Position de thèse - Université Paris

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Position de thèse
Rire au théâtre à la fin du dix-huitième siècle :
portée sociale, littéraire, philosophique, morale et politique
C’est d’une interrogation sur un paradoxe que notre sujet de thèse est né.
D’une part, si l’on consulte manuels, anthologies de théâtre et histoires littéraires, le dixhuitième siècle (en particulier sa deuxième moitié), est souvent jugé aujourd’hui comme
un « temps mort » de la création théâtrale, une transition entre la période postclassique et
l’avènement du drame romantique, période qui aurait donné naissance à un théâtre de
circonstance jugé éphémère, sans valeur littéraire, dans la dépendance d’événements
historiques et politiques. Cette opinion est souvent celle des critiques et moralistes de la
fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle qui tendent à conforter le mythe d’une
décadence du théâtre et surtout de la comédie à leur époque. Alors que de nombreuses
études s’intéressent au phénomène du théâtre forain au début du XVIIIe siècle et au
dynamisme de ces petits théâtres qui entraient en concurrence avec les théâtres officiels
et dont on redécouvre le répertoire, la deuxième moitié du siècle est délaissée ; très peu
de pages sont consacrées au théâtre de la fin du XVIIIe siècle (que l’on limite souvent
aux pièces politiques de la Révolution) et encore moins au genre théâtral comique, qui ne
semble exister qu’à travers l’illustre Beaumarchais.
Pourtant, le XVIIIe siècle fut un moment d’intense création théâtrale ; des
milliers de pièces ont été répertoriées pour la période. 11661 pièces exactement sont
recensées dans la bibliographie de Brenner de 1700 à 1789 1 . Le public de théâtre,
restreint jusque là plutôt à une l’élite, mis à part le public qui assistait à des spectacles
forains, s’étend de plus en plus à une nouvelle classe bourgeoise montante ainsi qu’à la
frange supérieure du petit peuple. La « folie du théâtre » s’empare d’un grand nombre de
citadins à Paris ; on se rend au théâtre mais on joue aussi soi-même la comédie dans des
théâtres de société, imitant les théâtres de cour. David Trott parle de « centaines sinon de
1
Clarence D. Brenner, A bibliographical list of plays in the French Language, 1700-1789, with a new foreword and an index
by Michael A. Keller and Neal Zaslaw, New York, AMS press, 1979.
2
milliers de salles de théâtre dans toutes les villes de France ainsi que dans les résidences
privées et lieux publics de la campagne » et de « centaines de milliers » de
représentations durant le siècle 2 . Or, que reste-t-il aujourd’hui de cet immense
engouement pour le théâtre, de cette production foisonnante et de ces représentations
théâtrales qui étaient au cœur de la vie urbaine, de la vie culturelle mais surtout de la vie
sociale et politique, le théâtre devenant dans la deuxième moitié du siècle un véritable
centre urbain, un lieu de regroupement social, un espace où se créent et se diffusent les
opinions, où se commentent les événements, où se lancent les « modes » ?
C’est de cet écart entre une activité théâtrale extrêmement riche et la
pauvreté de l’héritage qui nous est laissé que nous est venue l’idée de nous pencher plus
précisément sur cette période dite « creuse » du théâtre, et plus particulièrement sur la
deuxième moitié du siècle dont la richesse de la vie théâtrale contraste étrangement avec
ce qui en reste aujourd’hui, c’est-à-dire à peu près rien. Délaissant le découpage arbitraire
des siècles, nous avons fait préféré faire débuter nos recherches au moment de l’ouverture
du premier petit théâtre sur les boulevards, le théâtre de Nicolet en 1759. Le décret
napoléonien de 1807 limitant le nombre de théâtres parisiens à huit et contrôlant
strictement leur répertoire, donne un coup d’arrêt à l’essor de ce nouveau phénomène
théâtral et nous semble constituer une limite temporelle pertinente. On peut trouver en
effet une certaine cohérence du phénomène théâtral que nous étudions, des années 1760 à
l’Empire, de l’installation du premier théâtre sur les boulevards marquant la naissance
d’un théâtre non officiel régulier et sédentaire dans la ville, à la promulgation d’un décret
visant à circonscrire le phénomène, preuve de son importance et de la menace qu’il peut
représenter pour le pouvoir en place. Entre ces deux dates charnières, quelques étapes
retiennent notre attention : dans les années 1780, de petits théâtres non privilégiés
commencent à ouvrir leurs portes dans Paris (surtout du côté du Palais-Royal) et à faire
concurrence aux théâtres privilégiés, d’autant plus qu’ils ne se trouvent plus seulement à
la périphérie urbaine mais deviennent une attraction centrale. Avec la loi de libéralisation
des théâtres en 1791, des dizaines de petits théâtres ouvrent dans la Capitale et le
répertoire théâtral, constitué des grands chefs-d’œuvre lyriques, tragiques et comiques,
2
David Trott, Théâtre du XVIIIe siècle, Jeux, écritures, regards, Essai sur les spectacles en France de 1700 à 1790,
Montpellier, Éd. Espaces 34, 2000, p. 17.
