- , Influence. Tous les candidats à l'élection présidentielle soignent leurs liens avec les loges. Certains sont même initiés. Enquête sur le pouvoir des réseaux maçonniques. PAR SOPHIE COIGNARD es responsables politiques membres de la franc-maçonnerie se conduisent souvent comme de grands enfants. Ils refusent obstinément dereconnaître leur appartenance, nient l'évidence et ne se dénoncent pas les L uns les autres. Au moins sait-on que, sur la ligne de départ de la campagne présidentielle, deux candidats seulement sont initiés. Chez Corinne Lepage, la francmaçonnerie est une activité familiale puisque lemari del'ancienne ministre de l'Environnement, l'avocat Christian Huglo, ••• Henri de Raincourt Comme presque tous ses prédécesseurs, le ministre de la Coopération fait partie de la famille, ce qu'il dément avec énergie. DEUX CANDIDATS INITIÉS Corinne Lepage La présidente du parti écologiste Cap 2 l a été initiée à la Grande Loge féminine de France. Gérard Longuet Le ministre de la Défense le nie, mais il a été initié à la GLNF et y garde quelques réseaux qui ne sont pas inutiles au poste qu'il occupe. David Douillet I:initiation du ministre des Sports allait de soi dès lors qu'il est devenu champion de judo. La «fraternelle olympique» y veille, en effet. 50 1 26 janvier 2012 1 Le Point 2054 t" DANS LA GALAXIE SARKOZY 0- u.. Patrick Ollier Etre affilié à la GLNF n'est pas inutile lorsqu'on est ministre chargé des Relations avec le Parlement. ~ w François Baroin '"::J Fils d'un ancien grand maître du Grand Orient chiraquien, le ministre de l'Economie est « tombé dans 1- Z W ~ Z o ID la marmite quand ± il était petit», selon un frère. ~ ::J o o w u.. .{ Z Ci w ;;: ci: ::J o u.. ::J o :'J <{ Xavier Bertrand Initié au Grand Orient, il assure s'être mis en sommeil quand il a été nommé ministre. Cela n'empêche pas le réseau de continuer à fonctionner. Claude Guéant Gérard Larcher Alain Bauer Le ministre de l'Intérieur, bien connu à la GLNF, a trouvé place Beauvau de nombreux frères, tant dans la préfectorale que dans la police. L'ancien président du Sénat n'a jamais voulu assumer son appartenance. Le criminologue, ancien grand maître du Grand Orient, est depuis 2006 l'envoyé spécial du président en maçonnerie. w ::J '" ID Z 51;;: ;Ji ~ ::J Cl 1'z o ;;: w il: '" 6 ::J <{ ID ID 5 Cl "''"" W ID Edouard Courtial Michel Mercier Luc Chatel i:'w u.. Brice Hortefeux ci: W Secrétaire d'Etat chargé Lyonnais, centriste, Le ministre de l'Education Plutôt que de démentir, nationale aurait été initié des Français de l'étranger, l'actuel garde des le conseiller du président a ce frère initié très jeune dans une loge .deHauteSceaux avait toutes toujours refusé de commenter les qualités requises Marne, le département où il à la GLNF a remplacé son appartenance. Il est vrai pour faire un bon un frère de la même est élu depuis 1993. Il dément qu'il ne fréquente plus ______________________________________________________________________________________________________ obédience, David Douillet. franc-maçon. cette appartenance. les loges maçonniques. Le Point 2054 1 26 janvier 2012 N <{ ël ~ <{ -w ~ '" li 3 ~ o 1 51 ••• est une personnalité en vue à la Grande Loge nationale française et participe à de nombreuses assemblées fraternelles. Jean-Luc Mélenchon, lui, est fils de maçon mais a attendu 1983 pourrejoindre le Grand Orient de France, comme il le confirme pour la première fois dans une biographie qui lui est consacrée (1). S'il s'est montré discret, c'est parce que la francmaçonnerie n'est pas en odeur de sainteté chez les communistes: l'Internationale considère depuis l'entre-deux-guerres qu'il s'agit d'une «organisation bourgeoise et de collaboration de classe ». Les années ont passé, mais le préjugé Jeton en porcelaine de la loge Respect et fraternité (Grand Orient). défavorable, lui, perdure. Et les autres candidats? Ils ont des «entourages ». Ils se rendent à des «tenues blanches fermées» pour câliner les frères. Ils savent pouvoir compter sur des proches pour relayer des messages. Si les francs-maçons occupent tant de place dans une campagne, ce n'est pas seulement en raison de leur importance numérique. Un peu plus de ISO 000 personnes à jour de leurs cotisations, auxquelles il faut en ajouter autant qui, même si elles ont renoncé, restent initiées à vie, cela fait du monde. D'autant que les frères (et les sœurs, toujours très minoritaires) sont souvent assez sociables, plutôt bavards et assez prompts à faire la leçon aux «profanes». Mais ce qui compte avant tout, c'est le réseau. Celui qui permet de connaître, dans chaque ministère, dans chaque direction d'administration centrale, dans chaque entreprise publique, chaque groupe du CAC 40, chaque association influente, un correspondant de confiance. Dans la bataille présidentielle, maîtriser cette équation donne, sinon une longueur d'avance, du moins une certaine sérénité. Mais cela, les candidats et leurs lieutenants ne l'avoueront jamais, a. u. ~ ~ r----------------------------------------------------------------------------------------------,~ DANS l:ENTOURAGE DE FRANCOIS HOLLANDE ~ ~--------------------------------------------------------------------------------------------~~ o :, ..:w z z ~ '" Il: W ID Il: W U. W ~ Jean Le Garrec Le président du Cercle Ramadier, plus connu sous le nom de «fraternelle parlementaire », fait partie des vieux de la vieille. Jean-Pierre Bel Réputé proche des loges, le président du Sénat est un hollandiste de la première heure. Les deux hommes ont en commun d'avoir été sous-estimés dans leur propre camp. X François Rebsamen Longtemps numéro deux du PS, ce frère du Grand Orient était le codirecteur de campagne de Ségolène Royal en 2007. Jean-Yves Le Drian L'éphémère secrétaire d'Etat à la Mer dans le gouvernement Cresson, aujourd'hui .président du conseil régional de Bretagne et spécialiste de la défense, fait partie des « vieux potes ». Michel Sapin Initié au Grand Orient, l'ancien ministre de l'Economie du gouvernement Bérégovoy a choisi son ami François Hollande comme témoin de mariage, en décembre 2011. ur Il: Il: W ::> w ..J '" René Teulade L'ancien suppléant du député Hollande, membre du Grand Orient, se fait discret: il a été condamné en 2011 à dix-huit mois de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende pour abus de confiance par le tribunal. w crw Z Z o t.