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futile et peu digne d’intérêt. Il est au centre d’un paradoxe traversant le dix-huitième
siècle, siècle qui s’affirme comme un sommet de la civilisation mais ne peut que
reconnaître un net penchant pour la farce, la bouffonnerie, le « gros rire », siècle qui
recherche l’émotion et exhibe ses larmes mais ne peut nier son goût pour la plaisanterie,
pour ce qu’on nomme la « gaieté française », et qui condamne ce qui le fascine en même
temps. Ce rire, révélateur de l’état d’esprit d’une société, n’est jamais si intéressant à
étudier qu’au théâtre, lieu où l’on rit ensemble, où le rire peut prendre une signification
sociale ou politique. Les « vrais » auteurs comiques de la deuxième moitié du XVIIIe
siècle, ceux qui ont écrit les comédies les plus jouées sur les scènes parisiennes de cette
époque, ne sont-ils pas ceux qui sont les plus méconnus aujourd’hui ? Qui connaît
vraiment Beaunoir, l’auteur le plus joué du XVIIIe siècle ? Dorvigny, créateur des
nouveaux types à succès, Janot, Jérôme Pointu, Jocrisse ? Et Aude, l’inventeur de Cadet
Roussel et de Madame Angot, qui ont fait mourir de rire toute une génération de
Parisiens ? Qui étudie Les Deux chasseurs et la laitière d’Anseaume, la pièce la plus
jouée du XVIIIe siècle ?
Dans un premier temps, nous avons cherché à comprendre comment s’est
transformé le paysage théâtral parisien avec l’apparition de petits théâtres non privilégiés
dès les années 1760 et comment ces petits théâtres se sont intégrés à la capitale, attirant
un public toujours plus nombreux et concurrençant les théâtres officiels ; cet angle
d’approche nous a conduit naturellement à nous intéresser aux conditions des
représentations, au jeu des acteurs et à la réception du public, déterminants pour le succès
d’une pièce, puis dans une seconde partie aux genres qui étaient les plus susceptibles de
provoquer le rire du spectateur par l’utilisation d’effets comiques, genres qui
correspondent aux formes multiples que peut prendre la comédie à cette époque :
comédie de mœurs, comédie de caractères, farce, opéra-comique, comédie à ariettes,
vaudeville, folie, féérie, parodie, proverbe, et à nous demander comment la recherche
d’un public toujours plus nombreux, la volonté de lui plaire et de s’adapter à ses goûts a
pu être à l’origine de la naissance de nouvelles formes théâtrales comiques souvent liées à
la musique. En effet, il fallait aux théâtres devancer leurs concurrents, faire encore plus
fort qu’eux, aller encore plus loin dans la surprise, l’étonnement, l’émotion, mais surtout
le rire. Il leur fallait aussi savoir saisir le bon « filon » quand il se présentait et l’exploiter