doi:10.1684/nrp.2011.0172
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Dossier
Rev Neuropsychol
2011 ; 3 (2) : 104-11 Les modèles de la mémoire :
approches anatomo-fonctionnelle et
représentationnelle hiérarchique
Models of memory:
anatomo-functionnal and
representational-hierarchical views
Emmanuel J. Barbeau
Université de Toulouse ; UPS,
Centre de recherche cerveau et cognition ;
CNRS, CerCo, Toulouse
Pour citer cet article : Barbeau EJ.
Les modèles de la mémoire : approches ana-
tomofonctionnelle et représentationnelle-
hiérarchique. Rev Neuropsychol 2011 ;
3 (2) : 104-11 doi:10.1684/nrp.2011.0172
Résumé Nous présentons dans cet article le modèle de la mémoire
déclarative conc¸u par Mishkin, puis un modèle radica-
lement différent des conceptions usuelles de la mémoire déclarative, appelé modèle
représentationnel hiérarchique. Le modèle de Mishkin est un modèle anatomo-fonctionnel
car il propose que les différentes structures composant le lobe temporal interne contri-
buent de manière différente à la mémoire déclarative. L’hippocampe, en particulier,
supporterait la mémoire contextualisée (mémoire épisodique et spatiale), alors que
le cortex périrhinal supporterait la mémoire décontextualisée (mémoire sémantique
et mémoire de reconnaissance basée sur la familiarité). Le modèle représentation-
nel hiérarchique abandonne, quant à lui, la relation anatomo-fonctionnelle mémoire
déclarative/structures temporales internes. Dans cette approche, les structures tempo-
rales internes sont divisées en deux : l’hippocampe appartiendrait à la voie dorsale et
traiterait des représentations spatiales complexes ; le cortex périrhinal appartiendrait à
la voie ventrale et traiterait les représentations liées aux objets lorsqu’il faut les dis-
criminer alors qu’ils partagent de nombreux traits. Par conséquent, ces structures ne
seraient pas impliquées uniquement dans la mémoire déclarative, mais dans toute tâche
cognitive, même perceptive, requérant une représentation complexe. Ce modèle, supporté
par plusieurs études récentes, renouvelle entièrement le rôle des structures temporales
internes dans la cognition.
Mots clés : mémoire ·long terme ·amnésie ·troubles de la mémoire
Abstract Here, we present two models of declarative memory: the
model of declarative memory put forward by Mishkin
following his studies in the animal and on developmental amnesia ; and the hierarchical-
representational model recently proposed by Murray and Bussey. Mishkin’s model is an
anatomo-functional model in that it posits that the different structures of the medial tempo-
ral lobes play different roles in declarative memory. Following this view, the hippocampus
is critical for context-rich memory, such as episodic or spatial memory, whereas the perirhi-
nal cortex is important for context-free memory, such as semantic or single-item memory
as well as familiarity-based recognition. In this model, isolated lesions of the hippocam-
pus could lead to amnesia (impaired context-rich memory), while leaving context-free
memory relatively intact. The representational-hierarchical view of amnesia on the other
hand gives up the strong relationship between declarative memory and medial temporal
lobe structures that most other models posit. In this approach, medial temporal lobe struc-
tures are not viewed as forming a single system, but rather as belonging to two different
systems: the hippocampus to the dorsal stream and the perirhinal cortex to the ventral
stream. Therefore, the hippocampus and the perirhinal cortex are supposed to process
Correspondance :
E.J. Barbeau
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representations based on a high level of feature conjunction (descriptive of scenes for the
hippocampus and of objects for the perirhinal cortex). A consequence of such approach
is that these structures would not be involved only in declarative memory but in any task,
visuo-perceptive for example, requiring these complex representations. A growing number
of studies have supported this view in recent years.
Key words: memory ·long-term ·amnesia ·memory disorders
La mémoire est une notion complexe, abordée de mul-
tiples manières en philosophie, en psychologie, en
neuro-imagerie, en électrophysiologie, en immuno-
histochimie, au niveau des systèmes anatomo-fonctionnels,
au niveau du neurone, du canal ionique, chez l’homme,
chez l’animal, etc. Il n’est pas surprenant par conséquent
qu’il existe de multiples théories et modèles de la mémoire,
parfois difficiles à concilier, en tout cas difficiles à synthéti-
ser.
