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Diversité culturelle
à l’ère du numérique
Glossaire critique
Sous la direction de Divina Frau-Meigs et d’Alain Kiyindou
Postface de Jean Musitelli
La documentation Française
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Remerciements
Brigitte Darthois (mise en page), Brigitte Morelle (conception graphique), Mireille Pyronnet (relecture),
Anne-Sabine Sabater (responsable éditoriale pour la Commission nationale française pour l’Unesco),
Carine Sabbagh (éditrice)
« En application de la loi du 11 mars 1957 (art. 41) et du Code de la propriété intellectuelle du
1er juillet 1992, complétés par la loi du 3 janvier 1995, toute reproduction partielle ou totale à usage
collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur.
Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre
économique des circuits du livre.»
© Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2014
www.ladocumentationfrancaise.fr
ISBN : 978-2-11-009406-3
DF : 5HC34180
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Sommaire
5Introduction
93Curation
21Agrégateur
97Design
26Algorithme
101Diaspora
31Archives
106Documentation
37 Art et Science
112 Économie des œuvres
41Augmentation
116Édition
45Auteur
121E-réputation
49Bibliothèques
126 Ergonomie des interfaces
54 Biens communs
130Éthique
59Co-construction
135 Financement des médias
64Codes
140 Fracture numérique
70Communauté(s)
145Genre
74Communication
148Imaginaire
79Computation
153 Industries créatives
84Connaissance
162 Industries culturelles
88Connexion/Déconnexion
167Information
Divina Frau-Meigs et Alain Kiyindou
Olivier Le Deuff
Bruno Bachimont
Emmanuelle Chevry Pébayle
Jean-Paul Fourmentraux
Bernard Claverie
Cécile Méadel
Éric Guichard
Hervé Le Crosnier
Marianne Poumay
Mokhtar Ben Henda et Henri Hudrisier
Patrick Schmoll
Alain Kiyindou
Bruno Bachimont
Joëlle Le Marec
Francis Jauréguiberry
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Chloé Girard
Nicole Pignier
Isabelle Rigoni
Éric Delamotte et Anne Cordier
Françoise Benhamou
Chloé Girard
Louise Merzeau
Stéphane Caro Dambreville
Pierre-Antoine Chardel
Nathalie Sonnac
Alain Kiyindou
Laurence Allard
Emmanuel Eveno
Divina Frau-Meigs
Philippe Bouquillion
Jean-Michel Salaün
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
171Innovation
253 Propriété intellectuelle
175 Interfaces
257Public/usagers
179 Le jeu, espace tridimensionnel
262Régulation de l’internet
183Journalisme
267Remix
188Langues
271Réseaux sociaux
193 Le libre
277Sérendipité
200 Littératie numérique
281Temporalités
205Médias
286Territoires
209Médiation(s) du patrimoine
291Transmédiation
214Mobile – Téléphone portable
295 Vie privée/données personnelles
218Navigation et cartographie
300Virtuel
Dominique Carré
Nicole Pignier
Éric Sanchez
Franck Rebillard
Musanji Ngalasso-Mwatha
Éric Guichard
Divina Frau-Meigs
Divina Frau-Meigs
Bernadette Dufrêne
Alain Kiyindou
Thierry Joliveau
Mélanie Dulong de Rosnay
Karine Aillerie
Françoise Massit-Folléa
Laurence Allard
Alexandre Coutant
Sylvie Catellin
Valérie Carayol
Jean Pascal Quiles
Julie Gueguen
Mélanie Dulong de Rosnay
Patrick Schmoll
223Net Art
Jean-Paul Fourmentraux
227Neutralité de l’internet
Francesca Musiani
232Normes
Renaud Fabre
236Œuvre
Bernadette Dufrêne
305 Postface
Jean Musitelli
313 Présentation des auteurs
329Comité éditorial
330 Index des sigles
240Patrimoine
Emmanuelle Chevry Pébayle
245Piratage
Tristan Mattelart
250Pratique
Laurence Allard
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Introduction
Divina Frau-Meigs et Alain Kiyindou
Croiser la réflexion sur la diversité culturelle et la nouvelle donne
de diffusion et de production culturelles que représente l’avènement du numérique s’inscrit dans le cadre d’une dialectique d’actualisation de deux documents constitutifs à la fois de la diversité
culturelle comme droit et de la société de l’information comme
environnement. En effet, cette actualisation est centrée sur la
Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles 1 et sur l’Engagement de Tunis
du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), qui vise
à « promouvoir l’inclusion de tous les peuples dans la société de
l’information, par le développement et l’utilisation des langues
locales et/ou indigènes dans les TIC. […] protéger et promouvoir
la diversité culturelle, ainsi que les identités culturelles, dans la
société de l’information 2 ».
Ces deux documents de cadrage, fondamentaux pour la diversité
culturelle et la société de l’information, finalisés en 2005 après
plusieurs années de négociations internationales, sont l’aboutissement de réflexions situées avant la maturation du Web 2.0 et
de ses réseaux sociaux 3. L’état d’esprit général qu’ils reflètent
s’en ressent : ils s’inscrivent dans la matérialité de la culture,
non dans sa virtualité ; ils font abstraction de toute référence
explicite au numérique (quoiqu’ils mentionnent les TIC) ; ils expriment une forme de neutralité technologique qui, sans exclure
l’internet, ne prend pas en compte la radicalité des changements
induits par l’informatique et le volume massif des données (big
data). Enfin, ils affichent une croyance en la souveraineté des
États qui sous-estime l’ampleur des phénomènes transfrontaliers
1 Convention pour la promotion et la protection de la diversité des expressions
culturelles, 2005 ; lire en ligne http://portal.unesco.org/fr/ev.phpURL_ID=31038&URL_
DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html.
2 SMSI, Engagement de Tunis, alinéa 32, SMSI, Tunis, 2005 ; lire en ligne www.itu.int/
wsis/docs2/tunis/off/7-fr.html.
3 Celui-ci arrive à maturité avec l’émergence de « spécialistes tout en ligne » (pure
players) tels que Facebook, créé en 2004, entré en bourse en 2012, YouTube, créé en 2005,
racheté par Google en 2006, ou encore Twitter, créé en 2006, entré en bourse en 2013,
pour ne mentionner que les plus fréquentés qui ont façonné le marché.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
des industries culturelles transnationales, tout en ignorant l’avènement des industries créatives 4.
Le numérique dont il est question ici dépasse la simple opposition
technique avec l’analogique et prend en compte l’accélération et l’amplification du phénomène depuis 2005. C’est une vague de fond qui
bouleverse les pratiques d’écriture, de lecture et de calcul ainsi que
les modes de faire, voir et être à cause de la spécificité de l’informatique, à savoir le fait que tout contenu peut-être détaché de son
support d’origine. Il devient ainsi sécable, mobile, mixable, transformable à merci. Cette spécificité ouvre la voie à toutes sortes de formes
d’expression, de modes de partage des informations et d’opportunités de création et d’innovation. Les conséquences en sont une culture
augmentée d’un énorme espace social et économique où se côtoient
des identités singulières et collectives dont l’action distribuée et horizontale perturbe la chaîne des valeurs culturelles prénumériques.
Elles impliquent de revisiter tout l’acquis de ce droit nouveau à la diversité culturelle à la lueur des périls et des promesses du numérique.
Après avoir été à l’origine d’un glossaire à vocation pédagogique qui
s’inscrivait dans le cadre du processus d’élaboration du SMSI 5, la
Commission nationale française pour l’UNESCO (CNFU) désire mettre
à jour la nécessaire réflexion sur la diversité culturelle à l’aune du
numérique pour lever les zones d’ombre et porter un éclairage inédit
sur la situation actuelle. L’idée de base du présent glossaire se fonde
sur le double constat, récemment conforté par le rapport Lescure et le
rapport Collin et Colin 6, que le numérique est une opportunité pour
la diversité culturelle en termes de démocratisation, de créativité et
de sociabilité, mais qu’il est un risque potentiel en termes d’affordances économiques pour la plupart des pays, excepté les États-Unis
qui tendent à monopoliser les conditions de l’accès et les bénéfices du
financement, tout en reconduisant de facto des lignes de fracture numérique qui sont aussi des zones de fracture géoculturelles. En effet,
4 Véronique Guèvremont et al., La Mise en œuvre de la Convention sur la protection
et la promotion de la diversité des expressions culturelles à l’ère numérique : enjeux,
actions prioritaires et recommandations, rapport du Réseau international des juristes
pour la diversité des expressions culturelles, Paris, UNESCO, 2013 ; lire en ligne http://
www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CLT/pdf/Rapport_du_RIJDEC_
Final_FR.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014.
5 La « Société de l’information » : glossaire critique, Paris, UNESCO-La Documentation
française, 2005.
6 Pierre Lescure, Mission « Acte II de l’exception culturelle » : contribution aux politiques
culturelles à l’ère numérique, rapport au ministère de la culture, mai 2013 ; lire en ligne
http://www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/culture_mag/rapport_
lescure/index.htm#/, dernière consultation le 1er juin 2014. Pierre Collin et Nicolas Colin,
Rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, Ministère du redressement productif,
janvier 2013 ; lire en ligne http://www.redressement-productif.gouv.fr/rapport-surfiscalite-secteur-numerique, dernière consultation le 1er juin 2014.
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Introduction
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le développement des échanges peut fragiliser les créateurs locaux
lorsque leurs concurrents échappent à la législation nationale.
Face à ces constats, le recours à un glossaire centré sur le croisement des deux domaines, celui de la diversité et celui du numérique,
se présente comme un outil de cartographie d’un territoire en complète évolution dont il s’agit de définir les contours et de repérer les
spécificités. Le glossaire considère la diversité culturelle à partir de
sous-domaines, des éléments de terminologie relatifs aux technologies, aux acteurs et aux moyens du numérique, fournissant ainsi une
définition de celui-ci en creux, par le biais de ses usages et de ses
enjeux. Certains termes sont ambigus, d’autres ont des implications
sous-jacentes, d’autres encore sont associés à des domaines connexes
ou en émergence. Les buts poursuivis sont complémentaires : tenter
de définir, développer et interroger des termes omniprésents associés
au numérique ; proposer au grand public une lecture de la relation qui
lie ces termes et/ou leurs signifiés à la protection et à la promotion
de la diversité culturelle. Il s’agit donc de thématiser les différents
enjeux qui sous-tendent chaque terme choisi, en fonction des risques
et des opportunités apportés à la diversité culturelle.
Un nombre limité mais toutefois signifiant de termes (soixante) a été
retenu pour les entrées, en évitant, après moult hésitations, l’entrée
technique par les outils (blogs, moteurs de recherche, wikis…) pour
favoriser l’entrée par les pratiques et les usages, plus significative
des enjeux culturels. La démarche est non exhaustive, mais toutefois
la multiplicité des significations possibles donne lieu à l’exploration
des termes à partir de champs sociaux d’usages diversifiés. Chaque
entrée repose sur un équilibre entre deux visées : d’une part, proposer une discussion critique sur la définition du terme, son périmètre,
ses ambiguïtés et, le cas échéant, la genèse de ses usages actuels, en
le confrontant à des usages non numériques ; d’autre part, étudier sa
mobilisation en fonction des risques comme des opportunités pour la
diversité culturelle.
C’est donc un outil d’aide à la réflexion, sinon d’aide à la décision, en
cette période où, dix ans après la création des documents de cadrage,
se précisent l’actualisation d’instruments normatifs internationaux,
telle la convention, et le bilan de processus, tel le suivi du SMSI dans
le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement, en 2015.
Ce glossaire est une contribution à ces débats et à ces bilans en perspective. Il s’adresse à des publics différents, non spécialistes des
questions d’information et de communication, mais vise plus particulièrement des acteurs impliqués ou prêts à s’impliquer dans les
questions relatives à la diversité culturelle (associations, décideurs,
artistes…). Les contributeurs sont issus de disciplines différentes :
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
les sciences de l’information et de la communication, les sciences
de l’éducation, les sciences cognitives, les sciences économiques, les
sciences du langage, la sociologie et la géographie.
Plus largement, cette contribution pose la question de la capacité de
la diversité culturelle à s’adapter à l’environnement numérique et
celle de savoir dans quelle mesure les évolutions numériques revivifient le débat de la diversité culturelle.
La diversité culturelle et le numérique
en question
Le terme « diversité culturelle » a d’abord été utilisé en référence à la
diversité au sein d’un système culturel donné, pour désigner la multiplicité des sous-cultures et des sous-populations, de dimensions variables, partageant un ensemble de valeurs et d’idées fondamentales.
Ensuite, il a été employé, dans un contexte de métissage social, pour
décrire la cohabitation de différents systèmes culturels, ou du moins
l’existence d’autres groupes sociaux importants au sein de mêmes
frontières géopolitiques 7. À partir des années 1960, la diversité des
identités culturelles impulse une nouvelle vision du développement,
le développement endogène, et met en exergue le lien entre culture
et démocratie, lequel conduira à donner priorité « à la promotion des
expressions culturelles des minorités dans le cadre du pluralisme
culturel 8 ». Aujourd’hui, le terme tend à remplacer la notion d’« exception culturelle », qui a été utilisée dans les négociations commerciales
mondiales depuis le cycle de l’Uruguay au sein du GATT (General
Agreement on Tariffs and Trade), puis de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), dans les années 1990. Dans cette approche, la diversité culturelle vise à garantir le traitement particulier des biens et
des services culturels par le biais de mesures nationales ou internationales. En lien avec le numérique, elle peut être envisagée en termes
de risques ou d’opportunités : les risques d’uniformisation, d’exclusion, de monologue, d’une part ; les opportunités de diversification, de
partage, de dialogue, d’autre part.
7 Alain Kiyindou, « Diversité culturelle », in Enjeux de mots, sous la coordination
d’Alain Ambrosi, de Daniel Pimienta et de Valérie Peugeot, C & F Éditions, Paris, 2005,
pp. 119-133 ; voir aussi Divina Frau-Meigs, « La convention sur la diversité culturelle :
un instrument obsolète pour une réalité en expansion ? », Annuaire français des
relations internationales, vol. 8 (2007), pp. 345-356.
8 UNESCO, Rapport du directeur général pour 1992-1993, Paris, 1993, p. 13.
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Introduction
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Le numérique, une opportunité pour la diversité
culturelle
La définition du « numérique » demeure quant à elle en évolution
constante, et il n’est possible de l’aborder que par quelques traits qui
commencent à se stabiliser, autour de l’idée centrale d’augmentation, appliquée à l’information, la mémoire, le territoire ou encore la créativité.
Les réalisations matérielles de la culture nourries des apports du virtuel
génèrent des environnements dynamiques, propices à l’accroissement
de la créativité et sources de diversité par la profusion des réalisations
qu’ils autorisent. La possibilité de fabriquer des univers graphiquement
élégants et réalistes permet d’exposer et de simuler des environnements
éloignés et exotiques, d’y faire s’exprimer des cultures, y compris les
plus minoritaires, qui y présentent leur patrimoine dans une circulation
transfrontalière qui transcende les aléas de l’histoire et de la géographie.
Dans l’univers numérique, l’augmentation affecte aussi les médias, qui
se sont multipliés, combinant les modes d’entrée et de sortie de données de type broadcast (audiovisuel, analogique, patrimonial) avec des
modes de type broadband (haut débit, numérique), ajoutant l’interactivité entre utilisateurs à la diffusion massive de contenus. Dans cet
univers, les médias de type broadcast restent un instrument clé pour
propager des informations, du divertissement et de la culture. Du point
de vue des utilisateurs – qui ne sont plus des « audiences » à proprement parler – cette culture produit une expérience sans suture, transparente et conviviale, fondée sur l’écran plutôt que sur le papier. Elle
a des implications sur les expressions culturelles, dont la diversité est
augmentée par la mobilité, l’ubiquité et la partageabilité. La prise en
compte de la mobilité a suscité le développement de nouveaux dispositifs, comme la tablette numérique et le téléphone portable, dont les
applications ne cessent de croître. Les plateformes mobiles aident, notamment dans les pays en développement, à répondre aux besoins des
populations les plus démunies et leur offrent des opportunités à la fois
sociales et économiques. Les services monétaires par téléphonie mobile 9 et les Massive Open Online Courses constituent les applications
les plus représentatives de cette tendance.
Des opportunités de diversification, de partage
et de dialogue
L’avènement du Web 2.0 a indéniablement favorisé l’expression identitaire des personnes aussi bien que des communautés. Aux effets
d’uniformisation de la communication de masse ont répondu des
9 Selon les données de la GSM Association (GSMA), environ 130 systèmes de services
monétaires par téléphonie mobile étaient déployés dans toutes les régions en
développement à la fin de mars 2012.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
formes d’échange et de publication plus aptes à respecter et à valoriser la diversité culturelle. En effet, les médias broadband approfondissent le potentiel de conversation et de participation des audiences, avec les voix des amateurs et des pro-ams (professionnels et
amateurs). Il s’établit une sorte de continuité entre les mondes hors
connexion et les mondes en ligne par des formes de communication
qui créent « une culture médiée tout autant que connectée 10 », où l’accès aux contenus originaux se fait par les médias qui sont des plateformes pour leur propre production de contenus et pour la diffusion
de contenus patrimoniaux. À travers les conversations, les commentaires, les annotations ou les dispositifs participatifs, une variété
de cultures propres aux usagers des réseaux a pu se manifester, en
marge des schémas industriels opposant traditionnellement émetteurs-producteurs et récepteurs-consommateurs.
Avec l’internet et son application privilégiée, le Web 2.0, tout un chacun
dispose – potentiellement – d’un assez large éventail d’outils pour s’exprimer à propos de l’actualité. L’activité correspondante, qualifiée de
« journalisme amateur », « citoyen », ou plus largement de « journalisme
participatif », transite par des blogs et des wikis, des plateformes dédiées
(sites de publication collaborative ou de partage de vidéos), ou encore des
espaces réservés au sein des sites de médias professionnels. Le stockage
et l’accès aux programmes sont plus faciles, la création et la production
culturelles se propagent notamment par le biais du phénomène « proams » (où professionnels et amateurs contribuent au contenu), les prescripteurs culturels ne sont plus seulement les membres de l’élite du fait
de l’évaluation par les pairs et de l’interaction directe avec les artistes
eux-mêmes. Le potentiel de démocratisation est de plus facilité par des
coûts d’entrée bas, permettant à tout un chacun l’agrégation et la curation
de contenus. Le numérique facilite en outre des appropriations singulières à travers une adaptation formelle des données. Du coup, certaines
polarisations et partitions prénumériques bougent sur leurs lignes : la
culture descendante de l’élite se voit défiée par la culture ascendante
de la « base numérique » (netroots) ; les lieux institutionnels (musées, archives et salles de spectacles) le disputent aux espaces non formels et
virtuels (rue, arcades de jeux, sites web, réseaux sociaux) ; les cultures
homogènes le cèdent à des cultures hétérogènes, avec de nouveaux passeurs comme les médias associatifs, réticulaires et diasporiques 11.
10 Divina Frau-Meigs, « Assessing the impact of digitisation on access to culture and
creation, aggregation and curation of content », Background Paper for the Cultural
Policy, Diversity and Intercultural Dialogue Division, Directorate of Democratic
Governance, Culture and Diversity, DG II, Conseil de l’Europe (Moscou, avril 2013).
11 Pour une version plus élaborée, voir Divina Frau-Meigs, Exploring the Evolving
Mediascape : Towards Updating Strategies to Face Challenges and Seize Opportunities,
rapport pour le SMSI + 10, Paris, UNESCO/WSIS 2013 ; lire en ligne http://www.unesco.
org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CI/CI/pdf/wsis/WSIS_10_Event/exploring_the_
evolving_mediascape_Report_final_version_DFM.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014.
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Introduction
11
De nouveaux facteurs de risques pour la diversité
Le développement des technologies de l’information et de la communication va de pair avec une accélération des échanges et une transformation profonde des pratiques communicationnelles, patrimoniales, des rythmes sociaux, une exposition continue au regard des
autres, introduisant de nouveaux facteurs de risques pour la diversité
culturelle, et d’inégalité entre les sociétés et les personnes. Les piliers classiques de la régulation audiovisuelle, à savoir la rareté des
ondes, les licences et la programmation linéaire, en association avec
le monopole d’État basé sur l’intérêt public et la diversité culturelle,
ne sont plus applicables en tant que tels au numérique, ou ne produisent pas les effets attendus. De même, les instruments réglementaires (quotas, redevances, droits aux frontières…) et les stratégies de
financement de la création (aides publiques, fonds pour le cinéma et
l’audiovisuel, régulation des prix, mécénat) ne semblent pas transposables à l’environnement numérique, dont une partie de l’activité est
dématérialisée, délinéarisée et indépendante d’une approche territoriale liée à la souveraineté des états.
Les industries culturelles prénumériques (livre, film, musique, audiovisuel), désormais considérées comme « patrimoniales » (legacy), sont
remaniées en ligne, avec des bouleversements inévitables pour celles
qui ont sous-estimé, négligé ou raté leur transition au numérique.
Ces mutations, mues par le haut débit et la convergence de toutes
les industries sur le numérique, affectent la culture avec une même
tendance à double tranchant : à un micro-niveau, elles ont le potentiel de marginaliser, voire de détruire, les emplois, les activités et les
institutions prénumériques ; à un macro-niveau, elles ont la capacité
de connecter les individus entre eux et avec leurs besoins réels, en les
plaçant en amont du processus culturel.
Les outils pour la promotion de la diversité culturelle en ligne
n’existent pas : les quotas sont difficiles à appliquer, les œuvres
peuvent subir plusieurs coupes publicitaires, la publicité légitime le
« placement de produit » (autrefois « publicité clandestine »), la protection des mineurs est en baisse, et la vie privée est menacée par la
nécessité d’exploiter les données de la vie personnelle pour maintenir
le modèle économique des « spécialistes tout en ligne » (pure players),
ces entreprises nées avec l’internet et qui vivent de l’obligation de
partage. En outre, la souveraineté nationale est défiée par les problèmes de compatibilité transfrontalière, les conflits de juridiction
et les manques de moyens de régulation internationale de l’internet.
Les agences internationales peinent, quant à elles, à rééquilibrer des
échanges culturels que la mondialisation rend encore plus asymétriques, la majorité des revenus de ces flux revenant à des entreprises
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
américaines d’envergure internationale pour la plupart bien protégées par le droit californien. La vision non interventionniste américaine est de facto la loi pour les corporations traitant des biens culturels et les formes d’expressions culturelles diverses.
Cette situation n’est pas sans rappeler celle qui a provoqué la crise
du GATT et de l’exception culturelle en 1993-1994 : débat sur la définition des biens et services culturels, abus de position dominante
des plateformes américaines de type Hollyweb, monopole des portails
d’accès et des détenteurs de catalogues d’œuvres audiovisuelles, remise en question des identités nationales, assèchement des bassins
d’emploi locaux, et fragmentation de la régulation qui permet toutes
sortes de contournements des lois nationales et de neutralisation des
outils et mécanismes internationaux investis dans la promotion de
la diversité, comme la convention. À cela s’ajoute le fait que le déploiement des réseaux numériques participe à la détérioration des
rapports entre les langues, et contribue à accélérer la disparition de
plusieurs d’entre elles. Cette situation est d’autant plus grave que, selon Funredes, sur les 6 000 langues qui existent dans le monde, seules
4 % sont utilisées par 96 % de la population mondiale et, sur l’internet,
90 % des langues ne sont pas représentées 12.
George Washington s’impose comme le personnage le plus présent sur la Toile. D’autres personnages comme Albert Einstein,
Marie Curie, Victor Hugo, William Shakespeare, René Descartes,
Gérard Depardieu, Andy Warhol, Michael Jackson et Bill Gates
tiennent le haut du pavé numérique 13. Mais si tout cela semble logique, il est également vrai qu’une bonne partie de la population
mondiale ne se reconnaît pas dans ces personnages, voire les ignore.
Cette inégale expression/reconnaissance, vécue parfois comme une
marginalisation de la majeure partie de la population du globe, a
été d’ailleurs soulignée par la Déclaration de la Conférence des ministres francophones de la culture, qui relève que, « si les progrès
des technologies de l’information constituent une chance de participation à la vie sociale, culturelle et économique pour l’ensemble des
cultures et des langues, notamment les moins répandues, les disparités d’accès creusent les inégalités d’expression des cultures, au
détriment surtout des populations les moins favorisées 14 ». En clair, le
développement de la liberté d’expression attribué au numérique est
vide de sens s’il ne s’accompagne pas du droit d’être entendu. La liberté d’expression est donc indissociable de la capacité d’expression.
12 www.funredes.org.
13 Ibid.
14 Organisation internationale de la francophonie, Déclaration de la Conférence des
ministres francophones de la culture, Paris, 2001, p. 19.
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Introduction
13
Ces nombreux contenus qui circulent sur les réseaux sociaux et ailleurs ne sont pas sans interpeller la réflexion car très peu d’informations correspondent aux besoins avérés des personnes, l’offre étant
souvent découplée de la demande. Cette asymétrie est encore plus
grave pour des populations fonctionnant sur des modèles différents
du modèle numérique actuel, piloté par une forme de néolibéralisme
mondialisé qui ne s’intéresse que marginalement aux sociétés du savoir partagé. La question des contenus touche donc non seulement à
la langue, aux croyances et à la temporalité, mais aussi à l’identité.
Les phénomènes de déconnexion ou de zapping peuvent ainsi se lire
comme des réponses à des stimuli inadaptés, ou même dissonants.
La question de l’expression de soi est corollaire de celle de l’identité,
notamment dans la construction du double numérique qui correspond
à l’ensemble des données personnelles recueillies par tous les systèmes
d’information aussi bien publics que privés. Le double numérique est
pour le moment constitué de fichiers publics distincts, administrés
de manière à préserver les données personnelles, selon les directives
de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL),
pour ce qui est du cas français. Mais il existe une double pression
du secteur public, sous couvert de lutte contre le terrorisme, et du
secteur privé, pour réduire les fraudes du commerce électronique,
pour connecter l’ensemble des fichiers de données personnelles
avec introduction de la biométrie, en conjonction avec l’analyse des
données massives et de la géolocalisation. Cette évolution se présente
comme irréversible et risque de « marquer » de façon sûre et quasi
indélébile chaque individu.
Se trouve par conséquent à nouveau posé le problème de l’exercice
de la liberté individuelle et de la souveraineté des États, dans leur
capacité à protéger l’individu, si rien n’est fait à l’encontre de
cette tendance. Les dérives sont nombreuses. Depuis les attentats
du 11 septembre 2001, SWIFT (Society for Worldwide Interbank
Financial Telecommunication, fournisseur mondial de services de
messagerie financière sécurisée) transmettait régulièrement des
données confidentielles aux autorités de la CIA (Central Intelligence
Agency, Agence centrale du renseignement) et à celles de l’UST
(United States Department of the Treasury, Trésor américain) au
nom de la lutte contre le financement du terrorisme international.
En 2013, l’« affaire PRISM » (programme américain de surveillance
électronique par la collecte de renseignements à partir de l’internet)
a bouleversé le monde entier à partir des révélations du lanceur
d’alerte Edward Snowden. Ce programme relevant de la NSA (National
Security Agency, Agence nationale de la sécurité) prévoit le ciblage
de personnes vivant hors des États-Unis. La NSA dispose donc d’un
accès direct aux données hébergées par les géants américains des
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
nouvelles technologies, parmi lesquels Google, Facebook, YouTube,
Microsoft, Yahoo !, Skype, AOL et Apple. Au-delà de ces faits se
trouve posée la question de la confiance non seulement vis-à-vis des
supports technologiques, dont les systèmes de sécurité peuvent être
défaillants, mais aussi vis-à-vis des pouvoirs politiques.
L’impact sur la diversité des expressions culturelles se mesure ici aux
risques encourus par le pluralisme des idées et des pratiques, affecté
par des mesures de censure ou des conduites d’autocensure dans la
presse, les médias et les réseaux sociaux, qui portent atteinte à la
liberté d’expression.
De nouvelles pratiques culturelles
Sur le plan des pratiques, les technologies apportent une plus-value
sensible aux travaux de groupes, et certaines applications peuvent favoriser la diversité des approches scripturales et éditoriales. Mais de
nombreuses pratiques restent méconnues. En effet, si les stratégies
d’agrégation sont bien comprises, en lien notamment avec les affordances des moteurs de recherche et des outils de veille et de collecte,
les pratiques de curation ou de tri sont moins connues. Cette curation
complète l’agrégation de contenus, laquelle correspond à une recherche
de critères de qualité alternatifs dans un monde numérique chaotique
où règne l’abondance. Dans les deux cas, il s’agit de faire sens à partir
de l’augmentation de la culture par le numérique. Des pratiques « paracuratoriales » apparaissent, comme en supplément à la curation professionnelle. Elles se caractérisent par des commentaires, des annotations,
des liens supplémentaires et des performances de toutes sortes, qui ne
sont pas sans intérêt pour la diversité des expressions culturelles.
Les volumes de cette participation sont sans précédent, même si leur
qualité, non vérifiable, est plus que jamais subjective. Toutefois, en
aucun cas ces pratiques d’agrégation et de curation ne peuvent se
confondre avec celles de la création culturelle inédite et réellement
innovante, qui reste encore à définir dans un univers numérique avant
tout fondé sur le partage des données et sur le recyclage culturel de
contenus présentés selon des statuts différents, dans des modèles économiques en cours de reconfiguration. Ces évolutions engendrent des
mobilisations nombreuses pour défendre la liberté d’expression ou la
vie privée, qui sont des droits inaliénables garantis par la plupart des
Constitutions. On retrouve d’ailleurs ces valeurs universelles chez les
développeurs de logiciels libres et dans les initiatives de science ouverte (open science). Les premiers bénéficiaires peuvent être les pays
les moins avancés, où les universités ont un accès limité aux publications scientifiques, dans les innovations du financement coopératif
en ligne, de la consommation collaborative et des monnaies virtuelles,
qui visent à transformer les règles inéquitables du jeu économique
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Introduction
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et financier, ou dans la mise à disposition par ceux dits « pirates
de l’information » (hackers) de solutions techniques permettant de
contourner la censure en terres de conflits.
De nouveaux biens culturels en émergence
La notion de « bien culturel » se trouve au centre du développement
des industries culturelles, terme utilisé pour la première fois par
Adorno en 1947. Il désigne l’ensemble des entreprises produisant selon des méthodes industrielles des biens dont l’essentiel de la valeur
tient à leur contenu symbolique comme le livre, la musique, le cinéma,
la télévision, la radio et, plus récemment, le jeu vidéo. Cette notion est
la clé de voûte des débats sur la diversité culturelle ayant mené à la
convention de 2005. Celle-ci a visé à faire des industries culturelles
une exception aux échanges commerciaux sans frontières afin de préserver le double versant de ce type de bien, à la fois commercial et
identitaire, permettant aux États souverains de continuer à intervenir
par le biais de politiques culturelles publiques.
Toutefois, avec le numérique, on assiste à l’émergence d’un autre type de
bien culturel, les industries créatives, apparues durant les années 1990
et tendant à s’ajouter, du moins dans les rapports officiels, aux industries culturelles. Les industries créatives se situent à la croisée des
chemins entre les arts, la culture, le commerce et la technologie. Elles
incorporent la gastronomie, l’architecture, le folklore… Autrement dit,
elles englobent le cycle de création, de production et de distribution de
biens et de services dans lequel le facteur de base est l’utilisation du
capital intellectuel et des dispositifs socio-techniques fournis par le
numérique (plateformes, sites, logiciels de design, interfaces…). Ainsi
s’explique par exemple le succès planétaire de l’huile d’argan, spécifique au Maroc et à l’Algérie, passé d’une utilisation culinaire artisanale à un emploi industriel cosmétique et à une distribution contrôlée
par des coopératives de femmes, appuyée sur le numérique 15.
Le passage à la notion d’industries créatives tend à souligner la place
de l’innovation dans la nouvelle économie numérique, qui se passe de
certains intermédiaires et s’émancipe, à certains égards, de l’adoubement sélectif des élites institutionnalisées. Mais cette économie se
construit suivant des règles essentiellement libérales. En effet, face
au désengagement de l’État, c’est l’intérêt commercial qui organise
l’offre et la demande. Les multinationales du web, par exemple, ont
pris en main la communication cartographique, qui échappe de plus
15 Grâce au CRDI (Centre de recherches pour le développement international, Canada) et
aux travaux de la chimiste marocaine Zoubida Charrouf, des coopératives de traitement
de l’huile d’argan ont pu être mises en place, entièrement dirigées par des femmes.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
en plus aux États, alors qu’il existait des styles cartographiques nationaux liés aux traditions des agences de chaque pays.
La coexistence entre industries culturelles et industries créatives ne va
pas sans tensions, à mesure que la logique des spectacles publics (musique, cinéma…) rencontre celle des services payants à la demande. Les
modèles économiques du prénumérique sont encore vivaces, comme le
modèle publicitaire des médias de masse ou le modèle rédactionnel de
la presse 16. Ils sont visibles dans le secteur audiovisuel qui vend ses
contenus haut de gamme sur des réseaux du câble ou des bouquets
satellites ; ils se manifestent dans la lutte des industries culturelles
pour abriter leurs droits d’auteurs numériques derrière des barrières
de protection accessibles seulement par carte de crédit. Toutefois,
d’autres modèles émergent, autour de la production collaborative
(crowdsourcing) et du financement collaboratif (crowdfunding), qui
soutiennent les industries créatives. Ils pointent vers des approches
en hybridation, qui combinent l’abonnement et la publicité, comme le
modèle « freemium », ou encore le modèle « pro-ams » 17.
Les nouveaux acteurs du numérique
L’arrivée du Web 2.0 et la pénétration généralisée du (très) haut débit
a bouleversé la donne, les spécialistes du tout en ligne (pure players),
par exemple, se lançant dans une logique de production de contenus audiovisuels par la création de chaînes de diffusion (YouTube)
ou l’acquisition de compagnies susceptibles de rendre leurs contenus numériques plus accessibles du public (Microsoft se dotant de
Nokia, ou Facebook achetant Instagram par exemple, pour avoir accès
aux plateformes mobiles). Aux corporations de type broadcast prénumériques que sont GE, Disney, Time Warner, News Corp, Viacom et
CBS s’ajoutent désormais Microsoft, Cisco, Google, Apple, Facebook
et Amazon. Elles créent Hollyweb 18, une alliance objective, où chaque
corporation fait son corps de métier et contrôle un secteur d’activités
bien déterminé, mais s’assure la neutralité coopérative des autres.
Hollyweb organise la réalité d’une économie numérique qui fabrique
16 D. S. Evans et R. Schmalensee, The Digital Revolution in Buying and Borrowing,
Cambridge, Massachussetts, The MIT Press, 2005 ; X. Greffe et N. Sonnac, Culture web.
Création, contenus, économie numérique, Paris, Dalloz, 2008 ; voir aussi P. Bouquillion
et Y. Combès, Les Industries de la culture et de la communication en mutation, Paris,
L’Harmattan, 2007.
17 Philippe Couve et Nicolas Kayser-Bril, Médias : nouveaux modèles économiques et
questions de déontologie ; lire en ligne http://www.journaliste-entrepreneur.com/2010/11/
le-rapport-medias nouveaux-modeles-economiques-et-questions-de-deontologie/, dernière
consultation le 1er juin 2014.
18 Divina Frau-Meigs, « L’impact du numérique sur les contenus de la culture : quelques
éléments de gouvernance pour la diversité 2.0 », in Réflexions sur les diversités
mondiales, J. E. Naji (éd), Rabat, Haca-Orbicom, 2013, pp. 327-347.
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Introduction
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indifféremment de la culture, de l’idéologie et du politique. Cela s’est
soldé par les batailles de droits d’auteurs numériques qui ont donné
des bras de fer comme PIPA (Protect IP Act, projet de loi sur la prévention des menaces en ligne réelles sur la créativité économique et le vol
de la propriété intellectuelle), SOPA (Stop Online Piracy Act, lutte contre
la violation du droit d’auteur en ligne) et ACTA (Anti-Counterfeiting
Trade Agreement, Accord commercial anticontrefaçon). D’autres soubresauts sont à venir car les spécialistes du tout en ligne, tout en se
nourrissant des contenus audiovisuels, ne peuvent survivre si les lois
de la propriété intellectuelle établies avant l’arrivée du numérique
n’évoluent pas en leur faveur. Ces industries créatives broadband participent au brouillage des frontières entre propriétaire et non-propriétaire, payant et gratuit, ce qui rend difficile la mise en place d’un
modèle économique durable pour les médias de type broadcast et les
institutions prénumériques, ayant de multiples implications pour
l’économie de la culture et pour la survie du service public. Ce brouillage s’ajoute à la double nature prénumérique des biens culturels, à la
fois économique et culturelle, pourvoyeurs de spectacles et de services
mais également vecteurs d’identité et de valeurs, ce qui a alimenté leur
exception aux règles ordinaires du commerce dans le passé.
Ces mouvements s’accompagnent d’une augmentation nette du
nombre de produits offerts ainsi que des productions réalisées par
des « amateurs » ou des semi-professionnels, ce qui relance la problématique de la concentration. Si nombre de chercheurs considèrent
que celle-ci n’a pas d’impact mécanique ni direct sur la quantité ou
la qualité des produits culturels, certains soulignent que les acteurs
des industries de la communication contrôlent désormais l’aval de
nombre de filières des industries culturelles, notamment de la musique enregistrée mais aussi, de façon croissante, du livre et de la
presse. Le rapport de France créative associe pour la première fois
en France « industries culturelles et créatives 19 », dans un panorama
économique qui montre le poids de la culture comme quatrième pilier
du développement durable et identitaire.
Entre braconnage, piraterie et normalisation des
nouveaux modes de faire du numérique
Les modèles économiques en cours sont également défiés tant par la
piraterie en ligne que par la dissémination illégale de contenus protégés par le droit d’auteur sur des sites comme Megaupload ou Torrent.
D’autres modèles spécifiques aux spécialistes du tout en ligne émergent, basés sur le partage de l’information et l’extraction de données
19 Industries culturelles et créatives en France : panorama économique, Paris, 2014 ;
lire en ligne http://www.francecreative.fr.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
par des tierces parties qui exploitent les besoins individuels et collectifs des utilisateurs en termes d’usage, d’interaction et d’engagement
citoyen. Ils s’appuient sur des moteurs de recherche et des logiques
d’agrégation et de curation de contenus pour récupérer des revenus
publicitaires, comme AdSense de Google, ou pour fournir des services
encore plus près de la personne, comme Graph Search de Facebook.
