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’Ashtaroût
Cahier hors-série n° 7 (février 2006) ~ Figures de la Déhiscence / Climacterium & Senium, pp. 60-63
ISSN 1727-2009
Jean-Luc Vannier
Le Désir & la Mort : brève spéculation sur le vieillissement
La paix qu’Éros menace, celui qui
vous l’offre, c’est Thanatos.
toute l’attention du fondateur de la psychanalyse et
des praticiens qui lui ont succédé. Mis à part l’article
de Ferenczi « Pour comprendre les psychonévroses du retour
d’âge » 2 et celui de Karl Abraham sur « Le pronostic du
traitement psychanalytique chez les sujets d’un certain âge » 3,
Freud lui-même n’a abordé rapidement le sujet qu’en
incidente dans « Pour introduire le narcissisme ». Sa
correspondance privée fournit, en revanche, un matériel très riche sur les considérations portées par le
père de la psychanalyse sur les impressions qui accompagnent le fait de vieillir.
Paradoxe encore puisque la psyché de l’être humain qui entame la dernière période de sa vie met
particulièrement en exergue deux symboles clefs de la
psychanalyse : le désir et la mort.
André Green
C’
est Madame du Deffand qui, dans sa correspondance avec Voltaire, exprimait avec une
pointe spirituelle le sentiment sur son âge avancé :
« Le fâcheux dans la vie, écrivait-elle à l’illustre philosophe,
c’est d’être né et l’on peut pourtant dire de ce malheur là que le
remède est pire que le mal. » 1 La naissance ouvre toujours l’irréversible compte à rebours du cheminement
énigmatique vers le néant. Si traditionnellement, le
sens commun tend à opposer la notion de la vie à
celle de la mort, la philosophie ou la psychologie ont
sensiblement modifié cette perception et tenté, non
sans un notable succès, d’établir une série de passerelles, d’analogies et de renvois mutuels, à même
d’éclairer et de rendre acceptable la seconde par la
première. De la conception jusqu’au dernier souffle,
les différents « âges de la vie » sont devenus des
objets d’étude des sciences humaines, reliant ainsi
entre eux les maillons d’une chaîne dont le commencement et la fin ne sont désormais plus exclus.
La psychanalyse a, elle aussi, largement contribué
à faire évoluer les questions de la mort en introduisant, à travers l’étude des processus psychiques inconscients une rupture avec une approche qui maintenait « la mort » refoulée et profondément enfouie
dans la pensée archaïque. Il s’agit là d’un paradoxe –
il n’en manque pas en psychanalyse dès lors qu’on
s’intéresse à l’inconscient – dans l’élaboration de la
théorie fondée sur l’expérience clinique. En effet,
dans la psychopathologie des âges de la vie, la période du vieillissement ne semble pas avoir retenu
Désir & mort : une
communauté de destin
Dans ses « considérations sur la guerre et la
mort », Sigmund Freud rappelle que l’être humain
entretient avec la mort un « rapport qui manque de
franchise ». Marquée par l’ambivalence lorsqu’il s’agit
de celle de l’autre, « un grand plaisir qui n’est pas à
négliger en vieillissant » 4, la mort qui nous attend
suggère des tendances à « la mettre de côté, à l’éliminer de la vie ». Déni et refoulement de la notion
accompagnent les âges de la vie jusqu’au vieillissement. Or, la vieillesse présente avec la mort une
proximité rendue troublante par ses aspects physi-
2 Sandor Ferenczi, Pour comprendre les psychonévroses du retour d’âge,
O. C., tome III, Payot, 1982.
3 Karl Abraham, Le pronostic du traitement psychanalytique chez
les sujets d’un certain âge, O. C., tome II, Payot, 1966.
4 « Celui, explique Madame du Deffand, de compter les impertinents et les impertinentes qu’on a vu mourir et la foule de ridicules qui ont passé devant nos yeux », in Madame du Deffand et son
monde, op. cit.
● Psychanalyste à Nice : 06 16 52 55 20. Email : [email protected]
1 Bénédetta Craveri, Madame du Deffand et son monde, coll. Points
Essais, Seuil, 1999.
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désir que ne termine aucun objet atteint, incapable
d’une satisfaction dernière » . Désir garant de la survie de l’humanité, aussi indestructible que son « être
en soi », et qui échappe au temps comme à la mort.
Perspective qui a également guidé Jacques Lacan
à s’interroger sur cette « réalité la plus inconsistante ». 4 Identifiée à la volonté, la force vitale cherche, comme celle qui anime le désir, à revenir à un
état antérieur ce qui autorise Freud, par sa pulsion de
mort, à considérer que « dans cette perspective, tout être
vivant meurt nécessairement par des causes internes ».