Des phénomènes mnésiques sont observés dans tous
les organismes sensibles, même les plus simples. Certes,
une définition habituelle de la mémoire est «la faculté
qui permet d’encoder, stocker et rappeler des expériences
passées », mais cette définition met l’accent sur la capa-
cité de rappel conscient, or de nombreux phénomènes
mnésiques sont inconscients et s’expriment de manière
implicite. En d’autres termes, ils s’expriment au travers de
l’organisme en modifiant automatiquement son comporte-
ment ultérieur. Une autre définition de la mémoire, plus
complète, est par conséquent qu’il s’agit de «l’ensemble
des mécanismes par lesquels une expérience peut modifier
un comportement ultérieur ».
Dans ce dossier, il est beaucoup question de la mémoire
déclarative, un type de mémoire consciente. Elle permet la
réinstantiation et la manipulation d’informations dans un
espace mental temporaire. En d’autres termes, certains états
du monde peuvent être rappelés et recréés mentalement,
par définition même en leur absence. Ces états du monde
peuvent correspondre à un épisode de vie dont le sujet
a fait l’expérience personnellement ou à un ensemble de
connaissances décrivant le monde tel qu’il est en général.
Par opposition à la mémoire implicite qui influe automa-
tiquement sur le comportement, la mémoire déclarative
offre une certaine liberté au sujet car celui-ci a le choix
d’utiliser l’information rappelée ou non. Ainsi, la nature
de la mémoire déclarative est de stocker à très long terme
(une centaine d’années) des connaissances sur soi et sur
le monde. Sa fonction est probablement de permettre une
certaine liberté de comportement, comme nous venons de
l’évoquer, autorisant ainsi des comportements entièrement
nouveaux. À cet égard, la classe de données manipulée en
mémoire déclarative n’est pas ou peu accessible à d’autres
espèces animales (bien que cela soit débattu), fournissant
ainsi un avantage adaptatif.
Un modèle influent de la mémoire, celui de Squire et al.,
met en avant une dichotomie anatomo-fonctionnelle assez
franche entre la mémoire déclarative et les autres mémoires.
Dans cette conception, la mémoire déclarative dépend des
structures temporales internes et, réciproquement, ces der-
nières ne sont impliquées que dans la mémoire déclarative.
Cette idée générale (bien que pas aussi importante sur le
plan de leur théorie interne), est également présente dans
différents autres modèles (notamment celui de Tulving et
celui de Mishkin) mais est remise en question dans plusieurs
modèles récents.
Dans cet article, qui est complémentaire à l’article sur
le modèle de Squire présenté par Robert Jaffard et à l’article
sur le modèle de Tulving présenté par Béatrice Desgranges
et Francis Eustache, je décris d’abord le modèle de Mishkin,
puis une évolution progressive de celui-ci, le modèle
«hiérarchique représentationnel ». Comme on le verra,
ces modèles couvrent au total un assez large éventail des
concepts et idées contemporaines relatives à la mémoire
déclarative.
Le modèle de Mishkin
Mortimer Mishkin est un auteur majeur dans le domaine
de la mémoire, ayant commencé à publier dans les années
1950 et continuant à travailler dans son propre laboratoire.
Dans les années 1970, il s’intéresse en particulier à identifier
un modèle animal de l’amnésie humaine, telle qu’elle était
observée à l’époque chez le patient H.M. Cette approche
lui permet d’identifier un paradigme échoué après lésions
temporales internes de manière similaire chez le macaque
et chez l’Homme [1, 2]. Il s’agit des tâches de mémoire
de reconnaissance (visuelle chez l’animal). Ce paradigme,
développé chez l’animal sous le nom de Delayed Non-
Matching to Sample test (DNMS), sera à l’origine de
très nombreuses études et sera en partie à l’origine de
l’importance des tâches de mémoire de reconnaissance
dans l’étude de la mémoire, aussi bien chez l’homme
que chez l’animal. Cette approche permettra d’effectuer
des lésions sélectives des différentes structures temporales
internes afin de déterminer lesquelles sont importantes pour
le DNMS. Bien que l’hippocampe et les amygdales soient
tout d’abord mis en cause, l’attention se portera progressi-
vement dans les années 1990 sur le cortex périrhinal [3],
une structure en dessous et en avant de l’hippocampe (pour
revue, voir [4]). Ainsi naît progressivement l’idée que les
structures temporales internes sont constituées de structures
cytoarchitectoniquement distinctes ayant des fonctions dif-
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férentes au sein de la mémoire déclarative. Il s’agit de la
base du modèle de Mishkin.