> ..: ~ ..: U z Il: Manuel Valls Initié au Grand Orient quand il était jeune, le responsable de la communication de la campagne n'a plus le temps de fréquenter les loges. L- 52 1 26 janvier 2012 1 Le Point 2054 Claudy Lebreton Le président du conseil général des Côtes-d'Armor, initié au Grand Orient de France, siège au conseil des élus du candidat. Jean-Michel Baylet Initié au Grand Orient, candidat à la primaire, le sénateur du Tarn-et-Garonne a trouvé un strapontin dans l'équipe de campagne. Gérard Collomb Le maire de Lyon a une qualité rare en • politique: c'est un franc-maçon qui s'assume. u. :'i w o W ill V> ::> ~~ ~ ~ pas plus que les patrons des grandes obédiences. Etrange déni. Après tout, les frères ont été les premiers à défendre la République quand elle n'était encore qu'une utopie (lire p. 58). Ils l'ont ensuite façonnée et dirigée pendant plusieurs décennies. Aujourd'hui, la République n'est plus maçohnique, mais les frères y ont toujours leurs habitudes. La grande époque où les programmes politiques se concoctaient en loge est certes révolue. Aux grandes idées d'hier ont succédé les petits arrangements d'aujourd'hui: une nomination, une promotion, une subvention ... Le réseau est là pour« fluidifier» le système de décision. Nicolas Sarkozy et François Hollande ne manquent pas de relais. Le président de la République n'avait pas ménagé sa peine, en 2007, pour séduire les loges. Son principal agent d'influence, l'ancien grand maître du Grand Orient Alain Bauer, lui écrivait des morceaux de discours truffés de références maçonniques: Valmy, Jaurès, Blum et même Eugène Le Roy, figure de la franc- ••• Querelle fratricide pour le toit familial Jeton en porcelaine de la loge Aletheia (Grand Orient). C'est, depuis plus d'un siècle, la maison des maçons. Situé au cœur de Paris, avenue de l'Opéra, le Cercle républicain accueille de nombreuses réunions fraternelles, mais aussi des conventions, cocktails, cérémonies financées par de grandes entreprises. Le plus souvent, c'est le réseau fraternel qui permet d'obtenir la confiance de clients tels qu'Air France, les Caisses d'épargne, France Télécom, le ministère de la Justice ... Mais, depuis des mois, une guerre déclarée et arbitrée par les tribunaux oppose des frères pour le contrôle de cette auguste maison. Les murs appartiennent à Axa, qui les loue à l'association du Cercle républicain, dont le conseil d'administration se compose de dirigeants des obédiences maçonniques et est actuellement présidé par Stéphane Fillette, du Grand Orient de France. Mais c'est une société commerciale, bien évidemment dirigée par un frère, Jean-Marc Borello, qui exploite les lieux moyennant le versement d'une redevance. Enjeu de la bataille: le contrôle des lieux. Depuis des mois, la redevance n'était plus payée et l'association a porté plainte contre la société d'exploitation. Pour pimenter le dossier, Fillette est un proche de François Hollande, Borello un soutien de Ségolène Royal. C'est le premier qui a gagné, le 12 janvier, devant le tribunal de grande instance de Paris. La société d'exploitation est condamnée à quitter les lieux et à verser plus de 300000 euros d'arriérés. Au Cercle républicain aussi, la tendance Hollande l'a emporté! • s.c. 1 AUTOUR DE FRANCOIS BAYROU ( François Bayrou nn'a jamais été très proche des loges, mais sa traversée du désert et son esprit républicain séduisent aujourd'hui les frères. w 0' w Alain Lambert Sarkozyste de la première heure, membre de la GLNF,l'ancien sénateur de l'Orne, aujourd'hui conseiller maître à la Cour des comptes, a rallié François Bayrou en novembre 2011. Dominique Paillé I:ancien porte-parole de l'UMP, initié à la GLNF,a longtemps tacIé Bayrou et ne fait pas partie de son écurie, mais il en fait le vainqueur de la présidentielle dans un roman,« Panique à l'Elysée ». z ';t ô~------------------------------------------------------------------------------------~ >: U z cr "-'" :"i ~Aux grandes idées d'hier ont succédé les petits 1arrangements d'aujourd'hui: une nomination, ~une promotion, une subvention ••• Le Point 2054 1 26 janvier 2012 53 1 ___ maçonnerie du Sud-Ouest et auteur du célèbre «Jacquou le croquant». Il organisait pour le candidat de l'UMP un banquet républicain qui ressemblait à une investiture fraternelle. Ne reculant devant aucune outrance, Nicolas .Sarkozy, ministre de l'Intérieur, envoyait de son côté aux syÎldicats de policiers, où tous les chefs sont initiés, des lettres de soutien inconditionnel qu'il signait en ajoutant trois points àsasignature pour suggérer une éventuelle appartenance ou du moins manifester une sympathie explicite envers la grande famille. Impossible de renouveler l'exploit en 20I2. L'impopularité du président est très aiguë au Grand Orient de France, où les atermoiements sur la laïcité du début du quinquennat ont fait beaucoup tousser. Nicolas Sarkozy doit donc compter, cette fois-ci, sur les nombreux frères de son gouvernement et de son entourage pour porter la bonne parole. Jeton en porcelaine de la loge Garibaldi, à Nice. AU CÔTÉ DE MARINE LE PEN Lebasculement du Sénat à gauche, à l'automne 2011, n'a pas arrangé les