les cataractes seniles en afrique

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LES CATARACTES SENILES EN AFRIQUE
PROBLEMES THERAPEUTIQUES
P. QUEGUINER*, C. BOUAT, L. DULAURENT, S. VITTE, J-P. GHIPPONI, G;KONDI
RESUME
La cataracte représente en Afrique comme dans tou s
les pays en voie de développement, la première cause
de cécité, ceci malgré la présence dans certaines régions
d'endémies cécitantes comme le trachome, l'onchocercose, ou les cécités nutritionnelles. Elle le serait
également dans les pays développés si l'apparition de
la cécité n'était prévenue par la cure chirurgicale de
l'affection.
En effet, la cécité par cataracte présente la part i cularité d'être curable chirurgicalement par un geste
simple et bien codifié. Ce traitement est rendu difficile
en Afrique par la faible démographie médicale et le
manque de moyens techniques. Les stratégies mises en
place par les comités de lutte contre la cécité qui existent ou se créent dans de nombreux pays d'Afrique
doivent tenir compte de ces deux paramètres.
SUMMARY
The senile cataract or linked to the age is representing
in Africa the first cause of cecity. This cecity is easily
healed by a simple surgical intervention. it’s the low
medical - and especially ophtalmologic - demography
which makes of this affection a public health problem
by allowing not the treatment.
One of the solutions we can propose is the training to
the surgical intervention of the well-guided paramedical staff, whose action will evaluated. The choice
of the surgical technic is important : it must be very
easy. The intracapsular extraction - with secondary
correction of the aphakia by glasses of moderate priceis well corresponding to this criterion.
LA CATARACTE est l’opacification du cristallin. C’est le
mode univoque de réaction de la lentille à une agression
quelle que soit sa nature.
On doit en fait parler DES cataractes car il existe de multiples types, atteignant des populations différentes. On distingue ainsi :
- des cataractes congénitales, souvent en relation avec une
maladie virale comme la rubéole contractée pendant la
grossesse,
- des cataractes néonatales (galactosémie du nouveau-né),
- des cataractes pathologiques ou endocriniennes liées à
des affections générales comme le diabète,
- des cataractes dites compliquées en relation avec une
affection touchant le segment antérieur du globe oculaire
comme les iridocyclites de l’onchocercose ou de la lèpre,
- des cataractes traumatiques : tous les traumatismes, contusions, plaies, brûlures thermiques, chimiques ou par
radiation sont susceptibles d’entrainer l’opacification du
cristallin.
Mais la forme de cataracte la plus fréquente est la cataracte sénile ou liée à l’âge; ce qualificatif traduisant la
méconnaissance actuelle de la physiopathologie de
cet0000te affection et des facteurs qui favorisent sa
survenue. On l’attribue à un phénomène de vieillissement
et à des trou-bles métaboliques de cet organe avasculaire
qu’est le cris-tallin.
Cette cataracte sénile revêt un aspect anatomoclinique particulier. Elle est le plus souvent corticonucléaire, atteignant
les couches corticales du cristallin sous forme d’opacités
triangulaires à base périphérique (cavaliers) et la partie
centrale, le noyau sous la forme d’une opacification
homogène. Plus rarement elle touche la partie centrale et
postérieure de la lentille, cataracte sous capsulaire postérieure.
C’est cette cataracte sénile qui par sa fréquence fait de
l’affection un problème de santé publique.
Elle atteint par définition une population de personnes
âgées, à partir de 65 ans et au-delà.
Mais il existe une forme dite présénile : c’est une affection
qui présente tous les caractères anatomiques et pathologiques d’une cataracte sénile, mais qui survient chez des
* Service d’Ophtalmologie - Hôpital d’Instruction des Armées Laveran
13998 MARSEILLE ARMEES.
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sujets jeunes parfois avant 40 ans. Cette forme est particulièrement fréquente en Afrique. L’atteinte de cette population jeune majore le poids socio-économique de l’affection.