Cette idée culmine avec l’identification et l’analyse
détaillée de l’amnésie développementale au milieu des
années 1990 [5]. Vargha-Kadhem et Mishkin rapportent
le cas de trois adolescents souffrant d’une amnésie sévère
secondaire à des lésions d’origine anoxique limitées à la
formation hippocampique et contractées pendant la petite
enfance. Ces adolescents présentent un syndrome amné-
sique important ayant conduit à une perte d’autonomie
dans la vie quotidienne à cause de la désorientation tempo-
relle et spatiale importante dont ils souffrent. Néanmoins,
et de manière tout à fait surprenante, ils ont poursuivi
une scolarité relativement normale. Ceci indique qu’ils
ont pu acquérir de nombreuses connaissances séman-
tiques malgré leur syndrome amnésique, suggérant une
dissociation entre une capacité à acquérir un savoir et
des connaissances générales sur le monde et d’autre
part une capacité à rappeler les événements personnelle-
ment vécus. De plus, ces adolescents étaient capables de
réussir en laboratoire des tâches de mémoire de recon-
naissance visuelle et verbale (permettant ainsi le lien
avec les études réalisées chez le macaque mentionnées
ci-dessus), ainsi que des tâches de mémoire de recon-
naissance de paires de mots ou de visages (cette habileté
sera beaucoup discutée afin d’approfondir la question de
la nature des relations que traite la mémoire déclarative).
En revanche, aucun d’entre eux ne pouvait réussir de
tâche de reconnaissance de paires de stimuli si chaque
stimulus était présenté dans une modalité sensorielle dif-
férente. De même, leurs performances étaient déficitaires
si la tâche nécessitait l’encodage simultané de la localisa-
tion du stimulus à mémoriser. Mishkin et Vargha-Khadem
suggèrent ainsi qu’en présence de lésions hippocam-
piques isolées, la préservation du cortex périrhinal de ces
patients leur permettrait d’acquérir de nouvelles connais-
sances sémantiques et de réussir les tâches de mémoire de
reconnaissance, comme le suggéraient les études anté-
rieures de Mishkin chez l’animal.
Ces résultats conduisent ces auteurs à proposer un
modèle hiérarchique et modulaire dans lequel ils dis-
tinguent deux grands systèmes (figure 1) : un système
important pour la mémoire contextualisée, c’est-à-dire
la mémoire autobiographique épisodique et spatiale, qui
dépendrait de l’hippocampe ; et un système important
pour la mémoire décontextualisée, c’est-à-dire la mémoire
sémantique et la mémoire de reconnaissance lorsque
celle-ci est fondée sur la familiarité, qui dépendrait du
cortex périrhinal et des structures adjacentes (pôle tempo-
ral mésial ainsi que le cortex entorhinal latéral). Le type
d’information encodée en mémoire décontextualisée est
indépendant du contexte spatio-temporel d’acquisition tant
à l’encodage que lors de leur rappel. Ce deuxième sys-
tème permet plus généralement l’encodage et le stockage
des stimuli individuels (des items uniques), c’est-à-dire
des stimuli lorsque ceux-ci peuvent être traités indépen-
damment de leur contexte de présentation. Un troisième
système, moins élaboré dans ce modèle, permet le trai-
tement de certaines informations spatiales et dépendrait
plus particulièrement du cortex parahippocampique (partie
postérieures des structures sous-hippocampiques). Il s’avère
que ce système est maintenant connu pour son rôle crucial
dans le traitement des scènes et du contexte [6, 7].
Ce modèle est hiérarchique (comme le modèle de
Tulving) car le système de mémoire contextualisée dépend
des systèmes de mémoire afférents. Les auteurs postulent
ainsi qu’il est possible d’observer une atteinte de la mémoire
contextualisée sans atteinte de la mémoire décontextualisée
Mémoire
contextualisée
Hippocampe
Mémoire
contextualisée
Hippocampe
Mémoire
décontextualisée
Cortex p
é
rirhinal
Mémoire
décontextualisée
Cortex p
é
rirhinal
Mémoire
spatiale
Cortex parahipp.