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jusque-là farouchement gardé par les théâtres officiels, devient accessible à tous les
théâtres. C’est une sorte de révolution théâtrale qui se produit, puisque n’importe quel
citoyen peut ouvrir un théâtre avec l’accord de la municipalité ; une certaine
effervescence en résulte, avant la Révolution, accentuée par la multiplication des théâtres
sous la Révolution.
Loin de chercher à entrer dans cette profusion théâtrale par la voie de
l’analyse littéraire des nombreuses pièces qui ont eu la chance d’être imprimées, seules
ou dans des répertoires-compilations de théâtre (mais qui ne représentent qu’une petite
partie de ce qui était joué), nous avons choisi de privilégier l’angle de l’enquête sociohistorique et d’envisager le théâtre avant tout comme une entreprise dont le
développement économique est à l’origine d’une émulation et de créations théâtrales en
lien étroit avec la demande et les goûts d’un public plus nombreux, et en lien aussi avec
le contexte socio-historique et politique. Il nous semble plus pertinent de prendre comme
point de départ le lieu théâtral, c’est-à-dire le bâtiment en lui-même et l’entreprise
théâtrale qu’il héberge, pour en suivre les pérégrinations, les évolutions, les succès et les
reculs, les heures de gloire, les faillites, les déménagements et reconstructions, les
relations houleuses avec les autres théâtres ou avec les autorités, qui sont au cœur de la
compréhension du phénomène théâtral en tant que fait urbain et social.
L’apparition des petits théâtres de boulevard dans les années 1760 n’est pas
simplement un nouveau phénomène urbain, pittoresque, intéressant à étudier au niveau
historique. Ces petits théâtres, qui sont en quelque sorte les ancêtres de nos théâtres
parisiens d’aujourd’hui, ont marqué un grand bouleversement : bien avant 1789, ils ont
permis de transformer progressivement un théâtre privilégié, subventionné par le roi,
destiné à un public plutôt restreint, en une véritable entreprise privée, autonome
financièrement et dont la survie dépend de la capacité à attirer le client, et de le faire
revenir le plus de fois possible. Cette nouvelle conception du théâtre, qui n’est plus
seulement un art mais aussi un véritable commerce, s’est imposée de manière
pragmatique, sur le terrain, à partir de lieux de divertissements à la mode, au gré de
protections et d’autorisations diverses, sans règles ou lois préalables. Les petits théâtres
ont permis de passer véritablement à une esthétique de l’effet, puisqu’ils misaient tout sur
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la réception que le public pouvait avoir des pièces jouées, peu préoccupés de normes
artistiques à respecter.
