ne peindra jamais que la nature humaine vue
par un Français
l'art dramatique ne peut que perdre à
;
la reconstitution historique.
en
philosophe, plus
il
héros très indéterminé
Néron.
toire,
mais
est
On
et
s'il
un
;
Plus
le
poète voit la passion
remontera loin afin de choisir un
les classiques
prennent Oreste ou
peut choisir des héros plus dessinés par
y mettre encore beaucoup de
vérité
va jusqu'à prendre des types tout
esclave,
il
copie,
il
l'his-
générale
faits, le
;
poète
ne peut créer.
III
Quand
le
l'antiquité,
il
théâtre classique
ne songe
même
emprunte
ses
personnages à
pas à leur donner le costume
311
LE COSTUME
de leur temps
une preuve frappante du peu d im-
c'est
:
portance qu'a
costume dans un art qui peint
le
les pas-
moyen de la parole et avec un minimum d'action.
Nous savons par les gravures et les textes du temps que
sions au
les tragédies
il
fallut
adoptât
les
de Corneille se jouaient en chapeaux à plumes
de Voltaire
efforts
les
et
toges romaines et les tuniques grecques
savons aussi que
la
scène était encombrée, sous Louis
de spectateurs qui ne laissaient pas de
et
Voltaire
que
raconte
grand'peine à
nous
;
XIV,
place à l'action,
spectre de Sémiramis
le
un passage
frayer
se
;
de Lekain pour qu'on
avait
à travers les bancs.
C'est que la tragédie classique se réduisait sans peine à la
récitation d'une étude poétique des passions.
Les poètes dramatiques
costume à mesure que
tient
le
préoccupent davantage
se
au costume antique,
c'est
du
et si Voltaire
système se modifie,
que sa tragédie donne déjà
plus de place à l'action.
Néanmoins,
la
mœurs
tragédie ne peignant pas les
histo-
riques, le fond étant toujours l'étude de l'âme
humaine dans
ce qu'elle a d'éternel, la négligence au sujet
du costume ne
peut
est de
atteindre la tragédie dans
même
humaine,
et
pour
non
la
les
théâtre
vives.
emprunte
la
Il
en
nature
du costume
tirer
pourra aussi s'en passer.
elle
romantique,
caractéristique,
œuvres
mœurs. Elle pourra
quelque agrément, mais
Le
ses
grande comédie, qui peint
qui,
cherchant davantage
le
personnages à une époque
ses
plus voisine et plus connue de nous que l'antiquité, avait à
préoccuper du costume plus que les classiques, et puis
une certaine vérité de costume fait partie du minimum
de vie réelle nécessaire pour que le personnage tragique
se
ne
soit
pas qu'une abstraction.
que
le
malheur met entre
sont rendues sensibles par
le
costume
Les différences que
hommes
le sort,
qui frappe les yeux dans les
évidemment avoir
sa place
;
le
les
costume,
pompes du monde réel, doit
le monde imaginaire du
dans
LA MISE EN ŒUVRE
312
premier. Les Grecs, qui se sont
théâtre qui condense
le
toujours préoccupés
de
durent apporter
pour
dans
vêtement,
le
grands soins au costume tragique
parti qu'ils tiraient de la richesse des
le
opposés
même
les plus
l'esthétique
à
pauvreté, nous savons qu'Euripide abusait
la
des haillons afin d'exciter
leurs pièces, voyaient, dans
un autre
la pitié.
eux-mêmes, quand
Corneille et Racine
nation,
le
monde
décor que
concevaient
ils
créé par leur imagi-
bancs de
les
d'autres costumes que ceux
dont
mode
la
la scène,
habillait
Les tragédies du xvii e
acteurs de leur temps.
met pas
plus, ne
le
général
:
ne
non
lui
l'indication des costumes, Schiller le fait
costume indiqué doit avoir un rôle dans
ainsi
et
les
siècle
portent à ce sujet aucune indication. Shakspeare,
lorsque
;
vêtements
un costume de
deuil,
un
voile
;
il
l'effet
marque
un costume de guerre, un costume de cour.
fait précéder ses drames d'indications de
costumes qui sont de véritables analyses du caractère et du
tempérament de ses personnages.
quand
il
faut
Beaumarchais
De Vigny
Caractères
a écrit pouf Chatterton une notice intitulée
costumes
et
;
costume
le
nage plutôt qu'à l'époque
nages.
Ainsi
poudre,
l'air
le
à
costume
:
adapté au person-
surtout destiné à tra-
est
il
;
duire sous une forme visible
est
psychologie des person-
la
sévère, les cheveux sans
noir,
la fois militaire et
ecclésiastique de Chatter-
ton font visible aux yeux ce caractère énergique, grave et
passionné dans ce corps épuisé
;
la
jeune et touchante Kitty
Bell, mélancolique et gracieuse, porte
élégant
Paméla
élégiaque,
et
»,
et de longs
un costume
un chapeau romantique,
une longue robe de
soie grise, des
simple,
« à
cheveux bouclés. Le quaker a un habit couleur
noisette, ni triste ni folâtre
;
John
Bell, la
mise peu élé-
gante et étoffée de l'homme sorti de rien et enrichi
Beckford a une cravate brodée, habit
cart,
la
rubans noirs
canne à
pomme
d'or, et lord
;
lord
riche, veste de bro-
Talbot unélégant costume
LE COSTUME
313
de chasse. L'auteur dramatique a pris soin de
qu'à la place de ses personnages, en un
aux spectateurs
tableau de
le
la vie
;
il
par réaction
Ci'omwell,
y a orgie de costume,
d'archéologie
:
contre
préoccupation
Dans
classicisme.
le
orgie de richesse
et
l'auteur s'est donné une peine inouïe pour
dernières modes
décrire les
la
le
porta à l'extrême tant que dura la lutte
la
romantique,
il
conçu,
qu'il l'a
tel
drame tel qu'il l'a vu vivre et s'agiter.
Le théâtre romantique annonça d'abord
du costume
régler jus-
mot de présenter
de 1057,
costumes de Têtes
Rondes, costumes de cavaliers élégants, costumes de puritains et d'orthodoxes, costumes de militaires,
fous, la garde des épées, la
ques.
le
coupe des cheveux
des perru-
et
a des pages entières sur le mobilier, sur la suite et
y
costume des ambassadeurs,
Il
Dans
nanine
les
accessoires de cérémonie.
les
drames suivants, au contraire, l'auteur de Herpréoccupé, à propos du costume, que de quel-
s'est
ques principes qui doivent diriger l'acteur et
il
costumes de
le
costumier
:
tenu loin de ses propres théories et de l'exactitude
s'est
érudite que nous avons vue depuis, exactitude
jusqu'à rechercher
les reliques
qui est allée
authentiques et faire de
la
scène un musée d'antiquités.