L’inscription de la perte finale dans l’acte de naissance même est ainsi rarement prise en considération
dans la cure qui a souvent tendance à se concentrer
sur les souffrances de l’infantile. C’est se risquer à
oublier qu’à la première perte de l’enfant, qu’à sa
chute dans la vie qui le contraint à quitter le monde
bienfaisant intra-utérin, bientôt suivie par la perte de
l’enfance à la puberté, correspond probablement le
saut final dans le néant, bouclé comme un éternel
retour et susceptible d’éclairer le refoulement originaire. « Naissance et mort appartiennent également à la vie »
et « ils font équilibre » 5 écrit à ce sujet Schopenhauer.
Ce philosophe rompt avec une tradition bien
établie, en posant la différence entre la volonté, le
vouloir-vivre qu’il situe avant toute chose, y compris
avant la connaissance, à l’image du nouveau né qui
« doit apprendre alors qu’il veut déjà ». 6 Cette volonvolonté explique cet « attachement sans bornes à la
vie » 7 alors que la connaissance sur la mort susceptible d’être acquise au cours de l’expérience des ans
nous offre le moyen d’en relativiser la douleur, voire
de nous la faire accepter. Peine perdue. La fin de la
vie de Freud reste, à ce titre, paradigmatique d’une
« volonté », d’un « vouloir-vivre » qui n’obéit pas à
l’intellect : dans ses toutes dernières heures, il doit encore faire appel à son médecin pour obtenir de lui
ques. Force est pourtant de constater que les « âges
déclinants » entretiennent une étrange « complicité »
avec l’annonce de la terminaison. Comment expliquer
cette situation ?
La psychanalyse a permis de mettre à jour une
singulière relation entre le désir et la mort.
L’apparition, dans la doctrine freudienne en
1920, de la pulsion de mort a éclairé la mécanique du
désir en proposant une convergence entre les deux
notions, une sorte de communauté de destin. La pulsion de mort, explique Freud, est la tendance de tout
être vivant à retourner à l’état inorganique : « Si nous
admettons que l’être vivant est venu après le non vivant et a surgi de lui, la pulsion de mort concorde
bien avec la formule (...) selon laquelle une pulsion
tend à un état antérieur ». 1 La fin de la vie et le désir
sont, en quelque sorte, mus par le même ressort aussi
étonnante que cette contradiction puisse paraître. Le
désir, comme la mort, appartient à la vie. Le vieillissement ne fait que subir l’un comme l’autre comme une
étape obligatoire sur un parcours dont il ne serait pas
responsable du tracé. C’est là, comme l’énonce le
philosophe Schopenhauer, « ce qui explique peut-être
cette expression de douce sérénité répandue sur le
visage de la plupart des morts ». 2
Quant au désir, son identification, le fait de « ne
pas céder » sur celui-ci alimentent, comme nous le savons, la dynamique de la cure autant qu’ils en esquissent sa finalité. Mais, à l’image de la formule freudienne, « avec la satisfaction, cesse le désir et par conséquent la jouissance aussi » 3, telle est la « petite
mort ». En ce sens, la satisfaction ne saurait être
qu’une délivrance à l’égard d’une douleur, explique le
fondateur de la psychanalyse dans « Malaise dans la
civilisation ». Dans le but ultime constitué par la
jouissance réside bien l’extinction provisoire du désir,
la perte signifiant le retour à la situation antérieure du
manque, à l’état déplétif d’un sujet toujours désirant.
C’est ce désir, que le philosophe Arthur Schopenhauer rapproche de sa notion de « vouloir-vivre », de
cette volonté « qui manque totalement d’une fin
dernière, désire toujours, le désir étant tout son être,
4 Jacques Lacan, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse
1964, in Le Séminaire de Jacques Lacan, Livre XI, Seuil, 1973.
5 Arthur Schopenhauer, Douleurs du monde, pensées et fragments,
Rivages Poche, Petite Bibliothèque, 1990.
6 Arthur Schopenhauer, Aphorisme sur la sagesse & sur la vie, coll.
Quadrige, PUF, 1985.
7 Arthur Schopenhauer, Métaphysique de l’amour, métaphysique de la
mort, extraits de Le Monde comme volonté & comme représentation, coll.
10/18, avril 2001.
Sigmund Freud, Abrégé de psychanalyse, PUF.
Arthur Schopenhauer, Le Vouloir-Vivre, l’art & la sagesse, textes
choisis par André Dez, PUF, 1963.
3 Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, PUF, 1971.