L’économie numérique présente donc des caractéristiques nouvelles :
les questions de neutralité du net se heurtent au management différencié du trafic en ligne ; la rémunération de la création par le biais
de la propriété intellectuelle appuyée sur les logiciels propriétaires
côtoie les Creative Commons et la constitution de biens communs numériques appuyés sur le logiciel libre. On voit apparaître en ligne,
quoique déplacée, une nouvelle tension entre biens et services commerciaux, d’une part, et biens communs et services à valeur d’intérêt
public d’autre part.
Ces caractéristiques de l’économie numérique risquent en effet
d’être préjudiciables à la diversité culturelle car elles fragilisent les
politiques publiques, assèchent les financements nationaux (autres
qu’américains), confèrent un pouvoir démesuré aux grosses corporations du numérique à tendance monopolistique, et entraînent les
utilisateurs soit vers le « nétayage 20 » ou le travail à la tâche à la rémunération marginale, soit vers l’offre illégale en ligne tout en les criminalisant. Elles ont deux implications différentes pour les médias et la
création : l’importance de construire un domaine public numérique
pour disséminer la richesse des biens communs de la culture ; le besoin de motiver la création par la reconnaissance et la valorisation
économique (avec le besoin de réfléchir aux modes de monétisation et
d’attribution de la valeur, sans pénaliser le créateur ou l’utilisateur).
Ces variations révèlent aussi que l’offre numérique ne produit pas
nécessairement de la diversité culturelle, ce qui remet en cause des
pans entiers de la Convention sur la protection et la promotion de
la diversité des expressions culturelles, et pose la question de nouveaux principes de gouvernance de la culture. La fracture naît de
l’« ethnocentralisation » des systèmes informationnels, à savoir la
tendance, plus ou moins consciente, à privilégier les valeurs et les
formes culturelles des producteurs des systèmes d’information 21. Le
problème ne se trouve pas dans les réseaux ni dans la technique, il
est dans la difficulté humaine à faire dialoguer les cultures sans que
20 Divina Frau-Meigs, Penser la société de l’écran. Dispositifs et usages, Paris, Presses
de la Sorbonne nouvelle, 2011.
21 Alain Kiyindou, « De la diversité à la fracture créative : une autre approche de
la fracture numérique », Revue française des sciences de l’information et de la
communication, 2 | 2013 ; mis en ligne le 1er janvier 2013, http://rfsic.revues.org/288,
dernière consultation le 1er juin 2014.
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Introduction
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des rapports de forces ne s’activent. En tant que vecteurs de représentation et supports de diffusion, les médias font partie intégrante de cette
culture en réseau qui transmet et modifie les valeurs et les institutions.
Les perspectives pour la diversité culturelle
Un glossaire n’a pas vocation à clore, mais à pointer et à relier, tout en
les mettant en lumière, les quelques principes qui tiennent lieu, ici, de
perspectives. La préservation de la diversité culturelle nécessite que
non seulement l’usager, le designer, le fabricant, mais aussi et surtout
les institutions questionnent la visée éthique à l’origine des contenus numériques, des terminaux, du design des interfaces, des politiques institutionnelles et de leur mise en œuvre dans les différents
domaines sociaux. Cette éthique est à considérer comme une pratique
ayant pour objectif de déterminer une manière de vivre conforme aux
fins des droits de l’homme, dont la liberté d’expression et de participation. Elle devient ainsi une réflexion critique sur la moralité des actions. Dans le cadre de la diversité culturelle, elle établit les critères
pour juger si une action est préjudiciable à la diversité et pour juger
les motifs et les conséquences de l’acte, ce qui devrait amener à agir
de manière responsable. Cette focalisation sur l’éthique est d’ailleurs
partagée par le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI)
qui, dans le point C10 du plan d’action invite « les parties prenantes à
poursuivre les recherches sur la dimension éthique des technologies
de l’information et la communication 22 ».
En effet, les bouleversements liés à l’usage des TIC sont tels que de
nouvelles règles, sortes de balises qui indiqueraient les zones rouges,
c’est-à-dire les limites à ne pas franchir, sont en cours d’élaboration.
Ces règles existent dans le domaine de la médecine, du génie génétique,
avec tous les débats sur les organismes génétiquement modifiés (OGM).
Dans le domaine des TIC, on s’interroge sur la vidéosurveillance, le
double numérique ou encore l’usage des puces RFID (Radio Frequency
Identification). Ce cadrage suppose d’envisager les TIC de manière responsable. Ce qui nécessite de la part du chercheur une réflexion critique sur la moralité des actions. Cette visée éthique incite ainsi, dans
le cadre de la diversité culturelle et numérique, à la clarification des
frontières de la sous-traitance sur appel public, de façon à enrayer la
confusion existant entre le bénévolat et le pronétariat 23. La « production collaborative » (crowdsourcing) a en effet le potentiel de modifier
le statut de l’artiste comme de l’expert, ainsi que la propriété intellectuelle des participants. C’est particulièrement le cas s’il est associé
22 SMSI, Plan d’action, point C10, SMSI, Genève, 2003.
23 Joël de Rosnay, La Révolte du pronétariat. Des mass média aux média des masses,
Paris, Fayard, 2006.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
au « financement collaboratif » (crowdfunding) pour réunir les sommes
nécessaires à un projet dont le devenir peut être industriel. Les participants à de tels projets devraient savoir, entre autres, si leur travail et
leur expertise font l’objet d’un don gratuit (avec gain en actualisation
et capital social et symbolique), ou s’ils sont soumis à honoraires (avec
rétribution à l’appui). La mise à disposition de termes de service et de
modes de compensation clairs est importante pour créer la confiance et
pour le développement durable de la culture.
Au-delà de ces questions éthiques, en France, le rapport Lescure suggère
plusieurs pistes pour les mesures d’incitation : l’aide au développement
des bases de métadonnées pour le référencement national ; l’aide au développement des politiques de numérisation systématisées (fonds de
catalogue, œuvres à fort contenu patrimonial). Le rapport Collin-Colin 24
suggère quant à lui des solutions pour contrecarrer les stratégies de
contournement des spécialistes tout en ligne en ce qui concerne les impôts nationaux (sans encourager une « taxe Google »). Il fait allusion à
ce qui pourrait être le principe de neutralité du net, en suggérant des
mesures pour qu’il n’y ait pas de discrimination des contenus sur critères tarifaires. Mais la notion d’un domaine ou d’un service public du
numérique est passée sous silence, de même que toute allusion à l’appropriation indue du service public audiovisuel après la numérisation.
L’éthique de la diversité culturelle et numérique intègre la protection des communs, la création d’un service public du numérique qui
ne soit pas uniquement la numérisation du secteur public de l’audiovisuel prénumérique, la promotion du code source et du logiciel
libre tels que les défendent les mouvements Open Web et Open Source
Initiative, la lutte contre la concentration de la propriété, la réduction
de l’effet portail en termes de prix, licences et barrières de prix prohibitives… Des recommandations pour la gouvernance de la diversité
culturelle peuvent également se fonder sur les caractéristiques des
contenus qui circulent actuellement en ligne : création (originalité, partageabilité…), curation (patrimoine, préservation, collection,
tri), agrégation (mixage, remixage…). Elles se doivent de prendre en
compte cette nouvelle culture médiée, connectée, augmentée.
Ce glossaire traverse donc de façon à la fois exploratoire, analytique
et parfois polémique des questions liées à l’économie numérique, à
la régulation juridique ou éthique, à la multiplication des acteurs et
de l’offre de contenus, tout en restant attaché à la notion de diversité
culturelle comme droit humain fondamental et évolutif.
24 Pierre Collin et Nicolas Colin, Rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, ministère
du Redressement économique, janvier 2013 ; lire en ligne http://www.redressement-productif.
gouv.fr/rapport-sur-fiscalite-secteur-numerique, dernière consultation le 1er juin 2014.
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Agrégateur
Olivier Le Deuff
Le mot agrégateur est devenu polysémique dans l’espace du web, surtout
depuis que son sens s’est étendu à différents domaines et notions.
Il est donc imparfaitement stabilisé et évolue au gré des nouvelles
aplications disponibles. Son origine est latine ; aggregatio désigne une
réunion d’éléments, ce qui pourrait rapprocher ce terme de celui de
collecte et de collection. Aggregatio est d’ailleurs un dérivé de grex,
qui signifie troupeau. Cette référence agricole de la collecte est aussi
celle de la culture, du monde des bibliothèques et des professionnels de
l’information habitués à gérer des collections cohérentes.
Agrégateur est une traduction du mot anglais aggregator, qui désigne
un logiciel permettant d’agréger différents éléments d’information à
partir de plusieurs sources différentes en ligne. Agreggator possède
un sens très large puisqu’il concerne de nombreux types de plateformes qui « agrègent ». Par conséquent, il est possible de distinguer
les plateformes de vidéos, de photos, de nouvelles ou de données qui
réalisent des formes différentes d’agrégations de contenus.
Le sens francophone est plus réduit et a surtout concerné le fait de
pouvoir organiser différents flux d’informations, notamment par
l’utilisation des fameux flux ou fils RSS. Si bien que le terme désigne
principalement les outils de type Feedly ou Netvibes qui permettent
d’organiser ces flux d’information. Les « agrégateurs d’actualités »
(news) désignent les plateformes qui gèrent des informations
provenant essentiellement de journaux, comme Google News,
ou des sites spécialisés dans la sélection de flux d’informations
thématisées, comme c’était le cas pour Wikio devenu désormais
Ebuzzing. L’actualité du monde des agrégateurs a été marquée par
l’arrêt de Google Reader en juillet 2013. L’outil était performant
mais utilisé principalement par les professionnels de l’information.
Son caractère finalement élitiste ne permettait pas à Google d’en
réussir une pleine marchandisation. Cet événement témoigne d’une
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
forme de fracture numérique quant aux compétences inégalement
réparties entre les usagers.
Les agrégateurs de flux
On distingue deux types d’agrégateurs de flux : les applications en
ligne et celles qui sont en local et qui nécessitent donc un téléchargement et une installation. Ce sont les applications en ligne qui sont les
plus prisées, puisqu’elles permettent à chacun d’avoir à disposition
l’ensemble de ses flux sélectionnés depuis une connexion internet.
Les logiciels qui gèrent les flux sont surtout « orientés veille » à des
fins professionnelles.
Cette logique de flux fonctionne de manière simple en récupérant
le flux d’un site jugé intéressant en renseignant l’adresse du fil RSS
(Really Simple Syndication) dans son agrégateur. Cette opération peut
s’effectuer par simple clic, dès que le symbole du RSS a été repéré. Le
RSS est une famille de formats de données basée sur XML, ce qui permet un affichage en HTML dans l’agrégateur. Malgré leur potentiel,
les flux RSS connaissent un net recul : ils disparaissent de certains
sites et sont moins bien pris en compte par les navigateurs. De nombreux acteurs, tel Apple, souhaitent les voir abandonner au profit des
technologies propriétaires et des systèmes qui obligent l’usager à se
connecter directement au service. Or le flux RSS est essentiel pour la
liberté de l’usager dans sa sélection et son évaluation de l’information. Les flux RSS sont des éléments indispensables pour constituer
son environnement personnel d’informations.
L’agrégation repose donc sur l’accumulation plus ou moins organisée
de flux qui permettront d’obtenir de façon automatique les mises à
jour et les derniers billets ou messages des ressources sélectionnées
auparavant. Ce travail de collecte et d’organisation de l’information
réclame des qualités d’attention, mais aussi la possibilité d’avoir des
temps de lecture réguliers, car il est souvent illusoire de penser qu’il
sera possible de tout lire.
Les polémiques
L’agrégation est critiquée par ceux qui déplorent une récupération des
flux pour des monétisations extérieures. De la même façon, certains
webmasters regrettent de ne pas pouvoir comptabiliser le nombre de
lectures d’un article qui passent par cette logique de flux, même si
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Agrégateur
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des systèmes de flux, tel FeedBurner, permettent de comptabiliser le
nombre d’abonnés et les flux consultés. La tendance est parfois de
supprimer purement et simplement les flux pour obliger les usagers
à se rendre directement sur le site, ou d’utiliser le biais d’une application dédiée. D’autres systèmes privilégient un flux volontairement
tronqué pour forcer l’usager intéressé à se rendre sur le site de l’article pour achever sa lecture.
Mais la plus grande polémique concerne l’utilisation de flux provenant notamment de la presse en ligne par des agrégateurs comme
Google News, qui offrent un aperçu de l’actualité en mixant des
contenus d’éditeurs de presse en ligne. Google utilise simplement les
flux disponibles pour réaliser un site entièrement consacré à l’actualité sans en payer les contenus, qui sont néanmoins en accès libre.
De nombreux éditeurs ont protesté contre cette réutilisation qu’ils
jugeaient abusive. Toutefois, la volonté d’être désindexé par Google
s’avère souvent une erreur stratégique et financière.
Les outils d’agrégation disposent parfois de fonctionnalités supplémentaires ou de « modules d’extension » (plugins) qui permettent
une meilleure visualisation de l’information. Si on prend l’exemple
de Google Reader, la lecture de l’information est dispensée principalement sous forme de liste antéchronologique. Des outils comme
Feedly, Feedspot, Newsblur ou bien encore NewsSquare améliorent
grandement la manière de visualiser l’information et de distinguer
ce qui peut avoir de l’importance. Feedly présente ainsi les flux à la
manière d’un magazine d’« actualités » (news) plutôt que de manière
linéaire. Ce dernier se couple d’autant plus efficacement avec d’autres
outils de partage comme Twitter. Cette surcouche constitue en fait un
dispositif de curation, ce qui explique la proximité entre curation et
agrégation.
Agrégation et curation
Le terme d’« agrégation » recouvre donc plusieurs réalités différentes,
et la tendance actuelle est de rapprocher le terme du domaine de la
curation, parfois appelée « agrégation web ». Pourtant, un débat demeure entre ceux qui différencient clairement le domaine de l’agrégation et celui de la curation.
L’agrégation relèverait davantage de la collecte et de la collection,
tandis que la curation serait l’exercice de sélection issu de cette collecte. La curation se situerait donc davantage du côté de l’humain,
tandis que l’agrégation reposerait surtout sur des outils web. Il faut
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
sans doute préciser que la curation a souvent pour but d’être partagée et mise à la disposition du collectif.
L’opposition mérite toutefois d’être nuancée, car le premier travail
de collecte ne se réalise pas de façon impulsive. C’est même l’inverse
dans une stratégie de veille où la sélection des ressources, des flux et
des mots-clés se réalise de façon réfléchie et en suivant une stratégie
souvent rigoureuse.
Le terme « agrégateur » désigne nettement un outil, et non pas celui qui
procède à la collecte. C’est le contraire en ce qui concerne la curation,
puisque le curateur est avant tout un humain. Toutefois, certains outils de curation n’apportent aucune réelle valeur ajoutée et constituent
des formes d’infopollution et des systèmes de violation de droits d’auteur. Cette logique de sélection humaine permet d’éviter des logiques
automatisées par des algorithmes qui décideraient à notre place des
ressources qui pourraient s’avérer pertinentes, en prenant appui par
exemple sur des recherches précédentes ou sur des « like » de Facebook.
L’agrégation permet davantage une diversité de découvertes remplie
d’imprévus et d’inattendus par le biais de la sérendipité.
Les compétences requises par la curation et l’agrégation sont d’essence
documentaire, et les savoirs et savoir-faire sont ceux de la culture de
l’information. Celui qui procède à la sélection de l’information à agréger peut donc être à la fois un professionnel dans un processus de type
veille, mais également un usager lambda qui réalise cette opération
pour des besoins qui lui sont propres. On notera également qu’un professionnel peut effectuer cette opération d’agrégation non seulement
au niveau professionnel mais également pour ses besoins personnels.
Il reste toutefois que la division entre ce qui relève du professionnel et
du personnel n’est pas toujours évidente à distinguer.
Des compétences et des savoirs
L’agrégation requiert des savoirs et des compétences qui vont bien
au-delà du seul usage de l’outil et de la capacité à récupérer un flux
RSS. L’enjeu n’est donc pas celui du bon usage d’un outil d’agrégation, mais plutôt de la capacité à sélectionner et à évaluer l’information (Serres, 2012). L’agrégation et les dispositifs de curation associés
font ainsi pleinement partie de la formation aux cultures numériques
(Le Deuff, 2009).
L’agrégateur est un bon exemple d’outil devenu indispensable à tous
les travailleurs du savoir qui souhaitent gérer efficacement leur information (Deschamps, 2009). C’est aussi un outil clef dans un contexte
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Agrégateur
25
de convergence numérique (Jenkins, 2006) afin de pouvoir y regrouper
des sources d’information jugées pertinentes. L’agrégateur constitue,
en raison de cette convergence, un outil emblématique de la translittératie (Thomas, 2007), cette capacité à lire et à écrire au travers d’une
multitude de plateformes. Il participe donc pleinement à une diversité culturelle par la possibilité de gérer des sources différentes, et
de pouvoir y accéder indépendamment de logiques uniquement marchandes. Il est en ce sens davantage conforme à l’esprit pionnier du
web. La diversité culturelle ne peut s’exercer que par la consultation
d’une diversité de ressources et de points de vue. En aucun cas l’outil
ou les dispositifs ne peuvent garantir cette diversité. En effet, c’est
l’usager lui-même qui choisit des ressources. L’outil peut alors renforcer des formes d’autarcie informationnelle, de la même façon que
pour ceux qui choisissent de n’entrer en relation sur les réseaux sociaux qu’avec des personnes proches en matière d’idées. De la même
manière, la barrière linguistique demeure importante. Si Google
Reader avait associé des possibilités de traduction, aucun autre outil
ne propose de solutions équivalentes et de qualité. Une des pistes les
plus intéressantes réside probablement dans les possibilités de mutualisation afin de pouvoir partager non seulement le travail d’agrégation mais aussi les synthèses. Finalement, la diversité repose sur
une dimension collective et collaborative qui permet de croiser les
points de vue et les interprétations.
Termes liés : bibliothèques, algorithmes, sérendipité,
document, littératie, langues, connaissance, co-construction
Références
Christophe Deschamps, Le Nouveau Management de l’information. La gestion des
connaissances au cœur de l’entreprise 2.0., FYP Éditions, 2009.
Henry Jenkins, Convergence Culture : Where Old and New Media Collide, New York
University Press, 2006.
Olivier Le Deuff, La Formation aux cultures numériques. Une nouvelle pédagogie
pour une culture de l’information à l’heure du numérique, FYP
Éditions, 2011.
Alexandre Serres, Dans le labyrinthe : Evaluer l’information sur internet, C &
F Éditions, 2012.
Sue Thomas et al., « Transliteracy : Crossing Divides », First Monday, 2007, vol. 12,
no 12, 3 décembre 2007 ; lire en ligne http://firstmonday.org/htbin/
cgiwrap/bin/ojs/index.php/fm/article/viewArticle/2060/1908, page
consultée le 1er juin 2014.
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Algorithme
Bruno Bachimont
Le mot « algorithme » vient du nom latinisé du mathématicien perse
Al-Khawarizmi, surnommé « le père de l’algèbre ». Un algorithme est
une suite finie et non ambiguë d’opérations ou d’instructions permettant de résoudre un problème.
En un certain sens, la notion d’algorithme est très banale : c’est tout
simplement une méthode que l’on peut appliquer pour obtenir un résultat à un problème donné. D’ailleurs, Al-Khawarizmi proposa des
méthodes numériques pour mettre en œuvre les nouvelles notations
qu’il introduisait en s’inspirant des mathématiques indiennes. Mais,
dans un autre sens, la notion d’algorithme est subtile et profonde :
c’est le fait de proposer une méthode dépourvue de toute ambiguïté,
c’est-à-dire qu’il est inutile de faire appel à une faculté d’invention
pour la mettre en œuvre. Bref, inutile de comprendre pour l’appliquer. Mais comment savoir qu’une méthode est suffisamment précise
pour ne pas avoir à réfléchir pour l’appliquer ? La réponse s’élabora
progressivement et de manière concomitante avec la réflexion sur la
notion de calcul. Une méthode est suffisamment précise, son explicitation est achevée quand son exécution peut être mécanisée et donc
mise en œuvre par une machine.
L’algorithme : une écriture qui n’a pas de sens
Cette idée n’a rien de trivial. En effet, elle exige d’adopter une véritable ascèse du signe, dans la mesure où les instructions composant la méthode doivent pouvoir être appréhendées par une machine
comme de simples déclencheurs, sans faire appel à une quelconque
interprétation. Autrement dit, il faut faire le contraire de ce à quoi
nous sommes accoutumés : dans la langue – la communication habituelle entre les êtres humains – tout signe ne s’appréhende qu’en
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Algorithme
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vue et qu’en fonction du sens qu’il véhicule et délivre. Il n’existe et
n’est justifié que pour faire sens, que pour être interprété. Autrement
dit, le signifié est la finalité du signifiant, ce pour quoi il existe et
fonctionne comme signifiant, justement. Dans un algorithme, on doit
pouvoir faire abstraction du signifié pour utiliser le signifiant comme
un simple objet, un simple item qui sera manipulé par la machine.
Toute la subtilité de la démarche sous-jacente à l’élaboration des algorithmes est de considérer l’écriture d’une méthode pouvant fonctionner
sans faire appel à une compréhension ou à une interprétation : utiliser
l’écriture seulement comme suite de signes ne signifiant rien, indépendamment de la signification. De la même manière que le passage du
courant électrique permet de déclencher des réactions, la présence du
signe dans un algorithme permet de déclencher une exécution.
Évidemment, si l’algorithme ne signifie vraiment rien, on ne voit pas
vraiment à quoi il va servir. C’est pourquoi on ne veut pas tant définir des algorithmes qui ne veulent rien dire que des instructions
qu’on n’a pas besoin de comprendre pour les exécuter, puisque c’est
à cette condition qu’une machine peut être commandée par un programme. Mais il doit être possible de donner un sens à ce que fait le
programme bien sûr. Pour cela, il faut être capable, pour un problème
donné, de définir une écriture qui fonctionne comme un déclencheur
pour la machine mais qui s’interprète pour l’humain comme étant la
traduction de ce qu’il faut faire, donc comme ayant le sens voulu dans
le contexte du problème traité.
Ce qui permet d’effectuer ce double mouvement est ce qu’on appelle la
formalisation. La formalisation consiste à traduire ce qu’il faut faire
en symboles dont la signification est directement déterminée et définie de manière univoque et unique par leur forme graphique : pour un
symbole, une signification déterminée. De cette manière, la machine ne
considère que la face graphique, utilisant les symboles pour leur nature physique, mais l’exécution effectuée à partir de ces symboles est,
par construction, cohérente avec la signification portée par ces symboles. Tout l’enjeu est donc de définir une syntaxe qui puisse être autonome pour la machine qui ne considère que la matérialité des signes, et
qui commande une sémantique que nous, concepteurs et utilisateurs,
pouvons associer au comportement calculé de la machine.
L’algorithme : une nouvelle négociation du sens
À quoi servent les algorithmes ? À effectuer certains types de traitement sur des données et sur des contenus. Depuis quelques années, la
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
numérisation des contenus a entraîné cette conséquence que tout ce
que nous produisons comme documents, contenus, inscriptions, etc.,
possède désormais une nature numérique (le fameux binaire) et devient dès lors calculable. Or cela signifie qu’on peut les considérer
comme des symboles vides de sens sur lesquels on peut faire appliquer des calculs vides de sens par des machines aveugles. On peut
donc appliquer à ces contenus numérisés n’importe quel traitement,
n’importe quel algorithme sans autres limites que celles du calcul
lui-même. Qu’un calcul ait du sens pour nous ou non ne change rien à
l’affaire, il reste applicable.
C’est d’ailleurs ce qui se produit dans bon nombre de cas. Les algorithmes s’appliquent sur l’inscription de nos discours, de nos pensées, des événements, en introduisant des transformations calculées.
Si ces transformations répondent à des principes que nous comprenons (on comprend les lois du calcul, on connaît éventuellement les
programmes qui se sont exécutés), la complexité, la rapidité, la masse
des calculs et des données sur lesquelles ils sont effectués nous interdisent d’en avoir une compréhension fine. Alors que l’écriture renvoie implicitement à un auteur – comprendre est souvent retrouver
l’intention ou la pensée à l’origine de cette écriture, car il n’y a pas
d’écriture sans scripteur ou auteur – le calcul nous met devant des
écritures sans auteur, des configurations de sens sans intention, car il
introduit une opacité sur la genèse des inscriptions nous empêchant
de nous approprier leur rationalité propre.
Ce nouveau régime ne se limite pas seulement à la production des
écrits, mais porte également sur notre manière de lire. Prenons
l’exemple simple du fameux « copier-coller ». Qui n’a pas recopié un
fragment d’un document pour le coller dans un autre sans le lire,
ou sans s’assurer qu’on le comprenait vraiment, qu’on aurait pu
l’écrire nous-mêmes ? Autrement dit, qui n’a pas fait de copier-coller qui ne soit pas une citation (en donnant la référence à l’origine
de l’emprunt), mais une appropriation textuelle (on le met dans
notre texte) mais non intellectuelle (on ne l’a pas forcément compris, parfois même pas vraiment lu) ? Certains débats pédagogiques
déplorent ces pratiques chez les étudiants, mais ils ne sont pas les
seuls à les adopter.
L’écriture et la lecture deviennent des productions machiniques, des
manipulations sans compréhension ni appropriation. Grâce ou à
cause du copier-coller, nous lisons comme des machines, sans comprendre ce que nous faisons. Évidemment, le calcul, le numérique,
n’a pas inauguré ces pratiques : on a depuis longtemps recopié sans
comprendre. Cependant, le calcul et son instrumentation instaurent
comme régime de base ce qui restait une aberration jusqu’alors.
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Algorithme
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Faut-il n’y voir qu’une perte de sens ? Sans doute non. Car on gagne
des moyens inédits de gérer les inscriptions, dans leur production
ou interprétation. Comme souvent dans les révolutions techno-cognitives, nous devenons les instruments de nos inventions plutôt que
l’inverse. Nous lisons comme des machines au lieu de lire avec des
machines. Or les machines démultiplient nos perspectives de lecture :
les humanités numériques par exemple envisagent des corpus qui
auraient été inaccessibles naguère par leur taille et leur complexité,
mais que le calcul et l’instrumentation numérique permettent de maîtriser et de travailler. Les mémoires que nous constituons à partir de
nos archives et de nos documentations présentent des masses d’informations que seule la médiation calculée permet d’appréhender.
Mais il faut réapprendre à lire : non pas lire l’inscription directe d’un
événement ou d’un discours, mais ce qu’une machine a produit comme
enregistrement, transformation, sélection. De même que la révolution
scientifique du xixe siècle a consisté en partie à savoir interpréter les
images de ce que l’on ne pouvait voir (infra-rouge, infiniment petit,
infiniment grand) – où ce que l’on montre n’existe pas mais s’appuie
sur ce qui pourrait exister conformément à nos théories et instruments – la révolution computationnelle doit nous apprendre à lire
ce qui n’a été écrit directement par personne mais qui néanmoins
renvoie à l’humain. C’est une nouvelle herméneutique qui s’annonce,
une chance pour la pensée, une promesse pour la diversité culturelle.
Une chance pour la pensée, car il ne s’agit pas moins que d’une révolution épistémologique. Le monde du web par exemple donne accès à
des données massives et hétérogènes dont l’examen permet de découvrir des ordres de phénomènes qui étaient encore ignorés et insoupçonnés naguère. De même que nos capacités d’enregistrement et de
traitement ont permis d’élaborer une linguistique de l’oralité et des
discours, bravant ainsi l’interdit saussurien, les algorithmes à venir
nous permettront d’analyser et donc de comprendre les enregistrements issus des activités humaines.
Mais c’est aussi une promesse pour la diversité culturelle. La réalité
numérique devenant progressivement un milieu technique pour la
plupart de nos activités sociales, notamment sur toute la surface
de notre planète, l’enjeu n’est pas tant que les diversités sociales et
culturelles s’abîment dans une unité numérique techno-scientiste,
tout le monde utilisant les mêmes outils pour être finalement réduits et
expliqués par les mêmes principes numériques, mais bien de pouvoir
retrouver dans ce milieu numérique un nouvel espace où s’affichent
et se composent des réalités différentes. Mais c’est un enjeu et une
chance, pas une certitude ni un déterminisme. La concentration des
acteurs du numérique, l’imposition des modes de penser découlant
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des mêmes algorithmes utilisés partout constituent des menaces à ne
pas sous-estimer. C’est la raison pour laquelle il est plus que jamais
important que ce milieu technique numérique devienne un champ
politique pour penser et construire notre nouvelle cité.
Termes liés : langues, computation, auteur, public/usagers,
littératie
Références
Bruno Bachimont, Le Sens de la technique, le numérique et le calcul, Les Belles
Lettres, 2010.
Lorraine Daston, Peter Galison, Objectivité, Les Presses du Réel, 2012.
Francis Jutand (éd..), La Métamorphose numérique. Vers une société de la
connaissance et de la coopération, Alternatives, 2013.
« Politique des algorithmes : les métriques du web », Réseaux. Communication,
technologie, société, février-avril 2013, vol. 31, no 177.
Pierre Wagner, La Machine en logique, Paris, Presses universitaires de France, 1998.
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Archives
Emmanuelle Chevry Pébayle
L’association du numérique, symbole de la technologie contemporaine,
avec les archives, domaine tourné par excellence vers le passé, n’étonne
plus depuis longtemps. Que donne la rencontre de ces deux mondes ?
Quelles conséquences la numérisation des archives induit-elle sur la
protection et la promotion de la diversité culturelle ?
Les archives en ligne favorisent la construction
de l’identité culturelle
Les archives en ligne constituent une réelle opportunité pour la diversité culturelle grâce au moins à trois caractéristiques permises
par le numérique : la sauvegarde de notre mémoire, l’accessibilité du
patrimoine et une meilleure exploitation des archives.
Les archives numérisées, un instrument de mémoire
Face à la dégradation des archives liée au temps ou imputable aux
hommes, le numérique constitue un moyen de les sauvegarder, à la
condition que la chaîne matérielle et logicielle soit maintenue. Il permet la duplication des documents à grande vitesse, presque instantanément sur le même support ou sur un autre, électronique, de façon
fidèle et à l’infini. On obtient de cette manière un véritable fac-similé du contenu. Toutes les copies sont rigoureusement semblables, à
l’octet près. Là réside une des supériorités du numérique sur l’analogique : la recopie illimitée sans perte d’informations. Les données
numérisées constituent alors un support de sauvegarde au cas où une
dégradation ou une destruction surviendrait.
En France, la conservation des archives est organisée dans l’intérêt
public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des
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droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées,
que pour la documentation historique de la recherche, selon l’article L. 211-2 du Code du patrimoine.
Cette conservation comprend trois intérêts principaux. Tout d’abord,
les archives ont un intérêt administratif : elles favorisant le fonctionnement d’une administration par la mémoire de son activité. Ensuite
les archives présentent un intérêt juridique en permettant la justification des droits des personnes. Le document contient des éléments de
validation qui lui donnent sa force probante, tels qu’une date, la signature de l’autorité qui délivre l’acte, etc. Enfin, les archives possèdent
une importance historique en donnant accès à l’histoire et aux problèmes socio-économiques d’un territoire pendant une période donnée.
En France, plus de 300 millions de pages et plus de 6 millions de documents iconographiques ont déjà été numérisés par le réseau des
archives nationales et territoriales avec pour objectif, entre autres,
la conservation des documents (Congrès international des archives,
20-24 août 2012, Brisbane).
Diffuser et promouvoir
Le numérique permet la transmission à des milliers de kilomètres
en quelques secondes via l’internet, à une très grande échelle de
diffusion. La publication en ligne des archives permet de prendre
connaissance de l’histoire d’un territoire et de sa population à diverses périodes. Par exemple, les registres paroissiaux et d’état civil, le recensement de la population et les matricules militaires font
l’objet d’une forte demande sociale. Mine de renseignements pour les
généalogistes, source essentielle pour reconstituer l’histoire familiale
de chaque citoyen, ces registres sont numérisés en masse depuis plusieurs années, dans le double objectif de les préserver d’une dégradation inéluctable et de favoriser l’accès à leur contenu. En effet, la
généalogie représente l’une des finalités principales des recherches
effectuées dans les archives départementales et communales (56 %)
ainsi qu’aux Archives nationales (un tiers des lecteurs).
De plus, les archives départementales ou municipales conservent des
fonds en rapport avec une zone géographique précise. La numérisation de ces fonds peut présenter un intérêt de promotion pour les
institutions comme pour les habitants. Ces archives numérisées et
publiées en ligne, liées à un endroit donné, permettent à ses habitants
de constituer une culture commune et de créer un sentiment d’appartenance. C’est le cas, parmi de très nombreux exemples, des archives
départementales du Finistère qui présentent sur leur site web des
collections iconographiques illustrant les modes de vie du département à travers les siècles. « Elles permettent d’appréhender différents
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Archives
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aspects de la vie familiale quotidienne comme les intérieurs bretons,
les repas, les loisirs mais aussi les pratiques religieuses (pardons,
noces). Elles attestent également de l’identité culturelle du Finistère
au travers de la musique et des danses bretonnes, des costumes, du
cidre, des festivals… » (http://www.archives-finistere.fr).
En somme, cette mise à disposition de la mémoire des différentes
cultures a deux intérêts majeurs. Premièrement, elle favorise la
connaissance des cultures. Au sens anthropologique, les cultures désignent des ensembles partageant un certain nombre de valeurs et
de pratiques identitaires communes, hiérarchisées entre elles jusqu’à
former un système cohérent. Deuxièmement, la connaissance des
cultures à travers les générations permet de maintenir ce qu’on appelle une civilisation, c’est-à-dire « un ensemble de connaissances ordonnées et partagées par un peuple ou ses représentants » (Salaün,
2011). Les archives, comme les bibliothèques, sont les gardiens de
cette mémoire, véritable ciment des civilisations.
Une meilleure exploitation des archives
Le numérique permet de rassembler, de traiter puis de recouper les
informations et de reconstituer de nouvelles connaissances sur le
patrimoine archivistique éparpillé géographiquement, ou au travers
de la multiplicité des objets qui le constituent. Le portail européen
des archives, en rassemblant des documents d’archives créés tout au
long des évolutions historiques et politiques, favorise la comparaison
entre les évolutions nationales et régionales ainsi que la compréhension de leur spécificité, tout en les plaçant du point de vue européen.
De la même manière, certains pays privés de leur culture parce que
l’histoire coloniale et les migrations au cours des deux derniers
siècles l’ont fragmentée ou éclatée, ont la possibilité de rassembler
les informations éparses grâce au numérique.
De plus, avec le développement du web collaboratif, certains centres
d’archives convient les internautes à s’investir dans la construction de
la connaissance des archives. La participation de ces amateurs passe
par l’identification d’images ou par l’indexation collaborative sur les
sites institutionnels des archives. Ainsi vingt services d’archives français ont mis en place, sur leurs sites web, des services participatifs
tels que l’identification d’images ou l’indexation collaborative de documents nominatifs (état civil, registres de matricules militaires, recensements de la population…). Cet investissement des usagers des
archives, appelé « archives participatives » ou crowdsourcing, constitue une véritable co-construction patrimoniale, grâce au numérique,
entre les professionnels des archives et le public de lecteurs.
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Enfin, le numérique peut favoriser la coopération dans le domaine
culturel entre archives, bibliothèques et musées. Par exemple sont
regroupés virtuellement, dans Europeana, des fonds provenant de
bibliothèques, d’archives et de musées européens. On y trouve, entre
autres, 400 000 documents exceptionnels sur l’histoire de la Première
Guerre mondiale provenant de différents établissements culturels et
de différents pays.
Des limites à la protection et à la promotion
de la diversité culturelle
Le numérique appliqué aux archives présente au moins deux limites
à la protection et à la promotion de la diversité culturelle : la numérisation a des conséquences sur les caractéristiques des archives ; l’absence de moyens financiers peut constituer un frein à la sauvegarde
et à la diffusion des archives en ligne.
Changements des caractéristiques des archives
La numérisation modifie les caractéristiques de l’information qu’elle représente. Les documents numérisés perdent les particularités de l’original, ce qui en modifie l’usage. Les changements apparaissent sous
plusieurs aspects. La numérisation des archives aboutit à une copie du
document par la perte du code et par la perte de son contexte. L’original
n’existe plus et, enfin, le numérique induit un autre type de lecture.
Perte de l’original et extrapolation
L’archive numérique transporte une représentation de l’archive et non
l’archive elle-même. Dans « re-présentation » (réécriture, « reformater »), il
y a la notion de re-construction et de relecture. Par exemple une représentation sur un site web du Journal de chasse de Louis XVI est une
reconstitution. En effet, la numérisation du document ne reproduira jamais le document mais seulement une représentation c’est-à-dire une reconstruction avec d’autres critères. Il s’agit alors d’une image dénaturée.
L’information n’est pas directement accessible, un code est utilisé pour
la véhiculer et nécessite du matériel pour la rendre accessible ; dès lors,
tout ce qui sera lisible par l’homme ne sera qu’une copie et non l’original.
Appauvrissement des sens
L’avènement du numérique constitue la fin du rapport physique avec les
archives. L’expérience esthétique se rétrécit à un contact homme-machine,
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Archives
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qui entraîne une désincarnation de la rencontre avec les documents. Enfin
l’archive numérique aboutit à un appauvrissement de l’environnement
sensoriel. On accède à toujours plus d’informations, mais en utilisant un
éventail limité de perceptions. Le document numérique perd certaines
informations car il fait appel dans sa manipulation à un nombre limité de
sens. Lorsque l’on manipule un document d’archive, nous percevons des
informations d’après l’aspect jauni du papier, la date approximative du
document, son odeur éventuelle, le bruit que font les pages lorsqu’elles
tournent et le toucher du grain du papier. L’archive numérique perd les
informations perçues par les sens de l’ouïe, du toucher et de l’odorat.
Instabilité
Le numérique porte en gestation un autre monde de pensée que celui
que nous connaissons aujourd’hui. L’extériorisation de la pensée peut
diminuer ou supprimer la capacité de penser au profit d’une capacité
à acquérir de l’information.
L’abondance d’informations empêche la capacité de créer et de s’arrêter pour forger sa propre pensée. Le numérique nous fait passer d’une
logique d’acquisition à une logique d’accumulation. Or l’accumulation n’est pas la pensée. Le savoir se construit selon chaque individu.
C’est un travail intérieur qui se met en place avec le temps. En ce sens
l’internet peut faire illusion ; il ne donne pas accès au savoir, il ne
délivre aucune connaissance, il fournit une masse d’informations que
l’internaute doit trier et structurer pour se l’approprier.
L’absence de moyens financiers, véritable
handicap à la sauvegarde et la promotion
des archives
L’accès en ligne aux archives nécessite la disponibilité de réseaux. Or
ces réseaux demeurent inégalement répartis sur la surface de la planète, en raison de la disparité des infrastructures et des limitations
apportées à l’accès pour des raisons économiques. Ainsi un fossé se
creuse entre les nations qui utilisent les technologies de l’information
et de la communication pour sauvegarder, diffuser et exploiter leurs
archives et celles qui ne peuvent y accéder faute de moyens.