La
richesse
du costume
ciaux, au théâtre
sante montrera
voir
;
dans
le
rang suprême de
rangs élevés,
gante distinguera
le
les vieillards
parvenu ou
Le poète romantique ne
détail,
avoir
que
et
il
le
les
la
richesse sobre distingiiera les
la
les
sert à distinguer les rangs
comme dans l'histoire. La richesse
le
;
fortune ou du
hommes
la
pou-
mérite
de
richesse
so-
éblouis-
extrava-
débauché.
décrit pas les costumes dans leur
indique seulement que
costume de l'époque
;
les
personnages doivent
par cette indication
il
entend
costumes soient vrais, mais d'une vérité artistique
non archéologique.
C'est
un
instinct de
grand
artiste qui le conduit d'ailleurs
dans ses indications de costume. Quoi de plus préci
LA MISE EN ŒUVRE
314
er
plus large à la fois que ces indications pour François I
roi tel
que
l'a
peint Titien,
Trihoulet, tel que
l'a
—
pour
et
peint Boniface
?
ne sont indiqués que très brièvement
s'immiscer dans
aille
le
métier du
le
Le
:
bouffon tragique
:
Nombre de costumes
que
et sans
le
poète
Le costume
costumier.
lui sert à affirmer
aux yeux
gneurs de
de François I er doivent être « superbe-
la fête
ment vêtus
antithèses
ses
non négligeable, car au milieu de
», indication
ce luxe nous allons voir apparaître le costume noir
comte de Saint-Vallier. La reine Marie Tudor
didement vêtue
sei-
ainsi les
:
Fabiani porte
», et son favori
du vieux
est « splen-
c(
un magni-
», non seulement parce que cela convient à
leur rang, mais parce que l'intention du poète est que nous
fique
costume
soyons frappés par tout
et de la
le
spectacle extérieur de la richesse
grandeur: tout à l'heure nous verrons apparaître
Gilbert et Jane, c'est-à-dire
le
peuple, l'amour vrai et pur
sous des habits pauvres.
Par
le
costume
disparates, une
aux yeux
se peint ainsi
époque avec
que dans Marion de Lorme nous aurons
de Didier,
et plébéien
Louis XIII, puis
le
le
C'est ainsi
costume simple
costume royalement
le
petit
c<
vie avec ses
la
ses aspects divers.
triste
Laffemas, à côté du « riche costume de cour »
garde, « avec toutes
indiquant
le
les
de Belle-
broderies et toutes les dentelles »,
personnage banal,
l'habit à
la
dernière
de Saverny marchant au supplice, qu'efface à son
vision rapide de la soutane rouge. Voilà tout
ieune seigneur rebelle et
Après
la
un
à
effet
la
mode
tour
la
un règne,
le
cardinal et ses victimes, ses suppôts, son royal
est encore,
de
costume du magistrat » de
esclave, le
grand seigneur d'antichambre.
le
différence de richesse-, la différence de couleur
pour
le
poète dramatique,
moral, d'adapter
le
le
moyen de produire
costume au caractère,
à l'âge,
passion dominante du personnage ou aux circonstances
pathétiques.
Le blanc
éveille
en nous
l'idée
du calme de l'âme, de
la
LE COSTUME
pureté immaculée, de l'innocence
;
315
vierge, l'épouse sans
la
tache seront vêtues de blanc, c'est dans
tor
Hugo une
le
théâtre de
Vic-
formule uniforme. Sans aucune autre indi-
cation superflue, dona Sol est « en blanc » jusqu'au dernier
acte,
où
entre avec Hernani en
elle
mariée »
Blanche,
;
« vêtue de blanc »
voulues par
mais en
c<
Les exceptions
.
poète
le
:
Oatarina n'est pas en
ainsi
au théâtre
la
homme
est
à cette formule
costume de femme noble vénitienne
pouse qui aime un autre
ter
magnifique habit de
ce
pure victime du caprice royal,
la
sont
blanc,
car
»,
l'é-
que son mari ne peut por-
femmes sans tache
virginale livrée des
;
Marion, qui porte au premier acte un « négligé très paré »
femme
de
apparaît au II e acte
galante,
blanche » dont
elle
selon
l'expression
reine
Maria de
costumes, et
peut à présent se vêtir,
du poète,
Neubourg
c'est toujours le
tique jusque dans
dans
à
pompe de
la
Ruy
Blas,
radieuse
mais sous
ces
sa
porte dans
même
détails
la
la
a robe
la
et qui
seconde
marque,
La
virginité.
le
drame
trois
art délicat et pathé-
extérieurs
:
au
I
er
acte,
majesté royale, alors qu'elle apparaît
la
ver de
terre »,
où son désir ose s'élever,
»,
fiquement,
le «
dans
couronne en
comme une
elle est
tête, et sur la
splendeur royale
il
y
«
étoile
vêtue magni-
couronne
le dais
de goûts simples, malheureuse dans ce palais sombre,
nous allons
la voir
pays et émue par
une madone
le
;
la
le
chant des lavandières qui vient de la
reine ou
qui va laisser tomber de son corsage
lambeau de dentelle sanglante par où
amour
comme une
robe est en drap d'argent, et c'est cette
femme en blanc
chaste
et
au milieu de ses femmes regrettant son
vallée ensoleillée, vêtue de blanc, mais
jeune
;
a une faible et jeune femme,
se révèle
au page
le
qu'elle nourrit sans en être souillée. C'est aussi
en robe blanche, que, toujours pure, épouse immaculée,
elle avouera à Ruy Blas l'amour qu'elle a pour lui, et, toujours reine, elle portera le petit
gent,
le
bracelet d'or avec
un
diadème en dentelle d'ar-
aigle ciselé, qui, lorsqu'elle a
LA MISE EN ŒUVRE
316
quitté
Ruy
Blas, rayonnent dans le souvenir enivré de l'a-
mant loyal.
Le noir a, comme
vant
l'étoffe
blanc, diverses
le
employée
et le
significations
sui-
genre de costume.
Les vêtements de deuil doivent être d'étoffe mate
et de
coupe sévère pour n'éveiller aucune idée et ne pas gêner
l'impression produite par la couleur noire.
Le
et
velours noir ou la soie noire, avec leurs chatoiements
leur éclat, sont le
mûr
et
deur
de
grave,
Le costume
de
il
à don
gaîté,
de
non seulement
richesse et d'orgueil.
est
le
en noir, mais
marà la
<r
».
er
son costume noir, quand, au I
Ruy
apparaît aux yeux de Hernani
et de
statue de l'hospitalité iusultée
;
tête blanche
acte,
dona Sol comme
III e acte,
quand, au
après avoir fièrement énuméré les hauts
offre sa
gran-
la
éveilleront
de laudator temporis acti dans
la sévérité
mode de Henri IV
la
de
la richesse sobre,
en dehors de sa signification de deuil,
noir,
quis de Nangis, qui
Il faut
de
tandis que les autres couleurs
pleinement des idées
accentue
costume des gens sérieux, de l'âge
la vieillesse,
faits
de sa
au jeune despote jaloux
race,
il
faut au
il
;
comte de Saint- Vallier, quand il apparaît au milieu de
l'orgie royale, le costume noir qui fait une tache sombre
sur l'éblouissante bigarrure des habits de cour.