Mémoire
spatiale
Cortex parahipp.
AB
Syndrome
amnésique
Voie ventrale Voie dorsale Voie dorsaleVoie ventrale
Figure 1. Modèle hiérarchique de Mishkin (voir texte pour détails). A) modèle complet ; B) des lésions hippocampiques entraînent un syndrome amnésique
(c’est-à-dire une atteinte de la mémoire contextualisée). Mais si les lésions sont limitées à l’hippocampe, les structures sous-hippocampiques permettent
néanmoins de traiter un certain nombre d’informations décontextualisées.
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mais que la double dissociation inverse n’est pas possible.
Le syndrome amnésique, pour Mishkin, est ainsi spécifique-
ment dû aux lésions de l’hippocampe et non aux lésions
des structures internes en général, contrairement aux pré-
dictions du modèle de Squire.
Le modèle de Mishkin est cependant hiérarchique à un
autre niveau, important pour une bonne compréhension
des modèles hiérarchiques représentationnels présentés
en deuxième partie de cet article. Mortimer Mishkin
est connu pour avoir formalisé avec Leslie Ungerlei-
der la notion de voie ventrale et de voie dorsale. La
voie ventrale est une voie occipito-temporale inférieure
très importante pour le traitement des objets (au sens
large : les objets, les visages, la forme des mots, etc.).
Elle permet le traitement visuo-perceptif fin, la discrimi-
nation, la catégorisation et l’identification des objets...
Des lésions de cette voie entraînent différents types
d’agnosie ou de prosopagnosie. La voie dorsale, quant
à elle, est importante pour le traitement des informa-
tions spatiales, pour la perception du mouvement, pour la
localisation, etc. La voie ventrale est afférente au cortex
périrhinal alors que la voie dorsale est afférente au cor-
tex parahippocampique. Ainsi, Mishkin distingue claire-
ment deux grands systèmes fonctionnels afférents aux
structures temporales internes, l’hippocampe effectuant la
relation et la synthèse entre ces systèmes.
Cette idée est reprise et amplifiée par d’autres auteurs,
notamment Eichenbaum et al. dans leur modèle BIC (Bin-
ding in Context [8, 9]). De plus, l’idée qu’il pourrait exister
deux grands systèmes de mémoire, l’un important pour la
mémoire contextualisée, l’autre pour la mémoire décon-
textualisée, fait écho à d’autres propositions formulées
à la même période, notamment par Aggleton et Brown
[10-12]. Dans leur modèle, ces auteurs mettent l’accent sur
des circuits parallèles et indépendants (et non plus stric-
tement hiérarchiques) qui pourraient correspondre à des
systèmes de mémoire différents. L’un centré sur le cortex
périrhinal et connecté au noyau dorso-médian du thalamus
aurait un rôle critique pour la familiarité, l’autre centré sur
l’hippocampe et le fornix, le noyau antérieur du thalamus,
et le cortex rétro-splénial (le circuit de Papez) serait crucial
pour les processus de recollection. Notons que ces idées se
sont révélées extrêmement fécondes et robustes aux prédic-
tions de ce modèle [13-15]. Par ailleurs, des idées similaires
ont été formalisées, bien que vivement débattues, par des
auteurs comme Yonelinas [16].
Au total, le modèle de Mishkin, à l’opposé du modèle
de Squire, propose une relative ségrégation anatomo-
fonctionnelle des différentes structures temporales internes,
prédisant ainsi qu’il pourrait exister différentes «amnésies »
ou formes de troubles de la mémoire en fonction de la
lésion ou la préservation sélective des différentes structures
temporales internes.
Une partie des arguments en faveur du modèle de Mish-
kin, est issue, outre de l’étude de l’amnésie développemen-
tale, de l’étude de la performance à des tâches de mémoire
de reconnaissance chez des patients présentant des lésions
isolées de l’hippocampe acquises à l’âge adulte. Il existe dif-
férents paradigmes de mémoire de reconnaissance utilisés
chez l’homme (format en choix forcé vs oui/non, para-
digme R/K/G [remember/know/guess], théorie de détection
du signal et courbes ROC, méthode d’égalisation de la per-
formance par le contrôle du temps d’exposition, méthode
du contrôle de la source, etc., pour revue, voir [16]). Ces
différents paradigmes sont généralement combinés au sein
des différentes études pour plus de robustesse.