On ne dispose pas en Afrique de statistiques exactes sur la
prévalence de la cécité et des déficiences visuelles dans la
plupart des pays. Les statistiques disponibles permettent
selon l’O.M.S. d’admettre que le taux de cécité se situe
entre 1 et 1,6 % soit un total de 6 millions d’aveugles de la
population totale (550 millions d’habitants). La moitié de
ces cécités sont dues à des cataractes.
L’évolution de ce type de cataracte est chronique. Elle se
traduit par une baisse d’acuité visuelle s’étendant sur
plusieurs années avec le plus souvent un décalage d’un oeil
par rapport à l’autre.
En l’absence de traitement, l’évolution se fait vers des
complications à type de luxation du cristallin, d’inflammations, de glaucomes aboutissant à une cécité définitive.
LE TRAITEMENT DE LA CATARACTE
- Le traitement préventif de la survenue de l’affection ne
pourra être envisagé que lorsque la physiopathologie de
l’affection sera mieux connue.
- Le traitement médical par voie locale (collyres) ou
générale à base d’iodures, d’acides aminés, d’acide triphosphorique etc... n’a pas fait la preuve de son efficacité. Il n’a pas sa place en Afrique.
- Le traitement est actuellement chirurgical.
L’abaissement du cristallin selon les techniques indigènes,
à l’aide d’une aiguille pénétrant dans la chambre antérieure
et luxant la lentille dans le vitré est encore très pratiquée en
Afrique. Cette technique doit être proscrite. Elle donne
quelques bons résultats à court terme, voire à long terme,
mais entraîne le plus souvent des complications inflammatoires et hypertoniques qui conduisent le patient à une
cécité définitive.
La chirurgie réglée peut se faire selon deux techniques :
- la phakoéxérèse intracapsulaire consiste à enlever la
lentille dans sa totalité à l’aide d’une cryode ou d'une pince
par une incision cornéenne supérieure ; c’est une technique
rapide et simple qui demande un minimum de matériel.
- la pakoéxérèse extra capsulaire déshabille le cristallin;
après ablation de la capsule antérieure, le noyau est extrait
par une incision cornéenne supérieure et le cortex cristallinien est enlevé délicatement par lavage-aspiraton prudent.
Cette technique plus élégante laisse persister la capsule
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postérieure du cristallin, ce qui aurait l’avantage d’entrainer un nombre moins important de complications rétiniennes à type d’oedème maculaire microkystique ou de décollement de rétine. Mais c’est une technique plus longue,
plus délicate qui nécessite un matériel (microscope notamment) plus performant donc plus cher.
L’opacification de la capsule laissée en place (cataracte
secondaire) nécessite souvent quelques mois ou quelques
années plus tard un traitement par laser YAG.
LA CORRECTION DE L’APHAKIE
L’ablation du cristallin opacifié ne représente que la première étape de la réhabilitation visuelle. En effet, l’hypermétropie induite par l’absence de cristallin ne lui permet
pas d’avoir une acuité satisfaisante. Celle-ci ne dépasse pas
1/50 et classe le patient dans la catégorie III des cécités
selon l’O.M.S. .
La correction de l’aphakie peut se faire de 3 façons différentes :
- les lunettes d’aphake de + 11,00, +12,00 dioptries donnent une bonne acuité et une réhabilitation visuelle satisfaisante mais entrainent des inconvénients à type d’aberrations optiques, de scotomes annulaires .
- les lentilles précornéennes à port prolongé.
- les implants cristalliniens constituent la méthode la plus
élégante ;
* implant de chambre antérieure prenant appui dans
l’angle iridocornéen après phakoéxérèse intracapsulaire
* implant de chambre postérieure après phakoéxérèse
extracapsulaire.
LES INDICATIONS THERAPEUTIQUES
Dans les pays développés, on réalise une prévention tertiaire : on traite l’affection dans la majorité des cas avant la
survenue du handicap, avant la cécité.
En l’état actuel des connaissances, la technique de choix
est la phakoéxérèse extracapsulaire avec mise en place
d’un implant de chambre postérieure dans le sac cristallinien laissé en place.