Nous avons par ce biais tenté de comprendre l’extraordinaire succès de
certaines pièces dont ne nous est pas parvenu l’essentiel : la représentation. Devant la
multitude des productions et la diversité des formes théâtrales de cette époque, il nous
fallait trouver un facteur fédérateur qui ne soit pas purement littéraire et qui soit pertinent
pour appréhender le phénomène théâtral, pour en comprendre la complexité sans en
réduire le foisonnement, sans chercher à classer les pièces suivant des critères de genres
ou de procédés alors que leur intérêt essentiel se trouvait dans
la représentation,
éphémère par nature. Ce facteur nous est apparu avec évidence à la lecture de comptesrendus de théâtre dans les journaux, de rapports de censeurs, d’archives de police, de
mémoires d’écrivains et d’acteurs, d’almanachs et d’histoires du théâtre. Chaque fois
qu’un succès théâtral considérable est mentionné, le critère du rire du public revient
comme une preuve irréfutable de la réussite d’une pièce. Rire au théâtre à la fin du
XVIIIe siècle, voilà qui nous semblait un angle d’approche intéressant pour appréhender
le phénomène, nous permettant tout d’abord de donner une certaine unité au
foisonnement, constituant une pierre d’attaque pour saisir l’insaisissable mais aussi nous
permettant d’opérer un tri parmi les innombrables productions théâtrales ; rire devient un
critère majeur de réussite et nous conduit à nous intéresser aux pièces qui ont fait le plus
rire le public parisien de la fin du XVIIIe siècle ainsi qu’au nombre de représentations de
ces pièces (ce qu’on nommerait aujourd’hui le « box-office »), à comprendre leur succès
de scène dans un contexte précis, au-delà de critères littéraires et de jugements de valeur
établis a posteriori.
La question du rire, et surtout du rire au théâtre, art de « masse » qui a une
influence directe sur la population, nous a semblé être au centre du questionnement des
Lumières. Le rire, décrié de tous temps par l’Église, lié au mal, craint souvent des
philosophes des Lumières (dont certains utilisent cependant ses ressources), relégué au
rôle de divertissement du peuple, « est finalement un sujet sérieux », comme le fait
remarquer Lise Andries3, et mérite l’attention nouvelle qu’on lui porte depuis quelques
années dans divers colloques ou études, après avoir été souvent considéré comme un sujet
3
Lise Andries, « État des recherches, Le Rire, Revue XVIIIe siècle n°32, Paris, PUF, 2000, p. 18.
5
futile et peu digne d’intérêt. Il est au centre d’un paradoxe traversant le dix-huitième
siècle, siècle qui s’affirme comme un sommet de la civilisation mais ne peut que
reconnaître un net penchant pour la farce, la bouffonnerie, le « gros rire », siècle qui
recherche l’émotion et exhibe ses larmes mais ne peut nier son goût pour la plaisanterie,
pour ce qu’on nomme la « gaieté française », et qui condamne ce qui le fascine en même
temps. Ce rire, révélateur de l’état d’esprit d’une société, n’est jamais si intéressant à
étudier qu’au théâtre, lieu où l’on rit ensemble, où le rire peut prendre une signification
sociale ou politique. Les « vrais » auteurs comiques de la deuxième moitié du XVIIIe
siècle, ceux qui ont écrit les comédies les plus jouées sur les scènes parisiennes de cette
époque, ne sont-ils pas ceux qui sont les plus méconnus aujourd’hui ? Qui connaît
vraiment Beaunoir, l’auteur le plus joué du XVIIIe siècle ? Dorvigny, créateur des
nouveaux types à succès, Janot, Jérôme Pointu, Jocrisse ? Et Aude, l’inventeur de Cadet
Roussel et de Madame Angot, qui ont fait mourir de rire toute une génération de
Parisiens ? Qui étudie Les Deux chasseurs et la laitière d’Anseaume, la pièce la plus
jouée du XVIIIe siècle ?