1
2
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ses ancêtres disparus. Par son récit chronique, l’être
en fin de vie marque bien l’enjeu du vieillissement
comme un affrontement personnel avec le temps et
un combat contre l’effacement de son inscription
dans l’espace. Le gardien de la mémoire est aussi un
banquier d’une histoire qu’il thésaurise.
S’il est une expérience de la psyché qui fait retour
dans le vieillissement, c’est bien celle du miroir. Comment, en effet, ne pas évoquer ce moment fondamental dans la petite enfance où l’enfant fait, à travers l’image spéculaire du « stade du miroir », l’expérience constitutive de l’image inconsciente du corps ?
Comment pourrait-il oublier cette « jubilation » qui
accompagne et sanctionne la découverte de son intégralité corporelle 4 ? Avec l’âge pourtant, le corps
subit « l’outrage » des ans, se soumet aux forces de
dé-liaison, à même d’entraîner une rupture avec le
Moi. La difficulté de se regarder dans le miroir, au
risque d’inverser la scène positive de l’image spéculaire, de provoquer morcellement et explosion du
corps dans la psyché explique, me semble-t-il, l’apparition, sur les meubles et dans les moindres recoins
des pièces, de cadres fixant les photos d’une descendance qui renvoie une image plus bienveillante du
regard familial…
qu’il lui administre l’ultime dose sédative destinée à
anéantir les quelques forces encore vives qui font
obstacle à sa décision de mourir. Voilà bien l’exemple
de « l’organisme en conflit permanent avec les forces
naturelles qu’il subordonne pour assurer son unité
vitale » 1. Comment ne pas comprendre, pour rejoindre Bichat, cette vie comme « l’ensemble des forces qui résistent à la mort », lorsque des agonisants,
encore conscients, attendent « impatiemment » la fin
en répétant avec cette force sublime la terrible exclamation : « Que c’est long ! »
Enfance & vieillesse entre
plagiat & recommencement
« Nous avons beau vieillir, explique Schopenhauer, dans notre for intérieur, nous nous sentons
toujours le même que nous étions dans notre jeunesse, dans notre enfance même ». Entre l’enfance et
la vieillesse, la psychanalyse a su montrer les retours
et les emprunts rendus aussi variés que possibles par
un inconscient pour lequel « le temps ne compte
pas ». En voici quelques exemples :
Parmi ces échanges entre enfance et vieillesse, le
plus connu d’entre eux réside dans un retour à la
pulsion orale qui se rencontre au dernier terme et que
Lacan résume avec son humour habituel : « ce qui va
à la bouche retourne à la bouche », rappelant au passage que l’objet pour la libido reste totalement indifférent. 2
Dans « Tuche et Automaton », Lacan explique encore qu’en dépit de l’attirance de l’enfant pour la
nouveauté, le vrai succès d’un conte, c’est sa « répétition » : d’où l’exigence que le conte soit toujours le
même et que « sa réalisation soit ritualisée » c’est-àdire textuellement le même. Inutile d’insister sur l’importance, pour les âges déclinants, de cette répétition
des gestes et des récits, source de besoin sécuritaire
mais aussi de liaison avec l’entourage. L’histoire racontée, sa récitation maintient « ouvert » l’accès à
cette identité narrative 3, la sienne autant que celle de
Qui a joui jouira
L’homme ne peut renoncer aux plaisirs qu’il a un
jour connus car l’appareil psychique conserve la trace
des premières satisfactions. Contrairement aux conceptions couramment admises, le désir, comme énergie quantifiable de libido, ne diminue pas, mais « se
réorganise sous la contrainte ». 5
Dans un article de 1895, Freud reprend les termes d’une lettre adressée à son ami Fliess un an plus
tôt : Avec l’âge, explique le père de la psychanalyse,
« la libido ne diminue pas, mais il se produit une telle
augmentation dans la production de l’excitation somatique que le psychisme est dans un état d’insuffisance relative pour maîtriser cette excitation ». 6
4 Nous n’entrerons pas ici dans les détails de l’opposition entre
Lacan et Dolto sur les effets de l’impact que l’image du miroir
produit chez l’enfant. Voir à ce sujet : Françoise Dolto, J.-Daniel
Nasio, L’Enfant du miroir, Petite Bibliothèque Payot, 2002.
5 Annie Birraux, « Pychopathologie des âges de la vie », in Psychanalyse, coll. Fondamental, PUF, 1996.
6 Bianchi et al., La Question du vieillissement, Dunod, 1989.
Gabriel Péron, Schopenhauer, la philosophie de la volonté, coll. Ouverture Philosophique, L’Harmattan, 2000.