Le costume noir convient encore
morose: Louis XIII
est « tout
à la grandeur
en noir, pâle, avec
Esprit au pourpoint et au manteau »
;
et
comme
bien à ce roi toujours malade et toujours
sa propre faiblesse
noblesse féodale
;
il
Saint-
noir va
triste, triste
de
porte lui aussi un deuil, celui de
sa
mener
manteau, avec
la
à la chasse au faucon,
un
deuil en
plaque de diamants qui étincelle.
C'est aussi le noir de la richesse sobre,
rieuse,
le
mais c'est un deuil sobre et élégant, un
deuil que l'on peut
petit
;
un peu
le
du bonheur grave,
toyant du velours et de
le
de
la
noir sans tristesse,
la soie,
rehaussé par
virilité
le
sé-
noir cha-
le collier d'or,
LE COSTUME
-
qui convient à l'époux de dona Sol,
montagnard
tombé,
est
quand
grand seigneur, quand Hernani
c'est aussi le
«
il
pour
scène du conseil, où
la
le
costume du
bandit a fait place au
redevenu Jean d'Aragon
;
costume de Ruy Blas devenu premier ministre
vêtu de velours noir »,
est
le
est
quand
317
toison d'or au cou
la
représente
il
la
;
puis
;
royauté,
où
il
doit écraser les ministres de son génie et de son pouvoir,
il
porte par-dessus
écarlate
le
costume noir
un manteau de velours
«
)>.
Le même Ruy
Blas, au
IV e
acte, chez lui, à cette
heure
le
ministre sent sa grandeur s'écrouler, où
le sujet fidèle et
l'amant loyal tremble d'effroi en voyant
suprême, où
qu'il
va écraser sous sa chute la reine innocente, porte
costume noir sans manteau
Enfin
le
noir est la mise qu'il faut au plébéien
penseur
attristé, à l'enfant trouvé,
tourmenté par
le
doute
;
<r
le
grave
et
et sans la toison ».
le
l'amoureux
et poète, à
déguisement espagnol accen-
tuera la place qu'ont l'aventure et la fuite dans cette vie
laborieuse,
Didier et Marion sont avec
lorsque
les
diens, puis Didier se retrouvera grave et triste,
encore, philosophant sur
noir »
la
mode
à la dernière
ce
il
irait
au
bal,
remarquer
Il faut
formules
:
»
de Saverny, qui marche à la mort
la simplicité et le
petit
nombre de
caractère et
le
tragique.
incontestable
la
condition
est
un
Il
soit
ce
;
que, dans la vie, les jeunes
jeunes femmes ne sont pas toujours en blanc,
gens sérieux ne sont pas toujours en noir
les
ces
chacun
du personnage
ces costumes sont en effet symboliques
Il est
le
costume
rit le
en habit de gala.
répercute l'âge,
filles et les
cométout en
misère de vivre et
bienfait de la mort, tandis qu'à côté de lui
comme
c(
miroir de concentration »,
même
ne fautpas croire que l'indication
absolument rigoureuse
qu'ayant, depuis
Cromwell
,
;
«
pour
;
le
mais
l'art
costume.
costume du temps»
l'auteur de
Hernani,
quoi-
attaché beaucoup moins d'im-
portance aux détails du costume, a certes conservé de ses
LA MISE EN ŒUVRE
318
théories de
combat l'amour de l'exactitude dans
Mais, à vrai dire,
soires.
lument indifférent à
reusement sur
il
la
l'art
de 1519, ce n'est pas à dire que
beaucoup entre
Le
décor,
et
quand, par exemple,
comme devant
Carlos
de 1518 ne puissent
aller,
les
tant est
si
que
si
la
mode
1520 ou
qu'elles
diffèrent
elles.
comme
le
costume, a son rôle dans un drame
mais seulement
Pourvu que
à
être
modes de
complet. L'action suffisamment localisée,
téresse,
acces-
y tienne ou non, il est absoque le costume soit copié rigou-
qu'il
mode d'une année,
don
indique
les
la
rue ou
l'action se passe
point de disparate entre
satisfait. S'il s'agit
nous in-
le lieu
comme
cadre à l'action.
le palais
soient d'architecture gothi-
au moyen âge, pourvu
le
qu'il
n'y ait
milieu et les costumes, l'esprit est
d'un intérieur,
il
faut naturellement qu'il
soit bien adapté à celui qui l'habite, et que, sans exagération
qu'on appelle
minutieuse,
il
la plus forte
que nous ayons au théâtre,
le
ait ce
personnage qui
habitudes,
l'air
L'impression
vécu.
c'est l'illusion
que
est sur la scène vit réellement, qu'il a des
un passé
;
et si
nous
le
voyons dans un milieu ap-
proprié, nous aurons pleinement cette impression. D'ailleurs
dans
la
tragédie élevée,
plupart des grands, des
les
rois,
pour
personnages, étant
la
n'ont pas, à proprement parler,
un intérieur qui trahissebeaucoup leur caractère
;
faut pour
il
du drame bourgeois ou
dans
le
drame romantique, les
Mais
plébéiens.
qui soient
héros de ce genre n'ont point d'intérieur Hernani n'est
qu'un faux bandit; Didier va devant lui par le monde; lluy
Blas est un laquais, il habite la maison de Salluste. Le
cela des héros qui se rapprochent
;
drame
Bien
divers
n'a
donc pas eu à chercher de ce
côté.
yeux
choisi, le décor peut faire passer sous nos
aspects de
la vie
privés, dans les publics,
;
il
l'homme
vit
dans
vit aussi dehors,
les
dans
la
les
édifices
rue et
-
LE DÉCOR
dans
319
nature. Suivant l'occasion, le lieu et le décor appro-
la
seront un secours pour la poésie, en parlant
prias
yeux. Quand
dans
Hugo
la galerie
IIP
place la scène du
des portraits des Silva,
Ces portraits que
après les autres, c'est
lui.
Le théâtre
certes moins puissant sur l'imagination,
il
énu m é ration
pareil cas se contenter d'une
la
montrera
fait.
uns
les
passé de sa race, ce sont ses aïeux
le
qui ne doivent pas rougir de
décorateur est à
aux
Hernani
sait ce qu'il
il
Ruy Gomez
vieux
le
acte de
hauteur de sa tâche,
s'il
classique était
eût fallu en
lui
froide. Si l'art
du
sait faire, lui aussi,
des portraits épiques, décolorés, lointains, au lieu de peintures grotesques,
peut nous émouvoir, avant
il
même que les
acteurs aient parlé.
