Introduction

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Couverture : Graphisme de Gilles Le Pape. Le phénix est extrait (figure 3) de la
planche d'un livre pour enfants (Bilderbuch für Kinder, puis nommé pour sa traduction
latine Novus orbis pictus. Weimar - Verlage des Industrie-Comptoirs, 12 vol. parus
entre 1792 et 1830, de Friedrich Justin Bertuch (1747-1822).
Rituels et catéchismes
au Rite Œcuménique
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-54445-1
EAN : 9782296544451
Jean-Marc Aractingi
Gilles Le Pape
Rituels et catéchismes
au Rite Œcuménique
Orient et Occident,
à la croisée des chemins maçonniques
De Gilles Le Pape :
Les écritures magiques, Aux sources du Registre des 2400
noms de Martinez de Pasqually, Milan : Archè, 2006.
Idées de Dieu dans la civilisation chrétienne,
Paris : Éditions Édite, 2009.
À paraître :
La mort lui va si bien ! De l’admirable palingénésie : du
phénix alchimique à la problématique théologique, Milan :
Archè-Edidit, 2011.
Quelques collaborations
(ouvrages collectifs) :
Cryptography in Dictionary of Gnosis and Western
Esotericism, edited by W.J. Hanegraaff, pub. BRILL,
Leiden / Boston, 2005.
Les Langues secrètes, in Politica Hermetica, éditions
L'Âge d'homme, Lausanne, 1999.
Écritures secrètes, in Dictionnaire critique de
l’Ésotérisme, dirigé par Jean Servier, éditions PUF
(Presses Universitaires de France), Paris, 1998.
Transcription du Rituel de Maître Fendeur, in Point
de vue initiatique, Cahiers de la GLDF N° 91, 1993.
Écritures ‘à lunettes’ en théurgie, Les cahiers de SaintMartin, éd. du Palimpseste, Vol. VII, Chécy, 1988.
9
De Jean-Marc Aractingi :
Des peintres orientalistes, Paris : Vues d’Orient, 2003.
La politique à mes trousses, Paris : L’Harmattan, 2006.
Druzes, Ismaéliens, Alaouites, confréries soufies : Secrets
initiatiques en Islam et rituels maçonniques, coécrit avec
Christian Lochon, Paris : L’Harmattan, 2008.
Quelques collaborations
(revues)
Les Druzes et la Franc-maçonnerie, in Les cahiers de
l'Orient, n° 69, 1er trimestre 2003, Paris : L'Équerre et le
Croissant, éditions Les cahiers de l'Orient.
Druzes et Franc-maçonnerie : points de convergence dans
les rituels et symboles, in Les Cahiers Jean Scot Érigène,
n° 8, Franc-maçonnerie et Islamité, Paris : la Grande Loge
de France.
10
Sommaire
Introduction
13
I Instructions de l’Aspirant
37
II Premier degré, Apprenti
Réception
Catéchisme
47
55
77
III Deuxième degré, Compagnon
Réception
Catéchisme
95
99
111
IV Troisième degré, Maître
Réception
Catéchisme
117
129
145
V Quatrième degré, Maître secret
Élévation
Catéchisme
155
165
181
11
Introduction
« Tantôt tu me vois musulman et
quel musulman ! Parfaitement sobre et
pieux, humble et toujours suppliant.
« Tantôt tu me vois courir vers les églises,
serrant fort une ceinture sur mes reins. Et
je dis : Au nom du fils. Après : Au nom du
père et par l’esprit saint...
« Tantôt dans les écoles juives, tu me vois
enseigner. Je professe la Torah et leur
montre le chemin. »1
Abd el-Kader
Si
j’avais été journaliste, je crois que cet article
aurait eu pour titre « Après l’athéisme, la Francmaçonnerie fait dans l’œcuménisme ! » avec un beau point
d’exclamation en caractère gras, laissant entre les lignes
un parfum de scandale. Il eût aussi été tentant d’emprunter
à Montesquieu son si beau titre des Lettres persanes, afin
1
Cf. Bruno Étienne. Abd el-Kader et la franc-maçonnerie, suivi
de Soufisme et franc-maçonnerie, Paris : Dervy, 2008, p. 94.
13
d’étaler à mon tour une correspondance épistolaire
imaginaire, mais romanesque, parlant de rituels
œcuméniques retrouvés au fond de l’une des grottes
libanaises de Jeita. La naissance d’un nouveau mythe en
perspective tant le sujet était beau. Il est vrai, plus
raisonnablement, que l’on croyait cette vénérable
institution maçonnique enfermée sur elle-même, empêtrée
dans ses batailles de clocher et de régularité, dans des
procès internes et externes touchant à sa comptabilité
(Grande Loge Nationale Française) ou à sa mixité (Grand
Orient de France), et voilà que quelques uns de ses
membres faisant fi de ces « fraternelles » disputes, tendent
la main vers l’Orient. Non pas l’Orient mythique (voire
« éternel ») où siègent symboliquement leurs chefs2 mais
l’Orient géographique, le vrai, celui des Arabes et des
musulmans, celui qui fait peur à plus de 40 % des Français
d’après le sondage IFOP pour le journal Le monde en ce
début d’année 20113.
