REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Dossier
mais que la double dissociation inverse n’est pas possible.
Le syndrome amnésique, pour Mishkin, est ainsi spécifique-
ment dû aux lésions de l’hippocampe et non aux lésions
des structures internes en général, contrairement aux pré-
dictions du modèle de Squire.
Le modèle de Mishkin est cependant hiérarchique à un
autre niveau, important pour une bonne compréhension
des modèles hiérarchiques représentationnels présentés
en deuxième partie de cet article. Mortimer Mishkin
est connu pour avoir formalisé avec Leslie Ungerlei-
der la notion de voie ventrale et de voie dorsale. La
voie ventrale est une voie occipito-temporale inférieure
très importante pour le traitement des objets (au sens
large : les objets, les visages, la forme des mots, etc.).
Elle permet le traitement visuo-perceptif fin, la discrimi-
nation, la catégorisation et l’identification des objets...
Des lésions de cette voie entraînent différents types
d’agnosie ou de prosopagnosie. La voie dorsale, quant
à elle, est importante pour le traitement des informa-
tions spatiales, pour la perception du mouvement, pour la
localisation, etc. La voie ventrale est afférente au cortex
périrhinal alors que la voie dorsale est afférente au cor-
tex parahippocampique. Ainsi, Mishkin distingue claire-
ment deux grands systèmes fonctionnels afférents aux
structures temporales internes, l’hippocampe effectuant la
relation et la synthèse entre ces systèmes.
Cette idée est reprise et amplifiée par d’autres auteurs,
notamment Eichenbaum et al. dans leur modèle BIC (Bin-
ding in Context [8, 9]). De plus, l’idée qu’il pourrait exister
deux grands systèmes de mémoire, l’un important pour la
mémoire contextualisée, l’autre pour la mémoire décon-
textualisée, fait écho à d’autres propositions formulées
à la même période, notamment par Aggleton et Brown
[10-12]. Dans leur modèle, ces auteurs mettent l’accent sur
des circuits parallèles et indépendants (et non plus stric-
tement hiérarchiques) qui pourraient correspondre à des
systèmes de mémoire différents. L’un centré sur le cortex
périrhinal et connecté au noyau dorso-médian du thalamus
aurait un rôle critique pour la familiarité, l’autre centré sur
l’hippocampe et le fornix, le noyau antérieur du thalamus,
et le cortex rétro-splénial (le circuit de Papez) serait crucial
pour les processus de recollection. Notons que ces idées se
sont révélées extrêmement fécondes et robustes aux prédic-
tions de ce modèle [13-15]. Par ailleurs, des idées similaires
ont été formalisées, bien que vivement débattues, par des
auteurs comme Yonelinas [16].
Au total, le modèle de Mishkin, à l’opposé du modèle
de Squire, propose une relative ségrégation anatomo-
fonctionnelle des différentes structures temporales internes,
prédisant ainsi qu’il pourrait exister différentes «amnésies »
ou formes de troubles de la mémoire en fonction de la
lésion ou la préservation sélective des différentes structures
temporales internes.
Une partie des arguments en faveur du modèle de Mish-
kin, est issue, outre de l’étude de l’amnésie développemen-
tale, de l’étude de la performance à des tâches de mémoire
de reconnaissance chez des patients présentant des lésions
isolées de l’hippocampe acquises à l’âge adulte. Il existe dif-
férents paradigmes de mémoire de reconnaissance utilisés
chez l’homme (format en choix forcé vs oui/non, para-
digme R/K/G [remember/know/guess], théorie de détection
du signal et courbes ROC, méthode d’égalisation de la per-
formance par le contrôle du temps d’exposition, méthode
du contrôle de la source, etc., pour revue, voir [16]). Ces
différents paradigmes sont généralement combinés au sein
des différentes études pour plus de robustesse.
Dans un premier temps, différentes études ont rapporté
que les mécanismes sous-tendant la reconnaissance et le
rappel pouvaient être dissociés [17, 18]. En particulier, des
lésions frontales altèrent le rappel mais peu la reconnais-
sance alors que des lésions temporales internes altèrent
les deux. Aggleton et Shaw [19] les premiers remarquèrent
que certains patients amnésiques présentaient une préser-
vation de leur mémoire de reconnaissance lorsque ceux-ci
avaient des lésions limitées à l’hippocampe (trouble du
rappel sans trouble de la mémoire de reconnaissance).
Dans les années qui suivirent, plusieurs cas de patients
amnésiques présentant des lésions isolées de la formation
hippocampique et obtenant des performances normales à
des tâches de mémoire de reconnaissance furent rappor-
tés en détail (patiente YR, [20] ; patient MR, [21] ; patient
KN, [22] ; patiente FRG, [23]) ainsi qu’une étude de groupe
[24]. Ces études furent complétées par d’autres montrant
une préservation de la familiarité mais une altération de la
recollection chez des patients présentant des lésions limi-
tées à la formation hippocampique [25, 26]. En résumé,
ces études supportent l’hypothèse d’une dissociation
anatomo-fonctionnelle au sein des structures temporales
internes.
Néanmoins, Squire et al. montrèrent parallèlement que
des lésions isolées de la formation hippocampique acquises
à l’âge adulte altèrent de manière significative la capacité
à reconnaître correctement de nouveaux stimuli dans des
tâches de mémoire de reconnaissance [27-29]. Ces résul-
tats s’opposent donc directement aux études rapportées plus
haut. D’autres études de cette équipe indiquent également
que l’hippocampe est impliqué à la fois dans les proces-
sus de recollection et les processus de familiarité [30].
Bien entendu se pose un problème d’interprétation de ces
résultats divergents que Squire et al. tentent de résoudre
en proposant que les structures sous-hippocampiques et
hippocampiques pourraient se différencier selon une notion
de degré, les structures sous-hippocampiques supportant
un type de mémoire faible, la formation hippocampique
supportant un type de mémoire forte [31].
Un débat tout à fait similaire et tout aussi important a
lieu concernant la mémoire sémantique. Alors qu’un cer-
tain nombre d’études rapportent que des sujets peuvent
apprendre de nouvelles connaissances sémantiques alors
qu’ils présentent un syndrome amnésique en relation avec
des lésions hippocampiques (par exemple KC [32], KN [33]
et RS [34], sans compter les cas d’amnésie développemen-
tale), d’autres études, issues du groupe de Squire, mettent
en cause le fait que cela soit possible [35-37].
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