Dans un premier temps, nous avons cherché à comprendre comment s’est
transformé le paysage théâtral parisien avec l’apparition de petits théâtres non privilégiés
dès les années 1760 et comment ces petits théâtres se sont intégrés à la capitale, attirant
un public toujours plus nombreux et concurrençant les théâtres officiels ; cet angle
d’approche nous a conduit naturellement à nous intéresser aux conditions des
représentations, au jeu des acteurs et à la réception du public, déterminants pour le succès
d’une pièce, puis dans une seconde partie aux genres qui étaient les plus susceptibles de
provoquer le rire du spectateur par l’utilisation d’effets comiques, genres qui
correspondent aux formes multiples que peut prendre la comédie à cette époque :
comédie de mœurs, comédie de caractères, farce, opéra-comique, comédie à ariettes,
vaudeville, folie, féérie, parodie, proverbe, et à nous demander comment la recherche
d’un public toujours plus nombreux, la volonté de lui plaire et de s’adapter à ses goûts a
pu être à l’origine de la naissance de nouvelles formes théâtrales comiques souvent liées à
la musique. En effet, il fallait aux théâtres devancer leurs concurrents, faire encore plus
fort qu’eux, aller encore plus loin dans la surprise, l’étonnement, l’émotion, mais surtout
le rire. Il leur fallait aussi savoir saisir le bon « filon » quand il se présentait et l’exploiter
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de toutes les manières ; ainsi sont nées certaines pièces-cultes, vues des centaines de fois,
prolongées, renouvelées grâce à des séries ou feuilletons où l’on revoit apparaître les
mêmes types incarnés par des acteurs qui accomplissent de véritables performances,
ancêtres de nos spectacles d’humoristes, one man shows et films comiques populaires.
C’est à cette époque que surgissent ce qu’on pourrait nommer de nos jours de grands
succès d’ « audimat », des phénomènes de mode à grande échelle qui donnent lieu -audelà du succès théâtral- à une commercialisation de tout un attirail d’objets, de gravures,
d’écrits autour d’acteurs comiques dans des rôles-phares. Ces grands succès sont souvent
liés à la création de nouveaux types théâtraux, en concurrence avec les anciens types
italiens de la Commedia dell’ Arte.
Parallèlement à ce succès des théâtres, à ce bouillonnement théâtral, perdure
tout un courant de pensée qui continue de dénigrer systématiquement le phénomène,
jetant l’anathème sur ce théâtre « forain » jugé indécent et insipide, qu’on voit avec
inquiétude pénétrer dans Paris et attirer tout type de public. C’est l’objet de notre
troisième partie de comprendre pourquoi le rire, et à travers lui la comédie, attirent la
méfiance de diverses autorités (intellectuelles, morales, philosophiques, religieuses), de
comprendre comment l’idée d’une décadence du théâtre et surtout de la comédie
s’impose, en parallèle au succès des nouveaux petits théâtres. L’Église, bien sûr, réprouve
depuis des siècles le théâtre, et particulièrement la comédie. Elle ne peut que s’indigner
de ce nouveau phénomène. Mais elle est relayée par des penseurs, des philosophes, des
moralistes, qui soit condamnent entièrement le théâtre, soit tentent de distinguer un
« bon » et un « mauvais » théâtre ; au XVIIIe siècle, l’élite intellectuelle et morale a rêvé
d’un théâtre éducateur du peuple, agent d’une transformation de la société. Le nouveau
genre du drame a pu être la réalisation de ce souhait de créer une école de vertu
directement accessible à tous. On a parlé de décadence de l’art et des mœurs et on a
idéalisé l’âge d’or « moliéresque ». On a tenté de reléguer la farce en périphérie et d’en
faire une concession pour le divertissement du bas-peuple, en vain. La réalité est venue
contredire ce projet. Les petits théâtres ont envahi Paris et n’ont plus eu de populaire que
le nom, créant un engouement généralisé. En même temps, et c’est l’objet d’une
quatrième partie, toutes les scènes parisiennes ont vu fleurir de nombreuses comédies
sérieuses et morales qui remportaient autant de succès que les farces les plus bouffonnes
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et qui n’étaient pas seulement réservées aux théâtres anciennement privilégiés, dits
officiels. Le public de tout théâtre pouvait priser tout autant les farces les plus légères que
les comédies les plus moralisantes. Nous avons tenté de comprendre comment
coexistaient ces deux genres de comédies sur les théâtres, quelle était la place du rire par
rapport à l’émotion et si l’on pouvait parler d’une évolution du genre comique dans la
deuxième moitié du XVIIIe siècle.