choses. La Haute Assemblée est depuis toujours une forteresse maçonnique. Les présidents quise succèdent ont un point commun. Au frère Poncelet a succédé le frère Larcher, lui-même remplacé par le frère Bel. Mais l'étiquette politique n'est plus la même, et c'est un nouveau lieu d'influence qui a ainsi été conquis par François Hollande: Jean-Pierre Bel est un de ses fidèles soutiens. Lesfrères Gérard Collomb, François Rebsamen, Jean-Michel Baylet, René Teulade siègent également au Sénat. Mais seuls les deux premiers, membres du Grand Orient de France, bénéficient d'une réelle influence au sein de leur obédience. Michel Sapin, également initié au Grand Orient de France, dispose quant à lui d'une aura qui s'étend à l'ensemble de la maçonnerie, où il est considéré comme sérieux, loyal et fiable, pour reprendre les propos de plusieurs frères de droite initiés à la GLNF. Alain Lambert aussi fait partie de ces francs-maçons dont on n'entend dire que du bien en interne. Membre de la Grande Loge nationale française, l'ancien sénateur de l'Orne, qui a rêvé un temps de briguer la présidence de la Haute Assemblée, nie son appartenance avec un entêtement étonnant. Son ralliement à François Bayrou représente un actif important pour le président du MoDem sur le front fraternel. François Bayrou, en effet, a longtemps été perçu comme méprisant envers les frères, qui le soupçonnaient, surtout au Grand Orient, d'appartenir de manière indéfectible au parti de la calotte. Reste le« cas Marine». Son père manifestait un antimaçonnisme suraigu, et la quasi-totalité des frères lui rendaient bien cette hostilité. Face à l'émergence du Front national, dans les années 80, le très mitterrandiste grand maître du Grand Orient Roger Leray avait purement et simplement interdit à ses ouailles de frayer avec le parti d'extrême droite sous peine d'exclusion. L'ancien ministre JeanPierre Soisson avait constaté qu'il ne s'agissait pas de paroles en l'air quand il avait flirté avec les élus frontistes pour conserver la pré sidence du conseil régional de Bourgogne. Depuis, l'ambiance a évolué des deux côtés. Marine Le Pen exhibe à l'envi sa proximité avec le président de son comité de soutien, l'avocat médiatique Gilbert Collard, initié à la Grande Loge de France et passé depuis à la GLNF. Au Grand Orient de France, un débat très vif a animé la fin de l'année 201 I. Son objet? Marine LePen doit-elle être, comme les autres candidats, conviée à une tenue blanche fermée pour exposer ses idées et son programme? Il y a seulement quelques années, personne n'aurait osé poser une telle question: le candidat d'un parti qui se situe en dehors des valeurs républicaines n'étiJit pas le bienvenu, tout simplement. Curieusement, c'est une partie de l'aile gauche du Grand Orient qui défendait l'idée d'accueillir la candidate d'extrême droite: les ayatollahs de la laïcité ne détestent pas son islamophobie. Le monde à l'envers! Car, s'il est une qualité que l'on ne peut contester à la franc-maçonnerie adogmatique et libérale, dont le GO est la composanteprincipaleenFrance,c'est ~ bien sa foi inébranlable dans les ~ valeurs républicaines _ ~ I U 1. «Mélenchon le plébéien», de Lilian Alemagna et Stéphane Alliès (Robert Laffont). LU a: LU z Z o <.> <t L Ù Z <t cr U- S LU L'impopularité du président est très aiguë-.u Grand Orient de France, où les atermoiements sur la laïcité du début du quinquennat ont fait beaucoup tousser. 54 1 26 janvier 2012 1 Le Point 2054 o LU tiJ <Il :::> L ~ § o I a. L'atelier secret des élites recrute! Fine fleur. La CIU compte une centaine de membres triés sur le volet. PAR SOPHIE COIGNARD es initiales sont identiques: CIU. Pour l'affichage vis-à-vis de l'extérieur, cette petite assemblée porte un nom très neutre: Cercles inter-universitaires. Dans la réalité, il s'agit de la Confraternité initiatique universelle. Alors que la Grande Loge nationale française n'en finit plus de se déchirer, certains de ses dignitaires tentent de recréer, hors de l' obédience, les réseaux qu'ils entretenaient hier à l'intérieur. Créée fin 2010 par un ancien professeur de médecine, Pierre a. Chastanier, la CIU a d'immenses ~ ambitions: réunir des représen~ tants de toutes les élites. «Ce cercle Michel MaHesoli Christian Huglo Universitaire Avocat Pierre Chastanier Ancien professeur de médecine L 1- , ~ est ouvert a des hommes etfemmes de ~ bonne volonté, choisis avec une extrême ~ précaution», explique un modèle ~ ~ ~ ~ 15 ~ ~ ffi : ~ ~ de lettre de recrutement envoyée aux membres du premier cercle, commes'appelle,àlaCIU,lavague initiale d'adhérents. Des lettres de recrutement! Destinées à qui? Théoriquement,laCIUn'estpas une organisation réservée aux seuls francs-maçons. Dans la réalité, le naturelrevientaugalop.Lesixième paragraphe de la fameuse lettre de recrutement commence ainsi: ~ «Nous accueillons desfrères et sœurs d'ins~ titutions initiatiques, de clubs services, ~ d'associations charitables, d'ordres ~ religieux, chevaleresques ou profesi;j sionnels, penseurs, savants, militaires ~ de haut rang qui se joignent à nous .