Selon l’UNESCO, 80 % du stock mondial d’images et de sons (hors
cinéma), estimé à 200 millions d’heures, est en réel danger. Seuls
les pays les plus avancés parviendront à sauver quelques pans de
leur mémoire-images. En l’absence de moyens, l’Amérique du Sud,
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l’Afrique, le Proche– et le Moyen-Orient comme le Sud-Est asiatique
ne seront pas en mesure de mobiliser les ressources nécessaires à
la sauvegarde de leur patrimoine. Le manque de moyens financiers
peut d’ailleurs conduire tout simplement à l’absence de structures de
conservation et de restauration pour les archives, et à un manque de
gestionnaires d’archives ou d’archivistes formés.
Comme le rappelle Jean-Michel Salaün, les civilisations sont mortelles,
et une des façons de les faire disparaître est d’effacer leurs empreintes
conservées dans les bibliothèques, les centres d’archives et les musées.
Au xxie siècle, disposer d’archives numérisées en ligne constitue un enjeu
majeur pour transmettre aux générations futures les pans de leur histoire, et aux êtres humains ou aux entreprises des preuves de leurs activités. Cette sauvegarde numérique constitue une assurance nécessaire à
la construction de l’identité des hommes et au maintien des civilisations.
Termes liés : bibliothèque, patrimoine
Références
Marie-Anne Chabin, Archiver et après ?, Paris, Djakarta, 2007.
Marie-Anne Chabin, « L’opposition millénaire archives/bibliothèques a-t-elle toujours
un sens à l’ère du numérique ? », Bulletin des bibliothèques de France,
no 5, 2012 ; lire en ligne http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-05-0026006, dernière consultation le 1er juin 2014.
Code du patrimoine, article L. 211-1, article L. 211-2.
Nicolas Delpierre, Françoise Hiraux et Françoise Mirguet (éds), Les Chantiers du
numérique : dématérialisation des archives et métiers de l’archiviste,
Actes des 11es Journées des archives, Louvain-la-Neuve, 24 et 25 mars
2011, organisées par le service des archives de l’Université catholique de
Louvain, Louvain-la-Neuve, Academia-L’Harmattan, 2012.
Emmanuel Hoog, L’INA, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? »,
2006.
Pauline Moirez, « Archives participatives », in Bibliothèques 2.0 à l’heure des médias
sociaux, Muriel Amar et Véronique Mesguich (dir), Éditions du Cercle de
la librairie, 2012, pp. 187-197.
Jean-Michel Salaün, « L’incommensurable économie des bibliothèques », version
française non révisée à paraître, in Handbook on the Economics of
Cultural Heritage, Ilde Rizzo et Anna Mignosa (éd..), Londres, Elgar
Publishing, 2011.
Développement culturel, no 137, octobre 2001.
Développement culturel, no 151, janvier 2006.
http://www.archives-finistere.fr, dernière consultation le 1er juin 2014.
http://archivesportaleurope.net/, dernière consultation le 1er juin 2014.
L’auteur tient à remercier Mme Alice Motte, conservatrice du patrimoine, de son aimable relecture.
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Art et Science
Jean-Paul Fourmentraux
Qu’est-ce que « créer » dans un contexte interdisciplinaire hybridant
arts, sciences et technologies numériques ? Depuis une dizaine d’années, le numérique bouscule les frontières entre des domaines de
l’activité artistique qui étaient jusque-là relativement cloisonnés :
arts plastiques, littérature, spectacle vivant, musique et audiovisuel.
Nombre de projets artistiques en lien avec les technologies informatiques et multimédias mettent en œuvre des partenariats pluridisciplinaires où cohabitent le théâtre, la danse, le cinéma ou la vidéo et le son.
La création artistique et la recherche technologique, qui constituaient
autrefois des domaines nettement séparés et quasi imperméables,
sont aujourd’hui à ce point intriquées que toute innovation au sein
de l’un intéresse, et infléchit, le développement de l’autre. Les œuvres
hybrides qui résultent de leur interpénétration rendent irréversible
le morcellement des anciennes frontières opposant art et science. La
manière inédite dont celles-ci se recomposent amène à s’interroger,
d’une part, sur l’articulation qui, désormais, permet à la recherche
et à la création d’interagir, et, d’autre part, sur la redéfinition des figures de l’artiste ainsi que sur les modes de valorisation des œuvres
spécifiques à ce contexte. Car plus que de transformer seulement les
modalités du travail de création, un enjeu tout aussi important de
ces partenariats réside dans la nécessaire redéfinition de la (ou des)
finalité(s) de ce qui y est produit. La question cruciale devenant alors
celle de la clôture de l’œuvre et de ses mises en valeur entre logiques
artistiques (qualité esthétique, projet d’exposition) et technologiques
(recherche et développement, transfert industriel).
Ce rapprochement des arts et de la recherche dans le domaine des technologies numériques interactives et de l’audiovisuel multimédia constitue aujourd’hui un enjeu dynamique d’innovation internationale. Depuis
une dizaine d’années, de nombreux pays mettent en œuvre des interfaces
originales pour favoriser ce rapprochement et en faire le moteur d’une
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
double innovation technologique et culturelle. Les cas de double réussite
restent bien sûr encore rares, mais il en existe : qualité des productions
artistiques et de leur rayonnement dans le milieu des arts, doublé d’une
mise sur le marché efficace et rentable d’applications ou de procédés technologiques directement issus de la recherche artistique ou de la production d’œuvres culturelles. La France s’est par exemple dotée en 2001 de
deux dispositifs de soutien institutionnel, l’un à la création audiovisuelle
multimédia (DICREAM) et l’autre à l’innovation audiovisuelle multimédia
(RIAM), qui constituent de nouveaux points d’appui pour un croisement
productif des objectifs et des attentes artistiques et industrielles. De
nouvelles institutions, entre art et science, voient également le jour pour
mieux accompagner cette transformation des pratiques de recherche
et de création : Art Science Factory (Paris Saclay), Programme doctoral
SACRe (PSL et Ensad Paris), Ircam (Paris), Iméra (Marseille), Pictanovo,
Imaginarium et Le Fresnoy (Tourcoing), CEA Minatec et Scène nationale
de Meylan (Grenoble), Alliance Artem (Nancy) et Hexagram (Montréal).
L’exigence de « valeurs croisées »
Dans ce contexte, la production de « valeurs croisées » ne présuppose
pas une synergie de l’art et de la science ou de la recherche technologique. Au contraire, évitant les écueils de la fusion ou de l’instrumentalisation, il s’agit d’organiser la relation dans le sens d’un apprentissage réciproque et d’une production multicentrique.
L’examen de ces croisements de l’innovation artistique et technologique met désormais en jeu une conception coordonnée, un développement agrégé et une valorisation fragmentaire de la production :
•le travail de conception doit y être coordonné dans la mesure où il
met en relation les savoirs et les savoir-faire hybrides de collectifs
hétérogènes : artistes, chercheurs, entrepreneurs ;
•la phase de développement doit agréger ces traductions de buts et
d’intérêts en un programme de création homogène visant à garantir
l’irréversibilité des résultats ;
•mais la valorisation suppose in fine de fragmenter ces résultats pour
les redistribuer entre les collectifs et les mondes hétérogènes dans
lesquels ils pourront circuler.
Autrement dit, chacun des partenaires – détenteurs de savoirs et
de compétences hétérogènes, inscrits dans une culture ou un corps
professionnel qui a ses propres valeurs, mais aussi ses instances de
désignation et de légitimation spécifiques de ce que sont le travail,
l’œuvre, l’action – y est invité à renouveler le cadre et les modalités
de la relation et de l’échange.
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Art et Science
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Une recherche-création partagée
La rencontre entre art et science suppose en effet la définition préalable des finalités d’une recherche-création commune. Cette rencontre
ne doit pas être imposée par l’amont hiérarchique mais co-construite
avec les différents acteurs parties prenantes du processus – artistes,
chercheurs, entrepreneurs – dans un dialogue favorisé et constant.
En résumé, la recherche-création introduit deux critères désormais
essentiels :
•le travail en équipes interdisciplinaires ;
•l’impératif d’un programme de recherche transversal à plusieurs
œuvres ou projets artistiques.
Il s’agit alors de favoriser une certaine « modularité » de la production, en même temps que des formes alternatives de distribution des
activités de création et de leurs résultats.
Trois types de projets phares peuvent être distingués :
•les « créations artistiques », qui mènent vers la réalisation d’une
œuvre, d’un dispositif ou d’une installation artistique ;
•les « découvertes technologiques », qui impliquent le développement
de logiciels ou d’outils novateurs ;
•les « contributions théoriques », qui poursuivent une perspective
analytique et critique d’accumulation de connaissances.
Ce morcellement du travail créatif engendre donc des modes pluriels
de désignation de ce qui fait l’« œuvre commune ». Dans ce contexte,
la création ne repose plus sur un schéma hiérarchique qui ferait
intervenir une distribution réglée des apports en conception et en
sous-traitance, selon des échelles de valeur et de rétribution enrôlant une longue chaîne de travailleurs, au service, à chaque fois, d’un
créateur singulier. Le travail de création se voit au contraire distribué sur différentes scènes et entre plusieurs acteurs, pour lesquels il
est possible de préciser des enjeux de recherche distinctifs, suivant
des expertises et des agendas variés. L’enjeu vise ainsi un dépassement du conflit culturel caractéristique des modèles antérieurs de
convergences « arts, sciences, technologies » entre des acteurs (informaticiens, managers, artistes, industriels) dont les qualifications, les
compétences et les finalités étaient a priori conçues comme opposées.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Termes liés : co-construction, économie des œuvres sous
format numérique, innovation, jeu, littératie numérique, Net
Art, œuvre, propriété intellectuelle, remix, transmédiation
Références
Jehanne Dautrey (éd..), La Recherche en art(s), Paris, Éditions MF, 2010.
Marie-Christine Bordeaux (dir.), « Entre arts et sciences », Culture et Musées, no 19,
Actes Sud, 2012.
Jean-Paul Fourmentraux, Art et Internet, Paris, Éditions du CNRS, 2010.
Jean-Paul Fourmentraux, Artistes de laboratoire, Paris, Hermann, 2011.
Jean-Paul Fourmentraux (dir.) Art et Science, Paris, Éditions du CNRS, « Les Essentiels
d’Hermès », 2012.
Jean-Marc Lévy-Leblond, La science n’est pas l’art, Paris, Hermann, 2010.
Pierre-Michel Menger, Les Laboratoires de la création musicale, Paris, La
Documentation française, 1989.
Jean-Claude Risset, Art, Science, Technologie, Paris, rapport de mission MENRT, 1998.
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Augmentation
Bernard Claverie
Le terme « augmentation » désigne, lorsqu’il se réfère à l’homme ou à
l’humain, un ensemble de méthodes et de moyens technologiques dont le
but est de permettre à l’individu « augmenté » de dépasser plus ou moins
durablement ses capacités naturelles ou habituelles. L’augmentation
peut concerner le corps ou l’esprit et les moyens de relation de l’individu concerné à son environnement, notamment technologique.
Le terme correspond à l’anglais Human Enhancement (amélioration
ou augmentation humaine). Le concept de l’« homme augmenté » est
apparu dans la littérature scientifique francophone au tournant du
siècle, soit sous cette forme explicite, soit par des métaphores telles
que Homo sapiens 2.0, posthumain, techno-hybride…
On doit ici différencier la notion d’« homme augmenté », se rapportant à
l’individu, et celle d’« humain augmenté », pour la généralité de l’espèce.
Dans le premier cas, il s’agit d’augmenter les capacités ou les aptitudes physiques, cognitives ou communicationnelles d’un individu impliqué dans une situation qui dépasse ses propres limites. Celles-ci
peuvent être dues soit à un handicap ou à une diminution temporaire ou chronique de certaines aptitudes ou compétences, soit à une
trop grande complexité de l’environnement et des tâches à accomplir.
Cette conception de l’augmentation humaine est globalement celle
des spécialistes des technologies de l’information dans les pays francophones. La technique y est perçue comme un moyen d’augmentation et d’amélioration des performances, de la sécurité ou de la fiabilité des comportements.
Dans le second cas, la démarche a pour ambition une évolution,
ou le perfectionnement, non plus d’individus spécifiques, mais de
la lignée, par le traitement systématique du plus grand nombre de
ses membres, ou par une modification durable et transmissible de
ses caractéristiques génétiques. Une telle conception est largement
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
répandue dans les pays anglophones où le « transhumanisme »
envisage ainsi l’augmentation des individus par l’évolution, grâce
aux technologies, de l’espèce humaine.
Les HET, Human Enhancement Technologies (technologies de l’augmentation de l’humain) regroupent au moins deux dimensions. La
première est d’ordre chimique, la seconde est numérique. On voit
de plus en plus se développer des technologies duales qui, grâce au
numérique, permettent de moduler des sécrétions et des régulations
biochimiques naturelles sous contrôle artificiel.
L’augmentation chimique consiste à augmenter l’homme par l’intérieur.
Les substances agissent sur les organes moteurs ou sensoriels, ou directement sur certains réseaux neuronaux spécialisés. Elles peuvent
favoriser et modifier les perceptions, agir sur l’attention par la diminution du traitement des informations périphériques (effet de tunnellisation) et par l’augmentation des ressources allouées à une tâche principale (focalisation). D’autres modifient les besoins et règlent les phases
de vigilance en fonction de périodes déterminées (hyposomnie, désynchronisation nycthémérale), etc. D’autres encore peuvent valoriser des
processus cognitifs spécifiques (attention sélective ou partagée, calcul,
réflexion, mémoire…). Ces substances nootropes (noos, esprit ; tropos,
courber) ont vocation à agir sur le rapport cerveau-pensée en modulant
la physiologie pour une correction cognitive. Le recours à ces produits
se rencontre, au-delà des domaines connus (sportif, militaire), dans des
usages plus ou moins contrôlés, notamment dans le monde professionnel et universitaire, comme dans des pratiques artistiques originales.
Il correspond à des augmentations qui peuvent être individuelles ou se
pratiquer en petits groupes.
Au-delà de la simple incorporation orale ou par injection, deux voies
sont aujourd’hui ouvertes : l’introduction de machines télécommandées permettant la délivrance in situ de produits actifs, et l’apposition, voire l’insertion de matériel électronique de stimulation (électrodes) sur ou dans des organes, des structures spécialisés dans la production des substances actives. La chirurgie réparatrice techno-fonctionnelle tend à se développer, elle se trouve à la base d’une nouvelle
biologie numérique améliorative, pour l’instant limitée au domaine
du soin, mais potentiellement applicable à des sujets en situation critique ou dans des contextes particuliers (de travail, d’éloignement ou
d’isolement, de surveillance pénitentiaire, de plaisir…).
L’augmentation technologique peut également se réaliser par
l’extérieur. Ici, il s’agit de doter l’homme, devenu utilisateur,
de matériels électroniques ou informatiques qu’il porte comme
accessoires d’augmentation. Deux grandes voies sont aujourd’hui
étudiées. La première consiste à développer des systèmes embarqués
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Augmentation
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soit directement insérés en périphérie sensorielle (implant cochléaire,
rétine artificielle…) ou motrice (main robotisée, cobots…), directement
branchés sur le système nerveux ; soit supportés à proximité de
ces systèmes afférents ou efférents (lunettes de réalité visuelle,
visières de vue augmentée pour le pilotage d’avion, pare-brise
holographiques de voiture ou de train, casques antibruit, dispositifs
de commande haptique…). La seconde voie consiste à enrichir non
plus le sujet mais son environnement par la diffusion de dispositifs
d’aide ou de communication numériques. Ce principe est appelé
« pervasion » et correspond à une nouvelle révolution du numérique
avec la dissémination de capteurs, d’actionneurs et de marqueurs
électroniques dans l’ensemble des lieux, des matériels et des objets du
quotidien : régulation de lumière, émission de sons concurrents aux
bruits parasites, détection de présence, reconnaissance de personnes,
contrôle d’accès, puces RFID (Radio Frequency Identification).
Ces technologies numériques embarquées représentent un domaine
d’augmentation en « en plus ». Les éléments favorisant ce type d’augmentation se retrouvent dans la diminution continuelle des coûts, la miniaturisation (capteurs intelligents, processeurs et mémoires), et la pervasion de l’information toujours radio-accessible et connectée de manière
massive et performante à des bases de données de plus en plus complètes et rapides d’accès (internet des objets, calcul intensif, géopositionnement…).
Si les systèmes embarqués externes (supportés) posent notamment
des problèmes en termes de résistance culturelle d’usage, de formation des utilisateurs ou d’environnement technologique adapté, les
systèmes numériques implantés sont confrontés à des problèmes
physiques d’immunité, de psychopathologie de l’effraction corporelle,
d’obsolescence technologique et de maîtrise de l’énergie. Chacune de
ces dimensions revêt un aspect éthique qu’il convient d’examiner sérieusement. En effet, le développement culturel, les obligations industrielles et de l’accès au travail, comme les contraintes de sécurité
contraignent souvent les individus à l’usage de tels dispositifs numériques d’augmentation.
Chacune des méthodes et des techniques doit être examinée en fonction de deux dimensions : son accessibilité, sa contrainte d’usage. La
dimension d’accessibilité est évidemment contingente des moyens
technologiques et de leur diffusion. Si les prix des technologies
d’usage individuel sont en décroissance, on peut toutefois se demander si des produits manufacturés de la haute qualité nécessaire à un
usage sécurisé seront accessibles au plus grand nombre, ou si l’on
n’est pas à la veille d’une nouvelle ségrégation entre « hommes augmentés » (qui peuvent financièrement l’être) et « hommes naturels »
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
(contraints économiquement ou politiquement de le rester). Quant à
la contrainte d’usage, on peut s’inquiéter d’une dérive sociale imposant des utilisations d’augmentation (pour la sécurité et le contrôle
des individus, pour l’accès au travail, pour celui à l’information et à
la culture…) à des personnes non volontaires, ou trop faibles pour en
prendre la décision (marquage de personnes âgées, d’enfants, de prisonniers, de malades, d’usagers non informés…). Enfin, la question de
l’obsolescence des produits manufacturés et des méthodes dans un
monde numérique en perpétuelle évolution est posée comme l’une des
grandes limites du projet d’augmentation technologique.
Un débat oppose aujourd’hui une culture améliorative globale, porteuse
d’une perspective « transhumaniste », avec même des développements
potentiels « posthumanistes » et une culture de l’efficacité instrumentale par le « numérique surajouté » à l’homme naturel. Il fonde deux définitions de la notion d’« hybridité numérique ». Dans le premier cas,
l’hybride est l’homme augmenté pour l’évolution de l’humanité ; dans
le second cas, il est un « usager augmenté », dans une perspective souvent marchande, parfois de santé, et pour une performance améliorée.
Ces deux dimensions appellent néanmoins à la plus grande vigilance
et nécessitent une réelle prise de conscience face à deux mouvements
puissants dont une des conséquences confine à l’unification culturelle
par le numérique et les technologies qui y sont associées, et une autre
à une obligation potentielle d’augmentation numérique dont les conditions d’accès, de maintenance, d’éthique et de liberté individuelle sont
aujourd’hui, nous semble-t-il, loin d’avoir été sérieusement pensées.
Termes liés : connexion, fracture numérique, innovation,
éthique, public/usagers, vie privée/données personnelles
Références
Monique Atlan, Roger-Pol Droit, Humain. Une enquête philosophique sur ces
révolutions qui changent nos vies, Paris, Flammarion, coll. « Essais », 2012.
Bernard Claverie, L’Homme augmenté, Paris, L’Harmattan, coll. « Éducation et
cognition », 2010.
Geneviève Férone, Jean-Didier Vincent, Bienvenue en Transhumanie. Sur l’homme de
demain, Paris, Grasset, coll. « Documents français », 2011.
Steve Fuller, Humanity 2.0 : What it Means to be Human, Past, Present and Future,
Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2011.
Édouard Kleinpeter (éd..), L’Humain augmenté, Paris, Éditions du CNRS, coll. « Les
essentiels d’Hermès », 2013.
Rey Kurzweil, The Singularity is Near : When Humans Transcend Biology, New York,
Viking Penguin, 2005.
Franck Renucci, Benoît Le Blanc et Samuel Lepastier, « L’Autre n’est pas une donnée.
Altérités, corps et artefacts », Hermès, Paris, Éditions du CNRS, n° 68, 2014.
Julian Savulescu, Nick Bostrom (éds.), Human Enhancement, Oxford University Press,
2011.
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Auteur
Cécile Méadel
Un sondage récent soutien qu’un tiers des Français souhaiterait
écrire un roman, une proportion qui dépasse très largement celle des
lecteurs assidus. S’agit-il là d’une bizarrerie française des compatriotes de Victor Hugo, toujours fascinés par la figure de l’écrivain, de
l’intellectuel ? Le développement du web montre hautement que tel
n’est pas le cas : la volonté d’écrire, le goût de l’expression écrite sont
largement répandus parmi les internautes, et donc dans une proportion croissante de la population. Contre toutes les prédictions pessimistes des sentinelles de la culture, on lit plus de textes et on en écrit
aussi davantage aujourd’hui qu’on ne l’a jamais fait ; la production
scripturaire est présente sur tous les sites et dans toutes les applications du web, dans l’interaction et les échanges numériques. Partout
on commente, on argumente, on décrit, on converse.
Cette « fureur d’écrire », pendant de la « fureur de lire » du xviiie siècle,
produit-elle pour autant des auteurs ? La fonction d’auteur est ancienne ; elle apparaît au xvie siècle, quand la mention du nom du rédacteur est ajoutée à celle de l’éditeur, seul jusque-là sur les publications ; c’est l’amorce de la professionnalisation des métiers de plume.
Progressivement, la coupure entre l’auteur publié et celui qui écrit
pour lui-même, pour ses proches, voire pour le cercle élargi de ses
correspondants, s’accentue. Les auteurs sont protégés. En France, la
loi Le Chapelier du 19 janvier 1791 affirme que le livre, « fruit de la
pensée d’un écrivain », constitue « la plus sacrée, la plus personnelle
de toutes les propriétés ». Ce texte est complété le 19 juillet 1793 par
la loi Lakanal concernant le droit de reproduction. Partout la propriété intellectuelle acquiert droit de cité. Les sociétés d’auteurs s’emploient à la faire respecter : la première Société des auteurs et compositeurs dramatiques, créée en 1777 par Beaumarchais, est suivie
de très nombreuses autres. On en compte près de trente en France
aujourd’hui, pour tous les types d’auteurs et de supports. La protection juridique n’est pas limitée : dès 1866, la Convention de Berne lui
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
donne une assise internationale. L’auteur est dès lors défini par ce
statut juridique. À la différence des métiers ordinaires, la professionnalisation ne tient pas en effet à la rémunération : l’immense majorité
des auteurs publiés ne peut vivre de ses écrits, même si les ressources
se sont diversifiées et que s’ajoutent aux droits d’auteur des subventions, rémunération pour interventions pédagogiques ou culturelles,
financement de résidences d’artiste, activités d’écriture accessoires…
Mais est-on auteur dès que l’on écrit, et quoi que l’on écrive ?
Traditionnellement, le terme est réservé à l’écrivain dont les livres
sont publiés, voire à sa forme la plus noble, le romancier, le littérateur.
Pourtant, il existe plus d’un modèle de publication qui nécessite un
« auteur » : de la bande dessinée à l’ouvrage de nutrition, de l’essai journalistique au cahier de soutien pédagogique, du livre jouet pour bébé
au pop-up. La diversité est si large qu’il n’existe aucune statistique
précise sur le nombre d’auteurs, même en se limitant à ceux qui ont été
un jour publiés. En France, par exemple, plus de 70 000 ouvrages sont
édités chaque année, dont 90 % de nouvelles éditions, et plus de dix fois
plus de titres différents sont vendus - c’est dire si le bassin des «auteurs» publiés est large. Sur l’internet, on retrouve la même diversité,
encore enrichie par des formes spécifiques : commentaires d’articles,
blogs de réflexion, avis sur un film, un livre, échanges épistoliers, participations à des forums… Les modèles éditoriaux sont multiples et les
conditions d’écriture tout autant.
Il devient bien difficile dès lors de circonscrire la notion d’auteur.
D’autant plus que les pratiques numériques viennent brouiller encore
les pistes. L’écrit devient publication collective. Les versions successives d’un texte peuvent ainsi être soumises aux lecteurs, commentées puis amendées par eux. Cela s’inscrit certes dans des pratiques
traditionnelles, à la manière d’un Chateaubriand lisant dans le salon de Mme de Récamier des pages préalables des Mémoires d’outretombe, mais avec un public qui n’est plus nécessairement choisi par
l’auteur et qui est potentiellement élargi. Le texte peut aussi être une
création collective, avec les nouveaux dispositifs collaboratifs qui
permettent une écriture à plusieurs voix. Il peut même être anonyme,
ou quasi anonyme, dans des publications collégiales, telle Wikipédia.
Ainsi l’identité de l’auteur se dissout-elle.
Serait-ce alors le public, le lecteur, qui fait l’auteur ? Avec l’internet,
la coupure traditionnelle entre l’écrivain profane à vocation privée
et l’auteur publié, présent dans l’espace public, est remise en cause :
l’accès au public est beaucoup plus immédiat sur le web ; chacun peut
s’instituer auteur à son gré. Pourtant, si sur le web on écrit pour les
autres, dans la très grande majorité des cas, et sans doute beaucoup
plus souvent encore que sur le papier, on n’est lu par personne, ou
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Auteur
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presque ; une très forte proportion des écrits du web n’ont pas de
lecteur. Pourtant, l’intention y est bien : mettre un contenu en ligne
c’est le rendre, au moins potentiellement, public, et quitter l’espace
fermé du journal intime ou de la correspondance privée. Mais cela
ne se fait jamais directement.
La mise en public dépend en effet d’une série d’intermédiaires, aussi importants dans le monde de l’internet que dans l’univers du papier. En simplifiant, on peut dire que cinq étapes sont nécessaires
pour produire un livre papier : la création par l’auteur ou les auteurs ;
l’édition, qui correspond à la phase de fabrication du livre ; la diffusion, qui vise à faire connaître l’ouvrage ; la distribution – transport
physique via les messageries – ; et, enfin, les libraires, derniers maillons de la chaîne avant les lecteurs. Deux stades au moins peuvent
être facilement désintermédiés avec l’internet. D’une part, le passage
au numérique a modifié la façon de travailler de l’auteur, qui peut
s’adresser directement à son public sans passer par le filtre habituel de l’éditeur. D’autre part, du côté des libraires, apparaissent de
nouveaux distributeurs qui, à l’instar d’Amazon (première librairie
en ligne avec plus de 60 % des ventes de livres papier sur l’internet),
diffusent désormais des ouvrages auto-édités. Cependant cette désintermédiation est un mythe. À côté des intermédiaires traditionnels
tels que libraires, bibliothécaires, enseignants, amateurs, animateurs
culturels… émergent de nouveaux métiers, liés aux nouveaux formats
numériques, mais aussi et surtout à la diffusion des ouvrages, à leur
mise à la disposition du public, à leur reconnaissance, métiers qui
s’emploient à organiser le face-à-face entre l’auteur et son lecteur.
Les internautes sont désormais directement impliqués dans cette
mise en espace public des auteurs et de leurs œuvres. Des lecteurs,
plus ou moins avertis, se saisissent en effet d’un rôle principalement
occupé par des professionnels, des journalistes et des critiques, et, par
leurs avis, leurs articles et leurs listes de préférences, ils deviennent
de nouveaux médiateurs des textes, avec une efficacité avérée. La
frontière entre l’auteur et son lecteur tend à s’effacer ; de nouvelles
plateformes voient le jour ; elles se consacrent, par exemple, à la diffusion de romans écrits par des amateurs, comme cette jeune auteure
japonaise, Mika, écrivant en 2006 un roman à succès, Ciel d’amour,
sur son téléphone portable.
Le numérique a donc largement enrichi le monde des auteurs, fait
tomber des barrières à l’écriture, ouvert de nouvelles capacités de
diffusion et de dialogue entre auteurs et lecteurs. C’est autant de
mieux pour la richesse et la variété des contenus culturels. Pourtant,
cette diversité n’est pas sans présenter un certain nombre de risques.
La centralisation de l’internet, avec des macro-acteurs omnipotents,
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
souvent en situation monopolistique (moteurs de recherche, librairies
en ligne, opérateurs techniques…), pourrait fragiliser la richesse de
ce panorama. En outre, les défenseurs de la propriété intellectuelle,
inquiets devant le piratage des contenus, qui touche pour le moment
assez peu l’écrit, s’arc-boutent sur la défense des droits et tentent
d’obtenir une protection renforcée et prolongée de leurs œuvres.
On pourrait aussi ajouter que la liberté ouvre un risque : celui de diffuser des contenus qui nuisent aux valeurs communes de la démocratie. Signalons d’abord qu’aucune démocratie n’a jamais pu interdire la diffusion des contenus interdits (même avant l’internet, même
pour des interdits aussi fort que la pédopornographie). Et fions-nous
plutôt à nos institutions : la loi, d’un côté, qui n’est pas impuissante
face aux dérives ; l’éducation, de l’autre, qui peut faire entendre,
comprendre, décrypter. Les dangers qu’encourt la démocratie avec
l’extension du domaine de la censure sont trop graves pour qu’on ne
manie pas les interdits et les barrières à la diffusion culturelle avec
les plus grandes précautions.
Termes liés : art et science, édition, Net Art, œuvre, pratique,
propriété intellectuelle
Références
Dominique Cardon, Hélène Delaunay-Téterel, « La production de soi comme technique
relationnelle. Un essai de typologie des blogs par leurs publics », Réseaux,
2006, 4, pp. 15-71.
Roger Chartier, L’Ordre des livres. Lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre
xive et xviiie siècle, Aix-en-Provence, Alinéa, coll. « De la pensée/Domaine
historique », 1992.
Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Dits et écrits, tome I, 1954-1988, Paris,
Gallimard, 1994.
Bernard Lahire, La Condition littéraire. La double vie des écrivains, Paris, La
Découverte, 2006.
Cécile Méadel, Nathalie Sonnac, La Fureur d’écrire. L’auteur au temps du numérique,
Esprit, mai 2012, pp. 102-114 ; L’Auteur au temps du numérique, Paris,
Éditions des archives contemporaines, 2012.
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Bibliothèques
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Bibliothèques
Éric Guichard
La bibliothèque, étymologiquement « dépôt de livres », est attestée depuis fort longtemps : nous connaissons les bibliothèques d’Alexandrie, de Pergame. Toute culture écrite s’est constituée autour des bibliothèques : des lieux où sont entreposés des savoirs. Le statut d’une
bibliothèque varie selon le temps, le lieu, et le projet qui la motive :
la bibliothèque d’Alexandrie contenait près de 500 000 papyrus, mais
avait peu de lecteurs, essentiellement des savants invités par le roi
d’Égypte. Au Moyen Âge, les bibliothèques monastiques européennes
possédaient environ 300 ouvrages, et ce n’est qu’au xviie siècle qu’apparaît l’idée d’une bibliothèque publique (ouverte à tous) et universelle (sans censure ni sélection particulière).
La bibliothèque comme cadre intellectuel
Pour faire le lien avec le numérique, il est utile d’oublier les… livres
pour s’intéresser aux moyens inventés et déployés pour en tirer parti :
les lire, certes, mais aussi les comparer, produire de nouveaux livres à
partir d’anciens, etc. Quand ces livres sont nombreux (plus de 5 000),
il faut en dresser la liste : un catalogue, sans lequel ils seraient vite
inaccessibles, introuvables, voire inimaginables. Ce livre des livres a
des propriétés étonnantes : quand il est conçu par un/e bibliothécaire
visionnaire, son plan (liste alphabétique des auteurs, des titres ou des
mots-clés, liste thématique, etc.) institue celui des savoirs du moment,
qui sont en quelque sorte organisés, stabilisés par ce qui devrait en
être la conséquence. Ce que nous croyons n’être qu’un reflet des savoirs
devient un cadre de pensée qui va structurer les générations futures.
Ainsi, que nous le voulions ou non, nous sommes dépendants de cet
outil a priori élémentaire de description des savoirs, qui s’avère autant intellectuel que culturel : la variété des organisations des biblio-
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thèques nationales, ou des laboratoires, traduit la diversité culturelle
des pays et des disciplines scientifiques.
Le second instrument essentiel à la bibliothèque est fait de chair et de
sang : ses utilisateurs. La bibliothèque constitue un lieu de dialogue,
d’échanges de conseils. Parfois, ce rôle est dévolu à des professionnels de la médiation, salariés ou bénévoles : les bibliothécaires.
L’évolution de la bibliothèque
Aujourd’hui, les bibliothèques sont de plus en plus numériques : on
peut feuilleter des ouvrages à distance, tout en restant chez soi. Les
catalogues sont informatisés : les médiateurs sont remplacés par des
machines et des programmes. Le cas est flagrant en sciences informatiques. La notion même de bibliothèque devient imprécise, puisque
le web tout entier donne l’impression d’en être une : la bibliothèque
n’est plus en un lieu, mais dispersée dans le cyberespace tout entier.
Même la notion de livre s’estompe, au profit de la page web, de l’article, de la liste de discussion archivés ou de la vidéo qui permettra à
un bricoleur de remettre à neuf un vieux fauteuil.
Le poids des instruments
Pourtant, le choix de l’ordre et l’échange entre humains restent déterminants : nous comprenons de plus en plus que les moteurs de
recherche nous offrent des résultats orientés. Ils ne nous en donnent
que 1 000 ou 2 000 quand ils affirment en avoir recensé des centaines
de milliers. Ils privilégient les plus récents, les plus « grand public ».
Ces moteurs ne sont plus universels depuis qu’ils adaptent leurs résultats aux profils qu’ils ont constitués à partir de nos questionnements précédents. Enfin, ces réponses changent au fil des jours : non
seulement en raison des apparitions, des disparitions, des évolutions
des pages web qu’ils aspirent, mais aussi à cause du nombre de questionnements de l’ensemble des internautes sur un sujet donné : les réponses à la requête « grippe aviaire » varient avec les préoccupations
des internautes à ce sujet. Nous découvrons que lorsque le médiateur
devient un intermédiaire qui s’impose et quand son activité est motivée par le profit, notre liberté intellectuelle et donc nos capacités de
discernement s’appauvrissent.
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Bibliothèques
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Les humains
Restent les « autres », ceux qui écrivent et publient les pages web, les
vidéos, ces ouvrages que nous recherchons, que nous voulons consulter. Ce sont aussi eux qui nous conseillent un ouvrage, un document,
par mail, oralement, ou via des blogs. Ce sont enfin eux qui perpétuent
en partie nos pratiques culturelles, par exemple via la langue : une
recette de cuisine est plus facilement partagée par ceux qui peuvent
lire la langue dans laquelle elle est écrite. Mais les « autres » peuvent
aussi être menaçants, tentés par la censure, la surveillance, l’appât
du gain. Ainsi, nous ne pouvons pas d’un côté situer les machines,
séduisantes et dangereuses, et d’un autre attribuer aux humains des
qualités de bienveillance et de goût pour l’érudition. Au travers de la
bibliothèque, c’est toute la question de la technique qui se dévoile.
Le web, menace ou ouverture ?
Les pionniers du web ont très vite compris l’usage que l’on pouvait
tirer de l’internet pour constituer des bibliothèques accessibles à
tous. Par exemple, le projet Gutenberg, connu depuis le début des années 1990, ou le site http://arxiv.org/, qui recense en 2011 plus de
650 000 articles de physique, mathématique, informatique… déposés
afin qu’ils soient évalués par les pairs des auteurs aussi vite que possible. Ici, partage et gratuité riment avec efficacité : la bibliothèque
est alimentée par ses lecteurs et ses auteurs qui en font aussitôt un
outil intellectuel car collectif à la disposition de tous, et souvent en
plusieurs langues. À l’opposé, nous découvrons de nouveaux acteurs
industriels qui parient sur le développement de bibliothèques personnelles installées sur des ordinateurs, des « téléphones intelligents »
(smartphones) ou des tablettes. Dans ce cas, la bibliothèque n’est
plus collective, mais personnelle (et d’ailleurs les nouvelles formes
du droit cherchent à interdire le prêt de livres électroniques à un/e
ami/e). Mais elle ne devient pas pour autant un édifice matériel et intellectuel pérenne : elle est plutôt louée, pour un temps d’autant plus
réduit que les formats informatiques et les instruments de lecture
résistent mal à l’épreuve du temps.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Deux grands types de bibliothèques
Ainsi, à l’heure où les bibliothèques de livres imprimés perdent leur
capacité à rassembler leurs lecteurs, deux types de bibliothèques
numériques apparaissent : la bibliothèque collective, fruit du labeur
gratuit de ses utilisateurs (et de certaines de leurs institutions) ; la
bibliothèque privée, coûteuse, instable, et aussi lucrative, au moins
pour les nouveaux éditeurs de l’internet, qui se réduisent à quelques
grands acteurs industriels : Apple, Amazon…
Nous rencontrons certes quelques modèles intermédiaires, comme celui de Google, qui affirme rester dans le partage, et monnaie ses investissements par la publicité. Mais nous réalisons que les formes classiques des bibliothèques, héritées de l’imprimé, sont fortement ébranlées par l’irruption de nouveaux acteurs. Ces derniers ont pourtant des
points communs avec les anciens : les deux maîtrisent parfaitement les
techniques d’écriture du moment. Les deux dominent aussi l’ensemble
de la chaîne des acteurs du livre, des auteurs (scientifiques, érudits ou
littéraires) aux éditeurs, aux imprimeurs et aux libraires. Ce constat, à
défaut de nous éclairer sur les formes que prendront les bibliothèques
de demain, nous rappelle qu’il est difficile de comprendre ce que peut
être une bibliothèque dans une société donnée si on ne connaît pas en
détail les individus, les artisans ou les industriels, les normes sociales
et intellectuelles qui en permettent l’existence.
Des pratiques culturelles héritées
Les questions en rapport avec les bibliothèques contemporaines reflètent cette évidence : les très grands architectes ou vendeurs de
bibliothèques sont aux États-Unis, le pays qui a le plus participé
au déploiement de l’internet (protocoles, logiciels, industries, débats, etc.). Les modèles futurs de bibliothèques risquent donc fort
d’hériter des types de bibliothèques imprimées de ce pays : gigantesques bibliothèques universitaires ouvertes à toute heure, mais financées par leurs utilisateurs, les étudiants, qui peuvent débourser
jusqu’à 30 000 euros pour chaque année d’étude. Et d’autres bibliothèques, souvent gratuites et parfois aussi monumentales, payées par
des mécènes ou des institutions étatiques, comme la bibliothèque du
Congrès (http://www.loc.gov), qui fut aussi pionnière en matière d’accès de ses documents en ligne. La situation varie fortement dans les
pays intermédiaires. L’accès en ligne est favorisé par les pays riches,
à faible densité démographique, comme l’Australie.