Mais cette étude aurait été incomplète si l’on ne s’était pas intéressé aux
rapports étroits que les théâtres entretenaient avec l’autorité politique à cette époque, et à
leur mutuelle influence. C’est l’objet de notre dernière partie que de comprendre
comment ce nouveau phénomène théâtral a pu trouver sa place, comment il a été
contrôlé, réprimé, censuré, orienté politiquement, mais aussi comment il a pu exprimer
une certaine indépendance, voire une résistance, dans le contexte politique de la fin du
XVIIIe siècle et du début du XIXe. Sous la Révolution, les autorités ont tenté de
« récupérer » l’enthousiasme révolutionnaire du peuple et ont petit à petit imposé un
répertoire « politique » et « patriotique », cherchant à transformer les représentations
théâtrales en de nouveaux cérémonials destinés à se substituer aux anciens cultes
religieux. Le théâtre, dans l’idéal, devait être un formidable vecteur pour éduquer
moralement et politiquement le peuple. Or, si les répertoires nous montrent une profusion
de pièces de circonstance, l’étude de la réception de ces pièces nous révèle que le public
de théâtre, en-dehors de la période de la Terreur, et avant le retour de la censure
napoléonienne, n’était pas si discipliné que cela et prêt à recevoir une leçon politique sur
mesure. Rire au théâtre, c’était manifester, derrière les exigences de l’historicité et de la
politique, une certaine humanité, une identité essentielle.
Ce qu’on a appelé la « gaieté » française perdure de plus belle sous la
Révolution, et se joue des événements, des décrets, de la censure, des projets de
moralisation du théâtre, des anathèmes, des tentatives de récupération politique, qui n’ont
pas réussi à brider ce théâtre joyeux, à le transformer en un art uniforme, daté, politisé,
dépendant des circonstances. Au contraire, le théâtre des périodes prérévolutionnaire et
révolutionnaire renoue avec son essence fondamentalement comique et remplit à la fois
deux fonctions : dans un monde mouvant, en plein bouleversement, il est un lieu de
stabilité, de permanence où l’on peut rire toujours des mêmes choses, où le comique
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farcesque, carnavalesque, bouffon, burlesque, poissard, scatologique triomphe au milieu
même d’une actualité des plus sombres et sert en quelque sorte de « soupape », de refuge
salutaire. Il est aussi un lieu de fondamentale liberté, de formidable compétitivité,
d’émulation, un laboratoire d’expérimentation où l’on cherche à tester ce qui marche
auprès du public tout en se pliant aux exigences politiques et aux diverses contraintes, où
le rire universel s’adapte à l’historicité pour peindre les situations, les travers, les mœurs
du temps, pour châtier les profiteurs et détruire symboliquement sous la risée une société
injuste. Il est le lieu de l’illusion où paradoxalement, le rire, au centre de la problématique
de l’être et du paraître, fait accéder le spectateur a une certaine vérité et dit le malaise
d’une société confrontée à la hantise de la confusion des classes. C’est au théâtre que
s’exprime cette veine carnavalesque resurgie du fond des âges, ce monde à l’envers
jamais totalement réprimé et qui est une manière de dire l’actualité, de refléter ce que
Lise Andries nomme le « grand branle-bas politique4 ».
Aussi est-il intéressant d’approfondir notre connaissance de ce théâtre, de
redonner à certains auteurs la place qu’ils méritent, et de permettre un jour que leurs
œuvres intéressent un metteur en scène. Une Madame Angot, créée par Maillot et reprise
par Aude, qui a été la « star » du Directoire, mériterait de remonter sur les planches,
comme elle l’a fait brièvement en 1991 grâce à la Compagnie du Pélican. Des auteurs
comme Beaunoir ou Dorvigny ont été assurément les dramaturges phares de cette
époque, ont eu une immense part dans la prospérité des nouveaux petits théâtres
parisiens, ont su plus qu’aucun autre retrouver ce rire profond, anthropologique,
universel, et l’adapter à l’historicité de cette période mouvementée, faisant rire les
Parisiens même, et surtout, aux moments les plus tragiques de leur Histoire ; ils
mériteraient de sortir de l’oubli et de nous faire rire de nouveau.