Au IV
sur
le
lui, le
e
acte de Hernani,
néant de
jeune
où dort
le
la
poète fait méditer don Carlos
le
puissance et de l'empire
et bouillant prince,
grand empereur,
dans
et c'est
les
:
aussi descend-il,
caveaux funèbres
dans ces caveaux
apprendra son élévation à l'Empire. L'antithèse
belle et
si le
nous frappe par
une terrasse en
minés, que vont
époux
par
les
yeux autant que par
;
fête,
et
c'est sur cette
la lune,
même
les
drame
les oreilles,
acte, c'est sur
même
qu'ils
illu-
joyeux invités des
terrasse, maintenant
que viennent rêver, une
chambre nuptiale,
les
qu'il
est très
avec des profondeurs de jardins
viennent d'abord
jeunes gens, c'est sur cette
dan3
De même au V°
décorsait être imposant.
ici
éclairée
fois le bal fini, les
deux
terrasse, à la porte de la
vont mourir pendant qu'au fond,
bosquets, s'éteignent les illuminations de la fête.
classique, ne mêlant point la nature
ments des amoureux,
était privé
Discrètement montrés,
le
de ces
Le
aux épanche
effets puissants.
donjon de Beaugency et l'échale drame nous donne de la
mort de Saverny et de Didier.
faud achèvent l'impression que
vie, et
Il
rend plus pathétique
la
y a une forte antithèse, dans Le Roi s'amuse, entre la fête de
du début, où Triboulet excita le roi à la débauche, et
nuit
la
grève déserte de
la fin
où
il
va gémir sur sa
fille
assassi-
LA MISE EN
320
ŒUVRE
Le théâtre romantique aime
née.
faire alterner par le
ainsi
une image
décor
les deuils, et
aime à
a tiré des effets saisissants au plus haut point des détails
Il
dessinée
e
il
à donner
visible des vicissitudes de la vie.
du décor. Ainsi l'ombre immobile de
3
de nuit,
les fêtes
les joies et
sur
la reine
journée) et qui
la
montre
veillant là
sans qu'on la
elle-même. C'est aussi une trouvaille que
écrit
Marie Tudor,
drap transparent (deuxième partie de
le
le
nom
de Borgia
en relief sur l'entrée du palais de Lucrèce, où Ton
orgia,
quand Gennaro a
fait
la
voie
lit
sauter la première lettre avec
son poignard.
Ces beautés
du
quefois diminué
qu'excitent
du décor ne sont pas sans être
lieu et
balancées par des défauts
psychologique est quel-
l'intérêt
;
mélodramatique
par l'intérêt lyrique ou
détails
les
caractéristiques soulignés par le
décor. Si on compare, pour la variété des lieux, le théâtre
d'Hugo avec ceux de
Schiller et de Shakspeare, on constate
que presque toujours, chez ces deux derniers,
la scène, si
souvent change-t-elle,se trouve dan3 un intérieur, dans une
salle
de palais. C'est en effet dans son foyer que l'homme se
recueille surtout, et qu'il
Aussi
la diversité
prend conscience de ses passions.
des lieux est-elle un indice d'un art moins
psychologique et plus lyrique, où
aux dépens du drame de
la
le
drame de
la vie s'étend
conscience.
IV
La question de la
c est la question
que
versification dans le drame romantique,
du vers moderne. Personne ne peut nier
la versification n'ait fait,
avec
Hugo
surtout, ne disons
pas des progrès, mais des conquêtes légitimes.
pas à justifier la versification de
ressant, en la
comparant à
Hernani
;
Il
mais
n'y a donc
il
est inté-
la versification classique,
de voir
comment une nouvelle formule dramatique comportait
turellement l'emploi d'un autre vers.
na-
LA VERSIFICATION"
321
vers nouveau, que nous appellerons romantique, pour
Ce
l'opposer au vers classique, n'est pas particulier au drame;
Hugo
mais
trouvé à propos du drame
l'a
;
le
vers de
Crom-
well n'a déjàplus de rapports, pour la souplesse etla liberté
l'allure,
avec
qu'Hugo lui-même employait dans
vers
le
poèmes lyriques avant 1827. Mais, une
vers sera d'un emploi général
poussé à l'extrême, et parfois
moyens
et ses
;
de
ses
fois constitué,
ce
métrique française aura
la
même
à l'excès, ses qualités
d'effet.
L'alexandrin
classique
était
théoriquement césure au
milieu, et dans la pratique les poètes s'écartaient rarement
de la règle de l'hémistiche. L'enjambement est interdit
façon absolue (l'enjambement proscrit par Malherbe
d'une
l'enjambement d'un
surtout
était
on
était fort vicieux,
le
demi-alexandrin,
qui
conçoit facilement).
Ce vers a des césures secondaires ces césures sont
proprement, non pas les césures du vers, mais celles des hé;
mistiches.
Le
vers romantique (et les vers classiques qui sont déjà
romantiques,
peut ainsi parler) diffère en ceci
si l'on
:
il
met
la
césure forte à la place de n'importe quelle césure faible
la
césure de l'hémistiche subsiste
point de compte
:
numerus
;
le
mais
le faut,
il
il
suffit
sens et la césure, ou,
si
;
car sans elle
que
s'arrête plus loin
sente, le sens passe outre et
cordance entre
;
l'oreille la
;
il
y a
dis-
l'on veut, entre la
césure ou les césures du sens et la césure du vers. Cette
discordance plaît en elle-même. Dès
du sens peuvent
se
lors, les
coupes diverses
combiner pour former une période aussi
rythmée, aussi variée que
La période antique
était
la
période latine.
composée en grande partie par
la
discordance des repos du sens et des repos qui marquent la
fin
du
repos
vers.
La
du sens
Ce sont
les
partie comprise entre la fin d'un vers et le
situé
dans
le
vers suivant s'appelle
rejet.
romantiques qui ont retrouvé cette période
savante; avant eux, lapériole n'était guère q.i'un groupe
le drame: uoMAvr.
'21
LA MISE EN ŒUVKE
322
de vers, sans lieu rythmique à
terdit
autre les alexandrins trop disposés
1
à tomber deux à deux, les presse et
de
Un souffle
l'enjambement pour renforcer l'hémistiche.
puissant lance l'un après
fin
Malherbe avait in-
la vérité.
la
période.
les
entraîne jusqu'à
Quant aux membres de
période,
cette
La
sont tous égaux à un vers, ou faits de deux vers.
est ainsi
comme un peu
essoufflée
qui joue avec des poids.
;
période
poète est un jongleur
le
semble qu'on entende
Il
la
ils
souffle
le
régulier et fort de l'hercule.
ensemble conjurés
encor mal assurés
Et, si ce n'est assez
de toute l'Italie,
Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie,
Que cent peuples, unis des bouts de l'univers,
Passent pour la détruire et les monts et les mers
Puissent tous ses voisins
Saper ses fondements
|
|
!
|
|
||
|
||
|
|
|
|
!
||
Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles
Que le courroux du ciel allumé par mes vœux
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,
Voir ses maisons en cendre et tes lauriers en poudre,
|
|
!
|
|
||
|
!
|
||
|
|
|
Voir
dernier
le
Romain
|
à son dernier soupir,
|
|
Moi
seule en être cause,
Les vers
1
|
et
mourir de plaisir
vont deux à deux, sauf
ici
élan de la pensée a réunis
:
il
y
les
!