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Bibliothèques
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Un accès étendu à de nouveaux lecteurs ?
Nous entendons souvent dire que les pays pauvres profiteront de
la mise en ligne des savoirs grâce à l’internet. Certes, les étudiants
d’Afrique voient leur accès à des articles scientifiques européens ou
américains facilité par les réseaux. De tels propos oublient qu’il y a
transfert de coûts vers les ordinateurs, chers en raison de douanes
souvent gourmandes, et vers les infrastructures. Les uns et les autres
sont des produits industriels qui favorisent plus les pays qui les
conçoivent et les fabriquent que les pays qui les consomment. Ainsi,
la gratuité revendiquée masque des surcoûts conséquents.
Plus que jamais, l’avenir de la bibliothèque passe par ses utilisateurs : actifs, éventuellement militants de la gratuité et de la libre
diffusion des savoirs, et experts en formats et protocoles de l’internet,
ils sauront promouvoir des espaces bibliothécaires peut-être essaimés en des serveurs et donc des écrans, mais assurément utiles au
plus grand nombre. Arc-boutés sur les modèles du passé, sur l’idée
que la culture est spirituelle et au plus loin de la technique, ils favoriseront une religiosité du livre qui ne pourra qu’éluder les relations d’alliance et de domination qui se sont constituées entre les
éditeurs au xixe siècle, souvent aux dépens des auteurs et des lecteurs. Ce mélange de croyance et de passéisme ne pourra que satisfaire les industriels soucieux de vendre au plus grand nombre et des
machines et des fichiers électroniques : les étagères, les loupes et les
livres des Temps modernes. Nous ne pouvons qu’espérer que les bibliothécaires, les éditeurs et les lecteurs s’emparent des questions
posées par l’irruption du « numérique », fabriquent et socialisent l’ensemble des outils matériels et intellectuels qui permettent l’existence
et l’usage des bibliothèques. Sur ce point, les leçons du passé, fût-il
lointain, sont fécondes.
Termes liés : archives, biens communs, connaissance,
documentation, édition, fracture numérique, langues, libre,
littératie numérique, patrimoine, sérendipité, territoires
Références
http://www.gutenberg.org/, dernière consultation le 1er juin 2014.
http://www.gutenberg.org/cache/epub/27045/pg27045.html, dernière consultation le
1er juin 2014.
http://www.ebooksgratuits.com/, dernière consultation le 1er juin 2014
http://classiques.uqac.ca/, dernière consultation le 1er juin 2014.
http://bmlisieux.com/, dernière consultation le 1er juin 2014.
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Biens communs
Hervé Le Crosnier
Alors que la tendance générale depuis les années 1970, est d’élargir
les régimes de propriété sur les travaux intellectuels, l’apparition
de l’internet et son développement mondial ont permis que soit remise au-devant de la scène la notion de « biens communs ». Savoirs,
connaissances et culture ont longtemps été considérés comme devant être partagés au sein des communautés épistémiques. Le sociologue des sciences Robert K. Merton en faisait un élément essentiel de construction de la science. Les pratiques et les savoirs
traditionnels s’organisaient autour du partage et de l’intérêt réciproque au sein des communautés, à l’image de l’usage des semences
pour maintenir une biodiversité cultivée, ou des formes de transmission des médecines ayurvédiques. Le domaine public de la culture
constituait un vaste et vibrant vivier d’œuvres susceptibles d’être
réhabilitées ou de fournir une base à de nouvelles œuvres dérivées.
Or, à partir de 1980, de nombreux changements sont apparus dans
le champ intellectuel, qui sont venus contrecarrer cette logique du
partage des savoirs. Ce sont d’abord les diverses formes d’élargissement des droits de propriété sur l’immatériel : allongement de la
durée de propriété aux dépens du domaine public, prise en compte
marchande d’activités considérées auparavant comme légitimes
(prêts entre bibliothèques, copie privée…), élargissement des sujets
relevant de la propriété littéraire et artistique, notamment les travaux mécaniques de reproduction d’œuvres appartenant au domaine
public. Ce sont également la possibilité ouverte aux chercheurs et
aux universités de déposer des brevets sur leurs travaux (Bayh-Dole
Act de 1980 aux États-Unis) avec des conséquences négatives sur les
capacités d’échange au sein des communautés scientifiques. Ce sont
enfin les formes de biopiraterie, qui consistent à prendre les savoirs
des communautés ou les éléments du folklore et à les transformer en
marchandises, parfois elles-mêmes brevetées et couvertes de droits
de propriété intellectuelle.
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Biens communs
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L’irruption de l’internet modifie profondément le sens de cette évolution privative. Si l’on connaît les noms de quelques figures marquantes
de l’histoire de l’informatique, on peut difficilement leur associer la
« paternité » de protocoles ou de services. Dès le début, l’internet s’est
vécu comme une aventure collective. Les éléments cœur du réseau ont
été débattus ouvertement par toute la communauté des ingénieurs,
notamment l’IETF (Internet Engineering Task Force). Les documents
normatifs s’appellent significativement les « appels à commentaires »
(request for comments). Ce caractère collectif de l’internet s’est accentué avec l’ouverture du web en 1993, après la mise à disposition
de tous les protocoles du web accordés par le CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire) de Genève, où ils avaient été inventés. Dès lors, les contenus eux-mêmes rendus disponibles sur le web
devenaient source d’activités de partage, de circulation et de liens
hypertextes croisés. Un phénomène qui s’est amplifié avec le Web 2.0
ou « web participatif », dans lequel ce sont l’ensemble des internautes
qui produisent les documents et les conversations qui font la valeur
même des plateformes qui en sont le support.
Ce modèle d’un internet favorisant la collectivité sur les formes
d’appropriation privée, même si avec le recul il peut apparaître aujourd’hui comme utopique et lui-même mis en danger par l’extension
de la sphère marchande, a remis au goût du jour la notion de « biens
communs », en élargissant son horizon au-delà de la « gestion locale
de ressources partagées » (commons pool ressources). Les travaux de
l’École de Bloomington, créée en 1971 par Vincent et Elinor Ostrom
pour étudier les communs matériels (réseaux d’irrigation, pêcheries,
forêts…) ont servi de point de repère. La jonction entre les deux approches des biens communs matériels et immatériels a été validée
par la publication en 2006 du livre Understanding Knowledge as
a Commons, coordonné conjointement par Elinor Ostrom, qui deviendra prix Nobel d’économie en 2009, et par Charlotte Hess, qui a
fondé la Digital Library of the Commons. Un livre qui montre comment l’immatériel (connaissances, logiciels, documents numériques,
science ouverte…) peut et doit constituer un ensemble de ressources
partagées, grâce à l’investissement des communautés qui les ont
développées. Une réflexion qui sera poursuivie en France par la publication, en 2011, du livre Libres Savoirs. Les biens communs de la
connaissance, et, à l’échelle internationale, par le recueil The Wealth
of the Commons, regroupant quatre-vingt-dix intervenants venant du
monde entier en 2012.
Il ressort des travaux universitaires et de l’expérience pratique que
chaque commun est un cas particulier, dont il faut prendre en compte
l’originalité pour mieux mettre en valeur les leçons collectives qui
peuvent être tirées pour développer les autres communs. Pour en
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
comprendre le sens et la place dans l’organisation sociale, les communs
doivent être examinés sous quatre angles simultanément :
•la ressource considérée. De ce point de vue, les ressources rivales,
notamment celles qui proviennent de la nature, sont distinctes des
ressources intellectuelles qui sont additives : non seulement l’usage
par l’un ne prive nul autre, mais l’ensemble global des savoirs s’enrichit
de chaque élément particulier qui est mis en commun et rendu réutilisable. Les ressources immatérielles sont également différentes entre
elles : un logiciel ouvert et modifiable en permanence n’a pas le même
statut qu’un poème ou une chanson sous licence Creative Commons.
•les menaces d’enclosures sur la ressource. Le terme « enclosure », qui
vient de l’histoire particulièrement violente de l’Angleterre, désigne
les tentatives de privatiser un bien auparavant commun. Les formes
peuvent être très variées, depuis le sabotage (on le voit sur les notices
de Wikipédia) ou les attaques portées contre les communautés créatrices (les brevets de logiciels ne peuvent rien contre les logiciels libres
déjà diffusés, mais limitent leur extension en mettant en danger les
développeurs, qui peuvent à tout moment se trouver à utiliser une
technique par ailleurs brevetée, la circulation du savoir étant plus
rapide que celle des droits de propriété).
•le faisceau de droits attachés à la ressource. Une ressource n’entre
pas simplement dans une relation juridique binaire (privé/public),
mais est plutôt le support de plusieurs droits simultanément, certains
tenant à la propriété, d’autres à l’usage. Un auteur qui place ses œuvres
sous une licence Creative Commons laisse au commun les droits de
rediffusion, le partage, mais réserve la mention d’attribution.
•le processus de gouvernance. Chaque ressource considérée mobilise une
« communauté » pour son usage, sa maintenance, sa protection contre les
enclosures. Il s’agit d’une école de la démocratie, les participants ayant la
nécessité de trouver des formes d’équilibre interne pour garantir l’équité
du partage de la ressource, dans la communauté qui en a la charge ou
pour l’ensemble des individus pour les communs additifs ou immatériels. C’est ce processus d’implication des acteurs dans la gestion de la
ressource qui est considéré actuellement par la théorie des communs
comme le pivot majeur.
Les communs se diffusent par extension des expériences particulières. Elinor Ostrom a repéré ainsi huit principes qui, s’ils sont
appliqués, favorisent le maintien d’une ressource dans un esprit de
partage : une claire définition des frontières du groupe concerné ; des
règles adaptées aux besoins locaux ; la capacité des individus concernés par ces règles à participer à leur évolution ; le respect des règles
internes des communautés par les autorités extérieures ; le contrôle
des usages pris en charge par les propres membres des communautés ; l’instauration d’un système de sanctions graduées ; la mise en
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Biens communs
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place d’un système de résolution de conflits facile à utiliser au sein
de la communauté ; une organisation en strates pour la résolution de
conflits et la gouvernance. Ces règles, émanant des communs naturels, peuvent aisément s’étendre aux communs de la connaissance,
car elles privilégient l’activité des membres sur le bien lui-même.
L’extension des communs de la connaissance rejoint des pratiques
anciennes dans de nombreuses cultures. Il convient pour autant de
ne pas les confondre avec un domaine public qui serait sans règles.
Le partage implique les notions d’égalité et de réciprocité, en général
indirectes par le modèle de cohésion entre don et contre-don, ciment
sociétal qui a été mis en valeur par de nombreux anthropologues.
Malheureusement, la capacité à utiliser et à valoriser le domaine public est inégalement répartie, et souvent les plus aisés, tant du point
de vue financier que des savoir-faire, peuvent mieux que d’autres en
tirer profit. L’expansion des grands groupes de l’internet qui s’appuient sur des activités partagées par les internautes grâce à leurs
compétences techniques en constitue un exemple. En ce sens, l’implication directe des créateurs de communs de la connaissance est
essentielle, évidemment pour leur développement propre, mais également pour que leur dynamique serve des intérêts généraux.
En développant les communs de la connaissance, les acteurs du partage des savoirs vont renforcer la capacité de tous, à l’échelle du monde
entier, à utiliser les travaux intellectuels et à susciter des créations
nouvelles. Les choix d’ouverture de Wikipédia ont permis la création
de plus de deux cents versions linguistiques, chacune étant prise en
charge par une communauté de locutrices et de locuteurs de ces langues. Les termes mondialisés peuvent ainsi être compris et adaptés à
chaque culture, mais, mieux encore, les termes spécifiques de chaque
culture peuvent être décrits et partagés dans le monde entier, des locuteurs d’une langue pouvant eux-mêmes proposer des traductions dans
les autres langues. La capacité de modifier et d’adapter les logiciels
libres est un encouragement à la localisation de ceux-ci dans des langues minoritaires, à l’image du travail mené en Afrique par l’association ANLoc (African Network for Localisation). De même, en offrant
les publications scientifiques et médicales dans des dépôts d’articles
en accès libre, les chercheurs permettent de développer une meilleure
qualité non seulement des soins mais également de la santé publique
et des échanges de connaissances médicales. Un défi majeur face aux
pandémies dont l’extension mondiale devient de plus en plus rapide.
Le partage du savoir est un enjeu essentiel dans le cadre de la mondialisation si nous souhaitons que celle-ci concerne les hommes et les
femmes, et pas seulement les intérêts industriels et commerciaux. La
construction de communs du savoir et de la culture, en limitant les
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
régimes de propriété sur la recherche et la culture, ouvre des perspectives pour redéfinir les relations internationales et les modes de rémunération de la production même des connaissances. Les questions
aussi sensibles que la production de médicaments pour les maladies
négligées, d’un côté, et le respect des auteurs de toutes les cultures et
toutes les langues, le développement du multilinguisme sur l’internet,
de l’autre, montrent l’étendue du spectre couvert par les communs de
la connaissance. Et de leur place dans la construction d’une société
des savoirs partagés.
Termes liés : connaissance, communautés, libre, pratiques,
propriété intellectuelle, remix
Références
Dwayne Bailey, « Localisation des logiciels : open source et multilinguisme
numérique », in Net.lang : réussir le cyberespace multilingue, C & F
Éditions, 2012.
David Bollier, Silke Helfrich, The Wealth of the Commons : A World Beyond Market
and State, Levellers Press, 2012 ; version allemande originale : Commons :
für eine neue Politik jenseits von Markt und Staat, 2012.
David Bollier, la renaissance des communs : pour une société de coopération et de
partage, éditions Charles Léopold Mayer, 2014.
Charlotte Hess, Elinor Ostrom (éd..), Understanding Knowledge as a Commons : From
Theory to Practice, Cambridge, Massachusetts, The MIT Press, 2007.
Béatrice Parance & Jacques de Saint-Victore, Repenser les biens communs, CNRS
éditions, 2014.
Association Vecam (coord.), Libres Savoirs. Les biens communs de la connaissance,
C & F Éditions, 2011.
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Co-construction
Marianne Poumay
Le terme « co-construction » évoque aussi bien le processus que le résultat de l’action de co-construire, c’est-à-dire construire en collaboration. Il implique la présence de l’autre, sa participation à un agir
dont le versant conscient est orienté vers un but d’apprentissage.
La co-construction tire parti des interactions
sociales et des différences interindividuelles
Pour les porteurs du courant pédagogique dit « socioconstructiviste »
(Perret-Clermont, 1979 ; Doise et Mugny, 1981), cette présence d’un
autre, d’un pair, voire de plusieurs autres, par les interactions sociales et les « conflits sociocognitifs » qu’elle génère, représente un
réel ferment du progrès cognitif. Il s’agit d’un moyen très efficace
pour apprendre « en profondeur » (Biggs, 2003) et d’une sorte de passeport pour l’apprentissage tout au long de la vie, qui participe au
bien-être social, culturel et éventuellement économique des individus. Le formidable potentiel de cette présence d’un pair vient essentiellement du fait que ce pair nous questionne, qu’il a sélectionné
d’autres informations que les nôtres, qu’il y réagit selon ses acquis et
sa personnalité propres, et qu’il nous propose une interprétation du
monde différente de la nôtre. La situation scolaire emblématique correspondant à ce type d’apprentissage est le travail en petits groupes,
qui permet ces interactions entre pairs et cette ouverture de chacun à
des points de vue potentiellement complémentaires aux siens. De ces
confrontations, pour autant que celles-ci soient bien cadrées, chacun
ressort enrichi. Parmi les rôles de l’enseignant, relevons la médiation,
l’écoute des élèves et l’attention qu’il doit porter aux différences, de
façon que celles-ci enrichissent les débats et soient analysées dans le
respect de chacun(e).
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Co-construire est exigeant
L’organisation d’activités de ce type nécessite l’instauration d’un climat de confiance entre élèves et enseignant(e) s. Ces derniers guident
les élèves dans leurs apprentissages et leur laissent une part de liberté dans la construction de leurs savoirs. Tous les élèves ne choisissent
pas les mêmes chemins et ne parviennent pas aux mêmes résultats
au même rythme. Cette notion de co-construction, respectueuse des
différences et exploitant des situations complexes, se trouve en harmonie avec celle de compétence (Tardif, 2006). Elle décrit particulièrement bien l’apprentissage en stages et autres contextes réels, où le
conflit sociocognitif est permanent sans pour autant devoir toujours
être provoqué. Les programmes de formation continue exploitent aussi volontiers cette co-construction, partant des vécus professionnels
des participants pour fonder des analyses que chacun re-contextualise ensuite à sa pratique professionnelle spécifique.
Internet comme soutien…
Les technologies apportent une plus-value évidente aux travaux de
groupe. En effet, le groupe peut désormais rester virtuel, composé
d’apprenants de différentes classes, de différents pays, de différents
environnements sociaux. Pour peu que les travaux soient bien encadrés, l’exploitation de l’internet renforcera la co-construction et lui
permettra de prendre des tournures précédemment impossibles. Ainsi,
par exemple, les groupes d’élèves auront accès à des supports électroniques variés, ils pourront s’envoyer des témoignages, des photos
et des vidéos, des textes qui étayent leur point de vue, ils seront ainsi
interpellés par des exemples riches et signifiants. Ils pourront aussi
discuter, en temps réel ou en différé (en particulier si les décalages
horaires ne permettent pas la synchronicité des échanges), avec des
pairs éloignés, hospitalisés, ou tout simplement choisis sur la base
d’une expérience antérieure qui fait sens par rapport à l’objet étudié.
Ce type d’activité parle particulièrement aux jeunes de la « génération Y », nés avec l’internet, qui exploitent la connectique dans leur
vie sociale et trouvent assez naturel d’agir de même dans leur vie
scolaire. Il s’agit aussi du chemin choisi par les MOOC (Massive Open
Online Courses), cours en ligne ouverts et destinés à de très larges
cohortes de milliers d’étudiants, dans lesquels la co-construction des
connaissances est largement exploitée, tant pour l’apprentissage que
pour l’évaluation par les pairs, vu l’impossibilité physique pour un
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Co-construction
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tuteur, par exemple, de commenter 3 000 poésies pour le lendemain.
L’apport des pairs est ici la condition sine qua non de l’apprentissage
de chacun, les MOOC étant structurellement organisés pour tirer parti de cette co-construction.
Les communautés de pratiques ou d’apprentissage sont des lieux de
co-construction. Dans le monde de l’internet, une illustration assez
aboutie de ce principe de co-construction est l’encyclopédie Wikipédia
elle-même, aujourd’hui largement exploitée dans l’enseignement.
… mais pas comme une condition suffisante
Mais dans cette logique, apprend-on d’autant plus que la technologie
est présente et que les différences entre apprenants sont plus importantes ? Pas forcément. Dans une classe où l’enseignant promeut
l’apprentissage collaboratif, l’élève apprend sur deux plans : d’une
part, à propos de la différence entre élèves et de son exploitation positive au profit de l’apprentissage (en quoi l’autre m’est-il utile ? Que
m’apporte-t-il à quoi je n’aurais pas pensé seul ? Et que lui ai-je apporté qu’il n’aurait pas trouvé ?) ; d’autre part, à propos du thème
traité par l’enseignant (dans le cas d’un apprentissage en littérature
française, par exemple quelles caractéristiques héritées du romantisme retrouve-t-on chez les auteurs que j’apprécie aujourd’hui ?). Sur
ces deux plans, que l’on pourrait nommer métacognitif d’une part et
cognitif de l’autre, c’est la qualité des interactions qui sera le facteur le plus déterminant de la qualité de l’apprentissage. Il reviendra à l’enseignant de concevoir l’activité la plus porteuse pour un
groupe d’élèves, d’aiguiller ceux-ci vers les supports (souvent avec
composante technologique) les plus appropriés et de dresser par des
consignes claires le cadre d’un apprentissage respectueux et efficace.
Plus que les différences ou la technologie en elles-mêmes, la façon
d’exploiter ces différences et celle d’utiliser ces technologies, par
exemple en les plaçant au service d’une réelle co-construction du savoir, détermineront la qualité de l’apprentissage.
Outre une exploitation pertinente des différences interindividuelles
et des technologies internet, une condition tout aussi essentielle de
réussite de l’apprentissage en co-construction réside dans le balisage
précis de la collaboration attendue entre apprenants. Quel est l’objectif exact de l’activité ? Quel doit être l’apport de chacun ? Comment
sera-t-il mesuré ? Quelle charte précise la « netiquette » ou les attitudes attendues de chacun ? La clarté des consignes et l’accent porté
sur leur respect seront primordiaux pour le progrès cognitif et métacognitif de chacun.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Co-construire n’est pas forcément un choix facile
Une activité de co-construction respectant ces quelques principes
de base devrait donc déclencher un progrès cognitif durable et profond. Pourtant, à moins qu’ils y aient été entraînés et qu’ils en aient
réellement compris le bénéfice, les apprenants ne choisiront généralement pas cette voie de la co-construction. Elle leur demande en
effet de rencontrer des pairs, d’écouter la différence, de faire des
concessions, de s’interroger sur leur propre place dans le groupe,
de négocier avec d’autres quant au travail final, autant d’actions qui
nécessitent une remise en question… et un temps précieux ! Dans
l’enseignement supérieur, la facilité d’un cours ex cathedra sera
souvent préférée – en tout cas par les étudiants non avertis – à l’exigence d’un cours basé sur des problèmes, des études de cas, des défis de groupes et autres activités de co-construction. La profondeur
de leur apprentissage, pour des étudiants adeptes de la stratégie
scolaire à très court terme, a peu d’importance pour autant qu’ils
réussissent l’examen visé. Et comme il est plus simple également
pour l’enseignant d’organiser des cours conventionnels, il nous faut
malheureusement constater que la co-construction demeure encore
rare dans l’enseignement supérieur, en tout cas en France et chez
ses proches voisins. Mais il n’est jamais trop tard, car co-construire
s’apprend, tant côté étudiant(e)s que côté enseignant(e)s. La formation initiale des enseignant(e)s pourrait jouer un rôle important
dans la modélisation de pratiques efficaces de co-construction du
savoir, en exploitant au mieux les différences interindividuelles et
les technologies aujourd’hui disponibles.
Mais notre société souhaite-t-elle promouvoir les valeurs qui soustendent cette co-construction ? Trouve-t-elle important de soutenir
le développement du respect des différences, de l’autonomisation des
citoyens à travers un apprentissage en profondeur, critique et réflexif,
en situation complexe et aidé par des pairs ? Mesure-t-elle l’intérêt de ce métissage culturel qui permet de mieux connaître l’autre
et donc de mieux l’apprécier, tant en situation d’apprentissage que
dans toutes les situations de vie ? Si c’est le cas, ne faudrait-il pas
revoir les méthodes d’enseignement, en particulier dans le supérieur,
dans les institutions où elles restent majoritairement transmissives
et laissent peu de place à cette co-construction ?
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Co-construction
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Termes liés : biens communs, art et science, connaissance,
éthique, libre, littératie numérique, remix, transmédiation
Références
John Biggs, Teaching for Quality Learning at University, 2e édition, Buckingham,
Society for Research into Higher Education/Open University Press, 2003.
Willem Doise, Gabriel Mugny, Le Développement social de l’intelligence, Paris,
InterÉditions, 1981.
Anne-Nelly Perret-Clermont, La Construction de l’intelligence dans l’interaction
sociale, Genève, Peter Lang, 1979.
Jacques Tardif, L’Évaluation des compétences. Documenter le parcours de
développement, Montréal, Canada, Chenelière Éducation, 2006.
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Codes
Mokhtar Ben Henda et Henri Hudrisier
Étymologiquement, le mot « code » vient de « tablette à écrire, de codex ou caudex, assemblage de planches, de planchettes ayant servi à
écrire » (Littré). Il apparaît en français en 1236 (Le Robert). La notion
de code possède deux acceptions principales.
Le sens 1 est associé à une série de règles, de lois, de textes… qui
régulent une conduite ou un comportement : le code d’Hammourabi
de 1750 av. J.-C., le code de Théodose de 438, le code de Justinien
de 529, le code civil, le code de commerce, les codes de la propriété intellectuelle, des assurances, du travail, de la route… Dans le langage
moderne, le mot « code » renvoie à l’ensemble des dispositions légales
relatives à une matière spéciale, réunies par le législateur dans des
textes d’accords, de conventions et de normes établis par une communauté quelconque pour réguler des domaines d’activité.
Le sens 2 est lié à la codification des nombres et à la cryptologie, mais
aussi aux théories linguistiques et sémiotiques. La codification des
nombres se confond avec l’histoire de leur écriture, mais est aussi
liée à une pratique, puis à une théorie du système numérique : duodécimal, décimal, binaire… La numération décimale est devenue universelle, et le code binaire fonde l’industrie numérique. En Inde au
ive siècle av. J.-C., en Chine avec les hexagrammes se préfigure déjà
une pratique de codification binaire. En 1605, Francis Bacon décrit
des séquences de codes binaires, Gottfried Leibniz élargit la théorie et
concrétise le concept. En 1836, Samuel Morse inaugure avec son code
ce qui deviendra l’électromécanique, puis l’électronique numérique.
Les étapes et les inventeurs se succèdent, mais il est clair que les
progrès du codage informatique sont largement la conséquence de la
volonté de casser, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’information
cryptée dans Enigma. Même si Charles Sanders Peirce ou Ferdinand
de Saussure utilisent chacun un large vocabulaire conceptuel pour
élaborer leur théorie du signe (codage sémiotique et/ou linguistique),
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Codes
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il est clair que s’amorce une période d’échanges très féconds entre
la linguistique, la recherche-développement des langages formels et,
aujourd’hui, l’e-sémantique. Le code numérique binaire se trouve au
cœur de cette dernière période. Il n’est pas obligatoirement certain
que des développements ultérieurs de l’informatique (peut-être l’informatique quantique ?) ne remettent en cause cette suprématie binaire actuelle.
Domaines d’application et appropriation sociale
Dans leurs dimensions interprétatives, les deux approches du terme
« code » sont aujourd’hui utilisées dans plusieurs domaines d’ordre
social, culturel, juridique, économique, linguistique, sémiotique, communicationnel et informatique.
En français, on dit « passer son code », « mettre les phares codes » ou
simplement « mettre en codes ». Code d’honneur, code des duels, code
moral ou code culturel font aussi sens : « Ces maximes, je l’avoue,
doivent être le code du genre humain » (Voltaire, Dialogues, XV, 2e entretien). « D’un canton qui l’adore il est souvent l’arbitre. Le bon sens
est son code, et l’équité son titre » (Saint-Lambert, Saisons, « L’Hiver »).
Les données privées d’identification comme le code de sécurité sociale
ou le code bancaire sécurisent nos transactions. Les passeports modernes comportent un encodage crypté, possiblement utilisé dans de
nombreux domaines de contrôle, mondialement normalisé (ISO/IEC
JTC1SC37), de nos données anthropométriques (empreintes digitales
et iris de l’œil) qui deviennent ainsi une clé codée personnelle universelle, directement dépendante de notre code génétique ! On peut ainsi
franchir sans contrôle humain des postes frontières ou y être systématiquement bloqué en cas de problème.
La notion de « code » prend une importance clé dans le secteur juridique. La mondialisation des codes juridiques, administratifs, professionnels et socioculturels, en raison de leur numérisation et de leur
interconnexion notamment sur le web, induit des incompréhensions,
des contresens, des conflits divers. Par exemple, le droit d’auteur et
le copyright diffèrent selon les pays et les aires culturelles, même s’il
existe des conventions internationales. Or le potentiel de circulation
sans frontières et en temps réel des œuvres culturelles dans le monde
entier pose clairement la question de l’interconnexion des codes pour
garantir les ayants droit. Cela fait écho à l’utopie d’un droit unique
des affaires imposé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Ce code était supposé s’imposer parce que la mosaïque disparate des
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
territoires nationaux freinait « à l’évidence » les échanges capitalistes
ne tenant pas compte de toutes les spécificités des codes locaux divers (code du travail, code du droit commercial, conditions économiques locales, écologiques…), y compris les spécificités culturelles
et linguistiques qui se sont bien partiellement opposées à cette première fausse évidence. L’interopérabilité numérique sophistiquée de
ces codes dans leur diversité demeure un chantier réaliste et urgent.
Dans le champ linguistique, dès 1909, Saussure s’empare du terme
« code », notamment le concept d’arbitraire du code en langue naturelle, mais aussi comme code gestuel, code graphique, code visuel.
Dans la linguistique saussurienne, « le lien unissant le signifiant au
signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par signe
le total résultant de l’association d’un signifiant à un signifié, nous
pouvons dire plus simplement : le signe est arbitraire ». Martinet met
en évidence la notion de « double articulation du code », qui élargit
de façon quasi infinie un code, notamment la double articulation du
code linguistique, dont on a longtemps prétendu à tort qu’elle était le
propre des langues humaines.
Dans le domaine des sciences et des techniques, la notion de « code »
a été largement utilisée pour désigner l’ensemble des règles de symbolisation des données et des concepts élémentaires. Un code est un
système de signes (noms, symboles, signaux…) qui, par convention,
sert à représenter et à transmettre l’information entre un émetteur et
un récepteur. Différents codes sont utilisés : iconiques, scripturaux,
sonores (notamment la langue parlée).
L’encodage numérique d’un document nécessite un premier niveau signalétique : code langue, code écriture, code pays, etc. Précisons bien
que le code langue (fr ou fre, es ou spa, pl ou pol, ja ou jpn, ko ou kor…)
n’est ni superposable ni identique aux codes pays (F ou FR, ES, PL, JP,
KR, Corée du Sud, et KP, Corée du Nord…). Il faut aussi savoir distinguer le code d’écriture du code langue. Le code d’écriture latine étendu,
avec accents et diacritiques, recouvre de très nombreuses langues du
monde ; le code d’écriture arabe recouvre l’arabe, le perse, l’urdu, le
kurde… Ces codes normalisés des langues, des écritures ou des pays
sont souvent un acronyme anglais abrégé, mais pas obligatoirement.
La communication intersystèmes et l’encodage numérique systématique (tout numérique) s’architecturent en couches superposées de
langages allant du langage machine (qui code en binaire les impulsions électriques), aux langages systèmes sur lesquels se superposent
des langages structurels (XML…), et aux langages d’application permettant de coder la captation ou la saisie des documents proprement
dite, leur circulation ou leur traitement. À un niveau informationnel
plus large, l’encodage des documents n’est plus seulement la numéri-
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Codes
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sation du message (le texte, le son, l’image… et leur possible compression), c’est aussi conjointement le codage de métadonnées (catalographique) et le balisage structurel ou sémantique du document (MPEG 7
ou TEI par exemple).
Code binaire et diversité culturelle et linguistique
Les premiers télégraphes ne sont pas binaires à proprement parler (le morse est faussement qualifié de binaire alors qu’il combine
signal long, signal court et silence, de même le braille, qui combine des points sur une matrice de 6 positions). Mais ces codages
peuvent se numériser en code binaire, s’articulant sur un deuxième
niveau de code : Baudot, 5 bits ; ASCII (American Standard Code for
Information Interchange), 7 puis 8 bits. Seul l’élargissement de la
structure du code ASCII pouvait permettre la cohabitation des langues et des systèmes d’écriture du monde. Les premières initiatives
venaient des langues asiatiques. Les 2 octets de la première norme
japonaise multi-écritures JIS (Japanese Information Standard), sont
vite devenues 3 puis 4 octets. Cela avait abouti à l’état actuel de l’Unicode s’articulant hiérarchiquement et fonctionnellement sur :
•1 octet, soit 256 codes symboliques élémentaires pour l’alphabet latin, ou
un équivalant d’une trentaine de signes minuscules et majuscules en plus
d’une suite de nombres, signes de ponctuation et codes de commandes ;
•2 octets, soit plus de 65 000 codes potentiels suffisant pour coder toutes
les écritures du monde, y compris les écritures anciennes, différents
codes d’écritures musicales (byzantine…), des codes divers (symboles
électriques, signalétiques diverses…). Cependant, ces 65 000 codes sont
insuffisants pour coder les « caractères idéographiques rares », qui, en
chinois ou en japonais, correspondent notamment à la toponymie et à
la patronymie (y compris les noms de firmes) ;
•4 octets, soit plus de 4 milliards de codes symboliques potentiels
qui posent le problème à un niveau incomparablement plus vaste. Ce
codage articulé sur 4 octets (32 bits) est à la fois le fruit d’une nécessité d’unifier dans un même code toutes les écritures du monde, et
le résultat d’un potentiel technique lié à la rapidité du calcul et à la
miniaturisation et la baisse de coût de la mémoire vive d’ordinateur.
L’articulation double du code binaire de 32 bits est la condition sine
qua non d’un codage « intelligent » du code informatique. L’argument
qui consistait à qualifier de « binaire » le code informatique n’est plus
guère d’actualité, parce que la culture mondiale a intégré la subtile
sophistication du transcodage numérique culturel – appartenances
ethniques, pratiques sociales, productions intellectuelles, etc. – par
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des attributs issus de conventions et de normes internationales
connues dans le jargon informatique sous les notions de « localisation » (l10n) et « internationalisation » (i18n). Il s’agit de valeurs
codiques qui induisent l’usage de codes linguistiques et culturels
définissant le type de calendrier, le système d’écriture et sa directionnalité, la monnaie d’usage, le code de pays, le code de langue et
sa variante nationale, le système numérique, le code de format, etc.
L’internationalisation des codes de nommage des domaines (iDNS),
des adresses de courrier électronique et des langages informatiques
rend les ressources culturelles accessibles à plus de gens dans leur
propre langue.
Le codage numérique culturel touche aussi des activités ou disciplines
scientifiques comme les lettres et les arts (i. e. humanités digitales). La
TEI (Text Encoding Initiative), notamment, propose un niveau avancé de
codage dans lequel des collèges de chercheurs partagent des ensembles
définis de « codes balises » permettant d’encoder non seulement des apparats critiques, des analyses de recherches littéraires (codification de
la métrique des vers et codage de la critique stylistique ou de l’étude
narrative…), mais aussi des corpus linguistiques, des manuscrits…
Bref, les deux facettes abordées de la notion de « code » convergent
désormais vers le mode digital. Le gros de la mémoire culturelle,
scientifique, technique et juridique accumulée dans les archives, les
bibliothèques et les musées bascule dans les réseaux numériques,
et les questions liées à la diversité culturelle et linguistique passent
au premier plan de la représentation et de l’interprétation des codes.
Les développements futurs seront transculturels, transnationaux et
transparents, dans lesquels d’autres aspects de la communication humaine au-delà de la seule codification des langues entreront en scène.
Termes liés : archives, bibliothèques, co-construction,
communications, computation, connaissance, documentation,
langues, normes
Références
Jacques André et Henri Hudrisier (Dir.), « Unicode, écriture du monde ? », numéro spécial
de Document numérique, vol. 6, n°3-4, 2002, Editions Hermès-Lavoisier.
Patrick Andries, Unicode 5.0 en pratique : Codage des caractères et
internationalisation des logiciels et des documents, Paris, Dunod, 2008.
Mokhtar Ben Henda, « Langues en danger et multilinguisme numérique », in Les oubliés
de l’internet : Culture et langues sur l’internet, oubli ou déni ?, A-M. Laulan
& A. LeNoble Bart (éd.), Bordeaux, Les Editions Hospitalières, 2014.
Claude Berrou, Codes et turbocodes, Paris, Springer Science & Business Media, 2007.
Monica Borda, Fundamentals in Information Theory and Coding, Berlin, Springer
Science & Business Media, 2011.
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Codes
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Michel Bottin. Yvonne Sallé, « Écritures du monde, un centre de ressources culturelles
et techniques pour les applications multi-écritures », Document
numérique, n°3, vol. 6, 2002, pp. 237-254.
Stuart Hall, Michèle Albaret, Marie-Christine Gamberini, « Codage/décodage »,
Réseaux, vol. 12, n°68, 1994, pp. 27-39.
Henri Hudrisier, « De l’Abécédaire à Unicode », L’Octogonal Ricochet, Revue du CIELJ,
n°17, avril 2002.
Bruno Martin, Codage, cryptologie et applications, Lausanne, PPUR Presses
polytechniques, 2004.
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Communauté(s)
Patrick Schmoll
Dans sa définition la plus large, une communauté est un groupement
d’acteurs (individus ou collectifs) qui partagent un bien commun. Ce
bien peut être matériel : c’est le sens que revêt le terme en droit, dans
le cas par exemple d’une communauté d’établissements ou d’une communauté entre époux. Dans le contexte de la diversité culturelle, le bien
partagé par les membres d’une communauté est plus souvent immatériel : une langue, une histoire, une religion, des valeurs, des normes.
Historique et enjeux de la notion de communauté
Le terme de communauté a pris une importance en sciences sociales
initialement dans la tradition sociologique allemande. Ferdinand
Tönnies, en 1922, distingue la notion de Gemeinschaft, traduite en
français par « communauté », qu’il oppose à la Gesellschaft, traduite
par « société ». La Gemeinschaft exprime l’idéal d’une société qui résulte d’une volonté collective, d’un « vouloir vivre ensemble » de ses
membres, qui ont entre eux des rapports sociaux basés sur l’attachement émotionnel, le sentiment et la reconnaissance mutuelle. À
l’inverse, la Gesellschaft désigne la société de masse, qui n’est que
l’agrégation d’individus qui n’ont de relations entre eux que celles
commandées par les nécessités du fonctionnement économique de
l’ensemble. La communauté unit donc les individus malgré tout ce
qui les sépare, alors que la société maintient leur individualisation
malgré tout ce qui les unit.
La notion de communauté a irrigué toute la pensée allemande du social, alors qu’elle a longtemps fait l’objet de réserves plus que suspicieuses de la part des sociologues français. D’une part, la tradition
politique française impose l’idée d’un rapport direct et exclusif de
l’individu à l’État, qui veut ignorer les communautés d’appartenance.
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Communauté(s)
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D’autre part, la conception allemande de la Gemeinschaft, au début
du xixe siècle, exprimait une vision naturaliste du social : la communauté, ancrée dans un sol et dans un peuple, et dont la figure type est
la communauté villageoise traditionnelle, s’opposait à la société urbaine, industrielle et cosmopolite qui se développait à l’époque. Cette
conception a alimenté un débat qui explique sa réception tardive en
sociologie française.
Le phénomène communautaire a été davantage étudié par la sociologie urbaine américaine, notamment par l’École de Chicago. Sa pertinence dans cette tradition tient au caractère pluriethnique de la société américaine, concrétisé par la tendance des immigrants à s’être
regroupés très tôt en ville par quartiers, formant des territoires urbains propices à l’organisation communautaire.
