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Hegel Vol. 6N°2-2016
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Les propos de Paul Valéry sur les médecins furent contrastés. Il nous dit avoir de nombreux amis dans le
corps médical àqui il dédia ainsi qu’àson grand ami le Professeur Henri Mondor, L’IdéeÒxe. Chirurgien
qui fut essayiste, biographe de Mallarmé,ami du philosophe Alain, de Paul Claudel, dessinateur aux deux
sujets de prédilection: la main et la rose, membre de quatre Académies dont, entre autres, la Française
et celle de Chirurgie. Henri Mondor ne nous fait-il pas toucher du doigt, le fait qu’avecles actuels QCM,
nous ne serions pas revenus àla culture de l’Eocène? En revanche, Paul Valéry pouvait parfois avoir
la dent dure comme dans ses Cahiers :«DuVI.I.43 sept heures. Aurai-jelaforce de frapper ce qui
me vient àl’esprit, comme par un chemin de traverse mal gardé?Unrépit se fait dans la tempête
organique. J’ai toussésans arrêt de deux heures àsix, comme hier,etl’exaspération du contraste entre
la minceur du prétexte et du moyenetl’énormitédes résultats m’épuise autant que ce branle affreux
lui-même qui emporte le cœur,l’estomac, les poumons dans ses saccades de réªexes indomptables, qui
se déchaînent tout àcoup pour des heures àpartir d’un grattement de minuscule étendue, vers le fond
du pharynx. Le mécanisme est d’une naïvetéremarquable. J’ai beau dire aux médecins ce qui en est,
et leur signaler en particulier l’enchaînement de ce phénomène avecmon état gastrique ;comment des
acides [mot illisible] et irritent la gorge, et comment la gorge créant ce désordre [mot illisible] répétition
agit sur l’estomac, qui se trouverouéde coups [mot illisible] par cette terrible striction ou ces pressions,
lesquelles me font sur le champ tomber en somnolence. D’autres fois, apparaissent les effets syncopaux.
Je vais m’évanouir…Mais les médecins ont la grande habitude de ne jamais réªéchir.Jel’ai remarqué
cent fois. Il yaen eux l’étrange idéeque tout est classé,que ce qui manque de nom n’existe pas. Chaque
nouveau nom qu’on leur invente, comme métabolisme, réªexes conditionnésetc. leur rend le service de
diminuer l’attention directe aux faits et surtout la médication des faits. Il n’y apas un médecin qui se
fasse une idéedel’homme, fonctionnementd’ensemble…»[2].
Mais Paul Valéry,philosophe tournévers les sciences eut une profonde admiration, partagéed’ailleurs,
avecEinstein. Dans les années 1920, il lui demanda un jour :«Quand une idéevous vient, comment
faites-vous pour la recueillir ?Uncarnet de notes, un bout de papier ? ».Einstein lui répondit :«Ohune
idée, vous savezc’est si rare ! ».PaulValery eut aussi ces mots pour les métaphysiciens de la médecine :
«Unspermatozoïde transporte d’un bord àl’autredelavie, une quantitéd’avenir précis, quelques
caractères d’un individu qui sera,ouplutôtdes chances qu’il soit, et de plus, s’il est, des chances d’être
tel àcette époque.Ilfaut toujours songer àceci, métaphysicien, quand tu prétends ouvrir la bouche
et disputer sur la matière et l’esprit. Ce que le microscope avu(et les autres moyens) jamais pensée
spéculativenel’a soupçonné.Etrien de plus évident qu’elle ne peut rien que discourir dans une enceinte
sans issue ».Comment ne pas rapprocher ces phrases de celles de Georges Canguilhem dans Le Normal
et le Pathologique s’adressant aux «paracliniciens »de la médecine ?«Quand on parle de pathologie
objective[…]quand on pense que l’observation anatomique, histologique […]sont des méthodes qui
permettent de porter scienti®quement […] même en l’absence de tout interrogatoire et exploration
clinique, le diagnostic de la maladie, on est victime selon nous de la confusion philosophique la plus
grave,etthérapeutiquement la plus dangereuse. Un microscope […]nesait pas une médecine que le
médecin ignorerait. Il donne un résultat [qui] n’a en soi aucune valeur diagnostique. Pour porter un
diagnostic, il faut observer le comportement du malade […]. En matière de pathologie, le premier mot,
historiquement parlant, et le dernier,logiquement parlant, revient àla clinique. Or,laclinique n’est pas
une science et ne serajamais une science, alors même qu’elle userademoyens àef®cacitétoujours plus
scienti®quement garantie »[3].
Les cahiers…
Ici je ne tiens àcharmer personne…Ces cahiers sont mon vice.
Ils sont aussi des contre-œuvres, des contre-Ðnis
Tout ce qui est écrit dans ces cahiers miens, acecaractère de ne vouloir jamais être dé®nitif.
Souvent, j’écris ici une phrase absurde àla place même d’un éclair qui n’a pas pu être saisi ou qui n’était
pas un éclair.
Je parle comme un brouillon àtravers mes ratures incessantes, surcharges, refus et parfois une très
nette ligne, un mot essentiel se dégage.
J’écris ici les idées qui me viennent. Mais ce n’est pas que je les accepte. C’est leur premier état. Encore
mal éveillées.
Il yades jours pour les ensembles et des jours pour les détails.
Je m’assure que dans la voie ici indiquée, des esprits meilleurs que le mien trouveront d’assez neuves
choses.