4 derniers que
a là pour nous aujourd'hui
quelque chose de monotone que l'énergie de
suffit pas
à déguiser
il
;
est facile de
plaçant à côté de ce morceau
latin, les
Tum
vos, o Tyrii,
|
|
ia
passion ne
convaincre en
un morceau analogue
imprécations de Didon
Exercete odiis,
s'en
écrit
stirpem et genus
omne futurum
cinerique haec mittite nostro
Munera
nullus amor populis, nec fœdera sunto!
Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor,
Qui face Dardanios ferroque sequare col on os,
N-unc,
olim,
quocumque dabunt se tempore vires.
Littora littoribus contraria,
fluctibus undis
Imprecor, arma annis
pugnent ipsique nepotesque
!
en
:
||
||
|
|
|
|
|
|
|
On
voit quelle énergie
:
|l
donne à
la
passion
le tissu
!
serré
LA PÉRIODE
delà période.
même pour la
en sera de
Il
H 23
période romantique.
Chénier, nourri des anciens, avait déjà compris tout
vantage de
discordance entre
la
le
rythme
cordance qui, bien ménagée, donne un
Il se sert
un
comme
donc,
rejet, la
et la
l'a-
phrase, dis-
effet plus puissant.
des rejets. Quand il y a
du même coup modifiée,
les anciens,
coupe du vers
se trouve
césure du rejet étant plus forte en général que celle de
la
Malheureusement Chénier abuse, dans certains
l'hémistiche.
du
cas,
rejet,
ou plutôt son rejet est trop souvent un enjam-
bement. Voici, pour exemple, une période discordante de
Chénier construite avec des rejets
;
c'est surtout la période
des Idylles, des pièces imitées de l'antique.
Nous
citons
ensuite une période non discordante, celle des Elégies, des
pièces d'un esprit plus
lance et soutient
comme
sique,
la
moderne
:
là le souffle seul
du poète
période. Cette seconde période est clas-
levers.
C'est ainsi qu'achevait l'aveugle en soupirant,
Et près des bois marchait,
S'asseyait.
j
Trois pasteurs,
|
une pierre
faible, ||et siir
|
enfants de cette terre,
|
|
Le
suivaient,
accourus aux abois turbulents
gardiens de leurs troupeaux bêlants.
||
Des molosses,
|
un faible interprète.
cœur seul est poète.
Sous sa fécondité le génie opprimé
Ne peut garder l'ouvrage en sa tête formé
Malgré lui, dans lui-même. un vers sûr et fidèle
L'art des transports de l'âme
L'art ne fait que les vers
;
|
est
le
|
|
|
;
|
|
Se teint de sa pensée
Ainsi, avant
dante
n'est
;
|
et s'échappe
avec
Hugo, Chénier a trouvé
elle.
période discor-
la
quant au vers lui-même, en dehors des
pas discordant
:
il
est classique.
Voici
est en discordance
la
période romantique, où
la
phrase, où l'hémistiche est en discordance avec
du
le
vers
sens.
Quand, tâchant de comprendre
Les yeux sur la nature et sur
|
|
et de juger,
l'art,
rejets,
[|
||
l'idiome,
il
au contraire
j'ouvris
le
avec
repos
LA MISE EN
324
ŒUVRE
l'image du royaume,
était
monarchie, un mot
ou n'était qu'un grimaud.
Etait un duc et pair
Les syllabes pas plus que Paris et que Londre
marchent sans se confondre
ainsi
Ne se mêlaient
Piétons et cavaliers traversant le pont neuf.
La langue était l'Etat avant quatre-vingt-neuf ;
Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes,
Les uns nobles hantant les Phèdres les Jocastes,
Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versaille au carrosse du roi.
Peuple
La
et noblesse
poésie
||
|
||
était la
j
||
||
|
[|
|
|
:
||
j
||
|
|
|
|
||
||
||
||
|
|
Cromwell que Victor Hugo trouve
C'est dans
romantique
jusque-là son
;
donc pour
le
Une
la
le
formule, avait
si
le
besoin
qu'apparemment
en
suffit
effet
les siens, et le
;
il
vers
le
classique
c'est
:
du dialogue
connu
le
Mais
drame,
vers romantique
elle s'était
liberté
instrument
n'a pu s'en passer.
drame voulait
tragédie,
la
était
tel
vers romantique a été inventé.
le
romantique pour
vers
rité,
que
merveilleux
fois ce
poésie
aussi
pour
théâtre,
qu'il l'entendait,
vers
si
Hugo
c'est
c'est
;
éprouvé,
et
trouvé
a
parce que
que
la
son
nouvelle
Quant
à la
contentée du vers classique,
c'est
d'un
le
nouveau.
vers
vers classique lui suffisait.
Il lui
a des défauts, mais la tragédie classique a
vers classique, avec sa monotonie et sa sévé-
convient à ce drame majestueux et abstrait.
La
tragédie classique c'est, pour ie fond, l'exposé succes-
sif d'états
guant,
d'âme;
soit
personnage paraît
et, soit
monolo-
dialoguant avec son confident ou son autre in-
exprime toujours d'une façon
terlocuteur,
mesurée ce
le
qu'il
ressent.
Une
sorte
relativement
chant fortement
de
rythmé, un peu monotone, convient assez bien dans ce cas;
relisez le dernier couplet
que
de Phèdre, et vous vous convain-
vers classique est susceptible
d'une
crez à la
fois
harmonie
et d'une variété très suffisantes, et qu'il convient
admirablement à
la
le
formule classique.
Mais à un drame plein de mouvement
un vers plus souple. Yictor
Hugo
a
et de cris,
exposé dans
la
il
fallait
préface
l'alexandrin et le caractéristique
de Cromweîl
les qualités
drame,
du moins
génie
et là
il
;
325
que devait avoir
le vers du nouveau
sûrement guidé par son
l'artiste était
veut tout d'abord que ce vers sache « briser à
la césure pour déguiser sa monotonie
propos et déplacer
d'alexandrin »
l'allonge que
;
veut « plus ami de l'enjambement qui
le
il
de l'inversion
rime, cette esclave reine,
poésie ». Voilà pour les
qui l'embrouille
à la
de notre
veut
le
variété de ses tours, insaisissable
dans ses secrets d'élégance et de facture
que, épique ou dramatique selon
gamme
fidèle
règles de versification. Il
aussi « inépuisable dans la
rir toute la
;
suprême grâce
cette
;
tour à tour Ivri-
besoin, pouvant parcou-
le
poétique, aller de haut en bas, des idées
Le vers encore « n'est qu'une
forme et une forme qui doit tout admettre, qui n'a rien à
imposer au drame, et au contraire doit tout recevoir de lui
élevées aux plus vulgaires ».
pour tout transmettre au spectateur
de
français, latin, texte
:
jurons royaux, locutions populaires».
lois,
Tout cela
parfaitement juste
était
;
et telles sont là
les
qualités
du vers d'Hugo. Jamais
fois plus
souple et plus résistant, une forme en effet qui ad-
met
le
vers français n'a été à la
tout, mais ennoblit tout, poétise tout,
comme Hugo
qu'il le
dit
le dit
de
rime
la
encore dans
la
:
une forme qui
une esclave reine. Et,
même
préface
a
:
est,
ainsi
L'ancienne
poésie était descriptive, celle-ci est pittoresque ».