Classiquement, une communauté est ainsi caractérisée par le fait
que ses membres n’ont pas vraiment choisi d’en faire partie : ils y
naissent ou s’y retrouvent en raison de leur résidence en un même
lieu, des liens réguliers et durables qu’ils entretiennent avec leurs
voisins, des valeurs et des normes, éventuellement de la langue et
de la religion qu’ils partagent, et du sentiment d’appartenance au
groupe qui en résulte.
Les communautés à l’ère des réseaux
La diffusion des technologies de réseau a contribué à renouveler
l’approche du fait communautaire. Les communautés d’utilisateurs
regroupés autour d’un jeu, d’un projet collaboratif ou d’une cause
mobilisatrice sont l’un des phénomènes remarquables que l’on rencontre en naviguant sur l’internet. Howard Rheingold, en 1993, est le
premier à avoir décrit ces communautés, qu’il qualifie de « virtuelles ».
Certains auteurs préfèrent le terme de « cybercommunauté » ou de
« communauté en ligne », mais l’usage continue à imposer la terminologie popularisée par Rheingold.
Les communautés virtuelles semblent contredire la définition classique de la communauté :
•ce sont des groupements électifs, l’appartenance ne s’impose pas à
ses membres, ceux-ci ont choisi de rejoindre le groupe ;
•ces communautés n’ont pas de territoire physique, les participants
sont disséminés sur la planète ; ce sont des communautés « imaginées »,
au sens de Benedict Anderson (1983) : de même que les médias de presse
nationaux ont contribué à la formation d’une conscience nationale,
l’usage d’un même support de communication en réseau (un forum,
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
un jeu vidéo…) constitue le « territoire » de ces communautés ;
•le lien entre participants et le sentiment d’appartenance à la communauté connaissent des densités et des durées variables. Les réseaux
permettent des mobilisations de courte durée avec des niveaux d’implication étagés. Madeleine Pastinelli (2007) propose la métaphore du
café de quartier : certains habitués y partagent une histoire commune et
entretiennent des liens étroits, d’autres se reconnaissent mutuellement
sans pour autant se sentir liés, et d’autres enfin ne font qu’y passer
et ne reconnaissent pas les individus présents au-delà de leurs rôles
(serveurs, patron, autres clients…). La structure en réseau du collectif
définit la communauté non comme un endroit où chacun connaît et est
connu de tout le monde, mais comme un endroit où on connaît toujours
quelqu’un qui y connaît quelqu’un d’autre.
Il est toutefois clair pour tous ses participants, même occasionnels, qu’une communauté virtuelle s’organise autour d’un noyau de
membres qui ont fini par tisser entre eux des liens affectifs et par
créer un sentiment d’appartenance autour de représentations communes, qui justifient leur désignation par ce terme de communauté.
Tendances actuelles
La notion de communauté a acquis une importance stratégique en raison de son usage sur les réseaux. Le Web 2.0, défini par ses fonctionnalités permettant aux internautes d’interagir dans un espace partagé sur un site (contrairement au web rétroactivement numéroté 1.0
qui propose des sites vitrines que l’on ne peut que consulter passivement), est qualifié de web « communautaire ». La capacité d’un site à
mobiliser une communauté représente un enjeu pour des sociétés et
des organisations qui utilisent cette dynamique pour impliquer les
participants dans un travail collectif (communautés collaboratives),
pour attirer des clients (jeux vidéo en ligne, sites commerciaux), pour
attester de sa notoriété et se proposer comme support de messages
publicitaires, voire pour commercialiser les fichiers de ses participants ou leurs caractéristiques.
Les fonctionnalités de l’internet sont également utilisées par des organisations politiques, culturelles et/ou religieuses pour mobiliser
une communauté en ligne sur des objectifs militants et alerter l’opinion publique internationale. Les technologies de réseaux amplifient
à cet égard une transformation des dynamiques de mobilisation au
sein de sociétés marquées par la diversité socioculturelle et l’individualisation. Mark S. Granovetter (1973) l’avait déjà montré à partir de
l’exemple de deux communautés de quartier de Boston résistant à un
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Communauté(s)
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programme municipal de développement urbain. La première communauté, fortement cohésive, composée d’immigrants d’une même
nationalité, étroitement liés par de multiples liens familiaux, d’amitié
et de voisinage, mais ne disposant pas de relais à l’extérieur d’ellemême, finit par disparaître. Alors que, dans la seconde, les liens entre
habitants semblaient en première approche lâches et l’organisation
communautaire faible, mais les habitants avaient une vie socialement
riche également ailleurs que dans leur quartier, et donc des appuis
partout dans Boston, qui leur permirent de résister avec succès. Dans
un processus de mobilisation et de résistance, l’expansivité du réseau
compte ainsi davantage que sa cohésion.
Les technologies de réseau offrent un médium de communication permettant aux communautés les plus oubliées de la planète d’atteindre
le public le plus large et de regrouper leurs membres, qui peuvent
communiquer entre eux depuis les points les plus éloignés de leur
diaspora. Elles sont ainsi un facteur de maintien et d’approfondissement de la diversité culturelle. Mais elles transforment en retour
ces communautés, en les ouvrant au monde, en les rendant visibles à
un environnement extérieur dont elles peuvent obtenir l’appui mais
aussi recevoir la critique, en fournissant un espace public de débat à
l’intérieur et en autorisant des appartenances de densités variables.
Termes liés : diaspora, co-construction, connexion, langues,
réseaux sociaux, territoires
Références
Benedict Anderson, Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread
of Nationalism, London, Verso, 1983. Tr. fr. par Marc Abélès, L’Imaginaire
national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La
Découverte, 1996.
Mark S. Granovetter, « The Strength of Weak Ties », American Journal of Sociology, 78,
1973, pp. 1360-1380.
Chip Morningstar, F. Randall Farmer, « The Lessons of Lucasfilm’s Habitat »,
in Cyberspace : First Steps, Michael Benedikt (éd..), Cambridge,
Massachussetts, The MIT Press, 1991.
Madeleine Pastinelli, Des souris, des hommes et des femmes au village global,
Montréal, Presses de l’Université Laval, 2007.
Howard Rheingold, Virtual Community (tr. fr. 1995), Les Communautés virtuelles,
Paris, Addison Wesley, 1993.
Patrick Schmoll et al., La Société terminale 1. Communautés virtuelles,
Strasbourg, Néothèque, coll. « Futurs indicatifs », 2011.
Ferdinand Tönnies, Gemeinschaft und Gesellschaft (tr. fr. 1977), Communauté et
Société, Paris, Presses universitaires de France, 1922.
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Communication
Alain Kiyindou
Du point de vue étymologique, communiquer c’est rendre commun.
En effet, le premier sens du mot communication (xive siècle) est
« communier » c’est-à-dire « partager », « échanger ». Le deuxième sens
(xvie siècle) est « transmettre », « diffuser », voire « transporter ». Mais
actuellement, il ne signifie plus transporter (de la matière inerte
et vivante), il « évoque toutes les activités qui permettent aux êtres
d’échanger de l’information » (Cotta, Sfez, 1993, p. 5). La communication
est donc avant tout action. Elle est « l’action d’établir une relation
avec quelqu’un ou de mettre quelque chose en commun avec une
autre personne ou un autre groupe de personnes » (Lamizet, Silem,
1997, p. 120). Elle est « l’action de faire participer un organisme ou
un système situé en un point donné R aux stimuli et aux expériences
de l’environnement d’un autre individu ou système situé en un autre
lieu et à une autre époque E, en utilisant les éléments de connaissance
qu’ils ont en commun » (Moles, 1986, p. 25). Il convient de se rappeler
que communiquer n’est pas uniquement produire de l’information et
la distribuer, c’est aussi être attentif aux conditions dans lesquelles
le récepteur la reçoit, l’accepte, la refuse, la remodèle en fonction
de son horizon culturel, politique, philosophique et y répond à son
tour. La communication est, avant tout, rapport, c’est-à-dire une
relation reflétant les postures et les rythmes culturels, économiques,
politiques, ainsi que les verbes, les écrits, les sons et les images
connus et reconnus par les acteurs. La question de la participation
revêt tout son sens ici puisque l’expansion des TIC donne à chacun
une panoplie d’instruments qui permet de relever ou de mesurer les
réactions diverses et plurielles de ses interlocuteurs.
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Communication
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Une expérience anthropologique
La référence à la dimension culturelle, économique et politique ramène
la communication à une expérience anthropologique fondamentale
dans la mesure où il n’y a tout simplement pas de vie individuelle
ou collective sans communication (Wolton, 2005). S’exprimer, parler à
autrui et partager avec lui, c’est ce qui définit l’être humain. Elle est
le moyen d’entrer en contact avec l’autre. En effet, plus il est facile
d’entrer en contact avec lui, d’un bout du monde à l’autre, à tout
moment, plus les limites de la compréhension deviennent évidentes.
La dimension culturelle de la communication apparaît également
dans cette approche de Jürgen Habermas : « J’appelle culture le
réservoir de savoir où les participants de la communication puisent
les interprétations quand ils s’entendent sur une réalité quelconque
du monde » (Habermas, 1987, p. 152). La communication est donc une
notion à la fois complexe et simple. C’est tout simplement « ce qui
permet d’établir des relations entre des personnes, entre des objets,
ou entre des personnes et des objets » (Griveaud et al., 1983, p. 28),
c’est « l’énergie de la vie sociale » (Voyenne, 1979, p. 9).
Un vecteur de changement social
La communication joue un rôle social dans la mesure où elle participe
du changement social. La notion de changement est elle-même à
interroger et son approche peut varier selon qu’on se situe dans un
cadre où l’homme se définit comme individuel ou collectif. C’est là
qu’apparaissent des réappropriations et des manières de faire tendant
à adapter les dispositifs médiatiques à l’espace sociétal concerné.
Toutefois, constate Alfonso Gumucio Dagron, une analyse sommaire
des deux dernières décennies démontre que le projet hégémonique
transnational tend à dépouiller les récepteurs des instruments
critiques, au profit d’une fusion culturelle qui dérive facilement vers
la confusion (Gumucio Dagron, 1987). Cette confusion est accentuée
par l’opulence communicationnelle renforcée par le numérique. Cette
notion, chère à Abraham Moles, est calquée sur le concept d’opulence
matérielle tel qu’il a été introduit par John Galbraith, celui d’un être
qui se trouve disposer sans compter d’un certain bien (Galbraith,
1979). Pourtant, le numérique ne délivre pas d’excommunications,
entendons par là des exclusions communicationnelles.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Communication et développement
Cette approche prolonge la réflexion sur le changement social et l’inscrit dans une dimension plus complexe et historiquement connotée,
le développement, qu’il soit personnel ou collectif, économique, social
ou culturel, endogène, humain ou durable. Mais la relation de communication est aussi à comprendre en termes de confiance et méfiance,
soumission et domination, opposition et connivence, coopération et
compétition, alliance et conflit, autant d’éléments permettant de comprendre les acceptations et les rejets, les inclusions et les exclusions,
les accords et les désaccords.
Un outil au service de l’organisation
L’organisation apparaît tour à tour comme système, comme ensemble
politique engageant des liens spécifiques de type sociétaire ou communautaire, comme dynamique médiatique porteuse de médias et de
message, comme institution productrice de messages, de valeurs, de
comportements, comme système de signes ou système technique. Le
regard porté ici concerne les organisations aussi bien marchandes
que non marchandes, dans toutes leurs diversités (entreprise, association, hôpital…). Il concerne leur fonctionnement, leur structure
et leur développement. Alain Van Cuyck distingue deux niveaux par
rapport aux formes des organisations : un niveau purement physique
et matériel relevant des dispositifs techniques ; un niveau purement
symbolique qui relève des actes de langage et d’écriture et qui permet
de dire et signifier, de communiquer et d’agir (Van Cuyck, 2006). La
communication agit donc sur la culture d’entreprise, c’est-à-dire l’ensemble des valeurs, croyances, habitudes, comportements et normes
qu’on retrouve dans une organisation. « Ce qui définit la notion de
culture d’entreprise, c’est surtout ce qui tourne autour des valeurs. Ce
sont ces valeurs qui vont être utilisées pour développer le sentiment
d’appartenance à l’entreprise. Bien entendu, l’importance du rôle de
la communication aussi bien en interne qu’en externe, est capitale,
puisque c’est à travers la communication qu’on va essayer de faire
adhérer le personnel à la culture d’entreprise. » La communication devient donc un outil au service de l’organisation, pour la cohésion interne, l’efficacité professionnelle, les relations externes. Elle s’insère
dans le dispositif de fonctionnement général, et s’avère, tout comme
l’information, stratégique et fondamentale. Elle est donc, comme l’affirme Jean-Pierre Lehnisch « la composante d’un système global d’organisation des flux d’informations et des échanges » (Lehnisch, 2009).
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Communication
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Communication et culture
Le lien entre communication et culture peut s’analyser en termes de
communication des savoirs au musée, à la télévision, par le spectacle
vivant, dans les jeux vidéo… Approcher la communication par la
culture revient à s’opposer à la pensée instrumentale qui a dominé le
champ de la communication depuis sa naissance et qui se nourrit aujourd’hui de l’optimisme technologique. Pour reprendre les termes de
Jesús Martín-Barbero, la communication est une question de culture
et, partant, non seulement de connaissance mais aussi de re-connaissance (Martín-Barbero, 2002). La reconnaissance de l’autre devient
ainsi la base de la communication ; en d’autres termes la communication est parce qu’elle prend compte de l’autre, ou ne l’est pas. Elle
ne l’est pas quand elle est le théâtre des acceptations illusoires, des
accords factices, quand elle est, tout simplement, mépris de l’autre.
Communication et globalisation
Dans la lignée de la pensée « dépendantiste » et de l’École de Francfort,
de nombreux travaux continuent de s’interroger sur l’insertion des
formes culturelles étrangères. Elles affaibliraient, selon eux, la
conscience individuelle et l’identité nationale, point de vue qui a fortement marqué les politiques culturelles successives de la France et
qui s’exprime à travers l’expression « exception culturelle ». Ces dernières sont de plus en plus pensées en termes de standardisation. « En
produisant de nouvelles formes hybrides résultant de l’abolition des
frontières, entre les cultures noble et populaire, traditionnelle et moderne, locale et étrangère, l’industrie de la culture réorganise les identités collectives et les formes de différenciation symboliques » (MartínBarbero, 1993, p. 26). En effet, de nombreux chercheurs pensent qu’il
est important de concevoir une communication qui correspond mieux
aux réalités locales. À ce sujet, Juan Díaz Bordenave considère qu’il
est impossible de parler de communication sans prendre en compte
les caractéristiques de certaines régions et de leur population. Son
approche est celle d’une communication plus régionalisée, prenant
en compte la diversité culturelle, les coutumes et les habitudes des
populations concernées. Il s’agirait donc de dépasser cette contrainte
morale qui conduit à percevoir « la réalité à travers des idéologies
et des concepts étrangers, et apprendre à voir la communication et
l’adoption d’innovations à partir d’une perspective nouvelle » (DíazBordenave, 1974, p. 208). Si nous considérons que la communication
est un échange entre différents acteurs, il est utile de nous intéresser
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aux positions des uns et des autres, postures qui cachent d’ailleurs
un certain nombre d’intérêts qui dépassent le cadre de la communication. Ces intérêts peuvent être économiques, politiques, culturels,
géostratégiques. Il apparaît donc que la communication n’est pas un
simple dialogue mais le lieu d’affrontement de plusieurs logiques.
Dans cette confrontation se font jour des jeux d’acteurs, des stratégies de domination, d’exclusion, de différenciation…
Termes liés : connaissance, connexion, diaspora, réseaux
sociaux, mobile, téléphone portable, temporalités, territoires
Références
Jesús Martín-Barbero, Communication, Culture and Hegemony : From the Media to
Mediations, Londres, Sages, 1993.
Jesús Martín-Barbero, Des médias aux médiations. Communication, culture et
hégémonie, Paris, Éditions du CNRS, 2002.
Alain Cotta, « Aspect économiques de la communication », in Dictionnaire critique de
la communication, Lucien Sfez (dir.), PUF, Paris, 1993.
Juan Díaz Bordenave, « Communication and Adoption of Agricultural Innovations
in Latina America », [Cornell-CIAT International Symposium on
Communication Strategies for Rural Development, Cali., Colombia,
mars 17-22, 1974, Proceedings], Ithaca, Cornell University, New York,
1974, p. 208.
Sophie Griveaud et al., « Étude sémantique quantitative des termes information,
communication », Schéma et schématisation, no 19, 1983.
Alfonso Gumucio Dagron, « Interaction culturelle et communication populaire », TiersMonde, 1987, t. 28, no 111, pp. 585-594.
Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, 1987.
John Kenneth Galbraith, Théorie de la pauvreté de masse, Paris, Gallimard, 1979.
Bernard Lamizet, Ahmed Silem, Dictionnaire encyclopédique des sciences de
l’information et de la communication, Paris, Ellipses, 1997.
Jean-Pierre Lehnisch, La Communication dans l’entreprise, Paris, Presses
universitaires de France, 2009, pp. 9-13.
Abraham Moles, Théorie structurale de la communication et société, Paris, Masson,
1986.
Alain Van Cuyck, Pour une perspective en SIC du concept de formes
organisationnelles ; lire en ligne http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/
docs/00/49/46/31/TXT/AVC_rennes_2006.txt, dernière consultation le
1er juin 2014.
Bernard Voyenne, L’Information aujourd’hui, Paris, Armand Colin, 1979.
Dominique Wolton, Il faut sauver la communication, Paris, Flammarion, 2005.
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Computation
Bruno Bachimont
Souvent considéré comme un anglicisme, « computation » est un
terme d’origine latine et signifie le « calcul » ou l’« action de calculer ».
Le comput ecclésiastique renvoie par exemple au calcul pratiqué
par les clercs de jadis et les ecclésiastiques d’aujourd’hui pour
déterminer les fêtes mobiles en fonction des données astronomiques.
Mais il est vrai que le terme même de « computation » était peu
usité en français avant son emprunt à l’anglais, qui l’a adopté pour
qualifier le calcul et les sciences s’y rapportant : computer science
pour l’informatique, computational logic pour calcul symbolique ou
logique, etc. Si bien que ce mot est devenu en lui-même une histoire
linguistique complexe composée d’héritages, de transformations et
de circulations où une langue reçoit d’une autre ce que cette dernière
lui avait emprunté.
Mais derrière ce terme évoquant le calcul se dessine, par son retour
en force et sa généralisation dans les usages, un contexte culturel
façonné par l’information formalisée pour être calculée et manipulée
par les ordinateurs. Si le terme de « computation » n’est pas seulement une coquetterie lexicale mâtinée de latinisme et d’anglicisme
reflétant l’hégémonie du monde anglophone en général, et américain
en particulier, sur la conception et la maîtrise des outils du calcul,
c’est qu’il est devenu nécessaire de le mobiliser pour qualifier les évolutions que nous pouvons constater dans nos habitus de pensée et
de comportement. C’est d’ailleurs souvent sous la forme adjectivale,
« computationnel », que cette notion est mobilisée, pour venir enrichir,
voire subvertir, un substantif renvoyant à un déjà-là subissant l’impact du calcul et du numérique. On parlera ainsi d’une « raison computationnelle », d’« intelligence computationnelle », de « neurosciences
computationnelles » …
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
De la raison graphique à la raison
computationnelle
La notion de « raison computationnelle » mérite qu’on s’y arrête car
elle renvoie à une mutation culturelle importante, à laquelle nous
assistons et participons. Cette notion est construite en référence au
concept de « raison graphique », locution proposée par les traducteurs
de l’anthropologue britannique Jack Goody pour son ouvrage The
Domestication of the Savage Mind. Dans ce livre, Jack Goody étudie
les conséquences que produit pour une culture l’adoption de l’écriture comme outil intellectuel : il considère les transformations de la
manière de penser et de conceptualiser, et il en déduit qu’il existe une
rationalité spécifique associée à l’écriture, un mode de pensée impliqué et rendu possible par l’écriture.
L’idée sous-jacente est profonde mais simple. Si on considère l’écriture comme étant le moyen de consigner et d’enregistrer une information (les premières traces d’écriture retrouvées sont des inscriptions
comptables pour le gestionnaire, ou lexicales pour le scribe qui s’entraîne ou qui enseigne), ou une parole (l’écriture permet d’enregistrer
ce qui est dit), on comprend que l’écriture permet d’inscrire sur un
support stable et pérenne une information sinon volatile et éphémère
dans le temps de la parole (écriture du discours proféré), ou de la
pensée (écriture du discours intérieur), ou de l’événement (écriture
comptable). Ce faisant, elle offre au regard les éléments et les composants du discours ou de l’événement de manière simultanée et permanente : simultanée, car dans un écrit, tous les mots sont là ensemble,
en même temps, exposés au regard ; permanente car, contrairement à
la parole, tous les mots demeurent, indépendamment du regard que
j’ai sur eux, alors que je ne peux écouter les mots dans un discours
qu’au moment où ils sont proférés : à un moment donné, je n’ai plus
accès à ce qui a été dit (sinon dans ma mémoire), et pas encore à ce qui
va être dit. L’écriture permet de synthétiser (syn, « ensemble », thesis
« poser », donc « poser ensemble ») les éléments du discours dispersés
dans la succession temporelle de la parole, et cette synthèse offre
un synopsis (syn, « ensemble », opsis « voir », donc « voir ensemble »)
du discours où le regard de l’esprit peut se porter librement, sans la
contrainte du flux temporel de la parole. En particulier, alors que je
suis obligé d’écouter un discours dans l’ordre où il est dit, je peux le
lire, une fois qu’il est écrit, dans un autre ordre que celui dans lequel
il est consigné. Je peux le lire à l’envers, une ligne sur deux (le fameux
poème polisson de George Sand à Alfred de Musset), et me concentrer
sur certains mots, certaines parties plutôt que d’autres dans l’arbitraire de mon intérêt du moment.
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Computation
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Cette possibilité offerte par l’écriture de l’arbitraire du regard sur ce
qui est écrit, en opposition à l’asservissement de l’écoute à ce qui est
dit, entraîne une mutation profonde de notre rapport à la connaissance et au monde car on peut dès lors organiser différemment notre
représentation du monde : puisque l’on peut s’intéresser à des mots
arbitraires dans le discours écrit pour ne considérer qu’eux, plutôt
que de suivre l’ordre du discours, on peut reprendre ces mots pour en
produire un nouvel écrit, par exemple une liste, ou un tableau. À ce
moment-là, ce qu’exprime l’écrit n’est plus un discours, mais une organisation nouvelle où la liste prescrit un ordre entre les items qu’elle
comprend (selon qu’on la lise de haut en bas, de gauche à droite…,
on sous-entend une hiérarchisation), et propose une catégorisation :
le fait de réunir ces mots-là plutôt que d’autres dans une même liste
suppose qu’ils appartiennent, implicitement ou explicitement, à une
même catégorie. Par exemple, la liste de courses réunit les termes en
fonction de mes besoins d’acquisition ; une liste de verbes irréguliers
des exceptions à des règles de grammaire…
Autrement dit, l’écriture permet d’inaugurer une rationalité où l’on
catégorise le monde plutôt qu’on ne le raconte, où on le systématise
plutôt qu’on ne le mythologise.
De la raison computationnelle vers une nouvelle
rationalité : diversité culturelle et cognitive
La raison graphique inaugure donc une rationalité fondée sur des
structures graphiques renvoyant à des structures conceptuelles et à
des manières de penser. Nous connaissons aujourd’hui une évolution
majeure dans la mesure où ces espaces graphiques ne sont plus seulement le fruit de notre action d’écriture, mais deviennent le résultat
d’enregistrements automatiques et de transformations calculées par
la machine. L’écriture devient calculée.
En effet, l’écriture repose traditionnellement sur un acte de création
où les symboles sont choisis et produits par un auteur, comme ce que
je suis en train de réaliser en écrivant cette notice : je sélectionne sur
mon clavier les symboles permettant à ma pensée de s’exprimer. Seul
l’ordre du sens et de la pensée conditionne l’organisation des symboles écrits. Mais dans une écriture calculée, les symboles peuvent
être tant produits que transformés automatiquement selon un ordre
indépendant du sens et de la pensée. Depuis l’origine de l’écriture, on
s’était aperçu que l’on pouvait opérer une transformation des traces,
des inscriptions, et obtenir un résultat improbable et pourtant parfois
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signifiant. Puisqu’elles sont matérielles, on peut donc les manipuler,
selon des principes qui peuvent être arbitraires par rapport au sens
de ces symboles et de leur assemblage (des singes peuvent taper à la
machine). L’Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo) repose en partie
sur ce constat et confronte en permanence l’ordre du sens permettant
d’interpréter les constructions symboliques et l’ordre technique permettant de les produire et de les construire. Mais, avec le calcul, on
passe à la limite, si l’on peut dire. C’est que l’ordre technique s’autonomise en procédures automatiques et calculatoires, qui peuvent
s’appliquer de manière massive et autonome. L’écriture procède d’un
ordre qui devient inintelligible car les règles de calcul sont souvent
inconnues, et quand elles sont connues, leur complexité a pour conséquence qu’il devient difficile dès lors de comprendre pourquoi tel ou
tel résultat en découle. L’écriture calculée rompt potentiellement l’alliance du sens et de la trace.
Comment comprendre la portée de cette mutation ? Le calcul en luimême n’est pas ce qui importe, c’est ce sur quoi on l’applique. En
effet, un calcul reste une abstraction tant qu’on ne l’effectue pas sur
des entités. La raison computationnelle peut donc se comprendre
comme l’évolution de la raison graphique sous le coup du calcul.
La raison graphique se traduit par trois structures fondamentales : la
liste, le tableau, la formule (au sens mathématique). Que deviennent ces
structures quand on les mobilise via le calcul ? Considérons les deux
premières. Une liste calculée, c’est tout simplement un programme. La
liste devient une prescription permettant une exécution. Elle n’est plus
seulement une catégorisation, mais elle s’opérationnalise. Le tableau,
muni du calcul, devient un réseau et incarne désormais une figure de
la rationalité : on pense en réseau, on manage en réseau, il existe une
économie des réseaux, etc. Pourtant ce ne fut pas toujours le cas : dans
l’âge classique, le réseau est le labyrinthe, la complexité dans laquelle
on se perd. Le calcul permet de transformer le labyrinthe en réseau, de
passer d’une figure de la complexité indépassable à une maîtrise par la
distribution et la contribution du calcul.
La computation modifie donc profondément nos outils
d’enregistrement et de représentation. Elle opère sur deux dimensions
complémentaires : la saisie du réel, en permettant d’enregistrer les
événements du monde pour en faire des inscriptions calculables
d’une part ; la représentation et l’objectivation du réel en permettant
de transformer par le calcul ces enregistrements pour en faire des
représentations du monde éventuellement inédites, d’autre part. De
même que l’écriture permet de catégoriser, de construire des systèmes
en permettant de réfléchir (dans les deux sens du terme : penser mais
aussi renvoyer une image de quelque chose) le monde ou sur le monde,
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Computation
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le calcul permet de proposer une rationalité nouvelle qui n’a pas
encore son nom. Si, de fait, la pensée en réseau est certainement un
artefact du calcul, il reste à dégager les autres potentialités ouvertes
par la computation.
C’est une nouvelle économie de la pensée qui s’inaugure à présent.
Mais si on suit la métaphore économique, on constatera de la destruction créatrice : destruction, car le calcul aura pour conséquence
de créer du non-sens, ou de vider de leur sens certaines opérations
liées à l’écriture ; créatrice, car il rend possible des opérations dont la
pensée reste à construire. Quelle plus belle promesse pourrions-nous
imaginer ?
Car il s’agit bien d’une promesse à tenir et d’une chance à saisir. Les
calculs qui opèrent sur nos écritures sont effectués automatiquement,
mais conçus par des esprits qui en tant que tels appartiennent à
des traditions, s’inscrivent dans des projets, et recherchent du sens
à travers ces calculs. L’écriture calculée n’est donc pas un monstre
froid et anonyme : la neutralité matérielle de la machine et de son
calcul, qui relève d’une nécessité démontrée formellement et mise en
œuvre techniquement, procède néanmoins d’une histoire composée
de choix, de compromis, d’objectifs déterminés parmi des possibles
inventés par le faire technique et structuré par la nécessité logicomathématique. Il faut donc parler d’écritures calculées, et confronter
la pluralité technique dans sa dimension culturelle à la diversité des
interprétations qu’elle rend ouvertes et possibles.
Termes liés : algorithme, auteur, connaissance, langues,
littératie numérique, propriété intellectuelle, sérendipité
Références
Bruno Bachimont, Le Sens de la technique : le numérique et le calcul, Les Belles
Lettres, 2010.
Roger Chartier, Le Livre en révolutions, Paris, Textuel, 1997.
Jack Goody, La Raison graphique, Minuit, 1979.
Jack Goody, The Domestication of the Savage Mind, Cambridge, London, New York,
Cambridge University Press, 1977.
Bernard Stiegler, La Technique et le Temps, Galilée, 1994.
Christian Vandendorpe, Du papyrus à l’hypertexte. Essai sur les mutations du texte et
de la lecture, Paris, La Découverte, 1999.
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Connaissance
Joëlle Le Marec
Il n’est sans doute pas de concept qui ne soit tout à la fois autant
universel et aussi relié à une extrême diversité de phénomènes et de
pratiques culturellement et historiquement différenciés que celui de
« connaissance ». C’est d’ailleurs pourquoi nous éviterons ici le débat sur la distinction entre savoirs et connaissances, tant les débats
contemporains portent sur des modes de problématisation et des
usages par rapport auxquels cette différence importe assez peu. Nous
tenterons par contre très brièvement de suggérer des relations entre
connaissances (ou savoirs), représentations et données, en adoptant
successivement un point de vue plutôt épistémologique, puis davantage socio-politique.
Si l’on en reste à la manière dont ce concept est construit par nos
sciences et dont il met à l’épreuve celles-ci, la connaissance renvoie
à des partages très structurants entre les sciences de la nature, la
conception de la scientificité, qui mettent à l’épreuve l’idée d’une unité des sciences. Du point de vue d’une épistémologie aujourd’hui dite
« internaliste » (bien représentée par Gaston Bachelard), elle renvoie à
une conception exclusive de la méthode scientifique comme activité
de production de connaissances. Mais la connaissance renvoie également à une approche des savoirs qui a inspiré une évolution continue
des sciences anthroposociales, et même suscité la naissance de disciplines dédiées à une compréhension du phénomène des savoirs sociaux, comme dans le cas de la psychologie sociale. Les représentations
sociales (Moscovici, 1976) embrassent des formes de savoirs multiples
qui ne sont pas définis par défaut comme étant non savants (ou sauvages, ou profanes), mais qui sont décrits et analysés dans leurs manifestations multiples à toutes les échelles de la vie sociale (communications sociales ordinaires, médiatiques, institutionnelles…).
Il existe plus généralement un mode de production des savoirs au sein
même des sciences sociales, caractérisé par l’abandon de l’illusion
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Connaissance
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d’une coupure entre les savoirs scientifiques et la pensée sociale et
par le choix de renoncer au principe idéal d’une autonomie de la
connaissance par rapport aux enjeux des communications sociales
(Passeron, 1991).
En outre, la connaissance est également l’enjeu d’un débat scientifique et culturel de fond, entre les sciences cognitives ainsi qu’une
partie de l’anthropologie qui postulent une universalité des rapports
à la connaissance, déterminés in fine par la matérialité physique des
processus mentaux (Sperber, 1996), voire par le fonctionnement cérébral, et une très large communauté des chercheurs qui postulent
une irréductible complexité des phénomènes culturels et sociaux.
Les études de sciences (notamment en sociologie, philosophie et histoire des sciences, sciences de l’information et de la communication)
contribuent elles-mêmes à une transformation des points de vue sur
les savoirs, avec des travaux qui convergent vers une contestation du
monopole de la légitimité des savoirs académiques (y compris des savoirs sur la nature), une attention soutenue à toutes les formes de production des savoirs et de leurs usages sociaux (notamment les formes
de l’expertise, le développement des sciences dites « citoyennes », la
patrimonialisation des savoirs comme éléments fédérateurs des communautés culturelles, etc.) et, symétriquement, une attention portée
à l’hétérogénéité des pratiques scientifiques et de leurs dimensions
culturelles (Latour et Callon, 1991 ; Pestre, 2006).
La reconnaissance en tant que connaissance légitime de savoirs et de
savoir-faire indigènes ou locaux, d’une part, et la contestation d’un
principe de rationalité pure dans les sciences professionnelles, d’autre
part, concourt à faire du rapport aux savoirs le foyer d’une reconfiguration des rapports entre sciences et société, par la prise en compte de la
complexité et du caractère vivant de ces rapports aux savoirs.
On a donc, au plan épistémologique, d’un côté, un débat sur la spécificité des modes de production des connaissances sur la société et
la culture et, de l’autre, un débat sur le monopole de la légitimité des
savoirs académiques et la reconnaissance d’une pluralité des rapports
aux savoirs dans des sociétés vivantes et complexes. Ces tendances
constituent des ouvertures majeures pour la réflexion sur la connaissance, mais elles facilitent également une très forte concurrence des
instances politiques et économiques qui ont le pouvoir d’inscrire et de
transmettre des rapports à la connaissance qui servent leurs intérêts.
En effet, nous pouvons également définir la connaissance non plus
d’un point de vue épistémologique comme le résultat ou l’enjeu des
sciences, mais comme un objet empirique qui peut être produit,
conceptualisé ou utilisé par tout un chacun, et qui est actuellement
au cœur d’une concurrence entre différents projets politiques et
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économiques. Ce qu’on a appelé l’« économie de la connaissance »
et qui a pris la suite du projet économico-politique d’une société de
l’information est actuellement central dans la mondialisation d’un
marché de la mise en relation, de la circulation et de la manipulation
des données, d’une part, et de la conception et du management de
dispositifs de création de représentations, d’autre part. L’informatique
a pu ainsi tirer la connaissance vers les notions d’information ou
de donnée, à la faveur d’un usage scientifique assez consensuel de
la notion de donnée comme matériau exploitable par des méthodes
rationalisées.
Dans cette économie de la connaissance, les sciences sociales deviennent non plus des instances d’élaboration et d’expression critique de savoirs (et notamment des savoirs sur les modes de productions des savoirs), mais des disciplines productrices de représentations qui ont une valeur d’échange sur le marché, et productrices de
procédures de management de la vie sociale qui sont également des
produits et des services dans le champ de l’économie de la connaissance. Le droit a d’ailleurs fait son entrée dans la réflexion relative
aux conditions de circulation et de transformations des savoirs et de
la connaissance, notamment par les débats sur les usages des savoirs
indigènes, associés au développement des recherches internationales
dites « participatives », dans les domaines de la santé et de l’environnement. La réflexion actuelle sur les biens communs traite également
de la propriété de connaissances à partir d’usages et de conceptions
de la valeur non nécessairement marchands.
Si l’on s’en tient à ces conceptions économico-politiques de la
connaissance comme objets produits ou utilisés, en particulier des
données ou des représentations, on se trouve également au cœur de
vifs débats entre une qualification très normative de la connaissance
sur des bases techniques (et épistémologiques), et un questionnement permanent sur le caractère culturellement extrêmement situé
et vraiment réducteur de cette conception technique et normative de
la connaissance.
Celle-ci est promue par un marché de l’innovation en informatique et
réseaux, soutenue par des opérateurs marchands internationaux et
naturalisée par les acteurs sociaux et les instances politiques comme
un état devenu « naturel » de l’évolution des sociétés. Les sciences sont
d’ailleurs très largement incitées par les États et par l’Europe à se
mettre au service de ce marché de l’innovation basé sur la production
et la gestion de données et de représentations.
Cependant, simultanément, la conscience croissante des risques
d’installation de rapports de domination hégémoniques, l’analyse de
la complexité des enjeux identitaires liés à la maîtrise des dispositifs
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Connaissance
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d’écriture et de lecture, la revendication d’une ouverture des points
de vue sur la société et son devenir, la conscience du caractère fondamentalement relatif des représentations culturelles et politiques
des dynamiques sociales (Jeanneret, 2000), obligent à s’interroger
sur la « naturalité » supposée d’une conception universalisante de la
connaissance comme données ou comme représentations mondialement normées et supposées interchangeables.
Termes liés : biens communs, computation, documentation,
données personnelles, industries culturelles, littératies
numériques, médiations numériques du patrimoine,
patrimoine, pratiques, public/usagers
Références
Yves Jeanneret, Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? Lille, Presses
du septentrion, 2000.
Bruno Latour, Michel Callon (dirs.), La science telle qu’elle se fait. Anthologie de la
sociologie des sciences de langue anglaise, Paris, La Découverte, 1991.
Serge Moscovici, La Psychanalyse, son image et son public, Paris, Presses
universitaires de France, 1976.
Jean-Claude Passeron, Le Raisonnement sociologique. L’espace non poppérien du
raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991.
Dominique Pestre, Introduction aux Science Studies, Paris, La Découverte, 2006.
Dan Sperber, La Contagion des idées. Théorie naturaliste de la culture, Paris, Odile
Jacob, 1996.
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Connexion/Déconnexion
Francis Jauréguiberry
Rapporté aux technologies de la communication, le terme de
« connexion » renvoie essentiellement à une problématique de l’accès.
Être connecté signifie avant tout avoir accès à l’internet et à un réseau
de télécommunications mobile. La mise en place des connexions ces
vingt dernières années a été très rapide. Par exemple, en France, le
taux d’équipement en téléphones portables est passé de 4 % en 1997 à
96 % dix ans plus tard, et le pourcentage des internautes parmi la population de plus de onze ans a bondi de 22 % en 2001 à 72 % en 2011. Au
niveau mondial, le nombre d’internautes a doublé ces cinq dernières
années, passant de 1,15 milliard en 2007 à 2,27 milliards en 2012.
Mais cet accès a aussi été inégalitaire. Ainsi, tandis que les pays européens et le Japon ont un taux de pénétration de l’internet de plus de
80 % dans leurs populations, l’Inde atteint tout juste 10 %, et les pays
d’Afrique subsaharienne moins de 5 %.
La notion de fracture numérique, telle qu’elle est exposée dans les
années 1990, désigne cette inégalité et renvoie donc exclusivement à
un problème d’accessibilité technique. Les info-riches sont ceux qui
bénéficient de l’accès matériel aux réseaux et terminaux adéquats, et
les info-pauvres sont ceux qui en sont privés. Des statistiques sont
régulièrement établies et montrent toutes que plus on se situe dans
un pays ou une région pauvre et dans une catégorie socio-professionnelle basse, et moins on a de chance d’être connecté. Ce constat,
doublé d’une opinion très majoritairement positive sur les effets des
technologies de la communication (synonymes d’échange d’informations, d’ouverture culturelle, de partage d’expériences, de constructions collaboratives et de multiplication de débats pour l’internet, et
d’immédiateté, de simultanéité et de quasi-ubiquité pour le téléphone
portable), a réduit la non-connexion à n’être que déficience, manque
ou retard contre lesquels il s’agit de se mobiliser.