( parce qu'ils représententunee1ite agis~ sante déterminée à se mettre vaillam~ ment au service d'une fraternité g humaine universelle.» Rien que cela! 6 de toutes origines (...) :membres Jean-Didier Vincent François Grosdidier Pierre Monzanl Neurobiologiste Député UMP Préfet de l'Allier Michel Payen Ancien grand maître du Droit humain Christophe Bourseiller Paul-Marie Coûteaux Journaliste et comédien De même, les rituels sont écrits, comme en loge, et incluent tous les incontournables maçonniques, telle la chaîne d'union, qui invite tous les participants à se tenir par la main en signe de solidarité, voire de communion. «Mettant notre engagement audessus de nos possibles différends, nous tissons inlassablement, au niveau le plus e1evé possible, un réseau de solidarités qui s'amplifie dans une absolue discrétion.» Solidarité et secret d'appartenance: il ne manque rien. Mais pourquoi, au fait, un inoffensif cercle universitaire devrait-il se réunir à l'abri des regards ? « Sans les mythes entretenus par les voies initiatiques les plus diverses, rien n'auraitrésistéau temps, explique. le président, Pierre Ancien député européen Chastanier, dans une lettre aux adhérents. Faisons donc en sorte, par le secret d'appartenance scrupuleusement maintenu, de donner une chance à notre confraternité de prospérer dans le silence jusqu'à ce qu'elle représente une force réelle qui pourra être utile au pays.» ccForce réelle n. On se pince! Voilà de quoi réveiller les fantasmes les plus aigus sur le pouvoir occulte de la franc-maçonnerie! Et pourtant, ce discours n'a pas dissuadé une petite centaine de personnes de rejoindre la future «force réelle qui pourra être utile au pays », à commencer par la candidate Corinne Lepage. Son mari, l'avocat Christian Huglo, fait partie des dirigeants et fondateurs de la CIU. Patrice Hernu, le fils de l'ancien ministre de la Défense, est un vieil habitué de ces cénacles. Mais on y trouve aussi des figures plus inattendues. Le secrétaire d'Etat chargé des Français de l'étranger, Edouard Courtial, et le député UMP François Grosdidier ont rejoint le mouvement en juin 20II, en même temps que l'ancien grand maître du Grand Orient Philippe Guglielmi, premier adjoint àlamairie de Romainville, l'ancien préfet Ivan Barbot, le journaliste et comédien Christophe Bourseiller, frère assumé, un dirigeant de l'Inserm et un autre d'EADS. Parmi les adhérents plus anciens, on distingue le neurobiologiste et membre de l'Académie des sciences Jean-Didier Vincent, l'universitaire Michel Maffesoli, l'ancien grand maître du Droit humain Michel Payen, le préfet de l'Allier Pierre Monzani, l'ex-député européen Paul-Marie Coûteaux, ainsi que plusieurs hauts fonctionnaires, notamment au ministère de l'Education nationale. Pas vraiment de quoi faire la révolution ni même noyauter le pouvoir en place! Reste une question: pourquoi des personnalités qui ne manquent pas d'occupations passent-elles au moins une soirée par mois, le plus souvent au Cercle républicain, à se réunir au sein de la très secrète CIU? . Le Point 2054 1 26 janvier 2012 1 55 aurait servi de quartier général à des affaires de mœurs. Le« fournisseur»,sil'onose dire, porte lui aussi un surnom évocateur: Dodola Saumure. Lui non plus n'est pas francmaçon, mais ses obligés, oui. Au centre duréseau: René Kojfer,bientôt septuagénaire, chargé des relations publiques du Carlton, mis en examen et écroué en octobre pour avoir présenté des prostituées à ses relations. René Kojfer fréquentait depuis longtemps une loge locale du Grand Orient, dans laquelle le BTP- quelle coïncidence - est bien représenté. «Quand il se levait le De Roger la Banane à Dodo la Saumure Lille. Police, justice, immobilier, les réseaux . maçonnIques de la ville se montrent sous leur pire jour. matin, la première chose à laquelle pensait René, c'était de savoir qui allait lui payer son déjeuner, raconte un ancien de la loge qui, dégoûté, a préféré partir. Si un policierétaitmuté et se sentait seul, il lui présentait une "copine". Il pouvait ensuite demander un renvoi d'ascenseur.» PAR SOPHIE COIGNARD ille est depuis toujours un fief maçonnique. Pierre Mauroy, qui n'était pas initié, savait déléguer le relationnel à ses adjoints et à ses fonctionnaires municipaux membres de la grande famille. Martine Aubry, qui ne l'est pas plus, a retenu la leçon. Mal vue par les loges locales à son arrivée - les forcenés de la laïcité la trouvaient trop «catho» à leur goût -, elle a su rétablir le contact grâce à deux de ses adjoints, le docteur Marc Bodiot, qui est aussi son médecin personnel, et Patrick Kanner, chargé du projet éducatif. Voilà pour le côté convenable. Mais à Lille, l'envers du décor fraternels'invite de temps à autre dans l'actualité. Ses protagonistes arborent des sobriquets amusants, certes, mais qui ne contribuent pas à rehausser le prestige de la ville. Dans les années 90,l'intermédiaire immobilier Roger la Banane, surnommé ainsi en raison de sa très voyante houppette à faire pâlir Elvis Presley, reçoit dans ses locaux à l'heure de l'apéritif. Il a même aménagé un bar où policiers, fonctionnaires municipaux, entrepreneurs du BTP et, parfois, figures du milieu se retrouvent autour d'un verre. Le maître des lieux est là pour mettre de l'ambiance, pour présenter les uns aux autres, éven- L 56 1 26 janvier 2012 1 Le Point 2054 Les « tontons flingueurs ». Roger Dupré, alias Roger la Banane (en haut), et Dominique Alderweireld, surnommé Dodo la Saumure. Ils ne sont pas francsmaçons, mais leurs obligés, oui. Pétaudière. Lecommissaire JeanChristophe Lagarde, chef de la sûreté départementale du Nord et camarade.de soirée de Dominique Strauss-Kahn, l'homme d'affaires Jacques Mellick, fils de son père, tuellementpour les dépanner. Mais, en I998, Roger la Ba- l'avocat en vue Emmanuel Riglaire et le patron local d'Eiffage David nanesefaitrattraperparune histoire d'escroquerie ban- Roquet, qui réglait, quelques factucaire qui le mène en prison. res inavouables pour DSK,fréquentaient aussi une loge lilloise du Aufilde l'enquête,deuxfoncGrand Orient. Cela fait beaucoup. tionnaires et un magistrat Tellement que le grand maître de sont également écroués. Preuve de l'importance des ré- l'obédience, Guy Arcizet,s'estrendu danslacapitaleduNordpourapaiseaux maçonniques au sommet ser les esprits. de la police et de la magistrature, la commissaire chargée de l'enquête Une tâche difficile. rancien avocat de René