Le mot
s'applique à la versification tout aussi bien. L'ancienne versification,
sans variété de coupes,
quelque chose d'abstrait
cher avec
elle,
peint
ment,
le
;
la
lieu
et
sans
d'épouser
période,
l'idée,
était
de mar-
renfermait et
deux barrières d'alexandrins rimant
nouvelle versification est pittoresque, elle
sentiment,
ses
au
elle la saisissait, l'arrêtait, la
l'immobilisait dans les
deux à deux
;
la
passion, son intensité, son développe-
brusqueries. Elle rend
convient à une poésie qui cherche
Si nous analysons
un peu
les
le
le
caractéristique, elle
caractéristique.
coupes romantiques, nous
LA MISE EN ŒUVRE
326
c'est-à-dire repré-
verrons qu'elles sont caractéristiques,
sentatives de l'idée.
Ainsi
la
coupe 8
-+-
par
4,
dissonance entre
la
la
césure
de l'hémistiche et la césure du sens, a souvent ajouté beau-
coup au sentiment exprimé.
Quand dona
Sol dit
Hernani devrait
coupe
la
Sol
ici.
|
est pittoresque
peindra
elle
;
être
:
||
Voici qu'il monte,
peint l'inquiétude de dona
elle
;
dans
l'effroi
:
Jésus! votre manteau
La coupe
ruisselle
grelotte dans ces vers
Vous avez bien
tardé,
Si vous avez froid
à cause de
|
?
||
seigneur,
j
—
Moi
!
|
||
!
:
||
mais dites-moi
je brûle près de toi.
suspension du sens une syllabe avant l'hémis-
la
tiche.
Remarquons
à
ce propos que
lument insensible, ces
que l'hémistiche, par
l'hémistiche était abso-
si
effets n'y seraient plus, tant
discordance avec
la
joue un grand rôle dans
le
la
il
est vrai
coupe du sens,
vers romantique, qui autrement
perd sa beauté, sa signification.
On
a souvent cité l'admirable effet de
vers de Didier
L'âme
!
comme une
vraiment
délivrance,
comme une
Voici un couplet d'amour de dona Sol
Hernani,
Me
-
|
n'allez pas
blâmer.
Je ne
coupe daus ces
lève du doigt le couvercle de pierre
Et s'envole
-i
la
:
sais.
|
|
mon audace étrange
mon démon ou mon ange,
sur
|
Etes-vous
Mais
je
:
|
suis votre esclave.
Allez où vous voudrez,
j'irai.
|
|
|
Restez.
|
Ecoutez,
partez
:
envolée
l'alexandrin et le caractéristique
Pourquoi fais-je ainsi,
je l'ignore,
Je
J'ai besoin de vous voir
et de vous voir encore
Et de vous voir toujours. Quand le bruit de vos pas
S'efface,
alors je crois que mon cœur ne bat pas,
Vous me manquez, je suis absente de moi-même
Mais dès qu'enfin ce pas, que j'attends et que j'aime,
Vient frapper mon oreille, alors il me souvient
suis à vous.
|
327
|
|
|
|
|
;
|
|
|
|
Que
je vis,
|
mon âme
et je sens
Le grand charme de
ce couplet ne vient pas de l'idée qui
mais du sentiment
est banale,
qui revient.
exprime ce qu'elle
dire, de la vibration de l'amante qui
vibration que rendent les
coupes.
marque-t-il pas joliment
la
e
Le 4 montre en
effet,
par
imagination dona Sol va
on ne
:
sait plus
rejet
le
sent,
me blâmer
ne
du blâme
Le
?
de sa personne préci-
par-dessus
l'hémistiche.
désordre des coupes, qu'en
ici et là,
Puis l'allongement du vers
succédant
fait
sens passe
le
Le
crainte naïve
e
3 vers peint l'abandon qu'elle
sément parce que
respire et, pour ainsi
qu'il
suivant Hernani.
(trois
hémistiches égaux se
où le vers
finit)
rend
le désir
de
prolonger l'entrevue, de l'éterniser.
J'ai besoin de vous voir et de
vous voir encore,
Et de vous voir toujours...
Puis
le
rejet
du départ, Tamante aux
peint l'émotion
écoutes, qui entend les pas décroître
Quand
S'eftace,
Puis
||
alors je crois
la tristesse,
le bruit
que
de vos pas
mon cœur
l'affaissement de
coupe brusque au 4 e pied
Vous me manquez,
||
:
ne bat pas.
l'amante
je suis
Puis un grand vers presque sans césure,
s'allongent,
hémistiche de 9 syllabes
:
une
absente de moi-même.
vient remplir le cœur, largement
vers renaissent,
seule,
:
;
la joie
qui re-
l'amant revient, aussi
enjambent pour
finir
les
par un
.
LA MISE EN ŒUVRE
328
Mais dès qu'enfin ce pas que j'attends et que j'aime
Vient frapper mon oreille, alors il me souvient
|
Que
je vis,
Voici
|
et je sens
mon âme
coupe de l'interrogation brusque
la
Qu'êtes-vous venus faire
Voici
la
haine satisfaite
Et puis,
Voici
je suis là
!
Voici
donc,
te voilà
ému
souffle
le
Va
Mon
qui revient.
!
|
|
pas marche ton pas
la
:
mon
le
||Un instant...
rival!
et j'écoute
|
mélancolie qui
brusquement
.
de celui qui épie son ennemi
j'épie
||
donc à dire.
ici ?|| c'est
|
:
|)
et sans bruit
et le presse
fait
:
et le suit...
|
tomber
les
bras et arrête
pas:
Tandis que nous allons, lui chantant, moi rêvant,
Lui dans son pré vert, moi dans mes noires allées...
||
On
ne saurait compter
|
les
admirables périodes qui, mar-
chant, avec la passion, d'un élan plus ou moins saccadé, se
terminent par une clausula d'un
l'envolée finale ou
il est
le cri
grand vers qui exprime
suprême.
certain que la poésie française atteint là sa
grande puissance par l'union intime de
un instrument merveilleux,
fasse jamais rendre
Ce
et
n'est pas à dire qu'il
;
la
coupe
romantique
la
coupe y
;
est bien
est difficile qu'on lui
n'y ait pas, chez les classiques,
et le rejet sont les
or le
il
davantage.
d'admirables effets pittoresques,
isolés
rejet
mais
est rare
moins hardie
ils
sont forcément
deux facteurs de
;
chez
il
faut
la discipline
est forte sur ces
la
période
les classiques,
que
poète passe par-dessus les règles du vers, et
ment, tant
plus
du rythme,
mieux dominer. Le vers
qui obéit, se plie, se fait souple pour
est là
l'idée et
il
le
l'ose
grands
et
génie du
rare-
esprits.