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Connexion/Déconnexion
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Non-connexion
La lutte contre cette inégalité s’est muée en enjeu des politiques d’aménagement territorial. Une pleine intégration tant économique que sociale et culturelle nécessite l’innervation la plus fine possible des territoires par les réseaux les plus performants possibles. Selon cette perspective, la non-connexion est subie et renvoie à une inégalité en termes
d’accès. Notons au passage que, dans cette course à la connexion, le
local et ses particularismes sont souvent présentés comme synonymes
d’enfermement culturel et d’incapacité à s’ouvrir à la connaissance
universelle, tandis que le global est d’entrée pensé en termes d’ouverture et de savoir partagé. Ce qui est évidemment loin d’être le cas, l’un
n’excluant pas l’autre, et qui pose la question de la place des cultures
minoritaires et des langues les moins répandues sur l’internet.
À cette approche globale des non-connexions pensées à partir d’une
problématique de l’accès et comme une fracture à résorber, va s’ajouter
dès le début des années 2000 une catégorisation beaucoup plus fine et
segmentée en termes de disparités d’attentes et d’inégalités d’usages
à partir d’observations de conduites de non-connexion dans lesquelles l’aspect économique n’intervient que marginalement. Quatre
raisons sont alors avancées pour expliquer ces non-connexions : la
technophobie (crainte irrépressible d’une absorption de soi par l’ordinateur, peur des effets néfastes des ondes des portables, aversion
générale pour les technologies) ; le refus idéologique (essentiellement
autour des thèmes de la réification du monde, de sa mécanisation et
de sa progressive déshumanisation) ; le statu quo (les pertes perçues,
craintes ou imaginées sont mesurées à l’aune des bénéfices attendus
et le constat porte au statu quo, donc à la non-connexion) ; le déficit en
termes de dispositions culturelles ou cognitives. Cette dernière opère
une distinction entre, d’un côté, ceux qui possèdent les capacités cognitives et le capital culturel leur permettant de chercher une information adéquate en fonction de leurs besoins et de leurs attentes, de
la traiter, de lui donner du sens et de la hiérarchiser selon un système
de valeurs, et, de l’autre côté, ceux qui n’ont pas les moyens d’y parvenir ni donc d’en tirer de réels avantages.
Mais il existe aussi une forme particulière de non-connexion qui
semble se développer au fur et à mesure que l’idéal de la société de
l’information (tout le monde constamment connecté) semble plus
proche : la déconnexion. Rarement totale (abandon définitif de la
technologie), la déconnexion est plutôt segmentée (dans certaines situations et à certaines heures) et partielle (seuls certains usages sont
suspendus). Elle est portée par des personnes qui ne sont ni en difficulté économique (au contraire, elles appartiennent en majorité aux
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
couches moyennes et supérieures), ni culturellement marginalisées
(elles ont toutes un diplôme, un emploi et mènent plusieurs activités
sportives ou culturelles), ni en déficit cognitif face aux technologies
(elles les manipulent depuis des mois ou des années). Il est donc hors
de question de les classer, selon une logique diffusionniste, parmi
les retardataires. Pas plus que parmi ceux qui, vivant ruptures ou
changement dans leur vie, en viennent à abandonner l’usage de ces
technologies. Au contraire, il s’agit la plupart du temps de personnes
parfaitement intégrées, très connectées et sachant parfaitement utiliser ces technologies. Bien plus : ce sont souvent de gros usagers utilisant depuis longtemps ces technologies qui en viennent à adopter des
conduites de déconnexion.
Déconnexion
Parler de déconnexion conduit à un renversement total de la perspective des premières études qui portaient sur la fracture numérique
(sans pour cela remettre en cause leur pertinence) : le non-usage renvoie ici non plus à un déficit d’équipements, mais à une saturation
de sollicitations informationnelles rendue possible précisément par
ces équipements. On passe d’une problématique de l’accès à celle de
l’excès. Il ne s’agit plus d’aborder les déconnectés comme ceux qui
restent à la traîne ou en dehors de l’innervation télécommunicationnelle du monde par manque de moyens économiques, de capital culturel ou de capacités cognitives, mais comme ceux qui, parfaitement
équipés et pleinement connectés, subissent les excès de cette mise
en connexion généralisée et décident volontairement d’en limiter les
effets négatifs par des formes de non-usages.
Les premières recherches menées selon ce renversement de problématique montrent qu’il s’agit d’un phénomène minoritaire, individuel et presque toujours partiel. Il ne conduit qu’exceptionnellement
à un rejet total des technologies de communication. Il s’agit plutôt de
pauses, de parenthèses silencieuses, de disparitions éphémères, de
prises de distance. Certes, les cas de burn out liés à des situations
catastrophiques de saturation télécommunicationnelle se multiplient : expérimentant avec chaque fois plus de difficulté l’écart entre
les sollicitations dont il est l’objet par l’intermédiaire des technologies de communication et les ressources (en particulier temporelles
et organisationnelles) dont il dispose pour y répondre, l’individu en
surchauffe informationnelle peut en venir à « craquer ». Le rejet des
technologies de communication devient alors partie intégrante de
cette attitude de défense ultime qui permet à l’individu de survivre
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Connexion/Déconnexion
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quand il ne peut plus lutter. Mais ces cas sont rares et relèvent moins
d’une déconnexion volontaire visant à maîtriser des flux communicationnels que d’une déconnexion mécanique visant à ne pas se laisser
emporter par un afflux ingérable. À l’image d’un disjoncteur qui saute
lorsque l’intensité électrique devient trop importante, la déconnexion
est ici purement réactive.
Les conduites de déconnexion volontaires se situent toutes en deçà de
telles réactions extrêmes. Elles visent précisément à éviter de rentrer
dans la zone rouge du « syndrome d’épuisement professionnel » (burn
out) et de subir des situations de surcharge informationnelle insupportables. Face à un nombre de courriels ou de textos manifestement
trop important pour être raisonnablement géré, à un nombre d’appels téléphoniques trop fréquents pour ne pas être perturbateurs, à
la dimension trop chronophage de l’entretien des réseaux sociaux sur
l’internet, des tactiques de réajustement visant à reprendre la main
dans la gestion de son temps et de ses occupations apparaissent. Il
s’agit par exemple de mettre sur « off » son téléphone portable dans
certaines circonstances ou plages horaires, de déconnecter son logiciel de courrier électronique en choisissant de ne l’interroger que de
façon sporadique, d’accepter de ne pas être constamment branché
sur ses réseaux sociaux, ou de refuser d’être géolocalisable où que
l’on soit. Ces pratiques ne sont pas synonymes d’une déconnexion
totale ni d’un rejet global des technologies de communication, loin de
là, mais d’une déconnexion partielle gage de leur maîtrise et de leur
usage raisonné.
La déconnexion dont il est question ici renvoie à la défense d’un
temps à soi dans un contexte de mise en synchronie généralisée, à
la préservation de ses propres rythmes dans un monde poussant à
l’accélération, au droit de ne pas être dérangé dans l’environnement
télécommunicationnel intrusif et à la volonté d’être « tout à ce que
l’on fait » dans un entourage portant au zapping et à la dispersion.
L’attente, l’isolement et le silence, longtemps combattus, car
synonymes de pauvreté, d’enfermement ou de solitude, réapparaissent
dans ce cadre non plus comme subi, mais choisi. Microdéconnexion,
déconnexion partielle, déconnexion choisie, il s’agit toujours de
décisions volontaires visant à réintroduire l’épaisseur du temps de la
maturation, de l’introspection, de la réflexion ou de la méditation là
où le heurt de l’immédiat et de l’urgence oblige à réagir trop souvent
sous le mode de l’impulsion. L’idéal recherché n’est pas de se couper
des flux télécommunicationnels mais de parvenir à leur maîtrise,
c’est-à-dire à les utiliser sans en devenir l’esclave.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Termes liés : agrégation, augmentation, fracture numérique,
langues, médias, public/usagers, territoires
Références
Francis Jauréguiberry et Serge Proulx, Usages et Enjeux des technologies de
communication, Toulouse, Érès, 2011.
Francis Jauréguiberry, « L’exposition de soi sur internet : un souci d’être au-delà du
paraître », in Les Tyrannies de la visibilité (éds. N. Aubert et C. Haroche),
Toulouse, Érès, 2011, pp. 131-144.
Francis Jauréguiberry, « Pratiques soutenables des technologies de communication »,
International Journal of Projectics, no 6, 2010, pp. 107-120.
Francis Jauréguiberry, « De l’usage des technologies de l’information et de la
communication comme apprentissage créatif », Éducation et Société,
no 22, 2008, pp. 29-42
Francis Jauréguiberry, « La déconnexion aux technologies de la communication »,
Réseaux, no 186, 2014, pp. 17- 49.
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Curation
Chloé Girard
Le terme de « curation » a fait son apparition, et même le buzz, en 2010.
Il s’agit d’un terme directement issu du web participatif, né dans les
années 2000, dans lequel l’internaute n’est plus seulement un visiteur, mais devient un acteur : il ouvre des blogs, poste des commentaires, appartient à des réseaux sociaux, publie en ligne et répond à
des questions sur des forums. Les outils de publication en ligne, quel
que soit le type de publication, article, site, commentaire, texte, vidéo,
image…, sont accessibles à chacun sans ou à peu de frais. La barrière économique à l’entrée en édition, en création et en publication
de contenus tombe. La quantité de contenus en ligne croît de façon
exponentielle. Il devient donc nécessaire de sélectionner l’information pertinente non plus en amont, comme le font les éditeurs traditionnels qui doivent assumer les coûts de la chaîne de l’imprimé, mais
en aval. C’est un changement radical dans l’économie du document et,
par conséquent, dans les métiers de l’information.
La « revue de presse » est devenue la « veille numérique », avec l’assistance de moteurs de recherche de plus en plus performants et
raffinés. Une fois le tri et la localisation assurés, encore a-t-il fallu
administrer le classement de ces références et leur suivi, car l’information en ligne augmente et s’actualise régulièrement. Le bookmark,
vite dépassé, a laissé la place à des outils d’agrégation de sources,
de syndication. Le plus connu d’entre eux, et longtemps regretté, fut
Google Reader. Ce type d’outil permet d’afficher et de classer les flux
RSS de nombreux sites. Un flux RSS est un fichier contenant certaines
informations sur un document, en général son titre, un résumé et le
lien vers le document lui-même. Le flux RSS d’un blog contient ainsi
les informations sur chaque nouveau billet, et il n’est pas nécessaire
d’aller chaque jour sur tel ou tel blog pour être informé de ce qui a été
publié. Des sources nombreuses et éparses sont ainsi réunies dans un
seul et même outil, un seul et même lieu.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Ces outils présentent cependant peu de filtres. On s’abonne à un flux
et l’ensemble des informations contenues est affiché. Au besoin de
localisation et de centralisation des sources s’est donc rapidement
ajouté le besoin de différencier les sources en termes de qualité.
En 2007 et 2011, Google implémente PageRank, puis Panda, deux
algorithmes de classement des sources basés sur leur popularité.
Une source vers laquelle plus de liens pointent, une page davantage
visitée, une page liée elle-même à d’autres pages populaires, est alors
mieux classée qu’une page confidentielle et sort parmi les premiers
résultats de recherche. La recommandation, alors encore passive,
devient, ou redevient, le maître mot de la visibilité d’un contenu.
Citation, viralité et signaux forts
Avec l’émergence presque simultanée des outils de réseaux sociaux, de
micro-blogging, la recommandation devient entre-temps active (avec
le fameux like) et virale, presque compulsive. Il est aujourd’hui difficile de trouver un site ne proposant pas de partager son appréciation
avec l’ensemble de son réseau. Chaque membre dudit réseau ayant
lui-même son propre réseau, etc. Et, sur un même site, le choix d’un
client devient immédiatement l’objet d’un lien vers des produits « similaires » ou vers un autre produit ayant intéressé les autres clients,
proche de ce que vous avez vous-même acheté.
Si l’on ajoute à cela que la grande majorité des internautes ne dépasse
pas les premières pages de résultats dans Google, on comprend alors le
mécanisme d’amplification de signaux déjà visibles que cela entraîne.
Ce nouvel amalgame d’outils et de comportements favorise le buzz,
cette « information qui fait du bruit » mais qui crée aussi du bruit, au
sens de signal empêchant de distinguer une donnée plus ténue.
En 2010, lors de l’explosion du terme « curator » (qui pratique la curation), le paysage de l’accès à l’information en ligne est donc celui-ci :
recommandation systématique et virale, « mesure de la popularité des
pages web » (page ranking), et amplification des signaux forts, difficulté à repérer les signaux faibles, c’est-à-dire les informations riches
mais moins bien référencées.
Le rôle du curateur
Le curateur est justement l’expert qui va agréger et présenter les
sources propres à son domaine indépendamment de la force du
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Curation
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signal. Il sait contrebalancer le bruit généré par les « outils froids »
du réseau, algorithmes et autres automatismes, et y apporter sa
propre évaluation.
Le curateur va évaluer, sélectionner, organiser et exposer des informations. À ce titre, il est comparable au conservateur de musée (« curator » en anglais), dont le rôle est également l’évaluation, la sélection,
l’achat, la conservation et la mise à disposition, l’exposition, d’un patrimoine artistique. Le curateur numérique a pour vocation d’être un
conservateur du numérique dans son domaine. Comme le conservateur de musée, il n’a pas vocation à tout conserver mais au contraire
à sélectionner finement, à exhumer les signaux faibles et néanmoins
fondamentaux dans son domaine d’expertise.
La curation consiste bien sûr d’abord en un travail de veille, de
dégrossissage, exploitant les outils classiques de flux RSS et de réseau.
Elle se poursuit avec des outils dits « chauds », qui lui permettent de
sortir de l’automatisation et du traitement de lots. Scoop.it permet par
exemple de sélectionner des pages unitaires au cours de la navigation
et de les rassembler en un même lieu. Pearltrees offre d’organiser
l’information en suivant un modèle de « cartographie mentale » (mind
mapping), donc une logique, une sémantique qui dépassent largement
la classification chronologique des blogs ou le « marquage » (tagging)
rudimentaire distinguant des rubriques thématiques. Le curateur
crée du sens en organisant les données.
Le curateur construit une information, gère des connaissances, édite
et partage un contenu expert et limité à un domaine précis. Il contrebalance l’infobésité du web par un filtrage technique et humain. Dans
une économie de l’abondance, le curateur crée du rare. À tel point que
de nombreux commerciaux s’en emparent pour se démarquer en tant
que « spécialistes » et positionner leur entreprise comme telle.
Les mots-clefs de la curation sont donc finalement ceux de tri, d’organisation et de spécialisation. Un curateur n’est pas un généraliste, il se
concentre sur un sujet et agrège l’information fine autour de ce sujet.
Qu’en est-il de la curation quant à la
diversité culturelle ?
La curation trouve une part de sa signification dans la mise en
lumière de signaux faibles. Elle offre en cela un atout pour une plus
grande diversité culturelle. Mais comment trouvons-nous le site
d’un curateur sur un sujet donné ? Cela demande inexorablement
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le passage par un moteur de recherche en ligne et à nouveau une
classification dépendante de la recommandation.
Scoop.it suggère des sources à partir de moteurs de recherche et de
recommandation. Un curateur, aussi expert soit-il, ne sera pas visible
uniquement de par sa qualité, laquelle n’a pas d’existence intrinsèque.
Que cela soit dans l’économie numérique ou dans l’économie papier,
l’impact d’une source fait loi, fait sa qualité. Aussi discutable ce
mécanisme soit-il, une source tire son autorité du nombre de citations
qu’elle reçoit.
Michel Foucault écrivait en 1970 que le commentaire donne son existence au « texte premier ». Sans commentaire, sans citation, un texte,
un site n’existent pas. Il en est toujours ainsi aujourd’hui. C’est
donc en définitive toujours à l’internaute, au chercheur, de se donner
le mal de dépasser cette limite afin de dénicher lui-même le curateur ou la source peu visible qui l’intéressera. Comme l’écrivait déjà
en 1996 Ignacio Ramonet dans un éditorial du Monde diplomatique,
« S’informer fatigue ». La question à l’époque était celle du travail long
du journaliste et de l’investissement du lecteur.
Quand tous les médias semblent emportés par la vitesse, l’accélération, la fascination de l’instantanéité, du « temps réel », nous disons
que l’important c’est de ralentir, de freiner, de se donner le temps
d’analyser, de douter, de réfléchir.
Cette réflexion semble correspondre à celle du curateur numérique
d’aujourd’hui et de son lecteur qui doit lui-même s’investir dans sa
recherche au-delà des premières pages de résultats.
Termes liés : agrégation, algorithme, documentation, édition,
journalisme, médias, patrimoine, sérendipité, temporalité
Références
Michel Foucault, L’Ordre du discours, leçon inaugurale au Collège de France
prononcée le 2 décembre 1970, Paris, Éditions Gallimard, 1973.
Ignacio Ramonet, « S’informer fatigue », Le Monde diplomatique, février 1996 ; lire en
ligne http://www.monde-diplomatique.fr/1996/02/RAMONET/2393.
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Design
Nicole Pignier
Si le design est né avec l’industrie au xixe siècle pour fonder un
processus créatif apte à assurer la cohérence entre les impératifs
techniques de fabrication, la structure interne de l’objet, sa valeur
d’utilisation et son aspect (Guidot, 2005), le design numérique est né
avec l’industrie numérique. Ce dernier consiste en « l’application du
processus du design sur les objets connectés issus des technologies
de l’information et de la communication. Ces nouveaux objets […]
sont une hybridation de produit, de service, de réseau et de personne »
(Fréchin, 2006). Le design numérique concerne ainsi les usages, les
services liés aux objets matériels connectés et aux objets logiciels de
la vie quotidienne.
Une pluralité d’approches
Une réelle pluralité conceptuelle caractérise cette discipline. Tandis
que certains designers numériques conçoivent le processus créatif comme relevant du design interactif, d’autres le pensent comme
relevant du design d’interaction ou encore du design d’expérience,
… Orienté vers le design interactif, le processus créatif met l’accent
sur la manière de « dialoguer » avec la machine pour entrer des commandes et attendre la réponse du système logiciel, matériel, via une
interface la plupart du temps graphique ou tangible.
Quand il s’axe vers le design d’interaction initié par Bill Moggridge
dans les années 1980, le processus de design numérique pense la relation de l’usager à la machine comme une relation sensible, fondée
sur des actions réciproques entre deux ou plusieurs acteurs et pas
seulement utilitaire ou juste orientée vers l’encodage-décodage des
données. Objectivement, les deux acteurs en interaction ne se situent
pas au même niveau, l’un est programmé, l’autre pas. Cependant, le
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
design fait oublier parfois que cette relation est dissymétrique, l’usager se représentant alors l’objet numérique comme un alter ego qui
réagit à ses sollicitations et l’invite à le solliciter, dans une interaction sensible.
Le champ du design numérique fait ainsi appel non seulement aux
disciplines qui permettent d’améliorer la compréhension des interfaces hommes/machines, de concevoir des systèmes efficaces comme
l’ergonomie, les sciences cognitives, mais aussi aux disciplines qui
permettent d’appréhender le sens, les sens de la relation de l’usager
à l’objet et/ou au service, telles que la sémiotique, la philosophie, la
psychologie, l’anthropologie, la sociologie.
La question de la finalité
Au-delà de la diversité des approches du design numérique, un socle fondateur subsiste : le design appliqué aux objets connectés réunit toujours
un dessin et/ou des desseins. Le nom « design », emprunté au substantif
anglais design, lui-même issu du verbe latin designare, signifie à la fois
dessiner, c’est-à-dire représenter un objet de manière graphique, dessinée, et avoir un dessein, c’est-à-dire mûrir un projet, une position éthique.
Le dessin comprend la conception des formes, des couleurs, des tailles
mais aussi des fonctionnalités, de la performance, le choix d’un système technologique, le choix de matériaux plus ou moins écologiques.
Le dessein qui sous-tend le dessin comprend quant à lui les objectifs
attribués à l’objet, aux services numériques tels que pouvoir communiquer, s’informer et informer, apprendre à lire, à jouer mais aussi
les finalités. Par exemple, l’idéologie technique donnant lieu à une
éthique normative, dominante, la finalité de l’usage d’un robot dans le
cadre du maintien des personnes âgées à domicile peut être de favoriser le mieux-vivre, le bien-être des personnes âgées, en les rendant
autonomes matériellement avec un robot qui va traiter leur courrier,
leur lire le journal en remplacement des aidants. La finalité des objets
et des supports numériques à destination des enfants peut être de favoriser le mieux-vivre, le bien-être des enfants et de l’environnement
collectif en les rendant autonomes avec un objet qui va lire les textes,
en proposer une représentation animée sans présence d’adultes et en
remplacement des supports traditionnels.
Le dessein, à savoir la finalité des objets et des services numériques,
mérite d’être davantage questionné par les politiques, les chercheurs,
qu’il ne l’est actuellement, dans la mesure où l’on tend mondialement,
sous la diversité des objectifs, à une unicité des desseins, favorisée par
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Design
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l’idéologie technique qui laisse croire que les machines numériques
résolvent possiblement tous les maux de l’humanité, travaillant à
notre mieux-être collectif. Leurs conceptions permettraient de tirer
l’humanité vers le haut en trouvant des solutions au maintien des
personnes âgées à domicile, aux apprentissages des enfants, aux
problèmes environnementaux, … Ces thèses, répandues dans toutes
les couches des sociétés, se retrouvent d’ailleurs dans l’ouvrage
philosophique de Jean-Michel Besnier, Demain, les posthumains. Le
futur a-t-il encore besoin de nous ?
La diversité d’être au monde peut-elle se résoudre
à l’être au monde numérique ?
Globalement, la transformation de l’adjectif « numérique » en substantif
« le numérique » ainsi que la généralisation abusive et erronée de la
qualification « intelligent » ou « smart » attribuée aux objets numériques
– aptes à ne faire que ce pour quoi ils ont été programmés – sont
l’expression d’une finalité imposée par l’industrie numérique dans
laquelle se coulent nombre de designers, chercheurs, médias, politiques
et usagers. Et en réalité, dans des régions défavorisées du monde,
certains enfants et adultes n’ont pas suffisamment de compétences
linguistiques pour pouvoir décider, participer activement à la vie en
société, mais ils ont un téléphone mobile. Tout le monde peut-il se
satisfaire de cette illusion que les objets numériques vont apporter
aux usagers connectés un mieux-vivre dans la mesure où les contenus
vocaux, par exemple, avec le principe de géolocalisation, peuvent
guider, dicter les actions de chacun, à tout moment ?
La question du dessein, de la finalité du design et de l’usage, dépasse
largement celle de l’objectif. Pour préserver la diversité des manières
de vivre la culture, d’être aux autres, on ne peut qu’inviter l’ensemble
des acteurs politiques, médiatiques et universitaires, à écouter, à appréhender les différentes conceptions que les usagers peuvent avoir
du mieux-vivre, du bien-vivre en société, dans leur société. Bien
au-delà d’une question de générations, l’aspiration à une société favorisant la diversité des techniques et des supports traditionnels et
numériques au lieu d’une société favorisant le règne des techniques et
des supports numériques est pourtant réelle et mérite débat car elle
exprime la diversité d’être au monde qui ne se résout absolument pas
à l’être au monde numérique (Pignier, 2013).
Ainsi, des objets numériques pour le maintien des personnes âgées à
domicile peuvent à dessein ne pas avoir de fonctions trop sophistiquées
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
comme la capacité à lire les émotions sur le visage de la personne ou
à converser avec elle. Cela afin de ne pas se substituer à la présence
humaine en face-à-face direct. Doit-on soutenir ce dessein fondé sur la
non-substitution à l’humain de robots, ou l’évincer au profit de celui
qui dispense l’usager de relations humaines immédiates ?
Dans le cadre de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, certaines applications numériques à utiliser en classe pour créer un album peuvent favoriser la diversité des approches scripturales et éditoriales, l’objectif n’étant pas de tout réaliser sur l’ordinateur – illustrations vectorielles, écriture au clavier – mais de se servir de l’application comme d’un intégrateur d’écriture manuscrite, d’illustrations
à la peinture, au crayon… Doit-on soutenir le dessein de la diversité
des techniques et des supports, créatrice de la culture, ou l’évincer au
profit du « passage », de la « conversion » aux technologies numériques
pour faire de la culture une organisation essentiellement numérique ?
Les organisations politiques, quel que soit leur niveau, au lieu de
suivre le dessein dominant de la conversion au « numérique », n’auraient-elles pas intérêt, pour favoriser la diversité culturelle dans tous
les domaines, y compris au sein du design numérique, à questionner
les limites du processus technologique et religieux d’une conversion
aveuglante, comme le rappelle Milad Douehi (2008) ?
Termes liés : ergonomie des interfaces, art et science, littératie
numérique, public/usagers
Références
Jean-Michel Besnier, Demain, les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de
nous ?, Paris, Hachette Littératures, coll. « Haute Tension », 2009.
Milad Douehi, La Grande Conversion numérique, Paris, Seuil, 2008.
Jean-Louis Fréchin, www.nodesign.net/blog/index.php/2006/11/14/25-le-designnumerique, 2006 (dernière consultation le 1er juin 2014).
Raymond Guidot, Histoire du design de 1940 à nos jours, Paris, Hazan Éditions, 2004.
Nicole Pignier, « De la vie des textes aux formes et forces de vie. Texte, sens et
communication, entre esthésie et éthique », ouvrage préparé sous la
direction de Jean-Jacques Boutaud et présenté en vue de l’obtention
de l’habilitation à diriger des recherches, Université de Bourgogne,
Nouveaux Actes sémiotiques, Presses universitaires de Limoges ; lire en
ligne http://epublications.unilim.fr/revues/as/4786, dernière consultation
le 1er juin 2014.
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Diaspora
Isabelle Rigoni
Les diasporas ont investi l’internet depuis déjà trois décennies. Les
premiers médias numériques diasporiques recensés apparaissent
en 1984 au Royaume-Uni, en 1986 en Allemagne et en 1987 en France
(Rigoni, 2010), à un moment où l’utilisation de l’internet est encore
confidentielle et où très peu de foyers sont équipés d’un ordinateur et
abonnés à un fournisseur d’accès. Il faut toutefois attendre quelques
années pour que les usages se généralisent, se diversifient et s’intensifient. À partir du début des années 1990, la démocratisation de
l’accès aux technologies numériques, puis la popularité de l’« internet
social » (blogs, wikis, sites de réseaux sociaux) ont un impact considérable sur les pratiques informationnelles et communicationnelles
individuelles comme collectives. Plus que d’autres catégories de population, les diasporas ont rapidement mis à profit les potentialités
numériques à la fois pour obtenir de l’information sur le pays d’origine, faire circuler de l’information sur les pays d’accueil, faire entendre leurs voix auprès des instances locales, nationales et supranationales, consolider les liens entre les diasporés. Dès lors, les enjeux
politiques (en termes de reconnaissance), économiques (investissements financiers) et sociaux (affirmation du sentiment identitaire) des
usages diasporiques du numérique n’ont cessé de croître.
Les deux âges des médias numériques
diasporiques
Lors de la décennie 1990, les cafés internet permettent d’abord la
mise en lien, puis la mise en réseau des diasporés en leur procurant
la possibilité de dialoguer à moindre coût et en visioconférence avec
leurs proches par-delà les frontières. Ces pratiques sont alors avant
tout individuelles et répondent au besoin de maintenir le contact
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
entre les membres de familles géographiquement éclatées entre un
lieu d’origine et un ou plusieurs lieux d’installation.
Le second âge des pratiques numériques diasporiques commence au
début des années 2000, avec le passage du Web 1.0 au Web 2.0, interactif et participatif. Plusieurs centaines de sites reprenant les catégories des médias traditionnels (presse, radio et télévision), ainsi que
des blogs, sont créés par les diasporés, favorisant la communication
intradiasporique mais aussi interculturelle. Ce second âge correspond
également au moment où le taux d’équipement et le taux d’utilisation
d’internet augmentent dans les foyers occidentaux et où, peu à peu, la
connexion en haut débit devient la norme. Les diasporas figurent parmi les premiers bénéficiaires de cet outil technologique qui abolit les
distances et accélère le flux des échanges informels. La construction et
la maintenance de réseaux de contacts de diverses natures (familiaux,
amicaux, intimes, inconnus…) se complexifient à mesure de l’utilisation de plus en plus intensive des applications du Web 2.0. Dès lors,
les usages ne relèvent plus seulement de l’ordre de la sphère privée.
L’internet devient un outil au moyen duquel les réseaux associatifs,
politiques et religieux se développent ; les mobilisations se globalisent
et les médias des diasporas prennent un nouvel essor.
Enjeux académiques et juridiques
Les sciences sociales décrivent la « présence connectée » entre les
membres géographiquement dispersés d’une même famille (Licoppe,
2002), analysent la figure du « migrant connecté » (Diminescu, 2007), ou
du « nomade connecté » (Proulx, 2008). De riches études sociologiques
montrent que nous assistons à l’émergence de nouvelles formes
du vivre ensemble en même temps qu’à de nouvelles formes de
représentations identitaires (Rigoni et al., 2012 ; Guedes Bailey et al.,
2007 ; Georgiou, 2006). L’internet devient pour les diasporas tant un
moyen de représentation communautaire qu’un mode d’intervention
dans le débat public.
Toutefois, les débats sont parfois vifs autour des enjeux et des pratiques numériques diasporiques. Une partie de la communauté scientifique dénonce le développement de « communautés virtuelles » comme
une réponse au déclin des formes traditionnelles de sociabilité, dont les
diasporas seraient victimes au même titre que d’autres catégories de
la population. D’autres s’insurgent au contraire contre l’utilisation du
mythe de la communauté virtuelle par des fournisseurs d’accès commerciaux de type AOL, sur lequel est bâtie une partie de leur stratégie
commerciale. D’aucuns évoquent en outre le danger potentiel des TIC qui
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Diaspora
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conduiraient leurs utilisateurs à adopter des usages béats ou propices à
la confusion entre le réel et le virtuel.
D’un point de vue plus pragmatique, les politiques et les juristes qui
se sont emparés de cette question au niveau supranational semblent
plus conciliants. Nombre d’entre eux ont profité de la voie tracée par
l’UNESCO avec la Déclaration sur la diversité culturelle de 2001, puis
la Convention sur la protection et la promotion des expressions culturelles de 2005, pour faire avancer le débat relatif à la promotion de la
diversité culturelle grâce aux TIC. Les textes accordent une place de
plus en plus centrale aux nouvelles technologies, dont il est considéré
que le potentiel peut être exploité pour faire progresser l’objectif de
la diversité culturelle en matière de communication médiatique.
Certaines dispositions de la convention-cadre du Conseil de l’Europe
pour la protection des minorités nationales (CPMN) – qui reconnaît le
lien entre le droit d’exercer des droits culturels, le pluralisme social
et la diversité culturelle – soulignent l’importance du rôle des médias,
en particulier numériques, dans le maintien du lien entre les objectifs
de promotion de la tolérance, de la bonne entente et de la diversité
culturelle. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a également adopté un ensemble de mesures définissant des normes dans
ce domaine. La déclaration du Comité des ministres du 7 mai 1999
relative à une politique européenne pour les nouvelles technologies
de l’information détaille le potentiel spécifique des TIC en vue de stimuler la diversité culturelle. Depuis lors, la promotion de la diversité
culturelle par les médias (notamment numériques) apparaît régulièrement à l’ordre du jour des conférences ministérielles européennes
sur la politique des communications de masse. En 2007, le Comité
des ministres du Conseil de l’Europe adopte une recommandation
(CM/Rec (2007) 16) sur des mesures visant à promouvoir la valeur de
service public de l’internet, entre autres « en promouvant la cohésion
sociale, le respect de la diversité culturelle et la confiance » dans l’utilisation de l’internet et des TIC. Plus globalement, la promotion de la
diversité culturelle par les médias a été élevée au rang de priorité lors
de la conférence ministérielle du Conseil de l’Europe de 2008, dont la
résolution no 2 s’intitule Diversité culturelle et pluralisme des médias
à l’heure de la mondialisation. L’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe a elle aussi adopté des textes traitant de ces questions.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Le numérique, un facteur d’opportunité plus que
de contrainte
En dépit des espoirs misés par certains acteurs politiques et économiques
sur les usages du numérique par les diasporas en faveur de la promotion
de la diversité culturelle, des acteurs issus des milieux académique et associatif alertent au contraire sur les risques d’uniformisation et de négation des différences culturelles (déclin du multilinguisme, prédominance
du tout-anglais et des valeurs occidentales). Des universitaires travaillant
sur des populations dont des langues sont minoritaires, des travailleurs
sociaux intervenant auprès de migrants, tout comme certains diasporés
eux-mêmes réclament que les outils informatiques favorisent plus efficacement l’accès au savoir et à la mémoire, et pas seulement à l’échange.
Si la vigilance doit être de mise, il est toutefois difficile de nier que la
mutation de l’internet, devenu une plateforme communicationnelle et
non plus spécifiquement informationnelle comme à ses débuts, facilite
la création, la mise en lien et la redistribution des ressources, des productions et des opinions des internautes. Les diasporas profitent de ces
nouvelles opportunités leur permettant de réaffirmer les liens communautaires, facilités notamment par l’utilisation de la langue et le souvenir de la culture d’origine. Si l’on comptabilise une forte proportion de
créations nettes, le passage au numérique relève parfois d’une stratégie
de survie de la part de médias diasporiques historiques dont l’audience
ne cessait de décliner, à l’instar de certains titres de la presse écrite arménienne en France dont la mise en ligne (bilingue) a été salutaire.
Grâce aux changements technologiques, les médias numériques
permettent aux publics d’être des récepteurs en même temps
que des producteurs d’information. Chaque « cyber-diasporé » a
désormais la possibilité d’apporter sa pierre à l’édifice mémoriel, de
nourrir les discussions et d’alimenter les mobilisations. Le régime
de télécommunication permanente entre membres d’une même
communauté imaginée vient redoubler et renforcer les liens primaires
(familiaux, claniques, régionaux, politiques, religieux…) existants,
tout en attribuant aux membres de collectifs géographiquement
éclatés un rôle majeur en matière de redéfinition identitaire. À travers
l’usage des TIC et en particulier du Web 2.0, les diasporés échangent
des informations, des images, des émotions. Par là, ils construisent
ensemble des connaissances et des représentations communes
permettant de nourrir leur imaginaire communautaire, participent
à la (re-) naissance d’une conscience collective ainsi qu’à l’entretien
d’une mémoire collective. Les pratiques diasporiques numériques
peuvent ainsi garantir la diversité culturelle… à condition que les
langues d’origine puissent s’y exprimer.
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Diaspora
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Termes liés : communauté, communication, connaissance,
fracture, imaginaire, langues, patrimoine, réseaux sociaux,
territoires
Références
Dana Diminescu, « Le migrant connecté. Pour un manifeste épistémologique »,
Migrations/Société, 17 (102), 2007, pp. 275-292.
Myria Georgiou, Diaspora, Identity and the Media. Diasporic Transnationalism and
Mediated Spatialities, Cresskill, Hampton Press, 2006.
Olga Guedes Bailey, Myria Georgiou, Ramaswami Harindranath, Transnational Lives
and the Media : Reimagining Diasporas, Basingstoke, Palgrave, 2007.
Christian Licoppe, « Sociabilité et technologies de communication. Deux modalités
d’entretien des liens interpersonnels dans le contexte du déploiement des
dispositifs de communication mobiles », Réseaux, no 112-113, 2002, pp.
172-210.
Serge Proulx, « Des nomades connectés : vivre ensemble à distance », Hermès, no 51,
2008, pp. 155-166.
Isabelle Rigoni, « TICs, migrations et nouvelles pratiques de communication »,
Migrations/Société, dossier « Migrants, minorités ethniques et internet.
Usages et représentations », 22 (132), 2010, novembre-décembre, pp. 33-46.
Isabelle Rigoni, Eugénie Saitta (éds.), Mediating Cultural Diversity in a Globalised
Public Space, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012.
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Documentation
Éric Delamotte et Anne Cordier
La documentation peut se comprendre comme un réagencement plus
ou moins étendu du rapport aux textes qui détrône le livre au profit du document. C’est aux États-Unis que s’inaugure, à la fin du
xixe siècle, la mise en place de nouvelles méthodes de travail administratif. Celles-ci s’insèrent dans un ensemble de pratiques mécanisées et font système avec l’écriture, la reproduction, la diffusion
et l’archivage. Le bureau outillé et rationalisé incarne cette « révolution de papier ». L’origine de la préoccupation documentaire est
donc double : d’une part, le monde du savoir, des études et des bibliothèques ; d’autre part, celui de l’organisation, de la coordination
et de l’action.
La fonction principale de la documentation est en effet de rendre
accessible l’information à l’utilisateur ayant un besoin de connaissances pour agir. L’activité documentaire est devenue en conséquence un élément du management des organisations militaires et
civiles. Entre le xixe et le xxe siècle, via rapports, fiches, notices et
autres notes, l’information et la communication font partie des outils de gestion de la coordination et du contrôle de l’activité administrative, industrielle et commerciale (Gardey, 2008). Par la suite,
les guerres mondiales ont montré l’importance stratégique de la capitalisation du savoir. Avec la guerre froide, l’amélioration de la productivité documentaire est devenue une clé de la puissance. L’enjeu
s’est progressivement déplacé du domaine de la géopolitique à celui
de la compétition industrielle puis de la concurrence dans le champ
éducatif.
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Documentation
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La documentation : une activité structurée
autour d’un projet et d’un métier
On fait en général remonter la naissance de la documentation
à 1895, à l’occasion du premier congrès de l’Institut International de
bibliographie, même si, à ce moment, le mot « documentation » n’a pas
encore remplacé le terme « bibliographie ». Ayant jusqu’alors le sens
de « recherche de documents pour faire une étude ou une thèse », le
terme « documentation » qualifie, à partir de 1930, une « exploitation
méthodique de l’information ».