Dans un premier temps, différentes études ont rapporté
que les mécanismes sous-tendant la reconnaissance et le
rappel pouvaient être dissociés [17, 18]. En particulier, des
lésions frontales altèrent le rappel mais peu la reconnais-
sance alors que des lésions temporales internes altèrent
les deux. Aggleton et Shaw [19] les premiers remarquèrent
que certains patients amnésiques présentaient une préser-
vation de leur mémoire de reconnaissance lorsque ceux-ci
avaient des lésions limitées à l’hippocampe (trouble du
rappel sans trouble de la mémoire de reconnaissance).
Dans les années qui suivirent, plusieurs cas de patients
amnésiques présentant des lésions isolées de la formation
hippocampique et obtenant des performances normales à
des tâches de mémoire de reconnaissance furent rappor-
tés en détail (patiente YR, [20] ; patient MR, [21] ; patient
KN, [22] ; patiente FRG, [23]) ainsi qu’une étude de groupe
[24]. Ces études furent complétées par d’autres montrant
une préservation de la familiarité mais une altération de la
recollection chez des patients présentant des lésions limi-
tées à la formation hippocampique [25, 26]. En résumé,
ces études supportent l’hypothèse d’une dissociation
anatomo-fonctionnelle au sein des structures temporales
internes.
Néanmoins, Squire et al. montrèrent parallèlement que
des lésions isolées de la formation hippocampique acquises
à l’âge adulte altèrent de manière significative la capacité
à reconnaître correctement de nouveaux stimuli dans des
tâches de mémoire de reconnaissance [27-29]. Ces résul-
tats s’opposent donc directement aux études rapportées plus
haut. D’autres études de cette équipe indiquent également
que l’hippocampe est impliqué à la fois dans les proces-
sus de recollection et les processus de familiarité [30].
Bien entendu se pose un problème d’interprétation de ces
résultats divergents que Squire et al. tentent de résoudre
en proposant que les structures sous-hippocampiques et
hippocampiques pourraient se différencier selon une notion
de degré, les structures sous-hippocampiques supportant
un type de mémoire faible, la formation hippocampique
supportant un type de mémoire forte [31].
Un débat tout à fait similaire et tout aussi important a
lieu concernant la mémoire sémantique. Alors qu’un cer-
tain nombre d’études rapportent que des sujets peuvent
apprendre de nouvelles connaissances sémantiques alors
qu’ils présentent un syndrome amnésique en relation avec
des lésions hippocampiques (par exemple KC [32], KN [33]
et RS [34], sans compter les cas d’amnésie développemen-
tale), d’autres études, issues du groupe de Squire, mettent
en cause le fait que cela soit possible [35-37].
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Il y aurait beaucoup à dire sur le fait que des résul-
tats aussi contradictoires puissent être obtenus à partir de
l’étude de patients en apparence similaires. Une multi-
tude d’arguments sur la manière même de conduire et
d’interpréter ces études a été avancée dans un sens et dans
l’autre, révélant la difficulté à établir un cadre méthodo-
logique robuste lorsqu’on travaille avec de faibles effectifs
de patients cérébrolésés (notons néanmoins que ces débats
sont tout à fait similaires même lorsque ces modèles sont
abordés en neuro-imagerie). Ces débats, intenses, ont au
moins pour mérite de contraindre le clinicien à ne pas
prendre pour acquis tel ou tel raccourci (par exemple
«la mémoire de reconnaissance est dans le cortex
périrhinal ») et au contraire l’invitent à participer à ces
investigations.
Le modèle représentationnel
hiérarchique
Mishkin et d’autres auteurs comme Eichenbaum res-
tent dans un cadre «Squireien »dans la mesure où les
structures temporales internes et la mémoire déclarative
forment pour eux un système anatomo-fonctionnel distinct
et relativement indépendant d’autres systèmes. Le modèle
représentationnel hiérarchique fait une proposition radica-
lement différente de ce qui est proposé par les modèles
conventionnels en argumentant que les structures tempo-
rales internes participeraient à la perception [38]. Ainsi,
ce que propose dans son essence ce modèle , c’est que
les voies ventrales, dorsales et les structures temporales
internes forment des systèmes représentationnels et hiérar-
chiques dans la mesure où les structures postérieures de ces
systèmes traiteraient des représentations simples, les struc-
tures intermédiaires des représentations plus élaborées et les
structures les plus antérieures (correspondant aux structures
temporales internes) les représentations les plus complexes
(figure 2). Cette notion de représentation s’entend comme
un système où des «traits »(features) caractéristiques des
objets et des scènes sont progressivement combinés au fur
et à mesure que le traitement progresse hiérarchiquement.