Kojfer, Me Christophe sera déplacée pour s'être montrée trop curieuse et un membre du Snyckerte, a été radié du Grand parquet subira le même sort. Roger Orient parce qu'il réclamait à cor et à cri la démission d'un frère de était-il initié? Il semble que non. Peut-être n'était-il pas assez chic, son atelier, Lux Universalis, mempas assez notable pour les frères du bre de la secte Sukyo Mahikari. Une étrange décision de la part d'une cru. Mais tous ses commensaux, eux, faisaient partie de la famille. obédiencequis'esttoujoursplacée à la pointe du combat contre les C'était même le ressort du trafic d'influence: on se fait confiance manipulations mentales. D'autres frères dénoncent, eux, l'appartegrâce à l'appartenance. Treize ans plus tard éclate l'af- nance d'un imprimeur du FN et faire du Carlton. Le palace lillois d'unprochedudéputéUMPChris.tian Vanneste, condamné pour propDS homophobes en 2007. Dans cette pétaudière, Roger la Bananelui-mêmenereconnaîtrait plus ses amis! • On se fait confiance grâce à l'appartenance. & ~ ~ l ~ ~ ~ ~ â ~ 6 6 i ~ ~ ~ ffi ~ Deux siècles de Pacs avec Alliance. L'historien Pierre Mollier raconte comment République et franc-maçonnerie sont liées depuis les origines. PROPOS RECUEILLIS PAR SOPHIE COIGNARD Le Point: Pourquoi République et franc-maçonnerie sont-elles intimement liées dans l'esprit des frères, d'abord, mais aussi dans l'esprit public? Pierre Mollier: L'image que l'on a de la franc-maçonnerie est marquée, encore aujourd'hui, par la me République, qui représente l'apogée de l'influence des loges sur la société française. De 1860 à 1914, voire à 1940, lafranc-maçonnerie a été le fer de lance du parti républicain. Comment ce rôle se dessine-t-il? Il ne s'agit pas d'un simple hasard historique. A la fin du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie se situe globalement dans le sillage des Lumières. Les dignitaires du Grand Orient, qui sont des notables, se reconnaissent dans l'héritage intellectuel du frère Voltaire. Très présent aux états généraux et dans les premières années de la Révolution, les francs-maçons sont le plus souvent girondins ou jacobins modérés. D'ailleurs, la première tentative d'instaurer en France une République «maçonnique» se concrétise avec le Directoire, un régime inspiré de la Révolution américaine, qui se veut à la fois modéré et moderne. Les initiés sont alors nombreux parmi le personnel politique, 58 1 comme Ramel (le ministre des Finances qui sauve laFeRépublique de la faillite) ou Fabre de l'Aude (qui présente Bonaparte à Barras ...). Mais par quelle étrange unanimité les francs-maçons vont-ils tous devenir républicains au cours du XIXe siècle? Ils y sont fortement poussés par ... l'Eglise catholique. Celle-ci devient en effet le bastion du conservatisme le plus étroittout au long du XIXe siècle. L'animosité de Rome s'est exprimée dès 1738, alors que la France ne comptait pas plus de 300 ou 400 frères, par la bulle« In eminenti» du pape Clément XII. Puis les anathèmes vont se succéder au cours du XIXe siècle. Du coup, lesfrancs-maçons vont progressivement passer du libéralisme philosophique au combatrépubli- cain. Rome condamne la liberté de conscience, la tolérance, la démocratie, la modernité ... les maçons vont sortir du confort de leurs loges pour défendre le programme des Lumières, c'est-à-dire la République et ses idéaux. La fibre militante des francs-maçons se renforce sous les feux de la Réaction, qui contribue à former deux camps politiques irréductibles: d'un côté, les conservateurs, monarchistes ou cryptomonarchistes, de l'autre les libéraux, qui deviendront les républicains dans la seconde partie duxrxe siècle. En fait, il Ya d'un côté la France qui refuse les Lumières et la Révolution et de l'autre celle qui s'en réclame. Les francs-maçons seront l'âme de cette France -là. Ce clivage fondamental structurera la vie politique française jusqu'en 1940. Il faut ajouter que c'est avant top.t une querelle politique où les questions strictement religieuses sont secondaires. Lamaçonnerie a d'ailleurs toujours entretenu des relations cordiales avec les Eglises protestantes oules consistoires israélites. Cependant, sous l'Empire, les francs-maçons vivent heureux, alors que le sacre de Napoléon se situe assez loin de l'idée républicaine ... Comme toutes les classes moyennes issues de la Révolution, ils vivent heureux jusqu'en 1808, tant l'Empire est finalement la continuation du Directoire et du Consulat. Le régime constitue le meilleurrempart contre le retour des Bourbons, valorise le mérite individuel et crée des institutions modernes (Code civil, lycées, ad- cc Défendre les Lumières, c'ést-à-dire la République et ses idéaux.» 26 janvier 2012 1 Le Point 2054 \,. .•... la République Marianne, une invention maçonnique « A ses débuts, raconte Pierre Mollier, la IIIe République se cherche un emblème qui marque la rupture avec la monarchie de Juillet et avec le second Empire. Le Grand Orient sélectionne un projet de Marianne du sculpteur maçon Jacques France. Le vieux Victor Hugo préside un Comité pour la Marianne pour promouvoir cette « image de la République telle que nous la désirons; noble et fière, souriant doucement à tous ses enfants» ! Ci-contre, représentation d'une Marianne francmaçonne, dans le temple ArthurGroussier, au 3e étage du siège du Grand Orient, rue Cadet, à Paris. ~ ~ ~ ~ ministrations ...). Les choses se gâtent en 1809, avec la monarchisation du régime, marquée notamment par la création d'une nouvelle no blesse. Même Cambacérès, pourtant d'une loyauté totale envers Napoléon 1er, considère que c'est une erreur. On en trouve d'ailleurs des échos dans les archives. Ainsi, en 1809, la loge du Mont-Thabor accueille le naturaliste Lacépède, sénateur et grand