Une pratique informationnelle au service d’une utopie
La documentation est de fait un générateur d’utopies : en 1876, l’Américain Melvil Dewey propose la première version de sa classification,
dite « Classification décimale de Dewey » (CDD, ou en anglais DDC), par
laquelle il donne « la priorité à l’usager ». En 1905, les Belges Paul Otlet
et Henri Lafontaine proposent une classification dite « Décimale universelle » : il s’agit d’établir un catalogue sur fiches de tous les ouvrages
publiés depuis l’invention de l’imprimerie, y compris les articles, la
littérature grise et les brevets. Le projet de ces pacifistes convaincus
comprend une dimension politique et scientifique : sous-tendu par
un idéal démocratique universel, il se concrétise par la conception du
Mundaneum, où serait réuni l’ensemble du savoir.
En 1951, Suzanne Briet publie un rapport international pour l’UNESCO sur ce thème, et un recueil intitulé Qu’est-ce que la documentation ? La documentation y est présentée comme la capacité à partager
la connaissance, qui peut être transmise à partir du moment où elle
est sélectionnée, enregistrée, stockée, évaluée et classifiée. Dès lors,
elle va donner un accès autonome au savoir traité.
Cet accès au savoir traité, Jean Meyriat, grande figure française de la
documentation, en fait une préoccupation majeure pour la définition du
terme de « document ». La proposition de définition de ce terme dépasse
chez Meyriat la question des supports imprimés/numériques. Le document y est vu comme un objet qui supporte de l’information et qui sert
à la communiquer. La distinction entre document « par intention » (conçu
pour transmettre de l’information) et document « par attribution » (statut de document conféré par le chercheur d’information) s’avère féconde
pour penser la documentation au centre d’un processus de communication entre le professionnel et l’usager au sein des organisations.
La défense de l’information, du document et le primat de l’usager
vont de pair pour toute cette génération d’hommes et de femmes qui
se définissent comme des novateurs.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Documentaliste, ou la structuration d’un métier
La documentation possède un autre paramètre, celui qui structure une
profession dans son rapport avec le métier voisin de bibliothécaire.
Comme l’écrit Meyriat, « la documentation se constitue par différenciation d’avec le métier des bibliothécaires, presque en opposition à
lui » (Meyriat, 1993). Le documentaliste se sent plus moderne que le
bibliothécaire, il revendique une exploitation plus fine des contenus
et met l’accent sur la diffusion au détriment de la simple conservation (Liquète, Kovacs, 2013).
Si le documentaliste est celui qui collecte, traite, diffuse et recherche
l’information, la fonction de médiation est une des revendications de
l’identité du documentaliste. Que l’on se tourne du côté des fondateurs de la discipline ou de ses grands représentants, des manuels de
documentation ou encore des référentiels de métiers, la gamme des
termes employés pour définir le documentaliste s’articule autour du
registre de la médiation. Les techniques documentaires constituent
autant d’outils de médiation : elles ont pour vocation de mettre en
contact ceux qui cherchent avec ceux qui détiennent l’information.
Au carrefour d’une pratique sociale
et de la construction scientifique
Documentation et sciences de l’information
Dès l’origine jusqu’à nos jours, parallèlement aux réflexions sur les
techniques de gestion des documents, se sont développées des analyses à vocation plus épistémologique. Même si elles trouvent leurs
racines dans des traditions professionnelles anciennes, les « sciences
de l’information » se sont affirmées dans les dernières décennies sur
la base de politiques publiques dans le domaine de l’information
scientifique et technique et des nouvelles technologies de traitement
de l’information.
Le projet de fonder une « science de l’information et de la documentation » spécifique s’est affirmé sous l’impulsion d’acteurs comme
Larousse (1817-1875), Dewey (1851-1931), Otlet (1868-1944), Meyriat
(1921-2010). Comme le remarque Yves Jeanneret, le point de départ a
été de dissocier l’information, construction sociale et intellectuelle,
de l’ensemble des objets matériels qui, en circulant, la conditionnent
(Jeanneret, 2005). On doit aux spécialistes de cette science d’avoir
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Documentation
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posé que l’information ne circule pas (elle n’est pas un objet) mais
qu’elle se redéfinit sans cesse (elle est une relation et une action).
Une pratique sociale et une science de référence enseignée
En prolongement d’une réflexion épistémologique sur la documentation et ses concepts phares, la mobilisation de chercheurs en sciences
de l’information et de la communication, et la prise de conscience
d’une nécessaire émancipation informationnelle chez les individus de
la société dite « de l’information » conduisent à structurer, à partir
des années 1980, un courant de pensée autour de l’éducation à l’information. De pratique sociale autonome, la documentation devient
alors un domaine de connaissances et de compétences, que d’aucuns
s’attachent à circonscrire. En France, professionnels et chercheurs
débattent autour de la question de l’instauration d’une discipline
scolaire « documentation », rattachée aux sciences de l’information
et de la communication. Plus largement, en 2003 la Déclaration de
Prague « Vers une société compétente dans l’usage de l’information »
témoigne de l’affirmation de la documentation comme objet et stratégie d’apprentissage (UNESCO, 2003).
L’ère de la redocumentarisation :
plus qu’une révolution de papier
De la documentarisation…
La documentation produit et est le produit d’un réagencement dans
lequel les dispositifs techniques jouent un rôle majeur et stabilisent
une certaine répartition des rôles, des attentes, des capacités d’actions et des formes de relations. La documentarisation désigne quant
à elle le traitement d’un document tel que le réalisent, ou le réalisaient, traditionnellement les professionnels de la documentation (bibliothécaires, archivistes, documentalistes) : cataloguer le document,
l’indexer, le résumer, le découper, éventuellement le renforcer, etc.
L’objectif de la documentarisation est d’optimiser l’usage du document en permettant un meilleur accès à son contenu et une meilleure
mise en contexte et en circulation. L’informatique, dans les années
1950-1960, devenait dans cette perspective un outil de plus, sans
doute révolutionnaire par sa puissance, mais qui ne remettait pas en
cause les fondements du raisonnement.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
… à la redocumentarisation
Aujourd’hui cette période se trouve partiellement derrière nous. Le
numérique transforme, en effet, le cœur même du raisonnement,
l’objet sur lequel était basée la construction de ladite science
de l’information : le document. Les processus traditionnels de
documentarisation des documents évoluent avec force : on étudie
comment un document naît (est produit), comment il circule, et ce en
relation avec l’action des individus et l’organisation elle-même.
Définie en France par Jean-Michel Salaün et le collectif
Roger T. Pédauque, dans un ouvrage publié en 2007 sous le titre La
Redocumentarisation du monde, la redocumentarisation consiste à
retraiter un document ou un ensemble de documents numérisés de
façon à les enrichir de métadonnées nouvelles, à réarranger et relier
leurs contenus. Avec la plasticité des documents nativement numériques, l’ordre documentaire est remis en cause (Roger T. Pédauque,
2007). L’authenticité du document primaire est questionnée avec force
par le second traitement documentaire que constitue l’acte de redocumentarisation : la valeur du document est en effet reconstruite par
ces traitements, et donc aussi par les lecteurs. Car la redocumentarisation constitue aussi une nouvelle manière de concevoir le document, dont le caractère numérique nécessite, de la part du lecteur et/
ou de celui qui le relaie et le commente sur un réseau social, un travail
d’identification de l’auteur, de datation de l’œuvre, et en conséquence
de vérification de la fiabilité du document.
C’est une période nouvelle passionnante qui s’est ouverte. Peuvent
alors être questionnés le traitement potentiel de l’information et les
pratiques de redocumentarisation à l’œuvre avec le numérique. C’est
peut-être une définition du document tourné vers l’action, à la fois
éphémère et pérenne, individuel et collectif, porteur d’une fonction
communicationnelle et plus seulement informationnelle qui s’impose.
Car la documentation n’est pas une pure fonction technique, c’est
aussi un geste social qui donne, selon les contextes, un pouvoir de
faire aux uns ou aux autres.
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Documentation
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Termes liés : archives, agrégation, bibliothèques,
communication, connaissance, curation, public/usagers
Références
Suzanne Briet, Qu’est-ce que la documentation ?, Paris, Éditions documentaires,
1950.
Delphine Gardey, Écrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a
transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte,
2008.
Yves Jeanneret, « Information », La Société de l’information : glossaire critique, Paris,
La Documentation française, 2005, pp. 87-89.
Vincent Liquète, Susan Kovacs (dir.), « Penser, classer, contrôler », Hermès, no 66, Paris,
Éditions du CNRS.
Jean Meyriat, « Un siècle de documentation : la chose et le mot », DocumentalisteSciences de l’Information, vol. 30, nos 4-5, 1993, pp. 192-198.
Roger T. Pédauque, La Redocumentarisation du monde, Toulouse, Cépaduès, 2007.
UNESCO, Déclaration de Prague. Vers une société compétente dans l’usage de
l’information, 2003.
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Économie des œuvres
Françoise Benhamou
On distingue deux catégories d’œuvres sous format numérique. Les
premières sont directement conçues pour le numérique et renvoient
à la notion d’art numérique, un art dont la programmation apparaît
comme le matériau de l’artiste, à l’instar de ce que sont le pinceau ou
le crayon pour les beaux-arts plus traditionnels. Les secondes sont
les œuvres ou créations produites initialement sous format physique,
mais qui ont été l’objet d’un processus de numérisation.
Le champ est immense : il englobe de nouvelles formes d’art ainsi
que des œuvres dont le format a migré, tel celui d’un livre papier
vers un livre numérisé. Cette migration peut s’accompagner de transformations : l’œuvre est « augmentée », enrichie, déclinée en plusieurs
formats ou sous différentes versions. Un manuscrit publié sous la
forme d’un livre papier, une fois numérisé, devient un livre numérique
auquel il est possible d’ajouter des liens, des images fixes ou animées
et des sons.
Les matériels nécessaires à l’accès aux œuvres sont nombreux (liseuses, tablettes, ordinateurs, téléphones intelligents [smartphones],
consoles), et ne sont pas indifférents quant à la réception de l’œuvre.
On sait encore peu de chose sur les formes et les conditions de cette
réception. Dans le cas de la numérisation d’une œuvre initialement
conçue pour un support physique, tel un texte, le « contenu » s’émancipe du support unique auquel il était attaché ; la lecture rompt avec
la linéarité imposée par le papier, la recherche dans le « livre » perturbant l’ordonnancement des pages. Dans le cas de la numérisation
d’une œuvre d’art unique, sa reproduction constitue un moyen de diffusion qui ne duplique ni ne remplace le contact avec l’œuvre originale. Les sites des musées ou le Google Art Project permettent un
accès à l’image des œuvres, et constituent des outils d’information
et des produits dérivés dans le premier cas, et des sources de trafic internet dans le second, celui-ci pouvant être valorisé à travers la
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Économie des œuvres
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fourniture de services associés ou la vente d’espaces publicitaires.
Dans le cas d’œuvres d’art numériques, dont les premières créations
datent des années 1950 (création des premières images dites « électroniques » sur des ordinateurs analogiques à partir d’oscilloscopes par
Ben Laposky, mathématicien et artiste américain), mais dont l’essor
est véritablement perceptible dans les années 2000, la notion d’originalité peut être apportée par le contexte ou la signature, mais la reproductibilité parfaite semble possible, questionnant l’existence d’un
marché de l’art dont la valeur n’est pas corrélée à la notion de rareté.
Cinq questions se posent du point de vue de la diversité culturelle
et des modèles économiques qui la sous-tendent. Elles ont trait à la
conservation, à la caractérisation de la propriété, au périmètre des
droits des créateurs, ainsi qu’à la transformation de la chaîne de valeur et à la production des métadonnées.
Quels sont les modes de conservation pertinents pour ces nouvelles
formes artistiques et culturelles ? D’une part, outre la question de l’interopérabilité des formats, les logiciels, les ordinateurs, les langages
de programmation originels sont appelés à devenir obsolètes. La migration d’un format vers un autre s’impose. D’autre part, parce que
ces œuvres sont non seulement multiformes mais aussi prolifiques, il
convient de repérer et de choisir quelles sont celles qui ont vocation
à être conservées. L’infinie richesse de l’offre dans le monde virtuel
impose des tris qui ne doivent pas simplement refléter la hiérarchie et
la répartition des consommations. Cela est d’autant plus crucial que
nombre d’études montrent que la diversité de l’offre ne va pas nécessairement de pair avec la diversité des consommations (Benhamou
et Peltier, 2007). Certes, on peut arguer des effets de longue traîne
propres à la consommation via le numérique : l’internet permet de
« rassembler » virtuellement des publics dispersés géographiquement.
Cela permet la résurrection des titres disparus ainsi qu’une vie pour
les petits tirages, dont les produits retrouvent une chance de devenir rentables. La consommation est en conséquence moins concentrée
que pour des biens physiques. Néanmoins, les effets de longue traîne
ne sont encore que peu documentés.
Il faut interroger le concept de propriété : l’œuvre n’est pas figée
sur un support physique. L’œuvre numérique obéit à une esthétique
revisitée, proche de celle du spectacle. Elle s’apparente ainsi à un
service. Elle peut être stockée dans le « nuage » (cloud), dans des espaces sécurisés (stockage des données dans des serveurs informatiques, auxquels on accède via des services en ligne sans avoir à
gérer l’infrastructure sous-jacente). Numérisé, le bien est non rival,
au sens où sa consommation par un individu ne prive pas un autre
consommateur de la consommation de la même unité de ce bien.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Cette propriété, combinée à la difficulté de l’exclusion par le prix,
en fait un bien public (Arrow, 1962), sujet à des défaillances de marché. Du point de vue de la théorie des droits de propriété intellectuelle, c’est par l’introduction d’un monopole temporaire de l’auteur
sur l’usage de son œuvre que l’on peut instituer des mécanismes
de rémunération. Des solutions alternatives ou complémentaires de
financement de la création ont pu toutefois être explorées dans le
cadre des économies de réseaux : dons, « financement collaboratif »
via des plateformes (crowdfunding), etc.
La création initiale demeure le fait d’un auteur ou d’un créateur (ou
de plusieurs) ; mais des formes nouvelles de co-création émergent et
se développent. La plasticité de l’œuvre, susceptible d’appropriations
et de réinterprétations, a progressivement imposé l’élaboration d’outils juridiques ad hoc, qui, sans se substituer aux outils traditionnels, les complètent et répondent aux nouveaux usages propres au
monde numérique. Les licences Creative Commons s’inscrivent dans
ce mouvement en fournissant un outil juridique qui garantit à la fois
la protection des droits de l’auteur et la libre circulation du contenu culturel de cette œuvre, de telle sorte que se constitue un corpus
d’œuvres librement accessibles (Lessig, 2004). Six licences types sont
possibles, qui préservent – si l’auteur le souhaite – certains aspects
du copyright ; les utilisateurs de l’œuvre disposent selon les licences
d’un certain nombre de libertés sur les usages de l’œuvre.
La plasticité des œuvres pose question : comment identifier un marché
lorsque le clivage entre consommation et production se brouille, que
les droits de propriété intellectuelle ne constituent pas l’outil nécessairement adéquat de rémunération de l’auteur, et que les modes de financement peuvent être repensés à la faveur des opportunités ouvertes
dans des économies de réseaux ? Les modèles économiques renvoient
pour partie à des logiques de marchés bifaces (Rochet et Tirole, 2003)
sur lesquels le prix des recettes publicitaires liées à une activité est
corrélé au nombre des usagers de l’autre activité. La production des
œuvres sous format numérique appelle-t-elle certaines formes de désintermédiation ? La prolifération de sites d’autoproduction pousse à
le croire, même si elle ne signifie pas nécessairement que l’on puisse se
passer de l’éditorialisation et de la diffusion. Mais des intermédiaires
nouveaux, jouant des possibilités offertes par toute une économie de la
recommandation, tendent à s’immiscer au sein de la chaîne de valeur.
Ajoutons que la production de métadonnées, déterminantes dans la
structuration et la qualité des échanges, constitue une condition de
l’accessibilité à la diversité des œuvres (Benhamou, 2014). C’est sur ce
terrain que se rencontrent les enjeux économiques et cognitifs de la
mutation des œuvres vers le web.
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Économie des œuvres
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Termes liés : édition, industries créatives, industries
culturelles, Net Art, œuvre, public/usagers
Références
Chris Anderson, The Long Tail. Why the Future of Business is Selling Less of More,
Hyperion, New York, 2006.
Kenneth J. Arrow, « Economic Welfare and the Allocation of Resources for Invention »,
in The Rate and Direction of Inventive Activity : Economic and Social
Factors, R. Nelson (éd.), Princeton, Princeton University Press, 1962,
pp. 609-626.
Françoise Benhamou, Stéphanie Peltier, « How Should Cultural Diversity be
Measured ? An Application Using the French Publishing Industry »,
Journal of Cultural Economics, avril 2007, pp. 85-107.
Françoise Benhamou, Le livre à l’heure du numérique. Papier, écrans. Vers de
nouveaux vagabondages, Paris, Le Seuil, 2014.
Brynjolfsson Erik, Yu Jeffrey Hu et Duncan Simester, « Goodbye Pareto Principle,
Hello Long Tail : the Effect of Search Costs on the Concentration of
Product Sales », Management Science, 2011 ; lire en ligne http://ssrn.com/
abstract=953587.
Lawrence Lessig, Free culture, New York, The Penguin Press, 2004.
Jean-Charles Rochet, Jean Tirole, « Platform Competition in Two-Sided Markets »,
Journal of the European Economic Association, 1, 2003, pp. 990-1029.
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Édition
Chloé Girard
Les techniques d’imprimerie, au xve siècle, puis l’industrialisation,
au xixe, donnent naissance aux métiers aujourd’hui distincts de
l’édition, de l’imprimerie et de la distribution du livre papier. Dans
les années 1990, les technologies informatiques deviennent moins
confidentielles. Quelques grands éditeurs produisent alors, en parallèle à leurs ouvrages papier, des bases de textes ou de données
sur CD, principalement pour les besoins de la recherche ou de l’industrie. Les années 2000 constituent une rupture avec l’explosion du
commerce en ligne ainsi que la popularisation de supports mobiles
permettant un accès confortable aux contenus numérisés écrits. De
nouveaux usages ainsi qu’un nouveau marché s’ouvrent, dont les
intérêts économiques sont considérables. Les contenus « livres »
deviennent, au plan commercial, un contenu numérique comme les
autres dans l’économie numérique. Google ne s’y trompe pas et entreprend, en 2004, la numérisation massive d’ouvrages pour son
service en ligne Google Books. De grands acteurs jusqu’à présent
éloignés du marché du livre, tels les opérateurs téléphoniques, de
l’internet ou des fabricants de matériel informatique, y sont aujourd’hui fortement impliqués.
Les éditeurs doivent s’adapter à ces changements et s’engager dans la
fabrication mixte, papier et numérique, pour un marché alors inexistant et, en 2014, encore balbutiant.
Plusieurs problèmes se posent. Les éditeurs doivent apprendre de
nouvelles techniques et de nouveaux métiers, développer une culture
informatique. Il leur faut dans le même temps compter avec l’internet, lieu d’échange ouvert par nature, dans lequel transitent les
fichiers informatiques qui n’ont pas besoin d’être reproduits (produits à nouveau) pour être dupliqués. Le risque de la diffusion des
livres sans rétribution des ayants droit, éditeurs et auteurs, est réel.
Enfin, ils doivent faire face à la démocratisation de leurs outils métier,
techniquement à la portée de chacun et souvent peu coûteux, voire
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gratuits. Chacun aujourd’hui peut s’improviser éditeur et l’on observe
actuellement une explosion de l’autoédition.
Édition numérique et intégrité de l’œuvre
On assiste durant cette période de transition à bien des débats évoquant la fin du métier d’éditeur, quand ce n’est pas la mort du livre
lui-même. Aujourd’hui ni l’un ni l’autre n’ont disparu. En tant que
contenu culturel, le livre ne semble pas avoir souffert outre mesure.
Quoique cela soit à nuancer selon les types éditoriaux. La précision
graphique d’un beau livre n’est pas simple à rendre dans un e-book,
alors qu’un roman y perd peu. Mais l’on n’a pas vu se réaliser les prophéties de liquéfaction du livre qui, dans sa forme numérique, serait
à chaque instant modifiable et modifié. La garantie de l’intégrité du
contenu d’un livre continue de reposer sur le choix des éditeurs et
des auteurs. À eux revient toujours de convenir si un texte donné doit
constituer un patrimoine, ou si, changeant régulièrement, personne
ne pourrait plus s’y référer ni en faire un point d’appui culturel. Dans
cette révolution industrielle, le livre, en tant que discours singulier,
fini, a été préservé aux côtés de nouvelles formes éditoriales plus personnalisables ou évolutives.
Livre numérique et diversité culturelle
Localisation
À l’heure du numérique, l’édition semble offrir de nouvelles
opportunités de fabrication et de diffusion des livres, sans frontières,
favorisant pleinement la diversité culturelle. Il n’est plus question
d’épuisement du stock ni de coûts de transport élevés. Le potentiel
de multiplication des publications ne risque-t-il pas cependant de
rendre encore moins visibles les ouvrages et les éditeurs qui l’étaient
déjà peu ? Est-il par exemple plus aisé aujourd’hui de découvrir un
éditeur régional ou étranger ?
Les sites des principales librairies en ligne, qui représentent la plus
grande partie du marché du livre numérique et une part importante
et croissante de l’accès au livre papier, n’offrent pas de recherche par
pays ni par région d’édition. Il est ainsi très difficile dans ces grands
catalogues en ligne de trouver, depuis la France, un éditeur africain ou
basque si vous n’en connaissez pas déjà le nom. Ce n’est pas, sur ces
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
sites, un critère de recherche. Or rien ne l’empêcherait techniquement.
Les données de catalogage exploitées par les outils des libraires et
des bibliothèques, par l’ensemble des outils internet, sont inscrites
par l’éditeur dans les livres numériques eux-mêmes ou dans les fiches
numériques descriptives qui les accompagnent. Ces données sur le
livre sont ce que l’on nomme leurs « métadonnées ». Elles sont rédigées
selon des indications répondant à des normes métier précises. C’est
la condition nécessaire à une uniformité de rédaction qui permet aux
logiciels de l’ensemble des professionnels de la chaîne du livre de les
reconnaître, de les lire et de les présenter de façon automatisée. Or
ces normes métier ne prévoient pas, ou n’imposent pas, d’identifier
par exemple l’origine géographique de l’éditeur.
Que faudrait-il pour favoriser la présence, l’exploitation par les diffuseurs de données propres et la découverte d’ouvrages jusque-là peu
accessibles ? Cela implique en premier lieu que les éditeurs s’approprient la chaîne du livre numérique, prennent pleinement conscience
de la nouvelle intégration entre la fabrication et la diffusion. Les livres
que nous fabriquons aujourd’hui contiennent les conditions de leur
diffusion, de leur référencement, de leur lecture. Ce ne sont pas seulement des supports mais aussi des outils. Il faut donc s’approprier ces
normes et techniques, savoir en juger comme l’on jaugeait un papier, et
s’impliquer dans leur évolution. De nombreux paramètres pourraient
être inscrits, normés et exploités de manière à offrir une recherche profonde et fine dans nos catalogues. Aux diffuseurs ensuite de prendre
conscience de l’importance de ces données et de travailler à leur utilisation. Sans quoi le meilleur accès à la diversité des sources restera
un simple mais performant moteur de recherche dans nos navigateurs.
Lisibilité
Un autre prérequis de la diffusion des ouvrages numériques concerne
leur interopérabilité, c’est-à-dire leur compatibilité avec différents
appareils et logiciels de lecture. C’est une question à la fois technique
et commerciale. Les formats du livre numérique, l’e-pub et le HTML,
sont des formats ouverts, c’est-à-dire des formats dont chacun peut
savoir comment ils sont construits. Les fabricants de supports informatiques, de téléphones intelligents (smartphones), de tablettes et
d’ordinateurs, ainsi que de logiciels de lecture, peuvent donc faire en
sorte que les livres soient lisibles sur un plus grand nombre d’appareils, un paramètre important quand l’on sait la différence de coût
d’un appareil à un autre.
Bien qu’étant a priori dans un format ouvert, il est cependant possible
de verrouiller l’accès à un livre, pour des raisons principalement
commerciales. C’est le propre des mesures techniques dites de
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« protection du livre », parmi lesquelles les DRM (Digital Rights
Management). Elles demandent cependant des infrastructures lourdes
et coûteuses, et peuvent s’avérer pénalisantes pour l’acheteur, au point
que de nombreux éditeurs préfèrent ne plus en utiliser. Ces technologies
constituent également le moyen de contrôler à distance la bibliothèque
personnelle des lecteurs, voire de la censurer, en effaçant les ouvrages
sur les appareils. Leur impact n’est donc pas anodin.
Finalement, la chaîne du livre se confond aujourd’hui en partie avec
l’activité d’industriels qui établissent des économies verticales liant
le livre vendu à un support donné et le rendant de fait illisible ailleurs.
Les éditeurs ont encore là la possibilité de s’informer et de choisir
les formats et les canaux de distribution qui leur conviennent. Ces
derniers sont aujourd’hui concentrés sur quelques grands acteurs
commercialement presque incontournables. Mais cela n’empêche pas
pour autant la diffusion par de multiples autres voies et acteurs.
Au-delà des questions de formats de fichier, il existe également la
question des formats des éléments de texte eux-mêmes. En effet, à la
différence du livre papier dont le contenu est fixé, le contenu du livre
numérique est restitué à l’écran à chacune de ses ouvertures sur un
appareil. Or certains éléments de texte, comme les alphabets ou les
caractères peu communs, ou le sens de lecture d’un texte, peuvent être
peu ou mal interprétés d’un appareil à l’autre. C’est une question à la
fois de code dans le livre et de capacité à restituer convenablement ce
code par les logiciels et les appareils de lecture. Des progrès restent
à réaliser en la matière du côté des constructeurs et des éditeurs de
logiciel, mais du côté éditorial l’utilisation de la norme Unicode pour
la production des ouvrages constitue une garantie d’universalité de
rendu sur le long terme. Encore une fois l’éditeur, s’il veut être lu, est
appelé à s’approprier la logique informatique et à l’intégrer dans ses
processus de fabrication.
La chaîne du livre, après avoir distingué plusieurs métiers, voit
aujourd’hui leur ré-intégration en une chaîne totalement solidaire
et numérique. Le livre numérique est un outil qui véhicule non
seulement un contenu littéraire mais les conditions de sa visibilité.
Il est donc indispensable que les éditeurs comprennent cette chaîne
et y insèrent, activement, les éléments distinguant leur diversité.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Termes liés : bibliothèque, codes, documentation, industries
culturelles, langues, libre, normes, patrimoine, piratage
Références
Flossmanuals.net, collectif d’auteurs, Créer un e-pub, 2012 ; lire en ligne http://
fr.flossmanuals.net/creer-un-epub/, dernière consultation le 1er juin 2014.
Framablog, entretien, « Et si l’on créait ensemble une forge libre pour les métiers de
l’édition ? », 14 septembre 2011 ; lire en ligne http://www.framablog.org/
index.php/post/2011/09/14/forge-metiers-edition-chloe-girard, dernière
consultation le 1er juin 2014.
Chloé Girard, « Le Réseau et ses outils comme lieu de raffinement du livre », Revue
Sciences/Lettres, 2, 2014 ; lire en ligne http://rsl.revues.org/526, dernière
consultation le 1er juin 2014.
Chloé Girard et David Dauvergne, « Livre web : une révolution industrielle »,
27 novembre 2008, lire en ligne http://www.lescomplexes.com/blog/?p=50,
dernière consultation le 1er juin 2014.
Chloé Girard et David Dauvergne, « Sortir de la “chaîne de formats” dans l’édition
numérique », 27 septembre 2008 ; lire en ligne http://www.lescomplexes.
com/blog/?p=43, dernière consultation le 1er juin 2014.
Chloé Girard et David Dauvergne, « Le livre et le projet (flux) », 20 juin 2008 ; lire en
ligne http://www.lescomplexes.com/blog/?p=7, dernière consultation le
1er juin 2014.
Chloé Girard et David Dauvergne, « Le livre complexe », 19 juin 2008 ; lire en ligne
http://www.lescomplexes.com/blog/?p=6, dernière consultation le 1er juin
2014.
Jean-Philippe Moreux, Bernard Desgraupes, Richard Loubéjac, Étienne Nau, Bertrand
Soubeyrand, Albane de Boisgrollier, Chloé Girard, Louis Marle, Solutions
de publication automatisées pour l’industrie, l’édition, le commerce, la
communication d’entreprise, Vuibert, 2011.
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E-réputation
Louise Merzeau
Si l’expression « identité numérique » (digital identity) est apparue
dès les années 1990, c’est surtout à partir du développement des réseaux sociaux et du Web 2.0, après 2004, que la notion a gagné en importance, pour occuper aujourd’hui une place centrale parmi les enjeux de l’environnement numérique. Préférée à d’autres appellations
concurrentes (double numérique, cyber-identité…), l’identité numérique renvoie à un ensemble de contenus, de processus et d’usages
dont les contours restent encore à définir et qui font l’objet de nombreux débats.
Collections de traces
La possibilité offerte aux internautes de prendre une part active dans
les échanges d’informations en ouvrant des espaces personnels de
publication (blogs) et de conversation (réseaux sociaux) a renforcé la
nécessité de s’authentifier auprès des services de réseautage et d’éditorialisation. Les individus ont ainsi été amenés à délivrer de plus
en plus d’informations aux sites pour pouvoir eux-mêmes chercher,
consulter et partager des contenus.
Parallèlement aux renseignements intentionnellement fournis par les
utilisateurs (nom ou pseudo, adresse mail, mot de passe, photo, biographie, préférences…), les systèmes d’information ont alors automatisé le recueil d’un nombre croissant de données à chaque connexion
ou navigation. Les traces enregistrées sans consentement explicite
par chaque intermédiaire technique (navigateur, fournisseur d’accès, serveur, application, régie publicitaire) se sont ainsi multipliées,
concentrant des enjeux de plus en plus stratégiques pour les acteurs
économiques du web : suivi et profilage des internautes, filtrage et
recommandation des contenus, anticipation des comportements, etc.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
De protocole d’identification, l’identité numérique en est donc arrivée
à désigner la collection des traces – déclaratives, comportementales
ou calculées (Georges, 2009) – que l’usager ne peut pas ne pas laisser
lorsqu’il se connecte au réseau. Requêtes, parcours, téléchargements,
géolocalisations, achats, relations, avis… : notre présence en ligne est
documentée dans toutes ses facettes, mais l’individu perd lui-même
le contrôle de pans entiers de son identité, car il n’a guère les moyens
d’archiver, de recouper et d’exploiter ses traces.
De la représentation à l’indexation
Le recentrage de l’environnement numérique sur les identités a
d’abord été interprété dans le sens d’une expressivité individuelle
exacerbée. Sous l’influence de la téléréalité, on a pensé l’implication
des internautes selon une logique d’exposition de soi, en recourant
notamment à la notion d’extimité (Tisseron, 2001). L’observation des
pratiques en ligne a cependant montré que, loin d’être une exhibition,
la participation aux réseaux met en œuvre un « design de la visibilité »
(Cardon, 2008), où le paramétrage des marqueurs identitaires relève
de stratégies relationnelles complexes.
L’identité numérique désigne moins une représentation de soi qu’une
transformation de l’individu en grappes de données susceptibles d’être
traitées par des programmes. Les contours de la personne, jadis rapportés à une unité, une permanence ou une énonciation, doivent être
redéfinis en termes de ressources mobilisables par des algorithmes. La
question n’est plus d’articuler une identité réelle et une identité virtuelle, mais de négocier la conversion des singularités en data.
De fait, le contrôle de la présence en ligne ne dépend plus de la
construction d’une image (individuelle ou stéréotypique), mais
de la détention d’index qui permettent de chercher, d’identifier
et de calculer les identités. En ce sens, l’évolution des modes de
classement de l’information montre que le profilage est en passe de
réorganiser l’architecture informationnelle. Passant du graphe des
pages (PageRank de Google) au graphe des individus (EdgeRank de
Facebook), les métriques du web accordent en effet une importance
croissante aux données identitaires dans les calculs de pertinence et
la hiérarchisation des contenus.
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E-réputation
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Personnalisation ou standardisation ?
L’avènement du web social a indéniablement favorisé l’expression
identitaire des personnes aussi bien que des communautés. Aux effets
d’uniformisation de la communication de masse ont répondu des
formes d’échange et de publication plus aptes à respecter et à valoriser
la diversité culturelle. À travers les conversations, les commentaires
ou les dispositifs participatifs, une variété de cultures propres
aux usagers des réseaux a pu se manifester, en marge des schémas
industriels opposant traditionnellement émetteurs-producteurs et
récepteurs-consommateurs.
La valorisation des identités ne s’est toutefois pas arrêtée à cette
libération des particularismes culturels. Elle a débouché sur une
personnalisation, qui pousse aujourd’hui les usagers à exiger en
toutes circonstances une information sur mesure. Filtrés, formatés
et classés selon les profils utilisateurs, les contenus se reconfigurent
maintenant pour s’ajuster à la volée à chaque interaction. À la recherche
de dénominateurs communs qui caractérisaient la culture de masse
se substitue donc un traçage toujours plus fin des singularités.
Cette collecte des traces tend à faire de l’identité numérique l’expression « symptomale » de la personne : un ensemble d’indices qui
trahissent d’autant mieux son comportement qu’ils se déposent hors
de toute conscience. L’expression identitaire s’inverse alors en une
forme de dépossession d’autant plus grande que l’infrastructure logicielle qui la canalise est, quant à elle, toujours plus contraignante.
Pour profiter de la personnalisation des services, l’internaute doit en
effet se plier à une architecture de plus en plus fermée, où chaque
acteur économique tente de le garder captif en imposant à tous une
même grille de valeurs.
Pour contrecarrer ces risques d’aliénation tout en intégrant le principe de traçabilité, une version alternative de l’identité numérique
s’est développée à partir du modèle de la communication marketing.
Sans remettre en cause le nouvel écosystème des identités, le marketing personnel (personal branding) incite chacun à gérer sa présence
en ligne comme on administre une marque, en jouant des logiques
d’indexation et de propagation. Le contrôle que gagne ainsi l’utilisateur sur son propre profilage se paie alors par une soumission accrue
aux lois du marché des identités.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Question de confiance
De la sécurisation des comptes personnels à l’essaimage des traces, la
question de la confiance est au cœur des interrogations sur l’identité
numérique. Pour en tirer profit, les firmes ont besoin que les internautes
consentent à leur confier la collecte et la gestion de leurs données. De
leur côté, les utilisateurs attendent des plateformes qu’elles leur apportent un bénéfice social ou culturel en échange de leur profilage.
Les enjeux de cette administration de la confiance diffèrent cependant
selon qu’il s’agit d’authentification, d’identification, de marchandisation ou de socialisation. La protection des accès relève d’une problématique sécuritaire de nature essentiellement technique et juridique. La
mise en relation entre une clé d’authentification et une identité introduit quant à elle la question éthique et politique du tiers de confiance.
Est-ce à l’État, à la sphère marchande ou à la société civile de garantir l’intégrité et la confidentialité de nos transactions numériques ? La
réponse à cette question dépend fortement du modèle culturel et du
système politique en place dans chaque société. Si une même idéologie libérale préside aux stratégies des grandes firmes, des diversités
peuvent apparaître dans les attentes des usagers en fonction des pays,
des générations ou des degrés d’appropriation de la technologie.
D’abord confinées aux problèmes de l’anonymat et de l’usurpation
d’identité, les questions de confiance débordent en tout cas aujourd’hui les enjeux de sécurité. Dans la mesure où nos identités ne
sont plus seulement consignées mais produites et négociées en ligne,
les garanties doivent désormais inclure, au-delà de la protection de la
vie privée, celle des libertés et de la diversité.
Enjeux de mémoire
Si la gouvernance des identités numériques constitue un enjeu culturel majeur, c’est parce qu’elle conditionne la formation des mémoires
individuelles autant que collectives. Réduite à un enregistrement
automatique de données réalisé dans l’opacité des algorithmes, la
traçabilité numérique altère les processus mémoriels. Se faisant désormais par défaut, l’indexation des individualités inverse l’équilibre
entre mémoire et oubli, faisant de l’effacement des traces une tâche
exigeant volonté, dépense et savoir-faire. Alors que grandit la revendication d’un droit à l’oubli, un marché de l’amnésie se développe en
direction des entreprises et des particuliers pour rentabiliser cette
nouvelle anxiété en promettant le nettoyage des traces.
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Pour la sauvegarde de la diversité culturelle, une réflexion doit donc
être menée sur les moyens de convertir la rétention – décontextualisée
et non négociée – en mémorisation, en définissant les conditions d’une
réappropriation mémorielle. Cela suppose de dissocier identité numérique et vie privée, en mettant l’accent sur les implications collectives
de l’organisation des traces, qu’elle soit institutionnelle, contributive
ou communautaire. Cela implique surtout que le contrôle de ses métadonnées soit repensé comme une compétence relevant comme toute
autre littératie d’un apprentissage et d’une transmission. Face à l’industrialisation des identités – et, à travers elles, des comportements,
des relations et des opinions – l’éducation à une intelligence de l’environnement numérique représente un enjeu de civilisation, au même
titre que la défense des minorités ou la préservation des patrimoines.
Dans cette perspective, le droit à l’oubli gagnera à être repensé non
comme une tentative illusoire de retirer nos traces numériques des
espaces où elles sont déposées, indexées et dupliquées en fonction
d’intérêts particuliers, mais plutôt comme une pratique collective de
réglage des distances par la recontextualisation des données. En découplant accessibilité technique des traces et activation des traces
par l’usage, on verra que l’identité numérique a plus à voir avec le
vivre ensemble qu’avec la protection de la vie privée. Si l’on veut préserver une alternative à la privatisation marchande des mémoires, il
nous faut en tout cas affranchir les identités numériques des seules
logiques affinitaires ou algorithmiques, pour les repenser dans la
perspective des communs. C’est à cette condition que notre présence
numérique pourra se mettre elle-même au service du dialogue des
cultures et de leur épanouissement.
Termes liés : algorithme, archives, biens communs,
documentation, données personnelles, littératie, public/
usagers
Références
Michel Arnaud, Louise Merzeau (dir.), « Traçabilité et réseaux », Hermès, no 53, Paris,
Éditions du CNRS, 2009.
Danah Boyd, Michele Chang, Elizabeth Goodman, « Representations of
Digital Identity » ; lire en ligne http://www.danah.org/papers/
CSCW2004Workshop.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014.
Dominique Cardon, « Le design de la visibilité : un essai de cartographie du Web 2.0 »,
Réseaux, no 152, Paris, Lavoisier, 2008, pp. 93-137.
Fanny Georges, « Représentation de soi et identité numérique. Une approche
sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du Web 2.0 », Réseaux,
2009/2, no 154, 2009, pp. 165-193.
Serge Tisseron, L’Intimité surexposée, Paris, Ramsay, 2001.