Au VIIIe siècle, les penseurs grecs tels que Platon,
Aristote ou Plotin ou, plus près de nous, les écrits attribués
à Hermès Trismégiste comme le très célèbre Corpus
Hermeticum par exemple, sont heureusement traduits du
grec en arabe. Cet improbable travail qui touche tant aux
mathématiques qu’à la philosophie ou l’agronomie, se fait
à la demande de savants à l’image du calife Abbaside AlMa'mûm. La pensée grecque va ainsi nourrir les écrits
arabes4, et les Topiques d’Aristote enseigneront la
dialectique, cette rationalité du discours, à ceux qui seront
amenés à parler avec les chrétiens ou les juifs pour
2
Les « vénérables ».
La situation est souvent pire en Europe (Allemagne…). Ce sondage
conforte l’idée qui avait enterré, sans fleur ni couronne, le débat sur
l’identité nationale lancé en 2009, dès que l’islam est devenu un sujet
majeur du débat.
4
Comme ceux, typiquement, du brillant Al-Jahiz (776-868).
3
14
défendre leur jeune religion. Heureuses traductions car
l’Occident va littéralement perdre ces textes jusqu’au XIIIe
siècle5 où, cinq cents ans plus tard et grâce au travail que
l'on doit à des intellectuels comme Averroès (Ibn Ruchd)
qui les retraduisent de l'arabe en latin, ils réapparaissent. À
leur retour, ils constitueront les fondements de l'étude de la
philosophie hellénistique, celle qui préparera cette
Renaissance dont nous sommes si fiers et qui aurait
probablement été très différente sans la sauvegarde, bien
malgré nous, de cet héritage par les Arabes.
C’est à nouveau cinq siècles plus tard, au
XVIIIe alors que naît la Franc-maçonnerie, que Kant et
Goethe avouent ce qu’ils doivent à l’Islam, que
Montesquieu écrit ses Lettres persanes comme Schiller,
Keats, Byron ou, le lendemain, Hugo, Chateaubriand,
Nerval, Baudelaire et bien d’autres diront ce qu’ils doivent
à l’Orient6. Mis à part cette para-histoire liée au Temple de
Salomon, ces paraboles du récit historique qui ornent
nombre de ses grades, la maçonnerie aurait-elle oublié ?
On peut s’interroger mais en fait il n’y a pas de faute de
mémoire car ces références orientales n’y existent tout
simplement pas. De fait, au XVIIIe siècle encore, la Francmaçonnerie est chrétienne et uniquement cela, les Juifs
même ne peuvent y accéder. Ne parlons donc pas des
musulmans. Joseph de Maistre, à l’occasion de Convent de
Wilhemsbad en 17827, voit même dans l’Église catholique
une loge bleue, et donc par nature ignorante des mystères
supérieurs. Pouvait-il en être autrement quand les maçons
5
Des textes alchimiques oubliés également, disparus depuis le VIe
siècle, reviennent un peu plus tôt, dès 1144, avec la traduction du
petit opuscule de l’arabe en latin, le Liber compositionae par Robert
de Chester, l’évêque de Pampelune.
6
Comme le remarquait déjà J.-C. Pichon dans son histoire thématique
L’homme et les dieux, parue à Paris chez Robert Laffont (1965).
7
Mémoire au Duc de Brunswick.
15
qui établirent les rites étaient non seulement chrétiens,
mais catholiques, et juraient fidélité à leur souverain et à la
défense de l’Église. Si l’on examine, par exemple le 18e
degré du REAA, le rite qui sert de fondement aux Rituels
Œcuméniques, le symbolisme chrétien est si criant que de
le nier paraît indécent, inconcevable au regard du texte.
Songeons simplement qu’aux agapes (repas), les verres
sont appelés « calices » et la table « autel ». Alors il est
toujours possible de plancher sur différentes approches du
rituel, et toute interprétation alchimique ou philosophique
par exemple est un exercice de style méritoire et souvent
intelligent, mais il ne s’agit que de figures de styles,
d’exercices intellectuels qui ne peuvent renier la volonté et
la foi affichée des créateurs du rite. C’est toute la légèreté
du symbole, impuissante face à l’épaisseur du temporel.