chancelier de la Légion d'honneur couvert de dignités et de titres pal,' l'Empereur, en des termes aigres-doux. Après avoir chaleureusement souhaité la bienvenue à ce Très Illustre Frère, l'orateur lui rappelle qu'il rejoint un lieu où tout le monde est égal et qu'il convient par conséquent de laisser les titres nobiliaires et autres hochets des vanités sur le parvis, à l'entrée du temple. Mais, à partir de 1812,les francs-maçons, comme tous les Français, sont fatigués par l'état de guerre permanent qui mine le régime. Ils ne se réjouissent pourtant pas de ce qui suit... La Restauration, pour eux, n'est pas une bonne nouvelle, en effet. Les royalistes - et a fortiori les « Ultras» - se méfient des frères, suspects de progressisme et tellement liés à la Révolution et à l'Empire. La franc-maçonnerie devient alors insensiblement un point de ralliement de l'opposition aux Bourbons derrière la figure emblématique du vieux La Fayette, qui fut en quelque sorte le premier maçon «politique» en France! Cette opposition politico-maçonnique va émerger en 1848. La révolution de 1848 est souvent présentée comme d'inspiration maçonnique. Est-ce exact? Il y a à l'évidence une composante maçonnique dans l'avènement de la ne République. Le symbole en est cette délégation du Grand Orient qui vient apporter une motion de soutien au gouvernement provisoire. Lamartine les accueille par un de ses célèbres discours. D'ailleurs, ce gouvernement provisoire compte onze membres, dont cinq sont des initiés. Au musée de la Franc-Maçonnerie, rue Cadet, nous conservons d'ailleurs une curieuse pièce où Pagnerre, le secrétaire général du gouvernement, qui était aussi un des dirigeants du Grand Orient, apparaît à la fois avec son écharpe tricolore et ses ornements maçonniques! C'est une sorte de prélude à ce qui va survenir après 1871, avecla proclamation de la me République. On atteint alors l'apogée de la « République maçonnique »... Oui, à cette époque, si tous les républicains ne sont pas francs-maçons, tous les francs-maçons sont républicains. Le Grand Orient de France, qui est de loin la ••• Le Point 2054 1 26 janvier 2012 1 59 ___ première obédience, joue le rôle de laboratoire d'idées pour le législateur. Le convent de 1896, par exemple, travaille sur ce qui deviendra le programme du Parti radical lors de sa création, en 1901. Les frères réunis Rue Cadet discutent de toutes les lois fonqatrices qui seront promulguées dans les années ou les décennies qui suivront: la laïcité, bien sÛT,mais aussi l'enseignement pour les filles, qui fait alors figure de dangereuse utopie révolutionnaire, l'enseignementtechnique, la formation professionnelle, les retraites ouvrières et l'impôt progressif sur le revenu. Ledéfiqu'ilssesontfixéesténorme: transformer à marche forcée un vieux pays conservateur et plus ou moins monarchiste en nation moderne et démocratique. Il faut aussi rappeler que la r:rre République est le premier régime à assurer la liberté d'expression à ses adversaires et à donner un statut à l'opposition ... y compris antirépublicaine! Le début des années 1880 marque le basculement de la France profonde dans la République. Les candidats qui s'en réclament deviennent majoritaires dans de nombreux conseils municipaux ou départementaux. Pendant les vingt-cinq ans qui suivent, la francmaçonnerie, c'est vrai, est au pouvoir. Les républicains ont gagné à la force du poignet. Lors de la créationduPartiradical, en 190I,plus Au pouvoir. Lors de la révolution de février 1848, le gouvernement provisoire compte cinq initiés. Ci-dessus, Lamartine repoussant le drapeau rouge à l'hôtel de ville de Paris, le 25 février, jour de la proclamation de la ue République (tableau de Félix Philippoteaux). Au menu des banquets Cent pour cent maçonnique, le banquet républicain fait son apparition dans l'histoire de France juste avant la révolution de 1848. Comme les réunions politiques sont interdites, on les remplace par des agapes ... où l'on ne parle pas seulement gastronomie, loin de là. Mais le gueuleton, en France, a toujours semblé inoffensif. «Les gens qui mangent et qui chantent ne complotent pas », aurait dit Louis XVI à Marie-Antoinette à propos des frères. En 1847, les progressistes organisent dans toute la France environ 70 banquets, qui réunissent près de 20000 per- 60 1 26 janvier 2012 1 Le Point 2054 de ISOloges du Grand Orient ont souscrit pour financer cette nouvelle formation. C'est si énorme que le conseil de l'ordre, l'instance dirigeante de l'obédience, envoie une circulaire demandant aux loges de ne pas participer directement à la vie politique. Les idées maçonniques triomphent donc assez facilement. .. Pas du tout, car il existe jusqu'à la Seconde Guerre mondiale un fort courant d'opinion qui est effrayé par la République et ses fers de lance, au premierrang desquels se trouvent les francs-maçons. L'Action française en est une illustration. Pendant près d'un siècle, le pays vit dans un climat de guerre sonnes autour de parlementaires ou de figures politiques locales. Objectif principal: élargir le corps électoral. L'interdiction de ces banquets provoque la colère et figure parmi les éléments déclencheurs de la révolution de 1848. Lointains héritiers de cette tradition, les banquets d'aujourd'hui réunissent moins de monde et fleurent parfois le clientélisme. Le Parti radical et le Front de gauche sont les plus friands de ces festivités, comme l'a montré Jean-Louis Borloo avec son Dîner de la République de décembre 2010, juste après sa sortie du gouvernement, où étaient présents de nombreux frères _ s.c. civile froide, avec des moments de crise aiguë, comme pendant l'affaire Dreyfus, où l'on n'a pas été loin de prendre les fusils. Dans ses Mémoires, le maréchal Lyautey raconte