Diversité culturelle à l’ère du numérique Glossaire critique Sous la direction de Divina Frau-Meigs et d’Alain Kiyindou Postface de Jean Musitelli La documentation Française Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 1 18/11/2014 10:00:46 Remerciements Brigitte Darthois (mise en page), Brigitte Morelle (conception graphique), Mireille Pyronnet (relecture), Anne-Sabine Sabater (responsable éditoriale pour la Commission nationale française pour l’Unesco), Carine Sabbagh (éditrice) « En application de la loi du 11 mars 1957 (art. 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, complétés par la loi du 3 janvier 1995, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.» © Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2014 www.ladocumentationfrancaise.fr ISBN : 978-2-11-009406-3 DF : 5HC34180 Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 2 18/11/2014 10:00:46 3 Sommaire 5Introduction 93Curation 21Agrégateur 97Design 26Algorithme 101Diaspora 31Archives 106Documentation 37 Art et Science 112 Économie des œuvres 41Augmentation 116Édition 45Auteur 121E-réputation 49Bibliothèques 126 Ergonomie des interfaces 54 Biens communs 130Éthique 59Co-construction 135 Financement des médias 64Codes 140 Fracture numérique 70Communauté(s) 145Genre 74Communication 148Imaginaire 79Computation 153 Industries créatives 84Connaissance 162 Industries culturelles 88Connexion/Déconnexion 167Information Divina Frau-Meigs et Alain Kiyindou Olivier Le Deuff Bruno Bachimont Emmanuelle Chevry Pébayle Jean-Paul Fourmentraux Bernard Claverie Cécile Méadel Éric Guichard Hervé Le Crosnier Marianne Poumay Mokhtar Ben Henda et Henri Hudrisier Patrick Schmoll Alain Kiyindou Bruno Bachimont Joëlle Le Marec Francis Jauréguiberry Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 3 Chloé Girard Nicole Pignier Isabelle Rigoni Éric Delamotte et Anne Cordier Françoise Benhamou Chloé Girard Louise Merzeau Stéphane Caro Dambreville Pierre-Antoine Chardel Nathalie Sonnac Alain Kiyindou Laurence Allard Emmanuel Eveno Divina Frau-Meigs Philippe Bouquillion Jean-Michel Salaün 18/11/2014 10:00:46 4 Diversité culturelle à l’ère du numérique 171Innovation 253 Propriété intellectuelle 175 Interfaces 257Public/usagers 179 Le jeu, espace tridimensionnel 262Régulation de l’internet 183Journalisme 267Remix 188Langues 271Réseaux sociaux 193 Le libre 277Sérendipité 200 Littératie numérique 281Temporalités 205Médias 286Territoires 209Médiation(s) du patrimoine 291Transmédiation 214Mobile – Téléphone portable 295 Vie privée/données personnelles 218Navigation et cartographie 300Virtuel Dominique Carré Nicole Pignier Éric Sanchez Franck Rebillard Musanji Ngalasso-Mwatha Éric Guichard Divina Frau-Meigs Divina Frau-Meigs Bernadette Dufrêne Alain Kiyindou Thierry Joliveau Mélanie Dulong de Rosnay Karine Aillerie Françoise Massit-Folléa Laurence Allard Alexandre Coutant Sylvie Catellin Valérie Carayol Jean Pascal Quiles Julie Gueguen Mélanie Dulong de Rosnay Patrick Schmoll 223Net Art Jean-Paul Fourmentraux 227Neutralité de l’internet Francesca Musiani 232Normes Renaud Fabre 236Œuvre Bernadette Dufrêne 305 Postface Jean Musitelli 313 Présentation des auteurs 329Comité éditorial 330 Index des sigles 240Patrimoine Emmanuelle Chevry Pébayle 245Piratage Tristan Mattelart 250Pratique Laurence Allard Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 4 18/11/2014 10:00:46 5 Introduction Divina Frau-Meigs et Alain Kiyindou Croiser la réflexion sur la diversité culturelle et la nouvelle donne de diffusion et de production culturelles que représente l’avènement du numérique s’inscrit dans le cadre d’une dialectique d’actualisation de deux documents constitutifs à la fois de la diversité culturelle comme droit et de la société de l’information comme environnement. En effet, cette actualisation est centrée sur la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles 1 et sur l’Engagement de Tunis du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), qui vise à « promouvoir l’inclusion de tous les peuples dans la société de l’information, par le développement et l’utilisation des langues locales et/ou indigènes dans les TIC. […] protéger et promouvoir la diversité culturelle, ainsi que les identités culturelles, dans la société de l’information 2 ». Ces deux documents de cadrage, fondamentaux pour la diversité culturelle et la société de l’information, finalisés en 2005 après plusieurs années de négociations internationales, sont l’aboutissement de réflexions situées avant la maturation du Web 2.0 et de ses réseaux sociaux 3. L’état d’esprit général qu’ils reflètent s’en ressent : ils s’inscrivent dans la matérialité de la culture, non dans sa virtualité ; ils font abstraction de toute référence explicite au numérique (quoiqu’ils mentionnent les TIC) ; ils expriment une forme de neutralité technologique qui, sans exclure l’internet, ne prend pas en compte la radicalité des changements induits par l’informatique et le volume massif des données (big data). Enfin, ils affichent une croyance en la souveraineté des États qui sous-estime l’ampleur des phénomènes transfrontaliers 1 Convention pour la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles, 2005 ; lire en ligne http://portal.unesco.org/fr/ev.phpURL_ID=31038&URL_ DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html. 2 SMSI, Engagement de Tunis, alinéa 32, SMSI, Tunis, 2005 ; lire en ligne www.itu.int/ wsis/docs2/tunis/off/7-fr.html. 3 Celui-ci arrive à maturité avec l’émergence de « spécialistes tout en ligne » (pure players) tels que Facebook, créé en 2004, entré en bourse en 2012, YouTube, créé en 2005, racheté par Google en 2006, ou encore Twitter, créé en 2006, entré en bourse en 2013, pour ne mentionner que les plus fréquentés qui ont façonné le marché. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 5 18/11/2014 10:00:46 6 Diversité culturelle à l’ère du numérique des industries culturelles transnationales, tout en ignorant l’avènement des industries créatives 4. Le numérique dont il est question ici dépasse la simple opposition technique avec l’analogique et prend en compte l’accélération et l’amplification du phénomène depuis 2005. C’est une vague de fond qui bouleverse les pratiques d’écriture, de lecture et de calcul ainsi que les modes de faire, voir et être à cause de la spécificité de l’informatique, à savoir le fait que tout contenu peut-être détaché de son support d’origine. Il devient ainsi sécable, mobile, mixable, transformable à merci. Cette spécificité ouvre la voie à toutes sortes de formes d’expression, de modes de partage des informations et d’opportunités de création et d’innovation. Les conséquences en sont une culture augmentée d’un énorme espace social et économique où se côtoient des identités singulières et collectives dont l’action distribuée et horizontale perturbe la chaîne des valeurs culturelles prénumériques. Elles impliquent de revisiter tout l’acquis de ce droit nouveau à la diversité culturelle à la lueur des périls et des promesses du numérique. Après avoir été à l’origine d’un glossaire à vocation pédagogique qui s’inscrivait dans le cadre du processus d’élaboration du SMSI 5, la Commission nationale française pour l’UNESCO (CNFU) désire mettre à jour la nécessaire réflexion sur la diversité culturelle à l’aune du numérique pour lever les zones d’ombre et porter un éclairage inédit sur la situation actuelle. L’idée de base du présent glossaire se fonde sur le double constat, récemment conforté par le rapport Lescure et le rapport Collin et Colin 6, que le numérique est une opportunité pour la diversité culturelle en termes de démocratisation, de créativité et de sociabilité, mais qu’il est un risque potentiel en termes d’affordances économiques pour la plupart des pays, excepté les États-Unis qui tendent à monopoliser les conditions de l’accès et les bénéfices du financement, tout en reconduisant de facto des lignes de fracture numérique qui sont aussi des zones de fracture géoculturelles. En effet, 4 Véronique Guèvremont et al., La Mise en œuvre de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles à l’ère numérique : enjeux, actions prioritaires et recommandations, rapport du Réseau international des juristes pour la diversité des expressions culturelles, Paris, UNESCO, 2013 ; lire en ligne http:// www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CLT/pdf/Rapport_du_RIJDEC_ Final_FR.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014. 5 La « Société de l’information » : glossaire critique, Paris, UNESCO-La Documentation française, 2005. 6 Pierre Lescure, Mission « Acte II de l’exception culturelle » : contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique, rapport au ministère de la culture, mai 2013 ; lire en ligne http://www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/culture_mag/rapport_ lescure/index.htm#/, dernière consultation le 1er juin 2014. Pierre Collin et Nicolas Colin, Rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, Ministère du redressement productif, janvier 2013 ; lire en ligne http://www.redressement-productif.gouv.fr/rapport-surfiscalite-secteur-numerique, dernière consultation le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 6 18/11/2014 10:00:46 Introduction 7 le développement des échanges peut fragiliser les créateurs locaux lorsque leurs concurrents échappent à la législation nationale. Face à ces constats, le recours à un glossaire centré sur le croisement des deux domaines, celui de la diversité et celui du numérique, se présente comme un outil de cartographie d’un territoire en complète évolution dont il s’agit de définir les contours et de repérer les spécificités. Le glossaire considère la diversité culturelle à partir de sous-domaines, des éléments de terminologie relatifs aux technologies, aux acteurs et aux moyens du numérique, fournissant ainsi une définition de celui-ci en creux, par le biais de ses usages et de ses enjeux. Certains termes sont ambigus, d’autres ont des implications sous-jacentes, d’autres encore sont associés à des domaines connexes ou en émergence. Les buts poursuivis sont complémentaires : tenter de définir, développer et interroger des termes omniprésents associés au numérique ; proposer au grand public une lecture de la relation qui lie ces termes et/ou leurs signifiés à la protection et à la promotion de la diversité culturelle. Il s’agit donc de thématiser les différents enjeux qui sous-tendent chaque terme choisi, en fonction des risques et des opportunités apportés à la diversité culturelle. Un nombre limité mais toutefois signifiant de termes (soixante) a été retenu pour les entrées, en évitant, après moult hésitations, l’entrée technique par les outils (blogs, moteurs de recherche, wikis…) pour favoriser l’entrée par les pratiques et les usages, plus significative des enjeux culturels. La démarche est non exhaustive, mais toutefois la multiplicité des significations possibles donne lieu à l’exploration des termes à partir de champs sociaux d’usages diversifiés. Chaque entrée repose sur un équilibre entre deux visées : d’une part, proposer une discussion critique sur la définition du terme, son périmètre, ses ambiguïtés et, le cas échéant, la genèse de ses usages actuels, en le confrontant à des usages non numériques ; d’autre part, étudier sa mobilisation en fonction des risques comme des opportunités pour la diversité culturelle. C’est donc un outil d’aide à la réflexion, sinon d’aide à la décision, en cette période où, dix ans après la création des documents de cadrage, se précisent l’actualisation d’instruments normatifs internationaux, telle la convention, et le bilan de processus, tel le suivi du SMSI dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement, en 2015. Ce glossaire est une contribution à ces débats et à ces bilans en perspective. Il s’adresse à des publics différents, non spécialistes des questions d’information et de communication, mais vise plus particulièrement des acteurs impliqués ou prêts à s’impliquer dans les questions relatives à la diversité culturelle (associations, décideurs, artistes…). Les contributeurs sont issus de disciplines différentes : Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 7 18/11/2014 10:00:46 8 Diversité culturelle à l’ère du numérique les sciences de l’information et de la communication, les sciences de l’éducation, les sciences cognitives, les sciences économiques, les sciences du langage, la sociologie et la géographie. Plus largement, cette contribution pose la question de la capacité de la diversité culturelle à s’adapter à l’environnement numérique et celle de savoir dans quelle mesure les évolutions numériques revivifient le débat de la diversité culturelle. La diversité culturelle et le numérique en question Le terme « diversité culturelle » a d’abord été utilisé en référence à la diversité au sein d’un système culturel donné, pour désigner la multiplicité des sous-cultures et des sous-populations, de dimensions variables, partageant un ensemble de valeurs et d’idées fondamentales. Ensuite, il a été employé, dans un contexte de métissage social, pour décrire la cohabitation de différents systèmes culturels, ou du moins l’existence d’autres groupes sociaux importants au sein de mêmes frontières géopolitiques 7. À partir des années 1960, la diversité des identités culturelles impulse une nouvelle vision du développement, le développement endogène, et met en exergue le lien entre culture et démocratie, lequel conduira à donner priorité « à la promotion des expressions culturelles des minorités dans le cadre du pluralisme culturel 8 ». Aujourd’hui, le terme tend à remplacer la notion d’« exception culturelle », qui a été utilisée dans les négociations commerciales mondiales depuis le cycle de l’Uruguay au sein du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), puis de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), dans les années 1990. Dans cette approche, la diversité culturelle vise à garantir le traitement particulier des biens et des services culturels par le biais de mesures nationales ou internationales. En lien avec le numérique, elle peut être envisagée en termes de risques ou d’opportunités : les risques d’uniformisation, d’exclusion, de monologue, d’une part ; les opportunités de diversification, de partage, de dialogue, d’autre part. 7 Alain Kiyindou, « Diversité culturelle », in Enjeux de mots, sous la coordination d’Alain Ambrosi, de Daniel Pimienta et de Valérie Peugeot, C & F Éditions, Paris, 2005, pp. 119-133 ; voir aussi Divina Frau-Meigs, « La convention sur la diversité culturelle : un instrument obsolète pour une réalité en expansion ? », Annuaire français des relations internationales, vol. 8 (2007), pp. 345-356. 8 UNESCO, Rapport du directeur général pour 1992-1993, Paris, 1993, p. 13. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 8 18/11/2014 10:00:46 Introduction 9 Le numérique, une opportunité pour la diversité culturelle La définition du « numérique » demeure quant à elle en évolution constante, et il n’est possible de l’aborder que par quelques traits qui commencent à se stabiliser, autour de l’idée centrale d’augmentation, appliquée à l’information, la mémoire, le territoire ou encore la créativité. Les réalisations matérielles de la culture nourries des apports du virtuel génèrent des environnements dynamiques, propices à l’accroissement de la créativité et sources de diversité par la profusion des réalisations qu’ils autorisent. La possibilité de fabriquer des univers graphiquement élégants et réalistes permet d’exposer et de simuler des environnements éloignés et exotiques, d’y faire s’exprimer des cultures, y compris les plus minoritaires, qui y présentent leur patrimoine dans une circulation transfrontalière qui transcende les aléas de l’histoire et de la géographie. Dans l’univers numérique, l’augmentation affecte aussi les médias, qui se sont multipliés, combinant les modes d’entrée et de sortie de données de type broadcast (audiovisuel, analogique, patrimonial) avec des modes de type broadband (haut débit, numérique), ajoutant l’interactivité entre utilisateurs à la diffusion massive de contenus. Dans cet univers, les médias de type broadcast restent un instrument clé pour propager des informations, du divertissement et de la culture. Du point de vue des utilisateurs – qui ne sont plus des « audiences » à proprement parler – cette culture produit une expérience sans suture, transparente et conviviale, fondée sur l’écran plutôt que sur le papier. Elle a des implications sur les expressions culturelles, dont la diversité est augmentée par la mobilité, l’ubiquité et la partageabilité. La prise en compte de la mobilité a suscité le développement de nouveaux dispositifs, comme la tablette numérique et le téléphone portable, dont les applications ne cessent de croître. Les plateformes mobiles aident, notamment dans les pays en développement, à répondre aux besoins des populations les plus démunies et leur offrent des opportunités à la fois sociales et économiques. Les services monétaires par téléphonie mobile 9 et les Massive Open Online Courses constituent les applications les plus représentatives de cette tendance. Des opportunités de diversification, de partage et de dialogue L’avènement du Web 2.0 a indéniablement favorisé l’expression identitaire des personnes aussi bien que des communautés. Aux effets d’uniformisation de la communication de masse ont répondu des 9 Selon les données de la GSM Association (GSMA), environ 130 systèmes de services monétaires par téléphonie mobile étaient déployés dans toutes les régions en développement à la fin de mars 2012. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 9 18/11/2014 10:00:46 10 Diversité culturelle à l’ère du numérique formes d’échange et de publication plus aptes à respecter et à valoriser la diversité culturelle. En effet, les médias broadband approfondissent le potentiel de conversation et de participation des audiences, avec les voix des amateurs et des pro-ams (professionnels et amateurs). Il s’établit une sorte de continuité entre les mondes hors connexion et les mondes en ligne par des formes de communication qui créent « une culture médiée tout autant que connectée 10 », où l’accès aux contenus originaux se fait par les médias qui sont des plateformes pour leur propre production de contenus et pour la diffusion de contenus patrimoniaux. À travers les conversations, les commentaires, les annotations ou les dispositifs participatifs, une variété de cultures propres aux usagers des réseaux a pu se manifester, en marge des schémas industriels opposant traditionnellement émetteurs-producteurs et récepteurs-consommateurs. Avec l’internet et son application privilégiée, le Web 2.0, tout un chacun dispose – potentiellement – d’un assez large éventail d’outils pour s’exprimer à propos de l’actualité. L’activité correspondante, qualifiée de « journalisme amateur », « citoyen », ou plus largement de « journalisme participatif », transite par des blogs et des wikis, des plateformes dédiées (sites de publication collaborative ou de partage de vidéos), ou encore des espaces réservés au sein des sites de médias professionnels. Le stockage et l’accès aux programmes sont plus faciles, la création et la production culturelles se propagent notamment par le biais du phénomène « proams » (où professionnels et amateurs contribuent au contenu), les prescripteurs culturels ne sont plus seulement les membres de l’élite du fait de l’évaluation par les pairs et de l’interaction directe avec les artistes eux-mêmes. Le potentiel de démocratisation est de plus facilité par des coûts d’entrée bas, permettant à tout un chacun l’agrégation et la curation de contenus. Le numérique facilite en outre des appropriations singulières à travers une adaptation formelle des données. Du coup, certaines polarisations et partitions prénumériques bougent sur leurs lignes : la culture descendante de l’élite se voit défiée par la culture ascendante de la « base numérique » (netroots) ; les lieux institutionnels (musées, archives et salles de spectacles) le disputent aux espaces non formels et virtuels (rue, arcades de jeux, sites web, réseaux sociaux) ; les cultures homogènes le cèdent à des cultures hétérogènes, avec de nouveaux passeurs comme les médias associatifs, réticulaires et diasporiques 11. 10 Divina Frau-Meigs, « Assessing the impact of digitisation on access to culture and creation, aggregation and curation of content », Background Paper for the Cultural Policy, Diversity and Intercultural Dialogue Division, Directorate of Democratic Governance, Culture and Diversity, DG II, Conseil de l’Europe (Moscou, avril 2013). 11 Pour une version plus élaborée, voir Divina Frau-Meigs, Exploring the Evolving Mediascape : Towards Updating Strategies to Face Challenges and Seize Opportunities, rapport pour le SMSI + 10, Paris, UNESCO/WSIS 2013 ; lire en ligne http://www.unesco. org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CI/CI/pdf/wsis/WSIS_10_Event/exploring_the_ evolving_mediascape_Report_final_version_DFM.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 10 18/11/2014 10:00:46 Introduction 11 De nouveaux facteurs de risques pour la diversité Le développement des technologies de l’information et de la communication va de pair avec une accélération des échanges et une transformation profonde des pratiques communicationnelles, patrimoniales, des rythmes sociaux, une exposition continue au regard des autres, introduisant de nouveaux facteurs de risques pour la diversité culturelle, et d’inégalité entre les sociétés et les personnes. Les piliers classiques de la régulation audiovisuelle, à savoir la rareté des ondes, les licences et la programmation linéaire, en association avec le monopole d’État basé sur l’intérêt public et la diversité culturelle, ne sont plus applicables en tant que tels au numérique, ou ne produisent pas les effets attendus. De même, les instruments réglementaires (quotas, redevances, droits aux frontières…) et les stratégies de financement de la création (aides publiques, fonds pour le cinéma et l’audiovisuel, régulation des prix, mécénat) ne semblent pas transposables à l’environnement numérique, dont une partie de l’activité est dématérialisée, délinéarisée et indépendante d’une approche territoriale liée à la souveraineté des états. Les industries culturelles prénumériques (livre, film, musique, audiovisuel), désormais considérées comme « patrimoniales » (legacy), sont remaniées en ligne, avec des bouleversements inévitables pour celles qui ont sous-estimé, négligé ou raté leur transition au numérique. Ces mutations, mues par le haut débit et la convergence de toutes les industries sur le numérique, affectent la culture avec une même tendance à double tranchant : à un micro-niveau, elles ont le potentiel de marginaliser, voire de détruire, les emplois, les activités et les institutions prénumériques ; à un macro-niveau, elles ont la capacité de connecter les individus entre eux et avec leurs besoins réels, en les plaçant en amont du processus culturel. Les outils pour la promotion de la diversité culturelle en ligne n’existent pas : les quotas sont difficiles à appliquer, les œuvres peuvent subir plusieurs coupes publicitaires, la publicité légitime le « placement de produit » (autrefois « publicité clandestine »), la protection des mineurs est en baisse, et la vie privée est menacée par la nécessité d’exploiter les données de la vie personnelle pour maintenir le modèle économique des « spécialistes tout en ligne » (pure players), ces entreprises nées avec l’internet et qui vivent de l’obligation de partage. En outre, la souveraineté nationale est défiée par les problèmes de compatibilité transfrontalière, les conflits de juridiction et les manques de moyens de régulation internationale de l’internet. Les agences internationales peinent, quant à elles, à rééquilibrer des échanges culturels que la mondialisation rend encore plus asymétriques, la majorité des revenus de ces flux revenant à des entreprises Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 11 18/11/2014 10:00:46 12 Diversité culturelle à l’ère du numérique américaines d’envergure internationale pour la plupart bien protégées par le droit californien. La vision non interventionniste américaine est de facto la loi pour les corporations traitant des biens culturels et les formes d’expressions culturelles diverses. Cette situation n’est pas sans rappeler celle qui a provoqué la crise du GATT et de l’exception culturelle en 1993-1994 : débat sur la définition des biens et services culturels, abus de position dominante des plateformes américaines de type Hollyweb, monopole des portails d’accès et des détenteurs de catalogues d’œuvres audiovisuelles, remise en question des identités nationales, assèchement des bassins d’emploi locaux, et fragmentation de la régulation qui permet toutes sortes de contournements des lois nationales et de neutralisation des outils et mécanismes internationaux investis dans la promotion de la diversité, comme la convention. À cela s’ajoute le fait que le déploiement des réseaux numériques participe à la détérioration des rapports entre les langues, et contribue à accélérer la disparition de plusieurs d’entre elles. Cette situation est d’autant plus grave que, selon Funredes, sur les 6 000 langues qui existent dans le monde, seules 4 % sont utilisées par 96 % de la population mondiale et, sur l’internet, 90 % des langues ne sont pas représentées 12. George Washington s’impose comme le personnage le plus présent sur la Toile. D’autres personnages comme Albert Einstein, Marie Curie, Victor Hugo, William Shakespeare, René Descartes, Gérard Depardieu, Andy Warhol, Michael Jackson et Bill Gates tiennent le haut du pavé numérique 13. Mais si tout cela semble logique, il est également vrai qu’une bonne partie de la population mondiale ne se reconnaît pas dans ces personnages, voire les ignore. Cette inégale expression/reconnaissance, vécue parfois comme une marginalisation de la majeure partie de la population du globe, a été d’ailleurs soulignée par la Déclaration de la Conférence des ministres francophones de la culture, qui relève que, « si les progrès des technologies de l’information constituent une chance de participation à la vie sociale, culturelle et économique pour l’ensemble des cultures et des langues, notamment les moins répandues, les disparités d’accès creusent les inégalités d’expression des cultures, au détriment surtout des populations les moins favorisées 14 ». En clair, le développement de la liberté d’expression attribué au numérique est vide de sens s’il ne s’accompagne pas du droit d’être entendu. La liberté d’expression est donc indissociable de la capacité d’expression. 12 www.funredes.org. 13 Ibid. 14 Organisation internationale de la francophonie, Déclaration de la Conférence des ministres francophones de la culture, Paris, 2001, p. 19. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 12 18/11/2014 10:00:46 Introduction 13 Ces nombreux contenus qui circulent sur les réseaux sociaux et ailleurs ne sont pas sans interpeller la réflexion car très peu d’informations correspondent aux besoins avérés des personnes, l’offre étant souvent découplée de la demande. Cette asymétrie est encore plus grave pour des populations fonctionnant sur des modèles différents du modèle numérique actuel, piloté par une forme de néolibéralisme mondialisé qui ne s’intéresse que marginalement aux sociétés du savoir partagé. La question des contenus touche donc non seulement à la langue, aux croyances et à la temporalité, mais aussi à l’identité. Les phénomènes de déconnexion ou de zapping peuvent ainsi se lire comme des réponses à des stimuli inadaptés, ou même dissonants. La question de l’expression de soi est corollaire de celle de l’identité, notamment dans la construction du double numérique qui correspond à l’ensemble des données personnelles recueillies par tous les systèmes d’information aussi bien publics que privés. Le double numérique est pour le moment constitué de fichiers publics distincts, administrés de manière à préserver les données personnelles, selon les directives de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), pour ce qui est du cas français. Mais il existe une double pression du secteur public, sous couvert de lutte contre le terrorisme, et du secteur privé, pour réduire les fraudes du commerce électronique, pour connecter l’ensemble des fichiers de données personnelles avec introduction de la biométrie, en conjonction avec l’analyse des données massives et de la géolocalisation. Cette évolution se présente comme irréversible et risque de « marquer » de façon sûre et quasi indélébile chaque individu. Se trouve par conséquent à nouveau posé le problème de l’exercice de la liberté individuelle et de la souveraineté des États, dans leur capacité à protéger l’individu, si rien n’est fait à l’encontre de cette tendance. Les dérives sont nombreuses. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, fournisseur mondial de services de messagerie financière sécurisée) transmettait régulièrement des données confidentielles aux autorités de la CIA (Central Intelligence Agency, Agence centrale du renseignement) et à celles de l’UST (United States Department of the Treasury, Trésor américain) au nom de la lutte contre le financement du terrorisme international. En 2013, l’« affaire PRISM » (programme américain de surveillance électronique par la collecte de renseignements à partir de l’internet) a bouleversé le monde entier à partir des révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden. Ce programme relevant de la NSA (National Security Agency, Agence nationale de la sécurité) prévoit le ciblage de personnes vivant hors des États-Unis. La NSA dispose donc d’un accès direct aux données hébergées par les géants américains des Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 13 18/11/2014 10:00:46 14 Diversité culturelle à l’ère du numérique nouvelles technologies, parmi lesquels Google, Facebook, YouTube, Microsoft, Yahoo !, Skype, AOL et Apple. Au-delà de ces faits se trouve posée la question de la confiance non seulement vis-à-vis des supports technologiques, dont les systèmes de sécurité peuvent être défaillants, mais aussi vis-à-vis des pouvoirs politiques. L’impact sur la diversité des expressions culturelles se mesure ici aux risques encourus par le pluralisme des idées et des pratiques, affecté par des mesures de censure ou des conduites d’autocensure dans la presse, les médias et les réseaux sociaux, qui portent atteinte à la liberté d’expression. De nouvelles pratiques culturelles Sur le plan des pratiques, les technologies apportent une plus-value sensible aux travaux de groupes, et certaines applications peuvent favoriser la diversité des approches scripturales et éditoriales. Mais de nombreuses pratiques restent méconnues. En effet, si les stratégies d’agrégation sont bien comprises, en lien notamment avec les affordances des moteurs de recherche et des outils de veille et de collecte, les pratiques de curation ou de tri sont moins connues. Cette curation complète l’agrégation de contenus, laquelle correspond à une recherche de critères de qualité alternatifs dans un monde numérique chaotique où règne l’abondance. Dans les deux cas, il s’agit de faire sens à partir de l’augmentation de la culture par le numérique. Des pratiques « paracuratoriales » apparaissent, comme en supplément à la curation professionnelle. Elles se caractérisent par des commentaires, des annotations, des liens supplémentaires et des performances de toutes sortes, qui ne sont pas sans intérêt pour la diversité des expressions culturelles. Les volumes de cette participation sont sans précédent, même si leur qualité, non vérifiable, est plus que jamais subjective. Toutefois, en aucun cas ces pratiques d’agrégation et de curation ne peuvent se confondre avec celles de la création culturelle inédite et réellement innovante, qui reste encore à définir dans un univers numérique avant tout fondé sur le partage des données et sur le recyclage culturel de contenus présentés selon des statuts différents, dans des modèles économiques en cours de reconfiguration. Ces évolutions engendrent des mobilisations nombreuses pour défendre la liberté d’expression ou la vie privée, qui sont des droits inaliénables garantis par la plupart des Constitutions. On retrouve d’ailleurs ces valeurs universelles chez les développeurs de logiciels libres et dans les initiatives de science ouverte (open science). Les premiers bénéficiaires peuvent être les pays les moins avancés, où les universités ont un accès limité aux publications scientifiques, dans les innovations du financement coopératif en ligne, de la consommation collaborative et des monnaies virtuelles, qui visent à transformer les règles inéquitables du jeu économique Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 14 18/11/2014 10:00:46 Introduction 15 et financier, ou dans la mise à disposition par ceux dits « pirates de l’information » (hackers) de solutions techniques permettant de contourner la censure en terres de conflits. De nouveaux biens culturels en émergence La notion de « bien culturel » se trouve au centre du développement des industries culturelles, terme utilisé pour la première fois par Adorno en 1947. Il désigne l’ensemble des entreprises produisant selon des méthodes industrielles des biens dont l’essentiel de la valeur tient à leur contenu symbolique comme le livre, la musique, le cinéma, la télévision, la radio et, plus récemment, le jeu vidéo. Cette notion est la clé de voûte des débats sur la diversité culturelle ayant mené à la convention de 2005. Celle-ci a visé à faire des industries culturelles une exception aux échanges commerciaux sans frontières afin de préserver le double versant de ce type de bien, à la fois commercial et identitaire, permettant aux États souverains de continuer à intervenir par le biais de politiques culturelles publiques. Toutefois, avec le numérique, on assiste à l’émergence d’un autre type de bien culturel, les industries créatives, apparues durant les années 1990 et tendant à s’ajouter, du moins dans les rapports officiels, aux industries culturelles. Les industries créatives se situent à la croisée des chemins entre les arts, la culture, le commerce et la technologie. Elles incorporent la gastronomie, l’architecture, le folklore… Autrement dit, elles englobent le cycle de création, de production et de distribution de biens et de services dans lequel le facteur de base est l’utilisation du capital intellectuel et des dispositifs socio-techniques fournis par le numérique (plateformes, sites, logiciels de design, interfaces…). Ainsi s’explique par exemple le succès planétaire de l’huile d’argan, spécifique au Maroc et à l’Algérie, passé d’une utilisation culinaire artisanale à un emploi industriel cosmétique et à une distribution contrôlée par des coopératives de femmes, appuyée sur le numérique 15. Le passage à la notion d’industries créatives tend à souligner la place de l’innovation dans la nouvelle économie numérique, qui se passe de certains intermédiaires et s’émancipe, à certains égards, de l’adoubement sélectif des élites institutionnalisées. Mais cette économie se construit suivant des règles essentiellement libérales. En effet, face au désengagement de l’État, c’est l’intérêt commercial qui organise l’offre et la demande. Les multinationales du web, par exemple, ont pris en main la communication cartographique, qui échappe de plus 15 Grâce au CRDI (Centre de recherches pour le développement international, Canada) et aux travaux de la chimiste marocaine Zoubida Charrouf, des coopératives de traitement de l’huile d’argan ont pu être mises en place, entièrement dirigées par des femmes. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 15 18/11/2014 10:00:46 16 Diversité culturelle à l’ère du numérique en plus aux États, alors qu’il existait des styles cartographiques nationaux liés aux traditions des agences de chaque pays. La coexistence entre industries culturelles et industries créatives ne va pas sans tensions, à mesure que la logique des spectacles publics (musique, cinéma…) rencontre celle des services payants à la demande. Les modèles économiques du prénumérique sont encore vivaces, comme le modèle publicitaire des médias de masse ou le modèle rédactionnel de la presse 16. Ils sont visibles dans le secteur audiovisuel qui vend ses contenus haut de gamme sur des réseaux du câble ou des bouquets satellites ; ils se manifestent dans la lutte des industries culturelles pour abriter leurs droits d’auteurs numériques derrière des barrières de protection accessibles seulement par carte de crédit. Toutefois, d’autres modèles émergent, autour de la production collaborative (crowdsourcing) et du financement collaboratif (crowdfunding), qui soutiennent les industries créatives. Ils pointent vers des approches en hybridation, qui combinent l’abonnement et la publicité, comme le modèle « freemium », ou encore le modèle « pro-ams » 17. Les nouveaux acteurs du numérique L’arrivée du Web 2.0 et la pénétration généralisée du (très) haut débit a bouleversé la donne, les spécialistes du tout en ligne (pure players), par exemple, se lançant dans une logique de production de contenus audiovisuels par la création de chaînes de diffusion (YouTube) ou l’acquisition de compagnies susceptibles de rendre leurs contenus numériques plus accessibles du public (Microsoft se dotant de Nokia, ou Facebook achetant Instagram par exemple, pour avoir accès aux plateformes mobiles). Aux corporations de type broadcast prénumériques que sont GE, Disney, Time Warner, News Corp, Viacom et CBS s’ajoutent désormais Microsoft, Cisco, Google, Apple, Facebook et Amazon. Elles créent Hollyweb 18, une alliance objective, où chaque corporation fait son corps de métier et contrôle un secteur d’activités bien déterminé, mais s’assure la neutralité coopérative des autres. Hollyweb organise la réalité d’une économie numérique qui fabrique 16 D. S. Evans et R. Schmalensee, The Digital Revolution in Buying and Borrowing, Cambridge, Massachussetts, The MIT Press, 2005 ; X. Greffe et N. Sonnac, Culture web. Création, contenus, économie numérique, Paris, Dalloz, 2008 ; voir aussi P. Bouquillion et Y. Combès, Les Industries de la culture et de la communication en mutation, Paris, L’Harmattan, 2007. 17 Philippe Couve et Nicolas Kayser-Bril, Médias : nouveaux modèles économiques et questions de déontologie ; lire en ligne http://www.journaliste-entrepreneur.com/2010/11/ le-rapport-medias nouveaux-modeles-economiques-et-questions-de-deontologie/, dernière consultation le 1er juin 2014. 18 Divina Frau-Meigs, « L’impact du numérique sur les contenus de la culture : quelques éléments de gouvernance pour la diversité 2.0 », in Réflexions sur les diversités mondiales, J. E. Naji (éd), Rabat, Haca-Orbicom, 2013, pp. 327-347. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 16 18/11/2014 10:00:47 Introduction 17 indifféremment de la culture, de l’idéologie et du politique. Cela s’est soldé par les batailles de droits d’auteurs numériques qui ont donné des bras de fer comme PIPA (Protect IP Act, projet de loi sur la prévention des menaces en ligne réelles sur la créativité économique et le vol de la propriété intellectuelle), SOPA (Stop Online Piracy Act, lutte contre la violation du droit d’auteur en ligne) et ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement, Accord commercial anticontrefaçon). D’autres soubresauts sont à venir car les spécialistes du tout en ligne, tout en se nourrissant des contenus audiovisuels, ne peuvent survivre si les lois de la propriété intellectuelle établies avant l’arrivée du numérique n’évoluent pas en leur faveur. Ces industries créatives broadband participent au brouillage des frontières entre propriétaire et non-propriétaire, payant et gratuit, ce qui rend difficile la mise en place d’un modèle économique durable pour les médias de type broadcast et les institutions prénumériques, ayant de multiples implications pour l’économie de la culture et pour la survie du service public. Ce brouillage s’ajoute à la double nature prénumérique des biens culturels, à la fois économique et culturelle, pourvoyeurs de spectacles et de services mais également vecteurs d’identité et de valeurs, ce qui a alimenté leur exception aux règles ordinaires du commerce dans le passé. Ces mouvements s’accompagnent d’une augmentation nette du nombre de produits offerts ainsi que des productions réalisées par des « amateurs » ou des semi-professionnels, ce qui relance la problématique de la concentration. Si nombre de chercheurs considèrent que celle-ci n’a pas d’impact mécanique ni direct sur la quantité ou la qualité des produits culturels, certains soulignent que les acteurs des industries de la communication contrôlent désormais l’aval de nombre de filières des industries culturelles, notamment de la musique enregistrée mais aussi, de façon croissante, du livre et de la presse. Le rapport de France créative associe pour la première fois en France « industries culturelles et créatives 19 », dans un panorama économique qui montre le poids de la culture comme quatrième pilier du développement durable et identitaire. Entre braconnage, piraterie et normalisation des nouveaux modes de faire du numérique Les modèles économiques en cours sont également défiés tant par la piraterie en ligne que par la dissémination illégale de contenus protégés par le droit d’auteur sur des sites comme Megaupload ou Torrent. D’autres modèles spécifiques aux spécialistes du tout en ligne émergent, basés sur le partage de l’information et l’extraction de données 19 Industries culturelles et créatives en France : panorama économique, Paris, 2014 ; lire en ligne http://www.francecreative.fr. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 17 18/11/2014 10:00:47 18 Diversité culturelle à l’ère du numérique par des tierces parties qui exploitent les besoins individuels et collectifs des utilisateurs en termes d’usage, d’interaction et d’engagement citoyen. Ils s’appuient sur des moteurs de recherche et des logiques d’agrégation et de curation de contenus pour récupérer des revenus publicitaires, comme AdSense de Google, ou pour fournir des services encore plus près de la personne, comme Graph Search de Facebook. L’économie numérique présente donc des caractéristiques nouvelles : les questions de neutralité du net se heurtent au management différencié du trafic en ligne ; la rémunération de la création par le biais de la propriété intellectuelle appuyée sur les logiciels propriétaires côtoie les Creative Commons et la constitution de biens communs numériques appuyés sur le logiciel libre. On voit apparaître en ligne, quoique déplacée, une nouvelle tension entre biens et services commerciaux, d’une part, et biens communs et services à valeur d’intérêt public d’autre part. Ces caractéristiques de l’économie numérique risquent en effet d’être préjudiciables à la diversité culturelle car elles fragilisent les politiques publiques, assèchent les financements nationaux (autres qu’américains), confèrent un pouvoir démesuré aux grosses corporations du numérique à tendance monopolistique, et entraînent les utilisateurs soit vers le « nétayage 20 » ou le travail à la tâche à la rémunération marginale, soit vers l’offre illégale en ligne tout en les criminalisant. Elles ont deux implications différentes pour les médias et la création : l’importance de construire un domaine public numérique pour disséminer la richesse des biens communs de la culture ; le besoin de motiver la création par la reconnaissance et la valorisation économique (avec le besoin de réfléchir aux modes de monétisation et d’attribution de la valeur, sans pénaliser le créateur ou l’utilisateur). Ces variations révèlent aussi que l’offre numérique ne produit pas nécessairement de la diversité culturelle, ce qui remet en cause des pans entiers de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, et pose la question de nouveaux principes de gouvernance de la culture. La fracture naît de l’« ethnocentralisation » des systèmes informationnels, à savoir la tendance, plus ou moins consciente, à privilégier les valeurs et les formes culturelles des producteurs des systèmes d’information 21. Le problème ne se trouve pas dans les réseaux ni dans la technique, il est dans la difficulté humaine à faire dialoguer les cultures sans que 20 Divina Frau-Meigs, Penser la société de l’écran. Dispositifs et usages, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2011. 21 Alain Kiyindou, « De la diversité à la fracture créative : une autre approche de la fracture numérique », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 2 | 2013 ; mis en ligne le 1er janvier 2013, http://rfsic.revues.org/288, dernière consultation le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 18 18/11/2014 10:00:47 Introduction 19 des rapports de forces ne s’activent. En tant que vecteurs de représentation et supports de diffusion, les médias font partie intégrante de cette culture en réseau qui transmet et modifie les valeurs et les institutions. Les perspectives pour la diversité culturelle Un glossaire n’a pas vocation à clore, mais à pointer et à relier, tout en les mettant en lumière, les quelques principes qui tiennent lieu, ici, de perspectives. La préservation de la diversité culturelle nécessite que non seulement l’usager, le designer, le fabricant, mais aussi et surtout les institutions questionnent la visée éthique à l’origine des contenus numériques, des terminaux, du design des interfaces, des politiques institutionnelles et de leur mise en œuvre dans les différents domaines sociaux. Cette éthique est à considérer comme une pratique ayant pour objectif de déterminer une manière de vivre conforme aux fins des droits de l’homme, dont la liberté d’expression et de participation. Elle devient ainsi une réflexion critique sur la moralité des actions. Dans le cadre de la diversité culturelle, elle établit les critères pour juger si une action est préjudiciable à la diversité et pour juger les motifs et les conséquences de l’acte, ce qui devrait amener à agir de manière responsable. Cette focalisation sur l’éthique est d’ailleurs partagée par le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) qui, dans le point C10 du plan d’action invite « les parties prenantes à poursuivre les recherches sur la dimension éthique des technologies de l’information et la communication 22 ». En effet, les bouleversements liés à l’usage des TIC sont tels que de nouvelles règles, sortes de balises qui indiqueraient les zones rouges, c’est-à-dire les limites à ne pas franchir, sont en cours d’élaboration. Ces règles existent dans le domaine de la médecine, du génie génétique, avec tous les débats sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Dans le domaine des TIC, on s’interroge sur la vidéosurveillance, le double numérique ou encore l’usage des puces RFID (Radio Frequency Identification). Ce cadrage suppose d’envisager les TIC de manière responsable. Ce qui nécessite de la part du chercheur une réflexion critique sur la moralité des actions. Cette visée éthique incite ainsi, dans le cadre de la diversité culturelle et numérique, à la clarification des frontières de la sous-traitance sur appel public, de façon à enrayer la confusion existant entre le bénévolat et le pronétariat 23. La « production collaborative » (crowdsourcing) a en effet le potentiel de modifier le statut de l’artiste comme de l’expert, ainsi que la propriété intellectuelle des participants. C’est particulièrement le cas s’il est associé 22 SMSI, Plan d’action, point C10, SMSI, Genève, 2003. 23 Joël de Rosnay, La Révolte du pronétariat. Des mass média aux média des masses, Paris, Fayard, 2006. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 19 18/11/2014 10:00:47 20 Diversité culturelle à l’ère du numérique au « financement collaboratif » (crowdfunding) pour réunir les sommes nécessaires à un projet dont le devenir peut être industriel. Les participants à de tels projets devraient savoir, entre autres, si leur travail et leur expertise font l’objet d’un don gratuit (avec gain en actualisation et capital social et symbolique), ou s’ils sont soumis à honoraires (avec rétribution à l’appui). La mise à disposition de termes de service et de modes de compensation clairs est importante pour créer la confiance et pour le développement durable de la culture. Au-delà de ces questions éthiques, en France, le rapport Lescure suggère plusieurs pistes pour les mesures d’incitation : l’aide au développement des bases de métadonnées pour le référencement national ; l’aide au développement des politiques de numérisation systématisées (fonds de catalogue, œuvres à fort contenu patrimonial). Le rapport Collin-Colin 24 suggère quant à lui des solutions pour contrecarrer les stratégies de contournement des spécialistes tout en ligne en ce qui concerne les impôts nationaux (sans encourager une « taxe Google »). Il fait allusion à ce qui pourrait être le principe de neutralité du net, en suggérant des mesures pour qu’il n’y ait pas de discrimination des contenus sur critères tarifaires. Mais la notion d’un domaine ou d’un service public du numérique est passée sous silence, de même que toute allusion à l’appropriation indue du service public audiovisuel après la numérisation. L’éthique de la diversité culturelle et numérique intègre la protection des communs, la création d’un service public du numérique qui ne soit pas uniquement la numérisation du secteur public de l’audiovisuel prénumérique, la promotion du code source et du logiciel libre tels que les défendent les mouvements Open Web et Open Source Initiative, la lutte contre la concentration de la propriété, la réduction de l’effet portail en termes de prix, licences et barrières de prix prohibitives… Des recommandations pour la gouvernance de la diversité culturelle peuvent également se fonder sur les caractéristiques des contenus qui circulent actuellement en ligne : création (originalité, partageabilité…), curation (patrimoine, préservation, collection, tri), agrégation (mixage, remixage…). Elles se doivent de prendre en compte cette nouvelle culture médiée, connectée, augmentée. Ce glossaire traverse donc de façon à la fois exploratoire, analytique et parfois polémique des questions liées à l’économie numérique, à la régulation juridique ou éthique, à la multiplication des acteurs et de l’offre de contenus, tout en restant attaché à la notion de diversité culturelle comme droit humain fondamental et évolutif. 24 Pierre Collin et Nicolas Colin, Rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, ministère du Redressement économique, janvier 2013 ; lire en ligne http://www.redressement-productif. gouv.fr/rapport-sur-fiscalite-secteur-numerique, dernière consultation le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 20 18/11/2014 10:00:47 21 Agrégateur Olivier Le Deuff Le mot agrégateur est devenu polysémique dans l’espace du web, surtout depuis que son sens s’est étendu à différents domaines et notions. Il est donc imparfaitement stabilisé et évolue au gré des nouvelles aplications disponibles. Son origine est latine ; aggregatio désigne une réunion d’éléments, ce qui pourrait rapprocher ce terme de celui de collecte et de collection. Aggregatio est d’ailleurs un dérivé de grex, qui signifie troupeau. Cette référence agricole de la collecte est aussi celle de la culture, du monde des bibliothèques et des professionnels de l’information habitués à gérer des collections cohérentes. Agrégateur est une traduction du mot anglais aggregator, qui désigne un logiciel permettant d’agréger différents éléments d’information à partir de plusieurs sources différentes en ligne. Agreggator possède un sens très large puisqu’il concerne de nombreux types de plateformes qui « agrègent ». Par conséquent, il est possible de distinguer les plateformes de vidéos, de photos, de nouvelles ou de données qui réalisent des formes différentes d’agrégations de contenus. Le sens francophone est plus réduit et a surtout concerné le fait de pouvoir organiser différents flux d’informations, notamment par l’utilisation des fameux flux ou fils RSS. Si bien que le terme désigne principalement les outils de type Feedly ou Netvibes qui permettent d’organiser ces flux d’information. Les « agrégateurs d’actualités » (news) désignent les plateformes qui gèrent des informations provenant essentiellement de journaux, comme Google News, ou des sites spécialisés dans la sélection de flux d’informations thématisées, comme c’était le cas pour Wikio devenu désormais Ebuzzing. L’actualité du monde des agrégateurs a été marquée par l’arrêt de Google Reader en juillet 2013. L’outil était performant mais utilisé principalement par les professionnels de l’information. Son caractère finalement élitiste ne permettait pas à Google d’en réussir une pleine marchandisation. Cet événement témoigne d’une Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 21 18/11/2014 10:00:47 22 Diversité culturelle à l’ère du numérique forme de fracture numérique quant aux compétences inégalement réparties entre les usagers. Les agrégateurs de flux On distingue deux types d’agrégateurs de flux : les applications en ligne et celles qui sont en local et qui nécessitent donc un téléchargement et une installation. Ce sont les applications en ligne qui sont les plus prisées, puisqu’elles permettent à chacun d’avoir à disposition l’ensemble de ses flux sélectionnés depuis une connexion internet. Les logiciels qui gèrent les flux sont surtout « orientés veille » à des fins professionnelles. Cette logique de flux fonctionne de manière simple en récupérant le flux d’un site jugé intéressant en renseignant l’adresse du fil RSS (Really Simple Syndication) dans son agrégateur. Cette opération peut s’effectuer par simple clic, dès que le symbole du RSS a été repéré. Le RSS est une famille de formats de données basée sur XML, ce qui permet un affichage en HTML dans l’agrégateur. Malgré leur potentiel, les flux RSS connaissent un net recul : ils disparaissent de certains sites et sont moins bien pris en compte par les navigateurs. De nombreux acteurs, tel Apple, souhaitent les voir abandonner au profit des technologies propriétaires et des systèmes qui obligent l’usager à se connecter directement au service. Or le flux RSS est essentiel pour la liberté de l’usager dans sa sélection et son évaluation de l’information. Les flux RSS sont des éléments indispensables pour constituer son environnement personnel d’informations. L’agrégation repose donc sur l’accumulation plus ou moins organisée de flux qui permettront d’obtenir de façon automatique les mises à jour et les derniers billets ou messages des ressources sélectionnées auparavant. Ce travail de collecte et d’organisation de l’information réclame des qualités d’attention, mais aussi la possibilité d’avoir des temps de lecture réguliers, car il est souvent illusoire de penser qu’il sera possible de tout lire. Les polémiques L’agrégation est critiquée par ceux qui déplorent une récupération des flux pour des monétisations extérieures. De la même façon, certains webmasters regrettent de ne pas pouvoir comptabiliser le nombre de lectures d’un article qui passent par cette logique de flux, même si Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 22 18/11/2014 10:00:47 Agrégateur 23 des systèmes de flux, tel FeedBurner, permettent de comptabiliser le nombre d’abonnés et les flux consultés. La tendance est parfois de supprimer purement et simplement les flux pour obliger les usagers à se rendre directement sur le site, ou d’utiliser le biais d’une application dédiée. D’autres systèmes privilégient un flux volontairement tronqué pour forcer l’usager intéressé à se rendre sur le site de l’article pour achever sa lecture. Mais la plus grande polémique concerne l’utilisation de flux provenant notamment de la presse en ligne par des agrégateurs comme Google News, qui offrent un aperçu de l’actualité en mixant des contenus d’éditeurs de presse en ligne. Google utilise simplement les flux disponibles pour réaliser un site entièrement consacré à l’actualité sans en payer les contenus, qui sont néanmoins en accès libre. De nombreux éditeurs ont protesté contre cette réutilisation qu’ils jugeaient abusive. Toutefois, la volonté d’être désindexé par Google s’avère souvent une erreur stratégique et financière. Les outils d’agrégation disposent parfois de fonctionnalités supplémentaires ou de « modules d’extension » (plugins) qui permettent une meilleure visualisation de l’information. Si on prend l’exemple de Google Reader, la lecture de l’information est dispensée principalement sous forme de liste antéchronologique. Des outils comme Feedly, Feedspot, Newsblur ou bien encore NewsSquare améliorent grandement la manière de visualiser l’information et de distinguer ce qui peut avoir de l’importance. Feedly présente ainsi les flux à la manière d’un magazine d’« actualités » (news) plutôt que de manière linéaire. Ce dernier se couple d’autant plus efficacement avec d’autres outils de partage comme Twitter. Cette surcouche constitue en fait un dispositif de curation, ce qui explique la proximité entre curation et agrégation. Agrégation et curation Le terme d’« agrégation » recouvre donc plusieurs réalités différentes, et la tendance actuelle est de rapprocher le terme du domaine de la curation, parfois appelée « agrégation web ». Pourtant, un débat demeure entre ceux qui différencient clairement le domaine de l’agrégation et celui de la curation. L’agrégation relèverait davantage de la collecte et de la collection, tandis que la curation serait l’exercice de sélection issu de cette collecte. La curation se situerait donc davantage du côté de l’humain, tandis que l’agrégation reposerait surtout sur des outils web. Il faut Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 23 18/11/2014 10:00:47 24 Diversité culturelle à l’ère du numérique sans doute préciser que la curation a souvent pour but d’être partagée et mise à la disposition du collectif. L’opposition mérite toutefois d’être nuancée, car le premier travail de collecte ne se réalise pas de façon impulsive. C’est même l’inverse dans une stratégie de veille où la sélection des ressources, des flux et des mots-clés se réalise de façon réfléchie et en suivant une stratégie souvent rigoureuse. Le terme « agrégateur » désigne nettement un outil, et non pas celui qui procède à la collecte. C’est le contraire en ce qui concerne la curation, puisque le curateur est avant tout un humain. Toutefois, certains outils de curation n’apportent aucune réelle valeur ajoutée et constituent des formes d’infopollution et des systèmes de violation de droits d’auteur. Cette logique de sélection humaine permet d’éviter des logiques automatisées par des algorithmes qui décideraient à notre place des ressources qui pourraient s’avérer pertinentes, en prenant appui par exemple sur des recherches précédentes ou sur des « like » de Facebook. L’agrégation permet davantage une diversité de découvertes remplie d’imprévus et d’inattendus par le biais de la sérendipité. Les compétences requises par la curation et l’agrégation sont d’essence documentaire, et les savoirs et savoir-faire sont ceux de la culture de l’information. Celui qui procède à la sélection de l’information à agréger peut donc être à la fois un professionnel dans un processus de type veille, mais également un usager lambda qui réalise cette opération pour des besoins qui lui sont propres. On notera également qu’un professionnel peut effectuer cette opération d’agrégation non seulement au niveau professionnel mais également pour ses besoins personnels. Il reste toutefois que la division entre ce qui relève du professionnel et du personnel n’est pas toujours évidente à distinguer. Des compétences et des savoirs L’agrégation requiert des savoirs et des compétences qui vont bien au-delà du seul usage de l’outil et de la capacité à récupérer un flux RSS. L’enjeu n’est donc pas celui du bon usage d’un outil d’agrégation, mais plutôt de la capacité à sélectionner et à évaluer l’information (Serres, 2012). L’agrégation et les dispositifs de curation associés font ainsi pleinement partie de la formation aux cultures numériques (Le Deuff, 2009). L’agrégateur est un bon exemple d’outil devenu indispensable à tous les travailleurs du savoir qui souhaitent gérer efficacement leur information (Deschamps, 2009). C’est aussi un outil clef dans un contexte Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 24 18/11/2014 10:00:47 Agrégateur 25 de convergence numérique (Jenkins, 2006) afin de pouvoir y regrouper des sources d’information jugées pertinentes. L’agrégateur constitue, en raison de cette convergence, un outil emblématique de la translittératie (Thomas, 2007), cette capacité à lire et à écrire au travers d’une multitude de plateformes. Il participe donc pleinement à une diversité culturelle par la possibilité de gérer des sources différentes, et de pouvoir y accéder indépendamment de logiques uniquement marchandes. Il est en ce sens davantage conforme à l’esprit pionnier du web. La diversité culturelle ne peut s’exercer que par la consultation d’une diversité de ressources et de points de vue. En aucun cas l’outil ou les dispositifs ne peuvent garantir cette diversité. En effet, c’est l’usager lui-même qui choisit des ressources. L’outil peut alors renforcer des formes d’autarcie informationnelle, de la même façon que pour ceux qui choisissent de n’entrer en relation sur les réseaux sociaux qu’avec des personnes proches en matière d’idées. De la même manière, la barrière linguistique demeure importante. Si Google Reader avait associé des possibilités de traduction, aucun autre outil ne propose de solutions équivalentes et de qualité. Une des pistes les plus intéressantes réside probablement dans les possibilités de mutualisation afin de pouvoir partager non seulement le travail d’agrégation mais aussi les synthèses. Finalement, la diversité repose sur une dimension collective et collaborative qui permet de croiser les points de vue et les interprétations. Termes liés : bibliothèques, algorithmes, sérendipité, document, littératie, langues, connaissance, co-construction Références Christophe Deschamps, Le Nouveau Management de l’information. La gestion des connaissances au cœur de l’entreprise 2.0., FYP Éditions, 2009. Henry Jenkins, Convergence Culture : Where Old and New Media Collide, New York University Press, 2006. Olivier Le Deuff, La Formation aux cultures numériques. Une nouvelle pédagogie pour une culture de l’information à l’heure du numérique, FYP Éditions, 2011. Alexandre Serres, Dans le labyrinthe : Evaluer l’information sur internet, C & F Éditions, 2012. Sue Thomas et al., « Transliteracy : Crossing Divides », First Monday, 2007, vol. 12, no 12, 3 décembre 2007 ; lire en ligne http://firstmonday.org/htbin/ cgiwrap/bin/ojs/index.php/fm/article/viewArticle/2060/1908, page consultée le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 25 18/11/2014 10:00:47 26 Algorithme Bruno Bachimont Le mot « algorithme » vient du nom latinisé du mathématicien perse Al-Khawarizmi, surnommé « le père de l’algèbre ». Un algorithme est une suite finie et non ambiguë d’opérations ou d’instructions permettant de résoudre un problème. En un certain sens, la notion d’algorithme est très banale : c’est tout simplement une méthode que l’on peut appliquer pour obtenir un résultat à un problème donné. D’ailleurs, Al-Khawarizmi proposa des méthodes numériques pour mettre en œuvre les nouvelles notations qu’il introduisait en s’inspirant des mathématiques indiennes. Mais, dans un autre sens, la notion d’algorithme est subtile et profonde : c’est le fait de proposer une méthode dépourvue de toute ambiguïté, c’est-à-dire qu’il est inutile de faire appel à une faculté d’invention pour la mettre en œuvre. Bref, inutile de comprendre pour l’appliquer. Mais comment savoir qu’une méthode est suffisamment précise pour ne pas avoir à réfléchir pour l’appliquer ? La réponse s’élabora progressivement et de manière concomitante avec la réflexion sur la notion de calcul. Une méthode est suffisamment précise, son explicitation est achevée quand son exécution peut être mécanisée et donc mise en œuvre par une machine. L’algorithme : une écriture qui n’a pas de sens Cette idée n’a rien de trivial. En effet, elle exige d’adopter une véritable ascèse du signe, dans la mesure où les instructions composant la méthode doivent pouvoir être appréhendées par une machine comme de simples déclencheurs, sans faire appel à une quelconque interprétation. Autrement dit, il faut faire le contraire de ce à quoi nous sommes accoutumés : dans la langue – la communication habituelle entre les êtres humains – tout signe ne s’appréhende qu’en Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 26 18/11/2014 10:00:47 Algorithme 27 vue et qu’en fonction du sens qu’il véhicule et délivre. Il n’existe et n’est justifié que pour faire sens, que pour être interprété. Autrement dit, le signifié est la finalité du signifiant, ce pour quoi il existe et fonctionne comme signifiant, justement. Dans un algorithme, on doit pouvoir faire abstraction du signifié pour utiliser le signifiant comme un simple objet, un simple item qui sera manipulé par la machine. Toute la subtilité de la démarche sous-jacente à l’élaboration des algorithmes est de considérer l’écriture d’une méthode pouvant fonctionner sans faire appel à une compréhension ou à une interprétation : utiliser l’écriture seulement comme suite de signes ne signifiant rien, indépendamment de la signification. De la même manière que le passage du courant électrique permet de déclencher des réactions, la présence du signe dans un algorithme permet de déclencher une exécution. Évidemment, si l’algorithme ne signifie vraiment rien, on ne voit pas vraiment à quoi il va servir. C’est pourquoi on ne veut pas tant définir des algorithmes qui ne veulent rien dire que des instructions qu’on n’a pas besoin de comprendre pour les exécuter, puisque c’est à cette condition qu’une machine peut être commandée par un programme. Mais il doit être possible de donner un sens à ce que fait le programme bien sûr. Pour cela, il faut être capable, pour un problème donné, de définir une écriture qui fonctionne comme un déclencheur pour la machine mais qui s’interprète pour l’humain comme étant la traduction de ce qu’il faut faire, donc comme ayant le sens voulu dans le contexte du problème traité. Ce qui permet d’effectuer ce double mouvement est ce qu’on appelle la formalisation. La formalisation consiste à traduire ce qu’il faut faire en symboles dont la signification est directement déterminée et définie de manière univoque et unique par leur forme graphique : pour un symbole, une signification déterminée. De cette manière, la machine ne considère que la face graphique, utilisant les symboles pour leur nature physique, mais l’exécution effectuée à partir de ces symboles est, par construction, cohérente avec la signification portée par ces symboles. Tout l’enjeu est donc de définir une syntaxe qui puisse être autonome pour la machine qui ne considère que la matérialité des signes, et qui commande une sémantique que nous, concepteurs et utilisateurs, pouvons associer au comportement calculé de la machine. L’algorithme : une nouvelle négociation du sens À quoi servent les algorithmes ? À effectuer certains types de traitement sur des données et sur des contenus. Depuis quelques années, la Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 27 18/11/2014 10:00:47 28 Diversité culturelle à l’ère du numérique numérisation des contenus a entraîné cette conséquence que tout ce que nous produisons comme documents, contenus, inscriptions, etc., possède désormais une nature numérique (le fameux binaire) et devient dès lors calculable. Or cela signifie qu’on peut les considérer comme des symboles vides de sens sur lesquels on peut faire appliquer des calculs vides de sens par des machines aveugles. On peut donc appliquer à ces contenus numérisés n’importe quel traitement, n’importe quel algorithme sans autres limites que celles du calcul lui-même. Qu’un calcul ait du sens pour nous ou non ne change rien à l’affaire, il reste applicable. C’est d’ailleurs ce qui se produit dans bon nombre de cas. Les algorithmes s’appliquent sur l’inscription de nos discours, de nos pensées, des événements, en introduisant des transformations calculées. Si ces transformations répondent à des principes que nous comprenons (on comprend les lois du calcul, on connaît éventuellement les programmes qui se sont exécutés), la complexité, la rapidité, la masse des calculs et des données sur lesquelles ils sont effectués nous interdisent d’en avoir une compréhension fine. Alors que l’écriture renvoie implicitement à un auteur – comprendre est souvent retrouver l’intention ou la pensée à l’origine de cette écriture, car il n’y a pas d’écriture sans scripteur ou auteur – le calcul nous met devant des écritures sans auteur, des configurations de sens sans intention, car il introduit une opacité sur la genèse des inscriptions nous empêchant de nous approprier leur rationalité propre. Ce nouveau régime ne se limite pas seulement à la production des écrits, mais porte également sur notre manière de lire. Prenons l’exemple simple du fameux « copier-coller ». Qui n’a pas recopié un fragment d’un document pour le coller dans un autre sans le lire, ou sans s’assurer qu’on le comprenait vraiment, qu’on aurait pu l’écrire nous-mêmes ? Autrement dit, qui n’a pas fait de copier-coller qui ne soit pas une citation (en donnant la référence à l’origine de l’emprunt), mais une appropriation textuelle (on le met dans notre texte) mais non intellectuelle (on ne l’a pas forcément compris, parfois même pas vraiment lu) ? Certains débats pédagogiques déplorent ces pratiques chez les étudiants, mais ils ne sont pas les seuls à les adopter. L’écriture et la lecture deviennent des productions machiniques, des manipulations sans compréhension ni appropriation. Grâce ou à cause du copier-coller, nous lisons comme des machines, sans comprendre ce que nous faisons. Évidemment, le calcul, le numérique, n’a pas inauguré ces pratiques : on a depuis longtemps recopié sans comprendre. Cependant, le calcul et son instrumentation instaurent comme régime de base ce qui restait une aberration jusqu’alors. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 28 18/11/2014 10:00:47 Algorithme 29 Faut-il n’y voir qu’une perte de sens ? Sans doute non. Car on gagne des moyens inédits de gérer les inscriptions, dans leur production ou interprétation. Comme souvent dans les révolutions techno-cognitives, nous devenons les instruments de nos inventions plutôt que l’inverse. Nous lisons comme des machines au lieu de lire avec des machines. Or les machines démultiplient nos perspectives de lecture : les humanités numériques par exemple envisagent des corpus qui auraient été inaccessibles naguère par leur taille et leur complexité, mais que le calcul et l’instrumentation numérique permettent de maîtriser et de travailler. Les mémoires que nous constituons à partir de nos archives et de nos documentations présentent des masses d’informations que seule la médiation calculée permet d’appréhender. Mais il faut réapprendre à lire : non pas lire l’inscription directe d’un événement ou d’un discours, mais ce qu’une machine a produit comme enregistrement, transformation, sélection. De même que la révolution scientifique du xixe siècle a consisté en partie à savoir interpréter les images de ce que l’on ne pouvait voir (infra-rouge, infiniment petit, infiniment grand) – où ce que l’on montre n’existe pas mais s’appuie sur ce qui pourrait exister conformément à nos théories et instruments – la révolution computationnelle doit nous apprendre à lire ce qui n’a été écrit directement par personne mais qui néanmoins renvoie à l’humain. C’est une nouvelle herméneutique qui s’annonce, une chance pour la pensée, une promesse pour la diversité culturelle. Une chance pour la pensée, car il ne s’agit pas moins que d’une révolution épistémologique. Le monde du web par exemple donne accès à des données massives et hétérogènes dont l’examen permet de découvrir des ordres de phénomènes qui étaient encore ignorés et insoupçonnés naguère. De même que nos capacités d’enregistrement et de traitement ont permis d’élaborer une linguistique de l’oralité et des discours, bravant ainsi l’interdit saussurien, les algorithmes à venir nous permettront d’analyser et donc de comprendre les enregistrements issus des activités humaines. Mais c’est aussi une promesse pour la diversité culturelle. La réalité numérique devenant progressivement un milieu technique pour la plupart de nos activités sociales, notamment sur toute la surface de notre planète, l’enjeu n’est pas tant que les diversités sociales et culturelles s’abîment dans une unité numérique techno-scientiste, tout le monde utilisant les mêmes outils pour être finalement réduits et expliqués par les mêmes principes numériques, mais bien de pouvoir retrouver dans ce milieu numérique un nouvel espace où s’affichent et se composent des réalités différentes. Mais c’est un enjeu et une chance, pas une certitude ni un déterminisme. La concentration des acteurs du numérique, l’imposition des modes de penser découlant Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 29 18/11/2014 10:00:47 30 Diversité culturelle à l’ère du numérique des mêmes algorithmes utilisés partout constituent des menaces à ne pas sous-estimer. C’est la raison pour laquelle il est plus que jamais important que ce milieu technique numérique devienne un champ politique pour penser et construire notre nouvelle cité. Termes liés : langues, computation, auteur, public/usagers, littératie Références Bruno Bachimont, Le Sens de la technique, le numérique et le calcul, Les Belles Lettres, 2010. Lorraine Daston, Peter Galison, Objectivité, Les Presses du Réel, 2012. Francis Jutand (éd..), La Métamorphose numérique. Vers une société de la connaissance et de la coopération, Alternatives, 2013. « Politique des algorithmes : les métriques du web », Réseaux. Communication, technologie, société, février-avril 2013, vol. 31, no 177. Pierre Wagner, La Machine en logique, Paris, Presses universitaires de France, 1998. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 30 18/11/2014 10:00:47 31 Archives Emmanuelle Chevry Pébayle L’association du numérique, symbole de la technologie contemporaine, avec les archives, domaine tourné par excellence vers le passé, n’étonne plus depuis longtemps. Que donne la rencontre de ces deux mondes ? Quelles conséquences la numérisation des archives induit-elle sur la protection et la promotion de la diversité culturelle ? Les archives en ligne favorisent la construction de l’identité culturelle Les archives en ligne constituent une réelle opportunité pour la diversité culturelle grâce au moins à trois caractéristiques permises par le numérique : la sauvegarde de notre mémoire, l’accessibilité du patrimoine et une meilleure exploitation des archives. Les archives numérisées, un instrument de mémoire Face à la dégradation des archives liée au temps ou imputable aux hommes, le numérique constitue un moyen de les sauvegarder, à la condition que la chaîne matérielle et logicielle soit maintenue. Il permet la duplication des documents à grande vitesse, presque instantanément sur le même support ou sur un autre, électronique, de façon fidèle et à l’infini. On obtient de cette manière un véritable fac-similé du contenu. Toutes les copies sont rigoureusement semblables, à l’octet près. Là réside une des supériorités du numérique sur l’analogique : la recopie illimitée sans perte d’informations. Les données numérisées constituent alors un support de sauvegarde au cas où une dégradation ou une destruction surviendrait. En France, la conservation des archives est organisée dans l’intérêt public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 31 18/11/2014 10:00:47 32 Diversité culturelle à l’ère du numérique droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, que pour la documentation historique de la recherche, selon l’article L. 211-2 du Code du patrimoine. Cette conservation comprend trois intérêts principaux. Tout d’abord, les archives ont un intérêt administratif : elles favorisant le fonctionnement d’une administration par la mémoire de son activité. Ensuite les archives présentent un intérêt juridique en permettant la justification des droits des personnes. Le document contient des éléments de validation qui lui donnent sa force probante, tels qu’une date, la signature de l’autorité qui délivre l’acte, etc. Enfin, les archives possèdent une importance historique en donnant accès à l’histoire et aux problèmes socio-économiques d’un territoire pendant une période donnée. En France, plus de 300 millions de pages et plus de 6 millions de documents iconographiques ont déjà été numérisés par le réseau des archives nationales et territoriales avec pour objectif, entre autres, la conservation des documents (Congrès international des archives, 20-24 août 2012, Brisbane). Diffuser et promouvoir Le numérique permet la transmission à des milliers de kilomètres en quelques secondes via l’internet, à une très grande échelle de diffusion. La publication en ligne des archives permet de prendre connaissance de l’histoire d’un territoire et de sa population à diverses périodes. Par exemple, les registres paroissiaux et d’état civil, le recensement de la population et les matricules militaires font l’objet d’une forte demande sociale. Mine de renseignements pour les généalogistes, source essentielle pour reconstituer l’histoire familiale de chaque citoyen, ces registres sont numérisés en masse depuis plusieurs années, dans le double objectif de les préserver d’une dégradation inéluctable et de favoriser l’accès à leur contenu. En effet, la généalogie représente l’une des finalités principales des recherches effectuées dans les archives départementales et communales (56 %) ainsi qu’aux Archives nationales (un tiers des lecteurs). De plus, les archives départementales ou municipales conservent des fonds en rapport avec une zone géographique précise. La numérisation de ces fonds peut présenter un intérêt de promotion pour les institutions comme pour les habitants. Ces archives numérisées et publiées en ligne, liées à un endroit donné, permettent à ses habitants de constituer une culture commune et de créer un sentiment d’appartenance. C’est le cas, parmi de très nombreux exemples, des archives départementales du Finistère qui présentent sur leur site web des collections iconographiques illustrant les modes de vie du département à travers les siècles. « Elles permettent d’appréhender différents Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 32 18/11/2014 10:00:47 Archives 33 aspects de la vie familiale quotidienne comme les intérieurs bretons, les repas, les loisirs mais aussi les pratiques religieuses (pardons, noces). Elles attestent également de l’identité culturelle du Finistère au travers de la musique et des danses bretonnes, des costumes, du cidre, des festivals… » (http://www.archives-finistere.fr). En somme, cette mise à disposition de la mémoire des différentes cultures a deux intérêts majeurs. Premièrement, elle favorise la connaissance des cultures. Au sens anthropologique, les cultures désignent des ensembles partageant un certain nombre de valeurs et de pratiques identitaires communes, hiérarchisées entre elles jusqu’à former un système cohérent. Deuxièmement, la connaissance des cultures à travers les générations permet de maintenir ce qu’on appelle une civilisation, c’est-à-dire « un ensemble de connaissances ordonnées et partagées par un peuple ou ses représentants » (Salaün, 2011). Les archives, comme les bibliothèques, sont les gardiens de cette mémoire, véritable ciment des civilisations. Une meilleure exploitation des archives Le numérique permet de rassembler, de traiter puis de recouper les informations et de reconstituer de nouvelles connaissances sur le patrimoine archivistique éparpillé géographiquement, ou au travers de la multiplicité des objets qui le constituent. Le portail européen des archives, en rassemblant des documents d’archives créés tout au long des évolutions historiques et politiques, favorise la comparaison entre les évolutions nationales et régionales ainsi que la compréhension de leur spécificité, tout en les plaçant du point de vue européen. De la même manière, certains pays privés de leur culture parce que l’histoire coloniale et les migrations au cours des deux derniers siècles l’ont fragmentée ou éclatée, ont la possibilité de rassembler les informations éparses grâce au numérique. De plus, avec le développement du web collaboratif, certains centres d’archives convient les internautes à s’investir dans la construction de la connaissance des archives. La participation de ces amateurs passe par l’identification d’images ou par l’indexation collaborative sur les sites institutionnels des archives. Ainsi vingt services d’archives français ont mis en place, sur leurs sites web, des services participatifs tels que l’identification d’images ou l’indexation collaborative de documents nominatifs (état civil, registres de matricules militaires, recensements de la population…). Cet investissement des usagers des archives, appelé « archives participatives » ou crowdsourcing, constitue une véritable co-construction patrimoniale, grâce au numérique, entre les professionnels des archives et le public de lecteurs. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 33 18/11/2014 10:00:47 34 Diversité culturelle à l’ère du numérique Enfin, le numérique peut favoriser la coopération dans le domaine culturel entre archives, bibliothèques et musées. Par exemple sont regroupés virtuellement, dans Europeana, des fonds provenant de bibliothèques, d’archives et de musées européens. On y trouve, entre autres, 400 000 documents exceptionnels sur l’histoire de la Première Guerre mondiale provenant de différents établissements culturels et de différents pays. Des limites à la protection et à la promotion de la diversité culturelle Le numérique appliqué aux archives présente au moins deux limites à la protection et à la promotion de la diversité culturelle : la numérisation a des conséquences sur les caractéristiques des archives ; l’absence de moyens financiers peut constituer un frein à la sauvegarde et à la diffusion des archives en ligne. Changements des caractéristiques des archives La numérisation modifie les caractéristiques de l’information qu’elle représente. Les documents numérisés perdent les particularités de l’original, ce qui en modifie l’usage. Les changements apparaissent sous plusieurs aspects. La numérisation des archives aboutit à une copie du document par la perte du code et par la perte de son contexte. L’original n’existe plus et, enfin, le numérique induit un autre type de lecture. Perte de l’original et extrapolation L’archive numérique transporte une représentation de l’archive et non l’archive elle-même. Dans « re-présentation » (réécriture, « reformater »), il y a la notion de re-construction et de relecture. Par exemple une représentation sur un site web du Journal de chasse de Louis XVI est une reconstitution. En effet, la numérisation du document ne reproduira jamais le document mais seulement une représentation c’est-à-dire une reconstruction avec d’autres critères. Il s’agit alors d’une image dénaturée. L’information n’est pas directement accessible, un code est utilisé pour la véhiculer et nécessite du matériel pour la rendre accessible ; dès lors, tout ce qui sera lisible par l’homme ne sera qu’une copie et non l’original. Appauvrissement des sens L’avènement du numérique constitue la fin du rapport physique avec les archives. L’expérience esthétique se rétrécit à un contact homme-machine, Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 34 18/11/2014 10:00:48 Archives 35 qui entraîne une désincarnation de la rencontre avec les documents. Enfin l’archive numérique aboutit à un appauvrissement de l’environnement sensoriel. On accède à toujours plus d’informations, mais en utilisant un éventail limité de perceptions. Le document numérique perd certaines informations car il fait appel dans sa manipulation à un nombre limité de sens. Lorsque l’on manipule un document d’archive, nous percevons des informations d’après l’aspect jauni du papier, la date approximative du document, son odeur éventuelle, le bruit que font les pages lorsqu’elles tournent et le toucher du grain du papier. L’archive numérique perd les informations perçues par les sens de l’ouïe, du toucher et de l’odorat. Instabilité Le numérique porte en gestation un autre monde de pensée que celui que nous connaissons aujourd’hui. L’extériorisation de la pensée peut diminuer ou supprimer la capacité de penser au profit d’une capacité à acquérir de l’information. L’abondance d’informations empêche la capacité de créer et de s’arrêter pour forger sa propre pensée. Le numérique nous fait passer d’une logique d’acquisition à une logique d’accumulation. Or l’accumulation n’est pas la pensée. Le savoir se construit selon chaque individu. C’est un travail intérieur qui se met en place avec le temps. En ce sens l’internet peut faire illusion ; il ne donne pas accès au savoir, il ne délivre aucune connaissance, il fournit une masse d’informations que l’internaute doit trier et structurer pour se l’approprier. L’absence de moyens financiers, véritable handicap à la sauvegarde et la promotion des archives L’accès en ligne aux archives nécessite la disponibilité de réseaux. Or ces réseaux demeurent inégalement répartis sur la surface de la planète, en raison de la disparité des infrastructures et des limitations apportées à l’accès pour des raisons économiques. Ainsi un fossé se creuse entre les nations qui utilisent les technologies de l’information et de la communication pour sauvegarder, diffuser et exploiter leurs archives et celles qui ne peuvent y accéder faute de moyens. Selon l’UNESCO, 80 % du stock mondial d’images et de sons (hors cinéma), estimé à 200 millions d’heures, est en réel danger. Seuls les pays les plus avancés parviendront à sauver quelques pans de leur mémoire-images. En l’absence de moyens, l’Amérique du Sud, Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 35 18/11/2014 10:00:48 36 Diversité culturelle à l’ère du numérique l’Afrique, le Proche– et le Moyen-Orient comme le Sud-Est asiatique ne seront pas en mesure de mobiliser les ressources nécessaires à la sauvegarde de leur patrimoine. Le manque de moyens financiers peut d’ailleurs conduire tout simplement à l’absence de structures de conservation et de restauration pour les archives, et à un manque de gestionnaires d’archives ou d’archivistes formés. Comme le rappelle Jean-Michel Salaün, les civilisations sont mortelles, et une des façons de les faire disparaître est d’effacer leurs empreintes conservées dans les bibliothèques, les centres d’archives et les musées. Au xxie siècle, disposer d’archives numérisées en ligne constitue un enjeu majeur pour transmettre aux générations futures les pans de leur histoire, et aux êtres humains ou aux entreprises des preuves de leurs activités. Cette sauvegarde numérique constitue une assurance nécessaire à la construction de l’identité des hommes et au maintien des civilisations. Termes liés : bibliothèque, patrimoine Références Marie-Anne Chabin, Archiver et après ?, Paris, Djakarta, 2007. Marie-Anne Chabin, « L’opposition millénaire archives/bibliothèques a-t-elle toujours un sens à l’ère du numérique ? », Bulletin des bibliothèques de France, no 5, 2012 ; lire en ligne http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-05-0026006, dernière consultation le 1er juin 2014. Code du patrimoine, article L. 211-1, article L. 211-2. Nicolas Delpierre, Françoise Hiraux et Françoise Mirguet (éds), Les Chantiers du numérique : dématérialisation des archives et métiers de l’archiviste, Actes des 11es Journées des archives, Louvain-la-Neuve, 24 et 25 mars 2011, organisées par le service des archives de l’Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2012. Emmanuel Hoog, L’INA, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2006. Pauline Moirez, « Archives participatives », in Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias sociaux, Muriel Amar et Véronique Mesguich (dir), Éditions du Cercle de la librairie, 2012, pp. 187-197. Jean-Michel Salaün, « L’incommensurable économie des bibliothèques », version française non révisée à paraître, in Handbook on the Economics of Cultural Heritage, Ilde Rizzo et Anna Mignosa (éd..), Londres, Elgar Publishing, 2011. Développement culturel, no 137, octobre 2001. Développement culturel, no 151, janvier 2006. http://www.archives-finistere.fr, dernière consultation le 1er juin 2014. http://archivesportaleurope.net/, dernière consultation le 1er juin 2014. L’auteur tient à remercier Mme Alice Motte, conservatrice du patrimoine, de son aimable relecture. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 36 18/11/2014 10:00:48 37 Art et Science Jean-Paul Fourmentraux Qu’est-ce que « créer » dans un contexte interdisciplinaire hybridant arts, sciences et technologies numériques ? Depuis une dizaine d’années, le numérique bouscule les frontières entre des domaines de l’activité artistique qui étaient jusque-là relativement cloisonnés : arts plastiques, littérature, spectacle vivant, musique et audiovisuel. Nombre de projets artistiques en lien avec les technologies informatiques et multimédias mettent en œuvre des partenariats pluridisciplinaires où cohabitent le théâtre, la danse, le cinéma ou la vidéo et le son. La création artistique et la recherche technologique, qui constituaient autrefois des domaines nettement séparés et quasi imperméables, sont aujourd’hui à ce point intriquées que toute innovation au sein de l’un intéresse, et infléchit, le développement de l’autre. Les œuvres hybrides qui résultent de leur interpénétration rendent irréversible le morcellement des anciennes frontières opposant art et science. La manière inédite dont celles-ci se recomposent amène à s’interroger, d’une part, sur l’articulation qui, désormais, permet à la recherche et à la création d’interagir, et, d’autre part, sur la redéfinition des figures de l’artiste ainsi que sur les modes de valorisation des œuvres spécifiques à ce contexte. Car plus que de transformer seulement les modalités du travail de création, un enjeu tout aussi important de ces partenariats réside dans la nécessaire redéfinition de la (ou des) finalité(s) de ce qui y est produit. La question cruciale devenant alors celle de la clôture de l’œuvre et de ses mises en valeur entre logiques artistiques (qualité esthétique, projet d’exposition) et technologiques (recherche et développement, transfert industriel). Ce rapprochement des arts et de la recherche dans le domaine des technologies numériques interactives et de l’audiovisuel multimédia constitue aujourd’hui un enjeu dynamique d’innovation internationale. Depuis une dizaine d’années, de nombreux pays mettent en œuvre des interfaces originales pour favoriser ce rapprochement et en faire le moteur d’une Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 37 18/11/2014 10:00:48 38 Diversité culturelle à l’ère du numérique double innovation technologique et culturelle. Les cas de double réussite restent bien sûr encore rares, mais il en existe : qualité des productions artistiques et de leur rayonnement dans le milieu des arts, doublé d’une mise sur le marché efficace et rentable d’applications ou de procédés technologiques directement issus de la recherche artistique ou de la production d’œuvres culturelles. La France s’est par exemple dotée en 2001 de deux dispositifs de soutien institutionnel, l’un à la création audiovisuelle multimédia (DICREAM) et l’autre à l’innovation audiovisuelle multimédia (RIAM), qui constituent de nouveaux points d’appui pour un croisement productif des objectifs et des attentes artistiques et industrielles. De nouvelles institutions, entre art et science, voient également le jour pour mieux accompagner cette transformation des pratiques de recherche et de création : Art Science Factory (Paris Saclay), Programme doctoral SACRe (PSL et Ensad Paris), Ircam (Paris), Iméra (Marseille), Pictanovo, Imaginarium et Le Fresnoy (Tourcoing), CEA Minatec et Scène nationale de Meylan (Grenoble), Alliance Artem (Nancy) et Hexagram (Montréal). L’exigence de « valeurs croisées » Dans ce contexte, la production de « valeurs croisées » ne présuppose pas une synergie de l’art et de la science ou de la recherche technologique. Au contraire, évitant les écueils de la fusion ou de l’instrumentalisation, il s’agit d’organiser la relation dans le sens d’un apprentissage réciproque et d’une production multicentrique. L’examen de ces croisements de l’innovation artistique et technologique met désormais en jeu une conception coordonnée, un développement agrégé et une valorisation fragmentaire de la production : •le travail de conception doit y être coordonné dans la mesure où il met en relation les savoirs et les savoir-faire hybrides de collectifs hétérogènes : artistes, chercheurs, entrepreneurs ; •la phase de développement doit agréger ces traductions de buts et d’intérêts en un programme de création homogène visant à garantir l’irréversibilité des résultats ; •mais la valorisation suppose in fine de fragmenter ces résultats pour les redistribuer entre les collectifs et les mondes hétérogènes dans lesquels ils pourront circuler. Autrement dit, chacun des partenaires – détenteurs de savoirs et de compétences hétérogènes, inscrits dans une culture ou un corps professionnel qui a ses propres valeurs, mais aussi ses instances de désignation et de légitimation spécifiques de ce que sont le travail, l’œuvre, l’action – y est invité à renouveler le cadre et les modalités de la relation et de l’échange. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 38 18/11/2014 10:00:48 Art et Science 39 Une recherche-création partagée La rencontre entre art et science suppose en effet la définition préalable des finalités d’une recherche-création commune. Cette rencontre ne doit pas être imposée par l’amont hiérarchique mais co-construite avec les différents acteurs parties prenantes du processus – artistes, chercheurs, entrepreneurs – dans un dialogue favorisé et constant. En résumé, la recherche-création introduit deux critères désormais essentiels : •le travail en équipes interdisciplinaires ; •l’impératif d’un programme de recherche transversal à plusieurs œuvres ou projets artistiques. Il s’agit alors de favoriser une certaine « modularité » de la production, en même temps que des formes alternatives de distribution des activités de création et de leurs résultats. Trois types de projets phares peuvent être distingués : •les « créations artistiques », qui mènent vers la réalisation d’une œuvre, d’un dispositif ou d’une installation artistique ; •les « découvertes technologiques », qui impliquent le développement de logiciels ou d’outils novateurs ; •les « contributions théoriques », qui poursuivent une perspective analytique et critique d’accumulation de connaissances. Ce morcellement du travail créatif engendre donc des modes pluriels de désignation de ce qui fait l’« œuvre commune ». Dans ce contexte, la création ne repose plus sur un schéma hiérarchique qui ferait intervenir une distribution réglée des apports en conception et en sous-traitance, selon des échelles de valeur et de rétribution enrôlant une longue chaîne de travailleurs, au service, à chaque fois, d’un créateur singulier. Le travail de création se voit au contraire distribué sur différentes scènes et entre plusieurs acteurs, pour lesquels il est possible de préciser des enjeux de recherche distinctifs, suivant des expertises et des agendas variés. L’enjeu vise ainsi un dépassement du conflit culturel caractéristique des modèles antérieurs de convergences « arts, sciences, technologies » entre des acteurs (informaticiens, managers, artistes, industriels) dont les qualifications, les compétences et les finalités étaient a priori conçues comme opposées. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 39 18/11/2014 10:00:48 40 Diversité culturelle à l’ère du numérique Termes liés : co-construction, économie des œuvres sous format numérique, innovation, jeu, littératie numérique, Net Art, œuvre, propriété intellectuelle, remix, transmédiation Références Jehanne Dautrey (éd..), La Recherche en art(s), Paris, Éditions MF, 2010. Marie-Christine Bordeaux (dir.), « Entre arts et sciences », Culture et Musées, no 19, Actes Sud, 2012. Jean-Paul Fourmentraux, Art et Internet, Paris, Éditions du CNRS, 2010. Jean-Paul Fourmentraux, Artistes de laboratoire, Paris, Hermann, 2011. Jean-Paul Fourmentraux (dir.) Art et Science, Paris, Éditions du CNRS, « Les Essentiels d’Hermès », 2012. Jean-Marc Lévy-Leblond, La science n’est pas l’art, Paris, Hermann, 2010. Pierre-Michel Menger, Les Laboratoires de la création musicale, Paris, La Documentation française, 1989. Jean-Claude Risset, Art, Science, Technologie, Paris, rapport de mission MENRT, 1998. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 40 18/11/2014 10:00:48 41 Augmentation Bernard Claverie Le terme « augmentation » désigne, lorsqu’il se réfère à l’homme ou à l’humain, un ensemble de méthodes et de moyens technologiques dont le but est de permettre à l’individu « augmenté » de dépasser plus ou moins durablement ses capacités naturelles ou habituelles. L’augmentation peut concerner le corps ou l’esprit et les moyens de relation de l’individu concerné à son environnement, notamment technologique. Le terme correspond à l’anglais Human Enhancement (amélioration ou augmentation humaine). Le concept de l’« homme augmenté » est apparu dans la littérature scientifique francophone au tournant du siècle, soit sous cette forme explicite, soit par des métaphores telles que Homo sapiens 2.0, posthumain, techno-hybride… On doit ici différencier la notion d’« homme augmenté », se rapportant à l’individu, et celle d’« humain augmenté », pour la généralité de l’espèce. Dans le premier cas, il s’agit d’augmenter les capacités ou les aptitudes physiques, cognitives ou communicationnelles d’un individu impliqué dans une situation qui dépasse ses propres limites. Celles-ci peuvent être dues soit à un handicap ou à une diminution temporaire ou chronique de certaines aptitudes ou compétences, soit à une trop grande complexité de l’environnement et des tâches à accomplir. Cette conception de l’augmentation humaine est globalement celle des spécialistes des technologies de l’information dans les pays francophones. La technique y est perçue comme un moyen d’augmentation et d’amélioration des performances, de la sécurité ou de la fiabilité des comportements. Dans le second cas, la démarche a pour ambition une évolution, ou le perfectionnement, non plus d’individus spécifiques, mais de la lignée, par le traitement systématique du plus grand nombre de ses membres, ou par une modification durable et transmissible de ses caractéristiques génétiques. Une telle conception est largement Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 41 18/11/2014 10:00:48 42 Diversité culturelle à l’ère du numérique répandue dans les pays anglophones où le « transhumanisme » envisage ainsi l’augmentation des individus par l’évolution, grâce aux technologies, de l’espèce humaine. Les HET, Human Enhancement Technologies (technologies de l’augmentation de l’humain) regroupent au moins deux dimensions. La première est d’ordre chimique, la seconde est numérique. On voit de plus en plus se développer des technologies duales qui, grâce au numérique, permettent de moduler des sécrétions et des régulations biochimiques naturelles sous contrôle artificiel. L’augmentation chimique consiste à augmenter l’homme par l’intérieur. Les substances agissent sur les organes moteurs ou sensoriels, ou directement sur certains réseaux neuronaux spécialisés. Elles peuvent favoriser et modifier les perceptions, agir sur l’attention par la diminution du traitement des informations périphériques (effet de tunnellisation) et par l’augmentation des ressources allouées à une tâche principale (focalisation). D’autres modifient les besoins et règlent les phases de vigilance en fonction de périodes déterminées (hyposomnie, désynchronisation nycthémérale), etc. D’autres encore peuvent valoriser des processus cognitifs spécifiques (attention sélective ou partagée, calcul, réflexion, mémoire…). Ces substances nootropes (noos, esprit ; tropos, courber) ont vocation à agir sur le rapport cerveau-pensée en modulant la physiologie pour une correction cognitive. Le recours à ces produits se rencontre, au-delà des domaines connus (sportif, militaire), dans des usages plus ou moins contrôlés, notamment dans le monde professionnel et universitaire, comme dans des pratiques artistiques originales. Il correspond à des augmentations qui peuvent être individuelles ou se pratiquer en petits groupes. Au-delà de la simple incorporation orale ou par injection, deux voies sont aujourd’hui ouvertes : l’introduction de machines télécommandées permettant la délivrance in situ de produits actifs, et l’apposition, voire l’insertion de matériel électronique de stimulation (électrodes) sur ou dans des organes, des structures spécialisés dans la production des substances actives. La chirurgie réparatrice techno-fonctionnelle tend à se développer, elle se trouve à la base d’une nouvelle biologie numérique améliorative, pour l’instant limitée au domaine du soin, mais potentiellement applicable à des sujets en situation critique ou dans des contextes particuliers (de travail, d’éloignement ou d’isolement, de surveillance pénitentiaire, de plaisir…). L’augmentation technologique peut également se réaliser par l’extérieur. Ici, il s’agit de doter l’homme, devenu utilisateur, de matériels électroniques ou informatiques qu’il porte comme accessoires d’augmentation. Deux grandes voies sont aujourd’hui étudiées. La première consiste à développer des systèmes embarqués Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 42 18/11/2014 10:00:48 Augmentation 43 soit directement insérés en périphérie sensorielle (implant cochléaire, rétine artificielle…) ou motrice (main robotisée, cobots…), directement branchés sur le système nerveux ; soit supportés à proximité de ces systèmes afférents ou efférents (lunettes de réalité visuelle, visières de vue augmentée pour le pilotage d’avion, pare-brise holographiques de voiture ou de train, casques antibruit, dispositifs de commande haptique…). La seconde voie consiste à enrichir non plus le sujet mais son environnement par la diffusion de dispositifs d’aide ou de communication numériques. Ce principe est appelé « pervasion » et correspond à une nouvelle révolution du numérique avec la dissémination de capteurs, d’actionneurs et de marqueurs électroniques dans l’ensemble des lieux, des matériels et des objets du quotidien : régulation de lumière, émission de sons concurrents aux bruits parasites, détection de présence, reconnaissance de personnes, contrôle d’accès, puces RFID (Radio Frequency Identification). Ces technologies numériques embarquées représentent un domaine d’augmentation en « en plus ». Les éléments favorisant ce type d’augmentation se retrouvent dans la diminution continuelle des coûts, la miniaturisation (capteurs intelligents, processeurs et mémoires), et la pervasion de l’information toujours radio-accessible et connectée de manière massive et performante à des bases de données de plus en plus complètes et rapides d’accès (internet des objets, calcul intensif, géopositionnement…). Si les systèmes embarqués externes (supportés) posent notamment des problèmes en termes de résistance culturelle d’usage, de formation des utilisateurs ou d’environnement technologique adapté, les systèmes numériques implantés sont confrontés à des problèmes physiques d’immunité, de psychopathologie de l’effraction corporelle, d’obsolescence technologique et de maîtrise de l’énergie. Chacune de ces dimensions revêt un aspect éthique qu’il convient d’examiner sérieusement. En effet, le développement culturel, les obligations industrielles et de l’accès au travail, comme les contraintes de sécurité contraignent souvent les individus à l’usage de tels dispositifs numériques d’augmentation. Chacune des méthodes et des techniques doit être examinée en fonction de deux dimensions : son accessibilité, sa contrainte d’usage. La dimension d’accessibilité est évidemment contingente des moyens technologiques et de leur diffusion. Si les prix des technologies d’usage individuel sont en décroissance, on peut toutefois se demander si des produits manufacturés de la haute qualité nécessaire à un usage sécurisé seront accessibles au plus grand nombre, ou si l’on n’est pas à la veille d’une nouvelle ségrégation entre « hommes augmentés » (qui peuvent financièrement l’être) et « hommes naturels » Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 43 18/11/2014 10:00:48 44 Diversité culturelle à l’ère du numérique (contraints économiquement ou politiquement de le rester). Quant à la contrainte d’usage, on peut s’inquiéter d’une dérive sociale imposant des utilisations d’augmentation (pour la sécurité et le contrôle des individus, pour l’accès au travail, pour celui à l’information et à la culture…) à des personnes non volontaires, ou trop faibles pour en prendre la décision (marquage de personnes âgées, d’enfants, de prisonniers, de malades, d’usagers non informés…). Enfin, la question de l’obsolescence des produits manufacturés et des méthodes dans un monde numérique en perpétuelle évolution est posée comme l’une des grandes limites du projet d’augmentation technologique. Un débat oppose aujourd’hui une culture améliorative globale, porteuse d’une perspective « transhumaniste », avec même des développements potentiels « posthumanistes » et une culture de l’efficacité instrumentale par le « numérique surajouté » à l’homme naturel. Il fonde deux définitions de la notion d’« hybridité numérique ». Dans le premier cas, l’hybride est l’homme augmenté pour l’évolution de l’humanité ; dans le second cas, il est un « usager augmenté », dans une perspective souvent marchande, parfois de santé, et pour une performance améliorée. Ces deux dimensions appellent néanmoins à la plus grande vigilance et nécessitent une réelle prise de conscience face à deux mouvements puissants dont une des conséquences confine à l’unification culturelle par le numérique et les technologies qui y sont associées, et une autre à une obligation potentielle d’augmentation numérique dont les conditions d’accès, de maintenance, d’éthique et de liberté individuelle sont aujourd’hui, nous semble-t-il, loin d’avoir été sérieusement pensées. Termes liés : connexion, fracture numérique, innovation, éthique, public/usagers, vie privée/données personnelles Références Monique Atlan, Roger-Pol Droit, Humain. Une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies, Paris, Flammarion, coll. « Essais », 2012. Bernard Claverie, L’Homme augmenté, Paris, L’Harmattan, coll. « Éducation et cognition », 2010. Geneviève Férone, Jean-Didier Vincent, Bienvenue en Transhumanie. Sur l’homme de demain, Paris, Grasset, coll. « Documents français », 2011. Steve Fuller, Humanity 2.0 : What it Means to be Human, Past, Present and Future, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2011. Édouard Kleinpeter (éd..), L’Humain augmenté, Paris, Éditions du CNRS, coll. « Les essentiels d’Hermès », 2013. Rey Kurzweil, The Singularity is Near : When Humans Transcend Biology, New York, Viking Penguin, 2005. Franck Renucci, Benoît Le Blanc et Samuel Lepastier, « L’Autre n’est pas une donnée. Altérités, corps et artefacts », Hermès, Paris, Éditions du CNRS, n° 68, 2014. Julian Savulescu, Nick Bostrom (éds.), Human Enhancement, Oxford University Press, 2011. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 44 18/11/2014 10:00:48 45 Auteur Cécile Méadel Un sondage récent soutien qu’un tiers des Français souhaiterait écrire un roman, une proportion qui dépasse très largement celle des lecteurs assidus. S’agit-il là d’une bizarrerie française des compatriotes de Victor Hugo, toujours fascinés par la figure de l’écrivain, de l’intellectuel ? Le développement du web montre hautement que tel n’est pas le cas : la volonté d’écrire, le goût de l’expression écrite sont largement répandus parmi les internautes, et donc dans une proportion croissante de la population. Contre toutes les prédictions pessimistes des sentinelles de la culture, on lit plus de textes et on en écrit aussi davantage aujourd’hui qu’on ne l’a jamais fait ; la production scripturaire est présente sur tous les sites et dans toutes les applications du web, dans l’interaction et les échanges numériques. Partout on commente, on argumente, on décrit, on converse. Cette « fureur d’écrire », pendant de la « fureur de lire » du xviiie siècle, produit-elle pour autant des auteurs ? La fonction d’auteur est ancienne ; elle apparaît au xvie siècle, quand la mention du nom du rédacteur est ajoutée à celle de l’éditeur, seul jusque-là sur les publications ; c’est l’amorce de la professionnalisation des métiers de plume. Progressivement, la coupure entre l’auteur publié et celui qui écrit pour lui-même, pour ses proches, voire pour le cercle élargi de ses correspondants, s’accentue. Les auteurs sont protégés. En France, la loi Le Chapelier du 19 janvier 1791 affirme que le livre, « fruit de la pensée d’un écrivain », constitue « la plus sacrée, la plus personnelle de toutes les propriétés ». Ce texte est complété le 19 juillet 1793 par la loi Lakanal concernant le droit de reproduction. Partout la propriété intellectuelle acquiert droit de cité. Les sociétés d’auteurs s’emploient à la faire respecter : la première Société des auteurs et compositeurs dramatiques, créée en 1777 par Beaumarchais, est suivie de très nombreuses autres. On en compte près de trente en France aujourd’hui, pour tous les types d’auteurs et de supports. La protection juridique n’est pas limitée : dès 1866, la Convention de Berne lui Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 45 18/11/2014 10:00:48 46 Diversité culturelle à l’ère du numérique donne une assise internationale. L’auteur est dès lors défini par ce statut juridique. À la différence des métiers ordinaires, la professionnalisation ne tient pas en effet à la rémunération : l’immense majorité des auteurs publiés ne peut vivre de ses écrits, même si les ressources se sont diversifiées et que s’ajoutent aux droits d’auteur des subventions, rémunération pour interventions pédagogiques ou culturelles, financement de résidences d’artiste, activités d’écriture accessoires… Mais est-on auteur dès que l’on écrit, et quoi que l’on écrive ? Traditionnellement, le terme est réservé à l’écrivain dont les livres sont publiés, voire à sa forme la plus noble, le romancier, le littérateur. Pourtant, il existe plus d’un modèle de publication qui nécessite un « auteur » : de la bande dessinée à l’ouvrage de nutrition, de l’essai journalistique au cahier de soutien pédagogique, du livre jouet pour bébé au pop-up. La diversité est si large qu’il n’existe aucune statistique précise sur le nombre d’auteurs, même en se limitant à ceux qui ont été un jour publiés. En France, par exemple, plus de 70 000 ouvrages sont édités chaque année, dont 90 % de nouvelles éditions, et plus de dix fois plus de titres différents sont vendus - c’est dire si le bassin des «auteurs» publiés est large. Sur l’internet, on retrouve la même diversité, encore enrichie par des formes spécifiques : commentaires d’articles, blogs de réflexion, avis sur un film, un livre, échanges épistoliers, participations à des forums… Les modèles éditoriaux sont multiples et les conditions d’écriture tout autant. Il devient bien difficile dès lors de circonscrire la notion d’auteur. D’autant plus que les pratiques numériques viennent brouiller encore les pistes. L’écrit devient publication collective. Les versions successives d’un texte peuvent ainsi être soumises aux lecteurs, commentées puis amendées par eux. Cela s’inscrit certes dans des pratiques traditionnelles, à la manière d’un Chateaubriand lisant dans le salon de Mme de Récamier des pages préalables des Mémoires d’outretombe, mais avec un public qui n’est plus nécessairement choisi par l’auteur et qui est potentiellement élargi. Le texte peut aussi être une création collective, avec les nouveaux dispositifs collaboratifs qui permettent une écriture à plusieurs voix. Il peut même être anonyme, ou quasi anonyme, dans des publications collégiales, telle Wikipédia. Ainsi l’identité de l’auteur se dissout-elle. Serait-ce alors le public, le lecteur, qui fait l’auteur ? Avec l’internet, la coupure traditionnelle entre l’écrivain profane à vocation privée et l’auteur publié, présent dans l’espace public, est remise en cause : l’accès au public est beaucoup plus immédiat sur le web ; chacun peut s’instituer auteur à son gré. Pourtant, si sur le web on écrit pour les autres, dans la très grande majorité des cas, et sans doute beaucoup plus souvent encore que sur le papier, on n’est lu par personne, ou Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 46 18/11/2014 10:00:48 Auteur 47 presque ; une très forte proportion des écrits du web n’ont pas de lecteur. Pourtant, l’intention y est bien : mettre un contenu en ligne c’est le rendre, au moins potentiellement, public, et quitter l’espace fermé du journal intime ou de la correspondance privée. Mais cela ne se fait jamais directement. La mise en public dépend en effet d’une série d’intermédiaires, aussi importants dans le monde de l’internet que dans l’univers du papier. En simplifiant, on peut dire que cinq étapes sont nécessaires pour produire un livre papier : la création par l’auteur ou les auteurs ; l’édition, qui correspond à la phase de fabrication du livre ; la diffusion, qui vise à faire connaître l’ouvrage ; la distribution – transport physique via les messageries – ; et, enfin, les libraires, derniers maillons de la chaîne avant les lecteurs. Deux stades au moins peuvent être facilement désintermédiés avec l’internet. D’une part, le passage au numérique a modifié la façon de travailler de l’auteur, qui peut s’adresser directement à son public sans passer par le filtre habituel de l’éditeur. D’autre part, du côté des libraires, apparaissent de nouveaux distributeurs qui, à l’instar d’Amazon (première librairie en ligne avec plus de 60 % des ventes de livres papier sur l’internet), diffusent désormais des ouvrages auto-édités. Cependant cette désintermédiation est un mythe. À côté des intermédiaires traditionnels tels que libraires, bibliothécaires, enseignants, amateurs, animateurs culturels… émergent de nouveaux métiers, liés aux nouveaux formats numériques, mais aussi et surtout à la diffusion des ouvrages, à leur mise à la disposition du public, à leur reconnaissance, métiers qui s’emploient à organiser le face-à-face entre l’auteur et son lecteur. Les internautes sont désormais directement impliqués dans cette mise en espace public des auteurs et de leurs œuvres. Des lecteurs, plus ou moins avertis, se saisissent en effet d’un rôle principalement occupé par des professionnels, des journalistes et des critiques, et, par leurs avis, leurs articles et leurs listes de préférences, ils deviennent de nouveaux médiateurs des textes, avec une efficacité avérée. La frontière entre l’auteur et son lecteur tend à s’effacer ; de nouvelles plateformes voient le jour ; elles se consacrent, par exemple, à la diffusion de romans écrits par des amateurs, comme cette jeune auteure japonaise, Mika, écrivant en 2006 un roman à succès, Ciel d’amour, sur son téléphone portable. Le numérique a donc largement enrichi le monde des auteurs, fait tomber des barrières à l’écriture, ouvert de nouvelles capacités de diffusion et de dialogue entre auteurs et lecteurs. C’est autant de mieux pour la richesse et la variété des contenus culturels. Pourtant, cette diversité n’est pas sans présenter un certain nombre de risques. La centralisation de l’internet, avec des macro-acteurs omnipotents, Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 47 18/11/2014 10:00:48 48 Diversité culturelle à l’ère du numérique souvent en situation monopolistique (moteurs de recherche, librairies en ligne, opérateurs techniques…), pourrait fragiliser la richesse de ce panorama. En outre, les défenseurs de la propriété intellectuelle, inquiets devant le piratage des contenus, qui touche pour le moment assez peu l’écrit, s’arc-boutent sur la défense des droits et tentent d’obtenir une protection renforcée et prolongée de leurs œuvres. On pourrait aussi ajouter que la liberté ouvre un risque : celui de diffuser des contenus qui nuisent aux valeurs communes de la démocratie. Signalons d’abord qu’aucune démocratie n’a jamais pu interdire la diffusion des contenus interdits (même avant l’internet, même pour des interdits aussi fort que la pédopornographie). Et fions-nous plutôt à nos institutions : la loi, d’un côté, qui n’est pas impuissante face aux dérives ; l’éducation, de l’autre, qui peut faire entendre, comprendre, décrypter. Les dangers qu’encourt la démocratie avec l’extension du domaine de la censure sont trop graves pour qu’on ne manie pas les interdits et les barrières à la diffusion culturelle avec les plus grandes précautions. Termes liés : art et science, édition, Net Art, œuvre, pratique, propriété intellectuelle Références Dominique Cardon, Hélène Delaunay-Téterel, « La production de soi comme technique relationnelle. Un essai de typologie des blogs par leurs publics », Réseaux, 2006, 4, pp. 15-71. Roger Chartier, L’Ordre des livres. Lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre xive et xviiie siècle, Aix-en-Provence, Alinéa, coll. « De la pensée/Domaine historique », 1992. Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Dits et écrits, tome I, 1954-1988, Paris, Gallimard, 1994. Bernard Lahire, La Condition littéraire. La double vie des écrivains, Paris, La Découverte, 2006. Cécile Méadel, Nathalie Sonnac, La Fureur d’écrire. L’auteur au temps du numérique, Esprit, mai 2012, pp. 102-114 ; L’Auteur au temps du numérique, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2012. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 48 18/11/2014 10:00:48 Bibliothèques 49 Bibliothèques Éric Guichard La bibliothèque, étymologiquement « dépôt de livres », est attestée depuis fort longtemps : nous connaissons les bibliothèques d’Alexandrie, de Pergame. Toute culture écrite s’est constituée autour des bibliothèques : des lieux où sont entreposés des savoirs. Le statut d’une bibliothèque varie selon le temps, le lieu, et le projet qui la motive : la bibliothèque d’Alexandrie contenait près de 500 000 papyrus, mais avait peu de lecteurs, essentiellement des savants invités par le roi d’Égypte. Au Moyen Âge, les bibliothèques monastiques européennes possédaient environ 300 ouvrages, et ce n’est qu’au xviie siècle qu’apparaît l’idée d’une bibliothèque publique (ouverte à tous) et universelle (sans censure ni sélection particulière). La bibliothèque comme cadre intellectuel Pour faire le lien avec le numérique, il est utile d’oublier les… livres pour s’intéresser aux moyens inventés et déployés pour en tirer parti : les lire, certes, mais aussi les comparer, produire de nouveaux livres à partir d’anciens, etc. Quand ces livres sont nombreux (plus de 5 000), il faut en dresser la liste : un catalogue, sans lequel ils seraient vite inaccessibles, introuvables, voire inimaginables. Ce livre des livres a des propriétés étonnantes : quand il est conçu par un/e bibliothécaire visionnaire, son plan (liste alphabétique des auteurs, des titres ou des mots-clés, liste thématique, etc.) institue celui des savoirs du moment, qui sont en quelque sorte organisés, stabilisés par ce qui devrait en être la conséquence. Ce que nous croyons n’être qu’un reflet des savoirs devient un cadre de pensée qui va structurer les générations futures. Ainsi, que nous le voulions ou non, nous sommes dépendants de cet outil a priori élémentaire de description des savoirs, qui s’avère autant intellectuel que culturel : la variété des organisations des biblio- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 49 18/11/2014 10:00:48 50 thèques nationales, ou des laboratoires, traduit la diversité culturelle des pays et des disciplines scientifiques. Le second instrument essentiel à la bibliothèque est fait de chair et de sang : ses utilisateurs. La bibliothèque constitue un lieu de dialogue, d’échanges de conseils. Parfois, ce rôle est dévolu à des professionnels de la médiation, salariés ou bénévoles : les bibliothécaires. L’évolution de la bibliothèque Aujourd’hui, les bibliothèques sont de plus en plus numériques : on peut feuilleter des ouvrages à distance, tout en restant chez soi. Les catalogues sont informatisés : les médiateurs sont remplacés par des machines et des programmes. Le cas est flagrant en sciences informatiques. La notion même de bibliothèque devient imprécise, puisque le web tout entier donne l’impression d’en être une : la bibliothèque n’est plus en un lieu, mais dispersée dans le cyberespace tout entier. Même la notion de livre s’estompe, au profit de la page web, de l’article, de la liste de discussion archivés ou de la vidéo qui permettra à un bricoleur de remettre à neuf un vieux fauteuil. Le poids des instruments Pourtant, le choix de l’ordre et l’échange entre humains restent déterminants : nous comprenons de plus en plus que les moteurs de recherche nous offrent des résultats orientés. Ils ne nous en donnent que 1 000 ou 2 000 quand ils affirment en avoir recensé des centaines de milliers. Ils privilégient les plus récents, les plus « grand public ». Ces moteurs ne sont plus universels depuis qu’ils adaptent leurs résultats aux profils qu’ils ont constitués à partir de nos questionnements précédents. Enfin, ces réponses changent au fil des jours : non seulement en raison des apparitions, des disparitions, des évolutions des pages web qu’ils aspirent, mais aussi à cause du nombre de questionnements de l’ensemble des internautes sur un sujet donné : les réponses à la requête « grippe aviaire » varient avec les préoccupations des internautes à ce sujet. Nous découvrons que lorsque le médiateur devient un intermédiaire qui s’impose et quand son activité est motivée par le profit, notre liberté intellectuelle et donc nos capacités de discernement s’appauvrissent. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 50 18/11/2014 10:00:48 Bibliothèques 51 Les humains Restent les « autres », ceux qui écrivent et publient les pages web, les vidéos, ces ouvrages que nous recherchons, que nous voulons consulter. Ce sont aussi eux qui nous conseillent un ouvrage, un document, par mail, oralement, ou via des blogs. Ce sont enfin eux qui perpétuent en partie nos pratiques culturelles, par exemple via la langue : une recette de cuisine est plus facilement partagée par ceux qui peuvent lire la langue dans laquelle elle est écrite. Mais les « autres » peuvent aussi être menaçants, tentés par la censure, la surveillance, l’appât du gain. Ainsi, nous ne pouvons pas d’un côté situer les machines, séduisantes et dangereuses, et d’un autre attribuer aux humains des qualités de bienveillance et de goût pour l’érudition. Au travers de la bibliothèque, c’est toute la question de la technique qui se dévoile. Le web, menace ou ouverture ? Les pionniers du web ont très vite compris l’usage que l’on pouvait tirer de l’internet pour constituer des bibliothèques accessibles à tous. Par exemple, le projet Gutenberg, connu depuis le début des années 1990, ou le site http://arxiv.org/, qui recense en 2011 plus de 650 000 articles de physique, mathématique, informatique… déposés afin qu’ils soient évalués par les pairs des auteurs aussi vite que possible. Ici, partage et gratuité riment avec efficacité : la bibliothèque est alimentée par ses lecteurs et ses auteurs qui en font aussitôt un outil intellectuel car collectif à la disposition de tous, et souvent en plusieurs langues. À l’opposé, nous découvrons de nouveaux acteurs industriels qui parient sur le développement de bibliothèques personnelles installées sur des ordinateurs, des « téléphones intelligents » (smartphones) ou des tablettes. Dans ce cas, la bibliothèque n’est plus collective, mais personnelle (et d’ailleurs les nouvelles formes du droit cherchent à interdire le prêt de livres électroniques à un/e ami/e). Mais elle ne devient pas pour autant un édifice matériel et intellectuel pérenne : elle est plutôt louée, pour un temps d’autant plus réduit que les formats informatiques et les instruments de lecture résistent mal à l’épreuve du temps. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 51 18/11/2014 10:00:48 52 Diversité culturelle à l’ère du numérique Deux grands types de bibliothèques Ainsi, à l’heure où les bibliothèques de livres imprimés perdent leur capacité à rassembler leurs lecteurs, deux types de bibliothèques numériques apparaissent : la bibliothèque collective, fruit du labeur gratuit de ses utilisateurs (et de certaines de leurs institutions) ; la bibliothèque privée, coûteuse, instable, et aussi lucrative, au moins pour les nouveaux éditeurs de l’internet, qui se réduisent à quelques grands acteurs industriels : Apple, Amazon… Nous rencontrons certes quelques modèles intermédiaires, comme celui de Google, qui affirme rester dans le partage, et monnaie ses investissements par la publicité. Mais nous réalisons que les formes classiques des bibliothèques, héritées de l’imprimé, sont fortement ébranlées par l’irruption de nouveaux acteurs. Ces derniers ont pourtant des points communs avec les anciens : les deux maîtrisent parfaitement les techniques d’écriture du moment. Les deux dominent aussi l’ensemble de la chaîne des acteurs du livre, des auteurs (scientifiques, érudits ou littéraires) aux éditeurs, aux imprimeurs et aux libraires. Ce constat, à défaut de nous éclairer sur les formes que prendront les bibliothèques de demain, nous rappelle qu’il est difficile de comprendre ce que peut être une bibliothèque dans une société donnée si on ne connaît pas en détail les individus, les artisans ou les industriels, les normes sociales et intellectuelles qui en permettent l’existence. Des pratiques culturelles héritées Les questions en rapport avec les bibliothèques contemporaines reflètent cette évidence : les très grands architectes ou vendeurs de bibliothèques sont aux États-Unis, le pays qui a le plus participé au déploiement de l’internet (protocoles, logiciels, industries, débats, etc.). Les modèles futurs de bibliothèques risquent donc fort d’hériter des types de bibliothèques imprimées de ce pays : gigantesques bibliothèques universitaires ouvertes à toute heure, mais financées par leurs utilisateurs, les étudiants, qui peuvent débourser jusqu’à 30 000 euros pour chaque année d’étude. Et d’autres bibliothèques, souvent gratuites et parfois aussi monumentales, payées par des mécènes ou des institutions étatiques, comme la bibliothèque du Congrès (http://www.loc.gov), qui fut aussi pionnière en matière d’accès de ses documents en ligne. La situation varie fortement dans les pays intermédiaires. L’accès en ligne est favorisé par les pays riches, à faible densité démographique, comme l’Australie. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 52 18/11/2014 10:00:48 Bibliothèques 53 Un accès étendu à de nouveaux lecteurs ? Nous entendons souvent dire que les pays pauvres profiteront de la mise en ligne des savoirs grâce à l’internet. Certes, les étudiants d’Afrique voient leur accès à des articles scientifiques européens ou américains facilité par les réseaux. De tels propos oublient qu’il y a transfert de coûts vers les ordinateurs, chers en raison de douanes souvent gourmandes, et vers les infrastructures. Les uns et les autres sont des produits industriels qui favorisent plus les pays qui les conçoivent et les fabriquent que les pays qui les consomment. Ainsi, la gratuité revendiquée masque des surcoûts conséquents. Plus que jamais, l’avenir de la bibliothèque passe par ses utilisateurs : actifs, éventuellement militants de la gratuité et de la libre diffusion des savoirs, et experts en formats et protocoles de l’internet, ils sauront promouvoir des espaces bibliothécaires peut-être essaimés en des serveurs et donc des écrans, mais assurément utiles au plus grand nombre. Arc-boutés sur les modèles du passé, sur l’idée que la culture est spirituelle et au plus loin de la technique, ils favoriseront une religiosité du livre qui ne pourra qu’éluder les relations d’alliance et de domination qui se sont constituées entre les éditeurs au xixe siècle, souvent aux dépens des auteurs et des lecteurs. Ce mélange de croyance et de passéisme ne pourra que satisfaire les industriels soucieux de vendre au plus grand nombre et des machines et des fichiers électroniques : les étagères, les loupes et les livres des Temps modernes. Nous ne pouvons qu’espérer que les bibliothécaires, les éditeurs et les lecteurs s’emparent des questions posées par l’irruption du « numérique », fabriquent et socialisent l’ensemble des outils matériels et intellectuels qui permettent l’existence et l’usage des bibliothèques. Sur ce point, les leçons du passé, fût-il lointain, sont fécondes. Termes liés : archives, biens communs, connaissance, documentation, édition, fracture numérique, langues, libre, littératie numérique, patrimoine, sérendipité, territoires Références http://www.gutenberg.org/, dernière consultation le 1er juin 2014. http://www.gutenberg.org/cache/epub/27045/pg27045.html, dernière consultation le 1er juin 2014. http://www.ebooksgratuits.com/, dernière consultation le 1er juin 2014 http://classiques.uqac.ca/, dernière consultation le 1er juin 2014. http://bmlisieux.com/, dernière consultation le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 53 18/11/2014 10:00:48 54 Biens communs Hervé Le Crosnier Alors que la tendance générale depuis les années 1970, est d’élargir les régimes de propriété sur les travaux intellectuels, l’apparition de l’internet et son développement mondial ont permis que soit remise au-devant de la scène la notion de « biens communs ». Savoirs, connaissances et culture ont longtemps été considérés comme devant être partagés au sein des communautés épistémiques. Le sociologue des sciences Robert K. Merton en faisait un élément essentiel de construction de la science. Les pratiques et les savoirs traditionnels s’organisaient autour du partage et de l’intérêt réciproque au sein des communautés, à l’image de l’usage des semences pour maintenir une biodiversité cultivée, ou des formes de transmission des médecines ayurvédiques. Le domaine public de la culture constituait un vaste et vibrant vivier d’œuvres susceptibles d’être réhabilitées ou de fournir une base à de nouvelles œuvres dérivées. Or, à partir de 1980, de nombreux changements sont apparus dans le champ intellectuel, qui sont venus contrecarrer cette logique du partage des savoirs. Ce sont d’abord les diverses formes d’élargissement des droits de propriété sur l’immatériel : allongement de la durée de propriété aux dépens du domaine public, prise en compte marchande d’activités considérées auparavant comme légitimes (prêts entre bibliothèques, copie privée…), élargissement des sujets relevant de la propriété littéraire et artistique, notamment les travaux mécaniques de reproduction d’œuvres appartenant au domaine public. Ce sont également la possibilité ouverte aux chercheurs et aux universités de déposer des brevets sur leurs travaux (Bayh-Dole Act de 1980 aux États-Unis) avec des conséquences négatives sur les capacités d’échange au sein des communautés scientifiques. Ce sont enfin les formes de biopiraterie, qui consistent à prendre les savoirs des communautés ou les éléments du folklore et à les transformer en marchandises, parfois elles-mêmes brevetées et couvertes de droits de propriété intellectuelle. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 54 18/11/2014 10:00:49 Biens communs 55 L’irruption de l’internet modifie profondément le sens de cette évolution privative. Si l’on connaît les noms de quelques figures marquantes de l’histoire de l’informatique, on peut difficilement leur associer la « paternité » de protocoles ou de services. Dès le début, l’internet s’est vécu comme une aventure collective. Les éléments cœur du réseau ont été débattus ouvertement par toute la communauté des ingénieurs, notamment l’IETF (Internet Engineering Task Force). Les documents normatifs s’appellent significativement les « appels à commentaires » (request for comments). Ce caractère collectif de l’internet s’est accentué avec l’ouverture du web en 1993, après la mise à disposition de tous les protocoles du web accordés par le CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire) de Genève, où ils avaient été inventés. Dès lors, les contenus eux-mêmes rendus disponibles sur le web devenaient source d’activités de partage, de circulation et de liens hypertextes croisés. Un phénomène qui s’est amplifié avec le Web 2.0 ou « web participatif », dans lequel ce sont l’ensemble des internautes qui produisent les documents et les conversations qui font la valeur même des plateformes qui en sont le support. Ce modèle d’un internet favorisant la collectivité sur les formes d’appropriation privée, même si avec le recul il peut apparaître aujourd’hui comme utopique et lui-même mis en danger par l’extension de la sphère marchande, a remis au goût du jour la notion de « biens communs », en élargissant son horizon au-delà de la « gestion locale de ressources partagées » (commons pool ressources). Les travaux de l’École de Bloomington, créée en 1971 par Vincent et Elinor Ostrom pour étudier les communs matériels (réseaux d’irrigation, pêcheries, forêts…) ont servi de point de repère. La jonction entre les deux approches des biens communs matériels et immatériels a été validée par la publication en 2006 du livre Understanding Knowledge as a Commons, coordonné conjointement par Elinor Ostrom, qui deviendra prix Nobel d’économie en 2009, et par Charlotte Hess, qui a fondé la Digital Library of the Commons. Un livre qui montre comment l’immatériel (connaissances, logiciels, documents numériques, science ouverte…) peut et doit constituer un ensemble de ressources partagées, grâce à l’investissement des communautés qui les ont développées. Une réflexion qui sera poursuivie en France par la publication, en 2011, du livre Libres Savoirs. Les biens communs de la connaissance, et, à l’échelle internationale, par le recueil The Wealth of the Commons, regroupant quatre-vingt-dix intervenants venant du monde entier en 2012. Il ressort des travaux universitaires et de l’expérience pratique que chaque commun est un cas particulier, dont il faut prendre en compte l’originalité pour mieux mettre en valeur les leçons collectives qui peuvent être tirées pour développer les autres communs. Pour en Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 55 18/11/2014 10:00:49 56 Diversité culturelle à l’ère du numérique comprendre le sens et la place dans l’organisation sociale, les communs doivent être examinés sous quatre angles simultanément : •la ressource considérée. De ce point de vue, les ressources rivales, notamment celles qui proviennent de la nature, sont distinctes des ressources intellectuelles qui sont additives : non seulement l’usage par l’un ne prive nul autre, mais l’ensemble global des savoirs s’enrichit de chaque élément particulier qui est mis en commun et rendu réutilisable. Les ressources immatérielles sont également différentes entre elles : un logiciel ouvert et modifiable en permanence n’a pas le même statut qu’un poème ou une chanson sous licence Creative Commons. •les menaces d’enclosures sur la ressource. Le terme « enclosure », qui vient de l’histoire particulièrement violente de l’Angleterre, désigne les tentatives de privatiser un bien auparavant commun. Les formes peuvent être très variées, depuis le sabotage (on le voit sur les notices de Wikipédia) ou les attaques portées contre les communautés créatrices (les brevets de logiciels ne peuvent rien contre les logiciels libres déjà diffusés, mais limitent leur extension en mettant en danger les développeurs, qui peuvent à tout moment se trouver à utiliser une technique par ailleurs brevetée, la circulation du savoir étant plus rapide que celle des droits de propriété). •le faisceau de droits attachés à la ressource. Une ressource n’entre pas simplement dans une relation juridique binaire (privé/public), mais est plutôt le support de plusieurs droits simultanément, certains tenant à la propriété, d’autres à l’usage. Un auteur qui place ses œuvres sous une licence Creative Commons laisse au commun les droits de rediffusion, le partage, mais réserve la mention d’attribution. •le processus de gouvernance. Chaque ressource considérée mobilise une « communauté » pour son usage, sa maintenance, sa protection contre les enclosures. Il s’agit d’une école de la démocratie, les participants ayant la nécessité de trouver des formes d’équilibre interne pour garantir l’équité du partage de la ressource, dans la communauté qui en a la charge ou pour l’ensemble des individus pour les communs additifs ou immatériels. C’est ce processus d’implication des acteurs dans la gestion de la ressource qui est considéré actuellement par la théorie des communs comme le pivot majeur. Les communs se diffusent par extension des expériences particulières. Elinor Ostrom a repéré ainsi huit principes qui, s’ils sont appliqués, favorisent le maintien d’une ressource dans un esprit de partage : une claire définition des frontières du groupe concerné ; des règles adaptées aux besoins locaux ; la capacité des individus concernés par ces règles à participer à leur évolution ; le respect des règles internes des communautés par les autorités extérieures ; le contrôle des usages pris en charge par les propres membres des communautés ; l’instauration d’un système de sanctions graduées ; la mise en Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 56 18/11/2014 10:00:49 Biens communs 57 place d’un système de résolution de conflits facile à utiliser au sein de la communauté ; une organisation en strates pour la résolution de conflits et la gouvernance. Ces règles, émanant des communs naturels, peuvent aisément s’étendre aux communs de la connaissance, car elles privilégient l’activité des membres sur le bien lui-même. L’extension des communs de la connaissance rejoint des pratiques anciennes dans de nombreuses cultures. Il convient pour autant de ne pas les confondre avec un domaine public qui serait sans règles. Le partage implique les notions d’égalité et de réciprocité, en général indirectes par le modèle de cohésion entre don et contre-don, ciment sociétal qui a été mis en valeur par de nombreux anthropologues. Malheureusement, la capacité à utiliser et à valoriser le domaine public est inégalement répartie, et souvent les plus aisés, tant du point de vue financier que des savoir-faire, peuvent mieux que d’autres en tirer profit. L’expansion des grands groupes de l’internet qui s’appuient sur des activités partagées par les internautes grâce à leurs compétences techniques en constitue un exemple. En ce sens, l’implication directe des créateurs de communs de la connaissance est essentielle, évidemment pour leur développement propre, mais également pour que leur dynamique serve des intérêts généraux. En développant les communs de la connaissance, les acteurs du partage des savoirs vont renforcer la capacité de tous, à l’échelle du monde entier, à utiliser les travaux intellectuels et à susciter des créations nouvelles. Les choix d’ouverture de Wikipédia ont permis la création de plus de deux cents versions linguistiques, chacune étant prise en charge par une communauté de locutrices et de locuteurs de ces langues. Les termes mondialisés peuvent ainsi être compris et adaptés à chaque culture, mais, mieux encore, les termes spécifiques de chaque culture peuvent être décrits et partagés dans le monde entier, des locuteurs d’une langue pouvant eux-mêmes proposer des traductions dans les autres langues. La capacité de modifier et d’adapter les logiciels libres est un encouragement à la localisation de ceux-ci dans des langues minoritaires, à l’image du travail mené en Afrique par l’association ANLoc (African Network for Localisation). De même, en offrant les publications scientifiques et médicales dans des dépôts d’articles en accès libre, les chercheurs permettent de développer une meilleure qualité non seulement des soins mais également de la santé publique et des échanges de connaissances médicales. Un défi majeur face aux pandémies dont l’extension mondiale devient de plus en plus rapide. Le partage du savoir est un enjeu essentiel dans le cadre de la mondialisation si nous souhaitons que celle-ci concerne les hommes et les femmes, et pas seulement les intérêts industriels et commerciaux. La construction de communs du savoir et de la culture, en limitant les Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 57 18/11/2014 10:00:49 58 Diversité culturelle à l’ère du numérique régimes de propriété sur la recherche et la culture, ouvre des perspectives pour redéfinir les relations internationales et les modes de rémunération de la production même des connaissances. Les questions aussi sensibles que la production de médicaments pour les maladies négligées, d’un côté, et le respect des auteurs de toutes les cultures et toutes les langues, le développement du multilinguisme sur l’internet, de l’autre, montrent l’étendue du spectre couvert par les communs de la connaissance. Et de leur place dans la construction d’une société des savoirs partagés. Termes liés : connaissance, communautés, libre, pratiques, propriété intellectuelle, remix Références Dwayne Bailey, « Localisation des logiciels : open source et multilinguisme numérique », in Net.lang : réussir le cyberespace multilingue, C & F Éditions, 2012. David Bollier, Silke Helfrich, The Wealth of the Commons : A World Beyond Market and State, Levellers Press, 2012 ; version allemande originale : Commons : für eine neue Politik jenseits von Markt und Staat, 2012. David Bollier, la renaissance des communs : pour une société de coopération et de partage, éditions Charles Léopold Mayer, 2014. Charlotte Hess, Elinor Ostrom (éd..), Understanding Knowledge as a Commons : From Theory to Practice, Cambridge, Massachusetts, The MIT Press, 2007. Béatrice Parance & Jacques de Saint-Victore, Repenser les biens communs, CNRS éditions, 2014. Association Vecam (coord.), Libres Savoirs. Les biens communs de la connaissance, C & F Éditions, 2011. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 58 18/11/2014 10:00:49 59 Co-construction Marianne Poumay Le terme « co-construction » évoque aussi bien le processus que le résultat de l’action de co-construire, c’est-à-dire construire en collaboration. Il implique la présence de l’autre, sa participation à un agir dont le versant conscient est orienté vers un but d’apprentissage. La co-construction tire parti des interactions sociales et des différences interindividuelles Pour les porteurs du courant pédagogique dit « socioconstructiviste » (Perret-Clermont, 1979 ; Doise et Mugny, 1981), cette présence d’un autre, d’un pair, voire de plusieurs autres, par les interactions sociales et les « conflits sociocognitifs » qu’elle génère, représente un réel ferment du progrès cognitif. Il s’agit d’un moyen très efficace pour apprendre « en profondeur » (Biggs, 2003) et d’une sorte de passeport pour l’apprentissage tout au long de la vie, qui participe au bien-être social, culturel et éventuellement économique des individus. Le formidable potentiel de cette présence d’un pair vient essentiellement du fait que ce pair nous questionne, qu’il a sélectionné d’autres informations que les nôtres, qu’il y réagit selon ses acquis et sa personnalité propres, et qu’il nous propose une interprétation du monde différente de la nôtre. La situation scolaire emblématique correspondant à ce type d’apprentissage est le travail en petits groupes, qui permet ces interactions entre pairs et cette ouverture de chacun à des points de vue potentiellement complémentaires aux siens. De ces confrontations, pour autant que celles-ci soient bien cadrées, chacun ressort enrichi. Parmi les rôles de l’enseignant, relevons la médiation, l’écoute des élèves et l’attention qu’il doit porter aux différences, de façon que celles-ci enrichissent les débats et soient analysées dans le respect de chacun(e). Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 59 18/11/2014 10:00:49 60 Diversité culturelle à l’ère du numérique Co-construire est exigeant L’organisation d’activités de ce type nécessite l’instauration d’un climat de confiance entre élèves et enseignant(e) s. Ces derniers guident les élèves dans leurs apprentissages et leur laissent une part de liberté dans la construction de leurs savoirs. Tous les élèves ne choisissent pas les mêmes chemins et ne parviennent pas aux mêmes résultats au même rythme. Cette notion de co-construction, respectueuse des différences et exploitant des situations complexes, se trouve en harmonie avec celle de compétence (Tardif, 2006). Elle décrit particulièrement bien l’apprentissage en stages et autres contextes réels, où le conflit sociocognitif est permanent sans pour autant devoir toujours être provoqué. Les programmes de formation continue exploitent aussi volontiers cette co-construction, partant des vécus professionnels des participants pour fonder des analyses que chacun re-contextualise ensuite à sa pratique professionnelle spécifique. Internet comme soutien… Les technologies apportent une plus-value évidente aux travaux de groupe. En effet, le groupe peut désormais rester virtuel, composé d’apprenants de différentes classes, de différents pays, de différents environnements sociaux. Pour peu que les travaux soient bien encadrés, l’exploitation de l’internet renforcera la co-construction et lui permettra de prendre des tournures précédemment impossibles. Ainsi, par exemple, les groupes d’élèves auront accès à des supports électroniques variés, ils pourront s’envoyer des témoignages, des photos et des vidéos, des textes qui étayent leur point de vue, ils seront ainsi interpellés par des exemples riches et signifiants. Ils pourront aussi discuter, en temps réel ou en différé (en particulier si les décalages horaires ne permettent pas la synchronicité des échanges), avec des pairs éloignés, hospitalisés, ou tout simplement choisis sur la base d’une expérience antérieure qui fait sens par rapport à l’objet étudié. Ce type d’activité parle particulièrement aux jeunes de la « génération Y », nés avec l’internet, qui exploitent la connectique dans leur vie sociale et trouvent assez naturel d’agir de même dans leur vie scolaire. Il s’agit aussi du chemin choisi par les MOOC (Massive Open Online Courses), cours en ligne ouverts et destinés à de très larges cohortes de milliers d’étudiants, dans lesquels la co-construction des connaissances est largement exploitée, tant pour l’apprentissage que pour l’évaluation par les pairs, vu l’impossibilité physique pour un Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 60 18/11/2014 10:00:49 Co-construction 61 tuteur, par exemple, de commenter 3 000 poésies pour le lendemain. L’apport des pairs est ici la condition sine qua non de l’apprentissage de chacun, les MOOC étant structurellement organisés pour tirer parti de cette co-construction. Les communautés de pratiques ou d’apprentissage sont des lieux de co-construction. Dans le monde de l’internet, une illustration assez aboutie de ce principe de co-construction est l’encyclopédie Wikipédia elle-même, aujourd’hui largement exploitée dans l’enseignement. … mais pas comme une condition suffisante Mais dans cette logique, apprend-on d’autant plus que la technologie est présente et que les différences entre apprenants sont plus importantes ? Pas forcément. Dans une classe où l’enseignant promeut l’apprentissage collaboratif, l’élève apprend sur deux plans : d’une part, à propos de la différence entre élèves et de son exploitation positive au profit de l’apprentissage (en quoi l’autre m’est-il utile ? Que m’apporte-t-il à quoi je n’aurais pas pensé seul ? Et que lui ai-je apporté qu’il n’aurait pas trouvé ?) ; d’autre part, à propos du thème traité par l’enseignant (dans le cas d’un apprentissage en littérature française, par exemple quelles caractéristiques héritées du romantisme retrouve-t-on chez les auteurs que j’apprécie aujourd’hui ?). Sur ces deux plans, que l’on pourrait nommer métacognitif d’une part et cognitif de l’autre, c’est la qualité des interactions qui sera le facteur le plus déterminant de la qualité de l’apprentissage. Il reviendra à l’enseignant de concevoir l’activité la plus porteuse pour un groupe d’élèves, d’aiguiller ceux-ci vers les supports (souvent avec composante technologique) les plus appropriés et de dresser par des consignes claires le cadre d’un apprentissage respectueux et efficace. Plus que les différences ou la technologie en elles-mêmes, la façon d’exploiter ces différences et celle d’utiliser ces technologies, par exemple en les plaçant au service d’une réelle co-construction du savoir, détermineront la qualité de l’apprentissage. Outre une exploitation pertinente des différences interindividuelles et des technologies internet, une condition tout aussi essentielle de réussite de l’apprentissage en co-construction réside dans le balisage précis de la collaboration attendue entre apprenants. Quel est l’objectif exact de l’activité ? Quel doit être l’apport de chacun ? Comment sera-t-il mesuré ? Quelle charte précise la « netiquette » ou les attitudes attendues de chacun ? La clarté des consignes et l’accent porté sur leur respect seront primordiaux pour le progrès cognitif et métacognitif de chacun. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 61 18/11/2014 10:00:49 62 Diversité culturelle à l’ère du numérique Co-construire n’est pas forcément un choix facile Une activité de co-construction respectant ces quelques principes de base devrait donc déclencher un progrès cognitif durable et profond. Pourtant, à moins qu’ils y aient été entraînés et qu’ils en aient réellement compris le bénéfice, les apprenants ne choisiront généralement pas cette voie de la co-construction. Elle leur demande en effet de rencontrer des pairs, d’écouter la différence, de faire des concessions, de s’interroger sur leur propre place dans le groupe, de négocier avec d’autres quant au travail final, autant d’actions qui nécessitent une remise en question… et un temps précieux ! Dans l’enseignement supérieur, la facilité d’un cours ex cathedra sera souvent préférée – en tout cas par les étudiants non avertis – à l’exigence d’un cours basé sur des problèmes, des études de cas, des défis de groupes et autres activités de co-construction. La profondeur de leur apprentissage, pour des étudiants adeptes de la stratégie scolaire à très court terme, a peu d’importance pour autant qu’ils réussissent l’examen visé. Et comme il est plus simple également pour l’enseignant d’organiser des cours conventionnels, il nous faut malheureusement constater que la co-construction demeure encore rare dans l’enseignement supérieur, en tout cas en France et chez ses proches voisins. Mais il n’est jamais trop tard, car co-construire s’apprend, tant côté étudiant(e)s que côté enseignant(e)s. La formation initiale des enseignant(e)s pourrait jouer un rôle important dans la modélisation de pratiques efficaces de co-construction du savoir, en exploitant au mieux les différences interindividuelles et les technologies aujourd’hui disponibles. Mais notre société souhaite-t-elle promouvoir les valeurs qui soustendent cette co-construction ? Trouve-t-elle important de soutenir le développement du respect des différences, de l’autonomisation des citoyens à travers un apprentissage en profondeur, critique et réflexif, en situation complexe et aidé par des pairs ? Mesure-t-elle l’intérêt de ce métissage culturel qui permet de mieux connaître l’autre et donc de mieux l’apprécier, tant en situation d’apprentissage que dans toutes les situations de vie ? Si c’est le cas, ne faudrait-il pas revoir les méthodes d’enseignement, en particulier dans le supérieur, dans les institutions où elles restent majoritairement transmissives et laissent peu de place à cette co-construction ? Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 62 18/11/2014 10:00:49 Co-construction 63 Termes liés : biens communs, art et science, connaissance, éthique, libre, littératie numérique, remix, transmédiation Références John Biggs, Teaching for Quality Learning at University, 2e édition, Buckingham, Society for Research into Higher Education/Open University Press, 2003. Willem Doise, Gabriel Mugny, Le Développement social de l’intelligence, Paris, InterÉditions, 1981. Anne-Nelly Perret-Clermont, La Construction de l’intelligence dans l’interaction sociale, Genève, Peter Lang, 1979. Jacques Tardif, L’Évaluation des compétences. Documenter le parcours de développement, Montréal, Canada, Chenelière Éducation, 2006. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 63 18/11/2014 10:00:49 64 Codes Mokhtar Ben Henda et Henri Hudrisier Étymologiquement, le mot « code » vient de « tablette à écrire, de codex ou caudex, assemblage de planches, de planchettes ayant servi à écrire » (Littré). Il apparaît en français en 1236 (Le Robert). La notion de code possède deux acceptions principales. Le sens 1 est associé à une série de règles, de lois, de textes… qui régulent une conduite ou un comportement : le code d’Hammourabi de 1750 av. J.-C., le code de Théodose de 438, le code de Justinien de 529, le code civil, le code de commerce, les codes de la propriété intellectuelle, des assurances, du travail, de la route… Dans le langage moderne, le mot « code » renvoie à l’ensemble des dispositions légales relatives à une matière spéciale, réunies par le législateur dans des textes d’accords, de conventions et de normes établis par une communauté quelconque pour réguler des domaines d’activité. Le sens 2 est lié à la codification des nombres et à la cryptologie, mais aussi aux théories linguistiques et sémiotiques. La codification des nombres se confond avec l’histoire de leur écriture, mais est aussi liée à une pratique, puis à une théorie du système numérique : duodécimal, décimal, binaire… La numération décimale est devenue universelle, et le code binaire fonde l’industrie numérique. En Inde au ive siècle av. J.-C., en Chine avec les hexagrammes se préfigure déjà une pratique de codification binaire. En 1605, Francis Bacon décrit des séquences de codes binaires, Gottfried Leibniz élargit la théorie et concrétise le concept. En 1836, Samuel Morse inaugure avec son code ce qui deviendra l’électromécanique, puis l’électronique numérique. Les étapes et les inventeurs se succèdent, mais il est clair que les progrès du codage informatique sont largement la conséquence de la volonté de casser, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’information cryptée dans Enigma. Même si Charles Sanders Peirce ou Ferdinand de Saussure utilisent chacun un large vocabulaire conceptuel pour élaborer leur théorie du signe (codage sémiotique et/ou linguistique), Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 64 18/11/2014 10:00:49 Codes 65 il est clair que s’amorce une période d’échanges très féconds entre la linguistique, la recherche-développement des langages formels et, aujourd’hui, l’e-sémantique. Le code numérique binaire se trouve au cœur de cette dernière période. Il n’est pas obligatoirement certain que des développements ultérieurs de l’informatique (peut-être l’informatique quantique ?) ne remettent en cause cette suprématie binaire actuelle. Domaines d’application et appropriation sociale Dans leurs dimensions interprétatives, les deux approches du terme « code » sont aujourd’hui utilisées dans plusieurs domaines d’ordre social, culturel, juridique, économique, linguistique, sémiotique, communicationnel et informatique. En français, on dit « passer son code », « mettre les phares codes » ou simplement « mettre en codes ». Code d’honneur, code des duels, code moral ou code culturel font aussi sens : « Ces maximes, je l’avoue, doivent être le code du genre humain » (Voltaire, Dialogues, XV, 2e entretien). « D’un canton qui l’adore il est souvent l’arbitre. Le bon sens est son code, et l’équité son titre » (Saint-Lambert, Saisons, « L’Hiver »). Les données privées d’identification comme le code de sécurité sociale ou le code bancaire sécurisent nos transactions. Les passeports modernes comportent un encodage crypté, possiblement utilisé dans de nombreux domaines de contrôle, mondialement normalisé (ISO/IEC JTC1SC37), de nos données anthropométriques (empreintes digitales et iris de l’œil) qui deviennent ainsi une clé codée personnelle universelle, directement dépendante de notre code génétique ! On peut ainsi franchir sans contrôle humain des postes frontières ou y être systématiquement bloqué en cas de problème. La notion de « code » prend une importance clé dans le secteur juridique. La mondialisation des codes juridiques, administratifs, professionnels et socioculturels, en raison de leur numérisation et de leur interconnexion notamment sur le web, induit des incompréhensions, des contresens, des conflits divers. Par exemple, le droit d’auteur et le copyright diffèrent selon les pays et les aires culturelles, même s’il existe des conventions internationales. Or le potentiel de circulation sans frontières et en temps réel des œuvres culturelles dans le monde entier pose clairement la question de l’interconnexion des codes pour garantir les ayants droit. Cela fait écho à l’utopie d’un droit unique des affaires imposé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce code était supposé s’imposer parce que la mosaïque disparate des Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 65 18/11/2014 10:00:49 66 Diversité culturelle à l’ère du numérique territoires nationaux freinait « à l’évidence » les échanges capitalistes ne tenant pas compte de toutes les spécificités des codes locaux divers (code du travail, code du droit commercial, conditions économiques locales, écologiques…), y compris les spécificités culturelles et linguistiques qui se sont bien partiellement opposées à cette première fausse évidence. L’interopérabilité numérique sophistiquée de ces codes dans leur diversité demeure un chantier réaliste et urgent. Dans le champ linguistique, dès 1909, Saussure s’empare du terme « code », notamment le concept d’arbitraire du code en langue naturelle, mais aussi comme code gestuel, code graphique, code visuel. Dans la linguistique saussurienne, « le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par signe le total résultant de l’association d’un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement : le signe est arbitraire ». Martinet met en évidence la notion de « double articulation du code », qui élargit de façon quasi infinie un code, notamment la double articulation du code linguistique, dont on a longtemps prétendu à tort qu’elle était le propre des langues humaines. Dans le domaine des sciences et des techniques, la notion de « code » a été largement utilisée pour désigner l’ensemble des règles de symbolisation des données et des concepts élémentaires. Un code est un système de signes (noms, symboles, signaux…) qui, par convention, sert à représenter et à transmettre l’information entre un émetteur et un récepteur. Différents codes sont utilisés : iconiques, scripturaux, sonores (notamment la langue parlée). L’encodage numérique d’un document nécessite un premier niveau signalétique : code langue, code écriture, code pays, etc. Précisons bien que le code langue (fr ou fre, es ou spa, pl ou pol, ja ou jpn, ko ou kor…) n’est ni superposable ni identique aux codes pays (F ou FR, ES, PL, JP, KR, Corée du Sud, et KP, Corée du Nord…). Il faut aussi savoir distinguer le code d’écriture du code langue. Le code d’écriture latine étendu, avec accents et diacritiques, recouvre de très nombreuses langues du monde ; le code d’écriture arabe recouvre l’arabe, le perse, l’urdu, le kurde… Ces codes normalisés des langues, des écritures ou des pays sont souvent un acronyme anglais abrégé, mais pas obligatoirement. La communication intersystèmes et l’encodage numérique systématique (tout numérique) s’architecturent en couches superposées de langages allant du langage machine (qui code en binaire les impulsions électriques), aux langages systèmes sur lesquels se superposent des langages structurels (XML…), et aux langages d’application permettant de coder la captation ou la saisie des documents proprement dite, leur circulation ou leur traitement. À un niveau informationnel plus large, l’encodage des documents n’est plus seulement la numéri- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 66 18/11/2014 10:00:49 Codes 67 sation du message (le texte, le son, l’image… et leur possible compression), c’est aussi conjointement le codage de métadonnées (catalographique) et le balisage structurel ou sémantique du document (MPEG 7 ou TEI par exemple). Code binaire et diversité culturelle et linguistique Les premiers télégraphes ne sont pas binaires à proprement parler (le morse est faussement qualifié de binaire alors qu’il combine signal long, signal court et silence, de même le braille, qui combine des points sur une matrice de 6 positions). Mais ces codages peuvent se numériser en code binaire, s’articulant sur un deuxième niveau de code : Baudot, 5 bits ; ASCII (American Standard Code for Information Interchange), 7 puis 8 bits. Seul l’élargissement de la structure du code ASCII pouvait permettre la cohabitation des langues et des systèmes d’écriture du monde. Les premières initiatives venaient des langues asiatiques. Les 2 octets de la première norme japonaise multi-écritures JIS (Japanese Information Standard), sont vite devenues 3 puis 4 octets. Cela avait abouti à l’état actuel de l’Unicode s’articulant hiérarchiquement et fonctionnellement sur : •1 octet, soit 256 codes symboliques élémentaires pour l’alphabet latin, ou un équivalant d’une trentaine de signes minuscules et majuscules en plus d’une suite de nombres, signes de ponctuation et codes de commandes ; •2 octets, soit plus de 65 000 codes potentiels suffisant pour coder toutes les écritures du monde, y compris les écritures anciennes, différents codes d’écritures musicales (byzantine…), des codes divers (symboles électriques, signalétiques diverses…). Cependant, ces 65 000 codes sont insuffisants pour coder les « caractères idéographiques rares », qui, en chinois ou en japonais, correspondent notamment à la toponymie et à la patronymie (y compris les noms de firmes) ; •4 octets, soit plus de 4 milliards de codes symboliques potentiels qui posent le problème à un niveau incomparablement plus vaste. Ce codage articulé sur 4 octets (32 bits) est à la fois le fruit d’une nécessité d’unifier dans un même code toutes les écritures du monde, et le résultat d’un potentiel technique lié à la rapidité du calcul et à la miniaturisation et la baisse de coût de la mémoire vive d’ordinateur. L’articulation double du code binaire de 32 bits est la condition sine qua non d’un codage « intelligent » du code informatique. L’argument qui consistait à qualifier de « binaire » le code informatique n’est plus guère d’actualité, parce que la culture mondiale a intégré la subtile sophistication du transcodage numérique culturel – appartenances ethniques, pratiques sociales, productions intellectuelles, etc. – par Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 67 18/11/2014 10:00:49 68 Diversité culturelle à l’ère du numérique des attributs issus de conventions et de normes internationales connues dans le jargon informatique sous les notions de « localisation » (l10n) et « internationalisation » (i18n). Il s’agit de valeurs codiques qui induisent l’usage de codes linguistiques et culturels définissant le type de calendrier, le système d’écriture et sa directionnalité, la monnaie d’usage, le code de pays, le code de langue et sa variante nationale, le système numérique, le code de format, etc. L’internationalisation des codes de nommage des domaines (iDNS), des adresses de courrier électronique et des langages informatiques rend les ressources culturelles accessibles à plus de gens dans leur propre langue. Le codage numérique culturel touche aussi des activités ou disciplines scientifiques comme les lettres et les arts (i. e. humanités digitales). La TEI (Text Encoding Initiative), notamment, propose un niveau avancé de codage dans lequel des collèges de chercheurs partagent des ensembles définis de « codes balises » permettant d’encoder non seulement des apparats critiques, des analyses de recherches littéraires (codification de la métrique des vers et codage de la critique stylistique ou de l’étude narrative…), mais aussi des corpus linguistiques, des manuscrits… Bref, les deux facettes abordées de la notion de « code » convergent désormais vers le mode digital. Le gros de la mémoire culturelle, scientifique, technique et juridique accumulée dans les archives, les bibliothèques et les musées bascule dans les réseaux numériques, et les questions liées à la diversité culturelle et linguistique passent au premier plan de la représentation et de l’interprétation des codes. Les développements futurs seront transculturels, transnationaux et transparents, dans lesquels d’autres aspects de la communication humaine au-delà de la seule codification des langues entreront en scène. Termes liés : archives, bibliothèques, co-construction, communications, computation, connaissance, documentation, langues, normes Références Jacques André et Henri Hudrisier (Dir.), « Unicode, écriture du monde ? », numéro spécial de Document numérique, vol. 6, n°3-4, 2002, Editions Hermès-Lavoisier. Patrick Andries, Unicode 5.0 en pratique : Codage des caractères et internationalisation des logiciels et des documents, Paris, Dunod, 2008. Mokhtar Ben Henda, « Langues en danger et multilinguisme numérique », in Les oubliés de l’internet : Culture et langues sur l’internet, oubli ou déni ?, A-M. Laulan & A. LeNoble Bart (éd.), Bordeaux, Les Editions Hospitalières, 2014. Claude Berrou, Codes et turbocodes, Paris, Springer Science & Business Media, 2007. Monica Borda, Fundamentals in Information Theory and Coding, Berlin, Springer Science & Business Media, 2011. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 68 18/11/2014 10:00:49 Codes 69 Michel Bottin. Yvonne Sallé, « Écritures du monde, un centre de ressources culturelles et techniques pour les applications multi-écritures », Document numérique, n°3, vol. 6, 2002, pp. 237-254. Stuart Hall, Michèle Albaret, Marie-Christine Gamberini, « Codage/décodage », Réseaux, vol. 12, n°68, 1994, pp. 27-39. Henri Hudrisier, « De l’Abécédaire à Unicode », L’Octogonal Ricochet, Revue du CIELJ, n°17, avril 2002. Bruno Martin, Codage, cryptologie et applications, Lausanne, PPUR Presses polytechniques, 2004. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 69 18/11/2014 10:00:49 70 Communauté(s) Patrick Schmoll Dans sa définition la plus large, une communauté est un groupement d’acteurs (individus ou collectifs) qui partagent un bien commun. Ce bien peut être matériel : c’est le sens que revêt le terme en droit, dans le cas par exemple d’une communauté d’établissements ou d’une communauté entre époux. Dans le contexte de la diversité culturelle, le bien partagé par les membres d’une communauté est plus souvent immatériel : une langue, une histoire, une religion, des valeurs, des normes. Historique et enjeux de la notion de communauté Le terme de communauté a pris une importance en sciences sociales initialement dans la tradition sociologique allemande. Ferdinand Tönnies, en 1922, distingue la notion de Gemeinschaft, traduite en français par « communauté », qu’il oppose à la Gesellschaft, traduite par « société ». La Gemeinschaft exprime l’idéal d’une société qui résulte d’une volonté collective, d’un « vouloir vivre ensemble » de ses membres, qui ont entre eux des rapports sociaux basés sur l’attachement émotionnel, le sentiment et la reconnaissance mutuelle. À l’inverse, la Gesellschaft désigne la société de masse, qui n’est que l’agrégation d’individus qui n’ont de relations entre eux que celles commandées par les nécessités du fonctionnement économique de l’ensemble. La communauté unit donc les individus malgré tout ce qui les sépare, alors que la société maintient leur individualisation malgré tout ce qui les unit. La notion de communauté a irrigué toute la pensée allemande du social, alors qu’elle a longtemps fait l’objet de réserves plus que suspicieuses de la part des sociologues français. D’une part, la tradition politique française impose l’idée d’un rapport direct et exclusif de l’individu à l’État, qui veut ignorer les communautés d’appartenance. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 70 18/11/2014 10:00:49 Communauté(s) 71 D’autre part, la conception allemande de la Gemeinschaft, au début du xixe siècle, exprimait une vision naturaliste du social : la communauté, ancrée dans un sol et dans un peuple, et dont la figure type est la communauté villageoise traditionnelle, s’opposait à la société urbaine, industrielle et cosmopolite qui se développait à l’époque. Cette conception a alimenté un débat qui explique sa réception tardive en sociologie française. Le phénomène communautaire a été davantage étudié par la sociologie urbaine américaine, notamment par l’École de Chicago. Sa pertinence dans cette tradition tient au caractère pluriethnique de la société américaine, concrétisé par la tendance des immigrants à s’être regroupés très tôt en ville par quartiers, formant des territoires urbains propices à l’organisation communautaire. Classiquement, une communauté est ainsi caractérisée par le fait que ses membres n’ont pas vraiment choisi d’en faire partie : ils y naissent ou s’y retrouvent en raison de leur résidence en un même lieu, des liens réguliers et durables qu’ils entretiennent avec leurs voisins, des valeurs et des normes, éventuellement de la langue et de la religion qu’ils partagent, et du sentiment d’appartenance au groupe qui en résulte. Les communautés à l’ère des réseaux La diffusion des technologies de réseau a contribué à renouveler l’approche du fait communautaire. Les communautés d’utilisateurs regroupés autour d’un jeu, d’un projet collaboratif ou d’une cause mobilisatrice sont l’un des phénomènes remarquables que l’on rencontre en naviguant sur l’internet. Howard Rheingold, en 1993, est le premier à avoir décrit ces communautés, qu’il qualifie de « virtuelles ». Certains auteurs préfèrent le terme de « cybercommunauté » ou de « communauté en ligne », mais l’usage continue à imposer la terminologie popularisée par Rheingold. Les communautés virtuelles semblent contredire la définition classique de la communauté : •ce sont des groupements électifs, l’appartenance ne s’impose pas à ses membres, ceux-ci ont choisi de rejoindre le groupe ; •ces communautés n’ont pas de territoire physique, les participants sont disséminés sur la planète ; ce sont des communautés « imaginées », au sens de Benedict Anderson (1983) : de même que les médias de presse nationaux ont contribué à la formation d’une conscience nationale, l’usage d’un même support de communication en réseau (un forum, Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 71 18/11/2014 10:00:49 72 Diversité culturelle à l’ère du numérique un jeu vidéo…) constitue le « territoire » de ces communautés ; •le lien entre participants et le sentiment d’appartenance à la communauté connaissent des densités et des durées variables. Les réseaux permettent des mobilisations de courte durée avec des niveaux d’implication étagés. Madeleine Pastinelli (2007) propose la métaphore du café de quartier : certains habitués y partagent une histoire commune et entretiennent des liens étroits, d’autres se reconnaissent mutuellement sans pour autant se sentir liés, et d’autres enfin ne font qu’y passer et ne reconnaissent pas les individus présents au-delà de leurs rôles (serveurs, patron, autres clients…). La structure en réseau du collectif définit la communauté non comme un endroit où chacun connaît et est connu de tout le monde, mais comme un endroit où on connaît toujours quelqu’un qui y connaît quelqu’un d’autre. Il est toutefois clair pour tous ses participants, même occasionnels, qu’une communauté virtuelle s’organise autour d’un noyau de membres qui ont fini par tisser entre eux des liens affectifs et par créer un sentiment d’appartenance autour de représentations communes, qui justifient leur désignation par ce terme de communauté. Tendances actuelles La notion de communauté a acquis une importance stratégique en raison de son usage sur les réseaux. Le Web 2.0, défini par ses fonctionnalités permettant aux internautes d’interagir dans un espace partagé sur un site (contrairement au web rétroactivement numéroté 1.0 qui propose des sites vitrines que l’on ne peut que consulter passivement), est qualifié de web « communautaire ». La capacité d’un site à mobiliser une communauté représente un enjeu pour des sociétés et des organisations qui utilisent cette dynamique pour impliquer les participants dans un travail collectif (communautés collaboratives), pour attirer des clients (jeux vidéo en ligne, sites commerciaux), pour attester de sa notoriété et se proposer comme support de messages publicitaires, voire pour commercialiser les fichiers de ses participants ou leurs caractéristiques. Les fonctionnalités de l’internet sont également utilisées par des organisations politiques, culturelles et/ou religieuses pour mobiliser une communauté en ligne sur des objectifs militants et alerter l’opinion publique internationale. Les technologies de réseaux amplifient à cet égard une transformation des dynamiques de mobilisation au sein de sociétés marquées par la diversité socioculturelle et l’individualisation. Mark S. Granovetter (1973) l’avait déjà montré à partir de l’exemple de deux communautés de quartier de Boston résistant à un Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 72 18/11/2014 10:00:49 Communauté(s) 73 programme municipal de développement urbain. La première communauté, fortement cohésive, composée d’immigrants d’une même nationalité, étroitement liés par de multiples liens familiaux, d’amitié et de voisinage, mais ne disposant pas de relais à l’extérieur d’ellemême, finit par disparaître. Alors que, dans la seconde, les liens entre habitants semblaient en première approche lâches et l’organisation communautaire faible, mais les habitants avaient une vie socialement riche également ailleurs que dans leur quartier, et donc des appuis partout dans Boston, qui leur permirent de résister avec succès. Dans un processus de mobilisation et de résistance, l’expansivité du réseau compte ainsi davantage que sa cohésion. Les technologies de réseau offrent un médium de communication permettant aux communautés les plus oubliées de la planète d’atteindre le public le plus large et de regrouper leurs membres, qui peuvent communiquer entre eux depuis les points les plus éloignés de leur diaspora. Elles sont ainsi un facteur de maintien et d’approfondissement de la diversité culturelle. Mais elles transforment en retour ces communautés, en les ouvrant au monde, en les rendant visibles à un environnement extérieur dont elles peuvent obtenir l’appui mais aussi recevoir la critique, en fournissant un espace public de débat à l’intérieur et en autorisant des appartenances de densités variables. Termes liés : diaspora, co-construction, connexion, langues, réseaux sociaux, territoires Références Benedict Anderson, Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, Verso, 1983. Tr. fr. par Marc Abélès, L’Imaginaire national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996. Mark S. Granovetter, « The Strength of Weak Ties », American Journal of Sociology, 78, 1973, pp. 1360-1380. Chip Morningstar, F. Randall Farmer, « The Lessons of Lucasfilm’s Habitat », in Cyberspace : First Steps, Michael Benedikt (éd..), Cambridge, Massachussetts, The MIT Press, 1991. Madeleine Pastinelli, Des souris, des hommes et des femmes au village global, Montréal, Presses de l’Université Laval, 2007. Howard Rheingold, Virtual Community (tr. fr. 1995), Les Communautés virtuelles, Paris, Addison Wesley, 1993. Patrick Schmoll et al., La Société terminale 1. Communautés virtuelles, Strasbourg, Néothèque, coll. « Futurs indicatifs », 2011. Ferdinand Tönnies, Gemeinschaft und Gesellschaft (tr. fr. 1977), Communauté et Société, Paris, Presses universitaires de France, 1922. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 73 18/11/2014 10:00:49 74 Communication Alain Kiyindou Du point de vue étymologique, communiquer c’est rendre commun. En effet, le premier sens du mot communication (xive siècle) est « communier » c’est-à-dire « partager », « échanger ». Le deuxième sens (xvie siècle) est « transmettre », « diffuser », voire « transporter ». Mais actuellement, il ne signifie plus transporter (de la matière inerte et vivante), il « évoque toutes les activités qui permettent aux êtres d’échanger de l’information » (Cotta, Sfez, 1993, p. 5). La communication est donc avant tout action. Elle est « l’action d’établir une relation avec quelqu’un ou de mettre quelque chose en commun avec une autre personne ou un autre groupe de personnes » (Lamizet, Silem, 1997, p. 120). Elle est « l’action de faire participer un organisme ou un système situé en un point donné R aux stimuli et aux expériences de l’environnement d’un autre individu ou système situé en un autre lieu et à une autre époque E, en utilisant les éléments de connaissance qu’ils ont en commun » (Moles, 1986, p. 25). Il convient de se rappeler que communiquer n’est pas uniquement produire de l’information et la distribuer, c’est aussi être attentif aux conditions dans lesquelles le récepteur la reçoit, l’accepte, la refuse, la remodèle en fonction de son horizon culturel, politique, philosophique et y répond à son tour. La communication est, avant tout, rapport, c’est-à-dire une relation reflétant les postures et les rythmes culturels, économiques, politiques, ainsi que les verbes, les écrits, les sons et les images connus et reconnus par les acteurs. La question de la participation revêt tout son sens ici puisque l’expansion des TIC donne à chacun une panoplie d’instruments qui permet de relever ou de mesurer les réactions diverses et plurielles de ses interlocuteurs. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 74 18/11/2014 10:00:49 Communication 75 Une expérience anthropologique La référence à la dimension culturelle, économique et politique ramène la communication à une expérience anthropologique fondamentale dans la mesure où il n’y a tout simplement pas de vie individuelle ou collective sans communication (Wolton, 2005). S’exprimer, parler à autrui et partager avec lui, c’est ce qui définit l’être humain. Elle est le moyen d’entrer en contact avec l’autre. En effet, plus il est facile d’entrer en contact avec lui, d’un bout du monde à l’autre, à tout moment, plus les limites de la compréhension deviennent évidentes. La dimension culturelle de la communication apparaît également dans cette approche de Jürgen Habermas : « J’appelle culture le réservoir de savoir où les participants de la communication puisent les interprétations quand ils s’entendent sur une réalité quelconque du monde » (Habermas, 1987, p. 152). La communication est donc une notion à la fois complexe et simple. C’est tout simplement « ce qui permet d’établir des relations entre des personnes, entre des objets, ou entre des personnes et des objets » (Griveaud et al., 1983, p. 28), c’est « l’énergie de la vie sociale » (Voyenne, 1979, p. 9). Un vecteur de changement social La communication joue un rôle social dans la mesure où elle participe du changement social. La notion de changement est elle-même à interroger et son approche peut varier selon qu’on se situe dans un cadre où l’homme se définit comme individuel ou collectif. C’est là qu’apparaissent des réappropriations et des manières de faire tendant à adapter les dispositifs médiatiques à l’espace sociétal concerné. Toutefois, constate Alfonso Gumucio Dagron, une analyse sommaire des deux dernières décennies démontre que le projet hégémonique transnational tend à dépouiller les récepteurs des instruments critiques, au profit d’une fusion culturelle qui dérive facilement vers la confusion (Gumucio Dagron, 1987). Cette confusion est accentuée par l’opulence communicationnelle renforcée par le numérique. Cette notion, chère à Abraham Moles, est calquée sur le concept d’opulence matérielle tel qu’il a été introduit par John Galbraith, celui d’un être qui se trouve disposer sans compter d’un certain bien (Galbraith, 1979). Pourtant, le numérique ne délivre pas d’excommunications, entendons par là des exclusions communicationnelles. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 75 18/11/2014 10:00:50 76 Diversité culturelle à l’ère du numérique Communication et développement Cette approche prolonge la réflexion sur le changement social et l’inscrit dans une dimension plus complexe et historiquement connotée, le développement, qu’il soit personnel ou collectif, économique, social ou culturel, endogène, humain ou durable. Mais la relation de communication est aussi à comprendre en termes de confiance et méfiance, soumission et domination, opposition et connivence, coopération et compétition, alliance et conflit, autant d’éléments permettant de comprendre les acceptations et les rejets, les inclusions et les exclusions, les accords et les désaccords. Un outil au service de l’organisation L’organisation apparaît tour à tour comme système, comme ensemble politique engageant des liens spécifiques de type sociétaire ou communautaire, comme dynamique médiatique porteuse de médias et de message, comme institution productrice de messages, de valeurs, de comportements, comme système de signes ou système technique. Le regard porté ici concerne les organisations aussi bien marchandes que non marchandes, dans toutes leurs diversités (entreprise, association, hôpital…). Il concerne leur fonctionnement, leur structure et leur développement. Alain Van Cuyck distingue deux niveaux par rapport aux formes des organisations : un niveau purement physique et matériel relevant des dispositifs techniques ; un niveau purement symbolique qui relève des actes de langage et d’écriture et qui permet de dire et signifier, de communiquer et d’agir (Van Cuyck, 2006). La communication agit donc sur la culture d’entreprise, c’est-à-dire l’ensemble des valeurs, croyances, habitudes, comportements et normes qu’on retrouve dans une organisation. « Ce qui définit la notion de culture d’entreprise, c’est surtout ce qui tourne autour des valeurs. Ce sont ces valeurs qui vont être utilisées pour développer le sentiment d’appartenance à l’entreprise. Bien entendu, l’importance du rôle de la communication aussi bien en interne qu’en externe, est capitale, puisque c’est à travers la communication qu’on va essayer de faire adhérer le personnel à la culture d’entreprise. » La communication devient donc un outil au service de l’organisation, pour la cohésion interne, l’efficacité professionnelle, les relations externes. Elle s’insère dans le dispositif de fonctionnement général, et s’avère, tout comme l’information, stratégique et fondamentale. Elle est donc, comme l’affirme Jean-Pierre Lehnisch « la composante d’un système global d’organisation des flux d’informations et des échanges » (Lehnisch, 2009). Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 76 18/11/2014 10:00:50 Communication 77 Communication et culture Le lien entre communication et culture peut s’analyser en termes de communication des savoirs au musée, à la télévision, par le spectacle vivant, dans les jeux vidéo… Approcher la communication par la culture revient à s’opposer à la pensée instrumentale qui a dominé le champ de la communication depuis sa naissance et qui se nourrit aujourd’hui de l’optimisme technologique. Pour reprendre les termes de Jesús Martín-Barbero, la communication est une question de culture et, partant, non seulement de connaissance mais aussi de re-connaissance (Martín-Barbero, 2002). La reconnaissance de l’autre devient ainsi la base de la communication ; en d’autres termes la communication est parce qu’elle prend compte de l’autre, ou ne l’est pas. Elle ne l’est pas quand elle est le théâtre des acceptations illusoires, des accords factices, quand elle est, tout simplement, mépris de l’autre. Communication et globalisation Dans la lignée de la pensée « dépendantiste » et de l’École de Francfort, de nombreux travaux continuent de s’interroger sur l’insertion des formes culturelles étrangères. Elles affaibliraient, selon eux, la conscience individuelle et l’identité nationale, point de vue qui a fortement marqué les politiques culturelles successives de la France et qui s’exprime à travers l’expression « exception culturelle ». Ces dernières sont de plus en plus pensées en termes de standardisation. « En produisant de nouvelles formes hybrides résultant de l’abolition des frontières, entre les cultures noble et populaire, traditionnelle et moderne, locale et étrangère, l’industrie de la culture réorganise les identités collectives et les formes de différenciation symboliques » (MartínBarbero, 1993, p. 26). En effet, de nombreux chercheurs pensent qu’il est important de concevoir une communication qui correspond mieux aux réalités locales. À ce sujet, Juan Díaz Bordenave considère qu’il est impossible de parler de communication sans prendre en compte les caractéristiques de certaines régions et de leur population. Son approche est celle d’une communication plus régionalisée, prenant en compte la diversité culturelle, les coutumes et les habitudes des populations concernées. Il s’agirait donc de dépasser cette contrainte morale qui conduit à percevoir « la réalité à travers des idéologies et des concepts étrangers, et apprendre à voir la communication et l’adoption d’innovations à partir d’une perspective nouvelle » (DíazBordenave, 1974, p. 208). Si nous considérons que la communication est un échange entre différents acteurs, il est utile de nous intéresser Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 77 18/11/2014 10:00:50 78 Diversité culturelle à l’ère du numérique aux positions des uns et des autres, postures qui cachent d’ailleurs un certain nombre d’intérêts qui dépassent le cadre de la communication. Ces intérêts peuvent être économiques, politiques, culturels, géostratégiques. Il apparaît donc que la communication n’est pas un simple dialogue mais le lieu d’affrontement de plusieurs logiques. Dans cette confrontation se font jour des jeux d’acteurs, des stratégies de domination, d’exclusion, de différenciation… Termes liés : connaissance, connexion, diaspora, réseaux sociaux, mobile, téléphone portable, temporalités, territoires Références Jesús Martín-Barbero, Communication, Culture and Hegemony : From the Media to Mediations, Londres, Sages, 1993. Jesús Martín-Barbero, Des médias aux médiations. Communication, culture et hégémonie, Paris, Éditions du CNRS, 2002. Alain Cotta, « Aspect économiques de la communication », in Dictionnaire critique de la communication, Lucien Sfez (dir.), PUF, Paris, 1993. Juan Díaz Bordenave, « Communication and Adoption of Agricultural Innovations in Latina America », [Cornell-CIAT International Symposium on Communication Strategies for Rural Development, Cali., Colombia, mars 17-22, 1974, Proceedings], Ithaca, Cornell University, New York, 1974, p. 208. Sophie Griveaud et al., « Étude sémantique quantitative des termes information, communication », Schéma et schématisation, no 19, 1983. Alfonso Gumucio Dagron, « Interaction culturelle et communication populaire », TiersMonde, 1987, t. 28, no 111, pp. 585-594. Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, 1987. John Kenneth Galbraith, Théorie de la pauvreté de masse, Paris, Gallimard, 1979. Bernard Lamizet, Ahmed Silem, Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’information et de la communication, Paris, Ellipses, 1997. Jean-Pierre Lehnisch, La Communication dans l’entreprise, Paris, Presses universitaires de France, 2009, pp. 9-13. Abraham Moles, Théorie structurale de la communication et société, Paris, Masson, 1986. Alain Van Cuyck, Pour une perspective en SIC du concept de formes organisationnelles ; lire en ligne http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/ docs/00/49/46/31/TXT/AVC_rennes_2006.txt, dernière consultation le 1er juin 2014. Bernard Voyenne, L’Information aujourd’hui, Paris, Armand Colin, 1979. Dominique Wolton, Il faut sauver la communication, Paris, Flammarion, 2005. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 78 18/11/2014 10:00:50 79 Computation Bruno Bachimont Souvent considéré comme un anglicisme, « computation » est un terme d’origine latine et signifie le « calcul » ou l’« action de calculer ». Le comput ecclésiastique renvoie par exemple au calcul pratiqué par les clercs de jadis et les ecclésiastiques d’aujourd’hui pour déterminer les fêtes mobiles en fonction des données astronomiques. Mais il est vrai que le terme même de « computation » était peu usité en français avant son emprunt à l’anglais, qui l’a adopté pour qualifier le calcul et les sciences s’y rapportant : computer science pour l’informatique, computational logic pour calcul symbolique ou logique, etc. Si bien que ce mot est devenu en lui-même une histoire linguistique complexe composée d’héritages, de transformations et de circulations où une langue reçoit d’une autre ce que cette dernière lui avait emprunté. Mais derrière ce terme évoquant le calcul se dessine, par son retour en force et sa généralisation dans les usages, un contexte culturel façonné par l’information formalisée pour être calculée et manipulée par les ordinateurs. Si le terme de « computation » n’est pas seulement une coquetterie lexicale mâtinée de latinisme et d’anglicisme reflétant l’hégémonie du monde anglophone en général, et américain en particulier, sur la conception et la maîtrise des outils du calcul, c’est qu’il est devenu nécessaire de le mobiliser pour qualifier les évolutions que nous pouvons constater dans nos habitus de pensée et de comportement. C’est d’ailleurs souvent sous la forme adjectivale, « computationnel », que cette notion est mobilisée, pour venir enrichir, voire subvertir, un substantif renvoyant à un déjà-là subissant l’impact du calcul et du numérique. On parlera ainsi d’une « raison computationnelle », d’« intelligence computationnelle », de « neurosciences computationnelles » … Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 79 18/11/2014 10:00:50 80 Diversité culturelle à l’ère du numérique De la raison graphique à la raison computationnelle La notion de « raison computationnelle » mérite qu’on s’y arrête car elle renvoie à une mutation culturelle importante, à laquelle nous assistons et participons. Cette notion est construite en référence au concept de « raison graphique », locution proposée par les traducteurs de l’anthropologue britannique Jack Goody pour son ouvrage The Domestication of the Savage Mind. Dans ce livre, Jack Goody étudie les conséquences que produit pour une culture l’adoption de l’écriture comme outil intellectuel : il considère les transformations de la manière de penser et de conceptualiser, et il en déduit qu’il existe une rationalité spécifique associée à l’écriture, un mode de pensée impliqué et rendu possible par l’écriture. L’idée sous-jacente est profonde mais simple. Si on considère l’écriture comme étant le moyen de consigner et d’enregistrer une information (les premières traces d’écriture retrouvées sont des inscriptions comptables pour le gestionnaire, ou lexicales pour le scribe qui s’entraîne ou qui enseigne), ou une parole (l’écriture permet d’enregistrer ce qui est dit), on comprend que l’écriture permet d’inscrire sur un support stable et pérenne une information sinon volatile et éphémère dans le temps de la parole (écriture du discours proféré), ou de la pensée (écriture du discours intérieur), ou de l’événement (écriture comptable). Ce faisant, elle offre au regard les éléments et les composants du discours ou de l’événement de manière simultanée et permanente : simultanée, car dans un écrit, tous les mots sont là ensemble, en même temps, exposés au regard ; permanente car, contrairement à la parole, tous les mots demeurent, indépendamment du regard que j’ai sur eux, alors que je ne peux écouter les mots dans un discours qu’au moment où ils sont proférés : à un moment donné, je n’ai plus accès à ce qui a été dit (sinon dans ma mémoire), et pas encore à ce qui va être dit. L’écriture permet de synthétiser (syn, « ensemble », thesis « poser », donc « poser ensemble ») les éléments du discours dispersés dans la succession temporelle de la parole, et cette synthèse offre un synopsis (syn, « ensemble », opsis « voir », donc « voir ensemble ») du discours où le regard de l’esprit peut se porter librement, sans la contrainte du flux temporel de la parole. En particulier, alors que je suis obligé d’écouter un discours dans l’ordre où il est dit, je peux le lire, une fois qu’il est écrit, dans un autre ordre que celui dans lequel il est consigné. Je peux le lire à l’envers, une ligne sur deux (le fameux poème polisson de George Sand à Alfred de Musset), et me concentrer sur certains mots, certaines parties plutôt que d’autres dans l’arbitraire de mon intérêt du moment. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 80 18/11/2014 10:00:50 Computation 81 Cette possibilité offerte par l’écriture de l’arbitraire du regard sur ce qui est écrit, en opposition à l’asservissement de l’écoute à ce qui est dit, entraîne une mutation profonde de notre rapport à la connaissance et au monde car on peut dès lors organiser différemment notre représentation du monde : puisque l’on peut s’intéresser à des mots arbitraires dans le discours écrit pour ne considérer qu’eux, plutôt que de suivre l’ordre du discours, on peut reprendre ces mots pour en produire un nouvel écrit, par exemple une liste, ou un tableau. À ce moment-là, ce qu’exprime l’écrit n’est plus un discours, mais une organisation nouvelle où la liste prescrit un ordre entre les items qu’elle comprend (selon qu’on la lise de haut en bas, de gauche à droite…, on sous-entend une hiérarchisation), et propose une catégorisation : le fait de réunir ces mots-là plutôt que d’autres dans une même liste suppose qu’ils appartiennent, implicitement ou explicitement, à une même catégorie. Par exemple, la liste de courses réunit les termes en fonction de mes besoins d’acquisition ; une liste de verbes irréguliers des exceptions à des règles de grammaire… Autrement dit, l’écriture permet d’inaugurer une rationalité où l’on catégorise le monde plutôt qu’on ne le raconte, où on le systématise plutôt qu’on ne le mythologise. De la raison computationnelle vers une nouvelle rationalité : diversité culturelle et cognitive La raison graphique inaugure donc une rationalité fondée sur des structures graphiques renvoyant à des structures conceptuelles et à des manières de penser. Nous connaissons aujourd’hui une évolution majeure dans la mesure où ces espaces graphiques ne sont plus seulement le fruit de notre action d’écriture, mais deviennent le résultat d’enregistrements automatiques et de transformations calculées par la machine. L’écriture devient calculée. En effet, l’écriture repose traditionnellement sur un acte de création où les symboles sont choisis et produits par un auteur, comme ce que je suis en train de réaliser en écrivant cette notice : je sélectionne sur mon clavier les symboles permettant à ma pensée de s’exprimer. Seul l’ordre du sens et de la pensée conditionne l’organisation des symboles écrits. Mais dans une écriture calculée, les symboles peuvent être tant produits que transformés automatiquement selon un ordre indépendant du sens et de la pensée. Depuis l’origine de l’écriture, on s’était aperçu que l’on pouvait opérer une transformation des traces, des inscriptions, et obtenir un résultat improbable et pourtant parfois Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 81 18/11/2014 10:00:50 82 Diversité culturelle à l’ère du numérique signifiant. Puisqu’elles sont matérielles, on peut donc les manipuler, selon des principes qui peuvent être arbitraires par rapport au sens de ces symboles et de leur assemblage (des singes peuvent taper à la machine). L’Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo) repose en partie sur ce constat et confronte en permanence l’ordre du sens permettant d’interpréter les constructions symboliques et l’ordre technique permettant de les produire et de les construire. Mais, avec le calcul, on passe à la limite, si l’on peut dire. C’est que l’ordre technique s’autonomise en procédures automatiques et calculatoires, qui peuvent s’appliquer de manière massive et autonome. L’écriture procède d’un ordre qui devient inintelligible car les règles de calcul sont souvent inconnues, et quand elles sont connues, leur complexité a pour conséquence qu’il devient difficile dès lors de comprendre pourquoi tel ou tel résultat en découle. L’écriture calculée rompt potentiellement l’alliance du sens et de la trace. Comment comprendre la portée de cette mutation ? Le calcul en luimême n’est pas ce qui importe, c’est ce sur quoi on l’applique. En effet, un calcul reste une abstraction tant qu’on ne l’effectue pas sur des entités. La raison computationnelle peut donc se comprendre comme l’évolution de la raison graphique sous le coup du calcul. La raison graphique se traduit par trois structures fondamentales : la liste, le tableau, la formule (au sens mathématique). Que deviennent ces structures quand on les mobilise via le calcul ? Considérons les deux premières. Une liste calculée, c’est tout simplement un programme. La liste devient une prescription permettant une exécution. Elle n’est plus seulement une catégorisation, mais elle s’opérationnalise. Le tableau, muni du calcul, devient un réseau et incarne désormais une figure de la rationalité : on pense en réseau, on manage en réseau, il existe une économie des réseaux, etc. Pourtant ce ne fut pas toujours le cas : dans l’âge classique, le réseau est le labyrinthe, la complexité dans laquelle on se perd. Le calcul permet de transformer le labyrinthe en réseau, de passer d’une figure de la complexité indépassable à une maîtrise par la distribution et la contribution du calcul. La computation modifie donc profondément nos outils d’enregistrement et de représentation. Elle opère sur deux dimensions complémentaires : la saisie du réel, en permettant d’enregistrer les événements du monde pour en faire des inscriptions calculables d’une part ; la représentation et l’objectivation du réel en permettant de transformer par le calcul ces enregistrements pour en faire des représentations du monde éventuellement inédites, d’autre part. De même que l’écriture permet de catégoriser, de construire des systèmes en permettant de réfléchir (dans les deux sens du terme : penser mais aussi renvoyer une image de quelque chose) le monde ou sur le monde, Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 82 18/11/2014 10:00:50 Computation 83 le calcul permet de proposer une rationalité nouvelle qui n’a pas encore son nom. Si, de fait, la pensée en réseau est certainement un artefact du calcul, il reste à dégager les autres potentialités ouvertes par la computation. C’est une nouvelle économie de la pensée qui s’inaugure à présent. Mais si on suit la métaphore économique, on constatera de la destruction créatrice : destruction, car le calcul aura pour conséquence de créer du non-sens, ou de vider de leur sens certaines opérations liées à l’écriture ; créatrice, car il rend possible des opérations dont la pensée reste à construire. Quelle plus belle promesse pourrions-nous imaginer ? Car il s’agit bien d’une promesse à tenir et d’une chance à saisir. Les calculs qui opèrent sur nos écritures sont effectués automatiquement, mais conçus par des esprits qui en tant que tels appartiennent à des traditions, s’inscrivent dans des projets, et recherchent du sens à travers ces calculs. L’écriture calculée n’est donc pas un monstre froid et anonyme : la neutralité matérielle de la machine et de son calcul, qui relève d’une nécessité démontrée formellement et mise en œuvre techniquement, procède néanmoins d’une histoire composée de choix, de compromis, d’objectifs déterminés parmi des possibles inventés par le faire technique et structuré par la nécessité logicomathématique. Il faut donc parler d’écritures calculées, et confronter la pluralité technique dans sa dimension culturelle à la diversité des interprétations qu’elle rend ouvertes et possibles. Termes liés : algorithme, auteur, connaissance, langues, littératie numérique, propriété intellectuelle, sérendipité Références Bruno Bachimont, Le Sens de la technique : le numérique et le calcul, Les Belles Lettres, 2010. Roger Chartier, Le Livre en révolutions, Paris, Textuel, 1997. Jack Goody, La Raison graphique, Minuit, 1979. Jack Goody, The Domestication of the Savage Mind, Cambridge, London, New York, Cambridge University Press, 1977. Bernard Stiegler, La Technique et le Temps, Galilée, 1994. Christian Vandendorpe, Du papyrus à l’hypertexte. Essai sur les mutations du texte et de la lecture, Paris, La Découverte, 1999. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 83 18/11/2014 10:00:50 84 Connaissance Joëlle Le Marec Il n’est sans doute pas de concept qui ne soit tout à la fois autant universel et aussi relié à une extrême diversité de phénomènes et de pratiques culturellement et historiquement différenciés que celui de « connaissance ». C’est d’ailleurs pourquoi nous éviterons ici le débat sur la distinction entre savoirs et connaissances, tant les débats contemporains portent sur des modes de problématisation et des usages par rapport auxquels cette différence importe assez peu. Nous tenterons par contre très brièvement de suggérer des relations entre connaissances (ou savoirs), représentations et données, en adoptant successivement un point de vue plutôt épistémologique, puis davantage socio-politique. Si l’on en reste à la manière dont ce concept est construit par nos sciences et dont il met à l’épreuve celles-ci, la connaissance renvoie à des partages très structurants entre les sciences de la nature, la conception de la scientificité, qui mettent à l’épreuve l’idée d’une unité des sciences. Du point de vue d’une épistémologie aujourd’hui dite « internaliste » (bien représentée par Gaston Bachelard), elle renvoie à une conception exclusive de la méthode scientifique comme activité de production de connaissances. Mais la connaissance renvoie également à une approche des savoirs qui a inspiré une évolution continue des sciences anthroposociales, et même suscité la naissance de disciplines dédiées à une compréhension du phénomène des savoirs sociaux, comme dans le cas de la psychologie sociale. Les représentations sociales (Moscovici, 1976) embrassent des formes de savoirs multiples qui ne sont pas définis par défaut comme étant non savants (ou sauvages, ou profanes), mais qui sont décrits et analysés dans leurs manifestations multiples à toutes les échelles de la vie sociale (communications sociales ordinaires, médiatiques, institutionnelles…). Il existe plus généralement un mode de production des savoirs au sein même des sciences sociales, caractérisé par l’abandon de l’illusion Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 84 18/11/2014 10:00:50 Connaissance 85 d’une coupure entre les savoirs scientifiques et la pensée sociale et par le choix de renoncer au principe idéal d’une autonomie de la connaissance par rapport aux enjeux des communications sociales (Passeron, 1991). En outre, la connaissance est également l’enjeu d’un débat scientifique et culturel de fond, entre les sciences cognitives ainsi qu’une partie de l’anthropologie qui postulent une universalité des rapports à la connaissance, déterminés in fine par la matérialité physique des processus mentaux (Sperber, 1996), voire par le fonctionnement cérébral, et une très large communauté des chercheurs qui postulent une irréductible complexité des phénomènes culturels et sociaux. Les études de sciences (notamment en sociologie, philosophie et histoire des sciences, sciences de l’information et de la communication) contribuent elles-mêmes à une transformation des points de vue sur les savoirs, avec des travaux qui convergent vers une contestation du monopole de la légitimité des savoirs académiques (y compris des savoirs sur la nature), une attention soutenue à toutes les formes de production des savoirs et de leurs usages sociaux (notamment les formes de l’expertise, le développement des sciences dites « citoyennes », la patrimonialisation des savoirs comme éléments fédérateurs des communautés culturelles, etc.) et, symétriquement, une attention portée à l’hétérogénéité des pratiques scientifiques et de leurs dimensions culturelles (Latour et Callon, 1991 ; Pestre, 2006). La reconnaissance en tant que connaissance légitime de savoirs et de savoir-faire indigènes ou locaux, d’une part, et la contestation d’un principe de rationalité pure dans les sciences professionnelles, d’autre part, concourt à faire du rapport aux savoirs le foyer d’une reconfiguration des rapports entre sciences et société, par la prise en compte de la complexité et du caractère vivant de ces rapports aux savoirs. On a donc, au plan épistémologique, d’un côté, un débat sur la spécificité des modes de production des connaissances sur la société et la culture et, de l’autre, un débat sur le monopole de la légitimité des savoirs académiques et la reconnaissance d’une pluralité des rapports aux savoirs dans des sociétés vivantes et complexes. Ces tendances constituent des ouvertures majeures pour la réflexion sur la connaissance, mais elles facilitent également une très forte concurrence des instances politiques et économiques qui ont le pouvoir d’inscrire et de transmettre des rapports à la connaissance qui servent leurs intérêts. En effet, nous pouvons également définir la connaissance non plus d’un point de vue épistémologique comme le résultat ou l’enjeu des sciences, mais comme un objet empirique qui peut être produit, conceptualisé ou utilisé par tout un chacun, et qui est actuellement au cœur d’une concurrence entre différents projets politiques et Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 85 18/11/2014 10:00:50 86 Diversité culturelle à l’ère du numérique économiques. Ce qu’on a appelé l’« économie de la connaissance » et qui a pris la suite du projet économico-politique d’une société de l’information est actuellement central dans la mondialisation d’un marché de la mise en relation, de la circulation et de la manipulation des données, d’une part, et de la conception et du management de dispositifs de création de représentations, d’autre part. L’informatique a pu ainsi tirer la connaissance vers les notions d’information ou de donnée, à la faveur d’un usage scientifique assez consensuel de la notion de donnée comme matériau exploitable par des méthodes rationalisées. Dans cette économie de la connaissance, les sciences sociales deviennent non plus des instances d’élaboration et d’expression critique de savoirs (et notamment des savoirs sur les modes de productions des savoirs), mais des disciplines productrices de représentations qui ont une valeur d’échange sur le marché, et productrices de procédures de management de la vie sociale qui sont également des produits et des services dans le champ de l’économie de la connaissance. Le droit a d’ailleurs fait son entrée dans la réflexion relative aux conditions de circulation et de transformations des savoirs et de la connaissance, notamment par les débats sur les usages des savoirs indigènes, associés au développement des recherches internationales dites « participatives », dans les domaines de la santé et de l’environnement. La réflexion actuelle sur les biens communs traite également de la propriété de connaissances à partir d’usages et de conceptions de la valeur non nécessairement marchands. Si l’on s’en tient à ces conceptions économico-politiques de la connaissance comme objets produits ou utilisés, en particulier des données ou des représentations, on se trouve également au cœur de vifs débats entre une qualification très normative de la connaissance sur des bases techniques (et épistémologiques), et un questionnement permanent sur le caractère culturellement extrêmement situé et vraiment réducteur de cette conception technique et normative de la connaissance. Celle-ci est promue par un marché de l’innovation en informatique et réseaux, soutenue par des opérateurs marchands internationaux et naturalisée par les acteurs sociaux et les instances politiques comme un état devenu « naturel » de l’évolution des sociétés. Les sciences sont d’ailleurs très largement incitées par les États et par l’Europe à se mettre au service de ce marché de l’innovation basé sur la production et la gestion de données et de représentations. Cependant, simultanément, la conscience croissante des risques d’installation de rapports de domination hégémoniques, l’analyse de la complexité des enjeux identitaires liés à la maîtrise des dispositifs Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 86 18/11/2014 10:00:50 Connaissance 87 d’écriture et de lecture, la revendication d’une ouverture des points de vue sur la société et son devenir, la conscience du caractère fondamentalement relatif des représentations culturelles et politiques des dynamiques sociales (Jeanneret, 2000), obligent à s’interroger sur la « naturalité » supposée d’une conception universalisante de la connaissance comme données ou comme représentations mondialement normées et supposées interchangeables. Termes liés : biens communs, computation, documentation, données personnelles, industries culturelles, littératies numériques, médiations numériques du patrimoine, patrimoine, pratiques, public/usagers Références Yves Jeanneret, Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? Lille, Presses du septentrion, 2000. Bruno Latour, Michel Callon (dirs.), La science telle qu’elle se fait. Anthologie de la sociologie des sciences de langue anglaise, Paris, La Découverte, 1991. Serge Moscovici, La Psychanalyse, son image et son public, Paris, Presses universitaires de France, 1976. Jean-Claude Passeron, Le Raisonnement sociologique. L’espace non poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991. Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, Paris, La Découverte, 2006. Dan Sperber, La Contagion des idées. Théorie naturaliste de la culture, Paris, Odile Jacob, 1996. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 87 18/11/2014 10:00:50 88 Connexion/Déconnexion Francis Jauréguiberry Rapporté aux technologies de la communication, le terme de « connexion » renvoie essentiellement à une problématique de l’accès. Être connecté signifie avant tout avoir accès à l’internet et à un réseau de télécommunications mobile. La mise en place des connexions ces vingt dernières années a été très rapide. Par exemple, en France, le taux d’équipement en téléphones portables est passé de 4 % en 1997 à 96 % dix ans plus tard, et le pourcentage des internautes parmi la population de plus de onze ans a bondi de 22 % en 2001 à 72 % en 2011. Au niveau mondial, le nombre d’internautes a doublé ces cinq dernières années, passant de 1,15 milliard en 2007 à 2,27 milliards en 2012. Mais cet accès a aussi été inégalitaire. Ainsi, tandis que les pays européens et le Japon ont un taux de pénétration de l’internet de plus de 80 % dans leurs populations, l’Inde atteint tout juste 10 %, et les pays d’Afrique subsaharienne moins de 5 %. La notion de fracture numérique, telle qu’elle est exposée dans les années 1990, désigne cette inégalité et renvoie donc exclusivement à un problème d’accessibilité technique. Les info-riches sont ceux qui bénéficient de l’accès matériel aux réseaux et terminaux adéquats, et les info-pauvres sont ceux qui en sont privés. Des statistiques sont régulièrement établies et montrent toutes que plus on se situe dans un pays ou une région pauvre et dans une catégorie socio-professionnelle basse, et moins on a de chance d’être connecté. Ce constat, doublé d’une opinion très majoritairement positive sur les effets des technologies de la communication (synonymes d’échange d’informations, d’ouverture culturelle, de partage d’expériences, de constructions collaboratives et de multiplication de débats pour l’internet, et d’immédiateté, de simultanéité et de quasi-ubiquité pour le téléphone portable), a réduit la non-connexion à n’être que déficience, manque ou retard contre lesquels il s’agit de se mobiliser. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 88 18/11/2014 10:00:50 Connexion/Déconnexion 89 Non-connexion La lutte contre cette inégalité s’est muée en enjeu des politiques d’aménagement territorial. Une pleine intégration tant économique que sociale et culturelle nécessite l’innervation la plus fine possible des territoires par les réseaux les plus performants possibles. Selon cette perspective, la non-connexion est subie et renvoie à une inégalité en termes d’accès. Notons au passage que, dans cette course à la connexion, le local et ses particularismes sont souvent présentés comme synonymes d’enfermement culturel et d’incapacité à s’ouvrir à la connaissance universelle, tandis que le global est d’entrée pensé en termes d’ouverture et de savoir partagé. Ce qui est évidemment loin d’être le cas, l’un n’excluant pas l’autre, et qui pose la question de la place des cultures minoritaires et des langues les moins répandues sur l’internet. À cette approche globale des non-connexions pensées à partir d’une problématique de l’accès et comme une fracture à résorber, va s’ajouter dès le début des années 2000 une catégorisation beaucoup plus fine et segmentée en termes de disparités d’attentes et d’inégalités d’usages à partir d’observations de conduites de non-connexion dans lesquelles l’aspect économique n’intervient que marginalement. Quatre raisons sont alors avancées pour expliquer ces non-connexions : la technophobie (crainte irrépressible d’une absorption de soi par l’ordinateur, peur des effets néfastes des ondes des portables, aversion générale pour les technologies) ; le refus idéologique (essentiellement autour des thèmes de la réification du monde, de sa mécanisation et de sa progressive déshumanisation) ; le statu quo (les pertes perçues, craintes ou imaginées sont mesurées à l’aune des bénéfices attendus et le constat porte au statu quo, donc à la non-connexion) ; le déficit en termes de dispositions culturelles ou cognitives. Cette dernière opère une distinction entre, d’un côté, ceux qui possèdent les capacités cognitives et le capital culturel leur permettant de chercher une information adéquate en fonction de leurs besoins et de leurs attentes, de la traiter, de lui donner du sens et de la hiérarchiser selon un système de valeurs, et, de l’autre côté, ceux qui n’ont pas les moyens d’y parvenir ni donc d’en tirer de réels avantages. Mais il existe aussi une forme particulière de non-connexion qui semble se développer au fur et à mesure que l’idéal de la société de l’information (tout le monde constamment connecté) semble plus proche : la déconnexion. Rarement totale (abandon définitif de la technologie), la déconnexion est plutôt segmentée (dans certaines situations et à certaines heures) et partielle (seuls certains usages sont suspendus). Elle est portée par des personnes qui ne sont ni en difficulté économique (au contraire, elles appartiennent en majorité aux Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 89 18/11/2014 10:00:50 90 Diversité culturelle à l’ère du numérique couches moyennes et supérieures), ni culturellement marginalisées (elles ont toutes un diplôme, un emploi et mènent plusieurs activités sportives ou culturelles), ni en déficit cognitif face aux technologies (elles les manipulent depuis des mois ou des années). Il est donc hors de question de les classer, selon une logique diffusionniste, parmi les retardataires. Pas plus que parmi ceux qui, vivant ruptures ou changement dans leur vie, en viennent à abandonner l’usage de ces technologies. Au contraire, il s’agit la plupart du temps de personnes parfaitement intégrées, très connectées et sachant parfaitement utiliser ces technologies. Bien plus : ce sont souvent de gros usagers utilisant depuis longtemps ces technologies qui en viennent à adopter des conduites de déconnexion. Déconnexion Parler de déconnexion conduit à un renversement total de la perspective des premières études qui portaient sur la fracture numérique (sans pour cela remettre en cause leur pertinence) : le non-usage renvoie ici non plus à un déficit d’équipements, mais à une saturation de sollicitations informationnelles rendue possible précisément par ces équipements. On passe d’une problématique de l’accès à celle de l’excès. Il ne s’agit plus d’aborder les déconnectés comme ceux qui restent à la traîne ou en dehors de l’innervation télécommunicationnelle du monde par manque de moyens économiques, de capital culturel ou de capacités cognitives, mais comme ceux qui, parfaitement équipés et pleinement connectés, subissent les excès de cette mise en connexion généralisée et décident volontairement d’en limiter les effets négatifs par des formes de non-usages. Les premières recherches menées selon ce renversement de problématique montrent qu’il s’agit d’un phénomène minoritaire, individuel et presque toujours partiel. Il ne conduit qu’exceptionnellement à un rejet total des technologies de communication. Il s’agit plutôt de pauses, de parenthèses silencieuses, de disparitions éphémères, de prises de distance. Certes, les cas de burn out liés à des situations catastrophiques de saturation télécommunicationnelle se multiplient : expérimentant avec chaque fois plus de difficulté l’écart entre les sollicitations dont il est l’objet par l’intermédiaire des technologies de communication et les ressources (en particulier temporelles et organisationnelles) dont il dispose pour y répondre, l’individu en surchauffe informationnelle peut en venir à « craquer ». Le rejet des technologies de communication devient alors partie intégrante de cette attitude de défense ultime qui permet à l’individu de survivre Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 90 18/11/2014 10:00:50 Connexion/Déconnexion 91 quand il ne peut plus lutter. Mais ces cas sont rares et relèvent moins d’une déconnexion volontaire visant à maîtriser des flux communicationnels que d’une déconnexion mécanique visant à ne pas se laisser emporter par un afflux ingérable. À l’image d’un disjoncteur qui saute lorsque l’intensité électrique devient trop importante, la déconnexion est ici purement réactive. Les conduites de déconnexion volontaires se situent toutes en deçà de telles réactions extrêmes. Elles visent précisément à éviter de rentrer dans la zone rouge du « syndrome d’épuisement professionnel » (burn out) et de subir des situations de surcharge informationnelle insupportables. Face à un nombre de courriels ou de textos manifestement trop important pour être raisonnablement géré, à un nombre d’appels téléphoniques trop fréquents pour ne pas être perturbateurs, à la dimension trop chronophage de l’entretien des réseaux sociaux sur l’internet, des tactiques de réajustement visant à reprendre la main dans la gestion de son temps et de ses occupations apparaissent. Il s’agit par exemple de mettre sur « off » son téléphone portable dans certaines circonstances ou plages horaires, de déconnecter son logiciel de courrier électronique en choisissant de ne l’interroger que de façon sporadique, d’accepter de ne pas être constamment branché sur ses réseaux sociaux, ou de refuser d’être géolocalisable où que l’on soit. Ces pratiques ne sont pas synonymes d’une déconnexion totale ni d’un rejet global des technologies de communication, loin de là, mais d’une déconnexion partielle gage de leur maîtrise et de leur usage raisonné. La déconnexion dont il est question ici renvoie à la défense d’un temps à soi dans un contexte de mise en synchronie généralisée, à la préservation de ses propres rythmes dans un monde poussant à l’accélération, au droit de ne pas être dérangé dans l’environnement télécommunicationnel intrusif et à la volonté d’être « tout à ce que l’on fait » dans un entourage portant au zapping et à la dispersion. L’attente, l’isolement et le silence, longtemps combattus, car synonymes de pauvreté, d’enfermement ou de solitude, réapparaissent dans ce cadre non plus comme subi, mais choisi. Microdéconnexion, déconnexion partielle, déconnexion choisie, il s’agit toujours de décisions volontaires visant à réintroduire l’épaisseur du temps de la maturation, de l’introspection, de la réflexion ou de la méditation là où le heurt de l’immédiat et de l’urgence oblige à réagir trop souvent sous le mode de l’impulsion. L’idéal recherché n’est pas de se couper des flux télécommunicationnels mais de parvenir à leur maîtrise, c’est-à-dire à les utiliser sans en devenir l’esclave. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 91 18/11/2014 10:00:50 92 Diversité culturelle à l’ère du numérique Termes liés : agrégation, augmentation, fracture numérique, langues, médias, public/usagers, territoires Références Francis Jauréguiberry et Serge Proulx, Usages et Enjeux des technologies de communication, Toulouse, Érès, 2011. Francis Jauréguiberry, « L’exposition de soi sur internet : un souci d’être au-delà du paraître », in Les Tyrannies de la visibilité (éds. N. Aubert et C. Haroche), Toulouse, Érès, 2011, pp. 131-144. Francis Jauréguiberry, « Pratiques soutenables des technologies de communication », International Journal of Projectics, no 6, 2010, pp. 107-120. Francis Jauréguiberry, « De l’usage des technologies de l’information et de la communication comme apprentissage créatif », Éducation et Société, no 22, 2008, pp. 29-42 Francis Jauréguiberry, « La déconnexion aux technologies de la communication », Réseaux, no 186, 2014, pp. 17- 49. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 92 18/11/2014 10:00:50 93 Curation Chloé Girard Le terme de « curation » a fait son apparition, et même le buzz, en 2010. Il s’agit d’un terme directement issu du web participatif, né dans les années 2000, dans lequel l’internaute n’est plus seulement un visiteur, mais devient un acteur : il ouvre des blogs, poste des commentaires, appartient à des réseaux sociaux, publie en ligne et répond à des questions sur des forums. Les outils de publication en ligne, quel que soit le type de publication, article, site, commentaire, texte, vidéo, image…, sont accessibles à chacun sans ou à peu de frais. La barrière économique à l’entrée en édition, en création et en publication de contenus tombe. La quantité de contenus en ligne croît de façon exponentielle. Il devient donc nécessaire de sélectionner l’information pertinente non plus en amont, comme le font les éditeurs traditionnels qui doivent assumer les coûts de la chaîne de l’imprimé, mais en aval. C’est un changement radical dans l’économie du document et, par conséquent, dans les métiers de l’information. La « revue de presse » est devenue la « veille numérique », avec l’assistance de moteurs de recherche de plus en plus performants et raffinés. Une fois le tri et la localisation assurés, encore a-t-il fallu administrer le classement de ces références et leur suivi, car l’information en ligne augmente et s’actualise régulièrement. Le bookmark, vite dépassé, a laissé la place à des outils d’agrégation de sources, de syndication. Le plus connu d’entre eux, et longtemps regretté, fut Google Reader. Ce type d’outil permet d’afficher et de classer les flux RSS de nombreux sites. Un flux RSS est un fichier contenant certaines informations sur un document, en général son titre, un résumé et le lien vers le document lui-même. Le flux RSS d’un blog contient ainsi les informations sur chaque nouveau billet, et il n’est pas nécessaire d’aller chaque jour sur tel ou tel blog pour être informé de ce qui a été publié. Des sources nombreuses et éparses sont ainsi réunies dans un seul et même outil, un seul et même lieu. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 93 18/11/2014 10:00:50 94 Diversité culturelle à l’ère du numérique Ces outils présentent cependant peu de filtres. On s’abonne à un flux et l’ensemble des informations contenues est affiché. Au besoin de localisation et de centralisation des sources s’est donc rapidement ajouté le besoin de différencier les sources en termes de qualité. En 2007 et 2011, Google implémente PageRank, puis Panda, deux algorithmes de classement des sources basés sur leur popularité. Une source vers laquelle plus de liens pointent, une page davantage visitée, une page liée elle-même à d’autres pages populaires, est alors mieux classée qu’une page confidentielle et sort parmi les premiers résultats de recherche. La recommandation, alors encore passive, devient, ou redevient, le maître mot de la visibilité d’un contenu. Citation, viralité et signaux forts Avec l’émergence presque simultanée des outils de réseaux sociaux, de micro-blogging, la recommandation devient entre-temps active (avec le fameux like) et virale, presque compulsive. Il est aujourd’hui difficile de trouver un site ne proposant pas de partager son appréciation avec l’ensemble de son réseau. Chaque membre dudit réseau ayant lui-même son propre réseau, etc. Et, sur un même site, le choix d’un client devient immédiatement l’objet d’un lien vers des produits « similaires » ou vers un autre produit ayant intéressé les autres clients, proche de ce que vous avez vous-même acheté. Si l’on ajoute à cela que la grande majorité des internautes ne dépasse pas les premières pages de résultats dans Google, on comprend alors le mécanisme d’amplification de signaux déjà visibles que cela entraîne. Ce nouvel amalgame d’outils et de comportements favorise le buzz, cette « information qui fait du bruit » mais qui crée aussi du bruit, au sens de signal empêchant de distinguer une donnée plus ténue. En 2010, lors de l’explosion du terme « curator » (qui pratique la curation), le paysage de l’accès à l’information en ligne est donc celui-ci : recommandation systématique et virale, « mesure de la popularité des pages web » (page ranking), et amplification des signaux forts, difficulté à repérer les signaux faibles, c’est-à-dire les informations riches mais moins bien référencées. Le rôle du curateur Le curateur est justement l’expert qui va agréger et présenter les sources propres à son domaine indépendamment de la force du Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 94 18/11/2014 10:00:51 Curation 95 signal. Il sait contrebalancer le bruit généré par les « outils froids » du réseau, algorithmes et autres automatismes, et y apporter sa propre évaluation. Le curateur va évaluer, sélectionner, organiser et exposer des informations. À ce titre, il est comparable au conservateur de musée (« curator » en anglais), dont le rôle est également l’évaluation, la sélection, l’achat, la conservation et la mise à disposition, l’exposition, d’un patrimoine artistique. Le curateur numérique a pour vocation d’être un conservateur du numérique dans son domaine. Comme le conservateur de musée, il n’a pas vocation à tout conserver mais au contraire à sélectionner finement, à exhumer les signaux faibles et néanmoins fondamentaux dans son domaine d’expertise. La curation consiste bien sûr d’abord en un travail de veille, de dégrossissage, exploitant les outils classiques de flux RSS et de réseau. Elle se poursuit avec des outils dits « chauds », qui lui permettent de sortir de l’automatisation et du traitement de lots. Scoop.it permet par exemple de sélectionner des pages unitaires au cours de la navigation et de les rassembler en un même lieu. Pearltrees offre d’organiser l’information en suivant un modèle de « cartographie mentale » (mind mapping), donc une logique, une sémantique qui dépassent largement la classification chronologique des blogs ou le « marquage » (tagging) rudimentaire distinguant des rubriques thématiques. Le curateur crée du sens en organisant les données. Le curateur construit une information, gère des connaissances, édite et partage un contenu expert et limité à un domaine précis. Il contrebalance l’infobésité du web par un filtrage technique et humain. Dans une économie de l’abondance, le curateur crée du rare. À tel point que de nombreux commerciaux s’en emparent pour se démarquer en tant que « spécialistes » et positionner leur entreprise comme telle. Les mots-clefs de la curation sont donc finalement ceux de tri, d’organisation et de spécialisation. Un curateur n’est pas un généraliste, il se concentre sur un sujet et agrège l’information fine autour de ce sujet. Qu’en est-il de la curation quant à la diversité culturelle ? La curation trouve une part de sa signification dans la mise en lumière de signaux faibles. Elle offre en cela un atout pour une plus grande diversité culturelle. Mais comment trouvons-nous le site d’un curateur sur un sujet donné ? Cela demande inexorablement Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 95 18/11/2014 10:00:51 96 Diversité culturelle à l’ère du numérique le passage par un moteur de recherche en ligne et à nouveau une classification dépendante de la recommandation. Scoop.it suggère des sources à partir de moteurs de recherche et de recommandation. Un curateur, aussi expert soit-il, ne sera pas visible uniquement de par sa qualité, laquelle n’a pas d’existence intrinsèque. Que cela soit dans l’économie numérique ou dans l’économie papier, l’impact d’une source fait loi, fait sa qualité. Aussi discutable ce mécanisme soit-il, une source tire son autorité du nombre de citations qu’elle reçoit. Michel Foucault écrivait en 1970 que le commentaire donne son existence au « texte premier ». Sans commentaire, sans citation, un texte, un site n’existent pas. Il en est toujours ainsi aujourd’hui. C’est donc en définitive toujours à l’internaute, au chercheur, de se donner le mal de dépasser cette limite afin de dénicher lui-même le curateur ou la source peu visible qui l’intéressera. Comme l’écrivait déjà en 1996 Ignacio Ramonet dans un éditorial du Monde diplomatique, « S’informer fatigue ». La question à l’époque était celle du travail long du journaliste et de l’investissement du lecteur. Quand tous les médias semblent emportés par la vitesse, l’accélération, la fascination de l’instantanéité, du « temps réel », nous disons que l’important c’est de ralentir, de freiner, de se donner le temps d’analyser, de douter, de réfléchir. Cette réflexion semble correspondre à celle du curateur numérique d’aujourd’hui et de son lecteur qui doit lui-même s’investir dans sa recherche au-delà des premières pages de résultats. Termes liés : agrégation, algorithme, documentation, édition, journalisme, médias, patrimoine, sérendipité, temporalité Références Michel Foucault, L’Ordre du discours, leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 2 décembre 1970, Paris, Éditions Gallimard, 1973. Ignacio Ramonet, « S’informer fatigue », Le Monde diplomatique, février 1996 ; lire en ligne http://www.monde-diplomatique.fr/1996/02/RAMONET/2393. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 96 18/11/2014 10:00:51 97 Design Nicole Pignier Si le design est né avec l’industrie au xixe siècle pour fonder un processus créatif apte à assurer la cohérence entre les impératifs techniques de fabrication, la structure interne de l’objet, sa valeur d’utilisation et son aspect (Guidot, 2005), le design numérique est né avec l’industrie numérique. Ce dernier consiste en « l’application du processus du design sur les objets connectés issus des technologies de l’information et de la communication. Ces nouveaux objets […] sont une hybridation de produit, de service, de réseau et de personne » (Fréchin, 2006). Le design numérique concerne ainsi les usages, les services liés aux objets matériels connectés et aux objets logiciels de la vie quotidienne. Une pluralité d’approches Une réelle pluralité conceptuelle caractérise cette discipline. Tandis que certains designers numériques conçoivent le processus créatif comme relevant du design interactif, d’autres le pensent comme relevant du design d’interaction ou encore du design d’expérience, … Orienté vers le design interactif, le processus créatif met l’accent sur la manière de « dialoguer » avec la machine pour entrer des commandes et attendre la réponse du système logiciel, matériel, via une interface la plupart du temps graphique ou tangible. Quand il s’axe vers le design d’interaction initié par Bill Moggridge dans les années 1980, le processus de design numérique pense la relation de l’usager à la machine comme une relation sensible, fondée sur des actions réciproques entre deux ou plusieurs acteurs et pas seulement utilitaire ou juste orientée vers l’encodage-décodage des données. Objectivement, les deux acteurs en interaction ne se situent pas au même niveau, l’un est programmé, l’autre pas. Cependant, le Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 97 18/11/2014 10:00:51 98 Diversité culturelle à l’ère du numérique design fait oublier parfois que cette relation est dissymétrique, l’usager se représentant alors l’objet numérique comme un alter ego qui réagit à ses sollicitations et l’invite à le solliciter, dans une interaction sensible. Le champ du design numérique fait ainsi appel non seulement aux disciplines qui permettent d’améliorer la compréhension des interfaces hommes/machines, de concevoir des systèmes efficaces comme l’ergonomie, les sciences cognitives, mais aussi aux disciplines qui permettent d’appréhender le sens, les sens de la relation de l’usager à l’objet et/ou au service, telles que la sémiotique, la philosophie, la psychologie, l’anthropologie, la sociologie. La question de la finalité Au-delà de la diversité des approches du design numérique, un socle fondateur subsiste : le design appliqué aux objets connectés réunit toujours un dessin et/ou des desseins. Le nom « design », emprunté au substantif anglais design, lui-même issu du verbe latin designare, signifie à la fois dessiner, c’est-à-dire représenter un objet de manière graphique, dessinée, et avoir un dessein, c’est-à-dire mûrir un projet, une position éthique. Le dessin comprend la conception des formes, des couleurs, des tailles mais aussi des fonctionnalités, de la performance, le choix d’un système technologique, le choix de matériaux plus ou moins écologiques. Le dessein qui sous-tend le dessin comprend quant à lui les objectifs attribués à l’objet, aux services numériques tels que pouvoir communiquer, s’informer et informer, apprendre à lire, à jouer mais aussi les finalités. Par exemple, l’idéologie technique donnant lieu à une éthique normative, dominante, la finalité de l’usage d’un robot dans le cadre du maintien des personnes âgées à domicile peut être de favoriser le mieux-vivre, le bien-être des personnes âgées, en les rendant autonomes matériellement avec un robot qui va traiter leur courrier, leur lire le journal en remplacement des aidants. La finalité des objets et des supports numériques à destination des enfants peut être de favoriser le mieux-vivre, le bien-être des enfants et de l’environnement collectif en les rendant autonomes avec un objet qui va lire les textes, en proposer une représentation animée sans présence d’adultes et en remplacement des supports traditionnels. Le dessein, à savoir la finalité des objets et des services numériques, mérite d’être davantage questionné par les politiques, les chercheurs, qu’il ne l’est actuellement, dans la mesure où l’on tend mondialement, sous la diversité des objectifs, à une unicité des desseins, favorisée par Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 98 18/11/2014 10:00:51 Design 99 l’idéologie technique qui laisse croire que les machines numériques résolvent possiblement tous les maux de l’humanité, travaillant à notre mieux-être collectif. Leurs conceptions permettraient de tirer l’humanité vers le haut en trouvant des solutions au maintien des personnes âgées à domicile, aux apprentissages des enfants, aux problèmes environnementaux, … Ces thèses, répandues dans toutes les couches des sociétés, se retrouvent d’ailleurs dans l’ouvrage philosophique de Jean-Michel Besnier, Demain, les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ? La diversité d’être au monde peut-elle se résoudre à l’être au monde numérique ? Globalement, la transformation de l’adjectif « numérique » en substantif « le numérique » ainsi que la généralisation abusive et erronée de la qualification « intelligent » ou « smart » attribuée aux objets numériques – aptes à ne faire que ce pour quoi ils ont été programmés – sont l’expression d’une finalité imposée par l’industrie numérique dans laquelle se coulent nombre de designers, chercheurs, médias, politiques et usagers. Et en réalité, dans des régions défavorisées du monde, certains enfants et adultes n’ont pas suffisamment de compétences linguistiques pour pouvoir décider, participer activement à la vie en société, mais ils ont un téléphone mobile. Tout le monde peut-il se satisfaire de cette illusion que les objets numériques vont apporter aux usagers connectés un mieux-vivre dans la mesure où les contenus vocaux, par exemple, avec le principe de géolocalisation, peuvent guider, dicter les actions de chacun, à tout moment ? La question du dessein, de la finalité du design et de l’usage, dépasse largement celle de l’objectif. Pour préserver la diversité des manières de vivre la culture, d’être aux autres, on ne peut qu’inviter l’ensemble des acteurs politiques, médiatiques et universitaires, à écouter, à appréhender les différentes conceptions que les usagers peuvent avoir du mieux-vivre, du bien-vivre en société, dans leur société. Bien au-delà d’une question de générations, l’aspiration à une société favorisant la diversité des techniques et des supports traditionnels et numériques au lieu d’une société favorisant le règne des techniques et des supports numériques est pourtant réelle et mérite débat car elle exprime la diversité d’être au monde qui ne se résout absolument pas à l’être au monde numérique (Pignier, 2013). Ainsi, des objets numériques pour le maintien des personnes âgées à domicile peuvent à dessein ne pas avoir de fonctions trop sophistiquées Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 99 18/11/2014 10:00:51 100 Diversité culturelle à l’ère du numérique comme la capacité à lire les émotions sur le visage de la personne ou à converser avec elle. Cela afin de ne pas se substituer à la présence humaine en face-à-face direct. Doit-on soutenir ce dessein fondé sur la non-substitution à l’humain de robots, ou l’évincer au profit de celui qui dispense l’usager de relations humaines immédiates ? Dans le cadre de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, certaines applications numériques à utiliser en classe pour créer un album peuvent favoriser la diversité des approches scripturales et éditoriales, l’objectif n’étant pas de tout réaliser sur l’ordinateur – illustrations vectorielles, écriture au clavier – mais de se servir de l’application comme d’un intégrateur d’écriture manuscrite, d’illustrations à la peinture, au crayon… Doit-on soutenir le dessein de la diversité des techniques et des supports, créatrice de la culture, ou l’évincer au profit du « passage », de la « conversion » aux technologies numériques pour faire de la culture une organisation essentiellement numérique ? Les organisations politiques, quel que soit leur niveau, au lieu de suivre le dessein dominant de la conversion au « numérique », n’auraient-elles pas intérêt, pour favoriser la diversité culturelle dans tous les domaines, y compris au sein du design numérique, à questionner les limites du processus technologique et religieux d’une conversion aveuglante, comme le rappelle Milad Douehi (2008) ? Termes liés : ergonomie des interfaces, art et science, littératie numérique, public/usagers Références Jean-Michel Besnier, Demain, les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ?, Paris, Hachette Littératures, coll. « Haute Tension », 2009. Milad Douehi, La Grande Conversion numérique, Paris, Seuil, 2008. Jean-Louis Fréchin, www.nodesign.net/blog/index.php/2006/11/14/25-le-designnumerique, 2006 (dernière consultation le 1er juin 2014). Raymond Guidot, Histoire du design de 1940 à nos jours, Paris, Hazan Éditions, 2004. Nicole Pignier, « De la vie des textes aux formes et forces de vie. Texte, sens et communication, entre esthésie et éthique », ouvrage préparé sous la direction de Jean-Jacques Boutaud et présenté en vue de l’obtention de l’habilitation à diriger des recherches, Université de Bourgogne, Nouveaux Actes sémiotiques, Presses universitaires de Limoges ; lire en ligne http://epublications.unilim.fr/revues/as/4786, dernière consultation le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 100 18/11/2014 10:00:51 101 Diaspora Isabelle Rigoni Les diasporas ont investi l’internet depuis déjà trois décennies. Les premiers médias numériques diasporiques recensés apparaissent en 1984 au Royaume-Uni, en 1986 en Allemagne et en 1987 en France (Rigoni, 2010), à un moment où l’utilisation de l’internet est encore confidentielle et où très peu de foyers sont équipés d’un ordinateur et abonnés à un fournisseur d’accès. Il faut toutefois attendre quelques années pour que les usages se généralisent, se diversifient et s’intensifient. À partir du début des années 1990, la démocratisation de l’accès aux technologies numériques, puis la popularité de l’« internet social » (blogs, wikis, sites de réseaux sociaux) ont un impact considérable sur les pratiques informationnelles et communicationnelles individuelles comme collectives. Plus que d’autres catégories de population, les diasporas ont rapidement mis à profit les potentialités numériques à la fois pour obtenir de l’information sur le pays d’origine, faire circuler de l’information sur les pays d’accueil, faire entendre leurs voix auprès des instances locales, nationales et supranationales, consolider les liens entre les diasporés. Dès lors, les enjeux politiques (en termes de reconnaissance), économiques (investissements financiers) et sociaux (affirmation du sentiment identitaire) des usages diasporiques du numérique n’ont cessé de croître. Les deux âges des médias numériques diasporiques Lors de la décennie 1990, les cafés internet permettent d’abord la mise en lien, puis la mise en réseau des diasporés en leur procurant la possibilité de dialoguer à moindre coût et en visioconférence avec leurs proches par-delà les frontières. Ces pratiques sont alors avant tout individuelles et répondent au besoin de maintenir le contact Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 101 18/11/2014 10:00:51 102 Diversité culturelle à l’ère du numérique entre les membres de familles géographiquement éclatées entre un lieu d’origine et un ou plusieurs lieux d’installation. Le second âge des pratiques numériques diasporiques commence au début des années 2000, avec le passage du Web 1.0 au Web 2.0, interactif et participatif. Plusieurs centaines de sites reprenant les catégories des médias traditionnels (presse, radio et télévision), ainsi que des blogs, sont créés par les diasporés, favorisant la communication intradiasporique mais aussi interculturelle. Ce second âge correspond également au moment où le taux d’équipement et le taux d’utilisation d’internet augmentent dans les foyers occidentaux et où, peu à peu, la connexion en haut débit devient la norme. Les diasporas figurent parmi les premiers bénéficiaires de cet outil technologique qui abolit les distances et accélère le flux des échanges informels. La construction et la maintenance de réseaux de contacts de diverses natures (familiaux, amicaux, intimes, inconnus…) se complexifient à mesure de l’utilisation de plus en plus intensive des applications du Web 2.0. Dès lors, les usages ne relèvent plus seulement de l’ordre de la sphère privée. L’internet devient un outil au moyen duquel les réseaux associatifs, politiques et religieux se développent ; les mobilisations se globalisent et les médias des diasporas prennent un nouvel essor. Enjeux académiques et juridiques Les sciences sociales décrivent la « présence connectée » entre les membres géographiquement dispersés d’une même famille (Licoppe, 2002), analysent la figure du « migrant connecté » (Diminescu, 2007), ou du « nomade connecté » (Proulx, 2008). De riches études sociologiques montrent que nous assistons à l’émergence de nouvelles formes du vivre ensemble en même temps qu’à de nouvelles formes de représentations identitaires (Rigoni et al., 2012 ; Guedes Bailey et al., 2007 ; Georgiou, 2006). L’internet devient pour les diasporas tant un moyen de représentation communautaire qu’un mode d’intervention dans le débat public. Toutefois, les débats sont parfois vifs autour des enjeux et des pratiques numériques diasporiques. Une partie de la communauté scientifique dénonce le développement de « communautés virtuelles » comme une réponse au déclin des formes traditionnelles de sociabilité, dont les diasporas seraient victimes au même titre que d’autres catégories de la population. D’autres s’insurgent au contraire contre l’utilisation du mythe de la communauté virtuelle par des fournisseurs d’accès commerciaux de type AOL, sur lequel est bâtie une partie de leur stratégie commerciale. D’aucuns évoquent en outre le danger potentiel des TIC qui Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 102 18/11/2014 10:00:51 Diaspora 103 conduiraient leurs utilisateurs à adopter des usages béats ou propices à la confusion entre le réel et le virtuel. D’un point de vue plus pragmatique, les politiques et les juristes qui se sont emparés de cette question au niveau supranational semblent plus conciliants. Nombre d’entre eux ont profité de la voie tracée par l’UNESCO avec la Déclaration sur la diversité culturelle de 2001, puis la Convention sur la protection et la promotion des expressions culturelles de 2005, pour faire avancer le débat relatif à la promotion de la diversité culturelle grâce aux TIC. Les textes accordent une place de plus en plus centrale aux nouvelles technologies, dont il est considéré que le potentiel peut être exploité pour faire progresser l’objectif de la diversité culturelle en matière de communication médiatique. Certaines dispositions de la convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales (CPMN) – qui reconnaît le lien entre le droit d’exercer des droits culturels, le pluralisme social et la diversité culturelle – soulignent l’importance du rôle des médias, en particulier numériques, dans le maintien du lien entre les objectifs de promotion de la tolérance, de la bonne entente et de la diversité culturelle. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a également adopté un ensemble de mesures définissant des normes dans ce domaine. La déclaration du Comité des ministres du 7 mai 1999 relative à une politique européenne pour les nouvelles technologies de l’information détaille le potentiel spécifique des TIC en vue de stimuler la diversité culturelle. Depuis lors, la promotion de la diversité culturelle par les médias (notamment numériques) apparaît régulièrement à l’ordre du jour des conférences ministérielles européennes sur la politique des communications de masse. En 2007, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe adopte une recommandation (CM/Rec (2007) 16) sur des mesures visant à promouvoir la valeur de service public de l’internet, entre autres « en promouvant la cohésion sociale, le respect de la diversité culturelle et la confiance » dans l’utilisation de l’internet et des TIC. Plus globalement, la promotion de la diversité culturelle par les médias a été élevée au rang de priorité lors de la conférence ministérielle du Conseil de l’Europe de 2008, dont la résolution no 2 s’intitule Diversité culturelle et pluralisme des médias à l’heure de la mondialisation. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a elle aussi adopté des textes traitant de ces questions. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 103 18/11/2014 10:00:51 104 Diversité culturelle à l’ère du numérique Le numérique, un facteur d’opportunité plus que de contrainte En dépit des espoirs misés par certains acteurs politiques et économiques sur les usages du numérique par les diasporas en faveur de la promotion de la diversité culturelle, des acteurs issus des milieux académique et associatif alertent au contraire sur les risques d’uniformisation et de négation des différences culturelles (déclin du multilinguisme, prédominance du tout-anglais et des valeurs occidentales). Des universitaires travaillant sur des populations dont des langues sont minoritaires, des travailleurs sociaux intervenant auprès de migrants, tout comme certains diasporés eux-mêmes réclament que les outils informatiques favorisent plus efficacement l’accès au savoir et à la mémoire, et pas seulement à l’échange. Si la vigilance doit être de mise, il est toutefois difficile de nier que la mutation de l’internet, devenu une plateforme communicationnelle et non plus spécifiquement informationnelle comme à ses débuts, facilite la création, la mise en lien et la redistribution des ressources, des productions et des opinions des internautes. Les diasporas profitent de ces nouvelles opportunités leur permettant de réaffirmer les liens communautaires, facilités notamment par l’utilisation de la langue et le souvenir de la culture d’origine. Si l’on comptabilise une forte proportion de créations nettes, le passage au numérique relève parfois d’une stratégie de survie de la part de médias diasporiques historiques dont l’audience ne cessait de décliner, à l’instar de certains titres de la presse écrite arménienne en France dont la mise en ligne (bilingue) a été salutaire. Grâce aux changements technologiques, les médias numériques permettent aux publics d’être des récepteurs en même temps que des producteurs d’information. Chaque « cyber-diasporé » a désormais la possibilité d’apporter sa pierre à l’édifice mémoriel, de nourrir les discussions et d’alimenter les mobilisations. Le régime de télécommunication permanente entre membres d’une même communauté imaginée vient redoubler et renforcer les liens primaires (familiaux, claniques, régionaux, politiques, religieux…) existants, tout en attribuant aux membres de collectifs géographiquement éclatés un rôle majeur en matière de redéfinition identitaire. À travers l’usage des TIC et en particulier du Web 2.0, les diasporés échangent des informations, des images, des émotions. Par là, ils construisent ensemble des connaissances et des représentations communes permettant de nourrir leur imaginaire communautaire, participent à la (re-) naissance d’une conscience collective ainsi qu’à l’entretien d’une mémoire collective. Les pratiques diasporiques numériques peuvent ainsi garantir la diversité culturelle… à condition que les langues d’origine puissent s’y exprimer. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 104 18/11/2014 10:00:51 Diaspora 105 Termes liés : communauté, communication, connaissance, fracture, imaginaire, langues, patrimoine, réseaux sociaux, territoires Références Dana Diminescu, « Le migrant connecté. Pour un manifeste épistémologique », Migrations/Société, 17 (102), 2007, pp. 275-292. Myria Georgiou, Diaspora, Identity and the Media. Diasporic Transnationalism and Mediated Spatialities, Cresskill, Hampton Press, 2006. Olga Guedes Bailey, Myria Georgiou, Ramaswami Harindranath, Transnational Lives and the Media : Reimagining Diasporas, Basingstoke, Palgrave, 2007. Christian Licoppe, « Sociabilité et technologies de communication. Deux modalités d’entretien des liens interpersonnels dans le contexte du déploiement des dispositifs de communication mobiles », Réseaux, no 112-113, 2002, pp. 172-210. Serge Proulx, « Des nomades connectés : vivre ensemble à distance », Hermès, no 51, 2008, pp. 155-166. Isabelle Rigoni, « TICs, migrations et nouvelles pratiques de communication », Migrations/Société, dossier « Migrants, minorités ethniques et internet. Usages et représentations », 22 (132), 2010, novembre-décembre, pp. 33-46. Isabelle Rigoni, Eugénie Saitta (éds.), Mediating Cultural Diversity in a Globalised Public Space, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 105 18/11/2014 10:00:51 106 Documentation Éric Delamotte et Anne Cordier La documentation peut se comprendre comme un réagencement plus ou moins étendu du rapport aux textes qui détrône le livre au profit du document. C’est aux États-Unis que s’inaugure, à la fin du xixe siècle, la mise en place de nouvelles méthodes de travail administratif. Celles-ci s’insèrent dans un ensemble de pratiques mécanisées et font système avec l’écriture, la reproduction, la diffusion et l’archivage. Le bureau outillé et rationalisé incarne cette « révolution de papier ». L’origine de la préoccupation documentaire est donc double : d’une part, le monde du savoir, des études et des bibliothèques ; d’autre part, celui de l’organisation, de la coordination et de l’action. La fonction principale de la documentation est en effet de rendre accessible l’information à l’utilisateur ayant un besoin de connaissances pour agir. L’activité documentaire est devenue en conséquence un élément du management des organisations militaires et civiles. Entre le xixe et le xxe siècle, via rapports, fiches, notices et autres notes, l’information et la communication font partie des outils de gestion de la coordination et du contrôle de l’activité administrative, industrielle et commerciale (Gardey, 2008). Par la suite, les guerres mondiales ont montré l’importance stratégique de la capitalisation du savoir. Avec la guerre froide, l’amélioration de la productivité documentaire est devenue une clé de la puissance. L’enjeu s’est progressivement déplacé du domaine de la géopolitique à celui de la compétition industrielle puis de la concurrence dans le champ éducatif. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 106 18/11/2014 10:00:51 Documentation 107 La documentation : une activité structurée autour d’un projet et d’un métier On fait en général remonter la naissance de la documentation à 1895, à l’occasion du premier congrès de l’Institut International de bibliographie, même si, à ce moment, le mot « documentation » n’a pas encore remplacé le terme « bibliographie ». Ayant jusqu’alors le sens de « recherche de documents pour faire une étude ou une thèse », le terme « documentation » qualifie, à partir de 1930, une « exploitation méthodique de l’information ». Une pratique informationnelle au service d’une utopie La documentation est de fait un générateur d’utopies : en 1876, l’Américain Melvil Dewey propose la première version de sa classification, dite « Classification décimale de Dewey » (CDD, ou en anglais DDC), par laquelle il donne « la priorité à l’usager ». En 1905, les Belges Paul Otlet et Henri Lafontaine proposent une classification dite « Décimale universelle » : il s’agit d’établir un catalogue sur fiches de tous les ouvrages publiés depuis l’invention de l’imprimerie, y compris les articles, la littérature grise et les brevets. Le projet de ces pacifistes convaincus comprend une dimension politique et scientifique : sous-tendu par un idéal démocratique universel, il se concrétise par la conception du Mundaneum, où serait réuni l’ensemble du savoir. En 1951, Suzanne Briet publie un rapport international pour l’UNESCO sur ce thème, et un recueil intitulé Qu’est-ce que la documentation ? La documentation y est présentée comme la capacité à partager la connaissance, qui peut être transmise à partir du moment où elle est sélectionnée, enregistrée, stockée, évaluée et classifiée. Dès lors, elle va donner un accès autonome au savoir traité. Cet accès au savoir traité, Jean Meyriat, grande figure française de la documentation, en fait une préoccupation majeure pour la définition du terme de « document ». La proposition de définition de ce terme dépasse chez Meyriat la question des supports imprimés/numériques. Le document y est vu comme un objet qui supporte de l’information et qui sert à la communiquer. La distinction entre document « par intention » (conçu pour transmettre de l’information) et document « par attribution » (statut de document conféré par le chercheur d’information) s’avère féconde pour penser la documentation au centre d’un processus de communication entre le professionnel et l’usager au sein des organisations. La défense de l’information, du document et le primat de l’usager vont de pair pour toute cette génération d’hommes et de femmes qui se définissent comme des novateurs. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 107 18/11/2014 10:00:51 108 Diversité culturelle à l’ère du numérique Documentaliste, ou la structuration d’un métier La documentation possède un autre paramètre, celui qui structure une profession dans son rapport avec le métier voisin de bibliothécaire. Comme l’écrit Meyriat, « la documentation se constitue par différenciation d’avec le métier des bibliothécaires, presque en opposition à lui » (Meyriat, 1993). Le documentaliste se sent plus moderne que le bibliothécaire, il revendique une exploitation plus fine des contenus et met l’accent sur la diffusion au détriment de la simple conservation (Liquète, Kovacs, 2013). Si le documentaliste est celui qui collecte, traite, diffuse et recherche l’information, la fonction de médiation est une des revendications de l’identité du documentaliste. Que l’on se tourne du côté des fondateurs de la discipline ou de ses grands représentants, des manuels de documentation ou encore des référentiels de métiers, la gamme des termes employés pour définir le documentaliste s’articule autour du registre de la médiation. Les techniques documentaires constituent autant d’outils de médiation : elles ont pour vocation de mettre en contact ceux qui cherchent avec ceux qui détiennent l’information. Au carrefour d’une pratique sociale et de la construction scientifique Documentation et sciences de l’information Dès l’origine jusqu’à nos jours, parallèlement aux réflexions sur les techniques de gestion des documents, se sont développées des analyses à vocation plus épistémologique. Même si elles trouvent leurs racines dans des traditions professionnelles anciennes, les « sciences de l’information » se sont affirmées dans les dernières décennies sur la base de politiques publiques dans le domaine de l’information scientifique et technique et des nouvelles technologies de traitement de l’information. Le projet de fonder une « science de l’information et de la documentation » spécifique s’est affirmé sous l’impulsion d’acteurs comme Larousse (1817-1875), Dewey (1851-1931), Otlet (1868-1944), Meyriat (1921-2010). Comme le remarque Yves Jeanneret, le point de départ a été de dissocier l’information, construction sociale et intellectuelle, de l’ensemble des objets matériels qui, en circulant, la conditionnent (Jeanneret, 2005). On doit aux spécialistes de cette science d’avoir Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 108 18/11/2014 10:00:51 Documentation 109 posé que l’information ne circule pas (elle n’est pas un objet) mais qu’elle se redéfinit sans cesse (elle est une relation et une action). Une pratique sociale et une science de référence enseignée En prolongement d’une réflexion épistémologique sur la documentation et ses concepts phares, la mobilisation de chercheurs en sciences de l’information et de la communication, et la prise de conscience d’une nécessaire émancipation informationnelle chez les individus de la société dite « de l’information » conduisent à structurer, à partir des années 1980, un courant de pensée autour de l’éducation à l’information. De pratique sociale autonome, la documentation devient alors un domaine de connaissances et de compétences, que d’aucuns s’attachent à circonscrire. En France, professionnels et chercheurs débattent autour de la question de l’instauration d’une discipline scolaire « documentation », rattachée aux sciences de l’information et de la communication. Plus largement, en 2003 la Déclaration de Prague « Vers une société compétente dans l’usage de l’information » témoigne de l’affirmation de la documentation comme objet et stratégie d’apprentissage (UNESCO, 2003). L’ère de la redocumentarisation : plus qu’une révolution de papier De la documentarisation… La documentation produit et est le produit d’un réagencement dans lequel les dispositifs techniques jouent un rôle majeur et stabilisent une certaine répartition des rôles, des attentes, des capacités d’actions et des formes de relations. La documentarisation désigne quant à elle le traitement d’un document tel que le réalisent, ou le réalisaient, traditionnellement les professionnels de la documentation (bibliothécaires, archivistes, documentalistes) : cataloguer le document, l’indexer, le résumer, le découper, éventuellement le renforcer, etc. L’objectif de la documentarisation est d’optimiser l’usage du document en permettant un meilleur accès à son contenu et une meilleure mise en contexte et en circulation. L’informatique, dans les années 1950-1960, devenait dans cette perspective un outil de plus, sans doute révolutionnaire par sa puissance, mais qui ne remettait pas en cause les fondements du raisonnement. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 109 18/11/2014 10:00:51 110 Diversité culturelle à l’ère du numérique … à la redocumentarisation Aujourd’hui cette période se trouve partiellement derrière nous. Le numérique transforme, en effet, le cœur même du raisonnement, l’objet sur lequel était basée la construction de ladite science de l’information : le document. Les processus traditionnels de documentarisation des documents évoluent avec force : on étudie comment un document naît (est produit), comment il circule, et ce en relation avec l’action des individus et l’organisation elle-même. Définie en France par Jean-Michel Salaün et le collectif Roger T. Pédauque, dans un ouvrage publié en 2007 sous le titre La Redocumentarisation du monde, la redocumentarisation consiste à retraiter un document ou un ensemble de documents numérisés de façon à les enrichir de métadonnées nouvelles, à réarranger et relier leurs contenus. Avec la plasticité des documents nativement numériques, l’ordre documentaire est remis en cause (Roger T. Pédauque, 2007). L’authenticité du document primaire est questionnée avec force par le second traitement documentaire que constitue l’acte de redocumentarisation : la valeur du document est en effet reconstruite par ces traitements, et donc aussi par les lecteurs. Car la redocumentarisation constitue aussi une nouvelle manière de concevoir le document, dont le caractère numérique nécessite, de la part du lecteur et/ ou de celui qui le relaie et le commente sur un réseau social, un travail d’identification de l’auteur, de datation de l’œuvre, et en conséquence de vérification de la fiabilité du document. C’est une période nouvelle passionnante qui s’est ouverte. Peuvent alors être questionnés le traitement potentiel de l’information et les pratiques de redocumentarisation à l’œuvre avec le numérique. C’est peut-être une définition du document tourné vers l’action, à la fois éphémère et pérenne, individuel et collectif, porteur d’une fonction communicationnelle et plus seulement informationnelle qui s’impose. Car la documentation n’est pas une pure fonction technique, c’est aussi un geste social qui donne, selon les contextes, un pouvoir de faire aux uns ou aux autres. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 110 18/11/2014 10:00:51 Documentation 111 Termes liés : archives, agrégation, bibliothèques, communication, connaissance, curation, public/usagers Références Suzanne Briet, Qu’est-ce que la documentation ?, Paris, Éditions documentaires, 1950. Delphine Gardey, Écrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte, 2008. Yves Jeanneret, « Information », La Société de l’information : glossaire critique, Paris, La Documentation française, 2005, pp. 87-89. Vincent Liquète, Susan Kovacs (dir.), « Penser, classer, contrôler », Hermès, no 66, Paris, Éditions du CNRS. Jean Meyriat, « Un siècle de documentation : la chose et le mot », DocumentalisteSciences de l’Information, vol. 30, nos 4-5, 1993, pp. 192-198. Roger T. Pédauque, La Redocumentarisation du monde, Toulouse, Cépaduès, 2007. UNESCO, Déclaration de Prague. Vers une société compétente dans l’usage de l’information, 2003. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 111 18/11/2014 10:00:51 112 Économie des œuvres Françoise Benhamou On distingue deux catégories d’œuvres sous format numérique. Les premières sont directement conçues pour le numérique et renvoient à la notion d’art numérique, un art dont la programmation apparaît comme le matériau de l’artiste, à l’instar de ce que sont le pinceau ou le crayon pour les beaux-arts plus traditionnels. Les secondes sont les œuvres ou créations produites initialement sous format physique, mais qui ont été l’objet d’un processus de numérisation. Le champ est immense : il englobe de nouvelles formes d’art ainsi que des œuvres dont le format a migré, tel celui d’un livre papier vers un livre numérisé. Cette migration peut s’accompagner de transformations : l’œuvre est « augmentée », enrichie, déclinée en plusieurs formats ou sous différentes versions. Un manuscrit publié sous la forme d’un livre papier, une fois numérisé, devient un livre numérique auquel il est possible d’ajouter des liens, des images fixes ou animées et des sons. Les matériels nécessaires à l’accès aux œuvres sont nombreux (liseuses, tablettes, ordinateurs, téléphones intelligents [smartphones], consoles), et ne sont pas indifférents quant à la réception de l’œuvre. On sait encore peu de chose sur les formes et les conditions de cette réception. Dans le cas de la numérisation d’une œuvre initialement conçue pour un support physique, tel un texte, le « contenu » s’émancipe du support unique auquel il était attaché ; la lecture rompt avec la linéarité imposée par le papier, la recherche dans le « livre » perturbant l’ordonnancement des pages. Dans le cas de la numérisation d’une œuvre d’art unique, sa reproduction constitue un moyen de diffusion qui ne duplique ni ne remplace le contact avec l’œuvre originale. Les sites des musées ou le Google Art Project permettent un accès à l’image des œuvres, et constituent des outils d’information et des produits dérivés dans le premier cas, et des sources de trafic internet dans le second, celui-ci pouvant être valorisé à travers la Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 112 18/11/2014 10:00:51 Économie des œuvres 113 fourniture de services associés ou la vente d’espaces publicitaires. Dans le cas d’œuvres d’art numériques, dont les premières créations datent des années 1950 (création des premières images dites « électroniques » sur des ordinateurs analogiques à partir d’oscilloscopes par Ben Laposky, mathématicien et artiste américain), mais dont l’essor est véritablement perceptible dans les années 2000, la notion d’originalité peut être apportée par le contexte ou la signature, mais la reproductibilité parfaite semble possible, questionnant l’existence d’un marché de l’art dont la valeur n’est pas corrélée à la notion de rareté. Cinq questions se posent du point de vue de la diversité culturelle et des modèles économiques qui la sous-tendent. Elles ont trait à la conservation, à la caractérisation de la propriété, au périmètre des droits des créateurs, ainsi qu’à la transformation de la chaîne de valeur et à la production des métadonnées. Quels sont les modes de conservation pertinents pour ces nouvelles formes artistiques et culturelles ? D’une part, outre la question de l’interopérabilité des formats, les logiciels, les ordinateurs, les langages de programmation originels sont appelés à devenir obsolètes. La migration d’un format vers un autre s’impose. D’autre part, parce que ces œuvres sont non seulement multiformes mais aussi prolifiques, il convient de repérer et de choisir quelles sont celles qui ont vocation à être conservées. L’infinie richesse de l’offre dans le monde virtuel impose des tris qui ne doivent pas simplement refléter la hiérarchie et la répartition des consommations. Cela est d’autant plus crucial que nombre d’études montrent que la diversité de l’offre ne va pas nécessairement de pair avec la diversité des consommations (Benhamou et Peltier, 2007). Certes, on peut arguer des effets de longue traîne propres à la consommation via le numérique : l’internet permet de « rassembler » virtuellement des publics dispersés géographiquement. Cela permet la résurrection des titres disparus ainsi qu’une vie pour les petits tirages, dont les produits retrouvent une chance de devenir rentables. La consommation est en conséquence moins concentrée que pour des biens physiques. Néanmoins, les effets de longue traîne ne sont encore que peu documentés. Il faut interroger le concept de propriété : l’œuvre n’est pas figée sur un support physique. L’œuvre numérique obéit à une esthétique revisitée, proche de celle du spectacle. Elle s’apparente ainsi à un service. Elle peut être stockée dans le « nuage » (cloud), dans des espaces sécurisés (stockage des données dans des serveurs informatiques, auxquels on accède via des services en ligne sans avoir à gérer l’infrastructure sous-jacente). Numérisé, le bien est non rival, au sens où sa consommation par un individu ne prive pas un autre consommateur de la consommation de la même unité de ce bien. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 113 18/11/2014 10:00:51 114 Diversité culturelle à l’ère du numérique Cette propriété, combinée à la difficulté de l’exclusion par le prix, en fait un bien public (Arrow, 1962), sujet à des défaillances de marché. Du point de vue de la théorie des droits de propriété intellectuelle, c’est par l’introduction d’un monopole temporaire de l’auteur sur l’usage de son œuvre que l’on peut instituer des mécanismes de rémunération. Des solutions alternatives ou complémentaires de financement de la création ont pu toutefois être explorées dans le cadre des économies de réseaux : dons, « financement collaboratif » via des plateformes (crowdfunding), etc. La création initiale demeure le fait d’un auteur ou d’un créateur (ou de plusieurs) ; mais des formes nouvelles de co-création émergent et se développent. La plasticité de l’œuvre, susceptible d’appropriations et de réinterprétations, a progressivement imposé l’élaboration d’outils juridiques ad hoc, qui, sans se substituer aux outils traditionnels, les complètent et répondent aux nouveaux usages propres au monde numérique. Les licences Creative Commons s’inscrivent dans ce mouvement en fournissant un outil juridique qui garantit à la fois la protection des droits de l’auteur et la libre circulation du contenu culturel de cette œuvre, de telle sorte que se constitue un corpus d’œuvres librement accessibles (Lessig, 2004). Six licences types sont possibles, qui préservent – si l’auteur le souhaite – certains aspects du copyright ; les utilisateurs de l’œuvre disposent selon les licences d’un certain nombre de libertés sur les usages de l’œuvre. La plasticité des œuvres pose question : comment identifier un marché lorsque le clivage entre consommation et production se brouille, que les droits de propriété intellectuelle ne constituent pas l’outil nécessairement adéquat de rémunération de l’auteur, et que les modes de financement peuvent être repensés à la faveur des opportunités ouvertes dans des économies de réseaux ? Les modèles économiques renvoient pour partie à des logiques de marchés bifaces (Rochet et Tirole, 2003) sur lesquels le prix des recettes publicitaires liées à une activité est corrélé au nombre des usagers de l’autre activité. La production des œuvres sous format numérique appelle-t-elle certaines formes de désintermédiation ? La prolifération de sites d’autoproduction pousse à le croire, même si elle ne signifie pas nécessairement que l’on puisse se passer de l’éditorialisation et de la diffusion. Mais des intermédiaires nouveaux, jouant des possibilités offertes par toute une économie de la recommandation, tendent à s’immiscer au sein de la chaîne de valeur. Ajoutons que la production de métadonnées, déterminantes dans la structuration et la qualité des échanges, constitue une condition de l’accessibilité à la diversité des œuvres (Benhamou, 2014). C’est sur ce terrain que se rencontrent les enjeux économiques et cognitifs de la mutation des œuvres vers le web. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 114 18/11/2014 10:00:51 Économie des œuvres 115 Termes liés : édition, industries créatives, industries culturelles, Net Art, œuvre, public/usagers Références Chris Anderson, The Long Tail. Why the Future of Business is Selling Less of More, Hyperion, New York, 2006. Kenneth J. Arrow, « Economic Welfare and the Allocation of Resources for Invention », in The Rate and Direction of Inventive Activity : Economic and Social Factors, R. Nelson (éd.), Princeton, Princeton University Press, 1962, pp. 609-626. Françoise Benhamou, Stéphanie Peltier, « How Should Cultural Diversity be Measured ? An Application Using the French Publishing Industry », Journal of Cultural Economics, avril 2007, pp. 85-107. Françoise Benhamou, Le livre à l’heure du numérique. Papier, écrans. Vers de nouveaux vagabondages, Paris, Le Seuil, 2014. Brynjolfsson Erik, Yu Jeffrey Hu et Duncan Simester, « Goodbye Pareto Principle, Hello Long Tail : the Effect of Search Costs on the Concentration of Product Sales », Management Science, 2011 ; lire en ligne http://ssrn.com/ abstract=953587. Lawrence Lessig, Free culture, New York, The Penguin Press, 2004. Jean-Charles Rochet, Jean Tirole, « Platform Competition in Two-Sided Markets », Journal of the European Economic Association, 1, 2003, pp. 990-1029. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 115 18/11/2014 10:00:51 116 Édition Chloé Girard Les techniques d’imprimerie, au xve siècle, puis l’industrialisation, au xixe, donnent naissance aux métiers aujourd’hui distincts de l’édition, de l’imprimerie et de la distribution du livre papier. Dans les années 1990, les technologies informatiques deviennent moins confidentielles. Quelques grands éditeurs produisent alors, en parallèle à leurs ouvrages papier, des bases de textes ou de données sur CD, principalement pour les besoins de la recherche ou de l’industrie. Les années 2000 constituent une rupture avec l’explosion du commerce en ligne ainsi que la popularisation de supports mobiles permettant un accès confortable aux contenus numérisés écrits. De nouveaux usages ainsi qu’un nouveau marché s’ouvrent, dont les intérêts économiques sont considérables. Les contenus « livres » deviennent, au plan commercial, un contenu numérique comme les autres dans l’économie numérique. Google ne s’y trompe pas et entreprend, en 2004, la numérisation massive d’ouvrages pour son service en ligne Google Books. De grands acteurs jusqu’à présent éloignés du marché du livre, tels les opérateurs téléphoniques, de l’internet ou des fabricants de matériel informatique, y sont aujourd’hui fortement impliqués. Les éditeurs doivent s’adapter à ces changements et s’engager dans la fabrication mixte, papier et numérique, pour un marché alors inexistant et, en 2014, encore balbutiant. Plusieurs problèmes se posent. Les éditeurs doivent apprendre de nouvelles techniques et de nouveaux métiers, développer une culture informatique. Il leur faut dans le même temps compter avec l’internet, lieu d’échange ouvert par nature, dans lequel transitent les fichiers informatiques qui n’ont pas besoin d’être reproduits (produits à nouveau) pour être dupliqués. Le risque de la diffusion des livres sans rétribution des ayants droit, éditeurs et auteurs, est réel. Enfin, ils doivent faire face à la démocratisation de leurs outils métier, techniquement à la portée de chacun et souvent peu coûteux, voire Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 116 18/11/2014 10:00:51 Édition 117 gratuits. Chacun aujourd’hui peut s’improviser éditeur et l’on observe actuellement une explosion de l’autoédition. Édition numérique et intégrité de l’œuvre On assiste durant cette période de transition à bien des débats évoquant la fin du métier d’éditeur, quand ce n’est pas la mort du livre lui-même. Aujourd’hui ni l’un ni l’autre n’ont disparu. En tant que contenu culturel, le livre ne semble pas avoir souffert outre mesure. Quoique cela soit à nuancer selon les types éditoriaux. La précision graphique d’un beau livre n’est pas simple à rendre dans un e-book, alors qu’un roman y perd peu. Mais l’on n’a pas vu se réaliser les prophéties de liquéfaction du livre qui, dans sa forme numérique, serait à chaque instant modifiable et modifié. La garantie de l’intégrité du contenu d’un livre continue de reposer sur le choix des éditeurs et des auteurs. À eux revient toujours de convenir si un texte donné doit constituer un patrimoine, ou si, changeant régulièrement, personne ne pourrait plus s’y référer ni en faire un point d’appui culturel. Dans cette révolution industrielle, le livre, en tant que discours singulier, fini, a été préservé aux côtés de nouvelles formes éditoriales plus personnalisables ou évolutives. Livre numérique et diversité culturelle Localisation À l’heure du numérique, l’édition semble offrir de nouvelles opportunités de fabrication et de diffusion des livres, sans frontières, favorisant pleinement la diversité culturelle. Il n’est plus question d’épuisement du stock ni de coûts de transport élevés. Le potentiel de multiplication des publications ne risque-t-il pas cependant de rendre encore moins visibles les ouvrages et les éditeurs qui l’étaient déjà peu ? Est-il par exemple plus aisé aujourd’hui de découvrir un éditeur régional ou étranger ? Les sites des principales librairies en ligne, qui représentent la plus grande partie du marché du livre numérique et une part importante et croissante de l’accès au livre papier, n’offrent pas de recherche par pays ni par région d’édition. Il est ainsi très difficile dans ces grands catalogues en ligne de trouver, depuis la France, un éditeur africain ou basque si vous n’en connaissez pas déjà le nom. Ce n’est pas, sur ces Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 117 18/11/2014 10:00:52 118 Diversité culturelle à l’ère du numérique sites, un critère de recherche. Or rien ne l’empêcherait techniquement. Les données de catalogage exploitées par les outils des libraires et des bibliothèques, par l’ensemble des outils internet, sont inscrites par l’éditeur dans les livres numériques eux-mêmes ou dans les fiches numériques descriptives qui les accompagnent. Ces données sur le livre sont ce que l’on nomme leurs « métadonnées ». Elles sont rédigées selon des indications répondant à des normes métier précises. C’est la condition nécessaire à une uniformité de rédaction qui permet aux logiciels de l’ensemble des professionnels de la chaîne du livre de les reconnaître, de les lire et de les présenter de façon automatisée. Or ces normes métier ne prévoient pas, ou n’imposent pas, d’identifier par exemple l’origine géographique de l’éditeur. Que faudrait-il pour favoriser la présence, l’exploitation par les diffuseurs de données propres et la découverte d’ouvrages jusque-là peu accessibles ? Cela implique en premier lieu que les éditeurs s’approprient la chaîne du livre numérique, prennent pleinement conscience de la nouvelle intégration entre la fabrication et la diffusion. Les livres que nous fabriquons aujourd’hui contiennent les conditions de leur diffusion, de leur référencement, de leur lecture. Ce ne sont pas seulement des supports mais aussi des outils. Il faut donc s’approprier ces normes et techniques, savoir en juger comme l’on jaugeait un papier, et s’impliquer dans leur évolution. De nombreux paramètres pourraient être inscrits, normés et exploités de manière à offrir une recherche profonde et fine dans nos catalogues. Aux diffuseurs ensuite de prendre conscience de l’importance de ces données et de travailler à leur utilisation. Sans quoi le meilleur accès à la diversité des sources restera un simple mais performant moteur de recherche dans nos navigateurs. Lisibilité Un autre prérequis de la diffusion des ouvrages numériques concerne leur interopérabilité, c’est-à-dire leur compatibilité avec différents appareils et logiciels de lecture. C’est une question à la fois technique et commerciale. Les formats du livre numérique, l’e-pub et le HTML, sont des formats ouverts, c’est-à-dire des formats dont chacun peut savoir comment ils sont construits. Les fabricants de supports informatiques, de téléphones intelligents (smartphones), de tablettes et d’ordinateurs, ainsi que de logiciels de lecture, peuvent donc faire en sorte que les livres soient lisibles sur un plus grand nombre d’appareils, un paramètre important quand l’on sait la différence de coût d’un appareil à un autre. Bien qu’étant a priori dans un format ouvert, il est cependant possible de verrouiller l’accès à un livre, pour des raisons principalement commerciales. C’est le propre des mesures techniques dites de Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 118 18/11/2014 10:00:52 Édition 119 « protection du livre », parmi lesquelles les DRM (Digital Rights Management). Elles demandent cependant des infrastructures lourdes et coûteuses, et peuvent s’avérer pénalisantes pour l’acheteur, au point que de nombreux éditeurs préfèrent ne plus en utiliser. Ces technologies constituent également le moyen de contrôler à distance la bibliothèque personnelle des lecteurs, voire de la censurer, en effaçant les ouvrages sur les appareils. Leur impact n’est donc pas anodin. Finalement, la chaîne du livre se confond aujourd’hui en partie avec l’activité d’industriels qui établissent des économies verticales liant le livre vendu à un support donné et le rendant de fait illisible ailleurs. Les éditeurs ont encore là la possibilité de s’informer et de choisir les formats et les canaux de distribution qui leur conviennent. Ces derniers sont aujourd’hui concentrés sur quelques grands acteurs commercialement presque incontournables. Mais cela n’empêche pas pour autant la diffusion par de multiples autres voies et acteurs. Au-delà des questions de formats de fichier, il existe également la question des formats des éléments de texte eux-mêmes. En effet, à la différence du livre papier dont le contenu est fixé, le contenu du livre numérique est restitué à l’écran à chacune de ses ouvertures sur un appareil. Or certains éléments de texte, comme les alphabets ou les caractères peu communs, ou le sens de lecture d’un texte, peuvent être peu ou mal interprétés d’un appareil à l’autre. C’est une question à la fois de code dans le livre et de capacité à restituer convenablement ce code par les logiciels et les appareils de lecture. Des progrès restent à réaliser en la matière du côté des constructeurs et des éditeurs de logiciel, mais du côté éditorial l’utilisation de la norme Unicode pour la production des ouvrages constitue une garantie d’universalité de rendu sur le long terme. Encore une fois l’éditeur, s’il veut être lu, est appelé à s’approprier la logique informatique et à l’intégrer dans ses processus de fabrication. La chaîne du livre, après avoir distingué plusieurs métiers, voit aujourd’hui leur ré-intégration en une chaîne totalement solidaire et numérique. Le livre numérique est un outil qui véhicule non seulement un contenu littéraire mais les conditions de sa visibilité. Il est donc indispensable que les éditeurs comprennent cette chaîne et y insèrent, activement, les éléments distinguant leur diversité. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 119 18/11/2014 10:00:52 120 Diversité culturelle à l’ère du numérique Termes liés : bibliothèque, codes, documentation, industries culturelles, langues, libre, normes, patrimoine, piratage Références Flossmanuals.net, collectif d’auteurs, Créer un e-pub, 2012 ; lire en ligne http:// fr.flossmanuals.net/creer-un-epub/, dernière consultation le 1er juin 2014. Framablog, entretien, « Et si l’on créait ensemble une forge libre pour les métiers de l’édition ? », 14 septembre 2011 ; lire en ligne http://www.framablog.org/ index.php/post/2011/09/14/forge-metiers-edition-chloe-girard, dernière consultation le 1er juin 2014. Chloé Girard, « Le Réseau et ses outils comme lieu de raffinement du livre », Revue Sciences/Lettres, 2, 2014 ; lire en ligne http://rsl.revues.org/526, dernière consultation le 1er juin 2014. Chloé Girard et David Dauvergne, « Livre web : une révolution industrielle », 27 novembre 2008, lire en ligne http://www.lescomplexes.com/blog/?p=50, dernière consultation le 1er juin 2014. Chloé Girard et David Dauvergne, « Sortir de la “chaîne de formats” dans l’édition numérique », 27 septembre 2008 ; lire en ligne http://www.lescomplexes. com/blog/?p=43, dernière consultation le 1er juin 2014. Chloé Girard et David Dauvergne, « Le livre et le projet (flux) », 20 juin 2008 ; lire en ligne http://www.lescomplexes.com/blog/?p=7, dernière consultation le 1er juin 2014. Chloé Girard et David Dauvergne, « Le livre complexe », 19 juin 2008 ; lire en ligne http://www.lescomplexes.com/blog/?p=6, dernière consultation le 1er juin 2014. Jean-Philippe Moreux, Bernard Desgraupes, Richard Loubéjac, Étienne Nau, Bertrand Soubeyrand, Albane de Boisgrollier, Chloé Girard, Louis Marle, Solutions de publication automatisées pour l’industrie, l’édition, le commerce, la communication d’entreprise, Vuibert, 2011. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 120 18/11/2014 10:00:52 121 E-réputation Louise Merzeau Si l’expression « identité numérique » (digital identity) est apparue dès les années 1990, c’est surtout à partir du développement des réseaux sociaux et du Web 2.0, après 2004, que la notion a gagné en importance, pour occuper aujourd’hui une place centrale parmi les enjeux de l’environnement numérique. Préférée à d’autres appellations concurrentes (double numérique, cyber-identité…), l’identité numérique renvoie à un ensemble de contenus, de processus et d’usages dont les contours restent encore à définir et qui font l’objet de nombreux débats. Collections de traces La possibilité offerte aux internautes de prendre une part active dans les échanges d’informations en ouvrant des espaces personnels de publication (blogs) et de conversation (réseaux sociaux) a renforcé la nécessité de s’authentifier auprès des services de réseautage et d’éditorialisation. Les individus ont ainsi été amenés à délivrer de plus en plus d’informations aux sites pour pouvoir eux-mêmes chercher, consulter et partager des contenus. Parallèlement aux renseignements intentionnellement fournis par les utilisateurs (nom ou pseudo, adresse mail, mot de passe, photo, biographie, préférences…), les systèmes d’information ont alors automatisé le recueil d’un nombre croissant de données à chaque connexion ou navigation. Les traces enregistrées sans consentement explicite par chaque intermédiaire technique (navigateur, fournisseur d’accès, serveur, application, régie publicitaire) se sont ainsi multipliées, concentrant des enjeux de plus en plus stratégiques pour les acteurs économiques du web : suivi et profilage des internautes, filtrage et recommandation des contenus, anticipation des comportements, etc. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 121 18/11/2014 10:00:52 122 Diversité culturelle à l’ère du numérique De protocole d’identification, l’identité numérique en est donc arrivée à désigner la collection des traces – déclaratives, comportementales ou calculées (Georges, 2009) – que l’usager ne peut pas ne pas laisser lorsqu’il se connecte au réseau. Requêtes, parcours, téléchargements, géolocalisations, achats, relations, avis… : notre présence en ligne est documentée dans toutes ses facettes, mais l’individu perd lui-même le contrôle de pans entiers de son identité, car il n’a guère les moyens d’archiver, de recouper et d’exploiter ses traces. De la représentation à l’indexation Le recentrage de l’environnement numérique sur les identités a d’abord été interprété dans le sens d’une expressivité individuelle exacerbée. Sous l’influence de la téléréalité, on a pensé l’implication des internautes selon une logique d’exposition de soi, en recourant notamment à la notion d’extimité (Tisseron, 2001). L’observation des pratiques en ligne a cependant montré que, loin d’être une exhibition, la participation aux réseaux met en œuvre un « design de la visibilité » (Cardon, 2008), où le paramétrage des marqueurs identitaires relève de stratégies relationnelles complexes. L’identité numérique désigne moins une représentation de soi qu’une transformation de l’individu en grappes de données susceptibles d’être traitées par des programmes. Les contours de la personne, jadis rapportés à une unité, une permanence ou une énonciation, doivent être redéfinis en termes de ressources mobilisables par des algorithmes. La question n’est plus d’articuler une identité réelle et une identité virtuelle, mais de négocier la conversion des singularités en data. De fait, le contrôle de la présence en ligne ne dépend plus de la construction d’une image (individuelle ou stéréotypique), mais de la détention d’index qui permettent de chercher, d’identifier et de calculer les identités. En ce sens, l’évolution des modes de classement de l’information montre que le profilage est en passe de réorganiser l’architecture informationnelle. Passant du graphe des pages (PageRank de Google) au graphe des individus (EdgeRank de Facebook), les métriques du web accordent en effet une importance croissante aux données identitaires dans les calculs de pertinence et la hiérarchisation des contenus. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 122 18/11/2014 10:00:52 E-réputation 123 Personnalisation ou standardisation ? L’avènement du web social a indéniablement favorisé l’expression identitaire des personnes aussi bien que des communautés. Aux effets d’uniformisation de la communication de masse ont répondu des formes d’échange et de publication plus aptes à respecter et à valoriser la diversité culturelle. À travers les conversations, les commentaires ou les dispositifs participatifs, une variété de cultures propres aux usagers des réseaux a pu se manifester, en marge des schémas industriels opposant traditionnellement émetteurs-producteurs et récepteurs-consommateurs. La valorisation des identités ne s’est toutefois pas arrêtée à cette libération des particularismes culturels. Elle a débouché sur une personnalisation, qui pousse aujourd’hui les usagers à exiger en toutes circonstances une information sur mesure. Filtrés, formatés et classés selon les profils utilisateurs, les contenus se reconfigurent maintenant pour s’ajuster à la volée à chaque interaction. À la recherche de dénominateurs communs qui caractérisaient la culture de masse se substitue donc un traçage toujours plus fin des singularités. Cette collecte des traces tend à faire de l’identité numérique l’expression « symptomale » de la personne : un ensemble d’indices qui trahissent d’autant mieux son comportement qu’ils se déposent hors de toute conscience. L’expression identitaire s’inverse alors en une forme de dépossession d’autant plus grande que l’infrastructure logicielle qui la canalise est, quant à elle, toujours plus contraignante. Pour profiter de la personnalisation des services, l’internaute doit en effet se plier à une architecture de plus en plus fermée, où chaque acteur économique tente de le garder captif en imposant à tous une même grille de valeurs. Pour contrecarrer ces risques d’aliénation tout en intégrant le principe de traçabilité, une version alternative de l’identité numérique s’est développée à partir du modèle de la communication marketing. Sans remettre en cause le nouvel écosystème des identités, le marketing personnel (personal branding) incite chacun à gérer sa présence en ligne comme on administre une marque, en jouant des logiques d’indexation et de propagation. Le contrôle que gagne ainsi l’utilisateur sur son propre profilage se paie alors par une soumission accrue aux lois du marché des identités. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 123 18/11/2014 10:00:52 124 Diversité culturelle à l’ère du numérique Question de confiance De la sécurisation des comptes personnels à l’essaimage des traces, la question de la confiance est au cœur des interrogations sur l’identité numérique. Pour en tirer profit, les firmes ont besoin que les internautes consentent à leur confier la collecte et la gestion de leurs données. De leur côté, les utilisateurs attendent des plateformes qu’elles leur apportent un bénéfice social ou culturel en échange de leur profilage. Les enjeux de cette administration de la confiance diffèrent cependant selon qu’il s’agit d’authentification, d’identification, de marchandisation ou de socialisation. La protection des accès relève d’une problématique sécuritaire de nature essentiellement technique et juridique. La mise en relation entre une clé d’authentification et une identité introduit quant à elle la question éthique et politique du tiers de confiance. Est-ce à l’État, à la sphère marchande ou à la société civile de garantir l’intégrité et la confidentialité de nos transactions numériques ? La réponse à cette question dépend fortement du modèle culturel et du système politique en place dans chaque société. Si une même idéologie libérale préside aux stratégies des grandes firmes, des diversités peuvent apparaître dans les attentes des usagers en fonction des pays, des générations ou des degrés d’appropriation de la technologie. D’abord confinées aux problèmes de l’anonymat et de l’usurpation d’identité, les questions de confiance débordent en tout cas aujourd’hui les enjeux de sécurité. Dans la mesure où nos identités ne sont plus seulement consignées mais produites et négociées en ligne, les garanties doivent désormais inclure, au-delà de la protection de la vie privée, celle des libertés et de la diversité. Enjeux de mémoire Si la gouvernance des identités numériques constitue un enjeu culturel majeur, c’est parce qu’elle conditionne la formation des mémoires individuelles autant que collectives. Réduite à un enregistrement automatique de données réalisé dans l’opacité des algorithmes, la traçabilité numérique altère les processus mémoriels. Se faisant désormais par défaut, l’indexation des individualités inverse l’équilibre entre mémoire et oubli, faisant de l’effacement des traces une tâche exigeant volonté, dépense et savoir-faire. Alors que grandit la revendication d’un droit à l’oubli, un marché de l’amnésie se développe en direction des entreprises et des particuliers pour rentabiliser cette nouvelle anxiété en promettant le nettoyage des traces. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 124 18/11/2014 10:00:52 E-réputation 125 Pour la sauvegarde de la diversité culturelle, une réflexion doit donc être menée sur les moyens de convertir la rétention – décontextualisée et non négociée – en mémorisation, en définissant les conditions d’une réappropriation mémorielle. Cela suppose de dissocier identité numérique et vie privée, en mettant l’accent sur les implications collectives de l’organisation des traces, qu’elle soit institutionnelle, contributive ou communautaire. Cela implique surtout que le contrôle de ses métadonnées soit repensé comme une compétence relevant comme toute autre littératie d’un apprentissage et d’une transmission. Face à l’industrialisation des identités – et, à travers elles, des comportements, des relations et des opinions – l’éducation à une intelligence de l’environnement numérique représente un enjeu de civilisation, au même titre que la défense des minorités ou la préservation des patrimoines. Dans cette perspective, le droit à l’oubli gagnera à être repensé non comme une tentative illusoire de retirer nos traces numériques des espaces où elles sont déposées, indexées et dupliquées en fonction d’intérêts particuliers, mais plutôt comme une pratique collective de réglage des distances par la recontextualisation des données. En découplant accessibilité technique des traces et activation des traces par l’usage, on verra que l’identité numérique a plus à voir avec le vivre ensemble qu’avec la protection de la vie privée. Si l’on veut préserver une alternative à la privatisation marchande des mémoires, il nous faut en tout cas affranchir les identités numériques des seules logiques affinitaires ou algorithmiques, pour les repenser dans la perspective des communs. C’est à cette condition que notre présence numérique pourra se mettre elle-même au service du dialogue des cultures et de leur épanouissement. Termes liés : algorithme, archives, biens communs, documentation, données personnelles, littératie, public/ usagers Références Michel Arnaud, Louise Merzeau (dir.), « Traçabilité et réseaux », Hermès, no 53, Paris, Éditions du CNRS, 2009. Danah Boyd, Michele Chang, Elizabeth Goodman, « Representations of Digital Identity » ; lire en ligne http://www.danah.org/papers/ CSCW2004Workshop.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014. Dominique Cardon, « Le design de la visibilité : un essai de cartographie du Web 2.0 », Réseaux, no 152, Paris, Lavoisier, 2008, pp. 93-137. Fanny Georges, « Représentation de soi et identité numérique. Une approche sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du Web 2.0 », Réseaux, 2009/2, no 154, 2009, pp. 165-193. Serge Tisseron, L’Intimité surexposée, Paris, Ramsay, 2001. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 125 18/11/2014 10:00:52 126 Ergonomie des interfaces Stéphane Caro Dambreville L’ergonomie des interfaces est fondée sur une idée simple. Les interfaces doivent être adaptées aux humains et aux caractéristiques de leurs activités. Cette idée répandue en ergonomie prend un tour nouveau quand elle a pour objet des systèmes qui peuvent être complexes : les interfaces personnes/système. Ces interfaces sont des systèmes de communication et d’interaction entre un humain et une machine. L’ergonomie est « l’étude scientifique de la relation entre l’homme et ses moyens, méthodes et milieux de travail » (extrait de la définition adoptée par le ive Congrès international d’ergonomie, 1969) et l’application de ces connaissances à la conception de systèmes « qui puissent être utilisés avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité par le plus grand nombre » (extrait de la définition de l’ergonomie retenue par la SELF (Société d’ergonomie de langue française). Cette discipline, fondée dans la seconde moitié du xxe siècle, se nourrit de résultats provenant de différents champs scientifiques ayant trait au comportement humain (physiologie, médecine, psychologie, sociologie, linguistique, anthropologie). Différentes approches Il existe différentes écoles en ergonomie. En France, l’ergonomie construit sa spécificité sur l’analyse de l’activité dans les situations de travail. L’analyse de l’activité est centrale pour la compréhension des situations de communication personne/système. Une activité donnée peut nécessiter à un certain moment d’utiliser une interface. L’activité est donc le cadre général d’analyse des interactions entre Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 126 18/11/2014 10:00:52 Ergonomie des interfaces 127 l’humain et le système, et le dialogue entre l’homme et la machine doit être pensé dans ce contexte global. L’ergonomie des interfaces touche toutes les catégories sociales et toutes les cultures. En effet, une grande partie de la population mondiale est exposée à des interfaces personne/système. Une interface simple, un interrupteur par exemple, peut déjà comporter des caractéristiques destinées à communiquer avec l’utilisateur (voyant lumineux, signal audio, rupture d’effort dans la course du bouton). Ainsi, ce très simple dispositif, sans retour d’information vers l’utilisateur, peut déjà générer des difficultés d’interaction (aije bien appuyé sur le bouton ? Le système a-t-il bien enregistré ma demande ?). À plus forte raison, les interfaces plus complexes (sites web, documents numériques, interfaces logicielles, tableaux de commandes, tableaux de bord) peuvent-elles générer des difficultés d’utilisation dans leurs multiples modes d’interaction. Ce point est particulièrement sensible quand lesdites interactions ont pour objet le pilotage de véhicules ou la surveillance de processus dangereux (contrôle aérien, trafic ferroviaire, contrôle de flux dans les usines chimiques, centrales nucléaires…). L’ergonomie des interfaces constitue une discipline qui s’est développée prioritairement dans tous ces secteurs sensibles des interactions personne/système. Les ergonomes sont également beaucoup intervenus pour la conception de produits dont les acheteurs ont été les utilisateurs, comme l’électroménager, la haute-fidélité. Pertinence De nombreuses activités de la vie professionnelle ou familiale nécessitent désormais l’utilisation d’interfaces multiples (distributeurs en tout genre, ordinateurs, téléphones intelligents (smartphones), tablettes, etc.). Pourtant, les parcours éducatifs traditionnels ne préparent pas, ou peu, à ce type d’interactions. La partie de l’ergonomie qui traite des interfaces personne/système est qualifiée d’ergonomie cognitive. Elle s’intéresse essentiellement à quatre aspects du traitement de l’information par le cerveau humain (Sperandio, 1984) : •la prise d’information sur le monde extérieur, c’est-à-dire la perception, •l’analyse de l’information, c’est-à-dire les raisonnements sous toutes leurs formes, portant sur l’information externe (provenant de la perception) ou sur l’information interne (provenant de la mémoire), •la mémoire, à plus ou moins long terme, •la représentation mentale. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 127 18/11/2014 10:00:52 128 Diversité culturelle à l’ère du numérique Ce dernier point est central en ce qu’il différencie les représentations mentales que se construisent les utilisateurs d’une interface des autres types de construction de représentations mentales, dites « construites de manière directe ». En effet, l’utilisation d’une interface sous-entend une construction d’une représentation chez l’utilisateur dite « construite par l’intermédiaire d’autrui », influencée par quelqu’un d’autre. Cet autrui n’est autre que l’équipe de conception de l’interface qui comprend différents métiers et que l’on désigne abusivement par l’expression le « concepteur du système ». Ce type de représentation est particulier car il prend appui sur le langage, les formes analogiques (sons, images) ou symboliques (icônes par exemple) À partir de ces intermédiaires (lexicaux, analogiques et symboliques), l’utilisateur va forger une représentation de son activité, de la situation (Bisseret, 1995). Une fonction essentielle de l’ergonomie cognitive est de permettre que cette représentation soit satisfaisante au regard de l’objectif de l’utilisateur (la connaissance, l’exécution d’une procédure, etc.) L’ergonomie cognitive fournit essentiellement deux types de résultats : •les spécifications pour la conception : recueils de bonnes pratiques, normes (ISO [International Organization for Standardization] 9241, AFNOR [Agence française de normalisation] Z67) ; •l’évaluation où l’on propose des outils méthodologiques en vue de tester les interfaces. On distingue deux grandes familles de tests, celles avec et celles sans le recours aux utilisateurs. Il existe désormais de nombreuses formations en ergonomie (une trentaine de formations sont répertoriées sur le site de la SELF, www.ergonomie-self.org). Devant la multiplicité des parcours de formation, un titre d’ergonome européen en exercice a été institué pour valider certaines compétences du domaine. Des conférences et des publications scientifiques spécialisées existent tant en France qu’à l’étranger, ainsi que de nombreuses associations à vocation professionnelle ou scientifique. En France, la revue Le Travail humain, fondée en 1933 par Jean-Maurice Lahy et Henri Laugier, sera la première à couvrir ce champ disciplinaire. À signaler également, l’éditeur Octarès, à Toulouse, qui produit de nombreux ouvrages en ergonomie. Les différences culturelles ont souvent peu d’influence en ergonomie car l’ergonome des interfaces s’intéresse essentiellement aux caractéristiques physiologiques et psychologiques des êtres humains (capacités limitées de la mémoire de travail par exemple), qui varient peu d’une population à une autre. Les différences culturelles peuvent toutefois concerner quelques modalités de présentation de l’information, comme la signification des couleurs, des formes, des symboles, le sens de lecture/écriture, certains aspects typographiques Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 128 18/11/2014 10:00:52 Ergonomie des interfaces 129 également. Il existe donc une harmonisation des pratiques avec des modèles de conception centrée sur l’humain, qui se diffusent via des méthodologies ou des technologies comme les CMS (Content Management System). Les CMS sont des outils permettant de créer des documents numériques qui sont en général relativement respectueux des connaissances du moment en termes d’ergonomie mais aussi de design. Cette harmonisation est également le produit des normes ISO et AFNOR et des recueils de bonnes pratiques qui se diffusent via des entreprises, des institutions et des organisations ou des auteurs reconnus. Toutefois, malgré cette harmonisation, la part de créativité dans la conception demeure potentiellement importante, mais elle touche davantage un autre domaine : le design des interfaces. L’ergonome a pour vocation de rendre le dialogue avec les systèmes techniques intelligibles par les utilisateurs, la vocation du graphiste est de le rendre, en plus, esthétique et, en la matière, il y a beaucoup de latitude. Termes liés : augmentation, communication, design, industries créatives, innovations, mobile (téléphone), normes. Références André Bisseret, Représentation et décision experte. Psychologie cognitive de la décision chez les aiguilleurs du ciel, Toulouse, Octarès Éditions, 1995. Jean-Claude Sperandio, L’Ergonomie du travail mental, Paris, Masson, 1984. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 129 18/11/2014 10:00:52 130 Éthique Pierre-Antoine Chardel L’éthique consiste à évaluer la conduite de nos actions relativement aux valeurs qui sont censées les orienter. Le développement de l’ère numérique est directement concerné par une réflexion sur la signification que nous souhaitons attribuer à notre vie en commun. Cela même si les problèmes que les médiations technologiques sont susceptibles d’induire d’un point de vue éthique s’avèrent difficiles à cerner dans une époque hypermoderne, où les progrès technoscientifiques sont le plus souvent jugés comme nécessairement bénéfiques. Des effets de structuration interviennent à ce niveau fortement. La dimension émancipatrice des nouvelles technologies est souvent mise en avant, reposant sur le constat que ce qui jadis déterminait les subjectivités de manière relativement homogène, à savoir un territoire et ses frontières, un système de valeurs dominant dans une société donnée, est dorénavant susceptible d’être mis en question par des réseaux d’influences hétérogènes. L’ambivalence éthique de la sociabilité en ligne Mais la possibilité technique de fluidifier la communication n’engendre pas, comme dans un rapport de cause à effet, un enrichissement de la qualité des interactions avec autrui. Dans une relation en réseau, on s’engage dans une connexion que l’on peut rompre à tout moment. Or quel rapport aux autres est susceptible d’être engendré dans ces conditions ? Même si nous savons sociologiquement que les « liens faibles » qui sont entretenus sur la Toile ne se substituent pas aux « liens forts », est-ce qu’un nouveau mode d’être avec autrui ne sera pas à terme susceptible d’émerger, un mode relationnel où l’impatience deviendra la règle ? Par rapport à ces questions, un enjeu éthique majeur consiste à insister sur l’extrême ambivalence des ré- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 130 18/11/2014 10:00:52 Éthique 131 seaux numériques. Si ces derniers sont porteurs de phénomènes majeurs dans l’évolution de nos existences individuelles et collectives, si l’on songe aux mouvements de libération qu’ils rendent possibles, l’idéal qu’ils portent ne doit pas nous empêcher de les interroger en fonction du sens que nous souhaitons conférer au vivre ensemble. À cette fin, il importe de pouvoir s’entendre sur certaines valeurs, telles que le respect de l’autonomie des personnes, de la vie privée ou bien l’exercice de la responsabilité pour autrui, en vue de stimuler une évaluation des innovations technologiques dans les contextes où elles sont utilisées. L’apport de l’éthique de la discussion, à travers les principes qu’elle énonce, apparaît dans cette perspective manifeste dans la mesure où elle rend compte de la nature intersubjective de l’engagement moral. En effet, pour les représentants de la deuxième génération de l’École de Francfort, aucune éthique ne peut s’élaborer indépendamment d’une discussion ouverte et contradictoire. La participation effective de chaque personne concernée par tel ou tel problème est seule à pouvoir prévenir la déformation de perspective qu’introduirait l’interprétation d’intérêts chaque fois personnels. Il s’agit ainsi de rendre compte de la multiplicité des points de vue et des formes de vie socioculturelles. Il n’y aurait d’éthique qu’en assumant la confrontation des argumentations, qui oblige chacun à se placer du point de vue de tous les autres. Dans cet horizon, plus des différences culturelles interviennent, plus l’intensité des confrontations est censée être importante. Une telle démarche dialogique nécessite toutefois de pouvoir interroger l’évolution des échanges au travers des médiations numériques. Ce sont les conditions « méta-communicationnelles » qui tendent à s’altérer dans une communication à distance, où la connaissance des contextes dans lesquels les interlocuteurs se trouvent n’est pas assurée. De la sorte, alors même que nous assistons à la démultiplication des espaces de discussion en ligne, des possibilités d’échanger et de « télé-communiquer », l’apprentissage de l’altérité que stimule en principe la vie en commun devient l’enjeu d’un effort qui doit se voir redoublé dans une époque où nous pouvons être seuls tout en étant virtuellement à plusieurs. Il nous incombe éthiquement de prendre au sérieux le contact avec l’autre. Car c’est à travers ce contact que nous nous élevons au-dessus de l’étroitesse de notre propre assurance de savoir. Or un tel apprentissage n’est évidemment pas réductible aux seuls progrès de la numérisation. L’essentiel d’un point de vue éthique se joue dans la spontanéité des rencontres, dans la production d’échanges informels et aléatoires. Le sens de l’intersubjectivité en dépend très largement. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 131 18/11/2014 10:00:52 132 Diversité culturelle à l’ère du numérique Questions d’éthique en contexte Si l’on peut aisément convenir de la portée universelle des problèmes posés par l’agir « télé-communicationnel », ces derniers nécessitent d’être examinés en fonction des environnements spécifiques dans lesquels ils émergent. S’engager dans l’identification de certains risques éthiques ne consiste pas à décréter que telle ou telle technologie serait a priori dangereuse ou néfaste pour tout le monde de la même façon, à partir de prescriptions générales. La somme des représentations qui entoure le déploiement des technologies doit pour cela être sans cesse interrogée. Car la technique est, tout autant que le langage, un fait de culture qui nécessite d’être interprété dans la plurivocité de ses significations. Par conséquent, les technologies susceptibles d’être évaluées d’un point de vue éthique (en fonction de valeurs que nous définissons comme importantes pour notre vie en commun) renvoient autant aux dispositifs qu’à l’imaginaire social qui les entourent. Il convient donc de pouvoir analyser les différents contextes d’émergence de certains discours qui contribuent, directement ou indirectement, à favoriser l’acceptabilité de technologies pourtant à même d’être éminemment problématiques d’un point de vue éthique. Aux ÉtatsUnis, par exemple, le PATRIOT Act signifie que le terrorisme peut surgir partout, qu’aucun individu n’est réellement immunisé contre ce fléau, le mot « exception » étant amené dans ce cas à perdre tout son sens. Dans un tel cas, c’est un certain champ lexical qui renforce la légitimité d’une nouvelle relation de domination où les mesures de surveillance deviennent durablement intégrées aux dispositifs techniques. Dans la logique de l’intrusion toujours possible que génèrent ceux-ci, on assiste à la fragilisation d’un droit à la dissimulation, et de résister à la demande de transparence publique. Un tel droit – considérablement fragilisé aujourd’hui – doit pourtant rester l’enjeu d’une attention particulière dès l’instant où l’État se fait le garant d’une certaine idée du bien, et qu’il introduit « la police partout, tant et si bien que la police absolument intériorisée a son œil et ses oreilles partout, ses détecteurs a priori dans nos téléphones intérieurs, nos courriels et les fax les plus secrets de notre vie privée, et même de notre pur rapport à nous-mêmes » (Derrida, Dufourmontelle, 1997, p. 65). Diversité culturelle et pluralisme des valeurs La question d’un droit à la dissimulation, ou d’un droit au secret, se doit d’être éthiquement renforcée à l’heure où l’on assiste à l’épanouissement du modèle panoptique avec le tout numérique. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 132 18/11/2014 10:00:52 Éthique 133 Cependant, un tel enjeu ne saurait être débattu de manière globale, comme si nous étions universellement d’accord sur les conséquences éthiques de technologies qui accentuent la transparence de tous nos faits et gestes. Car chacun ne réagit pas de la même façon, ni avec la même indignation aux problématiques de surveillance et de contrôle. Ce qui nous amène à rappeler, avec l’anthropologue américain Edward T. Hall, que chaque culture peut avoir sa manière de concevoir les conditions de l’échange et les frontières de l’intimité. On s’aperçoit en effet que la perception que nous avons du respect de la sphère subjective demeure hétérogène et impose pour cette raison des évaluations propres à chaque société, en tenant ainsi compte du pluralisme des valeurs. La diversité et la complexité des interrogations censées s’ouvrir dans nos sociétés de l’information ne sauraient pour cette raison être détachées des contextes linguistiques. Car la pluralité des langues constitue autant de manières de nous situer dans le monde et de nous orienter dans nos existences. Une communauté ne saurait se réduire à un tout homogène, mais se caractérise par des plans d’existence différenciés. Cela signifie, comme l’avait exposé Jacques Derrida, que même au niveau de celles et ceux qui ont accès simultanément à la même séquence d’informations et qui subissent de la sorte un certain type de programmation se laissent percevoir des stratégies de réception qui sont toujours variables selon les contextes. La réception d’une information a lieu non seulement depuis des lieux différents, mais également depuis des langages différents. Autrement dit, si des logiques de standardisation des comportements se répandent dans les sociétés de consommation, la standardisation des moyens n’entraîne pas, comme dans un rapport de cause à effet, un appauvrissement des pratiques. Cela dans la mesure où les technologies les plus susceptibles de provoquer des logiques de synchronisation n’interviennent pas sur un terrain neutre mais renvoient à des régimes de sensibilité spécifiques qui stimulent le déclenchement de modes d’appropriation diversifiés. Ainsi, tant que nous aurons affaire à une multiplicité de langues et de cultures, s’épanouiront diverses manières d’être avec les technologies et de les interpréter. D’un point de vue éthique, c’est à tout le moins en fonction de telles exigences de différenciation que des modes de subjectivation devront continuer de travailler, en nous donnant par là les moyens de cultiver les conditions d’une évaluation en contexte de technologies numériques qui investissent toujours davantage nos existences. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 133 18/11/2014 10:00:52 134 Diversité culturelle à l’ère du numérique Termes liés : communication, connexion, e-réputation, imaginaire, langues, temporalités, vie privée/données personnelles Références Karl-Otto Apel, Éthique de la discussion, tr. de l’allemand par Mark Hunyadi, Paris, Éditons du Cerf, 1994. Jacques Derrida, avec Anne Dufourmantelle, De l’hospitalité, Paris, Calmann-Lévy, 1997. Jacques Derrida, Bernard Stiegler, Échographie de la télévision, Paris, Galilée-INA, 1996. Carsten Dutt, Dialogue avec Hans-Georg Gadamer. Herméneutique. Esthétique. Philosophie pratique, tr. de l’allemand par Donald Ipperciel, Fides, 1998. Robert Harvey, Hélène Volat, USA PATRIOT Act. De l’exception à la règle, Paris, Lignes & Manifestes, 2006. Edward T. Hall, La Dimension cachée, tr. de l’anglais (États-Unis) par Amélie Petita, postface de Françoise Choay, Paris, Seuil, 1971. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 134 18/11/2014 10:00:52 135 Financement des médias Nathalie Sonnac La numérisation de l’information, c’est-à-dire la transcription en langage binaire de contenus, constitue une révolution pour le secteur des industries médiatiques : télévision, radio, cinéma, presse écrite, tous considèrent l’internet et les NTIC comme une lame de fond, une transformation disruptive, au sens d’un changement profond des modalités de production, de consommation et de distribution des contenus auprès des téléspectateurs, des lecteurs, des auditeurs et des internautes. Les médias sont des vecteurs de démocratie, justifiant pour partie une régulation spécifique afin d’assurer le maintien du pluralisme de l’information et la diversité des supports. L’environnement numérique dans lequel les médias évoluent aujourd’hui et les organisations qui se dessinent les contraignent à chercher de nouvelles modalités de financement qui sont susceptibles d’impacter la nature des contenus. Rappel des financements médiatiques traditionnels Du double financement à la gratuité Depuis 1836 et jusqu’à l’aube des années 2000, la presse écrite n’a eu de cesse de jongler avec un modèle d’affaires qui s’appuie sur une structure atypique de financement : la vente d’information aux lecteurs – au numéro ou par abonnement – et la vente d’espaces publicitaires aux annonceurs. De nombreux auteurs ont étudié l’impact de ces modalités de financement sur la nature des produits, avec souvent la mise en évidence du poids des annonceurs dans la Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 135 18/11/2014 10:00:52 136 Diversité culturelle à l’ère du numérique nature des contenus offerts ; on reproche aux médias de vouloir plaire au plus grand nombre avec des contenus à haute teneur d’audience. L’arrivée des journaux gratuits au début des années 2000 accentue ces doutes quant à la nature de l’information et à son basculement dans le divertissement : les journaux étant offerts aux lecteurs, seuls les annonceurs paient les éditeurs en achetant des espaces publicitaires, et subventionnent in fine intégralement la production des titres, au risque d’une remise en cause totale de la qualité de l’information. La gratuité s’est immiscée à petits pas dans le modèle d’affaires de la télévision. En 1968, la publicité a fait son apparition dans l’audiovisuel public ; en 1987, la Une devient TF1, première chaîne commerciale en France, entièrement financée par la publicité. Très largement critiqué, son modèle se résume aux propos tenus par Patrick Lelay, dirigeant de la chaîne en 2004, « la programmation de TF1 consiste à vendre du temps de cerveau disponible à Coca-Cola ». Coexistence de trois modèles d’affaires Le premier modèle d’affaires est celui du service public de l’audiovisuel (modèle qui n’existe pas dans le secteur de la presse écrite !), dont le financement s’appuie principalement sur une redevance – taxe votée chaque année par le Parlement – et faiblement sur la publicité (les chaînes du groupe France Télévisions, les stations de Radio France) ; le deuxième se fonde uniquement sur les recettes publicitaires, il concerne les chaînes, les stations privées commerciales gratuites (TF1, NRJ…) et les journaux gratuits (20minutes, Metronews…) ; le troisième repose sur un double financement, lecteurs-téléspectateurs d’un côté, annonceurs de l’autre (modèle des marchés bifaces ou twosided markets). L’équilibre entre ces deux recettes varie selon les chaînes et les publications (Canal Plus, la majorité des périodiques). Le financement publicitaire a toujours été dénoncé mais, paradoxalement, dans l’univers audiovisuel, la garantie de pluralisme et de la diversité émane de l’État. A contrario, dans le secteur de la presse écrite, sa seule présence est synonyme de corruption ou d’injonction politicienne. Seule la vente aux consommateurs semble offrir la garantie d’une presse indépendante, mais compte tenu de son coût et de la nécessité d’atteindre de larges diffusions pour réaliser des économies d’échelle, l’appel à la publicité est devenu une condition consubstantielle de son existence. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 136 18/11/2014 10:00:52 Financement des médias 137 Le passage au numérique : danger démocratique ? Les bases du financement des médias à l’ère numérique ont été jetées dès l’origine. Au regard des différentes études empiriques, on constate que le passage au numérique ne modifie pas cette structure tarifaire : publicité (gratuité), abonnement et vente au numéro (paiement) demeurent les sources principales des recettes des médias. Ce qui a changé profondément et qui constitue une rupture, c’est d’abord une révolution technologique et économique qui a permis la multiplication des canaux de distribution (ADSL, câble, satellite, TNT, fibre) et a rendu possible une hyper-offre qui s’est traduite par la présence d’un très grand nombre d’acteurs jusqu’ici inconnus du monde médiatique : fournisseurs d’accès internet, groupes de télécommunications, pure players. Tous sont producteurs d’information avec, comme conséquence directe, une perte de valeur économique de l’information. Cette forte intensité concurrentielle se conjugue à une profonde crise économique mondiale depuis 2008, qui entraîne une chute des recettes publicitaires et des ventes liée à la baisse du niveau de vie des consommateurs. Ensuite, dans cet univers numérique, l’internaute est au cœur de l’écosystème médiatique. Le consommateur ne peut plus être relégué à la seule place d’un individu passif, mais il agit à son tour en tant que producteur, diffuseur et prescripteur de contenus – contenus dits alors « générés par les utilisateurs » (User Generated Contents). À cela s’ajoute le phénomène de la gratuité qui s’est répandu sur la Toile, où la mise à disposition pendant des années d’informations gratuites (actualités, divertissements, résultats sportifs, bulletins météo…) a conduit à affaiblir le consentement à payer des consommateurs, remettant en cause ainsi la viabilité de certains modèles d’affaires. Modèles d’affaires et démocratie Les sites des médias traditionnels ont dans un premier temps choisi de s’appuyer sur une offre gratuite de contenus, pour ensuite osciller dans une variété de configurations tarifaires. Textes écrits et images convergent à l’ère numérique, l’analyse en silo des médias tend à s’estomper, et les trois modèles d’affaires continuent de coexister : du tout gratuit, où les annonceurs assurent l’intégralité du financement de l’accès des consommateurs aux contenus (Atlantico, Rue89, Slate, Huffington Post…), au tout payant, où seuls les consommateurs paient (Arrêt sur images, Mediapart), en passant par le modèle freemium, mélange des deux modèles précédents. Ce dernier croise l’accès gratuit Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 137 18/11/2014 10:00:52 138 Diversité culturelle à l’ère du numérique (free) à une large palette de contenus et l’accès moyennant paiement à des contenus enrichis et exclusifs (premium). Avec le numérique sont nées des zones de valeur payantes pour des produits d’une certaine qualité, qui prennent la forme de murs payants (paywall) pour les plateformes d’audience. C’est le cas du New York Times, qui a lancé en mars 2011 un mur payant fonctionnant via un système de compteurs (metered system) qui donne au lecteur le droit de consulter dix articles de son choix pendant quatre semaines, puis un abonnement lui est proposé, dont le montant varie selon les formules et les supports. D’autres modalités émergent, tels l’accès payant aux archives ou l’accès à des offres en différentes versions numériques (ordinateur, mobile et tablette). Deux remarques sur ce modèle. La première souligne le caractère modulable des discriminations tarifaires du modèle. La seconde met en évidence que le choix d’un modèle d’affaires n’est pas neutre politiquement. Le modèle freemium donne naissance à une information à deux vitesses, avec un premier niveau pour une information uniforme, consensuelle, gratuite et soumise au diktat de la publicité, que l’on pourrait qualifier d’information au rabais (low cost), et un second niveau, payant, qui serait réservé à une certaine élite composée d’experts et de décideurs, prête à payer pour une information de qualité et enrichie, premium. Si la question de l’accessibilité de tous à l’information est posée, celle de la nature de l’information doit-elle l’être aussi ? Le danger de cette coexistence se situe sur le plan démocratique et doit interpeller le législateur. Les plateformes de l’audiovisuel sont confrontées aux mêmes difficultés, face aux mutations technologiques et économiques dans un univers concurrentiel qui s’est intensifié avec la présence d’acteurs puissants qui proposent des offres multiservices (triple play), combinant abonnement téléphonique, accès à l’internet et services audiovisuels. Ici, la télévision tend à devenir un produit d’appel et n’est plus qu’un service parmi d’autres. Mutation du marché publicitaire et nouvelles formes d’écriture La multiplication du nombre de médias a impacté aussi l’organisation du marché publicitaire. Le rapport de forces qui était en faveur des éditeurs traditionnels relativement peu nombreux s’est inversé au profit des annonceurs à l’ère numérique. Là où la tarification publicitaire reposait principalement sur la notoriété du média, croisant à la fois le nombre de publicités et le nombre de consommateurs exposés au message, la publicité en ligne est vendue et évaluée en fonction Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 138 18/11/2014 10:00:52 Financement des médias 139 des actions qu’elle suscite chez les internautes : clic, inscription et achat sont les nouveaux facteurs clé de la tarification publicitaire. Cette nouvelle convention, celle de la performance, porte atteinte aux médias à la fois dans leur économie, puisqu’elle se traduit par une baisse substantielle des tarifs publicitaires (et donc de leurs recettes), et dans leur fonction : recherche de techniques pour être référencés sur Google, qui génère 40 % de leur audience, et/ou opter pour des stratégies de recommandation pour être visibles sur les réseaux sociaux. Toutes ces techniques portent atteinte au pluralisme et voient se profiler le risque d’une uniformisation des contenus. Alors qu’on pouvait penser que, avec l’arrivée de l’internet, un formidable espace d’expression voyait le jour et garantirait pluralisme et diversité, les mécanismes de marché tendent à remettre en cause très largement ce postulat. Termes liés : économie des œuvres sous format numérique, journalisme, libre Références Danièle Attias, « La presse sur internet : quelle stratégie d’audience ? », in Culture web, Xavier Greffe et Nathalie Sonnac (éd..), Dalloz, chapitre 28, 2008, pp. 513528. Yochaïm Benckel, La Richesse des réseaux. Marchés et libertés du partage social, Presses universitaires de Lyon, 2009. Pierre-Jean Bengozi et Inna Lyubareva, « La presse française en ligne en 2012 : modèles d’affaires et pratiques de financement », Culture études, 2013/3, pp. 1-12. Jonathan Cook et Shahzeen Attari, « Paying for What Was Free : Lessons from the New York Times Paywall », Cyberpsychology, Behavior and Social Networking, vol. 15 (12), 2012, pp. 1-6. Patrick Le Floch et Nathalie Sonnac, Économie de la presse à l’ère numérique, Paris, La Découverte, 3e édition, coll. « Repères », 2013. Emmanuel Marty et al, « Diversité et concentration de l’information sur le web. Une analyse à grande échelle des sites d’actualité français », Réseaux, 2012/6 no 176, pp. 27-72. Alan Ouakrat, Jean-Samuel Beuscart et Kevin Mellet, « Les régies publicitaires de la presse en ligne », Réseaux, no 160-161, 2010, pp. 133-161. Franck Rebillard, « Du traitement de l’information à son retraitement. La publication de l’information journalistique sur internet », Réseaux, 137, 2006, pp. 2968. Guillaume Sire, « Google et les éditeurs de presse en ligne, une configuration négociée et négociable », Sur le journalisme, no 4, 2013, pp. 88-101. Nathalie Sonnac et Jean Gabszewicz, L’Industrie des médias à l’ère numérique, Paris, La Découverte, 3e édition, coll. « Repères », 2013. Nathalie Sonnac, « L’économie de la presse : vers un nouveau modèle d’affaires », Cahiers du journalisme, no 20, automne 2009, pp. 22-43. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 139 18/11/2014 10:00:53 140 Fracture numérique Alain Kiyindou Dans les années 1970 apparaît la notion de « pauvreté de l’information », vue comme le résultat d’un manque d’opportunité égale d’accès à l’infrastructure informationnelle. Elfrada Chatman considère que cette pauvreté de l’information est liée non seulement à la pauvreté économique, mais aussi à un ensemble d’attitudes et de normes sociales déterminées. Cette ségrégation socio-économique a pris, dans un contexte de développement de la société de l’information, le nom de « fracture numérique ». La fracture numérique est la traduction de l’expression américaine digital divide, expression communicationnelle de la mondialisation des échanges, voire de la globalisation. Communément, l’expression désigne le fossé séparant les personnes qui bénéficient de l’accès à l’information numérique et en font un meilleur usage – les « inforiches » – et celles qui demeurent privées des contenus et des services que ces technologies peuvent rendre ou ne les exploitent que faiblement – les « info-pauvres ». Cette question des inégalités, sous-tendue par la problématique de la fracture numérique, renvoie de facto à une lecture des problèmes sous un angle dichotomique, voire manichéen… Ainsi s’élaborent des duos oppositionnels, connectés/non connectés, Nord/Sud, ceux qui ont la possibilité de diffuser, de protéger, de promouvoir leur culture et les autres. Le terme « fracture » n’est donc pas neutre, en ce qu’il renvoie à un schisme, un traumatisme nécessitant une intervention rapide. L’e-inclusion est une autre façon de désigner la pression idéologique autour du rattrapage. En tout cas, même si les réseaux numériques constituent un formidable espoir de partage d’idées, de cultures et de valeurs, ils sont surtout au cœur de gros enjeux économiques, culturels, politiques… Le numérique facilite-t-il ou accroît-il les distances culturelles ? Répondre à cette question revient à adopter un parti pris technologique ou culturaliste mais, dans tous les cas, déterministe. La question qui nous préoccupe est celle de l’altérité Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 140 18/11/2014 10:00:53 Fracture numérique 141 dans le cyberespace, la place de l’autre ou de la culture de l’autre, ce qui nous ramène bien entendu à la problématique de la diversité culturelle et numérique. Une question de justice sociale La fracture numérique met en exergue une préoccupation essentielle, celle de la justice sociale. Les corrections nécessaires peuvent être sociales, financières ou culturelles, et s’apparentent à la discrimination positive. Il s’agirait donc de donner la possibilité à tous de protéger et d’exprimer leur culture à travers les réseaux numériques. On remarquera que, au plan scientifique, les analyses sur la question s’appuient souvent sur les théories contemporaines de la justice, produites à partir de John Rawls dans les années 1970. Les politiques publiques de réduction de la fracture numérique visent donc à ce que les femmes et les hommes, quels que soient leur statut ou leur lieu d’habitation, puissent avoir les mêmes chances de tirer profit des opportunités offertes par les technologies de l’information et de la communication. Au-delà du non-respect de l’identité culturelle, il y a un véritable risque, celui d’une inégalité d’expression des cultures et de la marginalisation de la majeure partie de la population du globe. Une approche théorique orientée vers la réduction des différences Les travaux sur la fracture numérique interrogent des enjeux techniques, politiques, économiques, sociaux et culturels liés. Ils abordent la question de l’accessibilité, de l’égalité des genres, du contrôle des réseaux, des contenus différenciés et de leur visibilité dans le cyberespace… Ils mettent en exergue le fossé entre, d’une part, ceux qui utilisent les potentialités des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour leur accomplissement personnel ou professionnel et, d’autre part, ceux qui ne sont pas en état de les exploiter, faute de pouvoir y accéder par manque d’équipements ou à cause d’un déficit de compétences. La fracture numérique s’avère être un marqueur, du moins au plan communicationnel, de la distance entre le local et le global, c’est-à-dire de la difficulté pour certaines localités, individualités, voire particularités, de s’insérer dans cette globalité qui serait la société planétaire, telle que prédite par Marshall McLuhan. L’e-inclusion consisterait à établir des passerelles (digital Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 141 18/11/2014 10:00:53 142 Diversité culturelle à l’ère du numérique bridges) qui relieraient ces différentes singularités avec l’idée de développer un monde uni, dans lequel tous seraient connectés au sein d’un réseau mondial. Cette « réconciliation de la grande famille humaine », pour reprendre les termes d’Al Gore, s’organise sans tenir compte du fait que la société est un ensemble multiforme qui ne peut être réduit à la raison technologique. De la fracture numérique à la fracture culturelle Si l’on considère que le contexte joue un rôle important dans la construction du sens et donc dans l’appropriation des contenus diffusés, l’on s’aperçoit vite, dans la production de ces contenus, qu’il est très difficile de prendre en compte les contextes variés, culturels, économiques ou autres, dans lesquels se situent les destinataires. Il y a donc lieu de parler de fracture culturelle. Elle peut être envisagée en lien avec la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, voire avec le Nouvel Ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC), puisqu’il est question de tenir compte de la diversité des cultures, de leur diffusion, de leur protection, de leur valorisation et de leur réception. La fracture naît de l’« ethno-centralisation » des systèmes informationnels. Partage des savoirs ou fracture cognitive ? La question du partage des savoirs est liée à l’objectif de réduction de la fracture cognitive (knowledge divide). Elle est à mettre en rapport avec l’accès à l’information que Widad Mustafa El Hadi aborde en termes de recherche d’informations traditionnelles, recherche d’informations multilingues, extraction d’informations, fouille de textes, traduction automatique, veille scientifique et technologique… En effet, la notion de fracture numérique présuppose des aptitudes d’appropriation partagées de tous et fait l’impasse sur les obstacles que rencontrent certains individus pour convertir les opportunités technologiques en avantages pratiques concrets. Cette question des compétences numériques est traitée depuis longtemps par divers auteurs qui s’intéressent à l’éducation et à la pédagogie des TIC. Dans les recherches sur la fracture numérique, ces compétences apparaissent aussi sous les appellations de « nouvelle culture numérique » ou d’« alphabétisation numérique ». Sur le plan théorique, c’est Rob Kling qui distingue pour la première fois expli- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 142 18/11/2014 10:00:53 Fracture numérique 143 citement les inégalités dans les connaissances et les compétences (social access) des internautes. De nos jours, la question des compétences numériques (digital skills) des utilisateurs pour s’approprier pleinement les contenus offerts par les TIC, et de leur capacité à les développer à travers leurs activités en ligne est devenue centrale. Si, depuis, de nombreux travaux ont été publiés (Ben Youssef, Valenduc, Dupuy, Guichard, Soupizet…), peu de recherches se sont attachées à établir un lien avec la protection des expressions culturelles évoquée par la Convention de l’UNESCO. Il y a trop souvent inadéquation entre les informations diffusées et les croyances des populations. Cela est d’autant plus important que, comme l’explique Sven Ove Hansson (2002), « le savoir est d’abord une espèce de croyance, puisque ce que l’on ne croit pas ne saurait être du savoir ». Le décalage avec les cultures locales est caractéristique de bon nombre d’informations diffusées sur le web. Ce décalage se situe au niveau à la fois de la forme et des contenus diffusés. De la fracture à la fragmentation numérique Toute différence n’est pas nécessairement inégalité. Elle ne devient inégalité que par référence à un cadre normatif qui la perçoit comme une injustice. La différence numérique devient une inégalité au nom des exigences et des valeurs dictées par la techno-logique issue de la mondialisation et de la financiarisation des économies. Mais si la plupart des chercheurs s’accordent sur la présence d’une fracture, mettre l’accent sur sa réduction ne dénoterait-il pas une orientation idéologique ? Cette réflexion conduit certains auteurs à préférer les termes de « fragmentation numérique », voire d’« opportunité ». La diversité ne se situe-t-elle pas aussi dans les accès et les usages différenciés ? Tenir compte de la diversité des cultures numériques revient donc à abattre les murs de l’intolérance qui séparent les prétendus hyperconnectés des « mésutilisateurs ». C’est aussi déplacer les balises au gré des publics, des besoins, des moments, des acteurs ; c’est bousculer les conventions et éprouver les certitudes. Derrière l’utopie technique qui gravite autour du développement de l’internet se cachent en effet une vision « élitico-ethnocentrique » du monde et un projet industriel de grande ampleur. Or le monde est, dans son essence, divers. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 143 18/11/2014 10:00:53 144 Diversité culturelle à l’ère du numérique Termes liés : communication, connaissance, connexion, éducations aux médias, littératie numérique, temporalités, public/usagers, territoires Références Abdel Ben Youssef, « Les autres dimensions de la fracture numérique », Réseaux, no 127-128, 2004, pp. 233-251. Elfreda A. Chatman, « The Impoverished Life-World of Outsiders », in Journal of the American Society for Information Science, 47, 1996, pp. 193- 206. Widad Mustafa El Hadi (dir.), Terminologie et accès à l’information, Paris, Lavoisier, 2006. Alain Kiyindou (dir.), « Fracture numérique et justice sociale », in Les Cahiers du numérique, vol. 5, no 1, janvier-mars 2009. Alain Kiyindou (dir.), Fractures, fragmentations et mutation de la diversité des cultures numériques, Paris, Hermès-Lavoisier, 2009. Rob Kling, « Technological and Social Access on Computing, Information and Communication Technologies », White Paper for Presidential Advisory Committee on High Performance Computing and Communication, Information Technology, and The Next Generation Internet, « Presidential Advisory Committee on High Performance Computing and Communication, Information Technology, and The Next Generation Internet, Washington », 1998. Sven Ove Hansson, « Les incertitudes de la société du savoir », in Revue internationale des sciences sociales, no 171, Paris, UNESCO, 2002, pp. 43-51. Gérard Valenduc, Patricia Vendramin, Internet et Inégalités : une radiographie de la fracture numérique, Bruxelles, Labor, 2003. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 144 18/11/2014 10:00:53 145 Genre Laurence ALLARD Interroger la diversité culturelle à l’heure du numérique sous l’entrée « genre » peut donner lieu à différentes formes de réponses, en fonction même du spectre large que recouvre cette notion depuis Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. Le champ notionnel s’étend du genre comme construction, culturelle ou sociale du sexe, au genre comme performance, redéfinissant les identités de femme, d’homme ou de transgenre, en tant que pratiques signifiantes et indexicales. Il est ainsi acquis que la performativité du genre organise le social et contribue à la formation des identités. Grâce à la problématique du genre (gender), ce sont les identités biologiques et les rapports sociaux ainsi que les pratiques culturelles qui sont réarticulés à nouveaux frais. Cette réarticulation du naturel et du social ouvre à une meilleure prise en compte de la diversité culturelle. Delphine Gardey, citant l’historienne pionnière des femmes Michelle Perrot déclarant que « l’universel qui demeure un objectif ne peut que s’enrichir de ces consciences multiples », rappelle également que « savoir des femmes et des hommes, c’est savoir plus, c’est savoir mieux ». La prise en compte du genre participe de la compréhension et de la réalisation des enjeux de la diversification des contenus, du respect de la différence, de la promotion des valeurs communes. À travers la prise en compte du genre, aux côtés de la classe sociale et de l’ethnicité, s’ouvrent des champs de connaissances et de pratiques, que cela soit au plan des systèmes de valeurs, des traditions et des croyances, des productions intellectuelles et artistiques, des modes de vie ou des groupes sociaux. Ainsi, il est possible de s’attacher aux pratiques numériques en s’attachant aux formes de socialisation genrée de la culture numérique. Est alors mis en avant comment le sexe des pratiques culturelles est construit par des effets de genre allant des catégorisations sociales stéréotypées des cultures filles et des cultures garçons aux transmissions familiales. Les compositions des univers culturels, Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 145 18/11/2014 10:00:53 146 Diversité culturelle à l’ère du numérique les types de sociabilité, les modes de réception et la formation de l’identité peuvent constituer des perspectives genrées d’appréhension de la culture et des pratiques numériques. Dans ce cadre, on peut citer la façon dont l’internet joue un rôle de machine à resignifier, à réinterpréter, à recoder les images hypersexualisées et stéréotypiques à travers les pratiques de remixage de certains clips vidéos, electro dance ou rap. La stratégie de discours parodique fréquemment adoptée sur le web constitue une forme de déconstruction par une lecture au second degré des archétypes médiatiques indexant le genre sur une délimitation biologique normative. Il reste cependant à comprendre comment les technologies culturelles ne sont pas elles-mêmes neutres, et comment une approche genrée des pratiques numériques doit également prendre en compte comment, dès sa conception, l’innovation technologique est tramée dans des rapports sociaux de sexe, et comment, dans leurs usages, les techniques sont dotées d’un genre. En effet, il ne faudrait pas oublier que, derrière le numérique saisi depuis le genre, une anthropologie s’esquisse, dans laquelle les hybrides sociaux que sont les technologies numériques naturalisent les interactions sociales, voire les invisibilisent, dans les processus typiques de diffusion sociale de toute technologie nouvelle de communication. Et parmi ces interactions sociales, il faut compter les rapports sociaux de sexe. La neutralité technologique relève donc d’un mythe stérile, et l’on doit aux épistémologues féministes d’avoir éclairé la « genderisation » des techniques dont relève le numérique. La critique féministe, en plus de réinterroger les technologies numériques à l’aune du corps sexué ou de la domination sociale, a ouvert à un nouvel usage des technologies culturelles. On citera ici l’œuvre indépassable de Donna Haraway qui, avec la figure du « Cyborg », a enfanté le mouvement cyberféministe comme nouvel horizon de pratiques numériques pour et par des femmes. Le Cyborg, cette chimère mi-humaine mi-machine, appelle à imaginer les redéfinitions identitaires et les reconstructions de genres possibles. Le mouvement cyberféministe a ainsi œuvré à former aux technologies numériques des femmes dans le monde entier, a encouragé l’apprentissage du code par les femmes dans le but d’augmenter leur capacité d’agir et d’expression sociale. Des ateliers ont été organisés, tandis que des groupes d’artistes femmes, comme VNS Matrix, utilisent dès 1991 ce terme en hommage à Donna Haraway ou œuvrent avec le code HTLM, comme dans My Boyfriend Came Back From the War d’Olia Lialina datant de 1996. Le « techno-opportunisme », prôné dès 1985 par l’auteure de A Cyborg Manifesto pour l’appropriation de l’informatique par les femmes et pour le détournement de son usage militaire, inspire, de façon para- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 146 18/11/2014 10:00:53 Genre 147 doxale, certaines actions contemporaines contre le gender gap numérique. Des programmes TechGirls ou Tech Woman sont lancés notamment dans le cadre de la ligne diplomatique du pouvoir intelligent (smart power), sous Hillary Clinton, pour amener les jeunes filles et les femmes du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie à entrer dans des carrières utilisant les nouvelles technologies. Du cyberféminisme au pouvoir intelligent féministe, c’est un trajet qui part de la croyance en un monde virtuel ouvrant à tous les engendrements possibles et qui conduit à un retour à la réalité hybridée avec le numérique, dans laquelle les femmes doivent toujours se faire une place. Car le terrain économique a besoin des femmes et de compétences numériques généralisées. N’oublions jamais que si Martin Cooper a été inspiré par le communicator du Capitaine Kirk dans la série télévisée Star Trek, ce sont des femmes pauvres du Bangladesh qui ont loué les premières minutes de téléphonie aux hommes. Termes liés : fracture numérique, imaginaire, innovation, pratiques, public/usagers Références Laurence Allard, Mythologie du portable, Le Cavalier bleu, Paris, 2009. Judith Bulter, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006. Delphine Gardey, Enjeux des recherches sur le genre et le sexe. Rapport de conjoncture du Comité national de la recherche scientifique, Éditions du CNRS, Paris, 2004, vol. 2, pp. 181-208 ; lire en ligne http://halshs.archivesouvertes.fr/docs/00/02/95/21/PDF/Gardey_rapport-genre_sexe_03_2004. pdf. Donna Haraway, « Manifeste Cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la fin du xxe siècle », in Manifeste Cyborg et autres essais : Sciences. Fictions. Féminismes, anthologie établie par Laurence Allard, Delphine Gardey, Nathalie Magnan, éd.. Exils, 2007. Sylvie Octobre, « La fabrique sexuée des goûts culturels : construire son identité de fille ou de garçon à travers les activités culturelles », in Développement culturel, ministère de la Culture et de la Communication, no 150, décembre 2005. Cornelia Sollfrank, First Cyberfeminist International, 1997 ; lire en ligne www.obn.org. VNS Matrix, //syx.org/vns. Judy Wajcman, TechnoFeminism, Polity, Cambridge, 2004. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 147 18/11/2014 10:00:53 148 Imaginaire Emmanuel Eveno Avant de se concrétiser dans les panoplies de l’homme moderne (micro-ordinateurs, tablettes numériques, téléphones portables, téléphones intelligents…), avant d’avoir suscité l’installation de l’une des infrastructures les plus importantes à la fois sur terre, sur mer et dans l’espace, avant tout cela, le numérique est un langage, un type de codification de l’information particulièrement adapté aux machines ou aux objets. C’est aussi un langage véhiculé par un corps professionnel, celui des informaticiens et des ingénieurs. Comme tout langage, il porte en lui des représentations du réel qui lui sont propres, et qui sont aussi le reflet du monde professionnel qui lui donne corps avant qu’il ne diffuse très largement au-delà de ce premier cercle pour s’imposer un peu comme une deuxième langue (à moins qu’il s’agisse d’une langue de substitution ?) à une proportion croissante de la population mondiale. L’imaginaire de ce monde numérique se décline en trois grands registres. Le premier de ces registres est celui que nous qualifierons de « spatial » : ce monde numérique fait apparaître de nouveaux types d’espaces. Il met également en exergue des usagers, soit des individus qui passent le plus clair de leur temps dans ces nouveaux types d’espace ». Enfin, ce monde est aussi peuplé par des êtres spécifiques, qui n’existent que là ou qui trouvent là un mode d’existence plus satisfaisant ou stimulant. Les nouveaux types d’espaces, parce qu’exprimés en langage numérique, ne correspondent plus à l’espace perçu et sensible… mais peuvent parfaitement se poser en espace vécu (socialisé, pratiqué…). La représentation spatiale du monde numérique la plus marquante, celle qui est en passe de devenir un consensus entre le monde des professionnels et celui des usagers, est sans doute celle qui se traduit dans les expressions de « cyberespace » ou de « monde virtuel ». Le mot « cyberespace », traduction de l’anglais cyberspace, a été inventé Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 148 18/11/2014 10:00:53 Imaginaire 149 en 1984 par le romancier de science-fiction, tendance cyber punk, William Gibson dans Neuromancer. Il en propose la définition suivante : « Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs, dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts mathématiques… Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. » Après que l’ordinateur a été présenté comme une modélisation du cerveau humain, le réseau des ordinateurs se présente comme une métaphore de l’espace. Mais cet espace réticulaire est totalement débarrassé des pesanteurs de l’espace physique, il subvertit les frontières, annihile les distances, disloque les territoires ou les recompose sur des logiques d’archipels… De même, les usagers de ces espaces ont un statut particulier, entre un monde et l’autre, ils se caractérisent par de nombreuses ambiguïtés et ambivalences. Les figures héroïques auxquelles s’identifient les usagers du cyberespace sont en effet assez souvent des individus dont l’identité territoriale est découplée de l’identité réticulaire. Parce que ces individus transgressent les frontières physiques et sociales qui abritent les communautés de chair et de sang, ils agissent dans un monde où la question de la co-présence des corps a été évacuée. Les nerds, les geeks, les nolife et autres hikikomori ou otaku sont des figures héroïques non en fonction d’un corps qu’ils minorent ou martyrisent, mais parce qu’ils maîtrisent les conditions de la mobilité dans le monde du réseau. Lisbeth Salander, l’héroïne du roman à succès Millénium de Stieg Larsson, est un représentant assez typique de cette communauté d’individus au physique ingrat : « […] une fille pâle, d’une maigreur anorexique, avec des cheveux coupés archicourt et des piercings dans le nez et les sourcils » (p. 50), « […] son corps était voué à l’échec pour une carrière de mannequin […] » (p. 51) ; déscolarisés : « […] non seulement elle paraissait perturbée […], mais elle avait aussi loupé le collège, n’avait jamais mis un pied au lycée et manquait de toute forme d’études supérieures […] » (p. 51) ; asociaux : « Le problème était qu’elle se foutait des horaires normaux de bureau ou des méthodes de travail » (p. 52), « Son attitude n’encourageait ni aux confidences ni à l’amitié, et elle devint rapidement un phénomène occasionnel qui rôdait tel un chat perdu dans les couloirs de Milton. On la considérait comme totalement irrécupérable » (p. 52) ; dotés d’une identité floue ou confuse : Lisbeth est présentée dans l’ambiguïté d’une identité oscillant entre adolescence et majorité, entre homosexualité et hétérosexualité. Tout cela se trouvant compensé par une agilité quasi surnaturelle, une forme de transfiguration dès lors qu’elle se trouvait aux prises avec le monde numérique. Cette transfiguration s’exprime Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 149 18/11/2014 10:00:53 150 Diversité culturelle à l’ère du numérique aussi par le recours à des identités multiples, par une grande mobilité dans l’espace, une capacité à se jouer des frontières institutionnelles, voire par des dons particuliers (hypermnésie). Le cyberespace se présente comme un espace expansé ou augmenté. À la différence des territoires, il ne correspond à aucune métrique topologique. Si les territoires pouvaient être considérés comme les espaces de la vie quotidienne des communautés humaines de chair et de sang, le cyberespace est le plus souvent peuplé d’avatars ou d’individus débarrassés de toutes les contraintes qu’imposent les lois de la biologie, comme celles de l’histoire ou de la géographie. Les films de cinéma comme les jeux en réseau sont particulièrement friands dans la surenchère autour de ces imaginaires débridés qui font revivre des dinosaures, des êtres fantastiques qui ont pour particularités d’être souvent des êtres hybrides, entre l’homme et l’animal, entre l’homme et la machine, entre l’homme et les objets. Une des questions fondamentales auxquelles nous sommes confrontés face à l’irruption de ces imaginaires est celle qui s’intéresse à la portée de ces changements. Sommes-nous entrés ou sur le seuil d’une ère numérique qui imposerait un ordre nouveau, porterait des imaginaires nouveaux, verrait se déployer une nouvelle civilisation, prospérer une nouvelle humanité, une « posthumanité » ? Nous trouvons-nous face à une remise en cause des fondations même de l’imaginaire analogique ou face à l’émergence de nouveaux registres de l’imaginaire, qui viendraient s’ajouter aux autres ? Autrement dit, le langage numérique va-t-il représenter demain le seul langage possible à la surface de la terre, un langage de plus ou un langage parallèle à tous les autres ? Autre formulation plus provocante encore : le monde numérique s’installe-t-il sur la décadence du monde analogique, ou comme complément, comme parallèle, nouvel espace ouvert à la colonisation ? Le monde numérique, symbolisé par les objets qui constituent autant de terminaux d’accès ou, pour reprendre le langage analogique (ici plutôt métaphorique), les « quais d’embarquement », mais aussi promu par l’action des États dans leur très grande majorité à partir de la décennie 1990, validé par la croissance extrêmement rapide et soutenu de ses usagers (habitants virtuels et désincarnés), serait-il le pendant de la mondialisation, de la massification, de la destruction des cultures locales ? Dans la généalogie des raisons qui ont présidé à la mise en œuvre du projet étatsunien des autoroutes de l’information au début de la décennie 1990, l’une des plus importantes était celle qui voulait assurer la prééminence et l’exportation du modèle consumériste et culturel étatsunien (l’American Way of Life) véhiculé notamment par l’industrie du cinéma hollywoodien. La multiplication Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 150 18/11/2014 10:00:53 Imaginaire 151 des films recourant aux effets spéciaux, concomitante de cette période qui démarre avec les années 1990 et se prolonge de nos jours, renvoie en fait au constat que les effets spéciaux constituent un langage dont les codes de compréhension sont universels. L’expressivité corporelle disparaît et s’efface devant des images de synthèse qui subjuguent l’ensemble des codes culturels et sociaux. Si l’on conçoit le monde numérique comme étant en passe de se substituer à « notre » monde, alors le numérique et la mondialisation sont les horizons, l’acmé de la modernité. Ils constituent à la fois le point de fuite et l’achèvement de l’histoire, de même que la maîtrise définitive de l’espace. Dans le courant de la décennie 1990, on a ainsi vu se multiplier les thèses eschatologiques sur la fin de l’histoire, le collapsus de l’espace et du temps, la mort de la distance. Or rien de tel ne s’est encore produit, et si de nombreux arguments permettent de lier l’avènement de la mondialisation et d’un monde numérique, il n’en reste pas moins que l’on peut aussi ne considérer ces arguments que comme les signes d’une conjoncture spécifique, celle de l’émergence de nouveaux codes culturels et sociaux, qui peuvent certes dominer un temps, au point d’écraser une part de l’existant, mais qui peuvent aussi, dans un deuxième temps, rentrer dans le rang ou, plus sûrement, se déposer comme une nouvelle couche sur les précédentes. Hollywood n’a pas imposé définitivement ses standards prétendus universaux tandis qu’émergent des standards fort différents : Bollywood en Inde, Nollywood au Nigeria… L’apparition d’un nouveau mode d’expression a déjà, dans le passé, bouleversé les représentations du monde. Au moment de l’invention du daguerréotype, on prête à Paul Delaroche, peintre de son état, une prophétie aventureuse : « À partir d’aujourd’hui, la peinture est morte ! » À rebours des thèses qui s’efforcent de démontrer l’avènement d’une révolution fondée sur le numérique, il est à notre avis bien préférable de considérer que ce monde numérique vient se présenter comme de nouveaux espaces à conquérir. Parce que la civilisation numérique n’existe encore que dans les utopies, les rêves ou les cauchemars, il est préférable de parler, à l’instar de la réalité augmentée, d’« imaginaires augmentés ». Le langage numérique propose de nouveaux imaginaires, qui se socialisent peu à peu, en se confrontant aux imaginaires analogiques. Il n’aurait donc pas ces propriétés disruptives ni d’écrasement du monde, mais d’ouverture vers de nouvelles dimensions, de nouveaux confins… Après l’essoufflement des conquêtes géographiques terrestres et la disparition des bouts du monde, le monde numérique en propose de nouveaux (monde de mégalopoles, d’insularités, de villes flottantes) et exhume la figure de nouveaux pionniers, nouveaux pirates, individus apparemment sans Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 151 18/11/2014 10:00:53 152 Diversité culturelle à l’ère du numérique corps, attache, racine ni histoire, sans identité (le « pseudonymat »), sans visage (les Anonymous), éventuellement êtres hybrides (hommes-machines, hommes augmentés) ou mutants… Ce faisant, cet imaginaire n’est ni sans histoire, ni sans tradition, ni sans références. Les êtres hybrides peuplent depuis la nuit des temps nos imaginaires de bouts du monde. Les cynocéphales par exemple en sont de belles manifestations. Nous pouvons donc conclure, prudemment, que les enjeux à venir sont à la fois ceux qui consistent à coloniser les « nouveaux mondes » et à les « civiliser ». Autrement dit, il s’agit d’investir des modes de pensée, des représentations qui permettront d’établir des passerelles entre des mondes et des imaginaires qui n’apparaissent en confrontation que parce qu’ils fonctionnent encore sur des codes trop différents et que les effets de nouveauté sont, comme toujours, considérablement survalorisés, au bénéfice des premiers acteurs qui maîtrisent convenablement les codes ou les instruments de navigation entre un monde et l’autre. Termes liés : communauté(s), communication, e-réputation, genre, jeu, navigation et cartographie, pratiques, public/ usagers, réseaux sociaux, sérendipité, vie privée/données personnelles, virtuel Références Philippe Breton, La Tribu informatique. Enquête sur une passion moderne, Éditions Métailié, 1990. Emmanuel Eveno, « Science-fiction urbaine », dossier « Aires numériques », Urbanisme, no 376, janvier-février 2011, pp. 68-70. William Gibson, Neuromancer, Paris, La Découverte, coll. « Fictions », 1985. Stieg Larsson, Millénium 1. Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, Actes Sud, coll. « Babel noir », 2006. David Lebreton, L’Adieu au corps, Paris, Éditions Métailié, 1999. Pierre Lévy, Cyberculture, Paris, Odile Jacob, 1997. Theodore Roszak, The Cult of Information. A Neo-Luddite Treatise on High-Tech, Artificial Intelligence, and the True Art of Thinking, Berkeley, University of California Press, 1994. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 152 18/11/2014 10:00:53 153 Industries créatives Divina Frau-Meigs La notion d’« industries créatives » (creative industries), au pluriel dès le départ, apparaît officiellement en 1997, au sein de la Creative Industries Taskforce du gouvernement britannique. Il s’agissait alors de se saisir des promesses du numérique dans son interrelation aux arts et au commerce pour définir « ces activités qui voient leur origine dans la créativité, l’habileté et le talent de l’individu et qui ont le potentiel de créer de la richesse et des emplois à travers la production et l’exploitation de la propriété intellectuelle ». Cette définition manifeste la volonté politique de réorganiser les filières de la culture en termes de compétitivité pour s’appuyer au mieux sur les nouvelles pratiques numériques, car c’est bien d’elles qu’il s’agit en sous-texte, tout en maintenant la pression de la propriété intellectuelle sur les biens culturels. Depuis, en 2013, l’Union européenne a adopté le programme Europe créative 2014-2020, qui intègre les programmes MEDIA, MEDIA Mundus et Culture, et propose un cadre unique pour les secteurs de l’audiovisuel et de la culture. Le terme a fait l’objet de tensions, externes d’une part, dans sa relation en contre-distinction à la notion d’« industries culturelles », internes d’autre part, en ce qui concerne son périmètre, entre une définition étroite qui l’associe aux filières des arts appliqués et au design (comme en atteste le rapport français de France créative, 2014), et une définition large qui pointe vers des métiers, des modes de financement et pratiques numériques en devenir, dont la complexité est telle que la notion émergente de marchés bifaces ne suffit pas à l’expliquer. Dans cet état d’évolutions théoriques, la diversité des interactions imbriquées et des secteurs de production, de distribution et de consommation impliqués suggère que, à bien des égards, c’est la notion de participation, individuelle ou collaborative, qui est au cœur des enjeux des industries créatives et qui les différencie des industries culturelles. Cela tient aux deux versants des biens culturels à l’ère numérique, le relationnel et l’expérientiel, fortement imprégnés Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 153 18/11/2014 10:00:53 154 Diversité culturelle à l’ère du numérique par la culture des réseaux et par une représentation de la culture comme « réseau cognitif distribué », selon Merlin Donald. Les deux versants des biens culturels numériques Les biens relationnels favorisent des relations interpersonnelles durables et sont des biens publics locaux, non rivaux, dans la tradition des biens communs (commons), selon Carole Uhlaner. Ils ne sont pas liés aux échanges commerciaux, et sont en fait maintenus par des actions non contractuelles, coordonnées et distribuées. Leur valeur est fondée sur l’interaction entre les individus, particulièrement la réciprocité dans la poursuite de l’intimité et les perceptions mutuelles de compréhension et d’attention, ce en quoi ils produisent du plaisir et du bien-être. En ce sens, ils affectent la socialisation et l’autonomisation, qu’ils font dépendre moins de questions matérielles (le pouvoir d’achat, la propriété) que de questions subjectives (l’expression de soi, l’interaction…), comme en témoignent non seulement le temps passé avec des « amis » sur les réseaux sociaux, mais aussi les sites d’échange et de troc gratuits. Ils n’ont littéralement pas de prix. Les biens expérientiels sont ceux qui s’acquièrent (ou pas) selon la logique de l’usage plutôt que selon la logique de l’offre et de la demande. Leur valeur est fondée sur la possibilité de les tester et de les améliorer par le biais d’efforts contributifs, ou effets de réseau, par lesquels ces biens peuvent être modifiés par les usagers, la qualité augmentant à mesure que le nombre de participants s’accroît. Ils s’appuient sur la puissance des « réseaux adaptatifs non linéaires » et sur des « choix cognitifs non rationnels » (mais très relationnels) selon John Holland, préoccupé de l’adaptation des systèmes complexes dans le numérique et la mondialisation. Leur valeur relève de bénéfices intangibles comme l’attente de bien-être, de « pouvoir d’agir » (empowerment), de qualité de vie. Leur coût se fonde sur ces expériences qualitatives, avec des formes d’estimation fondées sur l’usage, la confiance et la gratification (la réputation, la reconnaissance par les pairs, l’appartenance au groupe…). Ils présentent l’avantage d’être applicables tant aux marchandises matérielles qu’immatérielles, ce qui met les médias et les médiations au cœur même du processus, notamment par les dispositifs socio-techniques que sont les plateformes numériques. De par leur logique adaptative et distribuée, ces biens peuvent prêter à confusion avec les biens relationnels dont ils sont l’autre versant. Ainsi un moteur de recherche comme Google participe-t-il des deux logiques, car il favorise le relationnel (accès gratuit à réseaux sociaux), et relève pourtant de l’expérientiel (publicité et services). Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 154 18/11/2014 10:00:53 Industries créatives 155 Tensions externes et internes La première définition des industries créatives vise à créer un nouveau secteur, qui se démarque des industries culturelles et donc ne tombe pas sous le coup de la Convention de 2005. L’UNESCO réagit dans sa définition de 2006, qui réintègre les industries créatives comme un sous-ensemble des industries culturelles : « Les industries créatives se distinguent des industries culturelles […] par l’accent porté sur l’expression et l’identité, plutôt que sur la commercialisation, avec un intérêt particulier pour l’artisanat et les arts populaires, voire le design, avec des applications et des produits dérivés dans l’édition, la musique et le film. » Aux démarches cherchant à s’approprier de nouveaux domaines de l’activité humaine collective, comme la gastronomie, le folklore ou le design, s’ajoutent des perspectives plus articulées entre production matérielle et production numérique car ces secteurs sont désormais dépendants des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour leur développement et leur diffusion. Ces deux définitions mettent en évidence la manière dont les industries créatives cherchent à dépasser les oppositions prénumériques entre deux générations de contenus traditionnellement en concurrence : les productions de masse de contenus « professionnels » lourds et chers, sur le modèle industriel d’Hollywood, d’une part, et les contenus « amateurs » légers et ouverts, proches de la production collaborative (crowdsourcing) et du financement collaboratif (crowdfunding), d’autre part. L’une vise un prolongement des industries culturelles dans l’économie de la connaissance et la mondialisation, tandis que l’autre reconnaît des usages multiples basés sur des biens relationnels et expérientiels, adossés au tissu de petites entreprises locales et à son intelligence distribuée plus encore qu’au soutien du secteur public et au mécénat d’État. Elles marquent un déplacement des approches économiques, d’une part, et sociologiques et communicationnelles, d’autre part. Dans la perspective économique, Richard Caves propose cinq critères pour distinguer les industries créatives des autres, en se fondant sur certaines caractéristiques des médias numériques : 1) la nature du produit, qui relève des biens expérientiels, c’est-à-dire ceux dont la valeur ne peut être évaluée comme celle d’un autre produit commercial, car ils requièrent d’être testés avant l’acte d’achat ; 2) la nature du processus de production : la mise en place du prototype exige une mise de départ importante, mais les coûts de reproduction, de stockage et de distribution par contre sont très bas. Le retour sur investissement se fait à partir du nombre de copies vendues ; Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 155 18/11/2014 10:00:53 156 Diversité culturelle à l’ère du numérique 3) la nature de la consommation : le prototype n’est jamais consommé (il est sur un support dématérialisé) et le consommateur donne de la valeur à l’expérience vécue plus qu’à la forme matérielle du produit ; 4) la difficulté de la prévision : la valeur du produit sur le marché est très difficile à prévoir, ce qui crée des conditions d’incertitude et exige des prises de risque importantes ; 5) la relation au consommateur : chaque produit étant unique et irremplaçable, il ne fait pas concurrence à d’autres à la manière de produits de consommation classiques, mais il rivalise avec d’autres produits pour l’attention et le temps du consommateur. À ces critères, il faut ajouter le fait que les industries créatives travaillent avec une force ouvrière très qualifiée, aux compétences très spécifiques, relevant souvent des métiers de l’art, avec une nécessaire utilisation des TIC. Le modèle économique, encore très chaotique, ressemble à celui de la production filmique par son orientation projet : une équipe se constitue pour l’occasion et se dissout une fois le produit réalisé. Les ouvriers fonctionnent à la pièce, souvent en freelance, sans perspective de plein emploi. Les possibilités de satisfaire à une demande sans fin sont très nombreuses, en raison du stockage infini et de la réutilisation multiple du prototype. Dans ce contexte, les industries créatives risquent de modifier durablement les codes de l’expression culturelle, car celle-ci devient peu coûteuse et non asservie au star system (qui doit être très agressif, pour amortir les coûts). Chris Anderson y voit la fin de la tyrannie des tubes, des blockbusters et des best-sellers, et l’avènement des cultures de niche à publics fragmentés. Pierre Mœglin s’interroge sur le mode de rémunération du travail créatif et parle de l’« essor du courtage informationnel », pour rendre compte de la rémunération des « infomédiaires » qui tirent leur épingle du jeu par le référencement et la commission. D’autres analystes comparent cela au « nétayage » (sharecropping), où la contribution de chacun des membres sur les grandes plateformes prêtes à médiatiser est juste suffisante pour la subsistance mais où l’ensemble profite à quelques grands cyber-propriétaires, autrement dit les grandes entreprises de l’économie numérique, qui peuvent mettre des barrières financières élevées et exiger des droits d’auteur et des royalties importants (Frau-Meigs, 2008). Dans la perspective sociologique et communicationnelle, c’est le point de vue des usagers-consommateurs qui est pris en compte plutôt que celui des entreprises. Les industries créatives sont très liées au processus d’information-communication lui-même : 1) la nature du processus de communication : il vise l’expression et la participation, plus encore que la diffusion, et la satisfaction des usagers relève des biens relationnels ; Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 156 18/11/2014 10:00:53 Industries créatives 157 2) la nature de l’information : les données échangées portent sur l’individu en quête de groupes affinitaires, visent à repérer les valeurs, les habitudes et les goûts, et à créer la confiance tout en créant du sens dans une culture et un contexte situés ; 3) la puissance des processus cognitifs et communicationnels : les pratiques fonctionnent sur des stratégies de l’ordre du remix et des expériences personnalisées comme l’agrégation, la curation, le collage et l’échantillonnage, caractéristiques des échanges sur le Web 2.0 ; 4) les outils de la prévision : les choix non rationnels des usagers sont compensés par la prise en compte des valeurs de soutenabilité et de responsabilité sociétale, liées aux contraintes écologiques, fortes parmi les usagers des réseaux (liées au bien-être) ; 5) la relation au consommateur : elle se fonde moins sur la valeur fiduciaire que sur la valeur d’échange et de troc, doublée d’une valeur de construction symbolique de la réputation et de la reconnaissance. Elle inclut la prise en compte de modes de financement et de rémunération comme la production et le financement collaboratifs, car le consommateur est aussi producteur et spectateur (Frau-Meigs, 2008). Dans ce contexte, les industries créatives se prêtent à une logique ascendante, plutôt en marge, avec des personnalités innovantes capables de mettre en relation des diffuseurs, des pourvoyeurs de services, des sponsors et des annonceurs, voire des mécènes de divers ordres (personnes privées, institutions publiques, fondations, ONG). Elles visent davantage l’horizontalité des logiques de production, la créativité individuelle, des relations réticulaires et l’externalisation de certaines tâches en jouant de la mondialisation. Pour James Lull, les industries créatives sur des espaces virtuels comme Second Life peuvent être une façon d’explorer l’« entreprenariat culturel » (cultural entrepreneurship), et il évoque la possibilité de créer des « supercultures personnelles » (personal supercultures), Ulrich Beck fait référence à une collectivité paradoxale en parlant d’« individualisation réciproque » (reciprocal individualization) pour décrire ces nouvelles transitions sociales et culturelles, tandis que Barry Wellman évoque des « communautés personnelles » (personal communities). Quel que soit l’angle d’attaque, les industries créatives posent la question du rôle de l’artiste, de la valeur « travail » par rapport à la valeur « savoir » dans la chaîne des valeurs culturelles et du renouvellement du statut de l’œuvre, dont la valeur d’usage semble surmonter la valeur marchande, tout en restant très aléatoire. Leur production est de plus en plus collaborative, faisant passer l’œuvre d’un statut de rareté à un système de licence et de flot, qui tend à évincer les autres modèles des industries culturelles (éditorial, courtage…). Elles sont associées, chez certains chercheurs comme Yann Moulier-Boutang, à la notion de capitalisme cognitif, à savoir Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 157 18/11/2014 10:00:53 158 Diversité culturelle à l’ère du numérique une nouvelle forme de régulation de l’économie, fondée sur les droits de propriété sur des savoirs immatériels avec l’information comme matière première à exploiter, sur des plateformes où biens relationnels et expérientiels se côtoient et produisent de nouveaux services. Retombées en termes de diversité cognitive En termes de diversité culturelle, les industries créatives présentent l’opportunité d’une démocratisation accrue et le risque d’une marchandisation accrue par le renforcement des logiques industrielles numériques. Les principaux points de friction et de défi sont liés à la propriété intellectuelle, à l’accès à la technologie, aux finances, aux compétences, à l’équilibre à trouver entre privé, public et civique/ collaboratif, à la situation actuelle de concentration des industries culturelles et créatives dans les mains de quelques grands groupes transnationaux, qui peuvent assécher les ressources financières ou créer des goulots d’étranglement tout en créant des monopoles de fait qui contrarient l’expansion des savoirs et des services. Pour faire face à ces mutations, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) s’est dotée d’un certain nombre d’outils, dont une division « Industries créatives » et un agenda pour le développement. Ces outils manifestent à la fois la percolation du vocabulaire et de la rhétorique utilisée dans les débats sur la diversité culturelle, et la volonté d’instrumentalisation et d’endiguement de la dynamique ainsi créée. La division des industries créatives, située dans le secteur des petites et des moyennes entreprises, vise à quantifier statistiquement les industries créatives, pour mesurer leur potentiel économique et leur valeur en tant que services et produits marchands. Tout en reconnaissant leur importance pour la diversité culturelle comme vecteur d’autonomisation et d’enrichissement économique, il s’agit de s’assurer qu’elles restent dans le giron de la propriété intellectuelle et ne testent pas d’autres formes de gestion de la connaissance ou de la créativité. De son côté, l’UNESCO fait relever les industries créatives du dispositif de la Convention, visant à les soustraire aux règles de libre échange (OMC) et de la propriété intellectuelle (OMPI). Depuis 2004, elle anime un réseau de villes créatives (41 dans le monde en 2014), afin que ces entités territoriales et politiques puissent protéger l’individu au sein de la communauté, parer aux risques de l’entrepreunariat culturel par un accompagnement des personnes et des entreprises innovantes, et sauvegarder des biens communs tout en faisant du transfert de compétences dans une perspective de développement durable et local. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 158 18/11/2014 10:00:53 Industries créatives 159 Elles sont organisées en sept catégories créatives (littérature, cinéma, musique, artisanat et arts populaires, design, arts numériques, gastronomie) afin de mettre en valeur la diversité des marchés locaux et leur donner une visibilité nationale et internationale. La France a inscrit Saint-Étienne pour le design ainsi que Lyon et Enghien-les-Bains pour les arts numériques. Dans cette diversité cognitive, de nouvelles formes de médiation et d’intermédiation se mettent en place, qui passent par la reterritorialisation de pratiques développées sur la toile (notamment en termes de compétences commerciales) et l’hybridation d’expériences indigènes. Elles permettent la création de canaux d’échange de techniques d’artisanat (par exemple, des savoir-faire liés à la cuisine ou aux arts du spectacle vivant), l’organisation quasi taxonomique des flux de données associées à des connaissances populaires et collectives, partagées grâce aux nouvelles technologies (par exemple l’émergence de musées d’art populaire numériques), ou encore des stratégies d’intelligence territoriale qui renforcent les effets de réseau (par exemple l’huile d’argan passée de condiment à cosmétique). Elles s’appuient de plus en plus sur des modes de production et de financement collaboratifs, illustrés par une opération comme Let’s Build a Goddamm Tesla Museum, issue d’un appel lancé sur la plateforme américaine Indiegogo, les projets de restauration du patrimoine menés par le Centre des monuments nationaux avec la plateforme MyMajorCompany, le projet de Rive droite numérique, à côté de Bordeaux, ou encore le réaménagement des quais de Londres par le biais de Spacehive et l’opération Unlock London’s Secret Dock. La co-construction de la ville devient possible en faisant participer les acteurs privés et associatifs, pour produire des effets socialement désirés et des biens relationnels tout autant qu’expérientiels. Des retombées existent donc en termes de modernisation des politiques publiques de la culture, qui sont perturbées par les interactions entre stratégies industrielles et logiques d’usagers, avec des acteurs en présence dont les statuts sont en mutation, entre professionnels, experts et amateurs. Des initiatives comme Tous mécènes !, la plateforme du musée du Louvre, montrent que certaines institutions publiques essaient de canaliser ces nouveaux modes de créativité et de financement participatif ou contributif. Elles peuvent être vues comme des formes de désengagement financier de l’État dans le secteur de la culture ou, au contraire, comme une logique de mécénat déplacé et de valorisation symbolique engageant les publics et les usagers au plus près. D’autres retombées sont à prévoir en ce qui concerne la propriété intellectuelle et la chaîne de la valeur numérique, avec, d’un côté, les Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 159 18/11/2014 10:00:53 160 Diversité culturelle à l’ère du numérique tenants de la fiduciarisation systématique de la propriété intellectuelle et, de l’autre, les tenants du droit au remix ou aux licences GNU ou GPL, dans un contexte de cocréation, de coautorat et d’extension des communs. En réalité, l’appréhension de la propriété intellectuelle est rendue complexe par la coexistence au sein des industries créatives d’activités marchandes et non marchandes, propriétaires et non propriétaires, nécessairement interdépendantes. Les tensions entre ces deux dimensions sont permanentes, d’autant que s’y ajoutent la désuétude de la forme industrielle du brevet et la porosité entre propriété industrielle et propriété artistique dans le cadre spécifique des industries créatives, car elles se placent partiellement sous le signe de l’art et sous le signe du commerce. Les industries créatives recèlent une promesse de démocratisation de la culture et de lutte contre les inégalités culturelles, car elles peuvent passer outre les blocages liés à une distribution monopolistique des contenus, laquelle recherche toujours le plus petit dénominateur commun dans un marché (par le biais des tubes et des blockbusters). C’est aussi une promesse de diversité culturelle légitimée des Suds, qui sont riches en biens expérientiels et en biens relationnels. Mais, à l’inverse, elles peuvent aussi être versées au profit de la marchandisation de la culture. La reconnaissance de la culture comme levier de développement (Déclaration de Hangzou, 2013) n’est pas sans ambiguïté car elle risque de transformer toutes les œuvres de l’esprit en produits industrialisés, qui n’ont plus de spécificité particulière et donc ne justifient plus la mise en œuvre de politiques publiques assurant leur protection et leur promotion. Termes liés : agrégation, auteur, curation, financement des médias à l’ère numérique, industries culturelles, œuvre, propriété intellectuelle, public/usagers, remix, territoires Références Ulrich Beck, Individualisation, London, Sage, 2002. Richard Caves, Creative Industries : Contracts Between Art and Commerce, Cambridge, Massachussetts, The MIT Press, et London, Harvard University Press, 2000. Creative Industries Taskforce, 1997, lire en ligne http//:www.culture.gov.uk/ Reference_library/Publications/archive_1998, dernière consultation le 1er juin 2014. Divina Frau-Meigs, « La diversité et le pluralisme des produits de contenu : la problématique cohabitation des industries culturelles et des industries créatives », in Culture Web 2.0, N. Sonnac et X. Greffe (éd..), Paris, Dalloz, 2008. John Holland, « Can There Be A Unified Theory of Complex Adaptive Systems ? », in The Mind, The Brain, and Complex Adaptive Systems, Harold J. Morowitz, Jerome L. Singer (éds), Redwood City, Addison-Wesley, 1995. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 160 18/11/2014 10:00:54 Industries créatives 161 James Lull, Culture-on-Demand. Communication in a Crisis World, London, Blackwell, 2008. Pierre Mœglin, « Des modèles socio-économiques en mutation », in Les Industries de la culture et de la communication en mutation, Philippe Bouquillon et Yolance Combès (dir.), Paris, L’Harmattan, 2007, pp. 151-162. Yann Moulier-Boutang, Le Capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation, Paris, Amsterdam, 2007. Carole Uhlaner, « Relational Goods and Participation : Incorporating Sociability into a Theory of Rational Action », Public Choice, 1989, pp. 250-264. UNESCO « Industries créatives », 2006, lire en ligne http://www.unesco.org/new/fr/ culture/themes/creativity/creative-industries/, dernière consultation le 1er juin 2014. Barry Wellman, Studying Personal Communities in East York, Toronto, Centre for Urban and Community Studies, University of Toronto, 1982. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 161 18/11/2014 10:00:54 162 Industries culturelles Philippe Bouquillion Le concept d’industrie culturelle est proposé par Theodor W. Adorno et Max Horkheimer en 1947. Il s’agit d’une mise en question radicale de la culture de masse qui s’intègre dans une critique de la société capitaliste. Le « système » de l’industrie culturelle, c’est-à-dire l’articulation étroite de ses diverses composantes, est dénoncé. L’asservissement de l’art s’intégrerait à un processus de production de consentement. Si la notion d’« industrie culturelle », au singulier, s’est au départ révélée féconde, il est rapidement apparu que ses applications ne rendent qu’imparfaitement compte de la diversité des fonctionnements socioéconomiques des secteurs concernés. C’est la raison pour laquelle lui a été rapidement préférée la notion d’« industries culturelles », dont le pluriel marque mieux la diversité des industries en jeu. De même, aux démarches dénonciatrices appréhendant l’industrialisation et la marchandisation sur le mode de la corruption et de l’imposition à un public en quête de jouissance d’une « production unifiée », se substituent des analyses plus distanciées. Différentes approches contemporaines Deux courants principaux se développent à partir des années 1970 et 1980, qui seront conduits à affirmer deux positions différentes face à la notion et à la question de la diversité culturelle. D’une part, à partir des années 1980, des économistes de la culture ont abordé les industries culturelles en appliquant les notions et les interrogations introduites dans les années 1960 lors des premières études sur le spectacle vivant ou le patrimoine. Du point de vue de la diversité, l‘une des questions centrales posées est celle de l’intervention publique et de son impact sur les quantités et les qualités produites. Certaines caractéristiques des industries culturelles, aggravées par Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 162 18/11/2014 10:00:54 Industries culturelles 163 des politiques publiques inadéquates, menaceraient la diversité culturelle. Françoise Benhamou, s’inspirant des recherches sur la diversité biologique, propose la mise en place d’indicateurs reposant sur la base de trois dimensions, « la variété, la disparité et l’équilibre entre les genres » (2006, p. 257). Au fur et à mesure que les industries culturelles vont être confrontées avec la question du numérique, les notions et les concepts de l’économie de la culture vont être croisés de façon croissante avec ceux de l’économie des réseaux ou des analyses sur la concurrence. D’autre part, renouvelant profondément les acquis de l’École de Francfort tout en s’appuyant sur certains d’entre eux, les sciences de l’information et de la communication ont contribué à poser les fondements d’une théorie des industries culturelles. À partir de la fin des années 1970, Patrice Flichy, Nicholas Garnham, Armand Mattelart, Bernard Miège, Pierre Mœglin, Herbert Schiller et Gaëtan Tremblay portent leur attention sur les conditions matérielles concrètes de création, production, diffusion et valorisation de la culture industrialisée. Ils soulignent à la fois les spécificités des industries culturelles – elles ne sont pas des industries comme les autres – et les différences entre les diverses filières (livre, presse, musique enregistrée, cinéma et audiovisuel et, plus tard, jeu vidéo). Cinq modèles socio-économiques idéal-typiques (éditorial, flot, club, compteur et courtage) permettent de situer les diverses industries culturelles les unes par rapport aux autres ainsi que par rapport aux autres activités économiques. Les auteurs relevant de cette approche insistent sur une spécificité centrale des industries culturelles : le caractère aléatoire de la valeur des produits culturels industrialisés, lui-même lié à la présence de travail artistique ou intellectuel (Miège, 1984). Ce travail fonde la valeur des produits culturels, et c’est autour de lui que s’organise la chaîne de production. Mais, dans le même temps, il explique pourquoi valeur d’usage et valeur marchande sont aléatoires : les prestations d’un artiste ou d’un travailleur intellectuel s’intègrent à chaque fois dans une production singulière. Or il est difficile de prévoir et de planifier ex ante ses contours et, plus encore, les réactions des consommateurs. Au sein de ces approches, la question de la diversité n’est pas explicitement posée. Pourtant, les cinq modèles intègrent les liens entre production et consommation. Des rapports différents à la culture se jouent. « Par exemple, l’univers humaniste et bourgeois de la bibliothèque personnelle, propre au modèle éditorial, n’a rien à voir avec la culture de masse sous-jacente au modèle de flot » (Mœglin, 2007, p. 159). En fait, le croisement des points de vue socio-économique et idéologico-politique – les industries culturelles sont considérées Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 163 18/11/2014 10:00:54 164 Diversité culturelle à l’ère du numérique comme contribuant aux ordres politique et économique – explique pourquoi ces chercheurs sont critiques vis-à-vis de la notion de diversité culturelle. La difficulté à définir de façon objective cette notion et son insertion dans des jeux de pouvoir les incitent à la considérer moins comme une réalité objectivable existant en dehors des acteurs et de leurs stratégies, que comme un ensemble de discours accompagnant et légitimant diverses stratégies, parfois opposées (Bouquillion et Combès, 2011). Des discussions autour des relations entre industries culturelles et diversité Les approches économiques, d’un côté, et communicationnelles, de l’autre, présentent certaines différences qui s’expriment en particulier autour de la question de la diversité. Les économistes ont tendance à considérer que l’abondance de produits culturels mis sur le marché – une surproduction par rapport aux capacités d’absorption des consommateurs – constitue un dysfonctionnement qui s’explique notamment par un soutien public excessif ou favorisant des productions éloignées des goûts des consommateurs. Ils demandent ainsi une réduction ou une réorientation des subventions à l’offre au profit du soutien à la diffusion, voire à la promotion envisagée telle une façon de rassurer les consommateurs face aux « biens d’expérience » que sont les produits culturels. Ce type de soutien serait d’autant plus nécessaire que la surabondance de l’offre contribuerait à diminuer le choix effectif des consommateurs : « Le comportement d’une large part des acheteurs et/ou des lecteurs dénote une fuite devant l’abondance » (Benhamou, 2006, p. 262). En revanche, les chercheurs en communication envisagent cette surproduction telle une conséquence directe du caractère aléatoire de la valeur. Grâce au nombre élevé de produits offerts, les producteurs sont certains de mettre sur le marché le petit nombre de produits qui ex post, et de façon imprévisible, trouvera une rentabilité. La question est alors pour les producteurs de favoriser une organisation des filières permettant de financer la surproduction. L’organisation des filières en oligopoles à franges en constitue un rouage essentiel. Les petits acteurs, à la situation souvent précaire, prennent à leur charge une part significative des risques et des coûts de la production des contenus, tandis que les membres des oligopoles s’assurent de la maîtrise de la position aval des filières, la diffusion-distribution, qui permet de capter une part significative de la valeur ajoutée. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 164 18/11/2014 10:00:54 Industries culturelles 165 Les débats se poursuivent désormais autour de la question du numérique ou, pour les chercheurs désireux d’éviter tout déterminisme technique, autour des articulations entre industries culturelles et industries de la communication (télécommunications, web et matériels électroniques grand public). Les avis des chercheurs tendent, dans une assez large mesure, à converger pour pointer trois éléments importants du point de la vue de la diversité. Tout d’abord, ces mouvements s’accompagnent d’une augmentation nette du nombre de produits offerts ainsi que des productions réalisées par des amateurs ou des semi-professionnels. Grâce aux technologies numériques, les coûts de création et de production peuvent se trouver réduits tandis que de nouvelles opportunités de diffusion apparaissent notamment sur les sites dits « de partage de fichiers ». Ces mouvements dépassent largement la seule dialectique entre offre industrielle et offre émanant des amateurs. En effet, les acteurs des industries culturelles externalisent des tâches de création-production non seulement en direction de petites entreprises (les franges des filières présentées ci-dessus) mais aussi vers les créateurs individuels, de plus en plus nombreux, fréquemment organisés en auto-entrepreneur. Dans le domaine de la musique enregistrée, par exemple, ce mouvement a pris une grande ampleur. Évidemment, en mettant en perspective les produits issus des acteurs industriels et ceux des amateurs ou des créateurs professionnels auto-entrepreneurs, on rassemble des productions très différentes au regard des coûts de production tout comme des chances d’accéder aux consommateurs. Ensuite, la problématique de la concentration est relancée. Si nombre de chercheurs considèrent qu’elle n’a pas d’impact mécanique ni direct sur les quantités ou les qualités des produits culturels, certains soulignent que des acteurs des industries de la communication contrôlent désormais l’aval de nombre de filières des industries culturelles, non seulement de la musique enregistrée mais aussi de plus en plus du livre et de la presse. Ces acteurs, grâce à leur maîtrise des nouvelles positions en aval (plateformes notamment), captent une partie significative de la valeur ajoutée liée aux contenus. Surtout, en s’articulant aux contenus culturels, leurs offres se trouvent placées hors de la concurrence par les prix tandis qu’ils bénéficient fréquemment d’une valorisation boursière exceptionnelle. Cette situation est d’autant plus problématique que ces acteurs ne contribuent guère financièrement à la production de contenus orignaux tout en limitant les marges des acteurs historiques des contenus, notamment en fixant des prix de référence assez bas, sur le modèle d’iTunes proposant un « monoplage musical » (single) pour 99 cents. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 165 18/11/2014 10:00:54 166 Diversité culturelle à l’ère du numérique Enfin, la notion de diversité soulève d’importants enjeux et débats du point de vue de l’exception culturelle. Elle peut être considérée comme renforçant le dispositif soustrayant les produits culturels aux règles de libre-échange adoptées lors de la signature des accords fondant l’Organisation mondiale du commerce en 1994. Mais elle peut aussi être instrumentalisée au profit de l’objectif inverse. JeanMarie Messier, appelant de ses vœux la disparition de l’exception, s’est ainsi fait le chantre de la diversité culturelle en soulignant que les mécanismes du marché non seulement respectent la diversité mais la favorisent. La profusion de contenus en témoignerait. La référence à la diversité vient alors d’autant plus affaiblir la référence à l’exception qu’elle s’accompagne généralement de la mise en avant d’une représentation de la culture qui dépasse les seules œuvres de l’esprit et même la culture industrialisée. Dès lors, noyées dans un ensemble très vaste, avec des productions relevant par exemple du design ou de la mode qui sont parfaitement intégrées aux échanges commerciaux mondiaux, les productions culturelles ne semblent plus constituer une catégorie propre à justifier la mise en œuvre de politiques publiques spécifiques. On retrouve ici la difficulté à saisir la notion de diversité et son ambiguïté profonde, réalité mesurable pour les uns, référence normative performative pour les autres. Termes liés : agrégation, curation, économie des œuvres sous format numérique, édition, financement des médias à l’ère numérique, industries créatives, pratiques, public/usagers Références Françoise Benhamou, Les Dérèglements de l’exception culturelle, Paris, Seuil, 2006. Philippe Bouquillion, Yolande Combès, Diversité et industries culturelles, Paris, L’Harmattan, 2011. Bernard Miège, « Postface à la deuxième édition », in Capitalisme et industries culturelles, A. Huet, J. Ion, A. Lefebvre, B. Miège, R. Peron, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1978, 2e édition revue et augmentée, 1984, pp. 199-214. Pierre Mœglin, « Des modèles socio-économiques en mutation », in Diversité et industries culturelles, P. Bouquillion, Y. Combès (éd..), Paris, L’Harmattan, 2007 pp. 152-162. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 166 18/11/2014 10:00:54 167 Information Jean-Michel Salaün Le terme « information », aujourd’hui omniprésent dans nos conversations, appartient aussi aux vocables spécialisés des scientifiques, des experts ou des décideurs. Pour autant, les définitions précises demeurent rares, et souvent ambiguës ou tautologiques. Même la « science de l’information », qui ne devrait pas laisser place à l’incertitude, devient, pour certains, quasi synonyme d’informatique tandis que, pour d’autres, elle a une origine différente, issue des méthodes et des savoirs du monde des bibliothèques et des archives, et, pour d’autres encore, elle a symbolisé, il y a une cinquantaine d’années, l’espoir d’unifier l’ensemble des sciences. De même, on parle aujourd’hui couramment de « société de l’information », ou encore d’« économie de l’information » pour signifier des changements majeurs dans les modes de production, les organisations, les institutions ainsi que dans les comportements et les pratiques des individus, sans que l’explication du terme « information » ne dépasse les généralités. L’ambition d’une théorie de l’information On doit à l’historien des sciences Jérôme Segal (2013) une minutieuse enquête sur le processus de construction d’une théorie de l’information, démarré avant la Seconde Guerre mondiale et achevé, peut-être provisoirement, dans les années 60. Les premiers travaux des chercheurs ont concerné la thermodynamique, la statistique et les télécommunications, chacun dans son domaine arrivant à des résultats apparemment comparables dans leur représentation mathématique pour préciser le concept et le quantifier. Tous ces efforts ont convergé grâce aux travaux de Claude Shannon et à ceux de Norbert Wiener dans les laboratoires Bell. Le premier étudiait la cryptographie pour sécuriser et accélérer la transmission des messages dans les réseaux, Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 167 18/11/2014 10:00:54 168 Diversité culturelle à l’ère du numérique le second la régulation des systèmes par la rétroaction, qu’il a appelée la « cybernétique ». Dans tous les cas, l’information se trouve définie par son contraire : l’incertitude, que l’on peut quantifier grâce aux probabilités. Ainsi, pour un message d’une longueur définie, rédigé avec un alphabet précis dans un contexte donné, il n’existe qu’un certain nombre de solutions possibles. Claude Shannon a montré que l’incertitude liée à ces possibilités, ou entropie informationnelle, pouvait s’écrire sous cette fonction : H = -k∑pxlog px où k est une constante positive, et px la probabilité que le message x soit le bon. Dans un choix binaire, l’entropie est égale à 1, ce qui définit l’unité de mesure de l’information, le bit pour binary digit. Les travaux de Shannon ont connu de nombreuses retombées, comme la compression des signaux ou la sécurité des transmissions. La théorie a eu un large retentissement et a été déclinée parallèlement dans diverses disciplines. Certains ont été tentés alors de voir dans l’information une entité fondamentale, allant jusqu’à proposer que l’information soit la clé de la transformation de la matière ou de l’explication des transformations génétiques. Néanmoins, du côté des sciences humaines et sociales, à l’extérieur des sciences exactes, des sciences de l’ingénieur ou des sciences de la vie, cette théorie est devenu la source d’un malentendu. Les chercheurs de ces disciplines ont surtout retenu le schéma présentant un « système général de communication », qu’ils ont reproduit sous différentes formes en lui donnant une lecture sémantique et sociale. Pourtant, toute référence à la sémantique (signification ou sens), ainsi qu’à l’humain (émetteur, destinataire) est absente de la théorie initiale, qui s’intéresse plus au signal qu’au signe. Les nécessités professionnelles et politiques Les sciences humaines et sociales ont progressivement développé de leur côté une conception de l’information où la sémantique est, au contraire, porteuse de sa valeur. L’origine de ce second courant est plus sociotechnique que scientifique, en raison de la montée progressive des échanges et des contrôles dans les sociétés contemporaines. Avec l’affinement des techniques des médias et de celles de l’administration et du commerce, des méthodes et des professions sont apparues ou se sont rationalisées autour d’une conception de l’information. Parmi celles-ci, je distinguerai trois familles : le journalisme, par son insistance sur l’accès à l’information et la liberté de sa circulation ; la documentation Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 168 18/11/2014 10:00:54 Information 169 (archives, bibliothèques), où l’effort porte sur le classement des informations en vue de leur réutilisation ; et, enfin, la gestion, où l’essentiel réside dans la collecte des informations pour la prise de décisions. C’est peut-être la deuxième famille, celle du document, qui, principalement en Amérique du Nord, est allée le plus loin dans la réflexion sur la notion d’information, jusqu’à fonder une société savante (ASIS & T, Association for Information Science & Technology), des écoles (Information Schools), des filières nouvelles (Information Architecture). La revue de l’ASIS & T publie régulièrement des articles sur la question, qui reprennent les avancées des autres familles. Je retiendrai deux articles. Le premier de Michael Buckland (1991) distingue trois façons d’appréhender l’information : comme un processus (qui modifie la personne informée) ; comme une connaissance (sur un sujet, un fait, un événement) ; ou comme une chose (des données, des documents). Chaim Zins (2007), a réalisé une enquête auprès d’une soixantaine d’experts dans seize pays sur leur définition de trois notions : données (data), information et connaissance (knowledge). Le résultat montre d’abord qu’il n’y a pas d’accord évident entre les chercheurs, et parfois une influence nette du courant précédent. Néanmoins, beaucoup trouvent une continuité entre les trois notions : les données seraient la matière première de l’information qui constituerait elle-même celle de la connaissance. De plus, la connaissance est généralement perçue comme l’intégration de l’information par une personne. Ainsi, non sans ambiguïté sur le vocabulaire (le processus de l’un est la connaissance chez l’autre, tandis que la connaissance du premier correspond à l’information chez le second), les propositions de Buckland rejoignent les constatations de Zins sur la tripartition. Cette tripartition se retrouve aussi, dans des termes proches, dans les travaux du groupe Pédauque sur le document numérique (Salaün, 2012). Même s’il reste une hésitation sur le vocabulaire, il semble bien y avoir un consensus sur les notions. Vers une science du web Le troisième mouvement résulte de la très rapide montée du numérique, et plus particulièrement du succès spectaculaire du web, piloté par la feuille de route du W3C et animé par des entrepreneurs dynamiques et les internautes eux-mêmes. Il peut se lire comme le dépassement ou la convergence des deux courants précédents. Les réflexions étaient souvent déjà présentes dans les courants précédents, mais elles sont radicalisées par l’accélération produite par le numérique. Examinons quelques exemples. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 169 18/11/2014 10:00:54 170 Diversité culturelle à l’ère du numérique Le développement très rapide du réseau a fait prendre conscience aux économistes du poids de l’économie de l’immatériel, au centre de laquelle se trouve l’information, et tout particulièrement de ses caractéristiques comme la non-rivalité et la non-exclusivité, qui autorisent son partage sans destruction ou la possibilité de valorisation de la captation de l’attention dans une surabondance d’informations, ou encore la distribution des biens informationnels selon des lois de puissance (longue traîne). Les informaticiens, de leur côté, brutalement confrontés aux applications sémantiques des moteurs de recherche ou aux applications sociales des médias sociaux, font face à des interrogations nouvelles comme l’influence des algorithmes sur le filtrage ou la reconstruction des informations. Les données, les métadonnées, les traces laissées par les internautes deviennent les unités informationnelles de base sur lesquelles des calculs à grande échelle s’effectuent pour agencer des informations signifiantes. Tout l’enjeu est de dégager des langages formels sur lesquels on puisse appliquer des calculs, sans pour autant dissoudre la sémantique qui définit la valeur informationnelle. La question du sens, au centre de la notion d’information, reste bien le défi. Le philosophe Luciano Floridi (2008), un des rares à tenter de conceptualiser l’information, montre ainsi, dans un article éclairant, pourquoi la tentative de construire un web sémantique était vouée à l’échec, tandis que le Web 2.0, non planifié, s’est développé rapidement. Et, assure-t-il : « Les technologies de l’information et de la communication ont atteint le stade où elles pourraient assurer la présence stable, l’accumulation, la croissance et la disponibilité de plus en plus grande de notre humus sémantique. » Mais pour profiter pleinement de ces avancées, il faudra bien que nous nous soyons mis d’accord sur la notion d’information. Termes liés : connaissance, documentation Références Michael Buckland, « Information as thing », Journal of the American Society of Information Science, 42 : 5 (juin 1991), pp. 351-360. Luciano Floridi, « The Semantic Web vs Web 2.0 :A Philosophical Assessment », Episteme, 2009, 6, pp. 25-37, traduction française par Patrick Pecatte, « Web 2.0 contre web sémantique : un point de vue philosophique ». Jérôme Segal, « La théorie de l’information existe-t-elle ? » Pour la Science, no 424, février 2013, pp. 18‑25. Chaim Zins, « Conceptual Approaches for Defining Data, Information, and Knowledge », Journal of the American Society of Information Science (JASIS), 58, no 4 (2007), pp. 479‑493. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 170 18/11/2014 10:00:54 171 Innovation Dominique Carré L’innovation est la rencontre entre une invention et la mise au pointcommercialisation d’un bien, d’un service nouveau ou plus performant, produit à grande échelle et mis en marché. Ce processus favorise la construction de prototypes, la constitution d’une offre, la mise en marché et des stratégies de diffusion recourant à des injonctions publicitaires ou communicationnelles afin d’inciter les futurs usagers (consommateurs) à acquérir le produit ou service proposé. L’innovation est ainsi la transformation réussie d’une invention en une réalité socio-économique et industrielle. La caractéristique actuelle est que l’innovation numérique alimente un couplage produitservice qui engendre une concurrence aiguë et un productivisme effréné pour renouveler le plus rapidement possible les marchés. Ce processus favorise la mise en œuvre d’une obsolescence technique ou sociale programmée, pratique par laquelle un industriel raccourcit la durée de vie ou l’utilisation d’un produit, le plus souvent de haute technologie, dans une logique consumériste. Ainsi l’innovation numérique s’inscrit au cœur même du développement des sociétés capitalistes, industrielles et marchandes. Innovations numériques : la constitution d’une offre diversifiée La numérisation des supports et des réseaux, en permettant la dématérialisation, la duplicabilité des contenus, leur transférabilité, a mis à mal à la fin du xxe siècle, les modèles socio-économiques dominants des industries culturelles (édition, musique enregistrée, cinéma) et médiatique (radio, télévision), contribuant à l’arrivée sur le marché de nouveaux entrants, le plus souvent issus des industries de la communication (électronique, informatique, télécommunications) : Google Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 171 18/11/2014 10:00:54 172 Diversité culturelle à l’ère du numérique (moteur de recherche), Amazon (commerce électronique), YouTube (site web d’hébergement et de diffusion de vidéos), Facebook (service de réseautage numérique), iTunes (musique en ligne d’Apple). Ces industriels de la communication offrent ainsi des contenus et/ou des services en ligne abondants, aisément accessibles et le plus souvent gratuits, favorisant la création, la liberté d’expression, la mise en relation, l’internationalisation des échanges et l’accès à une gamme de biens culturels dématérialisés. Le modèle d’affaires, quant à lui, repose sur la captation et le transfert de la valeur par les opérateurs de diffusion, acteurs de l’internet et de l’électronique, au détriment des producteurs de contenus issus des industries de la culture et médiatique. La caractéristique essentielle de ces multinationales, le plus souvent d’origine nord-américaine, est de pratiquer l’optimisation fiscale, tout en s’exonérant d’une quelconque participation au financement de la création, ce qui fragilise d’autant les politiques culturelles publiques existantes. Un enrichissement possible de la diversité culturelle L’élargissement des moyens de création et de diffusion favorise la production de contenus et développe les sociabilités et les formes expressives, participant à un processus plus général d’émancipation communicationnelle. Les dispositifs techniques (web, réseaux sociaux numériques, plateformes d’échanges vidéos…) offrent la possibilité à tout usager équipé et connecté d’être à la fois émetteur et récepteur de contenus, participant à la mise en place d’un modèle dialogique de production et d’échanges qui repose sur une certaine réversibilité des rôles. Disqualifiant ainsi, quelque peu, le modèle historique de la production et de la diffusion de contenus. Personne ne semble plus avoir le monopole de l’expression publique et culturelle. L’offre de contenus est constituée dorénavant de productions de professionnels et de productions d’amateurs mises en ligne dans le cadre d’activités ordinaires quotidiennes – 550 millions de photos sont partagées, chaque jour, sur Facebook, 100 heures de vidéo sont diffusées chaque minute sur YouTube. La vidéo The Harlem Shake, qui propose une danse déjantée sur fond musical sonore, diffusée d’une manière spectaculaire sur l’internet, en est une parfaite illustration. Conçu par un amateur, imité par d’autres, le format sera même repris par un studio de la Time Warner. Par imitation et par mimétisme, individus, collectifs et institutions conçoivent et diffusent dans le monde entier de multiples vidéos Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 172 18/11/2014 10:00:54 Innovation 173 loufoques. Des opposants vont même détourner ce type de vidéo ludique et festif à des fins de contestation des autorités, comme cela a été le cas en Éypte et en Tunisie. L’hyper-offre numérique n’est pas synonyme de plus grande diversité culturelle Les échanges peuvent paraître ouverts, interactifs, diversifiés, mondialisés. Cette appréciation mérite d’être fortement nuancée. Tout d’abord, les échanges s’effectuent avant tout dans le prolongement de relations quotidiennes amicales ou professionnelles, ou entre personnes se retrouvant autour d’intérêts communs. Ensuite, l’accès universel ne peut s’entendre qu’à partir du moment où l’accès aux réseaux et au haut débit est possible sur l’ensemble des territoires, ce qui est loin d’être le cas. Puis, n’oublions pas que les États ont toujours la capacité d’intervenir pour arrêter les flux numériques, les restreindre au nom de la sécurité nationale, de la censure politique ou encore de la moralité. Enfin, le système d’attribution des noms de domaines (DNS) mis en œuvre par l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), organisation dépendant du département du Commerce des États-Unis d’Amérique, dont la vocation est de rendre l’internet accessible à tous, via un système d’adressage, possède des limites. En effet, cet organisme ne reconnaît pas les racines ouvertes, créées par d’autres, afin que les internautes accèdent à des sites dont les extensions n’existent pas dans la racine proposée par l’ICANN. Deux raisons à cela : soit les utilisateurs ont été refusés par l’ICANN (pays non officialisés par l’ONU, langues non prises en charge – en contradiction avec l’Agenda de Tunis du Sommet mondial sur la société de l’information, 2005), soit ceux-ci refusent les conditions imposées par l’ICANN (coût élevé de l’extension, censure possible par les gouvernements autoritaires…). De ce fait, nombre d’internautes ne peuvent accéder à une multitude de sites web. Le nom de domaine des sites n’étant pas attribué par l’ICANN, ils ne sont pas reconnus par la plupart des moteurs de recherche et, en l’absence de choix de l’internaute, la racine activée sur tous les ordinateurs est celle de l’ICANN (cf. www.open-root.eu). Ce qui restreint fortement leur accès et ne favorise pas les échanges ni la diversité culturelle. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 173 18/11/2014 10:00:54 174 Diversité culturelle à l’ère du numérique Un contrôle social inégalé Mais, au fur et à mesure que s’étendent par le numérique la liberté d’agir, la puissance d’agir, de créer, d’échanger, le contrôle social simultanément s’étend, se nourrissant des traces techniques inhérentes laissées par les internautes en se connectant, en naviguant et de l’assiduité consentie par ceux-ci à s’afficher, à se dévoiler. Le croisement des traces et des données recueillies (datamining) et l’analyse en continu des comportements participent in fine à un contrôle permanent et intrusif de la part des industriels, des annonceurs, pour mieux connaître les comportements et les pratiques d’achat des individus, tout en servant les autorités administratives et policières. Notons que traces et affichages participent également à un contrôle social mutuel entre internautes et qu’elles ont une valeur d’usage et une valeur marchande qui alimentent le modèle économique publicitaire de la gratuité des services en ligne. Termes liés : codes, fracture numérique, industries créatives, industries culturelles, langues, remix, pratiques, public/ usagers, territoires, vie privée/données personnelles Références Dominique Carré, « De l’émancipation éducative à l’émancipation communicationnelle ? », in L’Émancipation hier et aujourd’hui. Perspectives françaises et québécoises, Gaëtan Tremblay (dir), Québec, Presses de l’Université du Québec, 2009, pp. 259-267. Dominique Carré et Robert Panico, « Puissance d’agir à l’ère du web social », in Réseaux socionumériques et médiations humaines. Le social est-il soluble dans le web ?, Estella Rojas (dir), Paris, Hermès Lavoisier, 2013, chap. 7 pp. 195-197. Michel Arnaud et Louise Merzeau (coord.), « Traçabilité et réseaux », Hermès, no 53, 2009, Éditions du CNRS. Serge Latouche, Bon pour la casse. Les déraisons de l’obsolescence programmée, Paris, Les liens qui libèrent, 2012. Bernard Miège, La Société conquise par la communication, t. 3, « Les TIC entre innovation technique et ancrage social », Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2007. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 174 18/11/2014 10:00:54 175 Interfaces Nicole Pignier Origine des interfaces numériques Le terme « interface » vient de la chimie ; il désigne la limite commune à deux milieux, par exemple gazeux et liquide, permettant l’échange entre ceux-ci. Cette dénomination a été reprise en informatique pour désigner un dispositif permettant des échanges d’informations entre le système informatique matériel, logiciel, et l’utilisateur. Dans les années 1945-1950 sont apparus les premiers types d’interfaces, les interfaces de lots (batch interfaces), qui proposaient aux utilisateurs de préprogrammer des cartes perforées spécialement formatées. L’exécution d’un programme nécessitait beaucoup de temps et des compétences spécifiques en informatique. Ensuite sont nées les interfaces en ligne de commande : l’utilisateur donnait des instructions à la machine en mode texte, et le retour de celleci s’affichait également en texte. Ce type d’interface nécessitait que l’utilisateur apprenne un langage spécifique (Drouillat, 2013). Puis en 1973, au Xerox PARC (Xerox Palo Alto Research Center), ont été conçues les premières interfaces graphiques. Ce mode d’interface est devenu par la suite le plus répandu dans le grand public, à travers la métaphore du bureau. Il consiste en la manipulation à l’écran d’éléments visuels via des périphériques, principalement une souris et un clavier. L’interface fournit des représentations métaphoriques graphiques, comme des fenêtres, des boutons, des menus et des icônes. L’apprentissage nécessaire de la part de l’utilisateur devient moindre par rapport aux deux premiers types d’interface. Le mode d’interaction repose sur le pointage, la sélection, la manipulation d’icônes, de boutons… Les interfaces graphiques se popularisent dès le début des années 1980. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 175 18/11/2014 10:00:54 176 Diversité culturelle à l’ère du numérique Une diversité créative Aujourd’hui la diversité des types d’interfaces les plus connus du grand public témoigne d’une richesse créative certaine. Ainsi les interfaces tactiles, permettant à l’utilisateur de se passer de périphériques, accentuent l’impression de manipulation directe des boutons, icônes, touches… Les instructions se font par pointage du doigt. Les interfaces haptiques intensifient la relation sensible du corps humain à la machine, dans la mesure où elles font appel à notre sens tactilo. Elles induisent en effet un contact cutané actif kinesthésique avec le dispositif. Les appréhensions du volume, du poids, de la force cinétique, des vibrations, font ainsi partie de la gamme d’interactions possibles. Les interfaces haptiques sont apparues au milieu des années 1950 dans le domaine de la téléopération nucléaire. Leur application s’est largement étendue depuis aux domaines médical (chirurgie assistée par ordinateur), aéronautique (manche à retour d’effort), et, plus récemment, au jeu vidéo, via les contrôleurs comme le joystick et le volant à retour de force (Douillat, 2013). Les interfaces tangibles, conçues au MIT (Massachusetts Institute of Technology) en 1997 par Hiroshi Ishii, reposent sur une interaction avec des objets numériques à forme physique (Gault, 2013). Pour passer des instructions, l’utilisateur manipule des figurines posées sur une table numérique, ce qui donne lieu à une expérience interactive concrète, proche des manipulations d’objets non numériques du quotidien. Quant aux interfaces sans commande, elles pénètrent désormais le monde physique : l’utilisateur n’a plus besoin de donner des instructions à l’objet numérique (Drouillat, 2013), ce dernier étant conçu et programmé pour réagir à son environnement. Ainsi, un plancher dit « intelligent » reconnaît les gestes de l’utilisateur même à l’insu de ce dernier. Une richesse créative mais qui exclut des minorités Ce rapide aperçu historique puis synchronique montre que le design des interfaces ne repose pas seulement sur une évolution technologique. Il engage une réelle richesse culturelle, créative. Il questionne une diversité des manières de faire, des manières d’envisager le sens de la relation entre l’objet numérique et l’individu. Ce dernier n’est pas seulement un utilisateur qui donne des instructions et attend le retour, il est aussi un usager immergé dans des usages et des Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 176 18/11/2014 10:00:54 Interfaces 177 pratiques culturelles qui font sens pour lui. Le terme « utilisateur » convient bien moins alors que celui d’« usager » (Pignier, 2012). Les interfaces haptiques développées dans le domaine du jeu permettent à l’usager de ressentir les spécificités sensorielles des objets à l’écran, et pourraient permettre aux personnes aveugles des expériences de lecture aptes à les immerger dans l’histoire. On pense en particulier aux enfants aveugles qui n’ont à leur disposition quasiment que des fichiers audio, ce marché n’étant pas jugé suffisamment lucratif par les entreprises de conception de livres et de matériels numériques. Le développement des interfaces haptiques pour les livres numériques adressés aux enfants aveugles constitue un cas parmi d’autres où les enjeux financiers prévalent sur les enjeux sociaux, et cela mérite débat. Une nécessaire approche critique des interfaces numériques et de leurs usages Plus globalement, la préservation de la diversité culturelle nécessite que non seulement l’usager, le designer, le fabricant mais aussi et surtout les institutions questionnent la visée éthique à l’origine du design des interfaces numériques, des politiques institutionnelles de leur mise en œuvre dans les différents domaines sociaux. La création des interfaces sans commande, entre autres, se fonde souvent sur une conception du bien-être des gens et des sociétés très particulière : celle où l’informatique est partout, de la trousse à la cuillère en passant par le vêtement et les murs. Or n’oublions pas que l’informatique ubiquitaire (informatique présente dans tous les objets et lieux de la vie), selon les politiques institutionnelles de mise en œuvre, peut en pratique pénétrer la vie des usagers à leur gré, contre leur gré, ou totalement à leur insu. Faussement intelligentes dans la mesure où elles ne savent faire que ce pour quoi elles ont été programmées, les interfaces numériques sans commande permettent de détecter, d’enregistrer, de contrôler la présence, les faits et gestes de tout un chacun. Si l’on pense aux usages douteux que peuvent en faire les régimes totalitaires, mettant à mal la diversité culturelle idéologique, l’on pense moins souvent aux usages de ces interfaces qui peuvent être encouragés par des collectivités, des institutions, sans suffisamment de cadrage de leurs usages ni de la liberté de choix accordée à l’usager final. Ainsi, des personnes âgées peuvent-elles se voir installer à leur domicile des environnements numériques pour leur confort et leur Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 177 18/11/2014 10:00:54 178 Diversité culturelle à l’ère du numérique sécurité mais aussi aptes à remplacer la présence physique de personnels. Partagent-elles toutes l’idée que leurs interactions avec des robots ou autres interfaces numériques est synonyme de bien-être, de mieux-être ? Partagent-elles toutes l’idée que leur environnement numérique sans commande préserve leur vie privée ? Certes, les recherches sur les interfaces numériques et leurs usages mobilisent internationalement de nombreuses disciplines, tant en sciences dures (informatique, mathématique, électronique…) qu’en sciences humaines (philosophie, sociologie, sémiotique, arts plastiques, sciences de l’information et de la communication, anthropologie), mais les approches critiques objectives que l’on est en droit d’attendre de la part des sciences humaines font vraiment défaut, les hypothèses et les thèses se fondant souvent pour (Besnier, 2009) ou contre l’idéologie technique (Wolton, 2009). Cela en partie parce que les appels à projet régionaux, nationaux, européens, internationaux orientent la plupart du temps les travaux de recherche vers la conception d’interfaces numériques au lieu de les orienter vers l’interrogation des conditions pratiques et éthiques de la pertinence ou de la non-pertinence de leur mise en œuvre auprès des usagers. Il y a urgence, pour préserver et défendre les diversités culturelles, à amener les acteurs – usagers dès l’enfance, politiques, designers, institutionnels – à adopter un regard critique, éclairé, sur le sens pratique et éthique des interfaces numériques et de leurs usages. Termes liés : augmentation, connexion, design numérique, ergonomie des interfaces, éthique, innovation, jeu, public/ usagers Références Jean-Michel Besnier, Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ?, Paris, Fayard, coll. « Haute Tension », 2009. Benoît Drouillat, « Interfaces haptiques », « Interfaces sans commande », in Le Design des interfaces numériques en 170 mots-clés, Paris, Dunod, 2013. Clément Gault, « Interfaces tangibles », in Le Design des interfaces numériques en 170 mots-clés, Paris, Dunod, 2013. Nicole Pignier, « Le plaisir de l’interaction entre l’usager et les objets TIC numériques », in « De l’interactivité aux interaction(s) médiatrice(s) », Eléni Mitopoulou et Nicole Pignier (coord.), Interfaces numériques, no 1, Paris, Lavoisier, 2012. Dominique Wolton, Informer n’est pas communiquer, Paris, Éditions du CNRS, 2009. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 178 18/11/2014 10:00:54 179 Le jeu, espace tridimensionnel Éric Sanchez Le terme « jeu épistémique numérique » désigne une situation de jeu élaborée pour des visées éducatives à l’aide d’artefacts numériques. Nous en évoquons les enjeux culturels en considérant qu’un jeu épistémique numérique est un espace tridimensionnel : espace métaphorisé et fictionnel permettant un nouveau rapport phénoménologique au monde, espace de réflexivité au sein duquel l’apprenant peut éprouver sa manière de penser et d’agir, et espace de créativité en lien avec une liberté qui permet l’innovation ainsi que la découverte et l’invention de soi. Le jeu, situation plutôt qu’artefact Inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant en tant que droit fondamental permettant son développement, le jeu est également une industrie dont le chiffre d’affaires avoisine celui d’autres industries culturelles telles que le livre ou le cinéma. L’histoire du jeu numérique se confond avec celle de l’informatique. En effet, nés dans les laboratoires informatiques du MIT (Massachusetts Institute of Technology), les premiers jeux vidéo sont l’œuvre d’étudiants qui exercent leurs talents de programmeur pour élaborer des logiciels s’appuyant sur la simulation. D’abord cantonnés aux écrans des ordinateurs ou des consoles, les jeux numériques exploitent aujourd’hui l’internet et les réseaux sociaux en devenant massifs et multijoueurs. De plus, disponibles sur des dispositifs tels que les ordiphones et les tablettes numériques, ils ne sont plus limités au strict cadre de l’écran d’un ordinateur et deviennent mobiles, pervasifs et persistants, mêlant des éléments simulés et le monde physique lui-même. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 179 18/11/2014 10:00:54 180 Diversité culturelle à l’ère du numérique Mais le succès des jeux dépasse aujourd’hui la stricte aire des loisirs culturels, et l’idée qu’ils puissent être utilisés pour des fonctions utilitaires se développe. Des jeux qualifiés de « sérieux » (serious games) sont produits par des institutions pour communiquer auprès du public, ou par des entreprises pour promouvoir leurs produits ou former leur personnel. Le jeu pénètre ainsi de nombreux secteurs de l’activité humaine dont il était jusqu’alors exclu. Néanmoins, quand il s’agit de décrire et d’étudier ce phénomène, le terme « jeu » est ambigu puisqu’il désigne aussi bien le « jeu-game », la structure du jeu, l’artefact employé pour jouer, que le « jeu-play », l’activité ludique, la situation permise par le « jeu-game ». Comme Jacques Henriot, il nous semble donc préférable de considérer que « le jeu n’est pas dans la chose mais dans l’usage qu’on en fait », et de nous inscrire en rupture avec le courant des games studies, qui conduit à considérer l’artefact, le jeu sérieux (serious game), pour plutôt prendre en compte les interactions qui émergent de la situation et le jeu numérique épistémique, en tant que situation ayant des visées éducatives. Le terme « ludification », traduction du terme anglais gamification qui renvoie au jeu-game et désigne l’emploi de ressorts ludiques, pour des secteurs d’activité autres que le jeu lui-même, nous semble inapproprié. Le terme « ludicisation » paraît préférable dans la mesure où il s’applique aux interactions entre un dispositif et un humain et concerne le jeu-play. Le jeu, espace métaphorisé et fictionnel Conçu par un processus de transposition qui, à partir d’un domaine de référence, conduit à formaliser des règles, un jeu numérique épistémique constitue une métaphore qui permet au joueur de vivre une expérience empirique. Le jeu permet ainsi un nouveau type de rapport phénoménologique au monde. Jeu vidéo ou jeu de rôle, le jeu s’appuie en effet sur une réalité simulée, et le joueur devient un marionnettiste qui décide de la manière dont les événements surviennent dans un univers fictionnel. Mais le scénario dépend largement des choix du concepteur du jeu. Ainsi Spore, un jeu vidéo qui consiste à créer et faire évoluer des créatures, s’appuie sur un modèle d’évolution qui s’apparente au dessein intelligent plutôt qu’aux théories retenues par la communauté scientifique. On pourrait multiplier les exemples et souligner également que SimCity, le modèle de la ville qu’il faut créer et gérer, est avant tout un modèle de ville américaine ou que, dans certains jeux qui portent sur le développement durable, le coût écologique de certaines énergies est minoré afin de les promouvoir. Ainsi tout jeu est porteur d’une idéologie. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 180 18/11/2014 10:00:54 Le jeu, espace tridimensionnel 181 Le virtuel du jeu ne s’oppose pas au réel mais constitue plutôt une manière différente d’être réel. Il renvoie, plutôt qu’à une prétendue irréalité, à une réalité simulée construite par le jeu. Ce point soulève une question fondamentale dans les jeux, celle de l’illusion. Le joueur n’est pas en mesure de dire si les événements qui surviennent résultent de son désir subjectif ou d’une réalité externe et objective. Le jeu est illusion et, dans le cadre d’un projet pédagogique, il est nécessaire de désillusionner le joueur. On voit ici la nécessité d’un accompagnement par un éducateur et, plus généralement, l’importance d’une éducation aux médias qui prenne en compte la question du jeu en tant qu’activité culturelle. Le jeu, espace de réflexivité Au-delà de la motivation, l’intérêt des jeux réside dans le fait qu’ils permettent l’engagement du joueur en tant qu’apprenant. En effet, pour avancer dans un jeu, il n’est pas nécessaire que le joueur tente de décoder les attentes de l’enseignant. Les objectifs pédagogiques sont cachés, les actions du joueur sont entièrement motivées par la logique interne de la situation et le défi à relever. L’enjeu permet l’engagement du joueur. En outre, un jeu permet de prendre en compte que toute connaissance est une réponse à un problème. Ainsi, le joueur peut expérimenter, dans un contexte sécuritaire, sa manière de penser et d’agir, en essayant de transformer un milieu objectif au comportement prédictible. Le jeu favorise l’autonomie de l’apprenant en lui offrant une liberté d’action et les moyens d’exercer cette liberté, car les rétroactions qu’il obtient en retour de ses actions lui permettent de juger de la pertinence de ses décisions. Cette réflexivité s’exerce dans un cadre sécuritaire. En effet, dans le jeu, l’erreur est dédramatisée, il est toujours possible de recommencer pour explorer d’autres choix, d’autres stratégies, et finalement apprendre de ses échecs et de ses réussites. Le jeu, espace de créativité Certains jeux ne sont pas uniquement une manière de reproduire le monde mais aussi la possibilité de concevoir un monde nouveau et original au sein duquel il est possible d’expérimenter. C’est le cas par exemple des jeux qualifiés de « bacs à sable » qui permettent une infinité de combinaisons pour créer. Ainsi, Minecraft, un jeu qui combine construction et aventure, permet au joueur d’affronter à un monde Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 181 18/11/2014 10:00:54 182 Diversité culturelle à l’ère du numérique simulé mais également de l’imaginer et de le réaliser. Une des caractéristiques fondamentales du jeu est l’articulation entre rituel et innovation, entre monde standardisé imposé et monde inventé. Par conséquent, l’entrée dans le jeu ouvre un univers de possibles qui libère l’imagination, la fantaisie et la créativité. De ce point de vue, l’avatar est un élément clef du jeu. C’est une marionnette que le joueur anime à l’écran ou qu’il incarne dans la situation. Il permet l’introjection du joueur dans un personnage fictif et la projection de ses idées, de ses désirs et de ses valeurs dans une figure idéalisée permettant la subjectivation. L’avatar constitue alors un terrain d’investigation d’un soi en devenir. Le « ludant », un nouvel apprenant ? En acceptant les règles du jeu, l’apprenant troque sa liberté contre une liberté ludique qui est encadrée par les règles du jeu. Il devient alors « ludant » dans le sens où, comme l’exprime ludus, la racine latine de ce terme, un jeu numérique épistémique combine des éléments qui relèvent du jeu, en tant qu’activité libre et spontanée, et du travail scolaire, en tant qu’activité imposée et dirigée. Il constitue un univers au sein duquel le ludant sera amené à résoudre des problèmes qui peuvent être complexes et non déterministes. Il peut ainsi évoluer d’un point de vue épistémique et développer les compétences attendues pour exercer sa citoyenneté dans un monde également complexe. Néanmoins, cela le conduit également à accomplir les desseins du créateur du jeu. Son autonomisation et son émancipation intellectuelle passent alors nécessairement par une prise de distance qui ne pourra s’accomplir qu’en quittant le jeu. Termes liés : connaissance, genre, imaginaire, industries créatives, industries culturelles, littératie numérique, virtuel Références Gilles Brougère, Jeu et éducation, Paris, L’Harmattan, 2000. Sébastien Genvo, « Penser les phénomènes de ludicisation à partir de Jacques Henriot », Journée d’études en hommage à Jacques Henriot, Paris, 4 mai 2012 ; lire en ligne http://www.ludologique.com/publis/JH_article_Genvo_S.pdf. Jacques Henriot, Le Jeu, Paris, Presses universitaires de France, 1969. Éric Sanchez, « Des jeux dans la classe, est-ce bien sérieux ? », dans L’École numérique no 6, 2010, pp. 24-26. Brian Sutton-Smith, The Ambiguity of Play, Cambridge, Harvard University Press, 1997. Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, Paris, La Découverte, 2011. UNESCO, Déclaration universelle de la diversité culturelle, 2001. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 182 18/11/2014 10:00:54 183 Journalisme Franck Rebillard Dans sa définition la plus basique, le journalisme peut être défini comme l’activité de création, d’édition et de diffusion d’informations en lien avec l’actualité. Ses finalités principales consistent donc à rendre compte du monde qui nous entoure, jour après jour, et à donner un écho aux voix qui peuplent ce monde. En cela, le journalisme rencontre pleinement les problématiques de la diversité culturelle exprimées par l’UNESCO dans sa Convention de 2005. Celle-ci réaffirme notamment que « la liberté de pensée, d’expression et d’information, ainsi que la diversité des médias permettent l’épanouissement des expressions culturelles au sein des sociétés ». Elle prolonge de plus le vœu, né dans les années 1970-1980 avec le rapport MacBride impulsé par l’UNESCO, d’un nouvel ordre mondial de l’information et de la communication qui réduirait l’influence des agences de presse occidentales conduisant à la surreprésentation médiatique des pays du Nord. Elle laisse également ouvertes des interrogations sur l’expression médiatique des minorités (Rigoni et al., 2011). Les deux faces du journalisme en ligne De tels enjeux sont réactivés avec le développement du numérique et de l’internet en particulier. Le journalisme en ligne se distingue en effet sur plusieurs points du journalisme imprimé et audiovisuel. Tout d’abord, sur le plan communicationnel, à la diffusion unidirectionnelle des médias de masse (presse, radio, télévision), s’ajoutent avec l’internet des modalités d’expression et de mise en relation interpersonnelles. Celles-ci débouchent, à un niveau socioéconomique, sur l’apparition de deux nouveaux types d’acteurs. D’une part, les coûts réduits de publication en ligne favorisent l’intervention d’amateurs, au sens de non-professionnels, dans le Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 183 18/11/2014 10:00:54 184 Diversité culturelle à l’ère du numérique journalisme. D’autre part, la surabondance numérique d’informations – surabondance quantitative sans forcément être qualitative – rend décisifs les services d’orientation des internautes opérés par quelques multinationales des secteurs de l’informatique et de l’internet. Ainsi le journalisme en ligne paraît-il soumis à un double mouvement antagoniste vis-à-vis d’une quête de diversité : d’un côté, celle-ci semble pouvoir bénéficier de nouvelles possibilités d’expression individualisées ; elle voit, de l’autre, réapparaître le spectre d’une domination oligopolistique d’un nouveau genre. Sur ces deux versants, après une phase relativement spéculative, la recherche a apporté plusieurs éléments de connaissance empiriques qui forment autant de contributions au débat. Le potentiel de diversité du journalisme participatif Avec l’internet, tout un chacun dispose – potentiellement – d’un assez large éventail d’outils pour s’exprimer à propos de l’actualité. L’activité correspondante, qualifiée de journalisme amateur, journalisme citoyen, ou plus largement de journalisme participatif, transite par des blogs et des wikis, des plateformes dédiées (sites de publication collaborative ou de partage de vidéos), ou encore des espaces réservés au sein des sites de médias professionnels (commentaires, forums…). Un tel phénomène, après avoir donné lieu à une littérature aux accents fortement utopiques transformant l’hypothèse d’une expressivité généralisée en prophétie autoréalisée, a été l’objet de recherches plus situées. L’une des recherches les plus conséquentes au niveau international (Domingo et al., 2008) a porté sur les sites web des principaux quotidiens dans huit pays européens et aux États-Unis. Elle amène des conclusions mitigées : les espaces offerts à la participation des internautes, certes nombreux, concernent principalement la réaction à des informations sélectionnées en amont par les professionnels. En dehors des sites de médias traditionnels, les internautes peuvent aussi s’exprimer plus directement par le biais des blogs ou des plateformes participatives, mais là encore plusieurs recherches se rejoignent dans des conclusions nuancées : ces espaces d’expression se sont certes multipliés mais ils sont restés le plus souvent l’apanage des franges intellectuelles de la population, loin donc de représenter la diversité de la société. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 184 18/11/2014 10:00:55 Journalisme 185 L’infomédiation ou l’ordre mondial de l’information revisité Les initiatives relevant du journalisme participatif ont ainsi offert des possibilités de prise de parole supplémentaires, même si elles n’ont pas forcément permis d’entendre toutes les voix de la société. Elles sont de façon plus globale venues grossir les rangs d’une information en ligne qui, outre les déclinaisons web de journaux, radios et télévisions, compte également des sites professionnels « tout en ligne » (pure players). À cet ensemble d’informations volumineux et hétérogène correspond un accès individualisé des internautes, dont l’appariement est assuré par des entreprises réalisant un service d’infomédiation, fondé sur les requêtes de chaque internaute (moteurs de recherche) et/ou les recommandations de leurs pairs (réseaux socionumériques). En raison de caractéristiques propres à l’économie des réseaux, ces acteurs sont peu nombreux à l’échelle internationale et de fait souvent originaires des États-Unis comme Google, Facebook, Twitter et Apple. L’existence d’un tel oligopole dans le domaine de l’information en ligne n’est évidemment pas sans rappeler, en ce début de xxie siècle, celui qui dominait le monde des médias quelques décennies auparavant. Alors que les agences de presse visées par le rapport MacBride étaient situées en amont, les infomédiaires sont davantage placés en aval, mais leur rôle n’en est pas moins important. Car, face à une offre numérique pléthorique, le niveau de la mise en visibilité et de l’accès aux contenus devient le plus stratégique. En outre, cette domination d’un nouveau genre n’est pas forcément de nature à atténuer la précédente. Comme l’a démontré un spécialiste de la géopolitique des nouvelles, la montée en puissance des infomédiaires dans l’information en ligne, durant les années 2000, s’est principalement bâtie sur la reprise de contenus distillés en premier lieu par les agences Reuters et Associated Press (Paterson, 2007). L’exposition à une diversité d’informations comme enjeu majeur sur l’internet En somme, le risque existe que le nouvel ordre mondial de l’information continue de s’appuyer sur l’ordre ancien. Si, effectivement, les infomédiaires renvoient les internautes de façon privilégiée à la production des agences, et par extension aux médias professionnels, alors le potentiel de diversité résidant dans le journalisme participa- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 185 18/11/2014 10:00:55 186 Diversité culturelle à l’ère du numérique tif pourrait être contourné. Pourtant ce potentiel existe bien : comme l’a montré une recherche collective portant sur la totalité des sites d’information politique et générale en France (Rebillard, 2012), les blogs et les sites à visée participative sont les plus originaux sur le plan éditorial, tandis que les sites de médias professionnels et les infomédiaires reviennent de façon redondante sur les sujets mis à la une de l’agenda médiatique. Or ces deux types de sites (infomédiaires et médias professionnels en ligne) réalisent les plus grosses audiences de l’internet, très loin devant les autres. Le problème le plus crucial ne se situe donc pas dans l’offre d’informations en ligne, puisque celle-ci est d’ores et déjà l’œuvre d’une diversité de sources (blogs et sites de journalisme participatif, en plus des sites web professionnels), et débouche sur une diversité au niveau du contenu, faisant voisiner information dominante et information alternative. Encore faut-il que cette dernière soit suffisamment visible et accessible, autrement dit bien exposée. La question de la relation entre diversité des sources (source diversity), diversité des contenus (content diversity) et diversité d’exposition (exposure diversity), qui anime depuis plusieurs années déjà les recherches sur la diversité des médias (media diversity) (Napoli, Karppinen, 2013), se pose à nouveau avec l’internet. Car c’est bien in fine l’exposition des internautes à la diversité de l’information qui constitue l’enjeu majeur et devrait concentrer l’attention des chercheurs comme des régulateurs. Termes liés : agrégation, communication, connaissance, curation, édition, information, médias, financement des médias à l’ère numérique, neutralité de l’internet, pratiques, public/usagers, réseaux sociaux Références Sean MacBride, Many Voices One World. Communication and Society Today and Tomorrow. Towards a new more just and more efficient world information and communication order, Kogan Page, London/ Uniput, New York/Unesco, Paris/Unesco, 1980 ; lire en ligne http:// unesdoc.unesco.org/images/0004/000400/040066fb.pdf?bcsi_ scan_1fe59ba8c561fa18=sD9bCpSt73FKeSlQ9vO5lFGSN902AAAA M0vPWw==&bcsi_scan_filename=040066fb.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014. David Domingo, Thorsten Quandt, Ari Heinonen, Steve Paulussen, Jane B. Singer et Marina Vujnovic, « Participatory Journalism Practices in the Media and Beyond. An International Comparative Study of Initiatives in Online Newspapers », Journalism Practice, 2008, vol. 2, n° 3, pp. 326-342. Philip M. Napoli, Kari Karppinen, « La diversité comme principe émergent pour la gouvernance de l’internet », in Pluralisme de l’information et Media Diversity : un état des lieux international, Franck Rebillard, Marlène Loicq (dir.), Bruxelles, De Boeck, 2013, pp. 39-58. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 186 18/11/2014 10:00:55 Journalisme 187 Chris Paterson, « International News on the Internet : Why More is Less », Ethical Space : The International Journal of Communication Ethics, 2007, vol. 4, n° 1/2, pp. 57-66. Franck Rebillard (dir.), « Internet et pluralisme de l’information », Réseaux, 2012, no 176, pp. 3-173. Laura Navarro Garcia, Isabelle Rigoni, Eugénie Saitta, « Exprimer la diversité. Les médias des minorités culturelles et linguistiques en Espagne, en France et en Italie », in Les Médias de la diversité culturelle dans les pays latins d’Europe, Annie Lenoble-Bart, Michel Mathien (dir.), Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 55-69. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 187 18/11/2014 10:00:55 188 Langues Musanji Ngalasso-Mwatha Le langage, richesse de l’homme Les hommes, comme la plupart des animaux, communiquent entre eux au moyen des sons et des mouvements du corps. On discute souvent pour savoir si des animaux comme les perroquets, les abeilles ou les dauphins ne possèdent pas un langage, comme nous. On est à peu près certain aujourd’hui que seuls les systèmes de communication employés par l’homme correspondent à la définition stricte du langage. Celui-ci implique conscience (le sujet parlant sait qu’il parle telle ou telle langue), bilatéralité (le langage fait l’objet d’un emploi partagé au cours d’échanges dialogués), variabilité (il évolue dans le temps et varie dans l’espace). Bien plus, le langage articulé est polyvalent et multiforme : il suppose un vocabulaire riche et une grammaire complexe ; il peut être fixé par l’écriture ou par toutes sortes de symboles ; il s’accompagne de gestes et de mouvements divers ; il permet d’aborder toutes les dimensions du monde sur l’axe du temps (passé, présent et avenir) aussi bien que sur celui de l’espace (ici, làbas, ailleurs) ; il exprime le visible et l’invisible, le vrai et le faux, le réel et l’imaginaire. Objet culturel, comme la sculpture, la peinture, la musique ou les arts de la table, la langue possède néanmoins un caractère particulier car elle est, à la fois, produit et véhicule de la culture. Avec la langue on peut parler de toute chose, y compris de la langue elle-même. C’est l’outil de communication le plus perfectionné dont dispose l’homme. On a comparé la langue à l’argent en tant que valeur fiduciaire : si l’argent permet d’obtenir toutes sortes de biens matériels, la langue donne accès à toutes sortes de biens immatériels. La traductibilité des langues est comparable à la convertibilité des monnaies. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 188 18/11/2014 10:00:55 Langues 189 L’homme parle depuis environ 100 000 ans. Ses multiples déplacements ont favorisé la multiplication et la diversification des langues sur la Terre. On dénombre actuellement environ 7 000 langues, sans compter les dialectes, regroupées en plusieurs familles inégalement réparties sur les cinq continents : 2 165 langues en Asie, 2 011 en Afrique, 1 302 en Océanie, 1 000 en Amérique et 225 en Europe. C’est la pluralité des langues dans leur singularité qui constitue la richesse du patrimoine linguistique de l’humanité. Il n’existe pas de communauté humaine dépourvue de langue ou de culture propre. En parlant sa langue maternelle, tout homme est capable de produire et de comprendre un nombre infini de phrases déjà entendues ou jamais émises auparavant ; il est, en outre, potentiellement apte à apprendre et à parler n’importe quelle langue par simple imitation de son entourage. Les langues sont mortelles Comme les civilisations, les langues sont mortelles. Elles peuvent, après usure, sombrer dans l’oubli et finir au fond des siècles, avec leurs grammaires et leurs dictionnaires. Les scientifiques observent une tendance très marquée à la réduction du nombre des langues dans le monde. Leur sentence est sans appel : d’ici à la fin du siècle, la moitié des langues parlées actuellement aura disparu de la surface de la Terre. Elles meurent de deux causes majeures : la pression glottophagique des langues les plus puissantes, qui « mangent » les plus faibles, et le poids des lois linguicides édictées par les États qui favorisent les langues majoritaires au détriment des langues minoritaires. La plupart des langues ont déjà disparu en Amérique à cause des colonisations et des génocides. Des dizaines de langues meurent chaque année en Afrique pour les mêmes raisons. Plusieurs langues reculent en Chine sous la poussée du chinois standard. La glottodiversité est aujourd’hui sérieusement menacée. Tout comme la biodiversité animale et végétale. Le phénomène n’est pas nouveau. Toute évolution du monde provoque la disparition de langues et l’apparition de nouvelles langues. Cependant, jamais le mouvement d’extinction des langues n’a connu les proportions que l’on observe aujourd’hui. Selon l’UNESCO, une langue meurt tous les quinze jours. La mondialisation des échanges et l’industrialisation des moyens de communication n’y sont pas pour rien. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 189 18/11/2014 10:00:55 190 Diversité culturelle à l’ère du numérique Le cinquième pouvoir : ses opportunités… L’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication constitue une avancée considérable dans l’évolution de la communication interhumaine. Les industries de la langue participent de cette extraordinaire mutation technologique. Le traitement automatique des langues est un secteur en pleine expansion. Il comporte des enjeux industriels et économiques considérables. Toutes les langues sont directement concernées par ces enjeux. L’invention de l’internet est une révolution copernicienne. Du même ordre que l’invention de l’imprimerie, de la téléphonie, de l’électricité ou du cinéma parlant. L’internet offre d’énormes avantages. Le numérique rend possible une très large distribution de la parole dans toutes les langues grâce à la facilité de création en ligne de blogs et autres forums interactifs. Il permet l’accès à de nombreux textes écrits et à des outils techno-linguistiques avancés comme la traduction automatique, la reconnaissance vocale et la synthèse de la parole à partir de textes. Il facilite le travail en réseau, la saisie des données lexicales devant servir à élaborer les dictionnaires et les listes terminologiques. L’internet donne à chacun, simple citoyen, travailleur ou consommateur, des moyens de communication et d’expression absolument inédits. De nouvelles possibilités aussi d’apprendre et de se cultiver pour ne plus être les esclaves martyrisés de l’ignorance. L’internet permet de transmettre des messages écrits dans n’importe quelle langue. Même dans celles qui n’ont pas de tradition d’écriture. Situé entre l’écrit et l’oral, le cyberlangage se caractérise par le style direct conversationnel. Par son hybridité et sa fluidité, sa spontanéité et sa convivialité, sa rapidité et son interactivité, sa simplicité et sa moindre normativité, il répond parfaitement à la définition du langage efficace. L’internet démocratise l’accès à la connaissance. L’internaute peut, d’un simple clic, comme d’un claquement de doigts, visionner un film, télécharger la chanson de son choix, lire quantité de textes numérisés, converser en ligne (tchat) avec qui il veut, envoyer des fichiers attachés à des destinataires sans nombre. Avec raison, on a parlé de « cinquième pouvoir » après l’exécutif, le législatif, le judiciaire et le médiatique. C’est le pouvoir du grand public et de M. Tout-le-Monde. C’est aussi le redoutable contre-pouvoir de la rumeur en ligne qui peut, en un clin d’œil, faire dégringoler le cours du dollar ou flamber le prix du pétrole, discréditer un gouvernement et précipiter sa chute, changer l’état de l’opinion et modifier la donne électorale, voire l’issue d’un scrutin. Avec l’internet, on retrouve toutes les fonctions sociales du langage : exprimer des émotions, Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 190 18/11/2014 10:00:55 Langues 191 échanger des idées, agir sur les esprits et les mentalités, assurer des relations, créer du beau avec les mots et les images. La question n’est plus de savoir si, oui ou non, cela est possible dans toutes les langues du monde. La question est : quelles langues sortiront gagnantes de ce grand chambardement porteur de tant de promesses et d’autant d’incertitudes ? La lutte pour la (sur)vie est engagée. … et ses risques L’internet comporte donc aussi des risques pour la majorité des langues, qu’il convient de ne pas sous-estimer. Il participe à la détérioration des rapports entre les langues et contribue à accélérer la disparition de plusieurs d’entre elles. Aujourd’hui toutes les langues ne profitent pas des avancées industrielles. Les langues qui gagneront la bataille numérique gagneront non seulement un marché considérable mais aussi de nouvelles chances de se perpétuer dans les siècles et de se propager sur de larges espaces. Celles qui perdront cette bataille perdront définitivement la guerre pour la (sur)vie. La Bible est le seul livre traduit en 2 454 langues qui soit accessible à 95 % de la population de la planète. Elle est disponible sur l’internet en 140 langues. Wikipédia n’existe encore que dans 300 langues, Facebook dans 80, et Twitter dans 20. Dans le top 10 des langues les plus utilisées sur l’internet, on ne trouve que des langues européennes (anglais, espagnol, allemand, français, portugais) favorisées par l’expansion coloniale, concurrencées seulement par les langues asiatiques (chinois, japonais, coréen, turc, farsi), portées par des cultures nationales millénaires. On ne trouve aucune langue africaine, ni amérindienne, ni océanienne. Plus de 90 % des langues parlées dans le monde sont ainsi absentes ou sous-représentées sur la Toile. Les alphabets et les systèmes d’écriture utilisés sont, eux aussi, exclusivement européens (latin, grec, cyrillique) ou asiatiques (arabe, chinois, japonais, coréen). Les langues minoritaires, qui sont la majorité dans le monde, sont souséquipées en technologies du langage et se trouvent, de fait, exclues des correcteurs orthographiques et grammaticaux, des systèmes de dialogue par téléphone, des outils de traduction automatique, des moteurs de recherche sur le web, des synthétiseurs vocaux des GPS. Leurs locuteurs sont ainsi privés d’accès à la plupart des services communicants modernes. Un exemple illustre cette disparité intolérable au xxie siècle : aujourd’hui le conducteur d’une voiture équipée d’un GPS (Global Positioning System) ne peut pas s’égarer s’il parle anglais, français ou espagnol ; il est en revanche complètement perdu s’il ne parle que breton, yao, tagalog, wolof, kikongo, tchouktche, Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 191 18/11/2014 10:00:55 192 Diversité culturelle à l’ère du numérique nahuatl ou tupiguarani. À l’ère du tout numérique, les technologies du langage se sont certes démocratisées. Mais elles ne profitent pas à toutes les langues. Sauver la glottodiversité Les langues représentent une richesse culturelle inestimable. Avec la disparition de plusieurs d’entre elles, c’est la richesse même de l’humain qui se trouve mise en danger. La mort des langues n’est pas une fatalité. La généralisation des outils numériques à toutes les langues n’est pas technologiquement irréalisable. La convergence numérique peut être la planche de salut pour beaucoup d’entre elles. Il y a donc urgence à trouver, dès à présent, les moyens de ralentir le rythme de la mort des langues. Ces moyens sont techniques et financiers. Ils sont aussi juridiques et politiques : ils dépendent du volontarisme des gouvernements. Dans la plupart des États, il n’y a pas de politique en faveur de la diversité linguistique et culturelle ; il n’y a qu’un début de prise de conscience de leur importance comme moyens d’expression des identités nationales. Il faut un effort concerté, au niveau mondial, pour consolider cette prise de conscience, créer les technologies nécessaires et les déployer vers l’ensemble des langues. Toutes les nations devraient investir dans le multilinguisme et encourager la présence de toutes les langues sur la Toile, et d’abord dans la vie quotidienne. C’est la seule manière de sauver la glottodiversité et de sauvegarder notre riche patrimoine culturel. La meilleure manière aussi de refuser l’uniformisation comme une pernicieuse forme de nivellement par le bas, donc d’appauvrissement de l’Homme. Termes liés : communautés, communication, connexion, connaissance, fracture numérique, patrimoine, public/usagers, territoires Références Roland Breton, Géographie des langues, Paris, Presses universitaires de France, 1995. Bernard Comrie et al., Atlas des langues. L’origine et le développement des langues dans le monde, Paris, France Loisirs, Éd. Acropole, 2004. Antoine Meillet et Marcel Cohen, Les Langues du monde, Paris, Gallimard, 1952, réédition Paris, Slatkine, 1997. Jean Perrot (dir), Les Langues dans le monde ancien et moderne, Paris, Éditions du CNRS, 1989. Stephen Wurm, Atlas des langues en péril dans le monde, Paris, UNESCO, 1996. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 192 18/11/2014 10:00:55 193 Le libre Éric Guichard Pouvoir lire ou ne pas lire Dans le domaine de l’informatique et de l’internet, l’adjectif « libre » renvoie essentiellement à un certain type de logiciels : un logiciel libre est avant tout un logiciel dont le code source (l’ensemble des programmes qui le constitue) est accessible et lisible (en clair), contrairement à un logiciel dont seule la version binaire (donc incompréhensible : il ne s’agit pas d’une simple compression) est transmise. Historiquement, les logiciels transmis sous forme binaire ont été conçus pour économiser de la place (mémoire ou disque) et pour faciliter leur installation par l’utilisateur. Ils ont grandement contribué à l’essor de l’informatique grand public. Ils ont aussi favorisé la construction de monopoles, dans la mesure où ce choix de l’opacité a été étendu aux fichiers produits par ces logiciels : écrits en des formats illisibles, cette fois-ci au sens commun du terme, ils requéraient l’usage de ces mêmes logiciels pour être visualisés ou modifiés. Pour de tels fichiers, on parle de « formats propriétaires » et les logiciels qui les produisent, souvent vendus, sont aussi appelés des logiciels « privateurs », au sens où ils nous privent de deux types de libertés, qui expriment la double dimension du logiciel libre : •la liberté de construire soi-même sa confiance en un outil ou une méthode, sans la déléguer aveuglément à un vendeur, qui pourrait être malhonnête ou coercitif (par exemple en raison d’un monopole). Nous sommes là dans le registre le plus cartésien de la preuve : est vrai (ou fiable) ce dont j’arrive à me persuader par mon propre entendement ; •la liberté d’adapter, d’améliorer, de transmettre une œuvre de l’esprit (singulière ou collective), par définition non brevetable et susceptible de contribuer à l’émancipation ou au bonheur de l’humanité. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 193 18/11/2014 10:00:55 194 Diversité culturelle à l’ère du numérique De la compétence scribale à l’épistémologie Tout cela serait aisé si la question de la compétence ne surgissait pas d’emblée : si Descartes a pu articuler l’invention de l’algèbre moderne avec une philosophie qui conjugue la liberté intellectuelle et une méthodologie (donc offerte à tous) de la compréhension du monde, rares sont ceux d’entre nous qui peuvent prétendre à son intelligence. Un peu plus de personnes sont capables de lire et de commenter un programme de quelques milliers ou millions de lignes, mais elles ne sont pas si nombreuses. Pour le dire autrement, la question du « libre » semble relever du débat d’experts en programmation, dont nous nous sentirions exclus, par manque de compétences, sans trop savoir si ces lacunes sont réelles, artificiellement déplacées, ou incorporées vu la foison de discours, depuis quarante ans, sur l’intelligence des machines et le renouveau technologique. Ou plus simplement parce que nous n’avons ni le temps ni le désir d’acquérir une compétence informatique forte, en plus de nos propres spécialisations. Penser le libre conduit vite à une archéologie de l’informatique, comme discipline et comme industrie, assurément comme technique et donc comme produit collectif de nos inventions d’humains, de leurs socialisations et aussi de leurs contractualisations, en fonction de représentations culturelles fort diverses suivant les milieux et les pays. En effet, les questions des logiciels libres et privateurs mènent rapidement aux suivantes : quel système privilégions-nous pour transmettre les savoirs ? Celui de la gratuité, avec ses écoles et ses précepteurs financés par l’impôt ? Celui de la vente, avec ce qu’il suppose de temps passé à rechercher des clients et à s’adapter à leurs désirs ? Celui de l’héritage, avec ce qu’il induit en termes de construction de monopole et d’étouffement de l’innovation, ou celui du bien public, qui n’est protégé que si le peuple s’y intéresse ? Nous comprenons que ces questions débordent largement le strict cadre de l’informatique et que des réponses variées leur soient apportées. Cette remarque, qui renvoie à la sociologie (une idée ou un projet ne peut se déployer sans débat ni rapports de forces, et ne peut s’inscrire dans un champ politique sans simplifications ni engagements) ne doit pas sous-estimer l’importance du logiciel libre, en termes de problématique comme de diffusion. Et les notions d’expertise et d’engagement ne doivent pas être dépréciées : Louis Pasteur, comme Émile Zola, quand il décida de défendre Alfred Dreyfus, n’étaient pas des incultes transcendés par une foi, mais de réels spécialistes de leur domaine, devenu cause scientifique ou politique. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 194 18/11/2014 10:00:55 Le libre 195 Origine et évolution du terme Des logiciels initialement tous libres La notion de logiciel libre est relativement récente : elle date des années 1980, essentiellement impulsée par Richard Stallman, qui luttait contre l’essor du logiciel privateur : en effet, avant l’essor des micro-ordinateurs, toutes les machines étaient vendues avec des systèmes d’exploitation (les lignes de code qui permettent leur fonctionnement et leur appropriation) gratuits, documentés et modifiables – libres, au sens actuel du terme. Il est difficile de savoir si l’introduction du logiciel privateur vient d’Apple, de Microsoft, d’autres acteurs désireux de faire payer des « droits de copie » à IBM et aux personnes achetant de telles machines, ou tout simplement de l’apparition de nouveaux marchés, tendant à distinguer le hard-ware (les machines) du soft-ware (les logiciels, en accroissement perpétuel). Une réaction face à Microsoft et à l’ordinateur personnel En revanche, il est manifeste que la position hégémonique de Microsoft, alliée à une forme de publicité parfois mensongère (promettant l’intégration future de logiciels performants pourtant déjà connus des spécialistes, tout en générant des formats de fichiers abscons et donc réduisant l’interopérabilité), a stimulé l’intérêt des programmeurs pour les logiciels libres, dont le code source était disponible (Di Cosmo, 1998). Il ne faut pas pour autant négliger l’histoire (des mondes lettrés) de l’informatique : au moment où l’Apple II connaît ses premiers succès, un système d’exploitation complexe, mais d’une redoutable efficacité, se déploie : Unix. Or Unix fonctionne avant tout sur l’usage de milliers de scripts (de petits logiciels) écrits en clair, qui s’enchaînent les uns les autres au gré des besoins de l’utilisateur… à condition qu’il en connaisse l’existence. À terme, Unix a permis le développement de l’internet et du web. Initialement réservé à des machines spécifiques et coûteuses (Sun, NeXT, l’ancêtre du système d’exploitation du Macintosh actuel), il devient un système d’exploitation commun, depuis qu’il a été « porté » sur les ordinateurs portables grâce aux efforts de Linus Torvalds et des programmeurs qu’il a fédérés : Linux. La qualité au rendez-vous Aujourd’hui, de nombreux logiciels libres sont massivement utilisés : les plus connus sont OpenOffice et Libre Office (variantes de Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 195 18/11/2014 10:00:55 196 Diversité culturelle à l’ère du numérique Microsoft Office) ou Firefox (navigateur) et Thunderbird (gestionnaire de courrier électronique), les deux derniers relevant de la fondation Mozilla. Mais la majorité des logiciels libres est méconnue du grand public : ce peut être Apache, utilisé par la majorité des serveurs web, Linux, Perl, ou les outils (comme subversion) permettant d’obtenir les dernières versions des uns ou des autres. Tous sont massivement utilisés en raison de leur très grande qualité. Pour revenir à la notion d’expert, il n’est pas si aisé de récupérer le code source d’un logiciel libre si l’on n’est pas un réel spécialiste de l’internet et de l’informatique, ou au moins un excellent amateur. Cependant, efforts et pertes de temps sont compensés par l’acquisition d’une nouvelle culture, incluant des formes inédites de socialisation et de partage. Ce que ne permettent pas les logiciels privateurs. Et le coût d’entrée dans le monde du libre est de moins en moins élevé. Aujourd’hui, la majorité des logiciels libres est gratuite, tous ont par définition leur code accessible. Pour cela, ils sont souvent adaptables sur tous les systèmes d’exploitation. Ce mélange de qualité, de transparence et de faible coût, associé aux possibilités de rapide correction des bogues, ou d’amélioration du fait de l’internet, contribue au succès actuel des logiciels libres, au point qu’ils sont largement utilisés par des individus, des entreprises et des institutions, jusqu’à des États. Différentes approches et solutions Un tel succès ne peut que conduire à des approches divergentes, parmi ses promoteurs. Approches politique et pragmatique Ces derniers peuvent osciller entre une variété de positions, dont les plus caractéristiques sont les suivantes : celle qui revendique le lien entre épistémologie et politique (transparence, appropriation des savoirs et liberté d’expression sont les clés de la démocratie), représentée par Stallman et la FSF (Free Software Foundation) et celle qui insiste sur les opportunités économiques rendues possibles par des logiciels aux codes sources ouverts et souvent gratuits (le second sens de free). C’est le cas de l’Open Source Initiative. Les licences Dans cet environnement méconnu et réputé compétitif qu’est l’informatique, se posent rapidement trois questions : Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 196 18/11/2014 10:00:55 Le libre 197 1. Comment faire du commerce avec des produits gratuits ? 2. Comment se rétribuer avec des inventions qu’on ne vend pas ? 3. Comment ne pas se faire voler des idées aussitôt publiées et implémentées ? La première peut se résoudre aisément, avec les notions de service et d’enseignement : le théorème de Pythagore et le swahili n’appartiennent à personne, mais si nous désirons les comprendre, à tous les sens du terme, nous sommes prêts à (faire) payer des enseignants, de mathématiques ou de langues. Si nous désirons réaliser un beau livre, nous avons le choix entre un logiciel privateur, par exemple de la firme Adobe, et un logiciel libre comme LaTeX. Dans les deux cas, une formation, sinon le paiement de la mise en pages accéléreront grandement la production de l’ouvrage. La seconde est plus complexe, car elle suppose que l’inventeur (programmeur/se, informaticien/ne) passe une partie de son temps à vendre ses services. Ce qui n’est pas très rentable, surtout si une entreprise lui vole ses idées. D’où la cruciale importance du point 3. Pour cela, la solution proposée est celle de la licence, droit d’usage qui emprunte autant au droit artistique (l’écrivain, le peintre…) qu’à la tradition juridique de l’informatique. Sans entrer dans les détails, mais en élargissant ces problématiques à nos propres pratiques, quand nous mettons en ligne une photographie personnelle ou une œuvre de musique composée par nos soins, nous pouvons : 1. Ne pas désirer en tirer profit, et par suite... 2. interdire à quiconque de vendre notre œuvre, tout en... 3. laissant quiconque en profiter (droit de jouissance), ... 4. et permettre la reproduction ou publication de notre œuvre (éventuellement sous forme partielle ou transformée) à condition que soit mentionné notre nom, en tant que créateur original. C’est peu ou prou ce qui existe dans le domaine des logiciels libres. Quelques nuances peuvent apparaître : parfois, on peut modifier l’œuvre, mais celle-ci doit rester dans le domaine public (copyleft) ; d’autres fois, on peut en tirer un bénéfice, par exemple en vendant le résultat d’un programme réalisé avec un logiciel libre. Citons les licences GNU GPL (General Public License), CeCILL en France (CEA CNRS INRIA logiciel libre), l’Open Software License, et les licences Creative Commons, historiquement élaborées par le juriste Lawrence Lessig et qui ont grandement contribué à la popularisation des précédentes. Ces licences sont abondamment détaillées sur le web et sont désormais reconnues par la majorité des juges nationaux. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 197 18/11/2014 10:00:55 198 Diversité culturelle à l’ère du numérique Pertinence et avenir Une nouvelle configuration économique Le plus étrange, dans le modèle et le succès du logiciel libre, peut résider dans la façon dont il contredit les discours communs du néolibéralisme : le bien public, la gratuité, le communisme semblent ici plus efficaces que la propriété et le brevet. Effectivement, le modèle économique du logiciel libre fonctionne : il permet aux entreprises qui s’y impliquent de réaliser des bénéfices, il stimule l’innovation. C’est d’ailleurs pour ces deux raisons qu’a été développée l’approche de l’Open Source Initiative. Dans sa version corollaire du format ouvert, souvent oubliée mais aujourd’hui prépondérante sur l’internet (formats HTML, XML, protocoles…), le libre est synonyme de normalisation. Au point que la majorité des entreprises informatiques, auparavant intéressées par les formats propriétaires, préfèrent aujourd’hui dialoguer autour d’une table pour définir ensemble des formats et des protocoles publics, comme au sein du W3C (World Wide Web Consortium). Cela dit, un logiciel libre a un coût, celui des salaires de ses développeurs. C’est donc un savant mélange entre rétribution et diffusion gratuite qui s’élabore, au final assez proche de celui du financement de la recherche scientifique. Dynamiques du libre en France En Europe, de nombreuses associations fédèrent et promeuvent de tels outils. Citons en France l’association Framasoft (http://www.framasoft.net/), l’April (https://www.april.org/), le Conseil national du logiciel libre (http://www.cnll.fr/) … Le 19 septembre 2012, le Premier ministre a signé une lettre d’orientation pour favoriser l’usage des logiciels libres dans l’administration française. Élargissement du débat Nous réalisons que le débat autour du libre, sous ses formes technique comme juridique, s’élargit aujourd’hui aux œuvres artistiques, non seulement celles des artistes reconnus mais aussi celles de tout un chacun. Par exemple, une photographie que nous mettons en ligne nous appartient-elle, ou peut-elle devenir la propriété de son hébergeur sans que nous ayons notre mot à dire ? Plus généralement se pose la question de la propriété de notre vie privée : les abus de la publicité ciblée et plus encore le scandale des enregistrements de nos Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 198 18/11/2014 10:00:55 Le libre 199 faits et gestes, en ligne ou téléphoniques, par des agences de surveillance nationales, comme la NSA (National Security Agency), avec la complicité active de nombreux industriels du numérique, posent de redoutables questions aux sociétés démocratiques actuelles. Ce qui signale, à rebours, l’importance des questions politiques posées par les fondateurs du logiciel libre. Ce ne sont plus seulement des lignes de code ou des formats de fichier qu’il convient de protéger de firmes monopolistiques, mais désormais nos propres traces électroniques. Après tout, dans l’interprétation la plus restrictive du droit d’auteur, n’en sommes-nous pas les créateurs et les propriétaires ? Et l’économie du libre ne nous prouve-t-elle pas qu’un droit précis attaché à ces sources, où nous pourrions à chaque instant définir ce que nous voulons garder pour nous et ce que nous acceptons de faire basculer dans le domaine public, comme bien authentiquement commun et jamais privatisable, s’avérera plus fructueux pour le commerce comme pour la liberté ? Ici, paradoxalement, les philosophies libérale et communiste semblent converger. Termes liés : biens communs, codes, vie privée/données personnelles Références Roberto di Cosmo, Piège dans le cyberespace, 1998, lire en ligne http://www.dicosmo. org/Piege/PiegeFR.html. Philippe Aigrain, Cause commune, Paris, Fayard, 2005, lire en ligne, éd. électronique sous droits CC, http://www.causecommune.org. Andrew Feenberg, Pour une théorie critique de la technique, Paris, Lux, coll. « Humanités », 2014. David Edgerton, Quoi de neuf ?, Paris, Seuil, 2013. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 199 18/11/2014 10:00:55 200 Littératie numérique Divina Frau-Meigs La « littératie », traduction proposée par les Québecois de l’anglais literacy, se distingue, de la traduction attendue par « alphabétisation », de par sa dimension pragmatique et appliquée plutôt que didactique et théorique. Elle est convoquée à partir des années 1980 pour réfléchir aux formes nouvelles que prend l’écriture, notamment dans son rapport à l’oralité (plus qu’à la lecture). Elle s’appuie sur la pratique (practice), et l’articule à une technologie et des modes de faire et de savoir inscrits dans des contextes culturels spécifiques. De fait, cette perspective, issue de l’anthropologie culturelle, montre qu’il existe toutes sortes d’effets dus à l’appropriation de l’écrit et des configurations très variées entre oralité et littératie selon les cultures et les rapports qu’elles entretiennent, notamment, entre savoir et pouvoir. Depuis les années 1990, la notion a évolué en raison de l’impact des nouvelles technologies numériques sur l’écriture et la lecture, voire l’oralité seconde (après passage à l’écran). Deux tendances se dégagent : une approche socioculturelle qui continue de s’interroger sur la pratique dans son articulation avec les modes de faire et de savoir tels qu’ils sont reconfigurés par le contexte informatique ambiant ; une approche psychocognitive qui se focalise sur l’appropriation mentale des processus de compréhension induits par le numérique en s’appuyant sur les neurosciences. La pratique se complexifie en pratiques littéraciques, multiples, évolutives et porteuses de valeurs, de représentations et d’attitudes qui affectent les relations sociales, économiques et culturelles. La complexité des modes de faire autour du savoir lire-écrire-voir Les études sur les littératies se sont diversifiées, pour prendre en compte les nouvelles formes d’appropriation de l’écriture-lecture, qui Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 200 18/11/2014 10:00:55 Littératie numérique 201 incluent non seulement l’alphabet en tant qu’ensemble de symboles représentant les phonèmes d’une langue (vingt-six caractères en France), mais aussi la résultante de la numérisation de ce code en le réduisant à deux nombres (0 et 1). La numérisation permet en effet non seulement de transformer une suite de caractères textuels mais aussi de configurer des sensations visuelles à partir de pixels. Ce procédé complexifie la littératie parce qu’il permet la conversion de toutes sortes d’informations, quel que soit le support (visuel, audio, textuel), en données numériques qui sont traitables et modifiables par des dispositifs informatiques. Ces données numériques, composées de suites de caractères et de nombres, véhiculent des informations dont les caractéristiques principales sont qu’elles sont sécables, mixables, modulables et portables, permettant des transfigurations morphologiques de l’écrit, du lire, du parler et additionnellement du voir, inédites jusqu’alors. L’élargissement de la réflexion sur les littératies rencontre à ce stade les interrogations sur les cultures de l’information, qui analysent les évolutions nouvelles dues aux possibilités d’éditorialisation de toutes sortes de documents et de données en utilisant la plasticité propre aux langages artificiels fondés sur le calcul et l’informatique. La transférabilité des pratiques et des compétences dans des contextes informationnels différenciés pointe également vers des phénomènes nouveaux, notamment l’interpénétration des sphères du loisir, du travail et de l’école, et également la position d’autorité de l’usager, par rapport à la plasticité de l’information qu’il produit et qu’il valide, lui permettant de contrôler toute la chaîne éditoriale du lire-écrire-voir par le truchement de la mise en ligne. Les littératies et leurs pratiques se présentent alors en bouquet, sous la forme de toutes sortes d’« éducation à… ». La « littératie informationnelle » (information literacy), définie sous l’impulsion de la puissante Fédération internationale des associations de bibliothécaires (IFLA), s’appuie sur le domaine scientifique de la documentation informatique. Elle s’agrège à l’éducation aux médias (media literacy), qui incorpore toutes sortes de compétences et de stratégies de mise en lecture et en écriture critique du texte et de l’image, en rapport à l’actualité et à la presse notamment, à partir des sciences de l’information et de la communication, pour donner le programme Media and Information Literacy (MIL) de l’UNESCO. S’y adjoint également, avec plus de difficultés du fait de son lien aux mathématiques plutôt qu’aux humanités, la « littératie informatique » (computer literacy) pour tenir compte des usages issus de l’encodagedécodage des informations en données, portée en Europe par le passeport de compétences informatiques européen (PCIE). Le vocable « translittératie » émerge alors pour signifier la convergence des pratiques informationnelles autour de l’information entendue à la Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 201 18/11/2014 10:00:55 202 Diversité culturelle à l’ère du numérique fois comme actualité et dispositif de presse (éducation aux médias), comme code et algorithme (littératie informatique) et comme document et donnée (littératie informationnelle). La convergence sur le numérique des supports papier et analogique depuis le tournant du millénaire a progressivement inclus la notion de littératie dans les contextes d’enseignement et d’apprentissage, dans la visée d’une maîtrise des cultures de l’information reconfigurées par les données numériques, souvent résumée sous le terme unique de « culture numérique » – en vérité un prolongement dans le numérique de l’éducation aux médias et à l’information. L’enjeu est de comprendre les mutations et les hybridations des pratiques littéraciques dans la sphère sociale, culturelle et économique. Dans tous les cas, le souci est de former des individus aux nouveaux savoirs, spectacles et services rendus possibles par le numérique tout en gardant l’héritage acquis des littératies prénumériques, en termes d’alphabétisation, de citoyenneté et d’employabilité. La littératie au fondement des humanités numériques et des industries culturelles et créatives La convergence entre ces diverses pratiques associées à l’information comme code, donnée, dispositif, document et actualité a enrichi la notion de littératie et produit une augmentation possible de la relation au savoir, qui n’est pas sans être disruptive des savoirs établis à l’ère prénumérique. Le passage du mode analogique au mode numérique de saisie des données d’entrée et de sortie est un accélérateur de changement qui enrichit la diversité des expressions culturelles, mais risque de déplacer ou de marginaliser les formes d’expression prénumériques. En outre, en contexte d’apprentissage, il s’accompagne d’une pédagogie inductive centrée sur la pratique, le projet et la co-construction des connaissances par l’apprenant-usager, plutôt que sur l’approche transmissive centrée sur le savoir, l’autorité du maître et la sanction. La posture pédagogique s’éloigne du modèle de l’enseignant comme source, pour aller vers celui de l’enseignant comme ressource. Elle s’insère dans des approches connectivistes – au-delà des approches cognitivistes et constructivistes – où l’apprentissage est un phénomène qui s’auto-organise en utilisant les affordances technologiques, comme le montre la diffusion des cours en ligne ouverts à tous (MOOC, Massive Open Online Courses). Le potentiel de perturbation d’une telle augmentation est réel, avec des implications pour l’apprentissage comme pour la culture. L’agrégat Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 202 18/11/2014 10:00:55 Littératie numérique 203 entre écriture, oralité, lecture et visualisation permis par la convergence numérique implique un changement des conditions sociomatérielles de production de la culture qui se caractérisent par un double processus : les hommes prêtent à la machine certaines de leurs capacités mentales, notamment la mémoire et la capacité à la communication et au traitement de l’information ; réciproquement les machines prêtent aux hommes plus d’autonomie dans leurs interactions en réseaux. La littératie numérique, dans ce contexte constructiviste et connectiviste, s’appuie sur un certain nombre de stratégies en ligne qui constituent progressivement une raison numérique. Elles soulignent la coévolution hommes-médias, car certaines d’entre elles font allusion à des tâches d’intelligence artificielle utilisées en informatique, comme en témoigne leur version anglaise souvent passée telle quelle dans la langue française : l’agrégation de contenus (content aggregation), la mise en commun de ressources (pooling), l’échantillonnage (sampling), le réseautage (networking). Se développe toute une réflexion sur les nouvelles compétences littéraciques (digital skills) pour le xxie siècle, autour de la « ludo-littératie » et de la simulation, pour aider à la résolution de problèmes et tester des modèles dynamiques de processus applicables au monde réel. À côté des compétences classiques du lire-écrire-calculer s’ajoutent alors les capacités à éditorialiser, à créer et à coopérer. Outre le rôle de consommateur et de citoyen, de nouveaux rôles sont attendus des apprenants, pour lesquels ils doivent être préparés, pour évoluer dans des univers simulés et immersifs qui sont aussi des événements d’apprentissage, dans une philosophie de l’action et de la participation. Ces nouveaux rôles et compétences préparent aux emplois du futur liés aux industries culturelles et créatives. Ils pointent vers la constitution d’humanités numériques appuyées sur les arts appliqués et le design tout autant que sur l’informatique, car la littératie numérique détient le potentiel disruptif de donner un second souffle aux humanités en les transposant sur le numérique et en annulant la polarisation entre sciences dures et sciences sociales. Cela implique, à terme, soit une reconfiguration des disciplines classiques en d’autres regroupements, soit l’émergence d’un nouvel ensemble de savoirs et de modes de faire, regroupant les apprentissages littéraciques (design, éditorialisation, médiatisation…). Les refontes actuelles du système universitaire et scolaire comme les débats autour de la création d’un service public du numérique vont dans ce sens, malgré de nombreuses réticences. Alors qu’émergent des plateformes multimédias qui offrent des cours en ligne ouverts à tous (MOOC) et toutes sortes de stratégies de certification alternative (badges, e-portfolios…), l’école se doit d’opérer sa transition vers la littératie numérique sous peine de se voir marginaliser. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 203 18/11/2014 10:00:55 204 Diversité culturelle à l’ère du numérique Elle en prend le chemin en faisant évoluer l’éducation aux médias de concert avec la littératie numérique, en intelligence distribuée, en gardant l’esprit critique de la première et l’esprit créatif de la seconde, dans le dialogue interculturel, comme le concrétise l’Alliance mondiale des partenaires en éducation aux médias et à l’information (GAPMIL) de l’UNESCO depuis 2013. Termes liés : algorithme, co-construction, code, communication, computation connaissance, document, information, jeu, journalisme, public/usagers Références David Buckingham, Media Education : Literacy, Learning and Contemporary Culture, Boston, MIT, 2007. Éric Delamotte, Vincent Liquète, Divina Frau-Meigs, « La translittératie ou la convergence des cultures de l’information : supports, contextes et modalités », Spirale, no 53, 2013. Divina Frau-Meigs, Socialisation des jeunes et éducation aux médias, Toulouse, Eres, 2011. Henry Jenkins et al., Confronting the Challenges of Participatory Culture. Media Education for the 21st Century, Boston, Mac Arthur Foundation, 2009. Alexandre Serres, Dans le labyrinthe. Évaluer l’information sur internet, Caen, C & F Éditions, 2012. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 204 18/11/2014 10:00:55 205 Médias Divina Frau-Meigs Lors du débat sur l’exception culturelle, en 1993-1994, les médias se définissaient comme des moyens de diffusion d’informations et de spectacles, et relevaient de catégories et de supports analogiques précis tels l’édition, le film, la radio-télévision et la musique. Leur double valeur, économique et culturelle, était reconnue et, de ce fait, ils représentaient des biens culturels pouvant bénéficier des divers régimes de protection et de promotion inscrits dans le droit national, comme en atteste, en Europe, la directive « Télévisions sans frontières » de 1989, modifiée en 1997, légitimant, entre autres, les quotas de diffusion et les aides à la production. La numérisation et la convergence des médias analogiques sur le numérique à haut débit ont fondé une définition augmentée des médias comme services, sans relever d’une plateforme de diffusion précise, comme le manifeste la directive « Services de médias audiovisuels » de 2010. Elle distingue deux sous-catégories : les services linéaires, sur la base de grilles de programmes ; les services non linéaires, sur la base de catalogues à disposition de l’utilisateur. Elle englobe les services de vidéo à la demande sur télévision connectée et la télévision dite « de rattrapage » (rediffusions pendant une période de quelques jours sur réseau numérique) ; elle assure à la publicité un rôle central de communication commerciale, notamment en reconnaissant le placement de produit (autrefois nommé « publicité clandestine »). Elle opère le glissement des médias comme biens culturels à services commerciaux payants à forte valeur relationnelle en raison de l’enrichissement par l’interactivité. Même la presse traditionnelle doit s’aligner, à cause de l’émergence de blogs et de réseaux sociaux qui permettent à tout individu de créer de l’information et de redéfinir les contours de l’actualité tout en remettant en cause la fonction d’agenda et de filtrage du journalisme. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 205 18/11/2014 10:00:55 206 Diversité culturelle à l’ère du numérique La situation de l’écran navette S’installe ainsi une situation d’écran navette ou second écran : en surface, l’écran audiovisuel linéaire continue à jouer son rôle de pourvoyeur de représentations et de récits (séries, films, sports, actualités…) ; en profondeur, l’écran réticulaire non linéaire (réseaux sociaux, jeux vidéo en ligne…) se nourrit du premier pour proposer des services personnalisés et provoquer des conversations porteuses de lien social, qui viennent rétro-alimenter l’écran de surface. Les deux sous-systèmes de la « société de l’information » (la télé connectée et l’internet) rivalisent l’un avec l’autre, sur une multitude de formats et de dispositifs (tablettes, téléphones intelligents…). Les contenus qui suscitent le plus de commentaires relèvent du spectacle (la téléréalité, les séries et les rencontres sportives) et utilisent des services ajoutés, comme les recommandations de programmes. Du point de vue des utilisateurs – qui ne sont plus des audiences à proprement parler – la situation de l’écran navette produit une expérience sans suture, transparente et conviviale, leur permettant de glisser de contenu en contenu, de spectacle en service, et de plateforme en plateforme sans interruption. Elle a des implications sur les expressions culturelles, dont la diversité est augmentée par la mobilité, l’ubiquité, l’interopérabilité et la partageabilité. Elle suscite des pratiques culturelles nouvelles, venant d’individus autres que les artistes et d’institutions autres que les studios de production, avec des perceptions différentes des formats, des genres, des valeurs de production et de la qualité. Ces pratiques sont participatives et appartiennent à des modes de faire relevant de l’agrégation et de la curation de contenus, visibles sur la multitude de sites dédiés à la cuisine, la décoration d’intérieur, au jardinage… Elles sont caractéristiques de nouveaux profils d’usagers, les « pro-ams », qui cherchent à gérer non plus la rareté des contenus médiatiques mais leur surabondance, sans toutefois garantir l’originalité de la création. La fin du statu quo prénumérique Cette évolution complexe profite aux médias interactifs non linéaires, comme l’internet, les jeux vidéo et les réseaux sociaux, et aux nouveaux entrants, les spécialistes « tout en ligne » (pure players) du numérique comme Google, Apple, Amazon, Microsoft, Facebook. Le statu quo prénumérique du tournant du millénaire, entre 1990 et 2005, pendant lequel les entreprises analogiques de Hollywood et numériques de Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 206 18/11/2014 10:00:55 Médias 207 la Silicon Valley respectaient leurs territoires respectifs, n’existe plus. Les spécialistes tout en ligne reconfigurent Hollyweb, adoptant une logique de production de contenus audiovisuels par la mise à disposition de studios de création (Google dotant YouTube de studios à Los Angeles) ou d’acquisition de compagnies susceptibles de diffuser leurs contenus numériques sur des plateformes mobiles (Microsoft se dotant de Nokia, ou Facebook d’Instagram). Même s’ils se défendent de toute responsabilité éditoriale parce qu’ils viennent de l’industrie informatique et non audiovisuelle et pour éviter toutes sortes d’obligations et de réglementations héritées du prénumérique, ces nouveaux entrants n’en sont pas moins devenus des producteurs de contenus qui dépassent de loin la production audiovisuelle. Ils bénéficient d’un ancrage dans le droit et l’économie américaine qui leur donne une position dominante à l’international. La nature transfrontalière des échanges numériques permet à Hollyweb de pratiquer l’optimisation fiscale en se jouant des marchés nationaux et en échappant aux mécanismes locaux de régulation et de protection de la diversité de la production. Hollyweb est de facto exempté de taxes ou de retours sur publicité, ce qui l’exonère de toute participation au financement de la création nationale ou locale, voire assèche celle-ci, comme le montre le bras de fer entre la France et Google News, à l’occasion de la dispute sur l’agrégation des titres de presse, en 2013. Les effets sur la chaîne des valeurs culturelles La chaîne de valeur des médias est donc en pleine mutation, avec de nouveaux modèles de services venant se poser en concurrence ou en complémentarité des modèles de spectacles. Ces mutations affectent la culture avec une même tendance à double tranchant : au microniveau, elles ont le potentiel de marginaliser, voire de détruire, les emplois, les activités et les institutions prénumériques ; au macroniveau, elles ont la capacité de connecter les personnes entre elles et de susciter de nouveaux modèles économiques participatifs. Se crée donc un hiatus entre les usages diversifiés des médias, favorables à la diversité culturelle, et les effets de l’économie numérique, propices à la concentration des spécialistes tout en ligne, opposés aux politiques publiques nationales. Ces mutations ont deux implications différentes pour les médias à l’échelon national : l’importance de construire un domaine public numérique transfrontalier pour disséminer des spectacles et des services non commerciaux ; le besoin de motiver la création par la Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 207 18/11/2014 10:00:56 208 Diversité culturelle à l’ère du numérique reconnaissance et la valorisation économique (avec le besoin de réfléchir aux modes de monétisation et d’attribution de la valeur, sans pénaliser le créateur ou l’utilisateur). Se pose la question de nouveaux principes de gouvernance de la culture en termes de contenus (premium, freemium, libre), de distribution équitable du « dividende numérique » (spectre pour médias locaux et associatifs) et de neutralité de l’internet. Le droit national peut tenter de protéger les médias analogiques linéaires en respectant certains acquis prénumériques mais il est obligé d’organiser la transition, comme en atteste la stratégie du CSA concernant la télévision connectée : d’une part, maintien des domaines régulés (protection de l’enfance, dignité de la personne, protection du consommateur, pluralisme…) ; d’autre part, allègement de certaines réglementations (chronologie des médias, plafond de concentration, circulation des œuvres), sans porter atteinte aux intérêts des créateurs. Les politiques publiques pourraient adopter de nouvelles formes de promotion des médias numériques : procéder à la rémunération crédible de la créativité, avec diversification des modes de compensation ; promouvoir des espaces de création distribués, libres et open source ; réguler le « travail ludo-numérique » (playbour) en relation notamment avec les publics jeunes (sans compter leur protection à l’égard de contenus et de comportements à risque) ; maintenir le pluralisme des idées et des usages (contre les pratiques en bouquet des portails d’Hollyweb). Cela passe aussi par une révision du rôle des autorités de régulation, souvent découpées entre médias audiovisuels d’une part et médias numériques ou télécoms d’autre part, qu’il s’agit d’aligner en termes de cohérence politique et culturelle. Termes liés : agrégation, curation, financement des médias à l’ère numérique, industries créatives, industries culturelles, jeu, journalisme, littératie numérique, public/usagers Références Gustavo Cardoso, The Media in the Network Society. Browsing, News, Filters and Citizenship, Lisbon, Center for Research and Studies in Sociology, 2006. Divina Frau-Meigs, Penser la société de l’écran. Dispositifs et usages, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2011. Divina Frau-Meigs, Media Matters in the Cultural Contradictions of the Information Society, Strasbourg, Presses du Conseil de l’Europe, 2011. Karol Jakubowicz, A New Notion of Media ? Media and Media-like Content and Activities on New Communication Services, Strasbourg, Media and Information Society Division, 2009. Steven Rosenbaum, Curation Nation : How to Win in a World Where Consumers are Creators, New York, McGraw-Hill, 2011. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 208 18/11/2014 10:00:56 209 Médiation(s) du patrimoine Bernadette Dufrêne Le terme « médiation » prend une résonance particulière dans le champ des sciences humaines et sociales à l’époque contemporaine. Depuis son apparition, que l’on peut assez précisément dater grâce à la parution en 1992 de l’ouvrage de Louis Quéré, Des miroirs équivoques, et à une livraison de la revue Réseaux en 1993, la notion de médiation culturelle a connu une rapide extension qui a débordé le cadre initial de sa formulation, celui de la recherche, pour être transposé dans celui des professionnels de la culture dès 1995 et dans celui des politiques culturelles, où elle détrône l’animation culturelle. Ce très rapide survol montre la complexité qu’il y a à aborder les formes concrètes de la médiation selon qu’on l’envisage sous l’angle d’une théorie de la communication ou encore sous celui d’une sociologie de l’action, sous l’angle des pratiques professionnelles ou sous celui des politiques culturelles. Les médiations numériques peuvent être analysées dans le cadre de l’une ou l’autre de ces théories. Rapportées à la question de la diversité culturelle, elles engagent de manière privilégiée une théorie de la communication (quels modes de communication sur quelles bases ?) et un questionnement politique (quels accès pour quelles communautés ?). Dans le cadre qui est celui de la Convention de l’UNESCO de 2005, les technologies de l’information et de la communication sont considérées comme une possible chance du projet politique qui vise à défendre la pluralité des cultures, des langues et des expressions artistiques. Derrière cette pétition de principe, quelles sont les réalités que recouvre l’expression « médiations numériques » ? Dans la perspective du sociologue Antoine Hennion, le suffixe -tion du mot médiation invite à considérer une action, ou plus précisément l’ensemble des processus qui informent une œuvre et en orientent la perception et le sens. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 209 18/11/2014 10:00:56 210 Diversité culturelle à l’ère du numérique C’est sous l’angle de l’ « empilement des médiations » que l’on a pu analyser les médiations numériques. D’abord la médiation technique. Le numérique, c’est, comme le montre bien Milad Doueihi, la pensée de la technique en fonction d’usages sociaux. Dans cette mesure, l’encodage numérique de la culture, du patrimoine est une question passionnante, pensée d’abord sous l’angle de l’information entendue comme information documentaire, inscrite dans ce vaste mouvement que l’on a désigné comme celui de la redocumentarisation du monde, c’est-à-dire non seulement sa documentation mais aussi son indexation à travers les métadonnées qui en rendent possible le repérage et la circulation sur les réseaux. Il a été pensé avec le Web 2.0 dans la perspective d’une collaboration et d’un partage. Si cet idéal du Web 2.0 doit être relativisé, dans la mesure où les enquêtes ont montré que seule une petite minorité d’internautes contribuait activement aux contenus culturels, il n’empêche que ces outils offrent à tous les internautes la possibilité d’intervenir dans des espaces publics. Il est à noter que, si les institutions culturelles occidentales ont adopté massivement ces outils et ont une politique de réseaux sociaux, nombre d’institutions patrimoniales du Sud n’ont pas encore une politique documentaire bien établie ni une politique de communication sociale favorisant la circulation des patrimoines numériques. L’encodage numérique du patrimoine y est encore trop souvent limité à la simple reproduction numérique et à la conception publicitaire de l’image. Au moment où un nouveau modèle d’information, celui du web sémantique qui vise à établir des ponts entre les réservoirs d’informations et à doter tous les objets patrimoniaux d’un identifiant pérenne, est en train d’être testé, l’écart se creuse entre des pays qui bénéficient de savoir-faire en matière patrimoniale issus d’une tradition de deux siècles et les autres. Ainsi se creuse subrepticement une nouvelle ligne de faille qui met en danger le principe de la diversité culturelle. L’analyse des médiations numériques sous l’angle de la technique montre un autre plan, celui de leur fonction symbolique. D’une part, la technique apparaît comme le résultat de choix en fonction du rapport social désiré et comporte donc une dimension politique ; d’autre part, le dispositif peut être considéré sous l’angle de ce que Louis Quéré nomme le « tiers symbolisant » : « Celui-ci n’est pas un donné mais un construit, il procède d’une élaboration collective permanente des conditions de mise en forme du rapport social. » À considérer cette mise en forme dans le domaine du patrimoine, on peut voir la diversification des usages : aux usages essentiellement centrés sur l’inventaire et la documentation des œuvres, donc autour d’objectifs politiques et scientifiques, se sont ajoutées des pratiques comme le « marquage » (tagging), la folksonomie, qui sont le fait de nouveaux acteurs. Ceux-ci ne se recrutent plus dans les seuls Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 210 18/11/2014 10:00:56 Médiation(s) du patrimoine 211 cercles d’amateurs et d’habitués, comme l’étaient autrefois les amis de musées, mais parmi des publics aux attachements divers. De ce point de vue, les communautés virtuelles qui se sont formées autour de patrimoines peuvent sembler le meilleur garant de la diversité culturelle. Qu’il s’agisse de patrimoines de la culture populaire ou de la culture savante, on peut considérer le web comme le lieu de la diversité dans la représentation des patrimoines. Comme dispositif public, le site web peut être vu comme un des lieux privilégiés de cette mise en forme du rapport social, et être analysé dans cette perspective comme tiers symbolisant. On peut transposer à l’analyse des médiations numériques les outils qui permettent l’analyse du tiers symbolisant, et notamment s’interroger, dans la perspective de Louis Quéré, sur ce qui le constitue, à savoir « l’articulation d’un ensemble d’éléments composites : structures cognitives, cadres normatifs, modes d’appréhension du temps, modes de représentation et schémas d’action ». C’est par l’analyse de ces éléments que l’on pourra appréhender dans leur spécificité la construction d’une communauté et celle de son identité. Selon qu’une institution patrimoniale aura ou non recours à des dispositifs numériques, selon les schémas d’action qu’ils induisent (consommation de type spectaculaire ou apports éducatifs ou scientifiques), selon les rôles assignés aux publics (par exemple si un site web offre, ou non, la possibilité de participer ou de contribuer), selon les rapports au temps et à l’espace engagés, selon le design des interfaces, on pourra établir une cartographie tenant compte de la dimension symbolique des médiations du patrimoine. Si les institutions du patrimoine (musées, bibliothèques, archives) étaient jusqu’à présent les lieux essentiels de médiation du patrimoine, aujourd’hui il faut tenir compte de l’émergence de nouveaux modes de patrimonialisation qui permettent la constitution de collections, non pas au sens de compilation mais d’ensembles cohérents et organisés (plateformes collaboratives, réseaux sociaux, sites). L’immense champ du patrimoine numérisé – Europeana va bientôt rejoindre Google avec 14 millions de documents numérisés – recouvre aussi bien des pratiques professionnelles qu’amateurs, aussi bien des pratiques artistiques que culturelles. La diversité des patrimoines médiés comme la diversité des formes de médiation numériques posent le problème de l’articulation du singulier avec le pluriel. À l’ère de la diversité culturelle, faut-il envisager des médiations numériques dans leurs particularismes ou poser la question plus globalement de la médiation numérique ? Est alors en jeu le statut de la technique numérique : une technique au service de cultures préexistantes et/ou une culture à part entière modifiant le rapport des cultures au temps et à l’espace ? La question recouvre Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 211 18/11/2014 10:00:56 212 Diversité culturelle à l’ère du numérique un certain nombre d’enjeux : dans le premier cas, le numérique peut apparaître comme une formidable opportunité pour la culture dont les sociétés se sont emparées ; Bruno Latour a montré que la pensée moderniste avait exclu les savoirs marginaux, exotiques, déviants, au profit d’une science monolithique. Le numérique permet de dépasser les échecs et les apories du modernisme en raison de la représentation sur le web de « réseaux d’actants » : individus, laboratoires institutions… et grâce à la possibilité de rendre les choses commensurables dans des collections de plus en plus personnalisées. Dans le domaine du patrimoine, cela se traduit, d’une part, par l’impossibilité de concevoir désormais une histoire de l’art monolithique, d’autre part, par les nouveaux services offerts par les institutions patrimoniales ou les nouveaux modes de patrimonialisation. Dans ce cas, ce que réalisent les cultures numériques – et c’est l’intérêt de maintenir le pluriel – c’est la démocratie culturelle, ou ce que Michel de Certeau avait appelé en son temps la « culture au pluriel » : une culture indexée sur une diversité d’objets, de pratiques, de groupes sociaux. Les médiations numériques au pluriel ne font pas que décloisonner la culture, elles en proposent une version augmentée. L’autre regard qu’on peut porter sur les cultures numériques est celui qui se fonde sur la technique pour en déployer les possibilités. Dans ce cas, c’est parce qu’on a une technique qui recèle des possibilités de stockage, d’échange, de commutation que se pose la question de nouveaux choix culturels au sens politique du terme : l’investissement dans une institution ou dans un moteur de recherche, dans le multilinguisme, dans l’immersion… C’est aussi à partir de là que l’on peut voir comment se propagent des formes culturelles, que Milad Doueihi a montrées dans ses ouvrages : une culture de l’index, de l’anthologie, une culture de l’amitié au sens des réseaux sociaux. Ce qui caractérise alors la culture numérique, ce sont les prédilections que la technique numérique induit, une nouvelle dynamique de la pensée qui préfère le collage à la démonstration, l’hybridation à la logique monolithique, l’accumulation mémorielle. Donc faut-il choisir entre ces deux regards sur la médiation numérique ou les admettre simultanément ? Dans le premier cas – les médiations numériques au pluriel – sont privilégiées la dimension politique, la multiplicité et la coexistence de micro-espaces publics, où le numérique ne conditionne que partiellement les cours d’action mais reconfigure la représentation. Dans le second cas – la médiation numérique au singulier – sont privilégiées les dynamiques d’une culture qui serait celle de l’échange de la création avec ses mots, ses valeurs et ses mythes. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 212 18/11/2014 10:00:56 Médiation(s) du patrimoine 213 Termes liés : algorithme, augmentation, bibliothèques, documentation, fracture, patrimoine, public/usagers Références « Les médiations », Réseaux, 1993, no 60. Milad Doueihi, La Grande Conversion numérique, Paris, Seuil, 2008. Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011. Mathew K. Gold, Debates in the Digital Humanities, University of Minnesota Press, 2012. Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes, Paris, La Découverte, 1991. Louis Quéré, Des miroirs équivoques. Aux origines de la communication, Paris, Aubier, 1992. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 213 18/11/2014 10:00:56 214 Mobile – Téléphone portable Alain Kiyindou Le téléphone portable, aussi appelé téléphone mobile ou cellulaire, est un appareil électronique fondé sur la radiotéléphonie, c’est-àdire la transmission de la voix à l’aide d’ondes radio entre une base relais qui couvre une zone de plusieurs dizaines de kilomètres de rayon et le téléphone de l’utilisateur. Il est le résultat de différentes technologies antérieures. Les origines de cette innovation se situent au début de la radiophonie avec notamment les expériences menées par Guglielmo Marconi. Des ancêtres du téléphone portable ont été utilisés par la police de Detroit dans les années 1920. Il s’agissait de machines analogiques, très coûteuses, peu esthétiques, construites sur commande et pouvant transmettre jusqu’à 100 km de distance. Toutefois, son invention est attribuée à Martin Cooper, directeur de la recherche et du développement chez Motorola, qui en a réalisé une démonstration à New York en avril 1973. En ce qui concerne les réseaux cellulaires, la première expérimentation fut menée à Chicago en juillet 1978 par la société Bell. Mais, au-delà de ces développements, ce n’est qu’en 1983 (date de la certification) que Motorola lance aux États-Unis le premier véritable téléphone portable, le Motorola DynaTAC 8000X. Cette technologie s’est considérablement développée auprès du grand public ces dix dernières années, supplantant même le téléphone fixe. On compte aujourd’hui plus de cinq milliards d’utilisateurs dans le monde. Pour distinguer les caractéristiques de la technologie mobile, Jill Attewell (2005) retient cinq axes : les options de transport (GPRS, 3G, infrarouge, Bluetooth, transfertPC) ; les options d’expression (protocole WAP [Wireless Application Protocol], courriel, textos, messages multimédias, protocole HTTP [HyperText Transfer Protocol]) ; les options de plateforme (PC de poche, Windows CE, Windows Embedded Compact, Symbian, Palm OS) ; les options de média (la vidéo, les fichiers audio, Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 214 18/11/2014 10:00:56 Mobile – Téléphone portable 215 les appels vocaux, la téléconférence, la reconnaissance vocale, les émissions télévisées) ; les langages de développement (Flash, C, WML [Wireless Markup Language], VoiceXML [Voice eXtensible Markup Language], HTML [Hypertext Markup Language], XHTML [Extensible HyperText Markup Language]). Expression identitaire et liens sociaux Le téléphone portable est à saisir comme un dispositif de médiation : il articule toujours la dimension singulière du sujet et sa dimension collective, se situant entre enracinement et déracinement. Les usages de la téléphonie mobile s’inscrivent à la fois dans le cadre des groupes primaires (la famille, l’équipe de travail), des groupes larges comme les Églises, et des groupes plus étendus aux frontières difficilement identifiables. Ces possibilités techniques créent de nouvelles formes d’associations humaines qui transcendent les limites des villes, des nations et des cultures. D’où aussi de nouvelles formes et pratiques linguistiques liées à de nouvelles identités culturelles qui élargissent et redéfinissent les frontières entre le privé et le public, ainsi que les dimensions sociales, culturelles et éducatives. Mais le téléphone est aussi un objet transitionnel, dans la mesure où il constitue une véritable défense face à l’angoisse du monde extérieur. De la diversité d’usages et contenus L’appropriation de la téléphonie mobile s’est accompagnée du développement d’un certain nombre d’usages plus ou moins inédits. Au-delà des forfaits ordinaires émergent des formules prépayées avec des cartes du type mobicarte. Ce système a permis aux petits consommateurs de s’approprier l’outil et aussi d’élargir l’accès à une bonne partie de la population (particuliers, femmes, jeunes). On voit aussi se développer des pratiques de Happy Snapping, de financement collaboratif (crowdfunding), de commerce mobile (m-commerce), d’apprentissage mobile (m-learning). Le Happy Snapping se réfère au fait de prendre des photos et de conclure des rendez-vous à l’insu des parents. Cette pratique bouleverse, à n’en point douter, les normes dans un système social où les relations hommes-femmes sont fortement codifiées. Le crowfunding ou crowfinancing consiste à utiliser les technologies de l’information et de la communication pour utiliser des systèmes de financement participatif. Il s’agirait donc de faire appel à des opérateurs financiers pour mettre en place un projet. Les Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 215 18/11/2014 10:00:56 216 Diversité culturelle à l’ère du numérique applications du commerce mobile incluent non seulement la banque mobile (m-banking) et le paiement mobile (m-payment), mais aussi le divertissement mobile (m-entertainment), le marketing mobile (m-marketing) et le ticket mobile (m-ticketing) pour n’en nommer que quelques-unes. On peut évoquer aussi les usages de la téléphonie mobile dans les pratiques religieuses avec des maraboutages à distance ; dans la lutte contre les fraudes électorales et dans la mobilisation sociale, notamment lors des manifestations à caractère politique. Les artisans miniers du Mali utilisent le téléphone portable pour s’éclairer au fond de la mine, pour photographier les filons, mais aussi pour donner des alertes en cas d’éboulement. Le cellulaire n’est donc plus un simple téléphone, il permet de prendre des photos et de les envoyer, de réaliser des vidéos, de localiser ses amis, de trouver son itinéraire et de se connecter à l’internet pour lire ses courriels, les envoyer, s’informer, communiquer et télécharger des documents. À la multiplicité des usages inédits s’ajoutent de nouveaux métiers, notamment celui de tenancier de cabine téléphonique ou de « téléphoneur ». La multiplication des cabines est une particularité des pays du Sud, celles-ci n’ont rien à voir avec les occidentales. Il s’agit tout simplement d’une table amovible et d’une chaise installées au coin d’une rue, avec un écriteau sur lequel on peut lire : « Cabine téléphonique », suivi du tarif et de la mention : « Le paiement se fait en espèces. » Les téléphoneurs se trouvent dans les villages, sur les marchés pour aider, moyennant rémunération, des personnes souvent analphabètes à passer des appels téléphoniques. Ils détiennent un carnet d’adresses recensant par exemple tous les numéros des vendeurs du marché. Mais, dans la plupart des cas, le personnel de ces micro-entreprises informelles exerce sa mission en attendant d’autres opportunités. Au-delà des usages, des contenus nouveaux voient le jour, liés au développement de produits culturels, informationnels et communicationnels tout récents, accessibles via les téléphones mobiles, ce qui permet l’émergence de petites structures de production ciblant des micromarchés et de nouveaux modèles de création et de diffusion de contenus (contenus générés par les utilisateurs). La téléphonie mobile devient une source de découverte et d’écoute musicales, de visionnage de films et de documentaires de tout genre, de participation à des jeux en réseau… L’on perçoit donc que l’objet téléphone mobile va au-delà de sa fonction première, la communication. Il permet aussi d’affirmer sa façon d’être, sa particularité, sa différence, de se montrer aux autres tel que l’on est, ou tel que l’on veut paraître. Le téléphone mobile participe de la diversité des expressions et du dialogue des cultures. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 216 18/11/2014 10:00:56 Mobile – Téléphone portable 217 Domination des grands opérateurs et standardisation La téléphonie mobile reste, toutefois, une activité économique importante reposant sur des opérateurs de plus en plus nombreux. Elle s’inscrit dans un marché concurrentiel plus ou moins régulé. Cette régulation passe par la mise en place des normes et des standards permettant l’interopérabilité au niveau international et par la privatisation des télécommunications imposées par les institutions de Bretton Woods. Si ces différentes démarches ont facilité la démocratisation du téléphone mobile, il n’en reste pas moins qu’elles ont favorisé un certain nombre de procédures, et surtout quelques opérateurs, c’est-à-dire ceux qui ont les moyens de résister à la poussée concurrentielle internationale. On retrouve dans ce marché les ingrédients essentiels de la diversité culturelle, à savoir la variété et la disparité, mais la raison économique reprend vite le pas sur les considérations culturelles. Termes liés : communication, connexion, fracture, médias, pratiques, public/usagers Références Annie Cheneau-Loquay, « La téléphonie mobile dans les villes africaines. Une adaptation réussie au contexte local », L’Espace géographique, 2012/1, t. 41, pp. 82-93. Magda Fusaro, Un monde sans fil. Les promesses du mobile à l’ère de la convergence, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2002. Alban Gonord, Joëlle Menrath, Mobile attitude. Ce que les portables ont changé dans nos vies, Paris, Hachette Littératures, 2005. Alain Kiyindou, Ali Khardouche (dir.), « TIC mobiles et développement social », Les Cahiers du Cedimes, vol. 5, no 1, printemps 2011. Corinne Martin, Le Téléphone portable et nous. En famille, entre amis, au travail, Paris, L’Harmattan, 2007. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 217 18/11/2014 10:00:56 218 Navigation et cartographie Thierry Joliveau La nature et les usages de la carte ont bien changé avec l’émergence des technologies numériques puis de l’internet. La carte n’est plus seulement le résultat final d’un processus mais une interface de consultation et d’analyse de l’information. Une nouvelle étape a été marquée par la constitution de ce qu’on appelle le « Géoweb », qui prend en charge l’organisation spatiale de l’information et donne aux lieux de la surface terrestre un prolongement numérique sur l’internet auquel l’utilisateur a accès avec son téléphone ou sa tablette en fonction de sa position géographique. Les nouveaux services fondés sur la géolocalisation commencent à concerner l’accès territorialisé aux œuvres culturelles avec un impact tant sur l’industrie culturelle que sur les territoires. Les nouveaux outils de cartographie collaborative facilitent la construction d’un espace culturel commun à des groupes marginalisés. Les conséquences sur la diversité culturelle de ces nouveaux outils de géographie numérique sont donc indiscutables, bien que paradoxales. Depuis l’Antiquité, la carte sert au voyageur à se repérer. Elle est dès l’origine un outil de navigateur. Mercator, dans sa fameuse carte de 1569, utilise une projection conforme qui rend le tracé des caps rectiligne. Mais la carte n’est pas qu’un outil de repérage pour l’exploration. En fournissant une représentation réduite et portable du monde, elle permet, à distance de celui-ci, d’en percevoir les formes, d’en comprendre l’organisation et d’en découvrir les structures. Et son utilité dépasse le rendu des formes topographiques et des objets matériels de la surface terrestre pour les expéditions militaires ou les randonnées pacifiques. Technique scientifique, elle sert aussi à représenter les phénomènes les plus divers, naturels ou sociaux. La carte est économique, géologique, climatique, culturelle… Enfin, au-delà de son usage pour une orientation pratique ou intellectuelle, la carte porte une dimension esthétique et poétique : elle fait rêver. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 218 18/11/2014 10:00:56 Navigation et cartographie 219 Elle a ses collectionneurs et ses amoureux. Les artistes aussi jouent des cartes et détournent leurs codes. Ils mettent en doute la prétention des cartes à dire le vrai et le tout, et travaillent la nostalgie pour un monde disparu et idéalisé que secrète toute carte ancienne. De la carte numérique au Géoweb La carte traditionnelle était un objet informationnel qui transcrivait selon un processus formalisé les données collectées sur le monde pour répondre à des finalités déterminées. L’apparition du numérique a radicalement transformé son rôle. Alors qu’elle résumait en tant que produit final l’ensemble des processus complexes qui avaient contribué à la produire, les systèmes d’information géographique sur ordinateur ont progressivement conduit à découpler la structuration des données de leur visualisation. La carte n’est plus seulement un moyen pour communiquer l’information. Elle est devenue en plus une interface pour naviguer géographiquement dans des bases de données. La carte est devenue un moyen indispensable pour naviguer sur la Toile, pour se repérer dans cet espace de données à la croissance vertigineuse qu’est l’internet. On affirme souvent que 80 % de l’information produite est spatialisable. Le Géoweb constitue l’ossature technique qui prend en charge le géoréférencement sur la surface terrestre de l’information sur l’internet. Pour explorer le Géoweb, les grandes sociétés du web proposent des globes virtuels, qui combinent des données sur le relief et le réseau routier avec des photographies aériennes pour localiser et visualiser interactivement en deux ou trois dimensions n’importe quelle information sur l’ensemble de la planète. Dans le même temps, les cartes numériques sont devenues nomades et ont conquis les écrans miniaturisés des nouveaux téléphones mobiles. Associées aux systèmes de positionnement par satellite de type GPS (Global Positioning System), elles jouent toujours leur rôle traditionnel d’instruments de navigation pour les automobilistes et les piétons. Mais l’accès à l’internet par téléphone rend le Géoweb accessible dans des zones de plus en plus vastes. Du coup, il connecte en permanence le monde réel et le monde informationnel numérique et procure aux lieux et aux objets qui s’y trouvent un prolongement numérique. Il est désormais possible d’explorer le monde par le web en naviguant à travers la représentation numérique de celui-ci. Mais on peut, à l’inverse, explorer le web par le monde en mobilisant in situ sur son téléphone ou sa tablette tactile l’information disponible sur l’internet qui vient alors s’ajouter aux informations perçues par les sens. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 219 18/11/2014 10:00:56 220 Diversité culturelle à l’ère du numérique Les services de géolocalisation appliqués aux œuvres culturelles De nombreux services sont apparus pour fournir en mobilité les informations les plus diverses. Ceux-ci s’étendent progressivement au domaine des contenus culturels systématiquement numérisés (livres, films, œuvres d’art…). Les œuvres culturelles se trouvent associées aux territoires qu’elles évoquent, directement ou indirectement, et des interfaces cartographiques permettent de les mobiliser en fonction d’une position géographique. Un site comme Géoculture, lancé par le Centre régional du livre, en Limousin, permet ainsi de consulter des extraits d’œuvres en parcourant le territoire qui leur correspond. Il ne s’agit pas seulement d’un nouvel avatar du tourisme culturel. Le Géoweb participe à l’interconnexion de l’espace imaginaire des créateurs et de l’espace des pratiques culturelles en renouvelant à la fois l’expérience des lieux et celle des œuvres (Joliveau, 2009). Il est difficile d’anticiper l’impact de ces nouveaux modes de valorisation sur l’homogénéisation ou la différenciation des produits culturels. Mais cette capacité à reterritorialiser les œuvres de culture peut influer sur l’industrie culturelle, l’économie des territoires et leur valorisation touristique. Les distorsions dans l’équipement numérique des territoires risquent aussi de se traduire par des inégalités dans la richesse de leurs imaginaires numériques. Néogéographie, Géoweb et particularisme culturel Depuis le Web 2.0, le contenu généré par les utilisateurs est devenu un élément central du web, et la cartographie en est une application emblématique. On qualifie de néogéographie, ou d’information géographique volontaire (Goodchild, 2007), ce mouvement qui conduit chacun à pouvoir devenir cartographe, en publiant sa propre carte ou en contribuant à une carte collective. Le projet de référence dans ce domaine est évidemment OpenStreetMap (OSM), qui a vu des milliers de volontaires construire en quelques années une carte mondiale libre de droits. D’autres outils de cartographie collaborative comme Ushahidi permettent de construire des dispositifs de veille localisée en situation de crise. Ces nouveaux modes d’expression cartographique sont de plus en plus mobilisés par des groupes socialement défavorisés et culturellement marginalisés, afin de consolider leurs valeurs culturelles et identitaires ou défendre leurs droits territoriaux. Il s’agit Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 220 18/11/2014 10:00:56 Navigation et cartographie 221 d’un renouvellement des pratiques anciennes de contre-cartographie, dite « indigène » ou « autochtone », souvent critiquées pour leur usage de techniques étrangères à la culture et aux savoirs traditionnels (Hirt, 2009). Les outils néogéographiques, techniquement plus simples et plus accessibles, apparaissent comme une solution pour renforcer l’identité et la culture d’un groupe en permettant à ses membres de partager sur une carte des souvenirs, des connaissances ou des documents (textes, images, vidéos…) liés aux lieux et au territoire du groupe. Comme exemples, on peut citer le projet Britisch Colombia Metis Historical Document Database (Corbett, Evans et Roman, 2012) et le Portrait du patrimoine mennonite (McGarry, Cowan, et McCarthy, 2009), tous deux au Canada. Le véritable potentiel dans l’expression et la promotion de la diversité culturelle qu’offrent de tels outils reste à évaluer. Un risque de standardisation et de confiscation C’est l’économie générale de l’information géographique qui est bouleversée par le numérique. La cartographie était historiquement une mission étatique liée à la défense et à l’aménagement du territoire national. Dans tous les pays, elle a été impulsée par la puissance publique. Avec les outils modernes de la géomatique, puis de la néogéographie et du Géoweb, les acteurs impliqués dans l’information géographique se sont diversifiés : collectivités locales, sociétés privées, groupes associatifs, individus… On assiste à une globalisation et à une privatisation inédite de la production cartographique Les multinationales du web prennent en main la communication cartographique, qui échappe de plus en plus aux États. Alors qu’il existait des styles cartographiques nationaux liés aux traditions des agences de chaque pays et qu’un anthropologue comme Edward T. Hall (1978) repérait des traits culturels dans la manière d’établir des cartes routières, on utilise quasiment partout dans le monde la même interface cartographique, celle de Google. Même un projet collectif comme OpenStreetMap est fondé sur un modèle de données universel. Derrière la question des données libres et des systèmes participatifs, se profile tout l’enjeu de la capture, de la maîtrise et de la valorisation des données des utilisateurs. L’usage des outils de positionnement, que ce soit à domicile ou en mobilité, permet un traçage des individus et génère un flux de données localisées dont ils perdent la maîtrise. Les différents opérateurs de la filière, qu’il s’agisse des fournisseurs d’accès à l’internet ou des firmes proposant les interfaces matérielles ou logicielles, s’approprient ces données Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 221 18/11/2014 10:00:56 222 Diversité culturelle à l’ère du numérique individuelles ou collectives pour les valoriser. Le Géoweb est étroitement associé à l’émergence d’un capitalisme culturel, voire cognitif (Leszczynski, 2012), dont l’impact sur les spécificités culturelles et la diversité des modes de vie, bien qu’ambivalent, est indéniable. Termes liés : communication, connaissance, co-construction, documentation, diaspora, fracture numérique, pratiques, public/usagers, territoires Références Jon Corbett, Mike Evans, Zach Romano, « Digital Collections. Memory, Placelessness and the Geoweb : Exploring the Role of Locational Social-Networking in Reimagining Community », in Digital Humanities, Australasia 2012. Building, Mapping, Connecting, Canberra, 2012. Michael Goodchild, « Citizens as Sensors ; the World of Volounteered Geography », GeoJournal, 2007, vol. 69, n° 4, pp. 211221. Edward T. Hall, La Dimension cachée, Paris, Seuil, 1978. Irène Hirt « Cartographies autochtones. Éléments pour une analyse critique », Espace géographique, 5 juin 2009, vol. 38, no 2, pp. 171186. Thierry Joliveau, « Connecting Real and Imaginary Places through Geospatial Technologies : Examples from Set-Jetting and Art-Oriented Tourism », The Cartographic Journal, février 2009, vol. 46, n° 1, « Cinematic Cartography Special Issue », pp. 36-45. Agnieszka Leszczynski, « Situating the Geoweb in Political Economy », Progress in Human Geography, 1 février 2012, vol. 36, n° 1, pp. 72-89. Fred McGarry, Donald Cowan, Daniel McCarthy, « Collaborative Geomatics for Social Innovation », in Cartographic Challenges : Movement, Participation, Risk, Casti E. (éd..), Bergamo, avril 23rd-24th 2009, p. 19 sq. http://document.bcmetiscitizen.ca/, dernière consultation le 1er juin 2014. http://www.mennoniteheritageportrait.ca/index.php?lang=fr, dernière consultation le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 222 18/11/2014 10:00:56 223 Net Art Jean-Paul Fourmentraux Depuis la seconde moitié des années 1990, le Net Art se développe à l’écart du monde réel en parodiant les institutions médiatiques et les modes de diffusion et de réception de l’art contemporain. Tirant parti de la démocratisation de l’informatique connectée, ses manifestations et ses inscriptions sur l’internet ont promu des modes inédits d’exposition et de propagation des œuvres. Au-delà de l’acte de création et de l’exposition d’œuvres numériques interactives, des réseaux de communication à l’échelle internationale ont pour objectif de déjouer les frontières territoriales et de favoriser la liberté d’expression. Ces modes d’occupation du réseau ainsi que les stratégies médiatiques et les dispositifs de détournements artistiques contribuent à l’émergence d’un monde de l’art en même temps qu’ils constituent un vecteur de défense de la diversité culturelle à l’ère de l’internet. Poursuivant la logique plus ancienne de l’art postal (Mail Art), les premières œuvres pour le réseau de l’internet ont promu une circulation de courriels artistiques. La lettre électronique, à michemin de la performance d’artiste et de l’acte de langage, constitua une communication d’auteur, participative et performative, dont la propagation a adopté les modes d’amplifications propres à la rumeur. Mouchette (1996-2006) a ainsi érigé en œuvre artistique le jeu des mises en lien et l’esthétique relationnelle du réseau. L’internet y est tout autant investi comme un atelier que comme un lieu d’exposition. Le site internet, la page d’accueil, le courrier électronique, les listes de diffusion, les forums de discussion, mais aussi les blogs et leurs technologies appareillées (syndication et étiquettes [tags], baladodiffusion [podcasting], animation de blogs vidéo [video-blogging] …), les réseaux sociaux d’échanges entre pairs et leurs pratiques associées (copie et sous-titrage, [fansubbing], réalisation de films [fansfilms] …) constituent des cadres de sociabilités renouvelées et engendrent des formes de vies en ligne ou d’occupations du réseau que les développements récents Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 223 18/11/2014 10:00:56 224 Diversité culturelle à l’ère du numérique du Web 2.0 ont radicalisées. Des galeries virtuelles et des revues électroniques sont apparues, qui se consacrent à cette forme d’art, relayées par de nombreux groupes de discussion et de forums en ligne souvent initiés par les artistes eux-mêmes. La création en réseau : un art hacktiviste Certaines œuvres permettent de développer une réflexion et un regard critique sur les évolutions du réseau. À l’instar de la photographie, du cinéma et de la télévision, l’innovation technique et le média que constitue l’internet font, dès leur apparition publique autour de 1995, l’objet d’une longue série d’appropriations et de détournements artistiques. C’est alors la matérialité et les fonctionnalités de l’internet qui forment le cœur des premières investigations du Net Art – dans la lignée des œuvres de Nam June Paik ou de Wolf Vostell, qui visaient à détruire physiquement la télévision (les sculptures vidéo) ou intervenaient plus symboliquement sur le médium par des altérations du signal vidéo. L’action créative vise ainsi à contaminer l’internet par des virus artistiques. À l’instar du groupe anonyme Jodi, plusieurs Net artistes ont revendiqué une implication parasitaire par la création de virus artistiques empruntant la logique déviante des pirates de l’informatique, les hackers. Emblématique, le Shredder de Mark Napier s’apparente à un navigateur et (anti-) moteur de recherche subversif qui répond aux requêtes par un afflux anarchique de textes, de sons et d’images récupérées sur le web. Le Trace Noiser génère de fausses pages perso et les dissémine sur le réseau pour brouiller l’identité des internautes. Cette implication parasitaire au sein du réseau emprunte ses formes et ses actions aux comportements déviants des hackeurs. Les artistes y mettent en œuvre une stratégie efficace de l’infection et de la contamination : leur démarche a pour objet l’incident, le bogue, l’inconfort technologique et la perte des repères. Au-delà de cette première visée « médiologique », le Net Art interroge également les modes de communication et les formes relationnelles engendrées sur le réseau. Il participe de l’apparition d’une « démocratie technique », à l’articulation des problématiques du logiciel libre et des réseaux pair à pair (peer to peer) relayés par des collectifs d’artistes et des réseaux de production indépendants. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 224 18/11/2014 10:00:56 Net Art 225 Liberté d’expression et diversité culturelle Dès l’origine, le Net Art questionne également les spécificités politiques et sociales de son médium qu’est l’internet. Ce n’est pas un hasard si le Net Art s’est développé massivement, et cela dès son apparition en Russie et dans les pays d’Europe de l’Est, où Heath Bunting (GB), Oliana Lialina et Alexei Shulgin (Russie) ou Vuk Cosic (artiste militant, Slovénie, co-fondateur des listes de diffusion Nettime, Syndicate, 7-11 et du Ljubljana Digital Media Lab) développent leurs premiers projets dès 1996. Dans leurs œuvres, la critique des régimes non démocratiques, le hacktivisme, le cyberféminisme, la réflexion sur le concept même de Net Art constituent les prémisses de la création sur le réseau internet. Leur art est en effet indissociable de la technologie et du contexte sociopolitique des années 1990, révélant les implications sociales du réseau, notamment des technologies de repérage et d’accès à l’information sur l’internet. Dans ce contexte, le Net Art développe des dispositifs de distorsion des médias et de leurs contenus et adopte ainsi une visée plus politique. L’œuvre collective Carnivore (www.rhizome. org/carnivore) propose par exemple une version détournée du logiciel DCS1000 employé par le FBI pour développer l’écoute électronique sur le réseau. Heath Bunting (www.irational.org) pervertit les communications médiatiques de grandes puissances financières. Les Yes Men et le collectif ®TMark (www.rtmark.com) détournent, dans un but politique, les stratégies de communication de grandes sociétés de courtage privées. À l’heure de l’internet 2.0, l’artiste Christophe Bruno incarne le renouveau français de cet imaginaire de l’artiste critique en s’attaquant aux outils et aux rituels du web collaboratif. Il baptise une première série d’œuvres les Google Hack : des dispositifs artistiques et des programmes informatiques qui détournent Google de ses fonctions utilitaires tout en en révélant les dimensions contraignantes et cachées. Selon l’artiste, l’internet est devenu un outil de surveillance et de contrôle inégalé dont la dynamique économique repose sur l’analyse et la prédiction de tendances, à l’aide de logiciels de traçage de la vie privée, des goûts et des identités sur la Toile. Cette configuration des dispositifs du Net Art engage une redéfinition des conventions qui organisent et permettent la circulation aussi bien que la réception des œuvres d’art. L’expérience de l’œuvre résulte ici d’une négociation socialement distribuée entre artistes, dispositifs techniques et publics enrôlés. L’originalité de l’internet tient à ce qu’il propose simultanément un support – sa dimension de vecteur de transmission – un outil – comme instrument de production – et un environnement créatif – en tant qu’espace habitable et habité qui promeut des œuvres dont les enjeux relationnels et collaboratifs ont bousculé les relations entre art, politique et société. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 225 18/11/2014 10:00:56 226 Diversité culturelle à l’ère du numérique Termes liés : art et science, communication, éthique, financement des œuvres sous format numérique, genre, industries créatives, œuvre, piratage, réseaux sociaux Références Howard S. Becker, Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988. Éric Maigret, Éric Macé, Penser les médiacultures, Paris, INA, Armand Colin, 2005. Dominique Cardon, La Démocratie internet, Paris, Seuil, coll. « La République des idées », 2010. Dominique Cardon, Fabien Granjon, Médiactivistes, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2010. Jean Paul Fourmentraux, Art et internet. Les nouvelles figures de la création, Paris, EÉditions du CNRS, 2010. Jean Paul Fourmentraux, Artistes de laboratoire. Recherche et création à l’ère numérique, Paris, Hermann, 2011. Jean Paul Fourmentraux, L’Œuvre virale. Net Art et culture Hacker, Bruxelles, La Lettre volée, 2013. Sites internet Mouchette, http://www.mouchette.org Jodi, http://www.Jodi.org Shredder, http://potatoland.org/shredder/welcome.Html. Mathieu Laurette, http://www.laurette.net/ Valéry Grancher, http://www.nomemory.org/ Fred Forest, http://www.fredforest.com/ Antoine Schmitt, www.fdn.fr/~aschmitt/gratin//as/index.html Claude Closky, http://closky.online.fr/ Maurice Benayoun, www.benayoun.com Samuel Bianchini, http://www.dispotheque.org/ Grégory Chatonsky, http://gregory.incident.net/ Reynald Drouhin, http://reynald.incident.net/. Christophe Bruno, http://www.christophebruno.com Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 226 18/11/2014 10:00:56 227 Neutralité de l’internet Francesca Musiani Le principe dit de « neutralité de l’internet » ou « neutralité du net » (Net Neutrality, NN) préconise que les paquets de données qui circulent dans le réseau des réseaux doivent être traités de manière équitable, indépendamment de leur contenu, de la plateforme de transmission ou du service, de la source ou du destinataire. Ce principe se réfère à l’idée que les utilisateurs doivent pouvoir accéder à tout contenu numérique et à toute application de leur choix sans que des restrictions leur soient imposées a priori, par aucun des acteurs de la chaîne de valeur de l’internet. Des facteurs tels que l’avancement du développement technologique, l’usage toujours croissant de services gourmands en bande passante tels que le téléchargement et le streaming de vidéos, et le panorama en évolution des intérêts économiques des fournisseurs d’accès internet ont suscité de nombreuses controverses autour de la NN – qui n’est pas, cependant, un enjeu radicalement nouveau (Marsden, 2010 : 14-15). Un tableau géopolitique changeant est également à prendre en compte : le débat n’est plus confiné aux États-Unis, où il a émergé, mais la NN est devenue un enjeu global de premier plan. Les premières lois écrites en soutien de la NN commencent à prendre forme dans des États européens tels que la Slovénie ou les Pays-Bas, tandis que plusieurs autorités députées à la communication et à la concurrence s’inquiètent des enjeux économiques et de marchés sous-tendus par la question. En effet, le débat a contribué à rendre visibles de nombreux enjeux politiques, économiques et sociaux, qui illustrent que la NN dépasse une simple question technique d’architecture et infrastructure de l’internet. Un champ d’études interdisciplinaire, qui tient à la fois de l’ingénierie des réseaux, de l’informatique, du droit, de l’économie et des sciences sociales, réfléchit à ces enjeux ; certains acteurs du monde de la recherche sont souvent, en outre, acteurs dans les arènes politiques et peuvent en influencer les débats. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 227 18/11/2014 10:00:57 228 Diversité culturelle à l’ère du numérique Le débat sur la NN commence autour d’une question concernant la couche de transport de l’infrastructure de l’internet. Dans le modèle OSI (Open System Interconnection), les fonctions de l’internet en tant que système de communication sont caractérisées et standardisées en termes de « couches d’abstraction », avec des fonctions similaires regroupées en couches logiques. Une couche sert la couche au-dessus, et est servie par la couche au-dessous. La couche de transport sert une fonction de transfert de données entre utilisateurs, de manière transparente, en transmettant les données de manière fiable aux couches supérieures (Zimmermann, 1980). Au fur et à mesure que l’internet a évolué, la NN s’est transformée en objet d’un débat articulé et enflammé sur le financement des infrastructures, en champ de bataille politique autour du rôle respectif des acteurs de l’« écologie internet », et en arène de discussion du rapport entre droits fondamentaux, démocratie, diversité et services de communication en ligne. Le modèle en couches sur lequel l’internet est construit fait de la couche de transport une sorte de fondement commun, sur laquelle une grande variété de services peut être construite : le World Wide Web et ses multiples applications à la télévision et la voix sur IP (Internet Protocol), les échanges pair à pair (peer to peer), le système de noms de domaine, la distribution des mises à jour logicielles, et de nombreux autres services. Ces services restent souvent invisibles aux yeux de l’utilisateur mais n’en sont pas moins fondamentaux pour l’équilibre et la stabilité du réseau dans sa globalité. De fait, l’internet lui-même peut être considéré comme la base commune de plusieurs services communicationnels et informationnels qui occupent une place toujours plus importante dans notre vie quotidienne. L’enjeu de la neutralité de l’internet, donc, a trait aux véritables fondements du réseau des réseaux, non seulement au niveau technique mais par rapport aux imaginaires sociaux – les visions collectives – qui y trouvent leur place, par exemple la conception de l’internet comme bien commun partagé, ou comme l’infrastructure globale de la société de l’information d’aujourd’hui. Malgré un certain nombre de voix critiques, l’argument est souvent avancé que les principes d’innovation et d’ouverture qui soustendent l’internet se fondent sur le choix de ne pas concentrer le traitement et la gestion des données au cœur du réseau, mais bien à ses marges ou sa périphérie (Van Schewick, 2012). Le principe de NN correspond à la volonté de préserver l’intelligence du réseau aux extrêmes de la chaîne (end-to-end principle), sur les serveurs et les terminaux des utilisateurs (ordinateurs et, de façon croissante, dispositifs mobiles en tout genre). Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 228 18/11/2014 10:00:57 Neutralité de l’internet 229 Il est intéressant de noter que, dans les années plus récentes, plusieurs décisions et actions ayant trait à la gestion globale du réseau ont, de facto, déjà enfreint la NN, pour des raisons de nécessité technique. Il est question, par exemple, du combat incessant contre le pourriel (spam), de la mise en place de pare-feu aux portes d’entrée des intranet de nombreuses entreprises ou institutions, ou encore des services comme les réseaux privés virtuels (Virtual Private Networks ou VPN), ou la télévision par IP, qui empruntent l’internet en tant que canal de communication, mais en restent indépendants. L’enjeu central est donc de savoir si le choix délibéré de distinguer entre différents types de paquets de données et de les diriger à leur destination de manière plus ou moins rapide devrait être laissé au jugement exclusif des différents opérateurs de réseau et aux négociations commerciales entre eux ; ou bien si des mesures de régulation actives sont nécessaires afin de préserver autant que possible la neutralité de l’internet global. Ainsi, la NN concerne la mesure dans laquelle les fournisseurs de services internet devraient pouvoir favoriser certains types de trafic – et d’usagers – plutôt que d’autres, en influençant ainsi les contenus, les applications et les dispositifs qui composent le réseau. En résumé, ce principe a trait au traitement égalitaire des fournisseurs et des utilisateurs de contenus sur l’internet. L’intérêt des chercheurs en communication pour le sujet est de plus en plus vif (par exemple, Blevins et Shade, 2010 ; Schafer, Le Crosnier et Musiani, 2011). En particulier, la NN est un sujet qui a trait à plusieurs questions abordées par la recherche en communication, parmi lesquelles figurent la liberté d’expression, les droits de/à la communication, le contrôle par l’utilisateur, la diversité du paysage médiatique et la gouvernance de l’internet. En dépit de son caractère intrinsèquement technique, le débat sur la NN a des implications pour les utilisateurs et les fournisseurs de contenus, qu’ils soient blogueurs, organisations, médias ou sites de réseautage social. La NN soulève la question de qui contrôle l’internet, de qui le polarise plutôt que d’en favoriser la diversité et l’ouverture, et de quels modes de communication se développent en ligne. En particulier, des études de communication récentes montrent l’importance de la NN pour une sphère publique qui puisse non seulement fonctionner mais s’épanouir. La sphère publique permet la circulation d’informations et d’idées, et elle consiste en espaces de communication où se forment – et s’informent – la volonté politique, le divertissement, le commerce, l’éducation. Selon Jürgen Habermas (1989), la sphère publique devrait être aisément accessible à tous les citoyens pour bien fonctionner : le débat sur la NN est donc directement Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 229 18/11/2014 10:00:57 230 Diversité culturelle à l’ère du numérique lié à la question de l’accès à la sphère publique, puisqu’il questionne la mesure dans laquelle l’internet, comme ensemble de canaux de distribution, peut être utilisé pour discriminer, contrôler et empêcher l’accès et la communication. Une approche de la NN qui passe par le concept de sphère publique permet d’approfondir les effets de l’infrastructure de l’internet sur les espaces de communication. L’application du cadre d’analyse proposé par Peter Dahlgren (2005) s’est révélée très utile pour montrer les manières dont la NN influence, à la fois, l’accès à l’infrastructure de l’internet pour les individus et les collectifs, la diversité des contenus, le contrôle et la censure des communications ainsi que les modalités, cultures, et espaces de la délibération (Löblich et Musiani, 2013). Le débat sur la NN n’est qu’un parmi plusieurs aspects d’une réflexion plus globale sur le réseau des réseaux. Il ne peut être réduit à un ensemble de mesures et d’implémentations techniques, mais est bien une question politique et communicationnelle, centrale pour le développement d’une « démocratie technique » et d’un espace de communication global dynamique et varié. Les questions posées par la NN (accès, non-discrimination, ouverture, égalité, concurrence loyale et plurielle) invitent les chercheurs à reconsidérer, sous des angles inédits, les formes de régulation et les capacités d’intervention collective d’un réseau qui est devenu le système nerveux de nos activités d’information et de communication, habitudes d’échange et de consommation, configurations d’identité. Termes liés : biens communs, communication, connexion, fracture numérique, médias, normes, réseaux sociaux, territoires Références Jeffrey Layne Blevins, Leslie Regan Shade, « Editorial : International Perspectives on Network Neutrality. Exploring the Politics of Internet Traffic Management and Policy Implications for Canada and the US3 », Global Media Journal : Canadian Edition, 2010, 3 (1), pp. 1-8. Peter Dahlgren, « The Internet, Public Spheres and Political Communication : Dispersion and Deliberation », Political Communication, 2005, 22, pp. 147162 ; lire en ligne (http://dx.doi.org/10.1080/10584600590933160. Maria Löblich, Francesca Musiani, « Net Neutrality and Communication Research : The Implications of Internet Infrastructure for the Public Sphere », Communication Yearbook, 38, Boston, E. L. Cohen (éd..), 2013. Jürgen Habermas, The Structural Transformation of The Public Sphere, MIT Press, 1989. Chris Marsden, Net Neutrality. Towards a Co-Regulatory Solution, London, Bloomsbury Academic, 2010 ; lire en ligne http://dx.doi. org/10.5040/9781849662192. Valérie Schafer, Hervé Le Crosnier, Francesca Musiani, La Neutralité de l’internet, un enjeu de communication, Paris, Éditions du CNRS, 2011. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 230 18/11/2014 10:00:57 Neutralité de l’internet 231 Barbara van Schewick, « Network Neutrality and Quality of Service. What a Nondiscrimination Rule Should Look Like », extrait du site de The Center for Internet & Society, 2012 ; lire en ligne http://cyberlaw.stanford.edu/ downloads/20120611-NetworkNeutrality.pdf. Hubert Zimmermann, « OSI Reference Model. The ISO Model of Architecture for Open Systems Interconnection », IEEE Transactions on Communications, 1980, 28, pp. 425 – 432. lire en ligne http://dx.doi.org/10.1109/ TCOM.1980.1094702, dernière consultation le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 231 18/11/2014 10:00:57 232 Normes Renaud Fabre Une définition courante, visant plus directement les processus normatifs contemporains, précise : une norme est « un document établi par consensus, qui fournit, pour des usages communs et répétés, des règles, des lignes directrices ou des caractéristiques, pour des activités ou leurs résultats, garantissant un niveau d’ordre optimal dans un contexte donné » (extrait du Guide ISO/IEC). Bernard Blandin, qui cite cette définition, souligne qu’elle soulève plusieurs questions : – qui établit le « consensus », et en vertu de quelle légitimité ? – à qui s’impose le « niveau d’ordre optimal » garanti, uniquement à ceux qui ont établi le consensus ou également à d’autres ? – si le niveau d’ordre optimal garanti s’impose à d’autres que ceux qui l’ont approuvé, est-il toujours acceptable par ceux à qui il s’impose ? Cette liberté elle-même a un sens ; ce non-choix est lui-même un choix : s’il laisse ouvert le plus grand nombre des possibles et garantit à l’internet sa survie et son évolution au milieu des très hautes pressions que traverse le réseau, cette ouverture ne se confond en rien avec la neutralité. Les normes auront donc, plus ou moins, tendance à se ranger du côté des applications les plus fréquentes, pour ne pas dire les plus clairement dominantes. Selon la belle expression proposée par Stéphanie Delmotte, les normes ont ainsi une « double face » : elles peuvent, selon les contextes et les usages, faciliter ou restreindre la communication. Qu’est-ce qu’une norme numérique ? Dans la réflexion fondatrice de Jacques Perriault, cet auteur précise : « Les échanges sur les réseaux numériques impliquent des règles communes d’organisation des plateformes et des données. Ces conventions, élaborées dans des organisations multilatérales, sont au Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 232 18/11/2014 10:00:57 Normes 233 départ des standards adoptés par des groupes d’utilisateurs. Elles deviennent des normes numériques lorsqu’un large consensus international les retient. Cet ouvrage initie le lecteur profane à cette activité peu connue qu’est la normalisation pour la circulation des savoirs sur l’internet. Cette normalisation n’est pas l’apanage de l’informatique et de l’industrie, même si elles y jouent un rôle primordial. Elle concerne aussi les sciences humaines et sociales, car elle s’intéresse directement à l’utilisateur. » (Perriault et al., 2011). Les normes constituent au fond des démarches ingénieuses pour accomplir diverses tâches complémentaires. Une norme est donc avant tout un ensemble de règles à partir desquelles un objectif peut être atteint ; le détail technique de la règle est toujours moins important et plus contournable que la règle elle-même, la démarche. La norme décrit fondamentalement un comportement face aux choses, comportement dont la norme définit et catégorise toutes les grandes étapes, comme le montre l’exemple d’une norme aujourd’hui universelle : le Dublin Core. Défini à Dublin (Ohio) en 1995 par un collectif de documentation, informatique, web science, autour de l’objectif de gestion des métadonnées, la DCMI (Dublin Core Metadata Initiative) est assurément un résultat représentatif, dans la forme et le fond, des nouvelles pratiques auxquelles la normalisation laisse libre cours. Il s’agissait de résoudre un problème de positionnement dans l’univers numérique. La question était : comment comparer le contenu de deux ressources présentes sur le web ? La réponse supposait que ces ressources soient sélectionnées sur leur contenu et que celui-ci se distingue de la couche de données relatives à tous les aspects de leur origine, de leur auteur, de leur aspect, de leur présentation. Il était donc nécessaire de produire un descriptif harmonisé complet des éléments autres que le contenu d’un document et permettant de décrire et de repérer ce dernier. Les données de présentation du contenu, les métadonnées, ont donc été organisées en un catalogue unique dont le contenu est décrit par une norme ISO (International Standards Organization), ici la norme 15836. Ce descriptif harmonisé est évolutif et cherche à répondre aux besoins du plus grand nombre pour les requêtes documentaires. Le Dublin Core est la norme qui rend possible la réalisation des conditions d’un autre protocole, le protocole OAI-PMH (Open Archives Initiative-Protocol for Metadata Harvesting), issu d’une autre initiative de normalisation. En utilisant le Dublin Core, le protocole OAI-PMH permet de rendre interrogeables toutes les bases de données hétérogènes, quelle que soit leur présentation, et de fixer les conditions de collecte massive de métadonnées. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 233 18/11/2014 10:00:57 234 Diversité culturelle à l’ère du numérique Il n’y aurait donc pas de bases de données ouvertes sans ces deux protocoles, et ceux-ci reposent sur les conventions internationales fournies par les normes, lesquelles constituent en définitive un vocabulaire et une grammaire des échanges de données numériques. Aperçus de la normalisation institutionnelle Le rapport de Claude Revel, en 2012, Développer une influence normative stratégique internationale pour la France rappelle : « 90 % des 30 000 normes applicables sur le territoire français sont de portée européenne (CEN) ou internationale (ISO), dans une proportion d’environ deux tiers/un tiers. La production de normes ISO a progressé de 30 % depuis 2003, pour se situer à environ 100 normes nouvelles ou révisées publiées chaque mois ; 162 pays ont aujourd’hui adhéré à l’ISO, plus de un million de certificats ISO 9001 (norme vedette) sont en vigueur dans 174 pays. » Créée en 1926, l’AFNOR (Agence française de normalisation), membre français du CEN (Comité européen de normalisation) et de l’ISO, assume les responsabilités attribuées à la France à ce titre. Les normes des technologies de l’information : le JTC1 de l’ISO Le JTC1 (Joint Technical Committee 1) de l’ISO coordonne la production des normes internationales relatives aux technologies de l’information. Le JTC1 comprend 35 pays membres et 56 pays observateurs ; 330 normes internationales, mises à jour comprises, ont été produites dans le cadre du JTC1 de l’ISO par l’une ou l’autre des entités spécialisées qui le composent, parmi lesquelles 19 souscomités (SC) internationaux, dont les pays membres fréquentent les groupes de travail qui sont les cellules de bases de la production des normes internationales, régies par des procédures rigoureusement uniformes d’un domaine à l’autre. Le JTC1 affecte ainsi des souscomités internationaux à la biométrique, aux techniques de sécurité, aux langages de programmation… Le SC36 du JTC1 a pour mandat de produire les normes dans le champ « Technologies de l’information pour l’éducation, la formation et l’apprentissage ». Parmi les résultats obtenus, on peut citer le déploiement de solutions nationales de description de ressources pédagogiques (LOM.fr, Sup. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 234 18/11/2014 10:00:57 Normes 235 LOM.fr, largement utilisées par les universités numériques thématiques), de protocoles d’échanges dans le monde de la francophonie grâce à l’intermédiaire des portails français en ligne existants (UNIT, UNISCIEL), de mise en place de la norme MLR (ISO 19788) qui permet de décrire les ressources en tenant compte des usages du web sémantique. L’adoption d’une norme cadre européenne EN 15982 MLO (Metadata for Learning Opportunities) rendra à terme l’offre plus visible. Termes liés : algorithme, archives, biens communs, communication, documentation, littératie numérique, neutralité du net Références Text Encoding Initiative (TEI), lire en ligne : http://www.tei-c.org/index. Renaud Fabre, « Refonder le contrat social pour l’école » et « L’évaluation publique et l’école », in Après-demain, revue trimestrielle fondée par la Ligue des droits de l’homme, rédacteur en chef du no 21, 1er trimestre 2012. Renaud Fabre, Jake Knoppers, Information Technology. Identification of Privacy Protection Requirements Pertaining to Learning, Education and Training (LET). Part 1 : Framework and Reference Model ISO/IEC/JTC1/ SC36/WG 3 Secretariat, AFNOR, Genève International Organization for Standardization (ISO), janvier 2013. Bernard Blandin, « État des normes e-learning : enjeux, niveaux, acteurs. Qui décide quoi et pourquoi », colloque Synergie, Université de technologie de Troyes, 12-13 juin 2003. Stéphanie Delmotte, « La double face des normes : entre facilitation et restriction », in La Norme numérique. Savoir en ligne et internet, Jacques Perriault, Céline Vaguer (dir), Paris, Éditions du CNRS, 2011. Jacques Perriault, Céline Vaguer (dir.), La Norme numérique. Savoir en ligne et internet, Paris, Éditions du CNRS, 2011. Claude Revel, Développer une influence normative stratégique internationale pour la France, rapport à Mme la ministre du Commerce extérieur, Paris, décembre 2012. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 235 18/11/2014 10:00:57 236 Œuvre Bernadette Dufrêne Qu’entend-on par œuvre ? C’est à l’Esthétique de Georg Wilhelm Friedrich Hegel que l’on aura d’abord recours pour donner une définition de l’œuvre, qu’elle soit ou non numérique. Pour Hegel, « l’homme est engagé dans des rapports pratiques avec le monde, et de ces rapports naît le besoin de transformer le monde, dans la mesure où il en fait partie, en lui imprimant son cachet personnel. Et il le fait pour encore se reconnaître lui-même dans la forme des choses, pour jouir de lui-même comme d’une réalité extérieure ». L’approche anthropologique d’Hegel est suffisamment large pour permettre de penser la diversité des œuvres, quels qu’en soient le support et le contexte de production. L’œuvre, c’est avant tout cette réalité objectale issue d’un travail (du latin opera, travail, activité, soin) par lequel l’homme informe le monde, donne une forme au monde. En ce sens, elle est une synthèse du moi et du monde. Pour autant, l’apport anthropologique ne saurait suffire pour deux raisons au moins : d’abord parce que le concept de l’œuvre, loin d’être a-historique, est fortement ancré dans un contexte de production mais aussi parce qu’il ouvre, comme l’a bien montré Pour une esthétique de la réception de Hans-Robert Jauss, des horizons d’attente, parce qu’il donne lieu à des réinterprétations. L’histoire des œuvres n’est pas seulement une histoire des styles au sens de Johann Joachim Winckelmann ou une histoire des formes (cette conception de l’histoire de l’art a d’ailleurs été mise en cause par des historiens de l’art comme Hans Belting, dans la mesure où elle ne retient que le concept occidental d’œuvre), mais aussi une histoire de leur interprétation. S’inscrivant dans la même perspective que les Cultural Studies, et rejetant l’idée d’une grande coupure entre producteur et consommateur, Umberto Eco a montré l’activité du récepteur dans L’Œuvre ouverte (1962). L’émergence du numérique et sa généralisation à partir des années 1990 ont problématisé la notion d’œuvre au moins de trois points de vue : du Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 236 18/11/2014 10:00:57 Œuvre 237 point de vue de l’auteur, du point de vue des modalités de sa diffusion et du point de vue de la définition même de l’œuvre. Du point de vue du droit d’auteur, l’histoire de la notion d’œuvre montre que celle-ci ne doit pas être rapportée dans la plupart des cas à un seul auteur qui serait autonome, mais qu’il faut prendre en compte des modes d’élaboration de l’œuvre qui, sans être toujours nouveaux, posent aujourd’hui la question du régime des œuvres plurales. La législation est à mettre en lien avec différents courants de sciences humaines, philosophique, sociologique ou communicationnelle, qui ont attiré l’attention sur la nécessité de voir dans l’artiste un « réalisateur », selon le terme utilisé par François Dagognet (Dagognet, 1986) et sur celle de rematérialiser. Le droit a distingué œuvre collective, œuvre collaborative, œuvre composite notamment (art. L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle). À propos de cette dernière catégorie, il est à noter que, depuis 1998, a été entérinée la reconnaissance des bases de données comme œuvre (art. L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle). Les conditions de production d’une œuvre numérique amènent à reconsidérer les mondes de l’art au sens donné à cette notion par Howard Becker, à savoir les conventions qui régissent les formes de coopération propres à un monde de l’art : en l’occurrence la coopération entre ingénieurs, programmeurs et artistes, écrivains et historiens de l’art. En outre, la diffusion sur le web des œuvres qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public a suscité de vifs débats portant sur la nécessité de trouver un équilibre entre la protection du droit d’auteur et la diffusion dans l’intérêt général. Selon le rapport Lescure (2013), « le droit d’auteur est, depuis son origine, l’expression d’un compromis social entre les droits des créateurs et ceux des publics. L’irruption du numérique a bouleversé les termes de ce compromis : propulsé dans la sphère du grand public, le droit de la propriété intellectuelle, jusqu’ici cantonné aux relations entre créateurs et exploitants, est exposé aux interrogations et aux contestations grandissantes d’internautes contrariés dans leurs pratiques et leurs attentes. L’équilibre du compromis fondateur doit être retrouvé, en poursuivant deux objectifs étroitement liés : d’une part, réaffirmer la pleine légitimité du droit d’auteur et la nécessité de sa protection, en réorientant la lutte contre le piratage en direction de ceux qui en tirent un bénéfice économique ; d’autre part, adapter le droit de la propriété intellectuelle aux réalités et aux pratiques numériques, afin de permettre aux publics de bénéficier pleinement des opportunités offertes par les nouvelles technologies, en termes d’accès aux œuvres comme de création ». Ensuite, c’est la notion même d’œuvre au sens de « production » que le contexte du numérique met en question. Faut-il réserver le terme Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 237 18/11/2014 10:00:57 238 Diversité culturelle à l’ère du numérique d’œuvre à la production originale ? Dans la mesure où la loi reconnaît la base de données comme une œuvre à part entière, les métadonnées – qui permettent d’indexer l’œuvre originale ou les fragments de l’œuvre proposée dans une configuration spécifique, de les offrir au commentaire et parfois à la manipulation – ne constituent-elles pas une extension de la notion d’œuvre ? En raison de ses conditions de production et de réception, l’œuvre à l’ère du numérique ne remet-elle pas en cause la coupure entre production et consommation ? Le numérique a eu enfin des incidences sur la diversité culturelle, dans la mesure où la numérisation a favorisé la représentation de la pluralité culturelle. Pour autant, la diversité culturelle ne commence pas avec le numérique. Si l’UNESCO a pu faire adopter en 2005 la Convention sur la diversité des expressions culturelles, définie comme politique culturelle visant à défendre la pluralité des cultures, des langues et des expressions artistiques, à valoriser les savoir-faire traditionnels, à promouvoir les patrimoines matériels mais aussi immatériels, c’est que la réflexion sur la diversité culturelle avait commencé dès le début du xxe siècle avec la critique de l’universalisme telle qu’elle a été menée par Oswald Spengler dans Le Déclin de l’Occident. Quelles que soient les réserves – d’ailleurs fondées – que l’on a pu émettre à propos de l’auteur, le fait est qu’en soulignant l’hétérogénéité des cultures, il ouvrait la voie à la reconnaissance de la pluralité. L’émergence de la mondialisation, qui, dans la perspective de Stuart Hall, peut être définie comme une culture de masse prenant appui sur la convergence des technologies, a suscité deux mouvements contradictoires : d’une part, l’hybridation d’une culture qui reste « centrée à l’Ouest », et, d’autre part, une « homogénéisation » qui s’appuie néanmoins sur des partenariats locaux pour s’implanter. La pensée critique de Hall permet ainsi d’interroger ce processus aussi bien du point de vue des industries culturelles, notamment dans le domaine de l’audiovisuel, que des industries créatives dans le domaine du numérique. Il reste à approfondir la réflexion sur les effets de la numérisation du patrimoine, défini comme l’ensemble des œuvres qu’une communauté – fût-elle virtuelle – sélectionne en vue de la transmission. La situation créée par le numérique peut, certes, amener à défendre la position selon laquelle la reproduction des œuvres et leur circulation à large échelle sur le web n’en font plus les témoins de cultures closes sur elles-mêmes mais participent à la formation de nouvelles identités, les échelles locales, voire régionales, s’effaçant au profit d’aires culturelles et surtout donnant lieu à de nouvelles configurations qui sont le fait de communautés d’intérêts, il n’en demeure pas moins que les outils du numérique sont pensés selon des institutions, des confi- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 238 18/11/2014 10:00:57 Œuvre 239 gurations sociales et culturelles centrées sur l’Ouest. L’ubiquité des techniques ne doit pas en effet occulter la réalité de la fracture numérique tant en ce qui concerne les possibilités d’accès que la maîtrise de la culture informationnelle. Dans son préambule, la Convention de l’UNESCO s’appuie sur le constat suivant : « Les processus de mondialisation, facilités par l’évolution rapide des technologies de l’information et de la communication, s’ils créent les conditions inédites d’une interaction renforcée entre les cultures, représentent aussi un défi pour la diversité culturelle, notamment au regard des risques de déséquilibre entre pays riches et pays pauvres. » Au moment même où la représentation et la circulation des œuvres sont particulièrement bien servies par ces technologies, les inégalités culturelles subsistent, voire s’accroissent, malgré les vœux exprimés. Qu’il s’agisse de création numérique ou de diffusion, les écarts persistent d’autant plus que le numérique suppose des infrastructures et des qualifications coûteuses sur le plan économique, et que les pratiques professionnelles en matière d’inventaire et de documentation des œuvres supposent une formation. C’est à la condition qu’il y ait une réelle coopération entre les États et une véritable volonté politique que les œuvres patrimoniales acquerront une égale dignité dans leur présentation et leur contextualisation. Termes liés : fracture numérique, industries créatives, industries culturelles, médiation numérique du patrimoine, patrimoine, propriété intellectuelle, remix, transmédiation, territoires, virtuel Références Hans Belting François Dagognet, Philosophie de l’image, Paris, Vrin, 1986. Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Le Seuil, 2011. Umberto Eco, L’Œuvre ouverte, tr. fr., Paris, Le Seuil, 1972. Mathew Gold, Debates in the Digital Humanities, University of Minnesota Press, 2012. Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique, choix de textes, édition française Claude Khodoss, Paris, PUF, 1998. Hans-Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, ou coll. « Tel », Gallimard, 1990. Pierre Lescure, Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique. Rapport à Mme la ministre de la Culture, mai 2013. Oswald Spengler, Le Déclin de l’Occident, traduction française M. Tazerout, Paris, Gallimard, 1976. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 239 18/11/2014 10:00:57 240 Patrimoine Emmanuelle Chevry Pébayle Depuis les années 1960, les technologies de l’information et de la communication basées sur le numérique se sont développées et connaissent un essor considérable dans l’ensemble des activités humaines, qu’elles soient techniques, économiques ou sociales. Cette révolution n’épargne pas le patrimoine, qui s’est considérablement élargi depuis ces dernières années. Notion récente et toujours en progrès, le patrimoine comprend tous les biens matériels et immatériels légués par une communauté, en y englobant la nature et la culture. Les domaines concernés peuvent être multiples : le patrimoine écrit, iconographique, sonore, architectural, musical, linguistique, cinématographique… Afin de respecter le droit d’auteur et par souci de conservation, des établissements culturels, des associations et des laboratoires de recherche numérisent principalement le patrimoine écrit et graphique libre de droits. Ce patrimoine est diffusé à travers des bibliothèques numériques telles que le projet Gutenberg débuté en 1971, American Memory en 1995 à l’initiative de la bibliothèque du Congrès, Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France créée en 1997… Le projet de grande envergure porté par Google en 2004 a abouti par réaction en 2008 à la création de la bibliothèque numérique européenne Europeana. Le patrimoine en ligne, une réelle opportunité pour la diversité culturelle La dématérialisation du patrimoine, rendue possible par le numérique, nous conduit à nous demander en quoi elle favorise la protection et la promotion de la diversité culturelle. L’impact du Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 240 18/11/2014 10:00:57 Patrimoine 241 numérique sur le patrimoine concerne trois domaines relatifs au patrimoine : la transmission, la sauvegarde et l’exploitation permises par les caractéristiques techniques des médias numériques et leur impact social. Mettre à la disposition de tous le bien culturel commun Toute opération de numérisation a pour objectif d’offrir au public l’accès à des ressources documentaires rares, précieuses, fragiles. La numérisation permet de reproduire des œuvres sans dégradation, à l’infini et à l’échelle planétaire, en offrant les conditions idéales à leur circulation. Le numérique présente cet avantage sur le papier : il permet la diffusion d’un même document pour un coût modique, très rapidement et à un très grand nombre de destinataires. Grâce à ce large accès au patrimoine, l’internet répond à des enjeux de mise à la disposition de tous du bien culturel commun. Chaque pays peut faire connaître son patrimoine et multiplier les accès à celui-ci dans une dynamique de démocratisation culturelle et de transmission des savoirs. L’accessibilité d’une culture du monde procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Ainsi, l’UNESCO vise à sauvegarder la « mémoire de l’humanité » à travers la Bibliothèque numérique mondiale, en numérisant et en publiant des fonds représentatifs du patrimoine documentaire mondial. Ses objectifs sont de permettre au plus grand nombre d’accéder gratuitement, via l’internet, aux trésors des grandes bibliothèques internationales, de développer le multilinguisme, de réduire la fracture numérique Nord-Sud en donnant l’occasion aux pays en développement de valoriser leur patrimoine de la même manière que les pays développés. De très nombreux monuments historiques et autres édifices relevant du domaine patrimonial sont visibles également à travers des applications telles que Google Earth, ou Google Street View. Google Art Project offre même des visites virtuelles de monuments et de musées tels Versailles, la National Gallery de Londres ou le Metropolitan Museum of Art de New York. Préserver et conserver le patrimoine La numérisation permet aussi de préserver et conserver le patrimoine. D’une part, en offrant un document de substitution, la numérisation peut être utilisée dans un but de sauvegarde d’un patrimoine en danger tels que les journaux attaqués par l’acidité de l’encre par exemple. Les lecteurs peuvent consulter la réplique numérisée, évitant ainsi la manipulation de l’original. Le fac-similé protège l’œuvre fragile de Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 241 18/11/2014 10:00:57 242 Diversité culturelle à l’ère du numérique l’usure provoquée par un accès direct. D’autre part, grâce au numérique, on peut garder en mémoire, très précisément, l’aspect des lieux ou des objets. Les données numérisées constituent une assurance et des documents de référence au cas où une dégradation ou une destruction imputable aux hommes ou à la nature surviendraient. Favoriser la coopération dans le domaine culturel Le numérique permet aux professionnels chargés du patrimoine de travailler ensemble sur des projets de numérisation et de publication à différents niveaux : entre institutions culturelles, entre institutions culturelles et sociétés privées, entre institutions culturelles et services de l’État, entre différents pays. Par exemple, le portail Global Gateway, réalisé par la bibliothèque du Congrès américain, est un projet coopératif entre les différentes bibliothèques nationales du monde. Il vise à offrir à un large public l’accès à une grande variété de documents d’intérêt historique et culturel, afin de contribuer à l’éducation et à l’étude tout au long de la vie. Les partenariats ainsi noués entre les bibliothèques nationales permettent de compléter les ressources de la bibliothèque du Congrès, ils aboutissent à des sites thématiques qui mettent en valeur et enrichissent les collections des bibliothèques nationales. Ainsi, la Bibliothèque nationale de France et la bibliothèque du Congrès ont collaboré à la réalisation d’un site bilingue sur le thème de la présence française en Amérique du Nord du xvie siècle à la fin du xixe. Les documents numérisés, mis en perspective par des éléments d’information, intellectuels, techniques et pédagogiques, permettent d’en exploiter le contenu. Grâce à l’échange de données via le protocole OAI-PMH, ces partenariats enrichissent des collections, multiplient les accès à ce patrimoine dématérialisé, reconstituent virtuellement des collections dispersées géographiquement et les valorisent (expositions virtuelles, site thématique). Depuis Gallica, l’internaute peut accéder à six bibliothèques numériques. Réciproquement, ces bibliothèques peuvent référencer tout ou une partie des ressources de Gallica, en récupérant les données descriptives. Des limites à la démocratisation du patrimoine La démocratisation se situe sur deux plans grâce au numérique : tout le monde peut accéder à l’information, et tout le monde peut proposer de l’information. Or, en l’état actuel, plusieurs limites freinent l’accessibilité au patrimoine en ligne. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 242 18/11/2014 10:00:57 Patrimoine 243 Le patrimoine numérisé soumis à une forte concurrence Diffuser le patrimoine en ligne ne suffit pas à en garantir une large diffusion. Les fonds multiples et la diffusion sur le web conduisent les fournisseurs de fonds numérisés vers une concurrence entre eux et vers une concurrence avec tout le web. Le patrimoine est numérisé à la fois par de petites et de grandes institutions culturelles, des associations, des laboratoires et des sociétés privées. Ces réalisations sont noyées parmi tous les autres sites du web et, sans communication, les internautes ont alors des difficultés à arriver jusqu’à elles. Néanmoins, il existe, pour certains pays, des catalogues en ligne qui recensent le patrimoine numérisé : e-corpus pour le monde et en particulier pour l’espace euro-méditerranéen, MICHAEL pour une vision à l’échelle européenne, Patrimoine numérique et NUMES pour la France. La menace d’une prédominance de la culture anglophone au détriment des autres cultures L’émergence de nouveaux acteurs extérieurs au monde de la culture dans des projets de numérisation du patrimoine soulève de nombreuses interrogations. L’entreprise privée Google a lancé, en 2004, un projet de numérisation de 15 millions d’ouvrages appelé Google Books et a conclu des partenariats avec 20 bibliothèques. Face à cette réalisation d’envergure, Jean-Noël Jeanneney a attiré l’attention de l’opinion publique sur différents risques : celui d’une domination de la culture anglophone sur la Toile ; celui que la langue anglaise ait encore plus d’emprise aux dépens des autres langues européennes ; celui des éditeurs américains qui pourraient avoir un poids écrasant ; celui d’une diffusion de la recherche qui soit principalement américaine ; celui d’assimiler les œuvres culturelles à des marchandises. De plus, le droit d’auteur est loin d’être respecté systématiquement. Selon le rapport que Marc Tessier a remis en 2010 au ministre de la Culture et de la Communication, sur les 10 millions d’ouvrages numérisés, 7,5 millions étaient numérisés sans accord des ayants droit. La fracture numérique Selon un rapport, publié en octobre 2012, de l’Union internationale des télécommunications (UIT), une agence spécialisée de l’ONU, deux tiers de la population mondiale n’a pas accès à l’internet. Un fossé existe entre ceux qui utilisent les technologies de l’information et de la communication pour accéder au patrimoine numérisé, et ceux qui Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 243 18/11/2014 10:00:57 244 Diversité culturelle à l’ère du numérique ne peuvent en avoir connaissance faute de pouvoir accéder aux équipements ou par manque de compétences. De plus, le patrimoine numérisé et publié en ligne ne représente pas la culture de toutes les nations de façon égalitaire. Tous les pays n’ont pas les moyens de numériser et de publier leur patrimoine, malgré l’initiative de la Bibiliothèque numérique mondiale. Une politique publique ambitieuse de numérisation pour chaque pays serait nécessaire pour que ces derniers restent maîtres de leurs ressources et garantissent l’accès aux divers utilisateurs. C’est le cas de la France qui, depuis 2003, lance un appel à projets chaque année pour des actions de numérisation du patrimoine. En somme, le patrimoine numérisé et publié en ligne permettrait de promouvoir des valeurs communes, de respecter les différences et d’atteindre des contenus diversifiés si l’ensemble de la population pouvait avoir les moyens et les compétences pour consulter le patrimoine et si chaque pays pouvait numériser et mettre en ligne son patrimoine. Termes liés : archives, bibliothèques, fracture numérique, médiation numérique du patrimoine, normes, territoires Références Dominique Audrerie, La Notion et la Protection du patrimoine, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1998. Emmanuelle Chevry, Stratégies numériques. Patrimoine écrit et iconographique, Paris, Hermès Science Publications, Lavoisier, 2011. Jean-Noël Jeanneney, Quand Google défie l’Europe : Plaidoyer pour un sursaut, Paris, Mille et une nuits, 3e éd.., revue, augmentée et mise à jour, 2010. Marc Tessier, Rapport sur la numérisation du patrimoine écrit, remis au ministre de la Culture et de la Communication, 2010 ; lire en ligne http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapportspublics/104000016/0000.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 244 18/11/2014 10:00:57 245 Piratage Tristan Mattelart La relation existant entre piratage et diversité culturelle est explicitement posée, dans de nombreux rapports d’organisations multilatérales, comme antinomique. Ainsi un document de l’UNESCO commentant les dispositions de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, adoptée en 2001, invite-t-il à « éradiquer le piratage qui est un obstacle majeur au développement de toute industrie culturelle et donc un adversaire de la diversité culturelle » (UNESCO, 2002). Cette condamnation fait écho à celles que formulent les organisations défendant les intérêts des grandes multinationales de la communication. Un représentant de la MPAA (Motion Picture Association of America) l’affirme sans ambages : « L’une des plus grandes menaces à l’encontre de la diversité culturelle aujourd’hui est le piratage » (Richardson, 2005). La cause semble donc entendue. Pourtant, sans sous-estimer les défis que pose le piratage pour l’avenir des industries culturelles, les relations qu’entretient celui-ci avec la diversité culturelle sont plus complexes que ne le laissent entendre les discours accusateurs. La lutte contre le piratage au service de la diversité culturelle ? Il est, dans un premier temps, nécessaire d’interroger la correspondance entre les politiques de lutte contre le piratage et la défense de la diversité culturelle. Ces politiques sont en effet insérées dans des rapports de forces internationaux : bien qu’elles se drapent, depuis le début des années 2000, dans les habits de la diversité culturelle, elles poursuivent des objectifs qui ne sont pas toujours convergents avec les principes, certes contradictoires, de ladite diversité. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 245 18/11/2014 10:00:57 246 Diversité culturelle à l’ère du numérique Les travaux de l’économie politique critique de la propriété intellectuelle montrent comment s’est opéré, dans le dernier quart du xxe siècle, sous la pression conjointe des principales industries qui s’appuient sur le droit d’auteur et des gouvernements qui les soutiennent, à commencer par le gouvernement états-unien, « un changement explicite d’orientation quant à la finalité des droits d’auteur/copyright », qui, au nom du rôle croissant que jouent les actifs immatériels dans le développement et la croissance, a vu le droit de la propriété intellectuelle se rapprocher de plus en plus du « régime commun de la propriété » (Bullich, 2013). Ce mouvement, né bien avant l’essor de l’internet, s’est considérablement accéléré avec l’avènement de celui-ci et du développement concomitant de la nouvelle variété de pratiques d’échange et de consommation de contenus numériques qu’il a favorisées. À cette occasion s’est largement imposée une conception extensive du piratage, celui-ci englobant désormais, sous une même ombrelle, la production, la distribution ou la consommation de produits contrefaits – CDs, DVDs, VCDs, logiciels… – mais aussi les pratiques d’échange, de téléchargement ou de visionnement de contenus hors paiement des droits sur l’internet. À cette conception extensive du piratage – qui a accru le rayon d’action des politiques luttant contre celui-ci – a correspondu une conception également extensive de la propriété artistique. Le nouveau droit qui s’est mis en place en la matière, explique Vincent Bullich dans un texte où il synthétise les apports des travaux produits par l’économie politique critique de la propriété intellectuelle, tend à faire prévaloir « l’affirmation des intérêts privés au détriment de l’intérêt général » : sous l’effet des évolutions du droit, idées, informations et créations artistiques sont progressivement « extrai [tes] du “bien commun” pour devenir la propriété de quelques-uns ». L’on assiste ainsi à une « privatisation » des connaissances, avec toutes les incidences négatives que cela peut avoir pour la création ou la liberté d’expression. Cette tendance à la privatisation des domaines cognitifs et culturels est d’autant plus problématique qu’elle s’accompagne d’« une privatisation du domaine législatif » (Bullich, 2013). Les travaux de l’économie politique critique de la propriété intellectuelle décryptent aussi la manière dont, au travers d’un intense travail de lobbying, mené à une échelle mondiale, auprès tant des gouvernements nationaux que des organisations multilatérales, telles l’UNESCO, l’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle (OMPI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – qui tient une place importante en la matière depuis le début des années 1990 – les industries qui s’appuient sur le droit d’auteur (copyright-based) ont Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 246 18/11/2014 10:00:57 Piratage 247 joué et continuent de jouer un rôle majeur dans l’élaboration des lois nationales et des traités internationaux comme dans les mesures prises pour leur application (Bullich, 2013). L’équation posée entre lutte contre le piratage et défense de la diversité culturelle mérite donc, pour le moins, d’être discutée. Piratages et diversité : une relation ambivalente Il est d’autant plus facile pour les organisations publiques ou privées de considérer que le piratage constitue un « adversaire de la diversité culturelle » que cette dernière est définie en termes fort lâches. Or si le piratage, en privant les créateurs et les ayants droit d’une partie de leurs revenus, peut être accusé d’attenter à la pérennité de la production culturelle et donc au futur de la diversité de l’offre en ce domaine, il favorise dans le même temps, sous certains aspects, la circulation des produits culturels. La question se pose à cet égard de savoir s’il peut être considéré comme contribuant à une diversification de la consommation culturelle du public qui y a recours. La Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001 contrebalance elle-même la nécessité d’« assurer la protection des droits d’auteur et des droits qui leur sont associés » avec le besoin de défendre « un droit public d’accès à la culture » (UNESCO, 2002 : 50). Ce dernier principe qui était encore promu avec force au tout début des années 1980 dans les débats à l’UNESCO sur la piraterie – et qui figure encore sur l’agenda de l’organisation – a peu à peu perdu de sa vigueur au fur et à mesure que le centre de gravité des discussions et des décisions en matière de propriété artistique s’est déplacé des enceintes spécialisées sur la culture et la propriété intellectuelle vers celles spécialisées dans le commerce, telle l’OMC (Mattelart, 2011 : 4243). Preuve de cette évolution au sein même de l’UNESCO, lorsqu’il est nécessaire, dans le cadre de la nouvellement créée Alliance globale pour la diversité culturelle, d’interroger les « conséquences du piratage pour la créativité [et] la culture », c’est vers Darrell Panethiere, conseiller juridique de la Fédération internationale des industries du disque (International Federation of the Phonographic Industry, IFPI), que se tourne l’organisation (Panethiere, 2005). Il n’empêche que le piratage constitue, comme le montrent deux études internationales sur le phénomène dans les pays émergents (Mattelart, 2011 ; Karaganis, 2011), pour des dizaines de millions de personnes, au Sud comme au Nord, une voie privilégiée pour contourner les obstacles politiques, administratifs, sociaux ou économiques empêchant l’accès aux biens culturels. En effet, les pratiques de piratage, pour Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 247 18/11/2014 10:00:57 248 Diversité culturelle à l’ère du numérique illégitimes qu’elles semblent être, n’en reflètent pas moins les contradictions sociales, politiques et économiques qui traversent les sociétés du Sud comme du Nord et qui poussent certaines populations à s’approvisionner en produits culturels hors des voies officielles. De là à penser que le piratage peut augmenter la diversité du menu audiovisuel du public, il n’y aurait qu’un pas qu’il faut se garder de franchir trop hâtivement. Le commerce pirate des images est, dans l’ensemble, dominé par les mêmes types d’images qui officient sur les marchés légaux, attribuant une grande place aux fictions télévisuelles et cinématographiques hollywoodiennes, tout en ménageant néanmoins une place non négligeable à des programmes ayant d’autres origines, en consonance avec les attentes culturelles des consommateurs. Le piratage au service de la diversité ? Quelques auteurs mettent cependant l’accent sur certains des effets positifs de cet accès, par des voies pirates, aux productions culturelles. Tilman Baumgärtel par exemple, étudiant les marchés pirates du film en Asie du Sud-Est, quoique reconnaissant la domination de ceux-ci par le film hollywoodien et les productions pornographiques, souligne l’importance du rôle joué par la présence sur ces marchés également des films d’auteur occidentaux qui ont contribué à nourrir, à l’en croire, une génération de cinéastes indépendants dans cette région (Baumgärtel, 2008). D’autres travaux montrent, en particulier à partir du cas nigérian, comment les réseaux de l’économie informelle peuvent offrir une infrastructure pour l’édification d’une puissante industrie télévisuelle et cinématographique au rayonnement international (Miller, 2012). Les études sur le piratage dans les pays émergents explorent à leur tour, à partir d’une variété d’études de cas, la manière dont certaines entreprises pirates constituent des laboratoires pour la mise en place de nouveaux modèles d’affaires (business models), capables de fournir des produits culturels à des populations n’ayant pas accès aux produits légaux (Karaganis, 2011 : 1 ; Mattelart, 2011). Dans ces différents cas de figure, le piratage ne peut être aussi facilement accusé de représenter un « obstacle majeur au développement de toute industrie culturelle », ni un « adversaire de la diversité culturelle ». Il serait naturellement bien imprudent de considérer, à partir de ces exemples, comme caduc le caractère antinomique de la relation entre piratage et diversité culturelle. En revanche, est ainsi mise en relief la nécessité d’appréhender le piratage comme un phénomène plus complexe que ne le font les discours contempteurs. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 248 18/11/2014 10:00:57 Piratage 249 Termes liés : économie des œuvres sous format numérique, financement des médias sous format numérique, fracture numérique, industries créatives, industries culturelles, pratiques, propriété intellectuelle, public/usagers Références Tilman Baumgärtel, « Media Piracy and Independent Cinema in Southeast Asia », in Video Vortex Reader. Responses to YouTube, Geert Lovink, Sabine Niederer (éds.), Amsterdam, Institute of Network Cultures, 2008, pp. 259-272. Vincent Bullich, « Perspectives critiques sur la propriété intellectuelle », Les Enjeux de l’information et de la communication, avril 2013 ; lire en ligne http:// lesenjeux.u-grenoble3.fr/2013-supplement/07Bullich/07Bullich.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014. Joe Karaganis (éd..), Media Piracy in Emerging Economies, New York, Social Sciences Research Council, 2011. Tristan Mattelart (dir.), Piratages audiovisuels. Les voies souterraines de la mondialisation culturelle, Bruxelles-Paris, De Boeck-INA, 2011. Jade Miller, « Global Nollywood : The Nigerian Movie Industry and Alternative Global Networks in Production and Distribution », Global Media and Communication, août 2012, vol. 8, n° 2, pp. 117-133. Darrell Panethiere, Persistance de la piraterie. Conséquences pour la créativité, la culture et le développement durable, Paris, UNESCO, 2005. Bonnie J.K. Richardson, vice-président, Trade and Federal Affairs, MPAA, « Globalization and Diversity, UNESCO and Cultural-Policy Making : Imperatives for US Arts and Culture Practitioners and Organizations », 10-11 janvier 2005, Smithsonian Institution, Washington DC, lire en ligne http://www.folklife.si.edu/resources/center/cultural_policy/pdf/ BonnieRichardson.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014. UNESCO, Déclaration universelle sur la diversité culturelle, série « Diversité culturelle », no 1, Paris, UNESCO, 2002. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 249 18/11/2014 10:00:57 250 Pratique Laurence Allard Pourquoi parler de pratique plutôt que d’usage, à l’heure du numérique ? L’hypothèse défendue ici est qu’observer, décrire et penser le numérique en termes de pratique vient rendre compte de façon plus adéquate de ce que le numérique fait à la diversité culturelle. Au-delà du braconneur, le praticien transécranique Dans les années 1990, la notion d’usage avait été revisitée, à l’aune des nouvelles technologies de la communication de l’époque, comme relevant d’une double médiation du social et du technique, comme étant tramée de représentations sociales, comme se révélant dépendante des contextes matériels et des situations sociales, et s’inscrivant dans un temps long. Le travail pionnier de Michel de Certeau a été et est communément cité comme une grande source d’inspiration dans les études des usages des technologies culturelles. Il a pointé de façon lumineuse la part d’autonomie active de l’usager. L’inventivité des pratiques ordinaires est notamment illustrée par la problématique du détournement par rapport aux fonctionnalités attendues et aux usages prescrits. La figure du braconneur est devenue familière pour incarner la dynamique d’appropriation des technologies de la communication. Si l’acquis de ces réflexions est de mettre en avant un pratiquant tacticien, elles ne permettent pas aujourd’hui de prendre toute la mesure du tournant du numérique connecté. En faisant siens les technologies et les services connectés tels le téléphone mobile ou la tablette, ou en s’adonnant à l’expression de soi sur les sites de réseaux sociaux, l’usager du numérique est aujourd’hui un praticien Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 250 18/11/2014 10:00:57 Pratique 251 transécranique et transmédiatique, qui ne se contente pas de braconner de-ci, de détourner de-là. Le « hack d’usage » est devenu le mode d’accomplissement pratique du numérique, puisque la singularisation de l’offre technologique en est la norme prescrite. Quand l’utilisateur est l’outil, du numérique au digital Pour bien marquer ce degré de singularisation atteint avec le numérique dans l’histoire des TIC, la notion de pratique semble donc préférable à celle d’usage. Le téléphone intelligent (smartphone) reste un objet inerte s’il n’est pas activé tactilement, le web reste lettre morte s’il n’est pas alimenté par les contenus des internautes. Les technologies numériques connectées se pratiquent bel et bien tel un instrument de musique ou un art martial. La notion de digital, prise au sens à la fois français et anglophone du terme, vient rendre compte d’un nouveau degré d’incorporation du numérique avec le développement des interfaces tactiles et des commandes gestuelles ou vocales. Observons les applications de deux smartphones ou tablettes, comparons les fichiers de deux ordinateurs ou les sites d’un navigateur. Depuis leur disposition matérielle (sur une page, dans des dossiers, sur le bureau ou dans le nuage) jusqu’à leur sélection (collections d’applications multi-usagers pour soi et ses enfants, marque-pages temporaires correspondant aux requêtes du moment ou fichiers partagés depuis des disques durs), la description des usages du numérique doit s’effectuer au singulier de la pratique. Le téléphone mobile constitue un bon terrain d’observation des praticiens du numérique connecté. La créativité mobile ne ressort pas d’une forme de création en tant que telle mais d’une mise en pratique des fonctionnalités et des services propres à chaque utilisateur comme la photographie de textes (listes de courses, cartes de visite, étiquettes de bagages) ou l’utilisation de la carte SIM comme porte-monnaie dans les services de banque mobile (m-banking). Une culture en lecture/écriture ouverte au dialogue et au partage transnational De ces technologies numériques connectées pratiquées sous un mode singulier, propre à chacun – ce qui leur confère le statut de « technolo- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 251 18/11/2014 10:00:57 252 Diversité culturelle à l’ère du numérique gies du soi » dont parlait Michel Foucault – émerge une culture réversible en lecture/écriture esquissant un nouveau paysage de diversité créative ouverte au partage et au dialogue. En effet, la conversation tissée à travers les pratiques du mobile et de l’internet s’effectue par le biais d’expressions singulières, qui se nourrissent et sont nourries par l’échange de contenus à aimer, commenter et partager. Cette conversation créative est tissée dans le remix des contenus du web et des mobiles, elle est constituée de contenus appropriés symboliquement selon différents procédés plus ou moins standardisés (« liker », « retweeter », commenter, etc.). Le web se pratique ainsi comme une vaste database ouverte aux échanges. Enfin, les outils numériques peuvent être utiles pour vaincre les risques d’uniformisation ou d’exclusion et le péril du monologue. Les mobilisations dans le monde aménagent désormais une dramaturgie scénique autour d’une place publique connectée (Tahrir, piazza del Sol, Zuccoti, Taksim…). À travers la connexion numérique de l’espace public aura été réalisé un nouvel horizon cosmopolitique, à concevoir sous la perspective d’un universalisme nécessairement situé et provincial, et qui ouvre à des cosmopolitismes multiples permettant en principe de surmonter la superbe de l’universalisme et le relativisme des localismes. Termes liés : augmentation, auteur, co-construction, communauté, communication, œuvre, piratage, remix, public/ usagers, réseaux sociaux, transmédiation Références Laurence Allard, « Le remix comme appropriation ordinaire de contenus partageables : de la pratique sociale digitale à la consécration publique des institutions culturelles », juillet 2013, lire en ligne http://www.mashupfilmfestival.fr/ blog/2013/06/07/le-remix-comme-appropriation-ordinaire-de-contenuspartageables-de-la-pratique-sociale-digitale-a-la-consecration-publiquedes-institutions-culturelles/, dernière consultation le 1er juin 2014. Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, t. 1, Paris, Arts de faire, UGE, 1980. Michel Foucault, « Subjectivité et vérité », in Dits et Écrits, 1976-1988, Paris, Gallimard, 2001. Josiane Jouet, « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux, Paris, 2000, vol. 18, no 100, pp. 487-521. Fréderic Vandenberghe, « The State of Cosmopolitism », Novos Estudos, Cebrap ; lire en ligne http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/cr-cridis/documents/_State_ of_Cosmopolitanism_final.doc, dernière consultation le 1er juin 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 252 18/11/2014 10:00:58 253 Propriété intellectuelle Mélanie Dulong de Rosnay La propriété intellectuelle est la branche du droit qui régule la circulation de la création et de l’innovation dans la société. Elle comprend notamment le droit d’auteur, le droit des brevets d’invention, les marques, les expressions culturelles traditionnelles et le folklore. Cette fiction juridique vise à établir une exclusivité temporaire sur l’exploitation de l’immatériel. L’expiration de ce monopole signale l’entrée de l’œuvre ou de l’invention dans le domaine public. Certaines créations ne remplissent pas les conditions de forme pour bénéficier d’un droit de propriété intellectuelle et appartiennent également au domaine public : il s’agit des idées et des connaissances générales, considérées de libre parcours et appartenant à tous. Les titulaires de droits de propriété intellectuelle doivent délivrer une autorisation avant chaque utilisation de leur création, qu’ils peuvent octroyer contre une rémunération. Certaines utilisations échappent à ce modèle, elles sont appelées les « exceptions » et les « limitations ». Ce régime dispense de la nécessité de solliciter une autorisation préalable à chaque utilisation et de verser une rémunération, et en cela cherche à garantir un accès équitable. Les exceptions au droit d’auteur que constituent le droit de parodie ou celui de citation rendent possible l’expression critique sur une œuvre préexistante sans contrôle ni possible censure de la part de son auteur, et donc une diversité des points de vue. Les droits exclusifs de titulaires de brevets peuvent également être limités par des licences obligatoires pour éviter de bloquer la concurrence et par là la diversité culturelle. Le droit d’auteur s’est développé avec l’imprimerie, il est révisé à l’apparition de chaque technique de reproductibilité qui transforme les modes de reproduction et de dissémination des œuvres : la radio et la photographie, la photocopie, puis le numérique. La conjonction du Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 253 18/11/2014 10:00:58 254 Diversité culturelle à l’ère du numérique numérique et des réseaux permet de reproduire et de diffuser gratuitement tout document. Cette opportunité est source de tensions entre les industries culturelles et le public. Elles sont reflétées dans le 16e objectif du Plan d’action pour la mise en œuvre de la Déclaration de l’UNESCO sur la diversité culturelle : « Assurer la protection du droit d’auteur et des droits qui lui sont associés, dans l’intérêt du développement de la créativité contemporaine et d’une rémunération équitable du travail créatif, tout en défendant un droit public d’accès à la culture, conformément à l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. » D’une part, le droit d’auteur peut être perçu comme une protection des créateurs et de ces auxiliaires de la création que sont les interprètes, les producteurs audiovisuels et les entreprises de communication, de radio et de télévision. Le droit d’auteur procure une rémunération lors de chaque utilisation des œuvres, soutenant en principe la diversité culturelle, dans la mesure où le financement de la production culturelle va apporter un revenu aux créateurs et permettre aux producteurs de soutenir les prochains créateurs. Dans la pratique, la diversité culturelle est limitée par la concentration des industries culturelles et la médiatisation de certains artistes surexposés. Le numérique change la donne avec la possibilité de se produire et de se distribuer sans intermédiaires. Le phénomène de la « longue traîne » caractérise le développement du nombre de créations à faible diffusion, correspondant à des expressions culturelles de niche. La rareté dans un contexte d’abondance de l’offre culturelle en ligne se déplace avec le numérique vers le temps d’attention et le filtre des moteurs de recherche. Les réseaux pair à pair permettent la diffusion des œuvres rares qui ne trouvent pas de canaux de diffusion commerciaux. Face à ces possibilités de reproduction et de distribution non autorisées offertes par les technologies du numérique, les entreprises du divertissement demandent une extension de la propriété intellectuelle et de son application pour limiter la concurrence de la distribution gratuite par les pairs. Les adaptations du droit d’auteur au numérique développent des couches de droits supplémentaires pour protéger juridiquement les mesures de protection techniques qui limitent les possibilités pratiques d’accès et de reproduction des fichiers numériques, qui deviennent moins attractifs pour le consommateur que les fichiers non bridés disponibles sur les réseaux pair à pair. D’autre part, les droits de propriété intellectuelle peuvent limiter l’accès à la culture, la créativité et la diversité culturelle quand ils sont utilisés de manière restrictive ou extensive. L’extension de la durée des droits va empêcher la réappropriation et la réédition d’œuvres du domaine public. Une redevance élevée va bloquer l’accès effectif à une Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 254 18/11/2014 10:00:58 Propriété intellectuelle 255 œuvre et réduire l’offre culturelle. Tous les créateurs ont besoin d’accéder à des œuvres préexistantes et de les réutiliser, mais l’évolution de la propriété intellectuelle dans le numérique conduit à réduire le champ des exceptions. Ainsi les exceptions au droit d’auteur ne sont pas adaptées aux pratiques de remix ni aux expressions culturelles individuelles. Il est difficile pour un auteur individuel de négocier des droits pour reprendre des samples ou des fragments d’œuvre sans passer par une structure intermédiaire qui risque de filtrer les goûts et, in fine, de limiter la diversité culturelle par les choix éditoriaux et la concentration des médias. En France, le droit de citation ne s’applique qu’aux œuvres littéraires, excluant d’inclure des extraits d’œuvres audiovisuelles dans un « collage-montage » (mashup), et l’exception pour les utilisations dans le cadre de l’enseignement et la recherche ne favorise pas la diversité culturelle à l’ère du numérique. En effet, les œuvres d’art contemporaines ne peuvent être reproduites ni dans les supports de cours ni dans les articles, et seules les œuvres cinématographiques diffusées sur les chaînes hertziennes peuvent être montrées en classe, – l’exception pédagogique ne couvrant pas les films distribués sur le câble ni en ligne dans les lieux où la production indépendante est diffusée et la diversité culturelle plus large. De même, les chercheurs et les bibliothèques voient leur accès à une diversité d’expressions limité en raison de la multiplication des bouquets numériques vendus par les éditeurs de revues scientifiques. Face à cette concentration de l’offre, le mouvement pour l’accès ouvert à la recherche favorise la bibliodiversité et la dissémination de la connaissance si tous, chercheurs et non-chercheurs, peuvent accéder gratuitement à des articles dans d’autres disciplines et d’autres langues que celles des portails dominés par les grands groupes anglophones. Les biens communs et les licences libres et ouvertes comme Creative Commons constituent un mode alternatif de diffusion des œuvres couvertes par un droit de propriété intellectuelle puisque la reproduction et la diffusion sur les réseaux sont autorisées à l’avance, quel que soit le type de licence. Les options de ces licences concernent l’attribution des auteurs, l’intégrité des œuvres et l’utilisation commerciale. Cette nouvelle mise en œuvre des droits tire parti des possibilités techniques offertes par le numérique en termes de distribution et de modification et des changements d’usages, contrairement aux lois sur le droit d’auteur qui cherchent à freiner le développement des échanges sur les réseaux et des réappropriations créatives et ne considèrent la création que comme une marchandise. L’incidence du numérique sur la diversité culturelle concerne essentiellement le droit d’auteur, les droits voisins et le droit Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 255 18/11/2014 10:00:58 256 Diversité culturelle à l’ère du numérique des bases de données. Mais une autre branche de la propriété intellectuelle peut également être concernée. Il s’agit des expressions traditionnelles et du folklore. Leur réappropriation par les sociétés occidentales et les opportunités de diffusion en ligne peuvent être source de diversité culturelle comme d’appropriation exclusive ou illicite. Le risque est réel à l’ère du numérique de déplacer l’équilibre de la propriété intellectuelle vers les titulaires de droits dans les pays du Nord, et de limiter l’accès à la connaissance et au patrimoine culturel immatériel et les droits du public et des pays du Sud. Les modèles des biens communs, du libre et de l’accès aux savoirs s’appuient sur les opportunités offertes par le numérique pour partager la propriété intellectuelle de manière plus équitable et collective, et pour produire une création plus diverse. Termes liés : biens communs, économie des œuvres sous format numérique, financement des médias à l’ère numérique, fracture numérique, industries créatives, industries culturelles, libre, œuvre, piratage Références Christoph Beat Graber, Mira Burri Nenova (éd..), Intellectual Property and Traditional Cultural Expressions in a Digital Environment, Edward Elgar Publishing, 2008. Mélanie Dulong de Rosnay, Hervé Le Crosnier, Propriété intellectuelle, Géopolitique et Mondialisation, Éditions du CNRS, coll. « Les essentiels d’Hermès », 2013. Joëlle Farchy, « Promouvoir la diversité culturelle », Questions de communication, 13 | 2008, pp. 171-195. Jacques Vétois (dir.), « La propriété intellectuelle emportée par le numérique ? » Terminal. Technologie de l’information, culture et société, no 102, L’Harmattan, 2009. Michel Vivant, Propriété intellectuelle et mondialisation : la propriété intellectuelle est-elle une marchandise ?, Paris, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2004. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 256 18/11/2014 10:00:58 257 Public/usagers Karine Aillerie Relatif au cadre de pensée émetteur/récepteur, à la primauté du groupe désigné, le terme de « public » est d’acceptation antérieure à celui d’ « usagers », qui pose pour sa part l’expérience individuelle et sociale des technologies de l’information et de la communication comme marqueur des enjeux actuels de la société connectée. Le terme d’« usagers » est à rapprocher de l’évolution de cadres théoriques, qui se définissent mutuellement plus qu’ils ne se succèdent. Dans les années 1970-1980 prévaut l’orientation système et la focalisation sur l’optimisation des dispositifs de traitement et d’accès à l’information, l’adéquation entre indexation et requête. Émerge ensuite une approche orientée usager, massivement représentée dans le paysage scientifique, qui a vu s’élargir aux besoins réels de l’individu, puis à son environnement social, le cadre d’appréhension des systèmes d’information et de communication. La réflexion s’est alors portée sur la façon dont les personnes interagissent avec les outils à leur disposition, tout d’abord afin d’améliorer ces outils, puis pour modéliser en tant que tels les comportements de recherche et de navigation. Aujourd’hui, dans la perspective des approches « expérience utilisateur », il s’agit de comprendre comment fonctionnent ces outils inséparables de l’interaction avec les personnes, c’est-à-dire non plus seulement d’adapter le dispositif au comportement et au contexte de ses usagers, mais de partir de ce comportement et de ce contexte mêmes pour concevoir de nouveaux dispositifs ou faire évoluer les systèmes existants. Il est traditionnellement fait référence aux travaux fondateurs de Michel de Certeau lorsqu’il est question d’usagers (De Certeau, 1990). Il convoque, via la métaphore du braconnage, un usager créateur de son propre usage, transformant de façon inédite les contenus culturels qu’il reçoit. Relative à la singularité, la notion d’usage devient alors multiple, exprimée selon un continuum allant de l’adoption à Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 257 18/11/2014 10:00:58 258 Diversité culturelle à l’ère du numérique l’appropriation. Selon le paradigme de l’appropriation, ce que l’usager fait réellement de et avec l’objet technique se démarque ainsi toujours d’un quelconque mode d’emploi et du projet même de l’innovation. Dès cette définition première de l’usager est perceptible une distinction fondamentale entre usage et utilisation, ainsi qu’une mise en évidence de l’hétérogénéité au principe de ces usages (distinction entre tactiques et stratégies). Cette mise en question de l’individualité et de la capacité du sujet à choisir et à orienter son action se retrouve dans les réflexions terminologiques entre usages et pratiques (Jouet, 1993). Elle colore finalement toute la sociologie des usages en France, centrée sur ce que les gens font avec les technologies et sur les processus d’appropriation individuelle et sociale de ces technologies. Ce que fait le numérique aux usagers La question des usagers, de leurs pratiques concrètes et contextualisées de consommation des contenus informationnels, culturels et médiatiques, grandit avec le déclin des technologies majoritairement orientées vers la transmission de l’information et la diffusion verticale des contenus. Avec l’entrée en scène des technologies numériques en général, de l’internet et du web en particulier, la question essentielle est celle de la surabondance de l’offre et des sollicitations, mais aussi et surtout celle des besoins et des capacités effectifs des personnes et des groupes à en tirer parti. Ce questionnement est crucial, eu égard aux problématiques renouvelées de la fracture et de la convergence numériques (Jenkins, 2006). Lorsqu’il est question de culture numérique, c’est la nature de la relation qui s’instaure entre un collectif et des contenus qui importe, et, au-delà d’une simple somme d’usages, les éléments de communauté qui permettent de l’identifier. Si nous définissons donc très simplement et dans une perspective anthropologique la culture comme rapport au monde typiquement humain, non pas opposé à la nature mais spécifique, il nous est permis de nous poser la question des rapports entre culture et culture numérique. La culture numérique, et à travers elle les usages qui sont la culture incarnée et en actes, a-t-elle une existence en tant que telle, ou est-elle soluble dans les définitions préalables de la culture ? La numérisation des contenus et les usages afférents s’enchâssent ainsi dans les dispositifs préexistants d’externalisation de la mémoire, en même temps qu’ils obligent à en repenser les modalités et les enjeux. « […] Il existe une culture propre à la Toile, qui se construit par un processus de distribution où tous les acteurs ont un rôle à Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 258 18/11/2014 10:00:58 Public/usagers 259 jouer, ne serait-ce que par les choix et les tris auxquels ils procèdent entre toutes les sources d’information disponibles, contribuant à une circulation créative continue d’informations et de savoirs dont aucun individu ou aucune institution n’a l’initiative […] » (UNESCO, 2005). Ce qui apparaît ici au cœur de cette circonscription de la culture numérique, comprise comme culture en tant que telle, ce n’est pas seulement le processus de numérisation qui la fonde mais la place centrale qui y est effectivement attribuée à l’usager, acteur social. Si la culture est l’expression d’une certaine vision du monde, un « être au monde » proprement humain et qui en tant que tel se décline au cours des époques et au gré des localisations, elle est basée sur un ensemble de connaissances et de valeurs, elle est en tant que telle repérable et structurée, transmissible. Ainsi les usages liés à la numérisation peuvent-ils être connus comme tels : contribuant à opérer des choix, ils engagent l’« intelligence de l’usager » (Merzeau, 2010). Cela doit être mis en résonance avec la diffusion de l’internet dans tous les secteurs de la vie et de la massification des usages quotidiens tendant à l’individualité et à l’hypermobilité. Inséparable de la délimitation de l’usager numérique, paraît la question du contexte des usages, contextes de plus en plus diffus (e. g. entre sphères intime et privéepublique sur les réseaux sociaux). Entre public et usagers, la délimitation des termes, et surtout des enjeux qu’ils portent, est plus que jamais à l’ordre du jour au travers de la question du choix et du bénéfice réels de l’usage. En effet, les études pointent la diversité et surtout l’hétérogénéité des situations. Dans le champ des pratiques culturelles en France, par exemple, les pratiques numériques sont décrites dans une logique de cumul comme allant de pair avec un investissement culturel à la fois plus prononcé et plus diversifié. Cette perspective prolonge les profils éclectiques de l’omnivorité et de la dissonance. L’usager fait ainsi face à l’exigence accrue d’une certaine acuité attentionnelle. Il ne s’agit plus seulement de savoir repérer à quels contenus, marqueurs d’une certaine légitimité sociale, adhérer, mais prime cette capacité prise pour elle-même à capter des contenus et à les désigner comme intéressants ou pertinents, à les partager et à les produire. Or produire et diffuser un contenu engage l’aptitude à le caractériser (e. g. sa description au moyen d’étiquettes [tags]), à envisager des modalités de gestion et de diffusion (e. g. droits d’utilisation). L’enjeu majeur de cette délimitation du terme d’usager, du point de vue des individus comme des sociétés, s’énonce en termes de capacités translittéraciques à accéder aux contenus, à les valider ainsi qu’à les produire et à les distribuer. Il y va de la capacité de l’usager à agir en tant que sujet et citoyen. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 259 18/11/2014 10:00:58 260 Diversité culturelle à l’ère du numérique Usagers numériques et diversité culturelle La numérisation des contenus et leur mise en circulation sur les réseaux impactent l’organisation structurelle des modalités de production/réception des contenus et renouvellent l’appréhension des processus culturels et d’émancipation. Dans le prolongement des réflexions portées sur les technologies intellectuelles, les penseurs de l’internet ont largement soupesé les potentialités d’échange et de mutualisation, le renouveau d’un possible « vivre ensemble ». De façon schématique, deux visions se sont longuement opposées : la communion fusionnelle du « village global » (Lévy, 1997) et la mise en garde pointant écarts et inégalités accrus (Wolton, 2003). À l’heure où les usages quotidiens s’affichent à coup de chiffres vertigineux et d’arguments infographiques, cette capacité des individus comme des groupes sociaux à disposer d’eux-mêmes, en toute connaissance de cause, rejoint la notion polysémique anglaise d’empowerment, souvent traduite par le terme de « capacitation », et désignant à la fois le pouvoir d’agir (un état) et le cheminement pour atteindre cette autonomie (un processus) (Bacqué et Biewener, 2013). La distinction opérée par de Certeau entre tactiques et stratégies se pose ainsi pour les acteurs individuels comme pour les sociétés, et s’illustre par une fracture numérique de deuxième niveau : au-delà des problématiques d’accès aux dispositifs, les capacités réelles des individus et des groupes à tirer parti de cet accès. C’est bien la possibilité d’exprimer, de transmettre, de renouveler son identité, et donc de nourrir une certaine diversité culturelle, qui est en jeu. Cette capacité à consulter des contenus mais aussi à en créer rejoint la thématique plus globale d’« innovation ascendante », émanant du contexte précis de l’usager et d’un besoin le plus souvent très personnel (Von Hippel, 2005). Le phénomène de désintermédiation souvent associé aux technologies numériques présente ainsi un potentiel certain pour ces innovations par l’usage et pour le rôle réaffirmé des acteurs individuels et des communautés, l’internet lui-même devant beaucoup à l’inventivité de ses contributeurs. Mais l’innovation ascendante n’est ni totalement spontanée ni dénuée de toute préoccupation de gouvernance : dès lors faut-il vouloir et savoirfaire pour participer au développement d’un logiciel libre ou d’une encyclopédie collaborative, pour citer deux exemples emblématiques. Cela ne doit effectivement pas occulter la nécessité d’une formation et d’un apprentissage au principe de cette capacité à s’exprimer et à prendre part à la conversation mondiale. C’est en ce sens que l’innovation par l’usage ne se substitue pas au modèle vertical de développement culturel mais renouvelle profondément l’appellation de culture. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 260 18/11/2014 10:00:58 Public/usagers 261 Termes liés : agrégation, curation, édition, innovation, jeu, libre, littératie, médiation numérique du patrimoine, Net Art, pratiques, propriété intellectuelle, remix, réseaux sociaux, virtuel Références Marie-Hélène Bacqué, Carole Biewener, L’Empowerment, une pratique émancipatrice, Paris, La Découverte, 2013. Michel de Certeau, L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1990. Henry Jenkins, Convergence Culture : Where Old and New Media Collide, New York University Press, 2006. Josiane Jouet, « Pratiques de communication et figures de la médiation », Réseaux, no 60, 1993. Pierre Lévy, Cyberculture. Rapport au Conseil de l’Europe dans le cadre du projet « Nouvelles Technologies : coopération culturelle et communication », Paris, Odile Jacob, Éditions du Conseil de l’Europe, 1997. Louise Merzeau, « L’intelligence de l’usager », in L’Usager numérique, Lisette Calderan, Bernard Hidoine, Jacques Millet, séminaire INRIA, 27 septembre1er octobre 2010, Anglet. Paris, Éditions de l’ADBS, 2010. UNESCO, Vers les sociétés du savoir. Rapport mondial de l’UNESCO, Paris, Éditions de l’UNESCO, 2005 ; lire en ligne http://unesdoc.unesco.org/ images/0014/001419/141907f.pdf. Éric von Hippel, Democratizing Innovation, Cambridge, Massachusetts, MIT Press, 2005. Dominique Wolton, L’Autre Mondialisation, Paris, Flammarion, 2003. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 261 18/11/2014 10:00:58 262 Régulation de l’internet Françoise Massit-Folléa L’épreuve de la complexité Malgré la Déclaration d’indépendance du cyberespace, lancée de manière provocatrice au Forum économique mondial de Davos, en 1996, le monde numérique apparaît de plus en plus imbriqué dans le monde réel. En effet, alors que l’internet a été conçu et d’abord utilisé par une poignée de laboratoires informatiques publics et privés, principalement aux États-Unis, il irrigue désormais toutes les activités humaines, il est accessible sur des supports multiples, il s’apprête à rendre intelligents la plupart des objets qui nous environnent. Et cela en tout point du globe : pour près de 2,5 milliards d’utilisateurs à la fin de 2012, la part des pays en développement est passée de 44 % en 2006 à 62 % en 2011 (source UIT). Mais cela ne signifie pas que le réseau de réseaux a engendré un « monde plat » : la diversité des cultures et celle des législations nationales, les inégalités dans l’accès aux équipements et à la connaissance, la centralisation du management des « ressources critiques » (adresses IP et noms de domaine) au profit du gouvernement et des entreprises étatsuniennes, tout cela pose la question d’une régulation de l’internet qui aille dans le sens d’une communication égalitaire et fertile pour tous. Le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) a posé les principes généraux d’une « gouvernance de l’internet » démocratique, mais il n’a pas modifié le statu quo, faute peut-être de distinguer ce qui relève de la régulation d’un système technique en perpétuelle évolution, d’un nouveau support des échanges économiques, culturels et sociaux, et d’un véhicule de nouvelles relations politiques. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 262 18/11/2014 10:00:58 Régulation de l’internet 263 Le passage à l’échelle, inédit par sa rapidité et son ampleur dans l’histoire des moyens de communication, s’est accompli sans modification substantielle des bases techniques de fonctionnement du réseau de réseaux. Si bien que, au fur et à mesure de son expansion, ont pu perdurer les valeurs de libre initiative, de méritocratie technique et de relations entre pairs qui inspiraient le comportement des pionniers, imprégnés de la contre-culture californienne des années 1960-1970 (Massit-Folléa, 2012). On retrouve ces valeurs chez les développeurs de logiciel libre et dans les initiatives de « science ouverte » (open science) (dont les premiers bénéficiaires peuvent être les pays les moins avancés, où les universités ont un accès limité aux publications scientifiques), dans les innovations du financement coopératif en ligne, de la consommation collaborative et des monnaies virtuelles, qui visent à transformer les règles inéquitables du jeu économique et financier, ou dans la mise à disposition par les « allumés » (geeks) du Nord de solutions techniques permettant de contourner la censure en terres de conflits. Mais elles sont aussi revendiquées par les pirates et autres Anonymous pour déstabiliser les puissances établies, voire dans les pratiques décomplexées de téléchargement gratuit de produits culturels, particulièrement chez les adolescents. C’est une source de conflits avec beaucoup des lois et des règlements qui gèrent les sociétés humaines, à quoi il faut ajouter la persistance des inégalités matérielles et culturelles. Il y a là une ambiguïté fondamentale de l’internet, qui apparaît à la fois perturbateur, révélateur et producteur de règles (Delmas-Marty, 2012). L’internet perturbateur de règles Une première cause de perturbation provient des divergences entre les Constitutions et les législations des différents pays : par exemple, dans le cas des procès intentés contre les entreprises Yahoo ! en 2000 et Twitter en 2012 par des associations françaises militant contre le racisme et l’antisémitisme, le droit à la liberté d’expression garanti aux États-Unis par le premier amendement de la Constitution se heurte aux dispositions du droit français de lutte contre les discriminations. Deuxième exemple, concernant la protection des données hébergées dans le nuage (cloud) : le Parlement européen est encouragé à rouvrir les négociations avec les États-Unis pour faire reconnaître par les tribunaux américains le droit à la vie privée dans son acception européenne. Un autre champ de perturbation concerne les droits de propriété intellectuelle, qui n’ont pas partout le même périmètre : le fondateur Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 263 18/11/2014 10:00:58 264 Diversité culturelle à l’ère du numérique de Megaupload (plateforme de téléchargement basée à Hong Kong qui aurait rassemblé jusqu’à 50 millions d’utilisateurs dans le monde) a été accusé d’avoir violé les lois sur le copyright et arrêté en Nouvelle-Zélande par le FBI (Federal Bureau of Investigation), avant de relancer une nouvelle plateforme – un an après exactement ! Cette décision drastique n’a pas fait l’unanimité, loin de là : la commissaire européenne chargée des Nouvelles Technologies a par exemple estimé que « la réglementation sur l’internet doit être efficace, proportionnée et préserver les bénéfices d’un réseau ouvert ». Enfin on peut évoquer la régulation traditionnelle des médias audiovisuels, emplie d’incertitudes quant à son champ d’action et à la spécificité de ses instances à l’heure de la convergence numérique. L’internet révélateur de règles Il est ici question des règles de droit et de celles du marché. Rappelons comment des secrets d’État ont été révélés, au nom d’un idéal de transparence absolue, par l’initiative WikiLeaks, aux dépens de la sécurité des agents secrets et des diplomates concernés. Il y a plus grave encore, à l’heure de la cyber-criminalité touchant des entreprises ou des particuliers et de la cyber-guerre entre États : la surveillance généralisée se dote d’instruments de plus en plus performants, les services de police se spécialisent, les coopérations internationales se multiplient. Ce retour de l’État dans sa mission régalienne engendre des mobilisations nombreuses, numériques et physiques, pour défendre la liberté d’expression ou la vie privée, qui sont des droits garantis par la plupart des Constitutions. Il révèle a contrario son impuissance à élaborer des législations soutenables dans la durée, vu la rapidité des évolutions technologiques, et dans l’espace, vu les différences de culture et d’intérêts géopolitiques. Hormis dans les pays les plus autocratiques, c’est le marché qui a l’initiative, au nom de la liberté d’entreprendre et des services rendus aux internautes. La capture des comportements et des identités par les plateformes des géants du net (Google, Apple, Facebook, Amazon…) et les exemptions fiscales qu’ils s’arrogent sont désormais mieux connues. Mais l’échec de la dernière conférence mondiale de l’Union internationale des télécommunications (UIT) sur la régulation des communications électroniques montre que l’institution onusienne n’a pas trouvé les voies ni les moyens d’un nouvel accord multilatéral : ce fut une caricature de débat, portée par le lobby nord-américain associant gouvernement, entreprises et certaines ONG, qui dénonçait « les Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 264 18/11/2014 10:00:58 Régulation de l’internet 265 États désireux de prendre le contrôle de l’internet ». Ironie de l’histoire : le scandale du programme PRISM (révélation de la surveillance généralisée des télécommunications par la National Security Agency des États-Unis) éclata peu après. L’internet producteur de règles Pourtant l’internet est largement considéré comme un moyen privilégié d’accès à la connaissance et d’émancipation, comme un facteur essentiel pour la croissance et l’emploi : même dans les pays les moins avancés, nombre d’innovations en matière de santé, de commerce ou d’éducation, reposent sur des applications (principalement mobiles) originales qui trouvent peu à peu leurs marques. Parallèlement, plusieurs exemples sont à mettre en valeur dans la construction d’une régulation plus équilibrée. Le premier concerne un élément essentiel de l’architecture du réseau, les noms de domaine : l’accord signé en 2009 entre l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) et l’UNESCO encourage la création de noms de domaine internationaux, outil de promotion de la diversité linguistique. Le deuxième provient de l’expérience inédite de l’encyclopédie en ligne Wikipédia : d’une part, elle constitue un énorme appel d’air pour la production et la circulation des savoirs, avec, en janvier 2013, 285 versions localisées par langues ; d’autre part, elle est gérée par des bénévoles selon des modalités de plus en plus fines qui dessinent au fil du temps une forme originale de démocratie volontaire (Cardon, 2012). Un troisième réside dans la dynamique de l’ouverture des données (open data), issue des mouvements du logiciel libre et de la science ouverte (open science), dynamique développée désormais par de nombreux gouvernements, au nom d’une meilleure information des citoyens, prélude à leur plus grande implication dans la vie publique démocratique. Il est donc utile de considérer avec un peu plus d’attention les bénéfices en termes de régulation que peut apporter la consolidation du lien entre les pratiques diversifiées de l’internet et les principes fondamentaux des droits humains. Cela suppose d’assumer le fait que la loi n’est pas le seul instrument possible pour réguler les conduites. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 265 18/11/2014 10:00:58 266 Diversité culturelle à l’ère du numérique La recherche d’une cohérence Comme le rappelaient les auteurs de Net. lang (réseau Maaya, 2012), « l’internet n’est pas neutre culturellement. Ses formats, sa façon de représenter la réalité, sa topographie, sa gouvernance, ses protocoles et normes, etc., restent encore liés au milieu anglophone où il est né ». Question de standards, de normes techniques, mais aussi question éminemment politique : l’internet symbolise les atouts et les pièges de la mondialisation. Assurer la diversité culturelle suppose de réguler le secteur de manière pragmatique et, plus encore, de soutenir les producteurs de contenus du monde entier. On peut aussi réfléchir à la construction de plateformes de diffusion dont l’avantage concurrentiel résiderait dans l’ouverture et l’interopérabilité, pour multiplier les voies d’accès aux contenus plurilingues de l’internet, à rebours des nouveaux monopoles. Pour réguler l’internet dans l’intérêt général des peuples sans compromettre son développement, l’effort en termes d’éducation (y compris l’éducation au numérique), d’une part, de responsabilisation des acteurs, d’autre part, est un double impératif qui permettra d’associer l’ensemble des parties prenantes à sa gouvernance. L’adossement aux droits universels fournit un horizon, en même temps qu’un gardefou, pour tenter d’harmoniser les multiples objets et les instances de sa régulation, en dépit des intérêts contradictoires qui s’y expriment. C’est à ces conditions que l’internet méritera vraiment le titre de « nouvel espace public ». Termes liés : biens communs, codes, données personnelles, libre, littératie, neutralité du net, normes, piratage, propriété intellectuelle, vie privée/données personnelles Références Dominique Cardon, « Discipline, But Not Punish : The Governance of Wikipedia », in Normative Experience in Internet Politics, Massit-Folléa, Méadel et Monnoyer-Smith, Paris, Presse des Mines, 2012, pp. 209-232. Mireille Delmas-Marty, « Foreword », in Normative Experience in Internet Politics, op. cit. Réseau Maaya, Net. lang. Réussir le cyberespace multilingue, C & F Éditions, 2012. Françoise Massit-Folléa, « Gouvernance de l’internet : une internationalisation inachevée », Le Temps des médias, printemps 2012, no 18. Françoise Massit-Folléa, Clément Mabi, « La gouvernance des biens communs. Du climat à internet, premières leçons d’une comparaison », Communication, vol. 31/2 | 2013. Françoise Massit-Folléa, « La régulation de l’internet : fictions et frictions », in Les Débats du numérique, Maryse Carmes, Jean-Max Noyer (dir.), Paris, Presses des Mines, coll. « Territoires numériques », 2013, chap. 1, pp. 17-45. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 266 18/11/2014 10:00:58 267 Remix Laurence Allard Dans le contexte sociétal contemporain de l’« individualisme expressif », l’internet peut être considéré comme un espace réflexif d’exploration de son identité personnelle et sociale, à travers des expressions de soi supposant à la fois de s’autoformuler et de donner forme suivant les termes de Charles Taylor. L’internet peut ainsi être défini, suivant Michel Foucault, comme une « technologie du soi ». Le remix ordinaire ou la prose du web Mais nul ne s’exprime dans le vide. Sur l’internet, on s’exprime et on interagit à travers des contenus venus d’autrui – amis famille ou sites de confiance – que l’on a fait siens, que l’on s’approprie symboliquement en les partageant, en les retweetant ou en les commentant. Les internautes s’approprient ces contenus par différents procédés plus ou moins standardisés, comme le like de Facebook, sans la plupart du temps les transformer matériellement. Par conséquent, si les conversations digitales sont constituées de contenus préexistants appropriés selon différents procédés plus ou moins standardisés, le web est tramé dans une remixabilité profonde, devenue, selon Lev Manovich, théoricien des nouveaux médias, le principe même de construction de l’univers des médias digitaux : « La remixabilité profonde ne concerne plus seulement les professionnels mais également les amateurs, qui n’ont pas seulement en mains les moyens de production de leurs propres contenus mais ont également accès aux contenus des professionnels, dans la mainstream database que représente l’internet. » En bref, chaque internaute s’exprime par remix de contenus sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 267 18/11/2014 10:00:58 268 Diversité culturelle à l’ère du numérique Poïétiques du copier-coller La remixabilité est à l’œuvre dans les pratiques d’expression et conversationnelles digitales. Il peut s’agir, d’une part, d’une poïétique ordinaire du copier-coller comme on peut l’observer lors de la confection des blogs mixant des photos de petits chats, des codes permettant de lire des clips vidéos (codes embed), des commentaires d’amis. Mais il existe, d’autre part, des pratiques d’appropriations transformatives de contenus. On peut mentionner le genre Poop qui consiste en un tronçonnage d’émissions de télévision, de dessins animés ou de jeux vidéo (Super Mario, Zelda, Tintin) mixés en petites unités montées. Il existe donc des appropriations transformatives de second degré par rapport au copier-coller ordinaire, à la prose du web. Ce qui suppose différents procédés de transformations du contenu préexistant comme le retitrage, la recatégorisation, la resonorisation, le recadrage, le remontage, le remixage de petites unités, le montagecollage (mashup) des contenus intégraux, voire la recréation. Ces appropriations transformatives font écho à la politique du montage de Dziga Vertov reprise par les situationnistes : il s’agit de produire un discours par le montage dépassant le sens interne de chaque image. Aux origines du remix : détournement filmique situationniste et cultural jamming Remixer des contenus préexistants vise à s’exprimer et notamment à dire son opinion, comme c’est le cas avec de nombreux remixes de chansons populaires ou de séquences de films sur l’internet. Ce discours politique par détournement d’image s’origine dans le film La dialectique peut-elle casser des briques ? de René Viénet, en 1973, qui a proposé un redoublage intégral du film chinois Crush, de Kuangchi Tu, de 1972. Les situationnistes vont pratiquer le détournement de la culture populaire – cinéma, bande dessinée ou publicité – à des fins d’expressions politisées. Comme l’écrivent Guy-Ernest Debord et Gil J. Wolman : « Dans son ensemble, l’héritage littéraire et artistique de l’humanité doit être utilisé à des fins de propagande partisane. » Le remix d’opinions sur l’internet prend ses sources dans le détournement filmique situationniste et participe d’un ensemble plus large désigné comme le détournement ou sabotage culturel (cultural jamming). Suivant Mark Dhery dans son célèbre article de 1997, « Cultural Jamming : Hacking, Slashing and Sniping in the Empire of Signs », le terme cultural jamming a été utilisé pour la première Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 268 18/11/2014 10:00:58 Remix 269 fois aux États-Unis par " le collage band " Negativland pour décrire le sabotage des médias afin de résister à l’envahissement des flux des médias de masse. Le studio du cultural jammer est le monde entier. C’est une catégorie élastique qui recouvre une multitude de pratiques sous-culturelles : le hacking contre les géants de l’informatique, la mutilation (slashing), ou les détournements pornographiques de Star Trek publiés dans les fanzines, magazines indépendants créés par des fans, pour toutes les formes de brouillage de la consommation de masse. Les piratages radios et télévisés, la contre-surveillance vidéo, les détournements publicitaires sont les modes opératoires du cultural jamming. Sous le remix, la cause du droit d’auteur Negativland plaide pour le droit de citation, « comme l’a montré Duchamp, l’acte de sélectionner peut être une forme d’inspiration aussi originale et significative que n’importe quelle autre ». Dans le contexte de l’individualisme expressif et d’une réversibilité des rôles culturels à l’œuvre dans la culture de la participation (participatory culture), se pose la question de la légitimité socioculturelle et du caractère juridiquement loyal de ces pratiques digitales transformatives. Car elles nourrissent le modèle d’affaires du Web 2.0 dit « de production collaborative » (crowdsourcing), c’est-à-dire l’alimentation du web en contenus par les internautes eux-mêmes. À travers les différents procédés de la « conversation digitale » (« liker », partager, commenter) et des pratiques transformatives de remix, collage-montage et autres détournements parodiques, les contenus du web sont diffusés, promus et popularisés gracieusement par les expressions et les interactions des internautes. Plaidoyer pour un usage loyal par et pour les publics Il existe une notion plaidable d’usage loyal, dite fair use, pour ces pratiques expressives de remix. Le fair use concerne les usages transformatifs qui servent un propos et dont la nature supplétive enrichit le matériel utilisé (Copyright Act, 1976, articles 108-122). Depuis juillet 2010, aux États-Unis, le fair use est reconnu pour les remixeurs et les créateurs amateurs qui utilisent des extraits de DVD pour confectionner de nouveaux travaux non commerciaux dans Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 269 18/11/2014 10:00:58 270 Diversité culturelle à l’ère du numérique un but de critique ou de commentaire, si ce procédé est nécessaire à leur propos. Il semble donc juste de plaider pour un usage loyal par et pour les publics dans le monde, comme certaines politiques culturelles nationales s’y attèlent. Termes liés : communication, imaginaire, industries créatives, Net Art, œuvre, médiation numérique du patrimoine, piratage, pratiques, propriété intellectuelle, transmédiation Références Laurence Allard, « Express Yourself 2.0 ! », extrait de Penser les médiacultures. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde, Éric Macé, Éric Maigret (dir.), Paris, Armand Colin, coll. « Médiacultures », 2005, pp. 145-172. Olivier Blondeau, Florent Latrive (dir.), Libres Enfants du savoir numérique, éd.. L’Éclat, 2000. Guy-Ernest Debord et Gil J. Wolman, « Mode d’emploi du détournement », Les Lèvres nues, no 8, mai 1956. Mark Dhery, Culture Jamming : Hacking, Slashing and Sniping in the Empire of Signs in Open Magazine Pamphlet Series, 1997, Open Media Editions, 1993 ; lire en ligne http://markdery.com/?page_id=154, dernière consultation le 1er juin 2014. Michel Foucault, « Subjectivité et vérité », in Dits et Écrits 1981, Paris, Gallimard, 2001. Jeff Howe, « The Rise of Crowdsourcing », 14 juin 2006, lire en ligne http://www.wired. com/wired/archive/14.06/crowds.html, dernière consultation le 1er juin 2014. Henry Jenkins, « Convergence Culture », NYUP, New York, 2006, tr. fr. de l’introduction in « 2.0 ? Culture numérique, cultures expressives », MédiaMorphoses, no 21, INA-Armand Colin, 2007. Lev Manovich, « Software Takes Commands », 2008, lire en ligne http://issuu.com/ bloomsburypublishing/docs/9781623566722_web, dernière consultation le 1er juin 2014. Charles Taylor, Aux sources du moi. La formation de l’identité moderne, Paris, Le Seuil, 1999. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 270 18/11/2014 10:00:58 271 Réseaux sociaux Alexandre Coutant Des réseaux sociaux aux réseaux socionumériques Clyde Mitchell définit les réseaux sociaux comme « un ensemble particulier d’interrelations entre un ensemble limité de personnes avec la propriété supplémentaire que les caractéristiques de ces interrelations, considérées comme une totalité, peuvent être utilisées pour interpréter le comportement social des personnes impliquées ». Il s’agit d’un courant sociologique qui considère que l’acteur peut être compris moins par ses caractéristiques individuelles (revenu, âge, sexe, lieu de résidence, etc.) que par son insertion dans des cercles sociaux. Ce courant remonte théoriquement aux travaux de Georg Simmel à la fin du xixe siècle. Il ne connaîtra un véritable essor qu’avec la mise au point de méthodes de construction et de représentation de ces réseaux, dont les premiers outils ont été proposés par Jacob Moreno au début des années 1930. Son étude, menée dans un internat pour jeunes filles, constitue un exemple classique et simple de l’intérêt de l’approche : en interrogeant les jeunes filles sur leurs amitiés et leurs inimitiés, Moreno a reconstruit le réseau de sociabilité de ces dernières au-delà de leur affectation en classe ou en dortoir. Il a ainsi notamment pu expliquer les phénomènes de diffusion lors de fugues. Son emploi à propos de l’internet a explosé pendant la première décennie des années 2000. Plusieurs plateformes relevant des médias sociaux, la première recensée étant SixDegrees, se sont elles-mêmes définies comme des réseaux sociaux. Leur popularité a abouti à ce que le terme soit employé pour qualifier toutes les plateformes relevant du Web 2.0. Ce rapprochement reposerait sur l’idée que les réseaux de relations nouées sur ces sites, souvent appelés graphes sociaux, pour- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 271 18/11/2014 10:00:58 272 Diversité culturelle à l’ère du numérique raient être exploités de manière à prédire les actions d’un utilisateur ou à lui suggérer des contenus et des activités qu’il sera susceptible d’apprécier. Par exemple, la plateforme pourrait suggérer un film car les personnes avec lesquelles je suis en relation sur cette dernière sont allées le voir. Cet engouement ne va pas sans poser des problèmes de compréhension, bien visibles à travers la multiplicité des termes proposés par la recherche académique : réseaux sociaux, sites de réseaux sociaux, réseaux sociaux de l’internet, réseaux sociaux numériques, réseaux socionumériques. Le premier problème concerne l’application des théories des réseaux sociaux à ces sites. Les enquêtes reposent effectivement sur de très fortes exigences méthodologiques. Premièrement, il est nécessaire de connaître la finalité du réseau analysé : par exemple en étudiant les relations ou l’absence de relations au sein d’une entreprise pour vérifier que son organisation fonctionne. De plus, le réseau étudié doit pouvoir être circonscrit : dans l’exemple précédent, nous pourrons choisir de ne retenir comme membres du réseau que les employés ou bien l’élargir aux partenaires de l’entreprise, mais dans tous les cas il sera possible de constituer un réseau fini. Enfin, il est nécessaire de connaître les formes de liens noués au sein du réseau pour analyser ce dernier : toujours dans notre entreprise, l’absence de contacts entre le service de la recherche et le service de l’innovation n’est interprétable comme un problème organisationnel que dans la mesure où nous avons une conception des liens devant unir ces deux services dans une organisation. Cela n’interdit pas d’envisager l’emploi de ces méthodes mais nécessite, pour chaque plateforme, de vérifier qu’il est possible d’accéder à ces exigences. On constate alors que le cas n’est pas si fréquent. Qui pourrait définir précisément la forme de relation qu’entretiennent deux « amis » sur Facebook ? Le deuxième problème consiste dans l’application indifférenciée du terme à tous les sites récents peuplant le web. Ces derniers constituent pourtant un écosystème hétéroclite, composé de plateformes aux usages très différenciés, soulevant des enjeux radicalement différents. Le succès du terme a alors pour effet de masquer la diversité des collectifs retrouvés sur l’internet. En effet, quelle similarité entre la mise en visibilité de sociabilités quotidiennes sur une page personnelle de Facebook, la participation à la constitution d’un savoir collectif ou sa consultation sur Wikipédia, la valorisation de son profil professionnel sur Viadéo ou la promotion d’une carrière, d’amateur ou de professionnel, d’un groupe de musique sur une page collective Myspace ? Rassembler ces dispositifs si différents au sein d’une même appellation génère davantage de confusion que de clarification. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 272 18/11/2014 10:00:58 Réseaux sociaux 273 Détaillons les enjeux associés à une définition précise des réseaux socionumériques, qui distingue ces plateformes par des caractéristiques formelles : possibilité de construire un profil public ou semi-public au sein d’un système, de gérer une liste des utilisateurs avec lesquels ils partagent un lien, de voir et de naviguer sur leur liste de liens et sur ceux établis par les autres au sein du système (mis en lumière par Danah Boyd et Nicole Ellison), mais aussi par des caractéristiques d’usage : les activités menées sur ces plateformes relèvent essentiellement de la sociabilité ordinaire et mettent en valeur l’exposition de soi dans son quotidien (Stenger et Coutant, 2011, p. 13). Facebook constitue aujourd’hui le principal représentant de cette catégorie, bien qu’il existe d’autres sites comme Skyrock, Renren, Netlog, Qzone, Hi5… Insistons à nouveau sur ce point : définis précisément, ces sites s’éloignent fortement d’autres plateformes qui leur sont pourtant fréquemment associées dans les discours d’accompagnement de l’internet. Twitter, Linkedin… ont ainsi peu à voir en matière de caractéristiques des usagers, de formes d’activités collectives, d’enjeux socioculturels et politiques avec cette forme particulière de dispositif sociotechnique. Les enjeux d’un monde d’interconnexion Ces sites prolongent plusieurs enjeux majeurs pour la diversité culturelle. Le premier consiste dans la tension entre une appropriation locale de ces plateformes, aboutissant à des emplois plus ou moins narcissiques, badins, solidaires selon les pays, et le modèle économique les soustendant, tendant à imposer un unique modèle relationnel fondé sur le ménagement mutuel, afin que chacun se sente libre de participer, mais qui encourage une culture du consensus et de la superficialité des échanges. Il n’est pas anodin que l’on nous propose d’aimer un contenu, mais pas de ne pas l’aimer. L’exploitation du graphe social constitué sur un site suppose effectivement une participation soutenue de tous. Les situations conflictuelles ou controversées risqueraient de limiter celle-ci. Les échanges sont donc orientés vers le quotidien, et non vers des questions plus politiques ou sociales. Cela ne constitue pas un problème en soi. Le problème tient davantage au fait que les statistiques d’usage soulignent que ces sites occupent une grande partie du temps passé en ligne. En revanche, les différents exemples de manifestations politiques, ces dernières années, à travers la planète ont démontré leur rôle de Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 273 18/11/2014 10:00:58 274 Diversité culturelle à l’ère du numérique chambre d’écho. Si les actions n’ont pas lieu sur ces espaces, elles sont en revanche beaucoup diffusées par leur biais. Si l’engagement est peu encouragé à la fois par les plateformes elles-mêmes et par les activités menées par les usagers, le recrutement de personnes pour les entraîner vers d’autres espaces plus propices à ce dernier, en ligne ou hors ligne, se révèle bien plus efficace. Les réseaux socionumériques, par leur accessibilité et une certaine forme d’addiction générée par le renouvellement permanent des flux d’informations qui circulent, vampirisent, en partie, nos différents temps d’activité, notamment ceux consacrés à nous informer, ou les temps passés hors ligne avec les autres cercles sociaux auxquels nous appartenons (famille, école…). Les usagers ne sont cependant pas démunis face à ce potentiel addictif et apprennent plus ou moins facilement à gérer leurs différents temps de présence connectée. Le rôle des éducateurs, et plus largement de toutes les formes de médiateurs, s’avère ici essentiel pour aider les individus à faire de ces outils des supports d’individuation et non d’aliénation. Cet enjeu est amplifié par la forme particulière d’activité hébergée sur les réseaux socionumériques. Les personnes les fréquentant davantage pour le plaisir de retrouver leurs contacts que pour une activité particulière, elles auront tendance à ne soigner qu’un seul profil. La position d’un acteur comme Facebook se trouve alors favorisée par effet de club : son attractivité grandit au fur et à mesure que ses utilisateurs se multiplient. C’est ainsi que le site règne désormais sur la catégorie des réseaux socionumériques, au point où nombre de ses concurrents ont dû fermer ou se repositionner. La diversité des formes de sociabilité ordinaire que pourraient incarner différents sites se trouve résumée au modèle de Facebook. Un second enjeu a trait aux contenus mis en visibilité. Bien que chacun se voie offrir un espace d’expression, la course à la popularité encourage à sélectionner les contenus partagés. Ces derniers sont préférentiellement ceux qui ont déjà atteint ou ont le plus de chance d’atteindre une certaine popularité. Les contenus partagés demeurent diversifiés, mais la répartition de la visibilité est très inégale : les bénéficiaires des phénomènes viraux s’avèrent majoritairement les contenus issus des grandes industries culturelles. Un troisième enjeu relève de la forme de réseau social constituée. Les réseaux socionumériques sont effectivement très ancrés géographiquement. Chacun cherche à reconstruire un réseau varié de sociabilités hors ligne : notre collège ou lycée, nos amis actuels et passés, nos associations ou clubs de loisirs… Très rares sont les rencontres de parfaits inconnus. Les réseaux socionumériques encouragent à retrouver des personnes connues hors ligne. Or la sociologie a dé- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 274 18/11/2014 10:00:59 Réseaux sociaux 275 montré que nous fréquentons essentiellement des individus aux caractéristiques socioculturelles proches. Cette forme de réseau social ne constitue pas non plus un problème en soi, et ne le devient que si sa fréquentation trop régulière finit par nous détourner d’autres espaces regroupant des personnes aux origines socioculturelles plus diversifiées. Permanence et renouvellement des problématiques sociales Les réseaux socionumériques donnent une visibilité inédite à un invariant anthropologique : la place centrale des sociabilités ordinaires dans nos quotidiens. Essentiellement destinées à conserver et à entretenir le lien avec notre entourage, à l’instar des traditionnelles conversations sur la météo, elles constituent une constante dans les usages se développant aux quatre coins du monde. En revanche, les formes que prennent ces activités phatiques se révèlent très diversifiées d’une culture à l’autre : mise en avant plus ou moins assumée de soi, types de photographies partagées, formes d’activités collectives davantage orientées vers le jeu, le regroupement sur des groupes puis pages, des applications tierces ou des invitations de pairs, etc. Les réseaux socionumériques participent d’un constat d’homophilie établi plus généralement dans la société, mais ils ne l’ont pas créé. Ils ont rendu plus visibles des sociabilités ordinaires préexistantes, mais ont aussi élargi les contextes dans lesquels nous pouvons y avoir accès. L’enjeu majeur est donc temporel. Il consiste à apprendre à arbitrer entre les temps consacrés à nos différentes sociabilités, autrefois séparées physiquement, et à apprendre à demeurer attentif à l’altérité, face à la tentation que représentent ces sites de se conforter dans le même. Termes liés : communication, diaspora, e-réputation, langues, mobile-téléphone portable public/usagers, territoires, vie privée/données personnelles, virtuel Références Danah Boyd, Nicole Ellison, « Social Network Sites : Definition, History, and Scholarship », Journal of Computer-Mediated Communication, 2013, 1 ; lire en ligne http://jcmc.indiana.edu/vol13/issue1/boyd.ellison.html. Dominique Cardon (dir.), « Réseaux sociaux de l’internet », in Réseaux, 2008, vol. 6, no 152. Antonio Casilli, Les Liaisons numériques, Paris, Le Seuil, 2010. Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2011. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 275 18/11/2014 10:00:59 276 Diversité culturelle à l’ère du numérique James Clyde Mitchell, « Social Networks », Annual Review of Anthropology, 1974, 3, pp. 279-299. Jacob Levy Moreno, Who Shall Survive ?, New York, Beacon Press, tr. fr. : Fondements de la sociométrie, Paris, Presses universitaires de France, 1954. Julien Rueff, Florence Millerand, Serge Proulx (dir.), Web social, mutation de la communication, Presses de l’Université du Québec, 2010. Georg Simmel, Sociologie. Études sur les formes de la socialisation (tr. fr. de Soziologie, 1re éd.. allemande 1908), Paris, Presses universitaires de France, coll. « Sociologies ». Thomas Stenger, Alexandre Coutant (dir.), « Ces réseaux numériques dits sociaux », Hermès, 2011, no 59. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 276 18/11/2014 10:00:59 277 Sérendipité Sylvie Catellin « Sérendipité » a une histoire singulière : issu de contes millénaires, le mot est entré dans le vocabulaire scientifique au xxe siècle et suscite de nouveaux questionnements à l’ère du numérique. Lorsqu’il crée le mot en 1754, l’écrivain anglais Horace Walpole en donne une définition ambiguë : la faculté de découvrir, par hasard et sagacité, des choses que l’on ne cherchait pas. Pour désigner cet art de la découverte, Walpole se réfère à un conte persan, dont il retient un motif particulier : trois frères, les princes de Serendip, sont capables de reconstituer l’aspect d’un animal qu’ils n’ont jamais vu en observant ses traces qui fonctionnent comme des indices. Or la reprise de ce motif n’est pas un geste isolé. D’autres écrivains, comme Voltaire dans Zadig (1748), avaient déjà repéré ce motif oriental populaire très ancien, qui s’est transmis oralement et par écrit avec plusieurs variantes, tantôt de manière autonome, tantôt enchâssé à l’intérieur d’autres fictions. Lorsqu’il arrive en Europe au xvie siècle, le motif fictionnel figure cette fois comme nouvelle-prologue d’un recueil persan où les trois frères, devenus en cours de route les princes de Serendip, poursuivent leurs aventures. Il rencontre un succès considérable et devient l’objet de nombreuses réécritures. Toutes ces fictions mettent l’accent non seulement sur la profonde sagacité de personnages capables de réintégrer des faits singuliers dans des séries causales, mais aussi sur le pouvoir que confère ce savoir. Grâce à leur sagacité, les trois princes de Serendip deviennent les conseillers de l’empereur ; grâce à sa science, Zadig devient conseiller du roi. Mais, alors que Voltaire rationalise le processus de découverte, Walpole, lui, est plutôt sensible au rôle de l’inattendu et de l’imagination. La création même du néologisme serendipity, sous sa plume, en est une illustration exemplaire. Walpole invente le mot et le définit en réfléchissant à sa propre faculté de découverte, par association d’idées, dans une séquence qui associe trois exemples liés à la découverte de liens de causalité et de filiation. Si la sagacité se situe du côté de la raison, le Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 277 18/11/2014 10:00:59 278 Diversité culturelle à l’ère du numérique hasard renvoie à cette liberté imaginative propice à l’émergence des idées incidentes, ces idées non cherchées qui révèlent le sens même de ce que l’on découvre. La sérendipité implique un dialogue entre la raison et l’imagination, entre le conscient et le non-conscient. Le pouvoir de découvrir découle de cette interaction. De la fiction à la science Alors que le mot reste enfoui pendant plus d’un siècle dans la volumineuse correspondance de son créateur, l’idée de sérendipité, elle, circule dans les textes qui ont repris le motif fictionnel sérendipien. L’histoire de Zadig est dans toutes les mémoires de ceux qui, au xixe siècle, s’intéressent à cette forme de raisonnement capable d’inférer les causes à partir des effets. Bien des écrivains s’en inspirent pour inventer les formes modernes du récit d’enquête et la figure du détective, cependant que le biologiste Thomas Huxley s’en sert pour expliquer les fondements de la paléontologie. Or, à la même époque, ce que Huxley cherche à désigner en se référant à la " méthode de Zadig ", le philosophe américain Charles Sanders Peirce le théorise en le nommant « abduction », Freud s’en sert pour reconstruire des chaînes causales par la psychanalyse et l’appelle association d’idées incidentes, tandis que les bibliophiles britanniques qui découvrent le néologisme walpolien l’appellent sérendipité. L’idée de sérendipité, à la croisée des sciences et de la littérature, s’inscrit dans les processus d’institutionnalisation de divers savoirs et pratiques mettant en œuvre l’interprétation d’indices, de la paléontologie à la médecine en passant par la sémiotique et la psychanalyse. Le mot se diffuse dans les milieux scientifiques à partir des années 1930. Walter Cannon, professeur à la faculté de médecine de Harvard, puis Robert Merton, sociologue des sciences, sont deux figures clés de ce transfert. Mais, alors que Cannon met l’accent sur les connaissances conscientes ou non conscientes du chercheur, sollicitées par des faits ou événements imprévus, Merton rattache la sérendipité au fait accidentel, à l’anomalie qui entre en contradiction avec les données établies. C’est ce qui lui vaudra une critique de Bourdieu : « À trop insister sur le rôle du hasard ou de l’accident dans la découverte scientifique, on s’expose à réveiller les représentations les plus naïves de l’invention que résume le paradigme de la pomme de Newton. » L’appréhension d’un fait inattendu suppose au moins la réceptivité à l’inattendu et la décision d’y prêter méthodiquement attention. C’est pourquoi l’expression « découverte due au hasard » ou « découverte accidentelle », qui s’est largement diffusée comme définition courante du mot, constitue un raccourci qui occulte la partie essentielle de la Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 278 18/11/2014 10:00:59 Sérendipité 279 sérendipité. Ce n’est pas la découverte qui est accidentelle, mais la rencontre du fait jugé surprenant. La découverte a lieu lorsque le fait inattendu, ou l’anomalie non anticipée, est interprété correctement. Mais, a contrario, en mettant l’accent uniquement sur les qualités ou les connaissances du chercheur, on a tendance à minimiser le rôle de l’inattendu, et donc la dimension imprévisible et non planifiable de la sérendipité. C’est ainsi que le maintien de la référence au hasard, chez des scientifiques nécessairement déterministes, peut se comprendre. Lorsque Fleming prend la parole dans les colonnes du New York Times, le 4 juillet 1949, l’importance de la sérendipité en sciences n’est plus à démontrer, ce qui est en jeu c’est la reconnaissance de la part de créativité dans la recherche et le besoin de liberté du chercheur. Dans son acception savante, la sérendipité est l’art de prêter attention à ce qui surprend et d’en imaginer une interprétation pertinente. Cette aptitude est à l’origine de découvertes scientifiques majeures, et traverse l’histoire de l’art et de la création esthétique. Se pose alors la question de savoir comment la susciter ou la mettre en pratique, quand bien même elle est imprévisible. Le web comme terrain de sérendipité et de créativité sociale Au tournant du xxie siècle, la sérendipité prend un sens nouveau avec le web et les pratiques de recherche d’information. Pour les internautes, la prise de conscience du phénomène est liée à une pratique de lecture, la navigation hypertexte. C’est la découverte de liens inattendus ou incongrus menant à l’information recherchée, ou bien celle des vertus d’une curiosité attentive permettant d’ouvrir en chemin les portes vers de précieuses trouvailles. Les premiers temps du web favorisaient de telles pratiques, qui relèvent plus de la rencontre que de la recherche d’information. Avec le développement des moteurs de recherche, la diversité et le volume croissant de l’information accessible, le web a pu devenir un opérateur de sérendipité, un dispositif sémiocognitif favorisant les interconnexions et les combinaisons inédites entre différents domaines de savoirs, incitant en retour l’usager à construire des stratégies exploratoires et abductives. Avec les moteurs de deuxième génération privilégiant les pages les plus fréquemment citées et l’intrusion des logiques commerciales, de nouvelles formes de canalisation de l’attention et d’emprise se sont déployées sur le web. Étant donné l’engouement des internautes Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 279 18/11/2014 10:00:59 280 Diversité culturelle à l’ère du numérique pour la sérendipité, la notion a été l’objet d’une instrumentalisation par les moteurs et les réseaux sociaux, aboutissant en fin de compte non seulement à une supercherie, mais entretenant aussi l’idée qu’un transfert de la compétence interprétative de l’être humain à l’outil automatisé est possible. Or la sérendipité n’est pas plus programmable que planifiable, tout simplement parce qu’elle procède de l’interaction entre un fait ou une observation inattendue et son interprétation, et qu’elle relève du rapport singulier et réflexif que l’individu entretient avec la connaissance. Favoriser les formes d’utilisation créative de l’information, non pas trouvée par hasard mais découverte parce qu’ayant été mise en relation et interprétée, passe par l’accès libre aux ressources documentaires, par le développement d’outils et d’environnements augmentés et partagés, qui stimulent les approches individuelles et collectives de la sérendipité ainsi que les stratégies autonomes de recherche et de découverte capables de croiser librement les savoirs. Termes liés : algorithme, connaissance, connexion, documentation, fracture numérique, imaginaire, littératie numérique, territoires Références Pek van Andel, Danièle Bourcier, De la sérendipité dans la science, la technique, l’art et le droit. Leçons de l’inattendu, Chambéry, L’Act Mem, 2009. Paul André, Jaime Teevan, Susan T. Dumais, « Discovery is Never by Chance : Designing for (Un) Serendipity », Comptes rendus de la 7th Conference on Creativity and Cognition, Berkeley, California, 26-30 oct. 2009, pp. 305314. Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Jean-Claude Chamboredon, Le Métier de sociologue, livre 1, Paris, EPHE, Mouton et Bordas, 1968, pp. 36-37. Walter B. Cannon, « Gains from Serendipity », The Way of an Investigator. A Scientist‘s Experiences in Medical Research, New York, W. W. Norton, 1945. Sylvie Catellin, Sérendipité. Du conte au concept, préface de Laurent Loty, Paris, Seuil, « Science ouverte », 2014. Olivier Ertzscheid, Gabriel Gallezot, Eric Boutin, « PageRank : entre sérendipité et logique marchande », in B. Simonnot et G. Gallezot (dir), l’Entonnoir : Google sous la loupe des sciences, de l’information et de la communication, Caen, C & F Editions, 2009, pp 113-136. Robert K. Merton, Elinor G. Barber, The Travels and Adventures of Serendipity : A Study in Sociological Semantics and the Sociology of Science, Princeton University Press, 2004. Robert K.Plumb, « Penicillin Discoverer Calls for Free Path for Research », « Dr Fleming Urges Science Freedom », The New York Times, 4 juillet 1949, p. 1 et p. 10. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 280 18/11/2014 10:00:59 281 Temporalités Valérie Carayol Le développement des technologies de l’information et de la communication va de pair avec une accélération des échanges et une transformation profonde des temporalités sociales. Les temporalités sont comprises comme un lieu d’intelligibilité du social, en suivant Marc Bloch, au caractère à la fois collectif et pluriel, « au cœur des processus de rationalisation, de domination et de résistance ». Elles recouvrent, si on suit la définition de Jean-Pierre Rouch, des dispositifs de repérage, d’orientation et de synchronisation des activités, les usages de ces dispositifs, des représentations et valeurs du temps, des rythmes sociaux. Le prisme des temporalités permet de pointer quelques phénomènes et transformations liés aux pratiques des TIC qui ont un impact potentiel sur les questions de diversité culturelle. Paul Virilio n’a eu de cesse, ces quarante dernières années, de montrer comment la lutte pour une vitesse toujours plus élevée des échanges communicationnels représentait un enjeu à la fois militaire et commercial de poids dans nos sociétés. Si le ton apocalyptique de certains de ses propos a pu parfois disqualifier son discours, il a cependant mis le doigt, parmi les premiers, sur un phénomène particulièrement marquant du développement des phénomènes de communication que nous connaissons actuellement. La rapidité des échanges est surtout, dans l’histoire des technologies, un enjeu économique pour les marchés boursiers et un avantage militaire et géostratégique avéré. Le moindre avantage temporel, de l’ordre de la milliseconde, dans le cadre boursier, permet de réaliser des profits considérables, l’automatisation des décisions programmées sur ordinateur permettant d’en tirer profit instantanément. Dans le domaine militaire, l’avantage temporel en termes de vitesse d’information permet de contrer plus facilement les cyber-attaques, désormais quotidiennes sur des systèmes d’information stratégiques, comme les attaques plus traditionnelles. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 281 18/11/2014 10:00:59 282 Diversité culturelle à l’ère du numérique La rapidité et la réactivité ont toujours été envisagées en tant que ressources stratégiques essentielles, comme les ailes du dieu Hermès l’illustrent, lui qui se déplace à la vitesse du vent. Si, comme souvent en matière de technologies, ce sont donc les applications militaires ou à fort impact économique qui sont développées en premier pour servir les objectifs de ces deux secteurs, les retombées d’une accélération des échanges instrumentés par les technologies de l’information et de la communication se font désormais sentir dans toutes les sphères sociales à l’échelle mondiale. Les technologies de communication ont notamment contribué à modifier en profondeur nos pratiques patrimoniales, nos rythmes sociaux, notre exposition continue au regard des autres, introduisant de nouveaux facteurs de risques pour la diversité culturelle et d’inégalité entre les sociétés et les hommes. Trois concepts structurent l’analyse : dans un premier temps, celui de mémoire, lié à la question de l’archive et de la transmission intergénérationnelle ; dans un deuxième temps, celui d’accélération lié à la question de la suprématie du temps réel et de l’obsolescence généralisée, enfin celui d’ubiquité lié à la mise en évidence d’une incommensurabilité des valeurs et des croyances dans un monde interconnecté et globalisé. Temporalité et mémoire La numérisation massive des biens culturels (livres, archives, images, données diverses), entamée à vive allure par les pays les plus riches et autorisée par les TIC, constitue un phénomène nouveau qui interroge la question de la mémoire intergénérationnelle et celle de la transmission culturelle. Elle laisse supposer un enregistrement quasi éternel et des possibilités inédites pour figer, pour les générations futures, des ressources culturelles variées, parfois en voie de disparition. Très précieuses en termes de diversité culturelle, ces initiatives posent déjà d’innombrables problèmes en termes de coût énergétique et de maintenance. Un format d’enregistrement a aujourd’hui une viabilité d’une dizaine d’années. Il faudra convertir régulièrement tous ces fichiers pour espérer préserver ces trésors enregistrés. On évalue à un tiers des dépenses énergétiques nationales d’ici à vingt ans, le maintien de la pérennité des données numériques enregistrées, si les coûts de stockage ne diminuent pas et si de nouvelles technologies ne sont pas mises au point. La question du coût de la pérennisation des données culturelles pour des sociétés aux faibles moyens financiers se pose avec acuité, de même que la sobriété et les choix drastiques qui devront être réalisés Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 282 18/11/2014 10:00:59 Temporalités 283 en termes de contenus à sauvegarder. Si l’on a cru pouvoir un temps tout conserver pour les générations futures, sans rien classer ni trier, et laisser aux algorithmes futurs le soin de mettre de l’ordre dans les data ou données ainsi accumulées, cette vision des choses cède le pas devant la réalité économique du stockage numérique. La raison économique interfère ici avec le champ culturel et politique, avec toutes les incertitudes qui peuvent être associées à cet état de fait. La numérisation du patrimoine offre à la fois des opportunités et des défis immenses, d’ordre culturel, politique et technologique, à toutes les sociétés de la planète, qui sont encore peu pris en compte dans la réflexion sur la diversité culturelle. Temporalité et accélération Les technologies numériques, comme l’ont souligné Paul Virilio et plus récemment François Hartog ou Hartmut Rosa, mettent au centre du jeu social la question du temps réel, de la réactivité, et leur développement va de pair avec une accélération des échanges qui semble quasi continue. Symptôme de l’hyper-modernité dans les sociétés dites « avancées », l’accélération permanente des rythmes de vie et des échanges produit des effets non souhaités que l’on commence à mesurer à l’échelle individuelle, organisationnelle et sociétale. L’usage sans limite des technologies mobiles et l’hyper-connexion des adolescents suscitent l’inquiétude dans la sphère éducative. La mise en place de mesure des risques psychosociaux en entreprise identifie désormais ce que l’on dénomme le « techno-stress », lié à l’usage intensif des TIC. La suprématie du temps réel, la centration sur l’instant, que François Hartog qualifie de « présentisme », est préoccupante à la fois en termes d’anticipation, de réflexion stratégique dans la sphère sociale, et désormais en termes de santé publique. Si Michel Foucault a défini le pouvoir comme la capacité d’ôter aux autres leur capacité d’anticipation, on mesure aussi le danger d’un espace social gouverné par l’instant, laissant peu de place à l’imaginaire, qui demande de l’inaction pour s’épanouir. On mesure aussi les écarts culturels qui s’accentuent dans l’usage du temps entre sociétés, entre individus et groupe sociaux. L’urgence des nantis, des cadres en surchauffe s’oppose à l’inaction des individus, par défaut, chômeurs qui tuent le temps. La valorisation de l’urgence, du Nord au Sud, engendre des exclusions de toute nature. Accélération, obsolescence : la dépendance aux technologies engendre aussi une course effrénée à l’acquisition de nouveaux outils, rendus nécessaires par l’obsolescence programmée des terminaux de communication par les fournisseurs de technologie Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 283 18/11/2014 10:00:59 284 Diversité culturelle à l’ère du numérique ou de solutions logicielles. Cette obsolescence généralisée des biens, notamment technologique, symptôme de ce que Zygmunt Bauman appelle la « société liquide », engendre un sentiment de retard permanent. Le mouvement des logiciels libres, n’obligeant pas à changer de terminal de communication au gré des décisions des conglomérats technologiques, constitue un enjeu réel dans nos sociétés, qu’elles soient démunies ou en crise, pour essayer de maîtriser les coûts de la technologie, aussi bien pour l’économie familiale que pour les organisations et les États. Si le budget nourriture d’une famille a baissé ces dernières années au profit des technologies numériques de loisirs (téléphonie, informatique, jeux), une hausse non maîtrisée des coûts de l’usage des technologies engendrera des inégalités encore accrues entre sociétés, surtout pour celles qui ne seront pas pourvues de capacités industrielles dans ce domaine. Aider à combler le « fossé numérique » dans l’accès à la technologie, du Nord au Sud, reste un défi ; rester synchrone et dans le nouveau rythme des échanges mondialisés, un challenge supplémentaire. Temporalité et ubiquité Les technologies de communication permettent une certaine forme d’ubiquité : nous pouvons être en plusieurs lieux à la fois, et surtout dans le même temps. Dans notre salon, mais aussi, par le biais d’une émission télévisée en direct, ou par l’internet et la vidéotransmission, dans notre communauté pour les personnes en diaspora, dans notre famille à l’autre bout du monde pour les personnes en mobilité, ou encore dans un lieu totalement étranger et culturellement très différent. Cette capacité qu’ont les TIC de nous relier en temps réel à des environnements culturellement divers conduit à une mise en scène permanente de la disparité et de la différence culturelle. Certes, le réseau internet n’est pas exempt de frontières virtuelles : on n’accède pas dans le monde entier à des contenus illimités, et la censure sévit sur l’internet comme ailleurs. Les frontières bien réelles du monde se manifestent dans l’espace numérique de l’internet, dont la gestion n’est pas exempte d’enjeux économiques et politiques. L’ubiquité généralisée engendre cependant des phénomènes de comparaison sociale accrus. Désormais, chacun peut voir comment vit son voisin très éloigné, en temps réel, et prend conscience de sa condition et de l’incommensurabilité des valeurs et des croyances sur toute la planète. Cette nouvelle donne, liée à la mondialisation médiatique notamment et à la circulation des produits culturels, peut mettre en péril une culture de la paix, comme elle peut Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 284 18/11/2014 10:00:59 Temporalités 285 favoriser l’autonomie et la lutte pour une liberté et des droits nouveaux. La facilité d’accès en temps réel au réseau internet autorise la diminution des intermédiaires traditionnels que sont les journalistes dans l’accès aux médias et à l’espace public, rendant plus facile l’expression des individus. Elle autorise aussi les pratiques médiatiques des mouvements terroristes, sûrs de voir la moindre de leur intervention commentée quasiment en direct dans les journaux télévisés du monde entier. La responsabilité collective est engagée sur plusieurs défis dont l’issue contribuera à définir la façon dont notre génération, la première à produire non seulement des connaissances encore matérialisées sur des supports physiques mais aussi des documents dits « nativement numériques », saura transmettre aux générations futures ce qu’elle juge essentiel. Si la maîtrise des TIC est un atout, ces dernières peuvent se révéler, en cas de grave crise énergétique mondiale ou de conflit, un point de faiblesse considérable. Le nuage (cloud) ou l’« informatique dans le nuage », en raison de sa faible rusticité, est aujourd’hui un avantage des sociétés technologiquement avancées, mais peut demain devenir leur talon d’Achille, un facteur d’amnésie catastrophique. Pour conclure, nous soulignerons que le mythe d’une synchronie mondiale, expérimentée par certaines multinationales, tout comme l’imposition d’une urgence, subie par beaucoup, incitent aussi à considérer les dimensions temporelles de l’action instrumentée par les TIC dans leurs dimensions sociopolitiques de façon à ne pas occulter les dynamiques hégémoniques qui peuvent les soutenir. Termes liés : connexion, fracture numérique, mobile/téléphone portable, navigation, cartographie, territoires Références Nicole Aubert, Christophe Roux-Dufort, Le Culte de l’urgence. La société malade du temps, Paris, Flammarion, 2009. Zygmunt Baumann, La Vie liquide, Chambon, Éditions du Rouergue, 2006. Valérie Carayol, Alain Bouldoires (dir), Discordances des temps. Rythmes, temporalités, urgence à l’ère de la globalisation de la communication, Pessac, éd.. de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2012. François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Le Seuil, 2003. Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, Paris, La Découverte, 2010. Paul Virilio, Vitesse et politique. Essai de dromologie, Paris, éd.. Galilée, 1977. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 285 18/11/2014 10:00:59 286 Territoires Jean Pascal Quiles Les hommes vivent aujourd’hui une grande partie de leurs échanges quotidiens à partir du numérique, comme utilisateurs, acheteurs, diffuseurs, producteurs, créateurs… Cette technologie, génératrice de réalité, produit des espaces et des territoires nouveaux qui interagissent de manière déterminante sur l’évolution des sociétés et sur la capacité de cohabitation des cultures. Espaces numériques L’espace est déterminé par les perceptions et les représentations humaines. Il est construit au travers des codes culturels de son observateur et représente le rapport existentiel de l’individu avec son environnement, il lui permet de constituer des relations, des connexions… L’internet crée un nouvel espace relationnel entre les hommes et permet à la fois le déplacement dans le cyberespace et la mobilité dans l’espace physique. Le terme de « cyberespace » pourrait faire penser à une entité homogène, il n’en est rien, à l’image de l’espace interstellaire, il est en expansion permanente, il constitue une pluralité de mondes et une nébuleuse dont personne ne peut explorer ni même appréhender la totalité. Qualifié à tort de virtuel, cet espace bien matériel produit aussi des effets très concrets sur les territoires : consommation considérable d’énergie et nuisances environnementales non négligeables. Il est constitué d’une multitude de fragments qui reflètent les différences ou les inégalités sociales, économiques, culturelles des sociétés. Ce processus peut aller jusqu’à la relégation sociospatiale et la marginalisation des populations ou des territoires non numériques. Bien que perçu comme n’ayant ni centre ni gouvernement, cet espace est fortement polarisé à partir de quelques sociétés bien territorialisées et essentiellement nord-américaines (ICANN, Google, Microsoft, Apple, Amazon…). Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 286 18/11/2014 10:00:59 Territoires 287 L’internet recompose l’espace public en laissant libre cours à la sensibilité et à l’initiative des individus. Les frontières et les relations descendantes entre l’espace public traditionnel et l’espace du quotidien sont bouleversées par l’émancipation des publics permise par le web. En brouillant le rapport entre espace privé et espace public, l’internet remet en question les espaces de liberté. Les tensions entre les partisans d’un espace libre et ceux qui souhaitent créer des délimitations calquées sur le monde ordinaire sont symptomatiques de ce phénomène. En pratique, le numérique est un outil de développement de la démocratie tout autant qu’un vecteur de contrôle des populations, des espaces et des territoires. La traçabilité, dans l’espace et le temps, des mouvements et des goûts des individus, leurs comportements dans les lieux publics ou privés sont autant de paradoxes d’un cyberespace qui, sous couvert de la liberté de naviguer, ne se cache pas d’une observation et d’une exploitation permanentes des données personnelles. Pourtant, beaucoup continuent de voir le web comme un univers libre permettant l’expression de tous dans un espace public élargi. Certains, comme John Perry Barlow, ont été jusqu’à formuler la Déclaration d’indépendance du cyberespace. De ce point de vue et au regard de la diversité des expressions culturelles, la reconnaissance de biens communs numériques, de logiciels libres et d’espaces d’accès collectifs encourage de manière déterminante l’accès au savoir, à la liberté d’expression, à la créativité artistique et à l’innovation scientifique. Territoires numériques Si l’espace est un enjeu de pouvoir, on considère le territoire comme un produit du pouvoir. Le territoire, construction sociale, est le support de la représentation politique et de l’identité collective. Espaces et territoires ont en commun d’être protéiformes selon la manière dont ils sont perçus, vécus, imaginés par chacun d’entre nous… De plus en plus, avec la mobilité, on constate la multi-appartenance, ou la non-appartenance, revendiquée des populations à certains territoires. Le territoire ordinaire devient numérique lorsque des investissements massifs en infrastructures et en matériels sont réalisés autour d’un projet de territoire incluant l’accès, l’information et trop peu souvent la prise en compte et la formation des populations aux usages du numérique. Le territoire numérique se caractérise par une démarche identitaire et concurrentielle faisant appel aux ressources naturelles et culturelles locales mises en scène autour d’une réinterprétation du Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 287 18/11/2014 10:00:59 288 Diversité culturelle à l’ère du numérique territoire, ou « territoriographie », dans laquelle les industries créatives jouent un rôle déterminant. Si le numérique donne de la visibilité aux territoires, il n’annule pas pour autant les effets de métropolisation ou de mise en périphérie de certaines villes, régions ou États. On constate en effet la domination des « villes mondes » (global cities) et la marginalisation des territoires plus fragiles, ce qui peut engendrer des conséquences graves pour les populations et l’accès aux ressources culturelles. Quant aux territoires numériques dits « ruraux », ils n’ont de chance de se développer qu’en interaction forte avec les logiques des aires métropolitaines dominantes. Cependant, le numérique permet le désenclavement du territoire. Par exemple, en Catalogne, des villages isolés accèdent au spectacle vivant ou, lors du festival Sonar, des villes participent mutuellement à un concert en direct. Les études sur les pratiques culturelles montrent d’ailleurs que le numérique ne diminue pas le pouvoir des lieux physiques, au contraire il le démultiplie. À partir des technologies numériques ; le territoire peut produire des carrefours culturels de rencontre et de production ouvrant des fenêtres sur les réseaux et les échanges invisibles, proposant aux populations une matérialisation des espaces numériques. L’espace géographique et l’espace-temps sont fortement sollicités par le numérique, comme le montre la reconstitution virtuelle de territoires ordinaires non seulement parcourus au présent mais aussi revisitant le passé ou se projetant dans l’avenir. Le territoire imaginaire prend alors toute sa dimension, jusque dans les jeux vidéo qui à leur tour influencent les représentations de notre quotidien. Réalité augmentée, géolocalisation, puces RFID (Radio Frequency Identification) … Plus on parcourt le territoire ainsi numérisé, plus le besoin de repérage et de connaissance des lieux réels s’amplifie, notamment dans leurs dimensions culturelle et historique (expositions, monuments, lieux de mémoire, musées, cinémas, festivals…), ce qui représente un enjeu essentiel pour la créativité artistique comme pour la connaissance mutuelle des populations, des communautés, des cultures. Justice spatiale, action publique territoriale et diversité culturelle L’étude du numérique dans ses relations à la diversité culturelle passe par un souci de justice spatiale, c’est-à-dire par la capacité des populations et des territoires à accéder à l’espace numérique et à y cohabiter équitablement. En effet, il nous faut aborder les conver- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 288 18/11/2014 10:00:59 Territoires 289 gences possibles entre les cultures à partir de la question de la cohabitation des espaces et des territoires. Or le numérique progresse très irrégulièrement dans l’espace géographique car il n’est pas détachable de sa contrepartie territorialisée. L’espace numérique est géopolitiquement sensible, il est le reflet de la société qu’il prolonge, de la situation des individus et des pouvoirs publics qui le constituent. De ce fait une grande partie de l’humanité n’a toujours pas accès à cet espace, avec des conséquences certaines sur le respect des droits et de la diversité culturels. Le développement de l’espace numérique joue un rôle démultiplicateur dans la mondialisation car il est un des facteurs constitutifs de ce phénomène. L’espace numérique permet aux territoires comme aux individus de développer leur réputation, d’afficher le récit qu’ils souhaitent faire reconnaître par les autres. Le territoire, loin de disparaître ou de se fondre dans un village global, renforce son identité et ses différences. À la fois lieu d’émission et de réception, il prend, grâce au numérique, une dimension symbolique plus forte par sa réécriture et sa représentation permanente. Pour autant, le territoire numérique reste dépendant de ses atouts classiques : de son positionnement géographique, de son patrimoine culturel, de son potentiel créatif, des économies d’agglomération (faisceaux de serveurs [clusters], districts…), du potentiel humain et de son niveau de qualification, des mobilités. Ce point laisse entrevoir l’extrême contraste des situations locales (villes connectées [cybercities], e-territoires…). De plus, le numérique peut fragiliser le territoire en l’exposant à des cyberattaques ou même à des cyber-conflits, c’est pourquoi des polices ou des armées sont aujourd’hui affectées à cet espace. Il est possible d’intervenir dans l’espace numérique en visant le développement des pratiques collaboratives à partir des territoires, c’est-àdire en recherchant une gouvernance plus favorable à la cohabitation des cultures, au « vivre ensemble » et à l’épanouissement de la diversité des expressions culturelles. C’est du point de vue des usages qu’il faut être particulièrement vigilant, ce qu’Amartya Sen nomme les « capabilités » (capabilities) des populations. Afin de développer ces capabilités dans un contexte de forte diversité culturelle, Gilberto Gil ; lorsqu’il était ministre de la Culture du Brésil, a mis en œuvre les « Points de culture », forme d’acupuncture numérique du pays, l’État fédéral n’intervenant que comme l’accompagnateur d’une initiative locale. Il s’agit là d’un exemple d’élaboration d’une politique territocollaboratives prialisée faisant appel à l’innovation, en vue d’installer des pratiques ar le numérique autour de projets concrets portés par les utilisateurs. L’accès à la connaissance et la construction d’un imaginaire, d’un récit commun en appui sur les services publics constituent une matrice Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 289 18/11/2014 10:00:59 290 Diversité culturelle à l’ère du numérique essentielle pour le développement humain et la mise en relation ou en cohabitation des cultures. Elle se heurte aux inégalités sociales ainsi qu’à la multiplicité des ressources et à la fragmentation de l’espace public de l’information. La mise en cohérence et l’accessibilité sociale des ressources représentent un défi pour les pourvoir publics comme pour les acteurs et les institutions du domaine culturel. À cet égard, la notion de « droits culturels » devrait permettre de prêter attention aux populations et aux territoires plutôt que de privilégier un message culturel et sociétal formaté unilatéralement par les industries culturelles ou les pouvoirs publics. La condition effective de l’exercice des droits culturels et de l’expression de la diversité des cultures nécessite une véritable régulation publique. L’internet nous invite à créer des espaces et des territoires de régulation, d’expériences et surtout de sociabilité. Il s’agit notamment d’imaginer de nouveaux sites ou équipements connectés et participatifs qui permettront de repérer, d’analyser, d’accompagner les pratiques numériques. Par exemple, les Living Labs, composés d’acteurs publics, privés et de la société civile, proposent de nouvelles formes de compétences partagées et intergénérationnelles, ils permettent de former les populations et de tester des usages nouveaux, des services… Le défi pour les acteurs publics est de contribuer au développement humain par la promotion de la diversité des cultures en inventant un autre service public à partir des espaces et des territoires numériques. Termes liés : augmentation, communautés, connexion, diasporas, fracture numérique, mobile/téléphone portable, navigation/cartographie, public/usagers, virtuel Références Boris Beaude, Internet. Changer l’espace, changer la société, Paris, FYP Éditions, 2012. Déclaration de Fribourg, Observatoire de la diversité et des droits culturels, Université de Fribourg, chaire UNESCO sur les droits de l’homme et la démocratie, 2009. Olivier Donnat, Les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, enquête 2008, ministère de la Culture et de la Communication, Paris, La Découverte, 2009. Michel Lussault, L’Avènement du monde. Essai sur l’habitation humaine de la Terre, Paris, Le Seuil, 2013. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 290 18/11/2014 10:00:59 291 Transmédiation Julie Gueguen La notion de « transmédiation » fut évoquée pour la première fois en 1991 par Marsha Kinder, qui considère alors le concept de transmédiation intertextuelle dans le but d’expliciter l’adaptabilité des enfants dans leur interaction avec des personnages de fiction, quelle que soit la plateforme médiatique utilisée (un même personnage et une même narration proposeront un amusement différent selon qu’ils seront représentés à la télévision, dans une bande dessinée, en jeu vidéo, ou bien sous la forme d’un jouet). C’est cependant Henry Jenkins qui, dans un article rédigé en 2003 pour la Technology Review du MIT (Massachusetts Institute of Technology), reprend le terme de transmédiation et crée le principe de transmédiation narrative pour illustrer l’avènement de la narration multi-plateformes des fictions grand public. Il intègre ce principe à sa réflexion sur la culture de convergence et le popularise dans le milieu de la recherche, puis auprès de l’industrie médiatique, comme processus narratif répondant aux attentes de spectateurs ayant développé de nouvelles habitudes technologiques (l’utilisation quotidienne et parfois simultanée de la télévision, de l’ordinateur, de la console de jeux vidéo ou bien du téléphone portable). Le principe de transmédiation narrative, tel qu’il est entendu par Jenkins, peut être subdivisé en deux catégories distinctes. La première représente l’approche corporative, tandis que la seconde représente l’approche culturelle. Chacune de ces approches représente un processus narratif unique visant à l’extension d’un contenu médiatique, dans sa continuité ou par sa multiplication. L’approche corporative est un acte de co-création, où plusieurs secteurs de l’industrie médiatique vont collaborer à un même projet afin de développer son contenu sur de multiples plateformes, et cela de façon simultanée. Chaque plateforme propose une extension dans la continuité de ce qui était proposé ailleurs, offrant ainsi un tout nar- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 291 18/11/2014 10:00:59 292 Diversité culturelle à l’ère du numérique ratif cohérent que le spectateur pourra explorer à loisir. Jenkins parle alors de « synergistic world-making », c’est-à-dire la maximisation du potentiel narratif d’un contenu par la création d’un univers vaste et complexifié. La première occurrence de transmédiation corporative accessible au grand public eut lieu en 1999, lors de la sortie de The Blair Witch Project. Ce film d’horreur à budget réduit a marqué les esprits grâce à l’ingéniosité de ses producteurs, qui, par le biais de l’internet, ont fait circuler toute une série de documents visant à jeter le trouble sur l’éventuelle réalité de leur fiction. Des mois durant, les spectateurs avides de sensations ont perpétué la rumeur, collectant ces documents en se persuadant que les victimes n’étaient pas des acteurs mais de véritables étudiants dont le documentaire aurait été retrouvé, puis diffusé au cinéma. En 2003, la trilogie Matrix a marqué une étape décisive dans la démocratisation du principe de transmédiation corporative en déployant son univers transmédia tentaculaire, tant au cinéma qu’en jeux vidéo, au travers de bandes dessinées et de mangas diffusés sur l’internet ou bien en DVD. Depuis, la majorité des créateurs de fictions grand public utilise la transmédiation, fidélisant leurs consommateurs en leur promettant une expérience multi-plateforme plus enrichissante, divertissante et sans nul doute plus addictive. L’approche culturelle est un acte d’appropriation où les consommateurs de contenus médiatiques ayant développé un attachement émotionnel envers une fiction vont la transformer, puis la faire recirculer sur de nouvelles plateformes médiatiques. Chaque transformation propose une extension narrative par la multiplication des interprétations du contenu original, offrant ainsi l’opportunité au spectateur de maximiser le potentiel narratif d’une fiction de façon individuelle et illimitée. Ce processus fait partie intégrante de la réflexion de Jenkins sur la culture participative, autrement dit la diversification de la culture de masse par le biais des communautés de fans (fandoms). La distinction entre les multiples exemples de transmédiation culturelle peut se réaliser par mode opératoire ou bien par fandom, bien que la dernière option soit particulièrement fastidieuse étant donné l’innombrable quantité d’occurrences disponibles. Cependant, si chaque composante de la constellation de fandoms présentes sur l’internet possède son propre sociolecte, sa propre hiérarchie et ses propres convictions, toutes partagent un mode opératoire identique dans leur appropriation de la culture de masse. La première étape passe par la consommation de la fiction choisie sur sa plateforme d’origine (télévision, cinéma, livre ou jeu vidéo). La seconde étape, provoquée par le désir de prolonger l’interaction Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 292 18/11/2014 10:00:59 Transmédiation 293 avec cette fiction, passe par le choix d’une méthode d’appropriation (fanfiction, fan art ou fan video) et la sélection d’une scène ou d’un aspect à transformer. Enfin, la dernière étape passe par la diffusion de cette extension narrative sur une nouvelle plateforme médiatique, où elle trouvera un nouveau public pour la consommer, puis peut-être la transformer à nouveau ! Il est judicieux de considérer la notion de transmédiation narrative dans les débats sur la diversité culturelle et numérique, étant donné son caractère particulièrement ambivalent. En effet, selon l’approche choisie, la transmédiation peut représenter à la fois une opportunité et une menace pour la diversité culturelle. Si l’on prend l’exemple de l’approche culturelle, où le caractère monochrome de la culture de masse passe par le prisme de l’appropriation et de l’interprétation individuelle, la transmédiation devient un atout indéniable de la diversité. En revanche, si l’on observe de plus près l’exemple de l’approche corporative, il est aisé d’y discerner une volonté de contrôler l’interprétation qui sera faite d’un contenu, quelle que soit la plateforme utilisée pour le diffuser. Lorsque l’industrie médiatique parle de transmédiation, si les plus optimistes (et ils sont légion !) n’y voient que le prolongement et l’enrichissement du divertissement de masse, il s’agit en réalité d’une tentative de verrouillage corporatif de la culture. En proposant des extensions narratives prêtes à l’emploi, l’industrie médiatique impose un monologue interprétatif de ses propres contenus aux spectateurs et exclut de ce fait toute velléité créative de leur part. Le but d’une telle manœuvre est à la fois de protéger sa propriété intellectuelle sur plateformes multiples et d’étendre son marché potentiel en instrumentalisant le désir du consommateur de prolonger son interaction avec une fiction. Ces considérations constituent une réelle menace pour la diversité, puisque le capital culturel de la transmédiation devient économique, et sa valeur, purement commerciale. S’agit-il pour autant d’une situation où la diversité des expressions culturelles se trouvera à terme altérée ? Les fandoms succomberont-elles un jour au nivellement culturel imposé par l’industrie médiatique ? La transmédiation narrative ne va-t-elle constituer qu’une stratégie marketing de plus ? C’est au public qu’il appartient d’en décider même si, à l’heure actuelle, des études de réception transmédia tendent déjà à mettre en exergue une certaine ambiguïté dans le processus d’appropriation de contenus médiatiques par ce dernier. Bien que d’intensité variable selon la fandom, cette ambiguïté place généralement le consommateur dans le rôle du censeur, tentant luimême de contrôler l’interprétation qui sera faite de sa fiction de prédilection en vantant les mérites d’un paradigme narratif dérivé d’une perception commune du contenu original (le canon). S’il n’empêche Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 293 18/11/2014 10:00:59 294 Diversité culturelle à l’ère du numérique pas l’émergence d’interprétations multiples, cet appel au conformisme peut avoir des conséquences sur la structure hiérarchique de la communauté de fans, selon qu’il sera suivi ou non, les individus récalcitrants, ostracisés par le reste de leur communauté, se voyant ainsi souvent condamnés au silence, voire à l’exil virtuel. Il convient alors de s’interroger : les communautés de fans succombent-elles déjà au nivellement culturel qu’elles s’imposent à elles-mêmes ? Termes liés : co-construction, communautés, économie des œuvres sous format numérique, édition, industries créatives, industries culturelles, jeu, pratiques, propriété intellectuelle, public/usagers, remix Références Julie Guéguen, « Espressioni e pratiche degli autori di fanfiction. Il caso Bones », in Media Mutations : gli ecosistemi narrativi nello scenario mediale contemporaneo. Spazi, modelli, usi sociali, Modena, Mucchi Editore, 2013. Henry Jenkins, Convergence Culture. Where Old and New Media Collide, New York, New York University Press, 2006. Henry Jenkins, « Transmedia Storytelling », MIT Technology Review, internet, 15 janvier 2003 ; lire en ligne : http://www.technologyreview.com/ news/401760/transmedia-storytelling/, dernière consultation le 1er juin 2014. Henry Jenkins, « Transmedia Storytelling 101 », Confessions of an Aca-Fan, internet, 22 mars 2007 ; lire en ligne http://henryjenkins.org/2007/03/transmedia_ storytelling_101.html, dernière consultation le 1er juin 2014. Marsha Kinder, Playing with Power in Movies, Television and Video Games. From Muppet Babies to Teenage Mutant Ninja Turtles, Berkeley, University of California Press, 1991. Philippe Le Guern (dir.)