Ainsi, c’est la conjonction des traits que traite ce système.
Ce système est organisé en deux grandes voies, une voie
ventrale traitant les objets et les stimuli individuels en géné-
ral qui inclut en haut de la hiérarchie le cortex périrhinal,et
une voie dorsale traitant les scènes qui inclurait en haut de
la hiérarchie l’hippocampe. De cette proposition découlent
plusieurs conséquences qu’il est important de bien saisir :
c’est la nature de la représentation nécessaire pour réa-
liser une tâche cognitive qui détermine quel niveau de la
voie est nécessaire. Ainsi, les structures temporales internes
seraient recrutées non pas parce qu’elles sont des struc-
tures mnésiques, mais dès que la tâche en cours nécessite
une représentation élaborée en termes de conjonction de
traits ;
par conséquent, n’importe quel traitement cognitif qui
nécessite une représentation complexe activera et nécessi-
tera les structures temporales internes. Ainsi, des tâches de
mémoire de travail ou de mémoire implicite, et non seule-
ment des tâches de mémoire déclarative, peuvent, selon ce
principe, dépendre des structures temporales internes ;
dans cette approche, le cortex périrhinal appartient clai-
rement à un système différent de l’hippocampe, il ne saurait
donc être question d’une quelconque unité anatomo-
fonctionnelle des structures temporales internes [39].
Ce modèle a été essentiellement proposé par Murray
et Bussey chez l’animal dès la fin des années 1990 et a
été progressivement enrichi au fur et à mesure de leurs
études expérimentales et neurocomputationnelles [39-42].
Ces propositions ont été suivies par une lignée de travaux
menée par Kim Graham et son équipe chez l’homme (sou-
vent en collaboration avec Murray et Bussey) montrant que
les lésions du cortex périrhinal altèrent la performance
à des tâches nécessitant de comparer des stimuli parta-
geant un grand nombre de traits, alors que des lésions de
l’hippocampe altèrent l’identification de scènes lorsqu’elles
doivent être comparées sous des angles différents, ceci
en l’absence, présumée, de processus mnésiques [43-46]
(notons au passage l’utilisation des modèles de la démence
sémantique et de la maladie d’Alzheimer [47, 48]). Une
étude en électrophysiologie intracérébrale de la reconnais-
sance des visages célèbres montre des résultats tout à fait
compatibles avec cette conception [49]. En effet, des trai-
tements massivement parallèles aux alentours de 240 ms
après la présentation d’un stimulus impliquent aussi bien
les régions visuelles postérieures comme le gyrus lingual
ou la partie postérieure du gyrus fusiforme que le cortex
périrhinal. Ces activités, qui impliquent toute la voie ven-
trale, ne sont cependant pas retrouvées dans l’hippocampe.
Une étude préalable avait déjà mis en évidence la relation
privilégiée entre le cortex périrhinal et le cortex visuel lors
du rappel d’items visuels uniques [50]. O’Neil et al. ont
étudié dans une étude récente en IRMf l’activité dans le
cortex périrhinal évoquée soit par une tâche de discrimi-
nation de visages ayant fait l’objet d’un «morphing »pour
contrôler leur niveau de ressemblance, soit par une tâche
dans laquelle les sujets devaient reconnaître l’un des visages
préalablement présenté[46]. L’activité du cortex périrhinal
était de niveau équivalent dans les deux tâches, alors que
l’une portait sur la discrimination et l’autre était clairement
mnésique. De plus, l’activité de cette région était différente
selon que l’essai était réussi ou échoué, quelle que soit la
tâche. De telles données, par un groupe indépendant de
l’équipe de Graham, supportent bien entendu l’hypothèse
représentationnelle hiérarchique.
Cette approche a donné lieu à de nombreux débats (par
exemple pour revue thèse-antithèse, voir [51, 52]), mais
s’inscrit dans un courant plus général qui conteste que les
structures temporales internes ne soient importantes que
pour la mémoire à long terme ou que pour la mémoire
consciente [53].
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