Chercher à comprendre l’Écossisme, passe forcément par
une sensibilisation à l’ésotérisme chrétien. Peut-être pas à
une réelle connaissance de ce dernier car il ne s’agit que
de symboles (l’homme a-t-il besoin du connaissable pour
prétendre à l’indicible ?), mais ces symboles sont
omniprésents.
La Franc-maçonnerie, née des salons bourgeois à
l’aube du XVIIIe siècle, est donc essentiellement marquée
par une symbolique et une mythologie abondamment
judéo-chrétienne (la kabbale juive puis sa version
chrétienne rencontrent alors un certain succès), à l’image
de l’époque qui la voit grandir. Ceci explique que les
occidentaux de confession musulmane, français ou
européens, soient très peu représentés au sein des loges et
obédiences actuelles. On est très loin de toute forme de
représentativité sociale et, pour paraphraser la Table
d’Émeraude bien connue dans ces milieux, ce qui est en
dehors n’est pas comme ce qui est en dedans, la carte est
clairement dissociée du territoire. Un musulman est, c’est
bien naturel, en perte presque totale de ses repères
16
culturels face aux rituels et symboles qui structurent la
Franc-maçonnerie occidentale.
Alors la société musulmane le lui rend bien et la
maçonnerie qui se veut « discrète » est généralement
rejetée dans la plupart des pays arabes, alors qu’elle y
possède une histoire significative. Elle s’y trouve exclue,
parfois de façon violente, et la fatwa n’est pas la seule
arme. Son histoire est souvent liée aux démarches
initiatiques propres au soufisme, aux ésotéristes druzes ou
chiites par exemple. Sensibilisés par cette question,
quelques « frères » décident alors de monter de toutes
pièces une nouvelle obédience dont la vocation est
clairement de porter le message maçonnique partout en
Orient, y compris là où il est le plus mal venu, afin de ne
pas laisser dans l’ombre des femmes et des hommes
écartés des « lumières » de l’initiation maçonnique. Une
forme d’utopisme probablement, d’autant qu’une telle
ouverture ne peut se faire sans les attaques et
dénigrements des autres « clochers » maçonniques,
toujours en toute fraternité, naturellement ! Ces derniers
guerriers occidentaux ne conçoivent que très mal
l’éventualité d’un accès à cette fraternité universelle à
l’aide d’Internet qui serait en dehors, voire en
contradiction avec la Tradition, celle qui s’écrit avec un
grand « T » majuscule. Le Web est pourtant la seule voie
efficiente pour tenter de pénétrer ces pays « fermés ». Le
pragmatisme américain (Sharing the light) n’est pas de
mise ici, surtout après plus de trois siècles d’enfermement
sur soi en Europe à mettre cette majuscule au mot tradition
afin de mieux immortaliser son message « immuable ».
C’est plus rassurant et plus confortable à la fois. Pour cela,
on confond volontiers l’ancien avec le vieux, l’ésotérisme
avec l’occultisme en une approche qui confère rapidement
un caractère sacré à la légende, qui implique une stricte
observance aux soumissions rituéliques de la Tradition. La
17
Franc-maçonnerie est, en ce sens, un parfait reflet de notre
société et l’on peut s’interroger sur cette « Tradition » bien
récente car, faut-il le rappeler, les débuts de la maçonnerie
au XVIIe (Le Rite du Mot de maçon est élaboré vers
1630)8 ne s’encombrent pas de tant de fioritures. On
n’initie pas, on reçoit plus simplement, de même que les
« tenues »9 n’ont pour but que l’organisation d’actions
caritatives, et des agapes qui clôturent les travaux. Une
forme de club à l’anglaise qui prolonge les « salons » que
nous évoquions, eux-mêmes héritiers des Cabinets de
Curiosités, ou des Merveilles, qui naissent dès le XVIe
siècle10. C’est d’ailleurs ce qui va rapidement ennuyer le
Vénérable Maître J.B. Willermoz, le poussant à créer la
loge la Parfaite Amitié dans la seconde partie du XVIIIe
siècle. Tout le reste, dont les mythes liés à Hiram sont
exemplaires, est tardif. Les grades toujours plus
nombreux11 qui exploitent ces légendes par degrés, ne
flatteront systématiquement les egos qu’à compter du
XIXe siècle. Le Rite Écossais Primitif par exemple
comprend sept grades, et il en connaîtra jusque quarantesept au XIXe siècle, reposant sur des mythes qui tous
rendent l’histoire chaotiquement désirable. En consultant
avec intérêt le remarquable Tuileur de Vuillaume de
8
On constate les premiers enjolivements assez tardivement avec
l’Edinburgh register house de 1696, le rituel de la loge CanongateKilwinning où apparaît notamment un premier petit catéchisme et un
mot (M.B.) qui complète au 2nd degré les noms des colonnes (Cf.