., Les Cultes médiatiques. Culture fan et œuvres cultes, Presses universitaires de Rennes, 2002. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 294 18/11/2014 10:01:00 295 Vie privée/données personnelles Mélanie Dulong de Rosnay Développement des législations européennes Les premières législations sur la protection de la vie privée ont accompagné le développement du fichage dans des bases de données informatisées dans les années 1970 en Allemagne, en Suède et en France. C’est après l’affaire du SAFARI (Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus), en 1974, qui visait à l’interconnexion des fichiers de l’administration, que la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), est mise en place pour veiller à ce que l’informatique ne porte pas atteinte aux libertés individuelles ni à la vie privée. Le principe de la loi éponyme de 1978 est la déclaration a priori des traitements de données à caractère personnel, définies à son article 2 comme « toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres. Pour déterminer si une personne est identifiable, il convient de considérer l’ensemble des moyens en vue de permettre son identification dont dispose ou auxquels peut avoir accès le responsable du traitement ou toute autre personne ». La loi pose des obligations pour la conservation de ces données : les principes de finalité, de proportionnalité, d’exactitude, d’accès, de rectification et de sécurisation des données. La directive européenne 95/46/CE sur la protection des données personnelles reprend le principe de consentement expresse ou opt-in, qui s’oppose à la pratique du opt-out où le citoyen doit explicitement interdire l’usage de ses données personnelles. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 295 18/11/2014 10:01:00 296 Diversité culturelle à l’ère du numérique Les risques du traitement de grandes masses de données et des traces involontaires Le développement des capacités de traitement des grandes masses de données (big data) et les révélations, en 2013, d’Edward Snowden sur l’existence de programmes de surveillance d’agences de renseignements en dehors de tout contrôle juridique donnent une ampleur sans précédent à la question de la protection de la vie privée sur l’internet. La collecte d’informations par les fournisseurs de service s’accompagne de la constitution de traces numériques involontaires par les internautes, lors de l’utilisation de tout système d’information connecté à l’internet, permettant le profilage comportemental et le ciblage à partir des recherches et des visites. Le traitement de données personnelles peut avoir de simples visées marketing, mais il peut aussi mettre en danger plus gravement la vie privée et la sécurité des personnes qui sont réidentifiées par simple croisement de données même anonymisées. Associées à des données de géolocalisation, les techniques de fouilles de données (data mining) permettent non seulement de proposer des services personnalisés, d’influencer les comportements, mais aussi de réduire l’espace de liberté. Elles peuvent conduire à des décisions d’exclusion, par exemple l’appréhension d’individus potentiellement soupçonnés de pratiques déviantes dans les dossiers scolaires, dans les profils des passagers aériens ou dans l’appréciation du risque de crédit. Les technologies de surveillance permettent de suivre les activités des employés et des membres de la famille sans qu’ils en soient informés. L’absence de maîtrise technique et juridique sur le devenir de ses propres informations, renforcée par la réidentification et la collecte involontaire, menace le libre arbitre et la liberté d’expression. Les stratégies de réappropriation de ses propres données L’analyse des données personnelles présente certains avantages pratiques, comme la mise à disposition de services personnalisés. Le phénomène de quantification de soi consiste à la captation de ses propres données, par exemple liées à sa santé avec une application sur son téléphone intelligent, afin d’en extraire des corrélations dans un but médical personnel et pour aider la recherche. Cette pratique se situe dans la lignée du partage volontaire des données publiques ou scientifiques lié au mouvement pour « l’accès ouvert aux données Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 296 18/11/2014 10:01:00 Vie privée/données personnelles 297 (open data). Certains actent la fin de la vie privée avec la divulgation volontaire d’informations sur les réseaux sociaux, dans lesquels les données personnelles de l’utilisateur constituent le produit qui est vendu à des entreprises, en échange desquelles l’utilisation du service est gratuite. La réalité des pratiques sociales est plus complexe et les adolescents développent des stratégies associant la révélation de l’intime avec des codes masquant la signification réelle des messages aux personnes extérieures. D’autres proposent de mettre en place des mécanismes juridiques de réappropriation de ses propres données sur la base des droits de propriété ou des droits de personnalité, du droit à l’oubli ou du droit à la désindexation des moteurs de recherche. L’accès à ses propres données collectées par des gouvernements et des entreprises privées est une question économique, juridique, éthique, politique et technique : tout le monde n’a pas la capacité d’analyser ces données, de les visualiser pour mieux les comprendre ou en extraire des connaissances. La vie privée peut être perçue comme contextualisée, impliquant de concevoir les conditions de collecte et de partage de données afin de refléter le choix informé d’une personne en lien avec l’utilisation à laquelle elle consent. Et le consentement éclairé d’une personne à partager ses données personnelles ne peut pas vraiment être obtenu en lui imposant d’accepter un contrat d’une dizaine de pages au moment de la souscription à un service. Le projet de 2012 de réglement européen sur la protection des données prévoit que les informations données aux personnes devraient être transparentes et compréhensibles, la portabilité des données est également prévue. Enfin, on voit se développer l’usage de la cryptographie et de services d’anonymisation pour chiffrer ses communications et limiter ses traces numériques. Ces applications se développent à la destination non seulement des informaticiens, mais aussi du grand public et des communautés à risque : les journalistes et les avocats qui doivent protéger leurs sources, les lanceurs d’alerte, les dissidents et les militants des droits humains menacés par des régimes politiques répressifs qui surveillent les communications et les données personnelles. Les mécanismes législatifs et réglementaires de protection de la vie privée pouvant sembler inefficaces face aux capacités techniques de surveillance des entreprises et des gouvernements, l’autorégulation et le développement d’outils de gestion des données personnelles incluant le cryptage et la privacy by design paraissent la meilleure voie à même de garantir le respect de la vie privée et des libertés individuelles. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 297 18/11/2014 10:01:00 298 Diversité culturelle à l’ère du numérique La négation de la diversité des approches La diversité des positionnements éthiques et des stratégies de valorisation et de protection des données personnelles reflète des différences importantes selon les régions du monde, les approches culturelles et les idées politiques, les modèles économiques, les systèmes juridiques et les capacités techniques individuelles et collectives, reproduisant les divisions et les rapports de pouvoir observés classiquement par les analyses critiques du libéralisme. La vision occidentale de la vie privée oppose les normes anglo-saxonnes plutôt utilitaristes aux valeurs européennes continentales plus déontologiques, chacun des deux modèles de contrôle informationnel se retrouvant exporté dans les technologies et les systèmes juridiques. Aux États-Unis, la réglementation des données personnelles est fragmentée entre des législations sectorielles favorisant la collecte par les entreprises commerciales, qui vont typiquement détenir par défaut les données générées par les utilisateurs, qui pourront bénéficier d’une possibilité de retrait. Au contraire, l’approche européenne privilégie le consentement explicite des individus qui bénéficient de droits auxquels ils ne peuvent pas renoncer, imposant des coûts aux entreprises et aux administrations qui n’ont pas le droit d’utiliser les données pour un autre propos que celui pour lequel elles ont été collectées, et après que le consentement a été obtenu. Le droit au respect de la vie privée fait l’objet de l’attention de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et la protection des données personnelles est soumise à de nombreuses normes régionales, les normes européennes étant les plus détaillées. La transposition du concept individualiste de vie privée et les conceptions alternatives ont été moins étudiées dans les cultures dont les législations et les applications ne reflètent pas nécessairement les valeurs protégeant l’entreprise privée et la personne individuelle, les entités de base des systèmes occidentaux de contrôle des données personnelles. En Chine, les informations sur la famille ou la communauté seront encore peut-être plus sensibles que les données personnelles des individus. Au Japon, la personne pourra être protégée comme appartenant à un groupe. L’Inde s’est dotée en 2011 d’une législation sur la protection des données personnelles collectées par le secteur privé uniquement. L’Argentine a été reconnue par la Commission européenne comme le premier pays d’Amérique latine à donner un niveau de protection adéquat aux données personnelles. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 298 18/11/2014 10:01:00 Vie privée/données personnelles 299 La majorité des grands services et plateformes en ligne se situant aux États-Unis, leurs conditions d’utilisation ne sont pas favorables aux utilisateurs. Leur modèle de stockage, centralisé et en nuage, rend les données personnelles vulnérables. Les consommateurs européens pourront bénéficier de la protection que le droit communautaire accorde aux données personnelles à la condition qu’un contexte techno-juridique favorable parvienne à émerger. Cela implique que la recherche et les entreprises européennes développent des services en ligne concurrents des plateformes américaines et aux architectures décentralisées. Il sera également nécessaire que l’Europe parvienne à imposer des valeurs de confidentialité et de respect de la vie privée dans le règlement européen sur la protection des données et les accords bilatéraux comme le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP). Termes liés : communautés, communication, connexion, e-réputation, éthique, normes, Références Dan Burk, « Privacy and Property in the Global Datasphere », in Information Technology Ethics : Cultural Perspectives, in Soraj Hongladarom, Charles Ess (éds), 2007, Hershey, Idea Group Reference, pp. 94-107. Jessica Eynard, « L’éthique à l’épreuve des nouvelles particularités et fonctions des informations personnelles », Éthique publique, vol. 14, no 2, 2012. Toby Mendel, Andrew Puddephatt, Ben Wagner, Dixie Hawtin et Natalia Torres, Étude mondiale sur le respect de la vie privée sur l’internet et la liberté d’expression, UNESCO, 2013. Masahiko Mizutani, James Dorsey, James H. Moor, « The Internet and Japanese Conception of Privacy », Ethics and Information Technology, 2004, vol. 6, no 2, pp. 121-128. Helen Nissenbaum, « A Contextual Approach to Privacy Online », Dædalus, Journal of the American Academy of Arts & Sciences, 140 (4), Fall, 2011, pp. 32-48. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 299 18/11/2014 10:01:00 300 Virtuel Patrick Schmoll L’adjectif « virtuel », comme sa forme substantivée « le virtuel », désigne aujourd’hui couramment l’ensemble de ce qui se passe dans un monde numérique, sur un ordinateur ou sur l’internet. Dans le champ des technologies numériques, le terme se réfère à l’origine plus strictement à la « réalité virtuelle », entendue comme un dispositif informatique capable de simuler, à travers des images de synthèse stéréoscopiques, des mondes tridimensionnels artificiels dans lesquels, par sollicitation de plusieurs de nos sens (vision, audition mais aussi kinesthésie) on peut s’immerger et se déplacer. Ces dispositifs ont des applications multiples dans la recherche et dans l’industrie, dans un but d’expérimentation, de prototypage ou de formation. Dans le grand public, ce sont les applications de loisirs qui sont les plus connues : espaces de rencontre dans des mondes virtuels 3D, tels que Second Life, ou jeux vidéo massivement multi-joueurs en ligne, tels que World of Warcraft. Le terme est cependant plus ancien que son usage en informatique. Il désigne alors, en philosophie ou en littérature, des objets ou des mondes inactuels. La notion de virtuel remonte en effet à la scolastique médiévale, où le terme virtualis qualifie un être ou une chose dans un état potentiel, en programme, susceptible d’actualisation. C’est ainsi que l’arbre est virtuellement contenu dans la graine, que l’embryon peut être considéré comme un être humain virtuel, ou plus généralement que l’effet est contenu dans la cause, et inversement la cause présente virtuellement dans l’effet. C’est à ce sens philosophique que se réfèrent des auteurs comme Gilles Deleuze (1968), Philippe Quéau (1993) et Pierre Lévy (1998) quand ils utilisent le terme, y compris, pour ces deux derniers, quand ils l’appliquent aux réalisations numériques. Même l’expression « réalité virtuelle » est attribuée, bien avant le sens qu’elle prend en infographie, à Antonin Artaud (1938), qui décrit ainsi le théâtre en le rapprochant du processus alchimique. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 300 18/11/2014 10:01:00 Virtuel 301 L’usage informatique du terme contredit en première approche son usage philosophique. Dans un cas, le virtuel désigne des objets ou des mondes infographiques qui sont actuels mais immatériels, dans l’autre, il désigne des objets ou des mondes potentiels, qui sont au contraire inactuels mais peuvent devenir matériels, comme le papillon virtuellement contenu dans la chrysalide. Cependant, les images de synthèse ont besoin d’une procédure, d’une écriture algorithmique pour s’actualiser. De ce point de vue, le code informatique contient virtuellement l’image de synthèse qui en est l’actualisation à l’écran, ce qui permet de rapprocher cette dernière aussi bien des êtres vivants en ce qu’ils sont contenus virtuellement dans leur code génétique, que des univers de fiction en ce qu’ils sont virtuellement contenus dans le scénario décrivant les personnages, leur environnement et leur histoire. Le virtuel est ainsi une notion qui a permis une convergence d’univers de référence, techniques, philosophiques, littéraires, jusque-là disjoints. La notion de virtuel s’est imposée dans le grand public avec le développement des techniques d’imagerie de synthèse à partir des années 1980. Mais son succès tient à ce que ces techniques se sont offertes comme un paradigme pour penser également le virtuel dans le sens philosophique qu’il avait antérieurement, et au-delà pour penser les rapports entre réalité et fiction. Des auteurs de science-fiction comme William Gibson (1984) ou Neal Stephenson (1992) décrivent une société dans laquelle les humains vivent au quotidien à l’intérieur de mondes virtuels infographiques constituant une réalité alternative au monde désenchanté de la réalité. Des films comme Matrix (1999) mettent en scène l’idée que la réalité pourrait n’être qu’une hallucination consensuelle, ce qui invite à une mise en doute, une déconstruction du social en tant que représentation partagée. La texture sociale du virtuel En tant que paradigme, le virtuel nourrit une réflexion qui déborde le seul cadre des univers infographiques. Le terme a ainsi très tôt désigné les premières expériences sociales en ligne, dans des univers tels qu’Habitat de Lucasfilm en 1986, bien qu’ils ne fassent pas appel à l’imagerie de synthèse et proposent en fait une navigation écran par écran dans un univers visuel en 2D faiblement réaliste (Morningstar et Farmer, 1991). Howard Rheingold (1993) introduit la notion de « communauté virtuelle » pour désigner des groupes qui se forment sur l’internet avec une certaine stabilité, bien que le support tech- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 301 18/11/2014 10:01:00 302 Diversité culturelle à l’ère du numérique nique de leurs échanges puisse être strictement textuel, comme un forum ou un espace de dialogue en ligne (chatroom). Le virtuel finit par désigner toute expérience de confrontation avec ce qui se passe à l’écran d’un ordinateur et sur l’internet. Quand le terme est utilisé, il connote toutefois le plus souvent une expérience vécue comme se déroulant dans un espace, ainsi que l’indique le vocabulaire associé : " visites " virtuelles, " galeries " virtuelles, " rencontres " virtuelles sur les forums et dans les espaces de dialogue, etc. Ce sont les échanges en ligne qui, en se soutenant de l’idée que l’on se rencontre nécessairement « quelque part », produisent l’effet d’immersion des interlocuteurs dans un espace. Et comme cet espace n’est pas matériel, tangible, ni même souvent visualisable, il est qualifié de virtuel. Un risque pour la diversité culturelle ? L’explosion du numérique accompagne la mondialisation. Le virtuel constitue l’un des aspects d’une évolution qui va vers la dématérialisation des produits et des services, ainsi que des circuits monétaires, accélérant la délocalisation et la concentration des entreprises, la dérégulation des marchés, l’extension à l’ensemble du globe d’un modèle économique, social et culturel hégémonique. Le brassage des internautes au sein d’espaces virtuels en ligne accessibles à tous depuis n’importe quel point du globe conduit à une uniformisation des codes de sociabilité. Les sites internet se ressemblent, qu’ils soient en 2D ou en 3D, les représentations répondent à des standards compréhensibles par tous. L’anglais s’impose comme lingua franca dans les univers en ligne. L’anonymat et les jeux de masque (avatars et pseudonymes) encouragés par les mondes virtuels permettent à des personnes stigmatisées par leur couleur de peau ou un handicap visible d’intégrer plus aisément des cercles qui leur seraient ou leur sembleraient autrement inaccessibles. Mais cette intégration renforce paradoxalement la norme du groupe, puisqu’il est plus facile de s’y conformer. L’enquête de Wagner James Au (2008) sur Second Life montre que la diversité apparente des avatars disponibles dissimule la préférence du public pour les avatars à peau claire : les internautes adoptent rarement un avatar à peau noire, et les Noirs eux-mêmes préfèrent les avatars à peau blanche. Un autre danger du virtuel réside dans l’artificialisation de l’autre, aussi bien dans la gestion de la rencontre que dans celle de la violence. La pornographie et les sites de rencontre fournissent des standards Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 302 18/11/2014 10:01:00 Virtuel 303 de la rencontre sexuelle et amoureuse qui posent problème essentiellement parce qu’ils tendent à être les seuls largement disponibles, écrasant ainsi la diversité des références. Les jeux vidéo violents mais également l’utilisation militaire des techniques d’imagerie virtuelle dessinent une représentation abstraite de l’adversaire comme « cible », ce que renforce une terminologie aseptisée : « nettoyage », « frappes chirurgicales ». Ce traitement de la réalité par l’image trouve son prolongement dans son utilisation par la presse télévisée, comme on a pu l’observer à l’époque de la seconde guerre du Golfe. Un lieu de créativité, d’interrogation et de diversité Ces dangers sont cependant équilibrés par une évolution des humains dans leur rapport aux images : plus celles-ci deviennent réalistes, et donc trompeuses, culminant dans les effets spéciaux du cinéma et des jeux vidéo, plus nous exerçons nos capacités à les décoder pour éviter de s’y laisser prendre (Revue des sciences sociales, 2005, Schmoll, 2011). Philippe Quéau (1993) est l’un des premiers à avoir repéré les effets de l’anonymat des réseaux, qui permettent entre internautes l’adoption d’une diversité de rôles. L’incertitude sur l’identité de l’autre provoque projections et déceptions. Mais ces déceptions et la conscience de jouer soi-même des rôles divers sur les réseaux provoquent des effets de déconstruction de soi et de la relation à l’autre. Elles permettent de se rendre compte que l’on n’est pas là où l’autre nous regarde, et en retour de se prémunir contre les projections que nous faisons sur l’autre. Il y a une fonction éducative du virtuel, jusque dans ses effets de leurre (Schmoll, 2012). Le virtuel est également le terrain d’une créativité accrue, source en soi de diversité culturelle par la profusion des réalisations qu’il autorise. La possibilité de fabriquer des univers graphiquement élégants et réalistes permet d’exposer et de simuler des environnements éloignés et exotiques, d’y faire s’exprimer des cultures, y compris les plus minoritaires, qui y exposent leur patrimoine. Les galeries et les musées virtuels reproduisent les œuvres qu’elles peuvent mettre en scène de manière plus libre et plus inventive que dans des espaces physiques limités en surface et en volume. Des scénarios interactifs sous forme de jeux complètent le musée réel, font intervenir, outre les acteurs traditionnels, les municipalités, les agences de tourisme nationales et locales, les associations mobilisées sur un thème. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 303 18/11/2014 10:01:00 304 Diversité culturelle à l’ère du numérique Termes liés : algorithme, communautés, e-réputation, imaginaire, jeu, navigation/cartographie, public/usagers, réseaux sociaux, territoires Références Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1938. Wagner James Au, The Making of Second Life : Notes from the New World, New York, HarperCollins, 2008. Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, Presses universitaires de France, 1968. William Gibson, Neuromancer (roman), tr. fr. Neuromancien, Paris, La Découverte, 1985. Pierre Lévy, Qu’est-ce que le virtuel ?, Paris, La Découverte, 1998. Chip Morningstar, F. Randall Farmer, « The Lessons of Lucasfilm’s Habitat », in Cyberspace : First Steps, M. Benedikt (éd..), Mass., Cambridge, Massachussetts, The MIT Press, 1991. Philippe Quéau, Le Virtuel. Vertus et vertiges, Paris, Champ Vallon/INA, 1993. Revue des sciences sociales (2005), no 34, « Le rapport à l’image », Strasbourg, Université de Strasbourg. Howard Rheingold, Virtual Reality, New York, Simon & Schuster, 1992. Howard Rheingold, Virtual Community, tr. fr. (1995) Les Communautés virtuelles, Paris, Addison Wesley, 1993. Patrick Schmoll, La Société terminale 1. Communautés virtuelles, Strasbourg, Néothèque, 2011. Patrick Schmoll, La Société terminale 2. Dispositifs spec [tac] ulaires, Strasbourg, Néothèque, 2012. Neal Stephenson, Snow Crash (roman), tr. fr. (1996) Le Samouraï virtuel, Paris, Laffont, 1992. Laurent Trémel, Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia, les faiseurs de mondes, Paris, Presses universitaires de France, 2001. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 304 18/11/2014 10:01:00 305 Postface La diversité culturelle et le numérique : un nouveau défi pour l’UNESCO Jean Musitelli Voici une publication qui vient parfaitement à son heure, et il faut savoir gré à ses deux promoteurs et à la pléiade de spécialistes qu’ils ont mobilisés d’avoir engagé et gagné ce pari ambitieux. Pour la première fois, en effet, un ouvrage se propose d’explorer, dans l’intégralité de ses implications, la relation, à la fois critique et féconde, entre diversité culturelle et technologies numériques. Il vient à son heure d’abord parce qu’il répond à un besoin du public d’y voir clair sur des concepts, des outils et des pratiques souvent entourés d’un rideau de fumée idéologique ou d’un jargon technique qui en occultent le sens et en rendent l’appropriation ardue. Son opportunité tient aussi à ce que la question est désormais inscrite sur l’agenda des instances nationales et internationales où elle a vocation à être débattue et à l’être, de préférence, sur des bases rigoureuses et objectives, comme c’est le cas dans ce Glossaire. On redécouvre cette évidence trop vite perdue de vue que le combat pour la diversité culturelle est un enjeu sans cesse renaissant. Les points marqués n’y sont jamais définitivement acquis. L’objectif à atteindre se déplace au gré des mutations de l’équilibre géopolitique et du paysage technologique qui influent sur l’activité et les pratiques culturelles. Aujourd’hui, c’est la révolution numérique, avec sa fulgurante radicalité, qui pose en termes inédits la question de la diversité culturelle telle que l’UNESCO en a défini les principes et lui a donné forme juridique en adoptant, en 2005, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, ratifiée depuis lors par 133 États. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 305 18/11/2014 10:01:00 306 Diversité culturelle à l’ère du numérique Le concept de diversité culturelle émerge sur la scène internationale dans le contexte de la première mondialisation, celle des années 19801990, sur fond d’idéologie néolibérale triomphante. Il constitue la réponse stratégique des acteurs culturels aux atteintes qu’une globalisation non régulée, mue exclusivement par la logique du marché, était susceptible de porter à la culture en imposant des règles commerciales aux œuvres de l’esprit, ravalées au rang de simples marchandises. Ces atteintes étaient de trois ordres. En premier lieu, l’instauration d’un modèle hégémonique, forgé par une poignée de grandes firmes oligopolistiques et conduisant à la standardisation des expressions et à l’appauvrissement des contenus. Ensuite, le démantèlement des politiques culturelles publiques dénoncées par les ultralibéraux comme autant d’entraves à la liberté des échanges. Enfin, le développement inégalitaire des échanges culturels mondiaux, marqué par une double asymétrie, entre le Nord et le Sud, d’une part, et entre les deux rives de l’Atlantique, de l’autre. Pour endiguer ce courant dominant et remédier à l’inefficacité de postures défensives de type protectionniste ou identitaire, la Convention de 2005 opère un véritable renversement copernicien. Elle proclame que la diversité culturelle est, dans l’ordre juridique, un principe non moins légitime que la liberté du commerce et qu’il doit acquérir force de loi internationale. Elle fonde cet axiome sur la double nature des biens et services culturels qui relèvent, certes, de la sphère des échanges économiques, mais qui sont, avant tout, des productions à haute intensité symbolique non réductibles à leur valeur marchande. De ces prémisses découlent, d’une part, le droit des États à soutenir la création par des dispositifs de régulation et de financement appropriés, dès lors que leur intervention n’est pas un alibi du protectionnisme ; d’autre part, l’obligation morale pour les pays les plus riches d’aider les moins avancés à produire de façon autonome et à mettre en circulation leur propre production culturelle dans le cadre de partenariats internationaux équitables. Qu’en est-il aujourd’hui ? Cet acquis, résultat d’une bataille que l’UNESCO a su mener en son temps avec intelligence et énergie, est fragilisé par ce qu’on appelle couramment la révolution numérique. Des bouleversements technologiques de ces dix dernières années, certains s’empressent de tirer la conséquence que la Convention serait frappée d’obsolescence : à la fois inutile et inopérante. Inutile parce que le numérique générerait de la diversité par un effet de sa vertu propre ; inopérante parce que les outils de régulation classiques seraient privés de portée efficace dans le monde numérique. La vérité est que, si la transition numérique invite fortement à ajuster le champ d’application et les modalités de mise en œuvre de la Convention Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 306 18/11/2014 10:01:00 Postface 307 de 2005 en vue d’assurer son effectivité et sa pérennité, elle ne remet pas fondamentalement en cause les principes sur lesquels elle repose ni les finalités qu’elle s’assigne. Tel est le nouveau défi qui s’offre à l’UNESCO et à ses États membres : faire de l’émergence du numérique l’occasion de fortifier et d’enrichir la Convention de 2005. Laquelle reste un instrument indispensable en raison des effets ambivalents de l’écosystème numérique sur la diversité culturelle. D’un côté, en effet, la technologie numérique présente une opportunité sans précédent de stimuler la création et d’élargir l’accès du public aux œuvres en surmontant une multitude de freins et d’obstacles rencontrés dans l’univers physique. De l’autre, le fonctionnement réel de l’économie numérique tend à stériliser ces potentialités positives et à cannibaliser les contenus culturels au seul profit d’intérêts commerciaux. Soit la révolution numérique sera pilotée et orientée vers le bien commun par des politiques culturelles appropriées, soit ses bénéfices seront confisqués au nom d’une logique purement marchande et instrumentale. L’écosystème numérique tel qu’il se déploie depuis une décennie se caractérise par des formes nouvelles de concentration. Les effets de réseau et d’innovation permettent à une poignée de firmes géantes d’acquérir des positions dominantes dans des délais très courts. L’internationalisation des échanges propre à l’internet se traduit par l’entrée en force sur les marchés nationaux d’acteurs privés extérieurs qui échappent aux mécanismes de régulation et de financement. La pratique de l’optimisation fiscale, en particulier, permet aux géants du net de s’exonérer de toute participation au financement de la création. Pour les acteurs globaux très puissants (le « GAFA ») qui dominent des marchés spécifiques et connexes (celui de la recherche, celui des interactions sociales, celui des systèmes d’exploitation, celui de la distribution des œuvres, etc.), la production culturelle est vue comme un contenu à exploiter, la diversité ne constituant pas un impératif prioritaire au regard de leur stratégie de captation de clientèle. La consécration de modèles d’affaires d’intermédiaires repose sur un transfert de valeur des producteurs de contenus vers les opérateurs de diffusion et sur une stratégie abusivement dite de la « gratuité » qui érode le consentement à payer et mine le droit d’auteur. Tout cela s’accompagne de la mise en place de systèmes propriétaires qui limitent l’interopérabilité des supports, brident certains usages et maintiennent des prix anormalement élevés au regard des gains de productivité obtenus par la dématérialisation, incitant par là même une partie des consommateurs à se tourner vers l’offre illégale. Du fait de ses caractéristiques, l’économie numérique comporte donc des effets directement préjudiciables à la diversité culturelle. La pro- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 307 18/11/2014 10:01:00 308 Diversité culturelle à l’ère du numérique fusion tant vantée de l’offre culturelle numérique ne garantit pas la diversité des expressions qui la composent. Les phénomènes de concentration, de marchandisation, de standardisation, déjà présents dans les industries culturelles traditionnelles, se retrouvent, avec une vigueur amplifiée, dans l’économie numérique. Sur les marchés mondiaux, les effets de concentration sur des produits « stars », recommandés par les nouveaux prescripteurs, contrebalancent largement les gains en termes de diversité. La captation de la valeur par les acteurs du net au détriment des producteurs de contenus et des ayants droit comporte un risque de tarissement du financement de la création et d’un assèchement du renouvellement des talents. Si l’on admet que cet écosystème ne génère pas spontanément de la diversité, force est alors de considérer que la régulation publique, nationale et internationale, demeure nécessaire pour en garantir la préservation. Et elle est non seulement indispensable mais, contrairement à certaines prédictions défaitistes, elle est possible pour peu que la volonté politique d’agir et le recours à des procédures efficaces soient au rendez-vous. Le paradoxe dans cette affaire n’est pas que les forces qui dominent les nouveaux marchés de la culture numérique cherchent à s’affranchir de la régulation publique en invoquant son inutilité, voire sa ringardise, comme le faisaient il y a vingt ans les majors du cinéma et de la musique, mais bien que les institutions publiques, États et organisations internationales, n’aient réagi que mollement face à cette nouvelle donne. La situation est néanmoins en train d’évoluer dans le bon sens. C’est ainsi que, s’adressant à la 37e Conférence générale de l’UNESCO, le 7 novembre 2013, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a déclaré que l’un des grands défis qui s’offrent à cette organisation est de « garantir la diversité culturelle et linguistique à l’heure d’internet ». Lui répondant, le lendemain, la directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, a affirmé avec force que « la diversité culturelle doit être garantie à l’ère d’internet, pour que le numérique soit un vrai moteur d’épanouissement et non d’aplanissement culturel », en relevant que la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001 et la Convention de 2005 « sont davantage que des instruments juridiques : ce sont les abécédaires de la nouvelle économie créative, de nos identités plurielles, de nos sociétés diverses et connectées. » La Commission française pour l’UNESCO avait de son côté pris, dès 2011, l’initiative d’installer en son sein un groupe de travail « Diversité culturelle/numérique », réunissant les administrations concernées, les représentants de la société civile et les meilleurs experts de la question. Ce groupe s’est attaché à sensibiliser les pouvoirs publics à la nécessité de remettre Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 308 18/11/2014 10:01:00 Postface 309 en chantier la réflexion sur la diversité culturelle. C’est de ses travaux et réflexions qu’est notamment issue la présente publication. Cette volonté politique hautement affirmée doit désormais trouver sa traduction dans des décisions concrètes. Le calendrier offre l’opportunité d’accélérer la manœuvre. En décembre 2014 se tiend la 8e session du comité intergouvernemental prévu par l’article 23 de la Convention. Il est indispensable qu’à cette occasion un vrai débat puisse s’ouvrir sur l’application de la Convention à l’ère numérique. L’année 2015 sera celle du 10e anniversaire de l’adoption de la Convention. C’est l’occasion d’en faire autre chose qu’une manifestation purement commémorative en mettant en chantier les mesures d’application qui assureront à la Convention toute sa pertinence dans l’univers numérique. En effet, bien qu’elle n’ait pas été conçue dans et pour un environnement spécifiquement numérique, la Convention de 2005 n’a nullement cantonné le principe de diversité culturelle à l’univers pré-numérique. Elle permet d’appréhender les enjeux spécifiques du numérique pour peu que soient définis les paramètres appropriés. Nous mentionnerons à titre d’exemple trois points d’application susceptibles d’être explorés. Ils sont relatifs aux articles 6, 14 et 20 et pourraient déboucher sur l’élaboration de directives opérationnelles prévues au point 6 (b) de l’article 23 ou sur toute autre modalité pratique qu’il appartiendrait à la Conférence des parties de définir. Il est superflu de rappeler ici que le marbre dans lequel sont gravées les conventions internationales n’interdit pas, bien au contraire, d’en faire une application créative en fonction des mutations du contexte dans lequel elles interviennent. L’UNESCO a montré qu’elle savait gérer ce genre de situation. L’exemple le plus probant en est donné par la Convention de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel dont les « Orientations devant guider la mise en œuvre » ont été remaniées à diverses reprises pour tenir compte de l’évolution du concept de patrimoine. Le premier point d’application concerne le droit proclamé des États à soutenir la diversité des expressions culturelles et à adopter à cette fin des mesures réglementaires ou financières (articles 2 et 6). D’une part, les instruments réglementaires (quotas, contrôles aux frontières, soutien aux services publics) ou financiers (aides publiques, régulation des prix) s’avèrent de peu d’effet face aux modes opératoires de l’écosystème numérique : fonctionnement en réseau, évaporation des frontières physiques, dématérialisation des contenus, accès universel aux données, échanges directs entre internautes. D’autre part, la montée en puissance des plateformes géantes du net, dotées d’une Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 309 18/11/2014 10:01:00 310 Diversité culturelle à l’ère du numérique force de frappe financière sans précédent et d’une égale adresse à se soustraire aux législations nationales, réduit considérablement la portée des interventions publiques. La souveraineté étatique telle qu’elle est postulée par la Convention risque ainsi de se dissoudre dans la globalisation numérique. Il est donc urgent de refonder des outils de régulation adaptés à la donne numérique et aptes à consolider le socle de valeurs sur lequel est assise la Convention : respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, égale dignité de toutes les cultures, double nature des biens et services culturels, respect des droits de propriété intellectuelle, accès équitable aux expressions culturelles, pluralisme linguistique. S’agissant des instruments financiers, il conviendrait de préciser, par exemple, que les réglementations nationales peuvent prévoir d’imposer aux acteurs de l’internet une participation au financement de la création dans le cadre du soutien à la diversité culturelle. Le second point d’application pourrait porter sur la coopération pour le développement, prévue à l’article 14 de la Convention, dont la lutte contre la fracture numérique au niveau mondial doit désormais constituer un volet significatif. Le basculement dans le numérique peut être mis à profit pour renforcer le cadre international de coopération et de solidarité entre les cultures. L’enjeu, pour les pays les moins avancés, est de faire de la technologie numérique un outil de développement culturel en évitant que les bénéfices tirés de son application ne soient confisqués par des agents économiques extérieurs. Le numérique devrait permettre d’abaisser sensiblement les coûts de production et de diffusion des œuvres. Il peut compenser l’absence d’équipements classiques (cinémas, bibliothèques, studios…). Il peut aussi favoriser la diffusion des œuvres des artistes du Sud. Encore faut-il que deux conditions soient satisfaites : que la disponibilité en réseaux soit assurée et que l’appropriation par les populations concernées soit effective. Au titre de la mise en œuvre des dispositions relatives à la coopération pour le développement, prévue par l’article 14, trois pistes pourraient être privilégiées : l’éligibilité aux aides du Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC) des projets destinés à remédier aux conséquences de l’inégal déploiement des infrastructures de réseaux ; le transfert d’expertise et de formation afin de renforcer la maîtrise des technologies et l’accès aux ressources en ligne par les populations ; et le soutien à la présence sur la Toile des créateurs et des expressions culturelles endogènes, négligés par les géants du net en raison d’une valeur marchande jugée insuffisamment attractive. Le troisième point d’application concerne la négociation des accords commerciaux et la mise en œuvre de l’article 20 de la Convention relatif à la relation avec d’autres instruments. L’article 20, cœur Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 310 18/11/2014 10:01:00 Postface 311 normatif de la Convention, stipule que « lorsqu’elles souscrivent à d’autres obligations internationales, les Parties prennent en compte les dispositions pertinentes de la présente Convention ». C’est ainsi que, pour tourner cette obligation, lors de l’ouverture des négociations sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les ÉtatsUnis (qui, rappelons-le, ne sont pas partie à la Convention), les négociateurs américains ont tenté d’englober les contenus culturels créés ou diffusés au moyen de technologies numériques dans une nouvelle catégorie de produits ou services, présentés comme distincts des services traditionnels, et qui échapperaient pour cette raison au champ d’application de la Convention. Mais ce champ d’application n’est nullement déterminé par référence à des supports ou des vecteurs technologiques. Le texte énonce expressément un principe de neutralité au regard des outils « de création, de production, de diffusion, de distribution et de jouissance » des expressions culturelles, « quels que soient », est-il stipulé, « les moyens et les technologies utilisés » (article 4.1). Il en résulte que les « services culturels numériques » doivent être regardés comme couverts par la Convention dès lors qu’ils véhiculent des expressions culturelles, au même titre que les autres activités, biens et services culturels. Il est donc parfaitement légitime d’invoquer la Convention de l’UNESCO pour exiger l’exclusion des services culturels numériques des négociations commerciales et de tout engagement de libéralisation. Ce principe mérite d’être vigoureusement réaffirmé pour faire pièce aux tentatives récurrentes de tourner l’obligation résultant de l’article 20. L’irruption du numérique dans la sphère culturelle et les bouleversements radicaux qu’elle occasionne soulèvent, au regard de l’application de la Convention de 2005, des questions multiples et ardues, qui combinent des considérations techniques, politiques et économiques et mettent en scène des forces et des acteurs particulièrement puissants et retors. Face à cela, le débat public reste confus, brouillé, instrumentalisé. L’objet du présent ouvrage tend précisément à répondre à un besoin vivement ressenti d’intelligence et de clarté. Il vise à baliser un champ de connaissance neuf, mouvant, en gestation et renouvellement constant, ce qui exige, pour parvenir à une appréciation équilibrée, de faire le départ entre le durable et l’anecdotique, la réalité et le fantasme. C’est pourquoi ce Glossaire critique se présente sous formes d’articles qui sont autant d’instantanés sur un état de l’art, de portes ouvrant à la compréhension de notions complexes et techniques mais exposées avec le souci de les rendre accessibles et, surtout, d’en faire émerger l’enjeu politique et la portée sociale. Il offre au lecteur la possibilité d’aiguiser son regard critique et de s’orienter dans ce qui apparaît au non-initié comme une jungle de notions opaques et codées. Cette publication, élaborée sous l’égide Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 311 18/11/2014 10:01:00 312 Diversité culturelle à l’ère du numérique de la Commission française, constitue une éminente contribution du monde de la recherche à la réflexion collective. Elle vient à point nommé, au moment où la question est désormais ouverte et ne peut plus être éludée, enrichir le débat citoyen mais aussi nourrir l’expertise des décideurs publics et faciliter la tâche des négociateurs appelés à en traiter, à la table de l’UNESCO et ailleurs. Le déploiement foudroyant de l’écosystème numérique ne remet pas seulement en cause les modes de production, les modèles économiques et les pratiques sociales relatifs à la culture. Il pose à la puissance publique dans sa fonction régulatrice une question existentielle. De puissants appétits économiques avancent masqués derrière une idéologie sympathique mais illusoire du partage, de la communauté, de la transparence, de la gratuité, de l’accès illimité. Il faut savoir débusquer, sous l’enrobage d’un discours séduisant, le danger réel d’une domestication de la culture à des fins marchandes. Et il faut symétriquement savoir donner la plénitude de sa portée à la promesse dont le numérique est porteur pour la création – pour autant que les sociétés humaines s’approprient cette technologie pour en faire un usage raisonné, tourné vers la satisfaction d’un besoin collectif plutôt que vers l’instauration insidieuse d’un nouvel ordre orwellien. Tous les défenseurs de la diversité culturelle misent sur l’UNESCO pour mener à bien cette tâche. L’UNESCO peut et doit, conformément à sa vocation, relever le défi, s’en saisir comme l’occasion de dynamiser et de revitaliser la Convention de 2005 (et, par-là, prendre le contre-pied des forces qui entendent tirer argument du basculement dans l’ère numérique pour la vider de sa substance ou décréter sa caducité), d’en faire un facteur d’enrichissement de la diversité. Il n’est pas nécessaire pour cela de modifier l’instrument. Il suffit qu’il devienne une application constructive, innovante et volontaire. La crédibilité de l’UNESCO comme producteur de normes universellement reconnues est mise en jeu sur cet objectif. Ou bien elle saura mettre le numérique au service de la culture en faisant contrepoids à la toute-puissance du marché, des réseaux et des acteurs qui les dominent. Ou bien la diversité culturelle se dissoudra progressivement dans le flux de contenus indifférenciés qui saturent la Toile. En 1945, son « Acte constitutif » assignait à l’UNESCO la mission d’assurer à ses États membres « l’indépendance, l’intégrité et la féconde diversité de leurs cultures ». Près de soixante-dix ans plus tard, cet objectif reste d’une ardente actualité à l’aune du défi numérique. Mai 2014 Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 312 18/11/2014 10:01:00 313 Présentation des auteurs Karine AILLERIE Philosophe de formation et après avoir été une quinzaine d’années documentaliste certifiée en établissement scolaire et chargée de la formation continue des enseignants documentalistes, Karine Aillerie a soutenu en 2011 une thèse en sciences de l’information et de la communication traitant des pratiques informationnelles informelles d’adolescents sur le web. Elle est aujourd’hui chargée d’expérimentations et de veille à la Direction de la recherche et du développement sur les usages du numérique éducatif (réseau Canopé, ex-CNDP). Elle est également chercheuse associée à l’équipe Techne (EA 6316, Université de Poitiers) et membre de l’ANR Translit (« La Translittératie : vers la transformation de la culture de l’information »). Laurence ALLARD Laurence Allard est maître de conférences en sciences de la communication, chercheuse à l’Université Paris III-Ircav et enseigne à l’Université Lille III. Ses thèmes de recherche portent sur les usages expressifs et citoyens des technologies de communication, du web à l’internet des objets, en passant par les terminaux mobiles. Elle développe également une anthropologie du « tout connecté » et du big data. Elle est l’auteure de Mythologie du portable, Cavalier Bleu, 2010 ; co-auteure de Devenir Média, Éditions Amsterdam, 2007, avec Olivier Blondeau. Elle a dirigé l’ouvrage collectif Téléphone mobile et création, Armand Colin, 2014, avec Roger Odin et Laurent Creton ; et l’anthologie Donna Haraway. Manifeste Cyborg et autres essais : Sciences. Fictions. Féminismes, Éditions Exils, 2007, avec Delphine Gardey et Nathalie Magnan. Elle est également l’une des fondatrices de l’association Labo citoyen-Citoyens capteurs. Bruno BACHIMONT Bruno Bachimont est directeur de la recherche de l’Université de technologie de Compiègne. Enseignant-chercheur en informatique, logique et philosophie depuis 2001, il a été directeur de la recherche de l’Institut national de l’audiovisuel de 1999 à 2001, et conseiller scientifique de cette institution jusqu’en 2012. Il s’intéresse au numérique en en proposant une philosophie articulée à une approche de la technique en général. Il étudie dans cette perspective les objets documentaires, qu’il aborde depuis une conception de la mémoire et une approche de l’ingénierie des connaissances, des documents et de la préservation. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 313 18/11/2014 10:01:00 314 Diversité culturelle à l’ère du numérique Françoise BENHAMOU Agrégée en sciences sociales et en sciences économiques, Françoise Benhamou a été maître de conférences à l’université Paris X-Nanterre et chargée de conférences à l’École normale supérieure, ainsi que conseiller technique (1991-1993) pour le livre et la lecture auprès du ministre de la culture Jack Lang. Elle est aujourd’hui professeure à l’université Paris XIII (Villetaneuse) et responsable de la filière « Économie du patrimoine » à l’Institut national du patrimoine de Paris. Elle a été pendant deux années vice-présidente de l’Université Paris XIII chargée des relations internationales. Elle enseigne également à l’Université Paris I, à l’Institut national de l’audiovisuel (INA), à l’Institut national du patrimoine, à l’Université de Turin et à l’Université Léopold-Sédar-Senghor d’Alexandrie. Elle participe en outre à un grand nombre de conseils scientifiques et de comités, elle a été élue au Cercle des économistes en 2009. Elle a été chargée, en septembre 2009, par le département des études, de la prospective et des statistiques (Deps) du ministère de la Culture et de la Communication, d’une étude sur les modèles économiques du livre numérique, en France et à l’étranger. En 2012, elle a été nommée par le président du Sénat membre du collège de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Elle est experte auprès de l’UNESCO. Dernier ouvrage paru : Économie du patrimoine culturel, La Découverte, coll. « Repères », 2012. Mokhtar BEN HENDA Mokhtar Ben Henda est maître de conférences HDR et chercheur au laboratoire MICA EA-4426 de l’université Bordeaux Montaigne où il enseigne les technologies de l’information et de la communication. Il est membre de la Commission nationale des technologies de l’information pour l’éducation, la formation et l’apprentissage de l’AFNOR (AFNOR/CN 36) et membre de la délégation française de normalisation auprès du Sous-Comité 36 à l’ISO (ISO/IEC JTC1 SC36). Il préside également la délégation de l’AUF auprès du SC 36 où il intervient comme convener du groupe de travail chargé de la normalisation d’une terminologie multilingue pour l’e-Learning. Docteur en sciences de l’information et de la communication avec une thèse sur les normes d’encodage des langues et des systèmes d’écriture, il fait de la diversité culturelle et linguistique un axe transversal à ses travaux de recherche qui portent sur l’interopérabilité normative des systèmes d’information et de communication numérique (HDR), la normalisation des technologies éducatives, les humanités digitales et la Text Encoding initiatve (TEI). Membre fondateur de plusieurs réseaux francophones de recherche (Sem@tice, Res@tice, Ticer), il a également été entre 2002 et 2009 secrétaire général puis président de l’Association Internationale des Ecoles des Sciences de l’Information. Parmi ses publications, un ouvrage en 2005, coécrit avec Saloua Mahmoud sur « les critères d’évaluation des revues scientifiques sur Internet ». En 2009, il codirige avec Emanuel Tonye un ouvrage collectif publié chez l’Harmattan, TIC et éducation en Afrique. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 314 18/11/2014 10:01:00 Présentation des auteurs 315 Philippe BOUQUILLION Philippe Bouquillion est professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris XIII, chercheur au Labsic et coresponsable de l’Observatoire des mutations des industries culturelles hébergé à la Maison des sciences de l’homme Paris-Nord. Ses travaux portent sur l’économie politique de la communication et des industries culturelles et créatives. Récemment, il a rédigé ou dirigé différents ouvrages sur les industries culturelles et créatives, dont L’Industrialisation des biens symboliques. Les industries créatives en regard des industries culturelles, en coécriture avec Bernard Miège et Pierre Mœglin, PUG, 2013 ; Creative Economy, Creative Industries : des notions à traduire, PUV, 2012 ; Diversité et Industries culturelles, en codirection avec Yolande Combès, L’Harmattan, 2011 ; Le Web collaboratif. Un nouveau système de la culture et de la communication, en coécriture avec Jacob Matthews, PUG, 2010. Valérie CARAYOL Valérie Carayol est professeure des universités à l’Institut des sciences de l’information et de la communication de l’Université Michel-de-Montaigne de Bordeaux. Elle est depuis 2009 la directrice du groupe de recherche MICA (EA 4426). Dédié aux sciences de l’information et de la communication et aux arts, le laboratoire comprend 67 membres statutaires, et 100 doctorants. Valérie Carayol a été la présidente de l’association européenne de chercheurs en communication Euprera. Elle est directrice de publication de la revue académique Communication et Organisation, fondée en 1992. On compte parmi ses publications six livres académiques, principalement dans le domaine de la communication organisationnelle. Stéphane CARO DAMBREVILLE Stéphane Caro-Dambreville a occupé un poste d’ingénieur expert à l’Inria Rhône-Alpes au sein de l’équipe « Représentation et langage ». De 1998 à 2011, il a été maître de conférences en sciences de l’information et de la communication au sein du département « Services et réseaux de communication » de l’IUT de Dijon. Il a conduit ses recherches au laboratoire CIMEOS EA 4177 de l’Université de Bourgogne. Il a participé à la direction de ce laboratoire comme directeur adjoint avant de rejoindre le laboratoire MICA EA 4426 de l’Université Bordeaux III à la rentrée de 2011. Lauréat du Prix du jeune chercheur de la ville de Grenoble en sciences humaines et sociales en 1996, ses travaux de recherche portent sur l’étude des processus de communication médiatisée. Il s’intéresse plus précisément aux représentations mentales construites par les usagers dans les situations de communications personnes-systèmes. Dominique CARRÉ Dominique Carré est professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris XIII, et assure la direction de la thématique « Innovation en communication : dispositifs, normes Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 315 18/11/2014 10:01:01 316 Diversité culturelle à l’ère du numérique et usages » au sein du LabSic MSH Paris-Nord. Il est également coéditeur de la revue en ligne Tic & société (http://ticetsociete.revues. org/), membre du conseil d’administration du Centre d’études pour la recherche et l’enseignement en informatique et société (CREIS) et du conseil scientifique de la revue Terminal. Technologie de l’information, culture et société. Sylvie CATELLIN Sylvie Catellin est maître de conférences HDR en sciences de l’information et de la communication à l’Université de VersaillesSaint-Quentin, où elle dirige le master « Ingénierie de la culture et de la communication ». Elle est responsable de l’axe de recherche « Création, médiation, diffusion des savoirs » du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Elle a dirigé « L’Imaginaire dans la découverte » pour la revue Alliage (culture, science, technique), 2012, et a publié une enquête historique et épistémologique intitulée Sérendipité. Du conte au concept, Seuil, 2014. Pierre-Antoine CHARDEL Pierre-Antoine Chardel est docteur de l’École des hautes études en sciences sociales et titulaire d’un PhD de l’Université Laval (Canada), habilité à diriger des recherches de l’Université ParisDescartes (Sorbonne), professeur de philosophie sociale et d’éthique à Télécom école de management, où il est responsable de l’équipe de recherche « Éthique, technologies, organisations, société » (ETOS). De 2008 à 2013, il a été chercheur au Centre de recherche « Sens, éthique, société » (CERSES), UMR 8137, CNRS/Université ParisDescartes. Depuis janvier 2014, il est directeur adjoint du Laboratoire sens et compréhension du monde contemporain (LASCO), Université Paris-Descartes/Institut Mines-Télécom. Dernier ouvrage paru : Zygmunt Bauman. Les illusions perdues de la modernité, Paris, Éditions du CNRS, 2013. Emmanuelle CHEVRY PÉBAYLE Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, à l’IUT RobertSchuman, depuis 2009, Emmanuelle Chevry-Pébayle est membre permanent du Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication (LISEC) EA 2310. Elle appartient au groupe de recherches « Document numérique et usages » de l’Université de Nancy, et au conseil d’administration ISKO France (International Society for Knowledge Organization). Ses travaux de recherche portent sur la transmission des connaissances à l’ère du numérique (bibliothèques numériques, numérisation, MOOC). Elle a étudié le patrimoine numérisé par les bibliothèques municipales et leurs moyens de valorisation. Elle a notamment publié, aux éditions Hermès-Lavoisier, Stratégies numériques : numérisation et exploitation du patrimoine écrit et iconographique, et a coordonné un numéro spécial dans la revue Les Cahiers du numérique sur la « Valorisation des corpus numérisés ». Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 316 18/11/2014 10:01:01 Présentation des auteurs 317 Bernard CLAVERIE Bernard Claverie est physiologiste et psychologue. Il est professeur des universités à l’Institut polytechnique de Bordeaux. Après des études à Bordeaux, à Paris et à Besançon, il a contribué à la recherche sur les rapports neurofonctionnels, notamment par des travaux de psychophysiologie expérimentale chez le sujet sain et en épileptologie chirurgicale. Il travaille aujourd’hui sur les problématiques de convergence disciplinaire appliquée à l’augmentation humaine au sein de l’IMS (UMR Université de Bordeaux CNRS 5218). Il a fondé et dirigé le laboratoire de sciences cognitives et l’Institut de cognitique de l’université Victor-Segalen à Bordeaux, puis l’École nationale supérieure de cognitique. Il est auteur ou coauteur de nombreux articles scientifiques et d’ouvrages dont : Douleurs : du neurone à l’homme souffrant, (coauteur), Éditions Eshel, 1991 ; Douleurs : sociétés, personne et expressions, (coauteur), Éditions Eshel 1992) ; Cognitique : science et pratique des relations à la machine à penser, (auteur), L’Harmattan, 2005) ; L’Homme augmenté, (auteur), L’Harmattan 2010 ; L’Humain augmenté, (coauteur), Éditions du CNRS, 2013. Alexandre COUTANT Enseignant-chercheur à l’Université de Franche-Comté, équipe « Objets et usages numériques » du laboratoire Elliadd, Alexandre Coutant s’intéresse aux activités de consommation des individus et à leurs usages des techniques de l’information et de la communication. Ses premières recherches étudient le fonctionnement du secteur professionnel du marketing et de la communication, un domaine qu’il analyse désormais dans le cadre des métiers de l’internet. En parallèle, il cherche à comprendre la dynamique complexe par laquelle les individus « font avec » un ensemble de dispositifs, objets et discours provenant de la société de consommation. Ses terrains principaux sont les dispositifs sociotechniques et les marques. Anne CORDIER Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Anne Cordier inscrit ses recherches dans une approche sociale de l’information. Ses travaux personnels de recherche portent sur les pratiques informationnelles considérées dans leurs processus à la fois individuel et social de construction, de développement et de reconfiguration, sur les imaginaires de l’activité de recherche d’information et des lieux d’information, ainsi que sur les modalités pédagogiques d’enseignement des objets liés à l’information-documentation. Elle est membre de l’équipe ANR Translit. Éric DELAMOTTE Professeur en sciences de l’information et de la communication, Éric Delamotte est l’un des animateurs du domaine « Cultures informationnelles ». Dans le cadre de recherches collectives, il interroge le développement d’une « translittératie », dans et hors de l’école, dans laquelle les produits des industries culturelles ont pris une place Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 317 18/11/2014 10:01:01 318 Diversité culturelle à l’ère du numérique importante. Il s’agit de construire un cadre d’analyse-socio-économique, historique et culturel sur le statut de l’information dans les espaces formatifs contemporains. Il est un des membres porteurs de l’ANR Translit. Bernadette DUFRÊNE Professeure des universités (Université Paris VIII), membre du conseil scientifique de la Bibliothèque nationale de France et du comité stratégique de BNF Partenariats, Bernadette Dufrêne enseigne les questions de muséologie et de médiation du patrimoine. Spécialiste de l’histoire du Centre Pompidou (Paris), elle a consacré deux ouvrages à cette institution : La Création de Beaubourg, PUG, Grenoble, 2000 ; Centre Pompidou : trente ans d’histoire (ouvrage collectif), Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2007. En outre, elle est l’auteure de nombreux articles sur le thème de l’exposition, notamment du point de vue de l’écriture ou du genre ; sa recherche porte plus particulièrement sur les expositions internationales et, depuis quelques années, sur les formes de la médiation numérique, les patrimoines et les muséologies numériques. Elle a dirigé l’ouvrage Numérisation du patrimoine. Quels accès ? Quelles médiations ? Quelles cultures ? paru aux éditions Hermann en 2013, et l’ouvrage Patrimoines et humanités numériques, à paraître chez LIT Verlag en 2014 (édition bilingue français-anglais). Dans le cadre du laboratoire d’excellence « Arts H2H » de l’Université Paris VIII, elle dirige le programme « Patrimoines du Maghreb à l’ère numérique », dans lequel s’inscrivent « Les Rencontres du numérique d’Alger », manifestations scientifiques coorganisées par l’École de conservation et de restauration des biens culturels d’Alger et le Labex Arts H2H. Les actes du premier colloque paraîtront en mai 2014 sous le titre Patrimoines du Maghreb à l’ère numérique, chez Hermann-APIC. Mélanie DULONG de ROSNAY Mélanie Dulong de Rosnay est chargée de recherche à l’Institut des sciences de la communication du CNRS Paris-Sorbonne/UPMC et chercheuse invitée dans le département « Media and Communication » de la London School of Economics. Diplômée en sciences politiques et docteure en droit, elle a été chercheuse au Berkman Center for Internet & Society (Harvard Law School) et à l’Institute for Information Law (Université d’Amsterdam). Elle a cofondé et préside actuellement Communia, l’association internationale pour le domaine public numérique. Ses recherches portent sur les biens communs, l’accès à la connaissance, les architectures distribuées, la production par les pairs, l’ouverture des informations du secteur public et des données scientifiques. Emmanuel EVENO Emmanuel EVENO est professeur de géographie à l’Université de Toulouse et chercheur au LISST-CIEU (Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires-Centre interdisciplinaire d’études urbaines). Il travaille sur une théorie générale des relations entre la ville Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 318 18/11/2014 10:01:01 Présentation des auteurs 319 et les techniques d’information et de communication. L’hypothèse fondamentale qu’il met à l’épreuve de plusieurs travaux théoriques et empiriques est que le développement rapide des TIC dans les sociétés contemporaines est lié au développement de l’urbanisation. Ce serait la croissance urbaine et sa généralisation qui provoqueraient, de la part des acteurs et des usagers, la nécessité de plus en plus affirmée de recourir aux TIC. La banalisation des TIC dans le fonctionnement des organisations (administratives, économiques ou sociales), son usage de plus en plus massif dans les relations sociales seraient donc des moyens d’adaptation aux contextes urbains. Renaud FABRE Docteur d’État ès sciences économiques et professeur des universités, Renaud Fabre a exercé des missions de recherche et d’enseignement en sciences économiques à l’Université Paris VIII – qu’il présida également de 1996 à 2001 – et de chargé de cours à l’Institut d’études politiques de Paris (« Gestion des systèmes éducatifs » du master « Affaires publiques »). Il a également rempli des fonctions d’expert dans le cadre d’organismes de développement (BIT, OCDE, Union européenne) sur le changement technologique, la formation et l’emploi, puis, à la troisième chambre de la Cour des comptes sur les politiques nationales de l’enseignement scolaire. Président de 1998 à 2001 du groupement d’intérêt scientifique Gemme, il est expert associé au Laboratoire interdisciplinaire pour l’évaluation des politiques publiques (LIEPP), Labex du PRES Sorbonne Cité, et président depuis 2009 de la délégation française à l’ISO (International Organisation of Standardization), sur les normes des technologies de l’information pour l’éducation, la formation, l’apprentissage. Il a été nommé en juin 2013 directeur de l’information scientifique et technique à la direction générale du CNRS (CNRS-DIST). Jean-Paul FOURMENTRAUX Jean-Paul Fourmentraux est docteur en sociologie (PhD), professeur d’esthétique et de sociologie des arts, des médias et des cultures numériques à l’Université Aix-Marseille. Habilité à diriger des recherches (HDR) par l’Université de la Sorbonne Paris V, il est membre du Laboratoire en sciences des arts (LESA, Aix-en-Provence) et chercheur associé à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris (EHESS) au Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL UMR-CNRS 8556). Ses recherches pluridisciplinaires (sociologie et sciences de l’art, des médias et de la communication) portent sur les interfaces entre création artistique, recherche technologique, critique et émancipation sociale. Il est l’auteur des ouvrages Art et internet, CNRS, 2010 ; Artistes de laboratoire, Hermann, 2011 ; L’Œuvre commune. Affaire d’art et de citoyen, Presses du réel, 2012 ; L’Œuvre virale. Net art et culture, Hacker, La Lettre volée, 2013. Il a dirigé les ouvrages L’Ère post-média, Hermann, 2012, et Art et Science, CNRS, 2012. Cf. http://cral.ehess.fr/index.php?1409 et http://www.linkedin. com/in/jeanpaulfourmentraux. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 319 18/11/2014 10:01:01 320 Diversité culturelle à l’ère du numérique Divina FRAU-MEIGS Divina Frau-Meigs, normalienne, agrégée, est professeure à l’Université Sorbonne nouvelle depuis 2004. Boursière Fulbright et Lavoisier, elle est diplômée de l’Université de la Sorbonne, de l’Université de Stanford (Palo Alto) et de l’Annenberg School for Communications (Université de Pennsylvanie, Philadelphie). Sociologue des médias, spécialiste des mondes anglophones, elle est experte des contenus et des comportements à risque ainsi que des questions de réception et d’usage des technologies de l’information et de la communication. Elle a édité pour l’UNESCO le Kit pour l’éducation aux médias, à l’usage des enseignants, des parents et des professionnels. Au sein de l’UNESCO, elle a également représenté officiellement la France au PIPT (« Programme information pour tous »). Elle est aussi experte auprès de la Commission européenne, du Conseil de l’Europe et d’autres instances gouvernementales, en France et à l’étranger, pour les questions de diversité culturelle, de gouvernance de l’internet et d’éducation aux médias. Elle est porteur de l’ANR Translit et du projet européen ECO pour les MOOC sur les fondamentaux du numérique éducatif. Elle est aussi responsable de la chaire UNESCO « Savoir devenir dans le développement numérique durable », qui s’inscrit dans l’Alliance globale des partenaires pour l’éducation aux médias et à l’Information (GAPMIL) et fait partie du réseau ORBICOM. Chloé GIRARD Chloé Girard est responsable du développement et de la fabrication numérique pour les éditions Droz et enseigne dans les masters « Document numérique » de l’Enssib à titre de professionnelle associée. Spécialiste en Digital Humanities, elle défend une réflexion sur le raffinement de l’ordre des discours avec les outils réseau et porte un projet de développement mutualisé de logiciels libres pour les métiers du livre (opérateur du logiciel libre pour les métiers du livre, http://www.editionforge.org/). Elle participe depuis l’automne 2012 au séminaire « Cultures numériques » de la revue Implications philosophiques (http://www.implications-philosophiques.org/actualite/ une/seminaire-cultures-numeriques/). Julie GUEGUEN Julie Gueguen, doctorante contractuelle à l’Université Sorbonne nouvelle, est spécialisée en sociologie des médias anglo-saxons et porte un intérêt particulier aux études de réception transmédias. Sa thèse, en cours de réalisation, est consacrée à l’étude comportementale des auteurs de fanfiction. Elle a récemment publié « Espressioni e pratiche degli autori di fanfiction. Il caso Bones » dans Media Mutations : gli ecosistemi narrativi nello scenario mediale contemporaneo. Spazi, modelli, usi sociali, Modena, Mucchi Editore, 2013. Éric GUICHARD Éric Guichard est maître de conférences à l’Enssib, habilité à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communi- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 320 18/11/2014 10:01:01 Présentation des auteurs 321 cation, en géographie et en épistémologie. Il est spécialiste de l’internet, responsable de l’équipe « Réseaux, savoirs et territoires » de l’ENS, et en outre directeur de programme au Collège international de philosophie. Il a dirigé les ouvrages Écritures : sur les traces de Jack Goody, Presses de l’Enssib, 2012 ; Regards croisés sur l’internet, Presses de l’Enssib, 2011 ; ainsi que le numéro 2 de la revue Sciences/ Lettres, consacré aux « Épistémologies digitales des sciences humaines et sociales », en 2014. On trouvera son dernier article, intitulé « L’internet et les épistémologies des sciences humaines et sociales » à l’URL http://rsl.revues.org/389. Sites web : http://barthes.enssib.fr et http://barthes.ens.fr. Henri HUDRISIER Henri Hudrisier est chercheur à la chaire Unesco Fmsh.ITEN « Innovation, transmission, édition numériques » et membre du LEDEN à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord. D’abord spécialiste de la documentation audiovisuelle, il s’est dédié dans les années 1980 à l’étude des normes bibliographiques audiovisuelles puis dans les années 1990 à l’étude des normes de la codification des écritures. Dans les années 90, il était membre de l’AFNOR MPEG 7 et en 2000 il devient expert à l’ISO pour la normalisation des technologies éducatives comme délégué de l’AFNOR et de l’AUF auprès du Sous-Comité 36 (ISO/IEC JTC1 SC36). Son HDR « L’ère des machines grammatologiques » (2001), analysait notamment les TIC sous l’angle d’une standardisation industrielle du code. Ses axes de recherches portent sur les technologies de l’information et de la communication, notamment les processus de convergence induits par la standardisation et de la normalisation, la gestion et la création de patrimoines numérique structurés multilingues et multimédia, l’appropriation par les professionnels de l’information des technologies sémantiques et de l’EAD, les banques d’images (MPEG), le codage des écritures du monde (Unicode), les humanités digitales et la Text Encoding Initiative (TEI). Il est auteur de plusieurs publications parmi lesquelles un ouvrage collectif codirigé avec Jacques André , Unicode, écriture du monde ?, publié chez Lavoisier en 2002. Thierry JOLIVEAU Thierry Joliveau est professeur de géographie et de géomatique à l’Université de Saint-Étienne et directeur du master « SIG et gestion de l’espace » de Saint-Etienne. Il codirige ISIG (« Image et système d’information géographique »), la plateforme de recherche géomatique de l’UMR du CNRS « Environnement-ville-société », il a été de 2009 à 2012 Directeur du GDR MAGIS (« Méthodes et applications en gestion de l’information spatiale ») du CNRS (35 laboratoires, 200 chercheurs). Ses recherches portent sur les questions théoriques et applicatives liées à l’information géographique et à ses usages dans le domaine de la gestion environnementale et paysagère des territoires. Il s’intéresse en particulier aux transformations sociétales liées aux nouveaux modes de production, de diffusion et de Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 321 18/11/2014 10:01:01 322 Diversité culturelle à l’ère du numérique partage de l’information géographique. Il est l’auteur du blog Monde géonumérique : http://spacefiction.wordpress.com/ et fondateur du blog collectif (e) space & fiction : http://spacefiction.wordpress.com/. Francis JAURÉGUIBERRY Francis Jauréguiberry est sociologue, professeur à l’Université de Pau et directeur du laboratoire SET (« Société environnement territoire ») au CNRS. Ses recherches portent sur les nouvelles formes d’identité et de sociabilité générées par l’extension des technologies de l’information et de la communication. Sur ce thème, il a notamment publié Les Branchés du portable. Sociologie des usages, Paris, PUF, et, avec Serge Proulx, Usages et enjeux des technologies de communication, Érès, Toulouse, ainsi que Internet, nouvel espace citoyen ? Paris, l’Harmattan. Il est coresponsable du comité de recherche « Sociologie de la communication » à l’Association internationale des sociologues de langue française. Alain KIYINDOU Alain Kiyindou est professeur des universités en sciences de l’information et de la communication, Université Michel-de-Montaigne Bordeaux, titulaire de la chaire UNESCO « Pratiques émergentes des technologies et communication pour le développement », président d’honneur de la Société française des sciences de l’information. Parmi ses ouvrages : Communiquer dans un monde de normes : l’information et la communication dans les enjeux contemporains de la mondialisation, SFSIC, Roubaix, 2012 ; Nouveaux Espaces de partage des savoirs. Dynamiques des réseaux et politiques publiques, L’Harmattan, 2011 ; « TIC mobiles et développement social », Les Cahiers du Cedimes, vol. 5, n 1, printemps 2011 ; TIC et développement socio-économique, Hermès-Lavoisier, 2010 ; TIC et partage des savoirs. Distance et savoirs, 2010 ; Cultures, technologies et mondialisation, L’Harmattan, coll. « Mouvements économiques et sociaux », 2010 ; Communication et dynamiques de globalisations culturelles, L’Harmattan, 2009 ; Communication et développement en Afrique et dans les Caraïbes. Les Enjeux de la communication, Gresec, Grenoble, 2009 ; Les Pays en développement face à la société de l’information, L’Harmattan, 2009 ; « Fracture numérique et justice sociale », Les Cahiers du numérique, Hermès-Lavoisier, 2009 ; Fractures, fragmentations et mutation, de la diversité des cultures numériques, Hermès-Lavoisier, 2009 ; Communication pour le développement, logiques et pratiques au Congo, EME, Bruxelles, 2008. Hervé LE CROSNIER Hervé Le Crosnier est maître de conférences à l’Université de Caen Basse-Normandie, où il enseigne les technologies de l’internet et la culture numérique. Il est associé à l’Institut des sciences de la communication du CNRS. Sa recherche porte sur l’impact de l’internet sur l’organisation sociale et culturelle, et sur l’extension du domaine des biens communs de la connaissance. Ses cours de culture numérique sont accessibles en ligne (vidéos). Après avoir été dix ans conserva- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 322 18/11/2014 10:01:01 Présentation des auteurs 323 teur de bibliothèque scientifique et créateur de la liste biblio-fr, il est actuellement éditeur multimédia, chez C & F Éditions. Olivier LE DEUFF Olivier Le Deuff est maître de conférences en sciences de l’information à l’université Michel-de-Montaigne Bordeaux. Il est auteur en 2011 de La Formation aux cultures numériques et, en 2012, Du tag au like chez FYP Éditions. Il travaille plus particulièrement autour des mutations liées au numérique et étudie les évolutions de la formation à l’information autour de la notion de culture de l’information. Depuis quelques années, il s’investit notamment dans les humanités digitales. Il gère le blog Le Guide des égarés depuis 1999. www.guidedesegares.info Joëlle LE MAREC Après avoir dirigé de 2003 à 2011 l’équipe de recherche « Culture, communication et société » à l’École normale supérieure de Lyon, Joëlle Le Marec est professeure à l’Université Paris-Diderot Paris VII et membre du Centre de recherches interdisciplinaires sur les lettres, les arts et le cinéma (Cerilac) depuis septembre 2011. Elle est actuellement responsable du comité scientifique du groupement d’intérêt scientifique « Institutions patrimoniales et pratiques interculturelles », et directrice de la collection « Études de sciences » aux Éditions des archives contemporaines. Ses recherches portent sur les discours médiatiques, les publics et pratiques culturelles à propos de science, en particulier dans les musées. Elles portent également sur les pratiques d’enquête et les modes de production et d’expression des savoirs. Françoise MASSIT-FOLLÉA Françoise Massit-Folléa est agrégée de lettres modernes et chercheuse en sciences de l’information et de la communication. En poste à l’École normale supérieure de lettres et sciences humaines, puis à la Fondation Maison des sciences de l’homme, elle a dirigé le programme de recherche « Vox Internet ». Elle exerce désormais comme consultant scientifique dans le domaine des usages et des régulations de l’internet. Elle a récemment publié « Régulation de l’internet : fictions et frictions », in Les Débats du numérique, Maryse Carmes et Jean-Max Noyer (dir.), Paris, Presses des Mines, coll. « Territoires numériques », 2013, chap. 1, pp. 17-45 ; « La gouvernance du commun : du climat à l’internet, premières leçons d’une comparaison », avec C. Mabi, in Communication, numéro spécial « Politique du climat », vol. 31/2 |, 2013, mis en ligne le 17 septembre 2013. Tristan MATTELART Tristan Mattelart est professeur de communication internationale à l’UFR « Culture et communication » de l’Université Paris VIII, chercheur au Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation (Cemti). Ses travaux portent sur les enjeux sociaux, culturels, politiques et économiques de l’internationalisation des mé- Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 323 18/11/2014 10:01:01 324 Diversité culturelle à l’ère du numérique dias. Il a notamment dirigé les ouvrages La Mondialisation des médias contre la censure (INA-De Boeck, 2002) ; Piratages audiovisuels. Les Voies souterraines de la mondialisation culturelle (INA-De Boeck, 2011). Il coordonne actuellement avec Olivier Koch un livre sur la Géopolitique des chaînes internationales d’information en continu (Mare et Martin, à paraître fin 2014). Cécile MÉADEL Cécile Méadel est professeure à Mines ParisTech où elle est responsable de l’enseignement des controverses ; elle est chercheuse au Centre de sociologie de l’innovation (École des mines-CNRS). Ses travaux portent sur les technologies de l’information du point de vue de la construction des usages, de la genèse des dispositifs et de la mise en forme des usagers, des clients, des amateurs. http://www.csi. mines-paristech.fr/Perso/Meadel/. Ses derniers ouvrages : Quantifier le public. Histoire des mesures d’audience à la radio et à la télévision, Paris, Economica, 2010 ; Governance, Regulation, Powers on the internet, avec Éric Brousseau et Meryem Marzouki, Cambridge University Press, 2013 ; Measuring Television Audiences Globally : Deconstructing the Ratings Machine, J. Bourdon et C. Méadel (éds), Basingstoke, Palgrave, 2014. Louise MERZEAU Louise Merzeau est maître de conférences habilitée à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Ouest Nanterre-la Défense, où elle codirige le département « Infocom ». Elle est également directrice adjointe du laboratoire Dicen-IDF, chargée de l’axe « Traçabilité, mémoires et identités numériques ». Elle assure en outre le pilotage scientifique des ateliers du dépôt légal du web à l’INA. Membre du comité de rédaction de la revue Médium et cofondatrice de la collection « Intelligences numériques » aux Presses universitaires de Paris-Ouest, elle a notamment codirigé le numéro d’Hermès sur « Traçabilité et réseaux ». Enfin, elle est l’auteure de nombreux articles sur les rapports entre mémoire et information, sur les théories de la médiation, sur la présence numérique et les écritures en environnement transmédiatique. Ses activités sont consignées sur son site http://merzeau.net. Francesca MUSIANI Francesca Musiani, docteure en socio-économie de l’innovation, est chercheuse postdoctorante à Mines Paris Tech. Elle a récemment été Yahoo ! Fellow in Residence à l’Université de Georgetown et chercheuse associée au Berkman Center for internet and Society à l’Université de Harvard. Ses travaux interdisciplinaires portant sur la gouvernance de l’internet ont été récompensés en 2013 par le 5e Prix Informatique et Libertés de la CNIL. Elle est membre, en tant que personnalité qualifiée, de la Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, créée par l’Assemblée nationale en mai 2014. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 324 18/11/2014 10:01:01 Présentation des auteurs 325 Jean Musitelli Conseiller d’État, ancien délégué permanent de la France à l’UNESCO. Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé d’italien, Jean Musitelli est conseiller d’État. Il est membre du conseil d’administration de l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a été élu administrateur de l’Institut François Mitterrand. Il a été notamment conseiller diplomatique (1984-1989) et porte-parole (1991-1995) du Président de la République, chargé de mission auprès du ministre des Affaires étrangères (1990-1991 et 1997), ambassadeur, délégué permanent de la France auprès de l’UNESCO (1997-2002), puis membre du groupe d’experts internationaux chargés par le directeur général de l’UNESCO d’élaborer l’avant-projet de convention sur la diversité culturelle (2003-2004). En 2007, il est nommé membre de l’Autorité de régulation des mesures techniques. En décembre 2009, il est nommé membre titulaire de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, fonction qu’il a occupée jusqu’en août 2012. Depuis le 10 mai 2010, il assure la présidence du conseil d’administration de Diversum, qui a pour objectif de favoriser la mise en place de l’économie mauve. Depuis juin 2014, il est chargé d’une mission par la ministre de la Culture et de la Communication sur la valorisation des savoir-faire en matière de patrimoine. Musanji NGALASSO-MWATHA Musanji Ngalasso-Mwatha est professeur des universités de classe exceptionnelle, professeur de sociolinguistique et de linguistique africaine à l’Université Michel-de-Montaigne Bordeaux III ; directeur du CELFA (Centre d’études linguistiques et littéraires francophones et africaines), EA 4593 CLARE (cultures, littératures, arts, représentations, esthétiques) ; chercheur associé à LAM (« Les Afriques dans le monde »), UMR 5115 du CNRS, IEP Bordeaux ; Senior Research Fellow (Université de Johannesburg, Afrique du Sud) et vice-président de l’APELA (Association pour l’étude des littératures africaines). Ses recherches portent essentiellement sur la description des langues bantoues, la dynamique des langues et les politiques linguistiques, la didactique du français langue seconde en Afrique et l’analyse linguistique des discours littéraires, politiques et médiatiques. Il a publié plusieurs ouvrages, dont en 2013 : Le Français et les langues partenaires : convivialité et compétitivité, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux ; Dictionnaire français-lingala-sango. Bagó lifalansé-lingála-sángó. Bakarî-farânzi-lingäla-sängö, Paris, OIF-ELAN. Nicole PIGNIER Nicole Pignier est maître de conférences HDR à l’Université de Limoges, où elle enseigne entre autres la sémiotique du design numérique. Docteure en lettres, qualifiée en sciences du langage et sciences de l’information et de la communication, chercheuse au Centre de recherches sémiotiques de l’Université de Limoges, elle codirige avec Benoît Drouillat la revue Interfaces numériques Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 325 18/11/2014 10:01:01 326 Diversité culturelle à l’ère du numérique publiée chez Lavoisier. Elle a codirigé avec Éléni Mitropoulou le premier numéro de la revue Interfaces numériques intitulé « De l’interactivité aux interaction(s) médiatrice(s) », publié en janvier 2012. Elle a codirigé avec Michel Lavigne le numéro 32 de la revue MEI, intitulé « Mémoires et internet », paru chez L’Harmattan en janvier 2011. Elle a publié deux ouvrages en collaboration avec Benoît Drouillat : Penser le webdesign, en 2004 ; Le Webdesign. Sociale expérience des interfaces web, en 2008. Elle a dirigé l’ouvrage collectif De l’expérience multimédia. Usages et pratiques culturels, paru en 2009 chez Hermès-Lavoisier. Elle coordonne actuellement un projet de recherche financé par des fonds européens et régionaux lié à la conception et à la mise en place d’un applicatif éducatif destiné à la création en classe d’un album papier et numérique. Ce projet nommé « Créalbum » est réalisé en collaboration avec une entreprise. Marianne POUMAY Docteure en sciences de l’éducation et professeure à l’Université de Liège, Marianne Poumay dirige avec François Georges le LabSET, une équipe de recherche-développement qui consacre ses travaux à l’apprentissage et à l’e-learning. Ses thèmes de recherche sont l’innovation dans l’enseignement supérieur et la professionnalisation des enseignants et formateurs, avec un accent tout particulier sur les performances complexes et les programmes axés sur le développement de compétences. Elle est aussi évaluatrice au sein de programmes européens et pour l’Agence d’évaluation de la qualité en enseignement supérieur de la communauté française de Belgique (AEQES), membre de nombreuses associations professionnelles et active dans plusieurs comités scientifiques internationaux (peer review). Voir le catalogue Orbi de l’ULg pour une liste de publications (http://orbi.ulg.ac.be). Jean-Pascal QUILÈS Jean-Pascal Quilès est Attaché Culturel à l’Ambassade de France à Brasilia. Il était auparavant de 2004 à 2014 directeur adjoint de l’Observatoire national des politiques culturelles et responsable du master « Directions de projets culturels » en formation continue pour l’IEP/UPMF de Grenoble. Il a mis en œuvre des programmes de conseil et d’accompagnement auprès des élus et des collectivités territoriales en France (cycle national) et à l’étranger (Chine, Brésil, Maroc…). http://www.observatoire-culture.net/. Titulaire d’un master « Sciences politiques », il a notamment exercé les fonctions de directeur des affaires culturelles de l’agglomération de Sénart-Ville nouvelle, directeur de conservatoire, directeur général d’orchestre… Son parcours se caractérise par la mise en œuvre de projets innovants en relation avec les pratiques et les évolutions artistiques et culturelles contemporaines. Il est l’auteur de plusieurs publications dans le champ des politiques culturelles (intercommunalité, villes nouvelles, culture et territoire, mécénat…). En outre guitariste et compositeur au parcours éclectique, il est diplômé de l’École normale de musique Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 326 18/11/2014 10:01:01 Présentation des auteurs 327 de Paris, et pratique différents styles musicaux, de la musique contemporaine aux musiques actuelles. Discographie sélective : 24 Août, avec Kevan Chemirani, CD, 2007 ; Asturias, « Classic Fusion », DVD, 2012 ; Mana Kela, CD, 2013. www.jeanpascalquiles.com. Franck REBILLARD Franck Rebillard est professeur en information-communication à l’Université Sorbonne nouvelle, spécialiste du journalisme et de l’internet. Responsable du master « Journalisme culturel », il exerce de la licence au doctorat au sein de l’Institut de la communication et des médias. Ses enseignements portent sur la socio-économie des médias et de l’internet, ainsi que sur les évolutions de l’espace public dans le contexte du numérique. Ses travaux de recherche traitent plus directement du journalisme en ligne. Ils ont été publiés dans des revues scientifiques de premier plan, aussi bien francophones (Réseaux, Communication et langages, Mots) qu’anglophones (New Media and Society, Media, Culture and Society). Franck Rebillard coordonne l’équipe « Médias, cultures et pratiques numériques », au sein du laboratoire CIM (EA 1484, Université Sorbonne nouvelle, Paris III), à partir duquel il a dirigé plusieurs projets de recherche, notamment sur le pluralisme de l’information en ligne (ANR, 2009-2012). Membre du Réseau d’études sur le journalisme, il a participé au développement de l’Observatoire transmédia (INA/ANR, 2010-2013). Isabelle RIGONI Isabelle Rigoni est maître de conférences en sociologie à l’INSHEA et chercheuse à l’EA GHRAPES. Elle a travaillé pendant une quinzaine d’années sur les questions migratoires et les médias, et a notamment conduit le projet de recherche européen Minoritymedia, sur les médias des minorités ethniques (6e PCRDT). http://irigoni.blogspot.fr. Jean-Michel SALAÜN Jean-Michel Salaün est professeur à l’École normale supérieure de Lyon, responsable du master en architecture de l’information, et auteur ou coordinateur de nombreux livres, notamment : Introduction aux sciences de l’information, PUM-La Découverte, 2009 ; Vu, lu, su. Les architectes de l’information face au monopole du web, La Découverte, 2012 ; L’architecture de l’information. Méthodes, outils, enjeux, De Boeck, à paraître au printemps 2015. Ancien directeur de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI-Université de Montréal), Jean-Michel Salaün est ancien coordinateur du réseau thématique pluridisciplinaireDocument du CNRS et ancien directeur des études de la recherche de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib). Éric SANCHEZ Éric Sanchez est maître de conférences à l’Institut français de l’éducation (École normale supérieure de Lyon), agrégé de biologie-géologie Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 327 18/11/2014 10:01:01 328 Diversité culturelle à l’ère du numérique et professeur associé à l’Université de Sherbrooke, Québec, Canada. Il est coprésident du groupe de travail de l’International Federation for Information Processing (IFIP) et expert auprès de la Commission européenne. Il dirige l’équipe EducTice qui s’intéresse aux approches innovantes pour l’éducation et la formation (e. Education). Ses travaux de recherche portent sur l’usage des jeux numériques pour l’éducation et la formation (jeux épistémiques numériques). Il enseigne les usages du numérique (e.learning, simulation, jeux numériques), dans le master « Architecture de l’information » (ENS de Lyon), le master « HPDS » (Lyon1), ainsi que le master « Didactique des disciplines » de l’Université Paris-Diderot. Patrick SCHMOLL Ingénieur de recherches au CNRS depuis 1977, Patrick Schmoll est actuellement attaché au laboratoire « Dynamiques européennes » de l’Université de Strasbourg (UMR UdS/CNRS no 7367) et responsable du pôle « Innovation et valorisation » du laboratoire. Depuis une quinzaine d’années, ses travaux de recherche sont centrés sur la médiation du lien social par les nouvelles technologies (communautés virtuelles, rencontres en ligne, ludicisation du social par les jeux vidéo, construction de soi dans les réseaux sociaux). Il anime, dans ce cadre, le séminaire de recherche « Société terminale », dont trois premiers volets sont publiés à ce jour. Il est membre du comité de rédaction de la Revue des sciences sociales et de Sciences-du-jeu.org et porteur, depuis 2009, d’une création de startup, Almédia SARL (Strasbourg), incubée dans les dispositifs de l’Université de Strasbourg et de la région Alsace (SATT Conectus, Semia, MISHA), et dont l’objet est la conception de jeux vidéo éducatifs. Nathalie SONNAC Professeure des universités, Nathalie Sonnac préside le département d’information et de communication de l’Université Panthéon-Assas (Institut français de presse, IFP) depuis 2009. Elle est responsable de la chaire d’enseignement et de recherche « Audiovisuel et numérique », lancée en janvier 2014. Depuis janvier 2013, elle est membre du Conseil national du numérique, et fut experte du Labs « Économie numérique de la création » de l’Hadopi de 2010 à 2012. Spécialiste de l’économie des médias, de la culture et du numérique, elle est l’auteur de nombreux ouvrages, chapitres de livres, articles scientifiques dans ce domaine. Elle analyse notamment les questions de concurrence et de régulation des marchés de contenus à l’ère numérique ; elle étudie les questions liées aux interactions stratégiques entre les marchés et les acteurs, aux marchés bifaces et à la financiarisation des contenus. Elle a participé à de nombreux séminaires et colloques sur ces questions. Parmi ses derniers ouvrages parus : La Presse française : de l’imprimé au numérique, avec Pierre Albert, La Documentation française, Paris ; L’Industrie des médias à l’ère numérique, avec Jean Gabszewicz, La Découverte, 2013 ; L’Économie de la presse à l’ère numérique, avec Patrick Le Floch, La Découverte, 2013. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 328 18/11/2014 10:01:01 329 Comité éditorial Cet ouvrage est le fruit d’un travail collectif réalisé dans le cadre du groupe de réflexion « Diversité culturelle et numérique » piloté par Divina Frau Meigs au sein du Comité culture et communication de la Commission nationale française pour l’UNESCO. Le Comité éditorial, qui a effectué les travaux de relecture et de mise en cohérence des textes soumis par les différents auteurs ayant participé à l’élaboration de cette publication, était composé de : • Mme Divina FRAU-MEIGS, membre de la Commission nationale française, experte pour l’UNESCO et titulaire de la chaire UNESCO « Savoir devenir dans le développement numérique durable », qui s’inscrit dans l’Alliance globale des partenaires pour l’éducation aux médias et à l’information (GAPMIL). • M. Alain KIYINDOU, expert associé de la Commission nationale française, président d’honneur de la Société française des sciences de l’information et titulaire de la chaire UNESCO « Pratiques émergentes des technologies et communication pour le développement ». M. Éric GUICHARD, responsable de l’équipe Réseaux, savoirs et territoires de l’ENS et directeur de programme au Collège international de philosophie, lui a apporté à plusieurs reprises une aide précieuse. Les travaux ont été coordonnés par Anne-Sabine SABATER, chargée de mission auprès de la Commission nationale française pour l’UNESCO. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 329 18/11/2014 10:01:01 330 Diversité culturelle à l’ère du numérique Index des sigles ACTA Anti-Counterfeiting Trade Agreement. Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC). ADSL Asymetric Digital Suscriber Line. LNPA : ligne numérique à paire asymétrique. ANLoc African Network for Localisation. Réseau africain de localisation. ASCII American Standard Code for information Interchange. Code de standard américain pour les échanges d’informations. CEN Comité européen de normalisation. CERN Conseil européen pour la recherche nucléaire. CIA Central Intelligence Agency. Agence des services secrets centraux. CMS Content Management System. Système de gestion de contenu. CNIL Commission nationale de l’informatique et des libertés. CRDI Centre de recherches pour le développement international. DCMI Dublin Core Meta Data Initiative. Initiative des métadonnées Dublin Core. DNS Domain Name System. Système de noms de domaine. FBI Federal Bureau of Investigation. Bureau fédéral d’enquête. GATT General Agreement on Tariffs and Trade. Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. GAPMIL Global Alliance for Partnerships on Media and Information. Alliance mondiale des partenaires en éducation aux médias et à l’information. GNU GPL GNU General Public License. Licence publique générale GNU. GPS Global Positioning System. Système de localisation mondial. GSMA GSMAssociation : Groupe Speciale Mobile Association. Association qui représentant 850 opérateurs de téléphonie mobile à travers 218 pays dans le monde. HET Human Enhancement Technologies. Technologies de l’augmentation de l’humain. HTML Hypertext Markup Language. Langage de balisage hypertexte (format de données conçu pour représenter les pages web). HTTP HyperText Transfer Protocol. Protocole de transfert hypertexte. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 330 18/11/2014 10:01:02 Index des sigles 331 HTTPS HyperText Transfer Protocol Secured. Protocole de transfert hypertexte sécurisé. ICANN Internet Corporation for Assigned Names and Numbers. Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur internet. IETF Internet Engineering Task Force. Détachement d’ingénierie d’internet. IFLA International Federation of Library Associations and Institutions. Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques. IFPI International Federation of the Phonographic Industry. Fédération internationale des industries du disque. JIS Japanese Information Standard. Norme japonaise pour l’information. JTC1 Joint Technical Committee 1. Comité technique commun 1. MOOC Massive Open Online Courses. Cours en ligne ouverts aux masses. MPAA Motion Picture Association of America. Association américaine de cinéma. NOMIC Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication. NSA National Security Agency. Agence de sécurité nationale. NTIC Nouvelles technologies de l’information et de la communication. OAI-PMH Open Archives Initiative. Protocol for Metadata Harvesting. Initiative pour des archives ouvertes. Protocole d’échange de métadonnées. OGM Organismes génétiquement modifiés. OMC Organisation mondiale du commerce. OMPI Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. OSI Open System Interconnection. Standard de communication, en réseau, de tous les systèmes informatiques. PARC Palo Alto Research Center. Centre de recherche de Palo Alto. PIPA PROTECT IP Act, Preventing Real Online Threats to Economic Creativity and Theft of Intellectual Property Act of 2011. Projet de loi de 2011 sur la prévention des menaces en ligne réelles sur la créativité économique et le vol de la propriété intellectuelle. RFID Radio Frequency Identification. Identification par radiofréquence. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 331 18/11/2014 10:01:02 332 Diversité culturelle à l’ère du numérique RSS Really Simple Syndication. Syndication vraiment simple. SMS Short Message Service. Service de message court. SMSI Sommet mondial de la société de l’information. SOPA Stop Online Piracy Act. Proposition de loi contre la piraterie en ligne. SWIFT Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication. Société mondiale de télécommunications financières interbancaires. TEI Text Encoding Initiative. Groupe d’initiative pour le balisage normalisé des textes. TIC Technologies de l’information et de la communication. TICE Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement. TNT Télévision numérique terrestre. TTIP Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. UIT Union internationale des télécommunications. VoiceXML Voice eXtensible Markup Language. Langage de balisage extensible vocal. Langage normalisé de programmation d’une application vocale. W3C World Wide Web Consortium. Organisme à but non lucratif chargé de promouvoir la comptabilité des technologies du World Wide Web telles que HTML, XHTML, XML, RDF, SPARQL, CSS, XSL, PNG, SVG et SOAP. WAP Wireless Application Protocol. Protocole d’application sans fil. Windows CE Windows Embedded Compact. Variation de Windows pour les systèmes embarqués et autres systèmes minimalistes, utilisée notamment dans les PC de poche ou Handheld. WML Wireless Markup Language. Langage à balises sans fil (conçu spécifiquement de manière à pouvoir s’afficher sur un écran de téléphone mobile). XHTML Extensible HyperText Markup Language. Langage de balisage hypertexte extensible. Glossaire_Diversité_Culturelle_MP3.indd 332 18/11/2014 10:01:02