2 Lacan, Le Séminaire, op. cit.
3 Muriel Gilbert, L’Identité narrative, une reprise à partir de Freud de la
pensée de Paul Ricœur, éd. Labor et Fides, Genève, 2001.
1
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été remplacées par celles nommées aujourd’hui par
d’autres praticiens « travail du trépas ». Le sujet, parfois un malade condamné, témoigne selon eux pour
ce qui lui reste à vivre d’un prodigieux appétit relationnel et se lance dans un « considérable surinvestissement des objets d’amour », « indispensable pour
assimiler tout ce qui n’a pas pu l’être jusque-là dans sa
vie pulsionnelle ». 4
De manière générale, force est de constater que
l’intérêt de la psychanalyse pour la période du
vieillissement connaît à peu près la même évolution
qui fut celle de la psychanalyse d’enfants : encore
marginal il y a peu, cet attrait croissant pour l’étude
des âges déclinants répond aux modifications du
champ social qui la rend digne d’un objet d’étude.
L’émergence d’un quatrième âge dû à l’allongement
de la durée de vie, l’inévitable dimension ludique et
les offres de loisir qui accompagnent et font de la
tranche d’âge précédente, une part de marché économique non négligeable, suscitent dans la pensée collective un « retour en grâce » – le troisième âge heureux – dont la sexualité n’est pas – ou plus – exclue.
La psychanalyse peut alors investir la clinique sur la
base théorique déjà énoncée par Karl Abraham et
selon laquelle « l’âge de la névrose est plus important
que l’âge du sujet ». 5
Une réhabilitation des âges déclinants paraît ainsi
programmée. Dans son journal intime, George Sand
annonçait déjà cette prise de conscience : « On a tort
de croire que la vieillesse est une pente de décroissement : c’est le contraire. On monte, et avec des
enjambées surprenantes. Le travail intellectuel se fait
aussi rapide que le travail physique chez l’enfant. On
ne s’en rapproche pas moins du terme de la vie mais
comme d’un but, et non comme d’un écueil ». –
Heureuse George Sand de s’en persuader ! 
Fantastique analogie avec la période pubertaire
où le corps précède et entraîne la psyché non préparée de l’adolescent. Ces deux moments de la vie
mettent ainsi en cause la relation avec l’objet : à la
puberté, l’autre est interdit ; en fin de vie, l’autre est
silencieux, condamnant l’investissement objectal à
l’échec traumatisant. L’adolescent ne comprend pas,
le vieillard ne comprend que trop. L’égoïsme de l’âge
déclinant vaut alors mesure de sauvegarde dans cette
inéluctable impasse.
Dans cette perspective, découvrant un autre rapport étonnant entre l’enfance et le vieil âge, les cliniciens des âges avancés ont mis à jour, comme pour la
puberté, un travail psychique destiné à « supporter
l’insupportable » qui revêt la forme d’un retour à la
pensée magique, marque de la toute puissance infantile. Alors que l’adolescence s’accompagne des fatasmes masturbatoires pubertaires, à même de l’aider
à franchir cet « inconnaissance », l’approche de la
mort donne lieu à des élaborations mentales sous la
forme d’investissements en des croyances ésotériques
et transcendantales vécues comme des « modalités de
réassurance narcissique ». 1
Par ailleurs, cette « expansion libidinale » et
« l’exaltation de l’appétence relationnelle » représentent chez certains psychanalystes, les « traits essentiels
de l’approche de la mort ». 2 Il est intéressant de
constater que cette vision du « grand voyage » n’est
pas sans rappeler celle du passage de l’enfance à
l’adolescence, l’une comme l’autre dûment marquées
par des rites initiatiques. La fin de vie signifie l’abandon de l’âge mûr alors que la période pubertaire marque la fin de l’enfance, voire l’entrée dans la vie après
la période intra-utérine, autant de pertes et de chutes
qu’accompagnent des phénomènes identiques mettant en jeu le désir. Freud n’évoquait-il pas l’angoisse
de la mort comme « analogon de l’angoisse de castration » 3 ?
Cette perte donne lieu à un travail sur la nature
duquel les psychanalystes ont considérablement évolué : Les conceptions de Eissler selon lequel celui qui
va mourir fait un « travail de deuil sur lui-même », ont
%
Annie Birraux, op. cit.
Michel de M’Uzan, De l’art à la mort, Coll. Tel, Gallimard, 1977.
3 Sigmund Freud, Inhibition, symptômes, angoisse, PUF, 1990.
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Michel de M’Uzan, op. cit.
Karl Abraham, op. cit.
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