EN AFRIQUE
Dans de nombreux pays, les conditions socio-économiques
et géographiques ne permettent pas de faire bénéficier tous
LES CATARACTES SENILES EN AFRIQUE
les patients de ces progrès. Deux problèmes importants se
posent :
1 - Celui du choix de la technique d’extraction
La généralisation de la technique d’EXTRACTION
EXTRA-CAPSULAIRE avec implantation est rendue
difficile par le coût actuel des implants, la nécessité de
disposer d’un matériel (microscope, instruments de microc h i r u rgie) très performant donc très onéreux et d’un
chirurgien rompu à la pratique de cette chirurgie et disposant du temps nécessaire pour la pratiquer.
De plus le stade souvent avancé de cataracte mure ou
hypermure auquel des patients sont vus n’est pas favorable
à la pratique de cette technique.
La survenue fréquente d’une cataracte secondaire nécessitant un traitement par le laser YAG constitue également à
notre avis, dans le contexte géographique et sociologique
africain une contre-indication à la pratique de cette intervention.
En regard, l’EXTRACTION INTRACAPSULAIRE parait
beaucoup plus adaptée du fait de sa simplicité, de sa
rapidité d’éxécution et du matériel technique relativement
peu onéreux et robuste qu’elle réclame pour sa réalisation.
Le nombre de complications qu’elle entraîne est limité
lorsqu’elle est réalisée dans des conditions satisfaisantes
sur le plan technique. En particulier, les décollements de
rétine de l’aphakie nous ont toujours paru peu fréquents
même après des interventions compliquées.
La correction de l’aphakie pourra se faire :
- par la mise en place d’un implant de chambre antérieure
lorsque c’est possible; mais on reste limité par le coût et
la faible diffusion de ces prothèses en Afrique. Il faut
éviter également d’utiliser des pseudophakes dont la
tolérance et l’inocuité ne sont pas parfaitement reconnues.
- la mise en place de lentilles précornéennes à port prolongé est également contre-indiquée dans la majorité
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des cas pour les problèmes géographiques (sécheresse,
poussière dans le Sahel) une hygiène locale et une surveillance difficiles à assurer et un prix de revient élevé.
- la correction optique par lunettes d’aphake, lunettes à
prix modique réalisées dans des ateliers simples implantés près des centres chirurgicaux reste donc actuellement
la technique de choix. Elle assure, malgré les inconvénients cités, une réabilitation visuelle satisfaisante.
2 - Le second problème est celui du personnel apte à
réaliser cette chirurgie
La démographie médicale qui est dans certaines régions
d’un ophtalmologiste pour un million d’habitants montre à
l’évidence que le problème ne peut et ne pourra être résolu
dans un avenir proche par ce personnel, d’autant plus que
lui incombent des tâches d’organisation et de formation qui
se surajoutent à ses activités purement techniques.
Il faut insister sur le fait qu’une bonne formation chirurgicale est indispensable pour tout ophtalmologiste appelé à
travailler en Afrique. Il faut en tenir compte dans l’élaboration des projets de formation pour ces spécialistes tant
dans leur pays d’origine que lors de stages à l’étranger.
La formation du personnel paramédical au geste chirurgical
de la phakoéxérèse semble être pour la majorité des pays
africains une solution possible. Ce personnel doit être
sélectionné, formé non seulement au geste chirurgical,
mais à la pose d’indications correctes (recherche de projections lumineuses, de l’existence d’un réflexe photomoteur).
Il devra être encadré et un système d’évaluation des résultats sera mis en place.
Ces propositions ne représentent pas la solution au problème de santé publique que constitue par sa fréquence la
cataracte sénile en Afrique. Elles sont le fruit d’une expérience et d’une réflexion, et peuvent être utiles dans l’élaboration de programmes de lutte contre la cécité, l’action
envisagée devant être adaptée aux possibilités et aux
contingences particulières à chaque pays.
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