Stéphanie LOPEZ FOURNIER
École doctorale III- Université Paris-Sorbonne
4
Lise Andries, « Etat des recherches. Présentation », dans Le Rire, Revue Dix-huitième siècle n°32, sous la dir. de Lise
Andries, pub. par la société française d’étude du XVIIIe siècle, Paris, PUF, 2000, p. 18.
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RIRE AU THEATRE A LA FIN DU DIX-HUITIEME SIECLE
LITTERAIRE, PHILOSOPHIQUE, MORALE ET POLITIQUE
:
PORTEE SOCIALE,
Résumé en français
Les années 1760 voient l’apparition de petits établissements théâtraux à Paris, boulevard du Temple, en
concurrence avec les trois théâtres officiels de la Capitale : l’Opéra, la Comédie-Française et la ComédieItalienne. Leur institutionnalisation sous la Révolution entraîne leur prolifération dans la ville mais
implique aussi une nouvelle conception du théâtre qui n’est plus un art subventionné au service du roi, mais
qui fonctionne comme une véritable entreprise dont l’objectif est de réaliser des bénéfices nécessaires à sa
survie en attirant un public de plus en plus nombreux. Cette thèse s’intéresse en premier lieu aux
représentations théâtrales dans leur totalité afin de comprendre comment naissaient des succès de scène ou
des acteurs-« vedettes » incarnant de nouveaux types théâtraux. Elle cherche à analyser le théâtre de cette
période comme un phénomène de société induisant de nouveaux modes de création centrés sur la réception
d’un public à conquérir. Cette étude privilégie l’angle du rire, effet supposé du comique théâtral, mais aussi
manifestation effective des spectateurs au cours des représentations, comme un marqueur important du
succès des pièces jouées dans ces théâtres, et comme un révélateur essentiel, dans ses diverses
significations et dans son évolution, du rapport tendu entre les théâtres, l’élite intellectuelle, les instances
morales et politiques, au cours d’une période de bouleversement historique intense. Au-delà, il s’agit de
revaloriser tout un pan du patrimoine théâtral comique de la fin du XVIIIe siècle, patrimoine délaissé et
pourtant dominé par des œuvres, auteurs et acteurs d’importance.
Mots-clés : théâtre du XVIIIe siècle, théâtre de boulevard, théâtre non officiel,
dramaturge, comédie, comique, rire, représentation, acteur, type théâtral, public, scène,
entreprise théâtrale, morale, politique.
LAUGHING TO THE THEATRE AT THE END OF THE EIGHTEENTH CENTURY: SOCIAL,
LITERARY, MORAL AND POLITICAL IMPACT
Résumé en anglais
During the 1760’s years, new small theatres are setting up on the “boulevard du Temple” in Paris, in
competition with the three official theatres of the Capital: the Opéra, the Comédie-Française and the
Comédie-Italienne. Their institutionalization during the Revolution brings about their proliferation in the
city but also implies a new conception of the theatre, which is not anymore a subsidized art in the service of
the king, but a real company which intend to survive by making profits, trying to attract more and more
audience. This thesis first intends to analyse the performances in their totality and to understand how were
created success plays or star actors embodying theatrical characters. It tries to understand the theatre of this
period as a society phenomenon inferring new modes of creation focused on the audience’s reception. This
study is centred on laughter, as a supposed effect of the theatrical comic but also as an effective audience’s
demonstration during performances, attesting the success of dramas performed in these theatres and
revealing, by its diverse meanings and its evolution, tense relations between theatres, intellectual elite,
moral and political authorities, during a period of major historic upheaval. Beyond, this work aims at
revalue a whole piece of a neglected funny theatrical heritage at the end of the eighteenth century, that
nonetheless could boast important comedy writers, plays and actors.
Key words: XVIIIth century theatre, boulevard theatre, unofficial theatre, comedy writer,
drama, comic, laughter, performance, actor, theatrical character, audience, stage,
theatrical company, morals, politics.
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