cette anecdote révélatrice. Sa grand-mère, quasi mourante, réunit toute sa famille et leur dit en substance: «Mes enfants, le Seigneur m'a exaucé. Vous êtes ici plus de 80 rassemblés autour de moi et pas un d'entre vous n'est républicain ...» Pendant toute cette période, le Grand Orient est donc la maison mère du Parti radical, tandis que la Grande Loge, aujourd'hui considérée comme plus conservatrice, est proche des socialistes. Pourquoi ce paradoxe? On dit parfois que la Grande Loge, qui souffrait du problème du numéro deux, a d'abord tenté de déborder le Grand Orient sur sa gauche, jusqu'en 1914. Puis, n'y parvenant pas, elle a essayé de la distancer sur sa droite. Plus sérieusement, dans des fiefs de gauche comme le Nord, les socialistes préféraient rejoindre la Grande Loge car ils considéraient le Grand Orient comme trop lié au Parti radical. Mais le Grand Orient luimême avait eu à gérer les divergencesauseinducamprépublicain. En 1881, celui-ci se déchire. D'un côte, les «Jules» (Ferry, Grevy, Méline), ces« républicains modérés qui n'étaient pas modérément / / w ~ ~ ~ Bi Q -- républicains ». De l'autre, l'aile la à de nombreuses démissions au plus radicale, qui met vingt ans à Grand Orient et qui a limité le refonder le parti du même nom. De crutement, en raison de l'impor1870 à 1885, le Grand Orient est tance prise par le Parti communiste d'abord conduit par les républi- - sur l'échiquier politique. cains modérés, puis les radicaux Puissurvient 1940, une année noire pour les frères. prennent le pouvoir et dirigent On oublie trop souvent que les lois l'obédience jusqu'ep 1914. Dans l'entre-deux-guerres, la antimaçonniques sont antérieures aux lois antisémites. Car l'obsesfranc-maçonnerie conservet-elle son pouvoir? sion de Vichy est d'abattre la C'est plus contrasté. Dans un pre- République, et pour mieux y parmier temps, elle continue sur sa venir il faut abattre la franc-malancée, comme l'illustre la carrière çonnerie, l'un de ses principaux de Pierre Mendès France. Il entre piliers. Ce qui signifie qu'il n'y a aucun au Grand Orient parce qu'il est un ministre franc-maçon à Vichy? jeune radical prometteur. L'appartenance, alors, fait partie Il y a quelques anciens radicaux qui ont viré à droite, mais Vichy de la panoplie. Même son implan_ tation politique dans l'Eure a une est fondamentalement antimaçondimension maçonnique. En loge, nique. Il y a une phrase très« déliil rencontre des notables qui ont cate» de Pétain qui se lance dans envie de faire campagne pour l'un une comparaison entre juif et mades leurs, un candidat jeune et dy- çon tout à fait flatteuse. namique. Mais le camp républiLes francs-maçons sont surpris cain s'élargit aux socialistes. Le par ce déchaînement? Grand Orient devient alors le lieu Ces artisans de la République de rencontre et de négociation en- n'imaginaient pas être mis au ban tre des gens qui sont concurrents de la société de cette façon par tous ceux qui les exécraient et qui sont sur la place publique, mais qui doivent conclure des accords élec- arrivés au pouvoir. D'ailleurs, toraux. Dans le Sud-Ouest, la droite Vichy va trop loin en décidant de est presque inexistante entre publier des listes de francs-maçons 1880 et 1940. Les radicaux et les pour mieux les diaboliser. Au bout socialistes sont donc en situation de quelques semaines, les préfets d'affrontement direct. La francdissuadent le gouvernement de maçonnerie sert à apaiser les ten- continuer, car ces divulgations sions. Le Grand Orient donne sa provoquent un effet contre-prodernière consigne de vote officielle ductif. Ces francs-maçons que l'on en 1924,lors de la victoire du Cartel décrit comme des ennemis de l'indes gauches. Edouard Herriot, le térieur, ce sont des notables qui nouveau président du Conseil, participaient hier encore à la con'est pas franc-maçon. hésion de la société française: le Et le Front populaire, a-t-il une directeur d'école qui décrochait importante composante une bourse pour le petit dernier, maçonnique? le médecin qui connaissait les seC'est plus nuancé que par le passé, crets de famille, le secrétaire de à cause de la présence de ministres mairie qui servait à l'occasion communistes. La vingt-deuxième d'écrivain public ... condition secrète de l'InternatioDans quel état se trouve la francnale interdit l'appartenance à la maçonnerie après la guerre? franc-maçonnerie, considérée, je Il faut tout reconstruire après les cite, comme «une organisation pillages, les dénonciations, les débourgeoise et de collaboration de portations. De plus, l'opinion publiqueveuttournerla page: _ tg classe ». Un oukase qui a conduit <{ L w Vichy est fondamentalement ~antima~onnique.» ~u CC Lescomplots des charbonniers Charbonnerie en France, Carbonari en Italie ... A l'origine, cette société initiatique rassemble des forestiers qui fabriquent le charbon de bois en Franche-Comté. Ses membres utilisent des signes de reconnaissance connus d'eux seuls et pratiquent l'entraide. Ils se retrouvent localement au sein d'une unité appelée non pas «loge», mais «vente ». Là se retrouvent non seulement des forestiers mais aussi des «acceptés », étrangers au métier, mais que les charbonniers veulent remercier et honorer. Ce sont sans doute ces éléments extérieurs qui permettent à la charbonnerie d'essaimer. Au début de la Restauration, alors que la maçonnerie est très surveillée, quelques jeunes intellectuels républicains décident d'utiliser ses rites et ses structures pour Diabolisés. L'affaire des Quatre soldats de la Rochelle. Accusés de conspiration sous la Restauration, ils sont guillotinéS en 1822. mener leur combat politique à l'abri des regards polic~ers. La plupart d'entre eux sont aussi des frères. C'est ainsi que se crée l'un des premiers réseaux