L
Et surtout
ALEXANDRIN ET LE CARACTERISTIQUE
le
système
caractéristique.
riode
lie
comporte pas
Nous avions
où étaient peints par
les
le
329
pittoresque,
le
tout à l'heure affaire à une pé-
coupes
les
battements du cœur
de l'amante au départ de l'amant, ses tressaillements et sa
joie
quand il arrive
:
or la formule
classique exclut de l'ex-
pression des passions cette peinture physique des sensations
et ces sensations
mêmes.
Il est
donc impossible que
la versi-
non seulement travestragédie classique que d'en réciter les
fication rende ces effets. Aussi est-ce
tir,
mais abaisser
la
vers à la façon romantique, en les coupant
le
plus possible
;
car c'est ajouter à la peinture abstraite, idéale, des passions,
des
mouvements physiques qui détonnent avec l'absence
d'action, de décor et d'accidents scéniques.
CONCLUSION
Résumons
dans
somme,
drame romantique? Quelle
cette étude. Quelle place occupe, en
la littérature française, le
place aura-t-il dans l'estime de la postérité
supérieure à celle qu'y occupera
la
?
Inférieure ou
tragédie classique ?
Inférieure certes. Malgré ses défauts, que nous avons fait
ressortir en leur lieu, la tragédie classique est, bien plus
le
drame romantique,
l'expression
génie qui cherche en tout
que
comme
en
art.
général et l'absolu, en politi-
le
La grandeur
et la supériorité de la tra-
gédie française, c'est d'avoir exprimé
générale
à
par là
;
Shakspeare.
Mais
trouvé un Shakspeare
avec
la
théâtre
le
;
et
passion idéale et
romantique
n'a
même
point
a trop de défauts pour lutter
il
tragédie classique.
que, une poétique qui,
la
supérieure en quelque chose
elle est
que
du génie français, de ce
Il est fait
d'après une poéti-
dans, la préface
de Cromwell,
est
parfois incohérente, une poétique qui prend à tort pour les
principes et les règles éternelles de l'art, des préférences
inspirées par les passions contemporaines.
Ce sont
aussi ces
passions qui s'incarnent dans les personnages, et ces person-
nages sont trop les porte-voix du poète. Le lyrisme,
lodrame,
le
empêchent
des œuvres
le
mé-
mélodrame surtout, sont de graves défauts qui
le
théâtre romantique de se placer dans la région
d'art supérieures.
La
tragédie est
démodée en
certaines parties par l'exposition trop abstraite de
la
psycho-
logie humaine, par les rôles de confidents, par cette simplification outrée qui ôte
et
comme
le
aux créations du poète
mouvement
;
mais
le
la vie
extérieure
théâtre romantique a
CONCLUSION
d'une façon plus grave
atteint
la
;
331
défauts opposés, et
les
tragédie est froide en partie
tique pourra bien être risible, ce qui est pis
en est plus
il
théâtre
le
:
;
roman-
fera sourire
il
en tout cas.
Néanmoins
théâtre romantique vivra
le
au théâtre, quoiqu'il y
gédie. Les pièces qui
poésie
Hernani,
que
que
et
que vivra surtout parce
eue, et
et
ie
le
qui
loin,
a
Mais
la
humaine,
la plus
plus
ouvert
une grande
théâtre
le
qu'il reproduit l'état
génération qui fut peut-être
ait
vivra
la tra-
joueront désormais aussi longtemps
se
Andromaque.
et
il
mélodrame ne gâte pas outre mesure,
le
Ray Blas
Ciel
le
d'abord
par
soutiennent
se
:
déplacé que
soit parfois aussi
plus grande que la France
celle qui
a vu
plus
le
haut
de préjugés et
renversé
plus
le
romanti-
d'âme d'une
plus d'horizons, celle qui a le plus fait pour l'éman-
On
cipation de l'humanité.
les érudits seuls
mellement
la
oubliera vite la lutte des systèmes;
distingueront un jour en quoi diffèrent for-
tragédie classique et
drame romantique
le
mais aussi longtemps qu'on pensera, on s'intéressera à
maladie romantique; cette maladie est
de cette génération, de cet
la
noblesse et la gloire
Hernani
art.
;
la
pas certes
n'est
l'amour absolu, ni un type de quoi que ce soit d'absolu, passion, vertu
;
mais
contemporain,
et
Hernani, Didier,
est
il
par
Ruy
dictions, les révoltes,
sa
soif
là
un type impérissable de l'homme
il est bien profondément humain
;
Blas incarnent bien toutes
ses rêves de
grandeur. Certains
amoureux du théâtre romantique,
les
de Lorme, Catarina,
Maria
Neubourg,
représentent l'amour
romantique
tualisme passager
;
ils
de
si
l'homme, comme autrefois
;
dona
Sol,
un
spiri-
exalté par
les
aspirations
l'amour qui est
la piété,
le
tout de
l'amour dédaignant les
barrières sociales, passant par-dessus
la
amoureuses, Marion
en représentent
élevées, l'appétit d'immortalité
de
contra-
malaises du plébéien moderne,
les
d'émancipation,
les
le
rang, insoucieux
pauvreté et du malheur, trouvant en
lui
son propre
332
CONCLUSION
bonheur, l'amour purifiant une âme, tout cela est assez for-
tement marqué dans ces caractères du théâtre romantique
pour que ces caractères vivent encore à côté des autres grands
amoureux romantiques, ceux de
Werther,
et
Et quel dommage que
maladive à
hâtives,
ainsi
;
si
la
Nouvelle Héloïse, et
Laurence.
la fois,
troublées,
heureusement
se soit
si
mais
si
exprimée dans des oeuvres
si
cette génération si forte,
diffuses
le
;
car beaucoup d'elle périra
théâtre romantique, par sa réforme
des théories, a sa place marquée dans l'histoire littéraire,
et
la
poésie supérieure
qui en vivifie les pièces
plus disparates, le fera lire aussi, tant qu'on lira.
même
les
TABLE DES MATIERES
LIVRE PREMIER.
LA POÉSIE ET LE THEATRE.
Pag,
Ce que nous entendrons par
drame romantique. Le
le
—
vrai
ïï. La
romantique.
c'est la grande poésie
au théâtre
Ses manidéfinition de la grande poésie.
festations diverses.
Elle adopte le théâtre au xvn e siècle.
III. Le xvme siècle
deux courants la tragédie sans
la poésie
décadence.
Les réformes les plus ingénieuses
ne peuvent la faire revivre. Lafosse, Lamotte, Voltaire
et les autres prétendus précurseurs du romantisme. La
Diderot et
poésie revient à la tragédie
renaissance.
se3 idées. Beaumarchais, Chénier, Ducis, Lemercier
A bufar et Pinto.
IV. La grande poésie au xix e siècle.
titre
serait plutôt
tragédie est un
:
la tragédie
poème dramatique,
;
—
—
—
—
:
:
:
—
:
;
—
Elle n'est au théâtre
qu'accidentellement, elle
—
a surtout
forme lyrique. Raisons.