Patrick Négrier, La Tulip. Histoire du rite du Mot de maçon de 1637 à
1730, Groslay : Ivoire-clair, 2005).
9
Réunions.
10
Cf. Gilles Le Pape, La mort lui va si bien, Paris : Archè, 2011.
11
Sauf pour ce qui concerne la Grande Loge de Lyon qui compte sept
grades, la maçonnerie, à ses débuts, n’en comporte que trois.
Aujourd’hui encore, on considère généralement que la démarche
maçonnique se limite à ces trois premiers grades qui sont dit « bleus ».
18
182012 à ce sujet, on comprend que la tentation des titres
est grande car l’on vit une époque où les sectes pullulent.
Occultistes (martinismes, piétisme…) ou politiques
(Illuminés bavarois…), elles se multiplient autant que
leurs héros (Cagliostro, Saint-Germain, Mesmer, Pernety
etc.). Tout ceci ne signifiant en rien que l’initiation
maçonnique, pour ne citer qu’elle, soit sans valeur. De
l’avis de tous, il suffit de la vivre pour se rendre compte
que c’est une œuvre collective étonnante de force et
d’intelligence, mais ce n’est pas pour autant qu’elle est
sacrée.
Certains écrivent qu'au temps des croisades les
Templiers établirent des rapports cordiaux avec les
musulmans, à ce point qu'ils avaient été initiés à leurs
mystères. Plusieurs Templiers auraient ainsi rapportés en
Écosse quelques « souvenirs » symboliques issus de ces
mystères, comme ceux qui donneront naissance au
22e degré du REAA sous le nom de « chevaliers de la
Royale Hache / Prince du Liban ». Ils auraient alors
dessiné les premiers traits de ce qui deviendra, plus tard, la
Franc-maçonnerie13. S’agissant là probablement de
métahistoire, l’histoire telle qu’on aurait aimé qu’elle soit,
plus que d’histoire proprement dite, on n’en reste pas
moins très étonné par les ressemblances structurelles et
symboliques qui existent entre les traditions maçonniques
et les démarches initiatiques druzes par exemple.
Les Druzes adoptent une attitude qui dépasse les religions
12
Cette édition est disponible sur Google Books.
Le fort ancien manuscrit dit « de Strasbourg » (1760) et
intitulé Deuxième Section, de la maçonnerie parmi les Chrétiens est
traité dans La Franc-maçonnerie occultiste au XVIIIe siècle de R. Le
Forestier (Paris, La Table d’Émeraude, 1987, Livre III). Il relie avec
bonheur, plus encore que Nerval, Templiers, Rose-Croix et Francsmaçons dans un même récit.
13
19
dans leur recherche de la vérité. Ils les unissent comme
toutes équivalentes, convergentes vers une seule source de
vérité… qui n’est pas le « Grand Architecte de l’Univers »
mais peu s’en faut. Une analyse philosophique druze qui
rappelle en Occident celle de Teilhard de Chardin, et qu’il
exprimait en peu de mots, expliquant que « Tout ce qui
monte converge ». Les Druzes, mais pas seulement. Il
existe à l’évidence des liens entre les tracés des chemins
initiatiques de la Franc-maçonnerie et ceux de plusieurs
communautés orientales. De fait le paysage islamique, à
l’image du catholicisme, est complexe et, à côté de
l’orthodoxie musulmane ou réputée comme telle tant
qu’elle ne sombre pas dans le fondamentalisme, certains
courants sont du plus haut intérêt pour le monde
maçonnique. Comme le notait Henri Corbin14, « Il y a
quelque chose de commun dans la manière dont un Böhme
et un Swedenborg comprennent la Genèse, l’Exode ou
l’Apocalypse, et la manière dont les Shï’ites, ismaéliens et
duodécimains, ou bien les théosophes soufis de l’école
d’Ibn Arabî, comprennent le Qorân et le corpus des
traditions qui l’explicitent ». Nous examinerons
rapidement deux de ces courants religieux importants,
dont l’influence sur le Rite Œcuménique est indéniable.
Tous deux, si l’on peut risquer cette comparaison,
s’inséreraient aisément dans ce qui serait en Orient,
l’équivalent des Lumières de l’Europe.
Hâdji-Bektach fonda au XIIIe siècle la famille des
Bektâchî, rapidement devenue une image de tolérance, de
courage et de bonté. Le bektachisme est encore
aujourd’hui, de manière un peu caricaturale, l'humanisme
contre l'obscurantisme, une barrière égalitariste contre le
fondamentalisme. Curieusement, on peut aussi considérer
14
Histoire de la philosophie islamique, Paris, Gallimard (coll. idées),
1964, p. 16.
20
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