d'influence, actif aussi en Italie, notamment dans le Piémont, ainsi qu'à Naples à la fin du royaume de Murat. En Italie comme en France, ces ventes soufflent l'esprit révolutionnaire dans les années 1820, avec comme objectif le renversement de la monarchie. Mais, dans l'Hexagone, les complots échouent les uns après les autres, malgré le renfort de La Fayette. Certains conspirateurs, tels les quatre sergents de La Rochellé, seront guillotinés en place de Grève. Balzac, dans «la rabouilleuse », ou Stendhal, dans «Lucien Leuwen», évoquent cette structure paramaçonnique et ses exploits _ s.c. Le Point 2054 1 26 janvier 2012 1 61 ___ les obédiences incarnent la dont on ne veut plus entendre parler. Lafranc-maçonnerie ne retrouvera ses effectifs d'avant guerre qu'en 1980. Cela n'empêche pas des personnalités importantes de la Wd'êtreinitiées, comme Guy Mollet oq Paul Ramadier. Etàdroite? Il est inenvisageable d'appartenir à la franc-maçonnerie jusqu'au début des années 60. Les premiers initiés viennent du radicalisme, alors passé au centre droit, ou du gaullisme de gauche, à l'image de Philippe Dechartre. Et à l'extrême gauche? Certains membres du Grand Orient, et non des moindres, étaient trotskistes, ce qui représente une vision assez particulière de la République! Dans les années 70,leGrandOrient, comme d'autres organisations, a peut-être été l'objet de l'entrisme de certains trotskistes. Mais tout cela n'est jamais allé bien loin, car les ardeurs révolutionnaires se sont bien vite retrouvées absorbées dans une chaleur fraternelle parfois un peu envahissante. Que reste-t-i1 aujourd'hui de cette vieille histoire entre francmaçonnerie et République? Lesloges ne peuvent pas se contenter de redire en 20I2 ce que disaient Jules Ferry en 1880 ou Mendès dans les années 30, mais les francs-maçons d'aujourd'hui essaient d'avoir pour leur temps les exigences que ces grands anciens ont eues pour leur époque. L'historien note que ce qui a assuré la pérennité de la franc-maçonnerie, c'est finalement sa remarquable capacité d'adaptation aux problèmes et aux aspirations des siècles qu'elle a traversés. Il y a cependant des constantes, des« fondamentaux », comme on dit maintenant! On pourrait évoquer la Bible, qui reste l'une des principales sources du symbolisme maçonnique, et Jules Romains, cet extraordinaire chroniqueur de la Ille République, et conclure par un essentiel «Paix aux hommes de bonne volonté »...l'ambition de la maçonnerie depuis trois siècles est de les réunir _ Lesambigunés du Vatican me République 62 1 26 janvier 2012 1 Le Point 2054 Edition. Dans son dernier livre, Bernard Lecomte décrypte les rapports entre l'Eglise et les loges. Focus sur les trente dernières années. n janvier 1983, le Saint-Siège rend public son projet de nouveau Code de droit canonique, lequel n'avait pas été révisé depuis 1917.Finalement, le nouveau texte stipule dans son article 1374 (qui remplace l'ancien canon 2335) qu'il condamne les sociétés secrètes, mais ne mentionne plus la franc-maçonnerie; celle-ci n'est plus considérée comme une « secte» mais comme une «asso« Les derniers secrets ciation ». Une question se pose: si du Vatican », de le caractère « sectaire» d'une loge Bernard Lecomte n' est plus patent, sa condamnation (Perrin, 388 p., 21,50 €). repose-t-elle toujours sur le comA paraître le 2 février. plot qu'elle est censée fomenter contre l'Eglise? L'idée de Jean-Paul II et des rédacteurs du Code était de supprimer nombre de cas où la peine d' excommunication ne se justifie plus, soit 35 cas sur 42. Parmi ceux-ci, l'appartenance à une loge maçonnique. On. saura plus tard que la discussion fut houleuse, et que le recul sur cette question a été fortement contesté par certains canonistes allemands. Faire partie d'une loge est désormais puni d'une «juste peine» (sic). A la discrétion de l'évêque local? Probablement, puisqu'on admet que la situation est différente selon les pays. Mais ce n'est pas explicite. Or,le 26 novembre 1983, veille de la mise en application du nou- EXTRAITS E veau Code de droit canonique, la Congrégation pour la doctrine de la foi publie cette fameuse «déclaration» où elle fait spectaculairement machine arrière. Le nouveau préfet de la congrégation s'appelle Joseph Ratzinger. Il est allemand. Il reprend, en substance, la déclaration de l'épiscopat allemand de 1980 (dont il fut l'un des rédacteurs), qui revenait sur les libéralités du cardinal Seper. Qu'on se le dise: les catholiques . «initiés» sont en état de «péché grave» et, tels les divorcés remariés, doivent s'abstenir de recevoir la communion. Si le péché grave est notoire et que le pécheur s'obstine, on peut même la leur refuser (canon 915). Un peu plus d'un an après, L'Osservatore romano publiera un grand article, non signé, intitulé «Foi chrétienne et franc-maçonnerie », qui explique que rien n'a changé sur le fond. L'incompatibilité est confirmée, le secret reste condamnable, ne serait-ce que parce qu'il altère la sincérité de la confession. Mais un simple article dans L'Osservatore romano, anonyme de surcroît, peut-il effacer dix ans d'imprécision? L'ambiguïté persistera jusqu'à nos jours. Elle provoquera parfois quelques réactions aussi sévères qu'impuissantes du côté de la Curie, mais aussi quelques propos ouverts, y compris de la part du pape Benoît XVI, s'adressant au «Parvis des gentils », à Paris, le 26 mars 20Ir: «S'il s'agit de bâtir un monde de liberté, d'égalité et de fraternité, croyants et non-croyants doivent se sentir libres de l'être, égaux dans leurs droits de vivre leur vie personnelle et communautaire en fideîité à leurs convictions, et ils doivent être frères entre eux. » L'affaire paraît donc entendue: chacun, désormais, en conscience, fera comme il l'entendra _