V. La grande poésie
dans le drame romantique. Résumé
pris la
.
LIVRE
II.
LES SYSTÈMES.
Qu'est-ce que le genre tragique ? D'un critérium pour apprécier les systèmes divers
genre
grande
juste
milieu,
:
les
conditions
d'existence du
de la plus
de poésie et d'observation morale avec les
nécessités théâtrales, le mélange raisonnable du général et
du caractéristique.
II. Examen des systèmes : le système
le
;
c'est-à-dire
l'union
somme
antique.
—
— Représentation plastique
et poétique
de
la vie.
—
334
TABLE DES MATIERES
Pages.
Action, lieu, temps. Séparation du tragique et du comique.
III. Le système espagnol. La tragédie née du Mystère.
La convention scénique, absence de décor. La tragédie
psychologique sort peu à peu du spectacle historique. Le
—
comique
drame, restes du théâtre
IV. Lesystème shakspea'rien. Le drame historique et le drame psychologique.
L'émotion poétique et
l'émotion psychologique. Le caractéristique. Le grotesque
et le grotesque dans le
primitif.
—
le grotesque traditionnel. Enfance
V. Le système classique. Les unités ; leur
inutilité. Comment elles sont à la fois une invention des
médiocres et une expression de l'esprit français. Nullité de
lieu.
Beauté et grandeur de la tragédie classique. Le
spectacle de la vie ramené à l'étude de la passion dans ce
qu'elle a de général et d'éternel. Dialogues
les confidents
monologues. Défaut de la tragédie claset leur nécessité
sique
elle renonce à utiliser la scène
sous sa forme la
plus belle elle n'est point faite pour la scène.
VI. Shakspeare et le théâtre allemand. Shakspeaie corrigé par Corneille. Retour au caractéristique, à l'émotion poétique.
VII. La tragédie française à la recherche du juste
milieu
ses efforts vains avant le romantisme.
servant d'antithèse et
—
du décor.
—
;
;
:
;
—
—
...
;
LIVRE
33
III.
LE SYSTÈME ROMANTIQUE.
I.
—
Les précurseurs et le.s combattants.
II. Victor Hugo. La
préface de Crom'weU.
Examen des divers points de la
réforme.
IILLe grotesque dansla^théorie romantique.
—
—
—
T,e
grotesque n aiisj es" draiïïësT^^TV.
Oromwell.
— V.
Le système
Le drame-théorie
corrigé par les œuvres.
LIVRE
.
:
.
81
IV.
l'époque.
I.
L'influence du temps
:
sion révolutionnaire
la politique
;
comment
au théâtre.
elle fait
—
II.
dévier la
—
pas-
III. La
.a
romantique, sujets, iutrigues, personnages.
maladie romantique
maladie religieuse, maladie pol
tique, maladie de l'amour, maladie de l'ambition.
IV. Les héros de la tragédie atteints de la maladie romanV. La maladie
tique
Hcrnani, Didier, Ruy BUis.
VI. La
romantique et le drame bourgeois
Anton)/.
maladie romantique dans Chatterton
:
,
La
tragédie
—
—
:
:
—
1-7
TABLE DES MATIÈRES
livre
335
v.
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES.
Pages.
I.
romantique. L'amour romantique est un retour à l'amour chevaleresque, né des mœurs
germaniques et du christianisme. C'est plus exactement le
II. Jean-Jacques. Naisspiritualisme dans l'amour.
L'amour classique
l'amour
et
—
sance de l'amour romantique. L'amour dans Lamartine.
—
,
L'amour romantique au théâtre. L'amour
Motion. La courtisane amoureuse chez
passion purifiante
Jocelyn.
III.
:
La Fontaine, Lamartine, Jean-Jacques. Réhabilitation
de la courtisane.
IV L'amour jaloux Hernani, Ruy
V. L'amour ingénu
Gomez, Marie Tudor, Christine.
Blanche, Catarina, Marie de Neubourg, Ruy Blas.
—
.
"
:
—
:
—
—
VI. L'amour libertin
don Carlos, François I er
Catarina, Marie de
VII. L'amour et le devoir conjugal
Conclusion Différence entre l'amour clasNeubourg.
^sique et l'amour romantique
.
:
:
>.
—
:
LIVRE
VI.
LES PASSIONS ET LES CARACTÈRES
I.
173
(suite).
—
Les sentiments de la famille depuis la Révolution
L'amour paternel dans les poésies d'Hugo.
II.
III. L'amour paternel dans Le Bol. s'amuse, Triboulet,
Le Comte de Saint- Vallier. — IV. L'amour maternel dans
Lucrèce Borgia.
V. L'héroïsme. La clémence. La religion du serment et de l'hospitalité.
VI. Le pathétique
et l'expression de la passion
Expression de l'amour, de
la douleur et du désespoir. L'émotion physiologique, les
excès, la mort et la peur de la mort Triboulet, Catarina,
Monaldeschi
—
—
—
.
;
LIVRE
LA MISE EN
I.
Le lyrisme
tique
:
il
;
il
est
VII.
ŒUVRE.
même du drame romandrame de la vie à celui de la
Il y a un
Exagération du lyrisme.
dans
la
conception
consiste à mêler le
conscience.
—
autre lyrisme, le
lyrisme dans l'exécution.
—
—
—
Beautés et
Le mélodrame dans le
théâtre romantique, dans la conception du drame, dans
l'intrigue.
III, Les types du héros de mélodrame.
inconvénients du lyrisme.
—
II.
'l'il
/
/ -
/;
-2
TABLE DES MATIÈRES
336
Pages.
Simon Renard,
—
Salluste.
—
IV. Les coups
de
théâtre
mélodramatiques.
V. Alexandre Dumas et le mélodrame.
VI. Hugo imitateur de Dumas Dumas imita-
—
teur
;
d'Hugo
267
LIVRE
LA MISE EN
I.
Le
caractéristique
dans
IL La vraisemblance
VIII.
ŒUVRE
(suite).
les 'caractères
don Carlos, Louis XIII, François I er
et le décor.
IV. La versification.
—
que et
la période
l'expression.
et
—
historique. Les caractères historiques
—
— La
III.
.
période classi-
romantique. L'alexandrin du drame et
•
VU ET
le
299
330
caractéristique
Conclusion de cette étude
:
Le costume m
LU,
EN SORBONNE, LE 26 AVRIL 1894,
Par
le
DQyen de
la,
Faculté des Lettres de Pari*,
A.
HIMLY.
VU
ET PERMIS D'IMPRIMER
:
Le Vice-Recteur
de l'Académie de Paris,
GRÉARD.
Poitiers.
—
Typ. Oupin et C
1
'
f???-K^>
^
Le
PLEASE
CARDS OR
d-i
•\
DO NOT REMOVE
SLIPS
UNIVERSITY
.in tique
FROM
POCKET
THIS
OF TORONTO
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