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Ergonomie
des interfaces
Stéphane Caro Dambreville
L’ergonomie des interfaces est fondée sur une idée simple. Les interfaces doivent être adaptées aux humains et aux caractéristiques de
leurs activités. Cette idée répandue en ergonomie prend un tour nouveau quand elle a pour objet des systèmes qui peuvent être complexes :
les interfaces personnes/système. Ces interfaces sont des systèmes de
communication et d’interaction entre un humain et une machine.
L’ergonomie est « l’étude scientifique de la relation entre l’homme et ses
moyens, méthodes et milieux de travail » (extrait de la définition adoptée
par le ive Congrès international d’ergonomie, 1969) et l’application
de ces connaissances à la conception de systèmes « qui puissent être
utilisés avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité par le
plus grand nombre » (extrait de la définition de l’ergonomie retenue par
la SELF (Société d’ergonomie de langue française).
Cette discipline, fondée dans la seconde moitié du xxe siècle, se nourrit de résultats provenant de différents champs scientifiques ayant
trait au comportement humain (physiologie, médecine, psychologie,
sociologie, linguistique, anthropologie).
Différentes approches
Il existe différentes écoles en ergonomie. En France, l’ergonomie
construit sa spécificité sur l’analyse de l’activité dans les situations
de travail. L’analyse de l’activité est centrale pour la compréhension
des situations de communication personne/système. Une activité
donnée peut nécessiter à un certain moment d’utiliser une interface.
L’activité est donc le cadre général d’analyse des interactions entre
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Ergonomie des interfaces
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l’humain et le système, et le dialogue entre l’homme et la machine
doit être pensé dans ce contexte global.
L’ergonomie des interfaces touche toutes les catégories sociales
et toutes les cultures. En effet, une grande partie de la population
mondiale est exposée à des interfaces personne/système. Une
interface simple, un interrupteur par exemple, peut déjà comporter
des caractéristiques destinées à communiquer avec l’utilisateur
(voyant lumineux, signal audio, rupture d’effort dans la course du
bouton). Ainsi, ce très simple dispositif, sans retour d’information
vers l’utilisateur, peut déjà générer des difficultés d’interaction (aije bien appuyé sur le bouton ? Le système a-t-il bien enregistré ma
demande ?). À plus forte raison, les interfaces plus complexes (sites
web, documents numériques, interfaces logicielles, tableaux de
commandes, tableaux de bord) peuvent-elles générer des difficultés
d’utilisation dans leurs multiples modes d’interaction. Ce point est
particulièrement sensible quand lesdites interactions ont pour objet
le pilotage de véhicules ou la surveillance de processus dangereux
(contrôle aérien, trafic ferroviaire, contrôle de flux dans les usines
chimiques, centrales nucléaires…). L’ergonomie des interfaces
constitue une discipline qui s’est développée prioritairement dans
tous ces secteurs sensibles des interactions personne/système. Les
ergonomes sont également beaucoup intervenus pour la conception
de produits dont les acheteurs ont été les utilisateurs, comme
l’électroménager, la haute-fidélité.
Pertinence
De nombreuses activités de la vie professionnelle ou familiale nécessitent désormais l’utilisation d’interfaces multiples (distributeurs
en tout genre, ordinateurs, téléphones intelligents (smartphones), tablettes, etc.). Pourtant, les parcours éducatifs traditionnels ne préparent pas, ou peu, à ce type d’interactions.
La partie de l’ergonomie qui traite des interfaces personne/système
est qualifiée d’ergonomie cognitive. Elle s’intéresse essentiellement à
quatre aspects du traitement de l’information par le cerveau humain
(Sperandio, 1984) :
•la prise d’information sur le monde extérieur, c’est-à-dire la perception,
•l’analyse de l’information, c’est-à-dire les raisonnements sous toutes
leurs formes, portant sur l’information externe (provenant de la perception) ou sur l’information interne (provenant de la mémoire),
•la mémoire, à plus ou moins long terme,
•la représentation mentale.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Ce dernier point est central en ce qu’il différencie les représentations mentales que se construisent les utilisateurs d’une interface
des autres types de construction de représentations mentales, dites
« construites de manière directe ». En effet, l’utilisation d’une interface sous-entend une construction d’une représentation chez l’utilisateur dite « construite par l’intermédiaire d’autrui », influencée par
quelqu’un d’autre. Cet autrui n’est autre que l’équipe de conception
de l’interface qui comprend différents métiers et que l’on désigne
abusivement par l’expression le « concepteur du système ». Ce type
de représentation est particulier car il prend appui sur le langage,
les formes analogiques (sons, images) ou symboliques (icônes par
exemple) À partir de ces intermédiaires (lexicaux, analogiques et symboliques), l’utilisateur va forger une représentation de son activité, de
la situation (Bisseret, 1995). Une fonction essentielle de l’ergonomie
cognitive est de permettre que cette représentation soit satisfaisante
au regard de l’objectif de l’utilisateur (la connaissance, l’exécution
d’une procédure, etc.) L’ergonomie cognitive fournit essentiellement
deux types de résultats :
•les spécifications pour la conception : recueils de bonnes pratiques,
normes (ISO [International Organization for Standardization] 9241,
AFNOR [Agence française de normalisation] Z67) ;
•l’évaluation où l’on propose des outils méthodologiques en vue de
tester les interfaces. On distingue deux grandes familles de tests, celles
avec et celles sans le recours aux utilisateurs.
Il existe désormais de nombreuses formations en ergonomie (une
trentaine de formations sont répertoriées sur le site de la SELF,
www.ergonomie-self.org). Devant la multiplicité des parcours de
formation, un titre d’ergonome européen en exercice a été institué
pour valider certaines compétences du domaine. Des conférences et
des publications scientifiques spécialisées existent tant en France
qu’à l’étranger, ainsi que de nombreuses associations à vocation
professionnelle ou scientifique. En France, la revue Le Travail
humain, fondée en 1933 par Jean-Maurice Lahy et Henri Laugier, sera
la première à couvrir ce champ disciplinaire. À signaler également,
l’éditeur Octarès, à Toulouse, qui produit de nombreux ouvrages en
ergonomie.
Les différences culturelles ont souvent peu d’influence en ergonomie
car l’ergonome des interfaces s’intéresse essentiellement aux
caractéristiques physiologiques et psychologiques des êtres humains
(capacités limitées de la mémoire de travail par exemple), qui
varient peu d’une population à une autre. Les différences culturelles
peuvent toutefois concerner quelques modalités de présentation de
l’information, comme la signification des couleurs, des formes, des
symboles, le sens de lecture/écriture, certains aspects typographiques
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Ergonomie des interfaces
129
également. Il existe donc une harmonisation des pratiques avec des
modèles de conception centrée sur l’humain, qui se diffusent via
des méthodologies ou des technologies comme les CMS (Content
Management System).
Les CMS sont des outils permettant de créer des documents numériques qui sont en général relativement respectueux des connaissances
du moment en termes d’ergonomie mais aussi de design. Cette harmonisation est également le produit des normes ISO et AFNOR et des
recueils de bonnes pratiques qui se diffusent via des entreprises, des
institutions et des organisations ou des auteurs reconnus. Toutefois,
malgré cette harmonisation, la part de créativité dans la conception
demeure potentiellement importante, mais elle touche davantage un
autre domaine : le design des interfaces. L’ergonome a pour vocation
de rendre le dialogue avec les systèmes techniques intelligibles par les
utilisateurs, la vocation du graphiste est de le rendre, en plus, esthétique et, en la matière, il y a beaucoup de latitude.
Termes liés : augmentation, communication, design, industries
créatives, innovations, mobile (téléphone), normes.
Références
André Bisseret, Représentation et décision experte. Psychologie cognitive de la
décision chez les aiguilleurs du ciel, Toulouse, Octarès Éditions, 1995.
Jean-Claude Sperandio, L’Ergonomie du travail mental, Paris, Masson, 1984.
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Éthique
Pierre-Antoine Chardel
L’éthique consiste à évaluer la conduite de nos actions relativement
aux valeurs qui sont censées les orienter. Le développement de l’ère
numérique est directement concerné par une réflexion sur la signification que nous souhaitons attribuer à notre vie en commun. Cela même
si les problèmes que les médiations technologiques sont susceptibles
d’induire d’un point de vue éthique s’avèrent difficiles à cerner dans
une époque hypermoderne, où les progrès technoscientifiques sont
le plus souvent jugés comme nécessairement bénéfiques. Des effets
de structuration interviennent à ce niveau fortement. La dimension
émancipatrice des nouvelles technologies est souvent mise en avant,
reposant sur le constat que ce qui jadis déterminait les subjectivités
de manière relativement homogène, à savoir un territoire et ses frontières, un système de valeurs dominant dans une société donnée, est
dorénavant susceptible d’être mis en question par des réseaux d’influences hétérogènes.
L’ambivalence éthique de la sociabilité en ligne
Mais la possibilité technique de fluidifier la communication n’engendre pas, comme dans un rapport de cause à effet, un enrichissement de la qualité des interactions avec autrui. Dans une relation en
réseau, on s’engage dans une connexion que l’on peut rompre à tout
moment. Or quel rapport aux autres est susceptible d’être engendré
dans ces conditions ? Même si nous savons sociologiquement que les
« liens faibles » qui sont entretenus sur la Toile ne se substituent pas
aux « liens forts », est-ce qu’un nouveau mode d’être avec autrui ne
sera pas à terme susceptible d’émerger, un mode relationnel où l’impatience deviendra la règle ? Par rapport à ces questions, un enjeu
éthique majeur consiste à insister sur l’extrême ambivalence des ré-
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Éthique
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seaux numériques. Si ces derniers sont porteurs de phénomènes majeurs dans l’évolution de nos existences individuelles et collectives,
si l’on songe aux mouvements de libération qu’ils rendent possibles,
l’idéal qu’ils portent ne doit pas nous empêcher de les interroger en
fonction du sens que nous souhaitons conférer au vivre ensemble. À
cette fin, il importe de pouvoir s’entendre sur certaines valeurs, telles
que le respect de l’autonomie des personnes, de la vie privée ou bien
l’exercice de la responsabilité pour autrui, en vue de stimuler une
évaluation des innovations technologiques dans les contextes où elles
sont utilisées.
L’apport de l’éthique de la discussion, à travers les principes qu’elle
énonce, apparaît dans cette perspective manifeste dans la mesure où
elle rend compte de la nature intersubjective de l’engagement moral.
En effet, pour les représentants de la deuxième génération de l’École de
Francfort, aucune éthique ne peut s’élaborer indépendamment d’une
discussion ouverte et contradictoire. La participation effective de
chaque personne concernée par tel ou tel problème est seule à pouvoir
prévenir la déformation de perspective qu’introduirait l’interprétation
d’intérêts chaque fois personnels. Il s’agit ainsi de rendre compte de la
multiplicité des points de vue et des formes de vie socioculturelles. Il
n’y aurait d’éthique qu’en assumant la confrontation des argumentations, qui oblige chacun à se placer du point de vue de tous les autres.
Dans cet horizon, plus des différences culturelles interviennent, plus
l’intensité des confrontations est censée être importante.
Une telle démarche dialogique nécessite toutefois de pouvoir
interroger l’évolution des échanges au travers des médiations
numériques. Ce sont les conditions « méta-communicationnelles »
qui tendent à s’altérer dans une communication à distance, où
la connaissance des contextes dans lesquels les interlocuteurs
se trouvent n’est pas assurée. De la sorte, alors même que nous
assistons à la démultiplication des espaces de discussion en ligne, des
possibilités d’échanger et de « télé-communiquer », l’apprentissage de
l’altérité que stimule en principe la vie en commun devient l’enjeu
d’un effort qui doit se voir redoublé dans une époque où nous pouvons
être seuls tout en étant virtuellement à plusieurs. Il nous incombe
éthiquement de prendre au sérieux le contact avec l’autre. Car c’est
à travers ce contact que nous nous élevons au-dessus de l’étroitesse
de notre propre assurance de savoir. Or un tel apprentissage n’est
évidemment pas réductible aux seuls progrès de la numérisation.
L’essentiel d’un point de vue éthique se joue dans la spontanéité des
rencontres, dans la production d’échanges informels et aléatoires. Le
sens de l’intersubjectivité en dépend très largement.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Questions d’éthique en contexte
Si l’on peut aisément convenir de la portée universelle des problèmes
posés par l’agir « télé-communicationnel », ces derniers nécessitent
d’être examinés en fonction des environnements spécifiques dans
lesquels ils émergent. S’engager dans l’identification de certains risques
éthiques ne consiste pas à décréter que telle ou telle technologie serait
a priori dangereuse ou néfaste pour tout le monde de la même façon,
à partir de prescriptions générales. La somme des représentations
qui entoure le déploiement des technologies doit pour cela être sans
cesse interrogée. Car la technique est, tout autant que le langage, un
fait de culture qui nécessite d’être interprété dans la plurivocité de
ses significations. Par conséquent, les technologies susceptibles d’être
évaluées d’un point de vue éthique (en fonction de valeurs que nous
définissons comme importantes pour notre vie en commun) renvoient
autant aux dispositifs qu’à l’imaginaire social qui les entourent. Il
convient donc de pouvoir analyser les différents contextes d’émergence
de certains discours qui contribuent, directement ou indirectement,
à favoriser l’acceptabilité de technologies pourtant à même d’être
éminemment problématiques d’un point de vue éthique. Aux ÉtatsUnis, par exemple, le PATRIOT Act signifie que le terrorisme peut surgir
partout, qu’aucun individu n’est réellement immunisé contre ce fléau,
le mot « exception » étant amené dans ce cas à perdre tout son sens.
Dans un tel cas, c’est un certain champ lexical qui renforce la légitimité
d’une nouvelle relation de domination où les mesures de surveillance
deviennent durablement intégrées aux dispositifs techniques. Dans
la logique de l’intrusion toujours possible que génèrent ceux-ci, on
assiste à la fragilisation d’un droit à la dissimulation, et de résister à
la demande de transparence publique. Un tel droit – considérablement
fragilisé aujourd’hui – doit pourtant rester l’enjeu d’une attention
particulière dès l’instant où l’État se fait le garant d’une certaine idée
du bien, et qu’il introduit « la police partout, tant et si bien que la
police absolument intériorisée a son œil et ses oreilles partout, ses
détecteurs a priori dans nos téléphones intérieurs, nos courriels et les
fax les plus secrets de notre vie privée, et même de notre pur rapport à
nous-mêmes » (Derrida, Dufourmontelle, 1997, p. 65).
Diversité culturelle et pluralisme des valeurs
La question d’un droit à la dissimulation, ou d’un droit au secret,
se doit d’être éthiquement renforcée à l’heure où l’on assiste à
l’épanouissement du modèle panoptique avec le tout numérique.
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Éthique
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Cependant, un tel enjeu ne saurait être débattu de manière globale,
comme si nous étions universellement d’accord sur les conséquences
éthiques de technologies qui accentuent la transparence de tous
nos faits et gestes. Car chacun ne réagit pas de la même façon, ni
avec la même indignation aux problématiques de surveillance et de
contrôle. Ce qui nous amène à rappeler, avec l’anthropologue américain Edward T. Hall, que chaque culture peut avoir sa manière de
concevoir les conditions de l’échange et les frontières de l’intimité. On
s’aperçoit en effet que la perception que nous avons du respect de la
sphère subjective demeure hétérogène et impose pour cette raison des
évaluations propres à chaque société, en tenant ainsi compte du pluralisme des valeurs. La diversité et la complexité des interrogations
censées s’ouvrir dans nos sociétés de l’information ne sauraient pour
cette raison être détachées des contextes linguistiques. Car la pluralité des langues constitue autant de manières de nous situer dans
le monde et de nous orienter dans nos existences. Une communauté
ne saurait se réduire à un tout homogène, mais se caractérise par
des plans d’existence différenciés. Cela signifie, comme l’avait exposé
Jacques Derrida, que même au niveau de celles et ceux qui ont accès
simultanément à la même séquence d’informations et qui subissent
de la sorte un certain type de programmation se laissent percevoir des
stratégies de réception qui sont toujours variables selon les contextes.
La réception d’une information a lieu non seulement depuis des lieux
différents, mais également depuis des langages différents.
Autrement dit, si des logiques de standardisation des comportements
se répandent dans les sociétés de consommation, la standardisation
des moyens n’entraîne pas, comme dans un rapport de cause à
effet, un appauvrissement des pratiques. Cela dans la mesure où
les technologies les plus susceptibles de provoquer des logiques
de synchronisation n’interviennent pas sur un terrain neutre mais
renvoient à des régimes de sensibilité spécifiques qui stimulent le
déclenchement de modes d’appropriation diversifiés. Ainsi, tant que
nous aurons affaire à une multiplicité de langues et de cultures,
s’épanouiront diverses manières d’être avec les technologies et de les
interpréter. D’un point de vue éthique, c’est à tout le moins en fonction
de telles exigences de différenciation que des modes de subjectivation
devront continuer de travailler, en nous donnant par là les moyens de
cultiver les conditions d’une évaluation en contexte de technologies
numériques qui investissent toujours davantage nos existences.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Termes liés : communication, connexion, e-réputation,
imaginaire, langues, temporalités, vie privée/données
personnelles
Références
Karl-Otto Apel, Éthique de la discussion, tr. de l’allemand par Mark Hunyadi, Paris,
Éditons du Cerf, 1994.
Jacques Derrida, avec Anne Dufourmantelle, De l’hospitalité, Paris, Calmann-Lévy,
1997.
Jacques Derrida, Bernard Stiegler, Échographie de la télévision, Paris, Galilée-INA,
1996.
Carsten Dutt, Dialogue avec Hans-Georg Gadamer. Herméneutique. Esthétique.
Philosophie pratique, tr. de l’allemand par Donald Ipperciel, Fides, 1998.
Robert Harvey, Hélène Volat, USA PATRIOT Act. De l’exception à la règle, Paris, Lignes
& Manifestes, 2006.
Edward T. Hall, La Dimension cachée, tr. de l’anglais (États-Unis) par Amélie Petita,
postface de Françoise Choay, Paris, Seuil, 1971.
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Financement
des médias
Nathalie Sonnac
La numérisation de l’information, c’est-à-dire la transcription en
langage binaire de contenus, constitue une révolution pour le secteur
des industries médiatiques : télévision, radio, cinéma, presse écrite,
tous considèrent l’internet et les NTIC comme une lame de fond, une
transformation disruptive, au sens d’un changement profond des
modalités de production, de consommation et de distribution des
contenus auprès des téléspectateurs, des lecteurs, des auditeurs et des
internautes. Les médias sont des vecteurs de démocratie, justifiant pour
partie une régulation spécifique afin d’assurer le maintien du pluralisme
de l’information et la diversité des supports. L’environnement numérique
dans lequel les médias évoluent aujourd’hui et les organisations qui
se dessinent les contraignent à chercher de nouvelles modalités de
financement qui sont susceptibles d’impacter la nature des contenus.
Rappel des financements médiatiques
traditionnels
Du double financement à la gratuité
Depuis 1836 et jusqu’à l’aube des années 2000, la presse écrite n’a
eu de cesse de jongler avec un modèle d’affaires qui s’appuie sur
une structure atypique de financement : la vente d’information aux
lecteurs – au numéro ou par abonnement – et la vente d’espaces
publicitaires aux annonceurs. De nombreux auteurs ont étudié
l’impact de ces modalités de financement sur la nature des produits,
avec souvent la mise en évidence du poids des annonceurs dans la
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
nature des contenus offerts ; on reproche aux médias de vouloir plaire
au plus grand nombre avec des contenus à haute teneur d’audience.
L’arrivée des journaux gratuits au début des années 2000 accentue ces
doutes quant à la nature de l’information et à son basculement dans
le divertissement : les journaux étant offerts aux lecteurs, seuls les
annonceurs paient les éditeurs en achetant des espaces publicitaires,
et subventionnent in fine intégralement la production des titres, au
risque d’une remise en cause totale de la qualité de l’information.
La gratuité s’est immiscée à petits pas dans le modèle d’affaires de
la télévision. En 1968, la publicité a fait son apparition dans l’audiovisuel public ; en 1987, la Une devient TF1, première chaîne commerciale en France, entièrement financée par la publicité. Très largement
critiqué, son modèle se résume aux propos tenus par Patrick Lelay,
dirigeant de la chaîne en 2004, « la programmation de TF1 consiste à
vendre du temps de cerveau disponible à Coca-Cola ».
Coexistence de trois modèles d’affaires
Le premier modèle d’affaires est celui du service public de l’audiovisuel (modèle qui n’existe pas dans le secteur de la presse écrite !), dont
le financement s’appuie principalement sur une redevance – taxe votée chaque année par le Parlement – et faiblement sur la publicité (les
chaînes du groupe France Télévisions, les stations de Radio France) ;
le deuxième se fonde uniquement sur les recettes publicitaires, il
concerne les chaînes, les stations privées commerciales gratuites
(TF1, NRJ…) et les journaux gratuits (20minutes, Metronews…) ; le
troisième repose sur un double financement, lecteurs-téléspectateurs
d’un côté, annonceurs de l’autre (modèle des marchés bifaces ou twosided markets). L’équilibre entre ces deux recettes varie selon les
chaînes et les publications (Canal Plus, la majorité des périodiques).
Le financement publicitaire a toujours été dénoncé mais, paradoxalement, dans l’univers audiovisuel, la garantie de pluralisme et de la
diversité émane de l’État. A contrario, dans le secteur de la presse
écrite, sa seule présence est synonyme de corruption ou d’injonction politicienne. Seule la vente aux consommateurs semble offrir la
garantie d’une presse indépendante, mais compte tenu de son coût
et de la nécessité d’atteindre de larges diffusions pour réaliser des
économies d’échelle, l’appel à la publicité est devenu une condition
consubstantielle de son existence.
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Financement des médias
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Le passage au numérique : danger démocratique ?
Les bases du financement des médias à l’ère numérique ont été jetées dès l’origine. Au regard des différentes études empiriques, on
constate que le passage au numérique ne modifie pas cette structure
tarifaire : publicité (gratuité), abonnement et vente au numéro (paiement) demeurent les sources principales des recettes des médias. Ce
qui a changé profondément et qui constitue une rupture, c’est d’abord
une révolution technologique et économique qui a permis la multiplication des canaux de distribution (ADSL, câble, satellite, TNT, fibre)
et a rendu possible une hyper-offre qui s’est traduite par la présence
d’un très grand nombre d’acteurs jusqu’ici inconnus du monde médiatique : fournisseurs d’accès internet, groupes de télécommunications, pure players. Tous sont producteurs d’information avec, comme
conséquence directe, une perte de valeur économique de l’information. Cette forte intensité concurrentielle se conjugue à une profonde
crise économique mondiale depuis 2008, qui entraîne une chute des
recettes publicitaires et des ventes liée à la baisse du niveau de vie
des consommateurs. Ensuite, dans cet univers numérique, l’internaute est au cœur de l’écosystème médiatique. Le consommateur ne
peut plus être relégué à la seule place d’un individu passif, mais il
agit à son tour en tant que producteur, diffuseur et prescripteur de
contenus – contenus dits alors « générés par les utilisateurs » (User
Generated Contents). À cela s’ajoute le phénomène de la gratuité qui
s’est répandu sur la Toile, où la mise à disposition pendant des années d’informations gratuites (actualités, divertissements, résultats
sportifs, bulletins météo…) a conduit à affaiblir le consentement à
payer des consommateurs, remettant en cause ainsi la viabilité de
certains modèles d’affaires.
Modèles d’affaires et démocratie
Les sites des médias traditionnels ont dans un premier temps choisi
de s’appuyer sur une offre gratuite de contenus, pour ensuite osciller
dans une variété de configurations tarifaires. Textes écrits et images
convergent à l’ère numérique, l’analyse en silo des médias tend à
s’estomper, et les trois modèles d’affaires continuent de coexister : du
tout gratuit, où les annonceurs assurent l’intégralité du financement
de l’accès des consommateurs aux contenus (Atlantico, Rue89, Slate,
Huffington Post…), au tout payant, où seuls les consommateurs paient
(Arrêt sur images, Mediapart), en passant par le modèle freemium,
mélange des deux modèles précédents. Ce dernier croise l’accès gratuit
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
(free) à une large palette de contenus et l’accès moyennant paiement à
des contenus enrichis et exclusifs (premium). Avec le numérique sont
nées des zones de valeur payantes pour des produits d’une certaine
qualité, qui prennent la forme de murs payants (paywall) pour les
plateformes d’audience. C’est le cas du New York Times, qui a lancé en
mars 2011 un mur payant fonctionnant via un système de compteurs
(metered system) qui donne au lecteur le droit de consulter dix articles
de son choix pendant quatre semaines, puis un abonnement lui est
proposé, dont le montant varie selon les formules et les supports.
D’autres modalités émergent, tels l’accès payant aux archives ou
l’accès à des offres en différentes versions numériques (ordinateur,
mobile et tablette).
Deux remarques sur ce modèle. La première souligne le caractère
modulable des discriminations tarifaires du modèle. La seconde
met en évidence que le choix d’un modèle d’affaires n’est pas neutre
politiquement. Le modèle freemium donne naissance à une information
à deux vitesses, avec un premier niveau pour une information uniforme,
consensuelle, gratuite et soumise au diktat de la publicité, que l’on
pourrait qualifier d’information au rabais (low cost), et un second niveau,
payant, qui serait réservé à une certaine élite composée d’experts et de
décideurs, prête à payer pour une information de qualité et enrichie,
premium. Si la question de l’accessibilité de tous à l’information
est posée, celle de la nature de l’information doit-elle l’être aussi ?
Le danger de cette coexistence se situe sur le plan démocratique et
doit interpeller le législateur. Les plateformes de l’audiovisuel sont
confrontées aux mêmes difficultés, face aux mutations technologiques
et économiques dans un univers concurrentiel qui s’est intensifié avec
la présence d’acteurs puissants qui proposent des offres multiservices
(triple play), combinant abonnement téléphonique, accès à l’internet
et services audiovisuels. Ici, la télévision tend à devenir un produit
d’appel et n’est plus qu’un service parmi d’autres.
Mutation du marché publicitaire et nouvelles
formes d’écriture
La multiplication du nombre de médias a impacté aussi l’organisation
du marché publicitaire. Le rapport de forces qui était en faveur des
éditeurs traditionnels relativement peu nombreux s’est inversé au profit
des annonceurs à l’ère numérique. Là où la tarification publicitaire
reposait principalement sur la notoriété du média, croisant à la fois
le nombre de publicités et le nombre de consommateurs exposés
au message, la publicité en ligne est vendue et évaluée en fonction
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Financement des médias
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des actions qu’elle suscite chez les internautes : clic, inscription et
achat sont les nouveaux facteurs clé de la tarification publicitaire.
Cette nouvelle convention, celle de la performance, porte atteinte
aux médias à la fois dans leur économie, puisqu’elle se traduit par
une baisse substantielle des tarifs publicitaires (et donc de leurs
recettes), et dans leur fonction : recherche de techniques pour être
référencés sur Google, qui génère 40 % de leur audience, et/ou opter
pour des stratégies de recommandation pour être visibles sur les
réseaux sociaux. Toutes ces techniques portent atteinte au pluralisme
et voient se profiler le risque d’une uniformisation des contenus.
Alors qu’on pouvait penser que, avec l’arrivée de l’internet, un formidable espace d’expression voyait le jour et garantirait pluralisme et
diversité, les mécanismes de marché tendent à remettre en cause très
largement ce postulat.
Termes liés : économie des œuvres sous format numérique,
journalisme, libre
Références
Danièle Attias, « La presse sur internet : quelle stratégie d’audience ? », in Culture web,
Xavier Greffe et Nathalie Sonnac (éd..), Dalloz, chapitre 28, 2008, pp. 513528.
Yochaïm Benckel, La Richesse des réseaux. Marchés et libertés du partage social,
Presses universitaires de Lyon, 2009.
Pierre-Jean Bengozi et Inna Lyubareva, « La presse française en ligne en 2012 :
modèles d’affaires et pratiques de financement », Culture études, 2013/3,
pp. 1-12.
Jonathan Cook et Shahzeen Attari, « Paying for What Was Free : Lessons from the New
York Times Paywall », Cyberpsychology, Behavior and Social Networking,
vol. 15 (12), 2012, pp. 1-6.
Patrick Le Floch et Nathalie Sonnac, Économie de la presse à l’ère numérique, Paris,
La Découverte, 3e édition, coll. « Repères », 2013.
Emmanuel Marty et al, « Diversité et concentration de l’information sur le web. Une
analyse à grande échelle des sites d’actualité français », Réseaux, 2012/6
no 176, pp. 27-72.
Alan Ouakrat, Jean-Samuel Beuscart et Kevin Mellet, « Les régies publicitaires de la
presse en ligne », Réseaux, no 160-161, 2010, pp. 133-161.
Franck Rebillard, « Du traitement de l’information à son retraitement. La publication
de l’information journalistique sur internet », Réseaux, 137, 2006, pp. 2968.
Guillaume Sire, « Google et les éditeurs de presse en ligne, une configuration négociée
et négociable », Sur le journalisme, no 4, 2013, pp. 88-101.
Nathalie Sonnac et Jean Gabszewicz, L’Industrie des médias à l’ère numérique, Paris,
La Découverte, 3e édition, coll. « Repères », 2013.
Nathalie Sonnac, « L’économie de la presse : vers un nouveau modèle d’affaires »,
Cahiers du journalisme, no 20, automne 2009, pp. 22-43.
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Fracture numérique
Alain Kiyindou
Dans les années 1970 apparaît la notion de « pauvreté de
l’information », vue comme le résultat d’un manque d’opportunité
égale d’accès à l’infrastructure informationnelle. Elfrada Chatman
considère que cette pauvreté de l’information est liée non
seulement à la pauvreté économique, mais aussi à un ensemble
d’attitudes et de normes sociales déterminées. Cette ségrégation
socio-économique a pris, dans un contexte de développement de
la société de l’information, le nom de « fracture numérique ». La
fracture numérique est la traduction de l’expression américaine
digital divide, expression communicationnelle de la mondialisation
des échanges, voire de la globalisation. Communément, l’expression
désigne le fossé séparant les personnes qui bénéficient de l’accès à
l’information numérique et en font un meilleur usage – les « inforiches » – et celles qui demeurent privées des contenus et des
services que ces technologies peuvent rendre ou ne les exploitent
que faiblement – les « info-pauvres ».
Cette question des inégalités, sous-tendue par la problématique de la
fracture numérique, renvoie de facto à une lecture des problèmes sous
un angle dichotomique, voire manichéen… Ainsi s’élaborent des duos
oppositionnels, connectés/non connectés, Nord/Sud, ceux qui ont la
possibilité de diffuser, de protéger, de promouvoir leur culture et les
autres. Le terme « fracture » n’est donc pas neutre, en ce qu’il renvoie
à un schisme, un traumatisme nécessitant une intervention rapide.
L’e-inclusion est une autre façon de désigner la pression idéologique
autour du rattrapage. En tout cas, même si les réseaux numériques
constituent un formidable espoir de partage d’idées, de cultures et
de valeurs, ils sont surtout au cœur de gros enjeux économiques,
culturels, politiques… Le numérique facilite-t-il ou accroît-il les
distances culturelles ? Répondre à cette question revient à adopter
un parti pris technologique ou culturaliste mais, dans tous les cas,
déterministe. La question qui nous préoccupe est celle de l’altérité
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Fracture numérique
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dans le cyberespace, la place de l’autre ou de la culture de l’autre,
ce qui nous ramène bien entendu à la problématique de la diversité
culturelle et numérique.
Une question de justice sociale
La fracture numérique met en exergue une préoccupation essentielle,
celle de la justice sociale. Les corrections nécessaires peuvent être
sociales, financières ou culturelles, et s’apparentent à la discrimination positive. Il s’agirait donc de donner la possibilité à tous de
protéger et d’exprimer leur culture à travers les réseaux numériques.
On remarquera que, au plan scientifique, les analyses sur la question
s’appuient souvent sur les théories contemporaines de la justice, produites à partir de John Rawls dans les années 1970. Les politiques
publiques de réduction de la fracture numérique visent donc à ce que
les femmes et les hommes, quels que soient leur statut ou leur lieu
d’habitation, puissent avoir les mêmes chances de tirer profit des
opportunités offertes par les technologies de l’information et de la
communication. Au-delà du non-respect de l’identité culturelle, il y a
un véritable risque, celui d’une inégalité d’expression des cultures et
de la marginalisation de la majeure partie de la population du globe.
Une approche théorique orientée vers la
réduction des différences
Les travaux sur la fracture numérique interrogent des enjeux
techniques, politiques, économiques, sociaux et culturels liés. Ils
abordent la question de l’accessibilité, de l’égalité des genres, du
contrôle des réseaux, des contenus différenciés et de leur visibilité
dans le cyberespace… Ils mettent en exergue le fossé entre, d’une part,
ceux qui utilisent les potentialités des technologies de l’information
et de la communication (TIC) pour leur accomplissement personnel
ou professionnel et, d’autre part, ceux qui ne sont pas en état de les
exploiter, faute de pouvoir y accéder par manque d’équipements ou à
cause d’un déficit de compétences. La fracture numérique s’avère être
un marqueur, du moins au plan communicationnel, de la distance entre
le local et le global, c’est-à-dire de la difficulté pour certaines localités,
individualités, voire particularités, de s’insérer dans cette globalité
qui serait la société planétaire, telle que prédite par Marshall
McLuhan. L’e-inclusion consisterait à établir des passerelles (digital
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
bridges) qui relieraient ces différentes singularités avec l’idée de
développer un monde uni, dans lequel tous seraient connectés au
sein d’un réseau mondial. Cette « réconciliation de la grande famille
humaine », pour reprendre les termes d’Al Gore, s’organise sans tenir
compte du fait que la société est un ensemble multiforme qui ne peut
être réduit à la raison technologique.
De la fracture numérique à la fracture culturelle
Si l’on considère que le contexte joue un rôle important dans la
construction du sens et donc dans l’appropriation des contenus diffusés, l’on s’aperçoit vite, dans la production de ces contenus, qu’il
est très difficile de prendre en compte les contextes variés, culturels,
économiques ou autres, dans lesquels se situent les destinataires. Il y
a donc lieu de parler de fracture culturelle. Elle peut être envisagée en
lien avec la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, voire avec le Nouvel Ordre mondial de
l’information et de la communication (NOMIC), puisqu’il est question
de tenir compte de la diversité des cultures, de leur diffusion, de leur
protection, de leur valorisation et de leur réception. La fracture naît
de l’« ethno-centralisation » des systèmes informationnels.
Partage des savoirs ou fracture cognitive ?
La question du partage des savoirs est liée à l’objectif de réduction de
la fracture cognitive (knowledge divide). Elle est à mettre en rapport
avec l’accès à l’information que Widad Mustafa El Hadi aborde
en termes de recherche d’informations traditionnelles, recherche
d’informations multilingues, extraction d’informations, fouille de
textes, traduction automatique, veille scientifique et technologique…
En effet, la notion de fracture numérique présuppose des aptitudes
d’appropriation partagées de tous et fait l’impasse sur les obstacles
que rencontrent certains individus pour convertir les opportunités
technologiques en avantages pratiques concrets.
Cette question des compétences numériques est traitée depuis longtemps par divers auteurs qui s’intéressent à l’éducation et à la pédagogie des TIC. Dans les recherches sur la fracture numérique, ces
compétences apparaissent aussi sous les appellations de « nouvelle
culture numérique » ou d’« alphabétisation numérique ». Sur le plan
théorique, c’est Rob Kling qui distingue pour la première fois expli-
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Fracture numérique
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citement les inégalités dans les connaissances et les compétences
(social access) des internautes. De nos jours, la question des compétences numériques (digital skills) des utilisateurs pour s’approprier
pleinement les contenus offerts par les TIC, et de leur capacité à les
développer à travers leurs activités en ligne est devenue centrale. Si,
depuis, de nombreux travaux ont été publiés (Ben Youssef, Valenduc,
Dupuy, Guichard, Soupizet…), peu de recherches se sont attachées à
établir un lien avec la protection des expressions culturelles évoquée
par la Convention de l’UNESCO. Il y a trop souvent inadéquation entre
les informations diffusées et les croyances des populations. Cela est
d’autant plus important que, comme l’explique Sven Ove Hansson
(2002), « le savoir est d’abord une espèce de croyance, puisque ce
que l’on ne croit pas ne saurait être du savoir ». Le décalage avec les
cultures locales est caractéristique de bon nombre d’informations
diffusées sur le web. Ce décalage se situe au niveau à la fois de la
forme et des contenus diffusés.
De la fracture à la fragmentation numérique
Toute différence n’est pas nécessairement inégalité. Elle ne devient
inégalité que par référence à un cadre normatif qui la perçoit comme
une injustice. La différence numérique devient une inégalité au nom
des exigences et des valeurs dictées par la techno-logique issue de
la mondialisation et de la financiarisation des économies. Mais si la
plupart des chercheurs s’accordent sur la présence d’une fracture,
mettre l’accent sur sa réduction ne dénoterait-il pas une orientation
idéologique ? Cette réflexion conduit certains auteurs à préférer les
termes de « fragmentation numérique », voire d’« opportunité ». La
diversité ne se situe-t-elle pas aussi dans les accès et les usages
différenciés ? Tenir compte de la diversité des cultures numériques
revient donc à abattre les murs de l’intolérance qui séparent les
prétendus hyperconnectés des « mésutilisateurs ». C’est aussi déplacer
les balises au gré des publics, des besoins, des moments, des acteurs ;
c’est bousculer les conventions et éprouver les certitudes. Derrière
l’utopie technique qui gravite autour du développement de l’internet
se cachent en effet une vision « élitico-ethnocentrique » du monde et
un projet industriel de grande ampleur. Or le monde est, dans son
essence, divers.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Termes liés : communication, connaissance, connexion,
éducations aux médias, littératie numérique, temporalités,
public/usagers, territoires
Références
Abdel Ben Youssef, « Les autres dimensions de la fracture numérique », Réseaux,
no 127-128, 2004, pp. 233-251.
Elfreda A. Chatman, « The Impoverished Life-World of Outsiders », in Journal of the
American Society for Information Science, 47, 1996, pp. 193- 206.
Widad Mustafa El Hadi (dir.), Terminologie et accès à l’information, Paris, Lavoisier,
2006.
Alain Kiyindou (dir.), « Fracture numérique et justice sociale », in Les Cahiers du
numérique, vol. 5, no 1, janvier-mars 2009.
Alain Kiyindou (dir.), Fractures, fragmentations et mutation de la diversité des
cultures numériques, Paris, Hermès-Lavoisier, 2009.
Rob Kling, « Technological and Social Access on Computing, Information and
Communication Technologies », White Paper for Presidential Advisory
Committee on High Performance Computing and Communication,
Information Technology, and The Next Generation Internet, « Presidential
Advisory Committee on High Performance Computing and Communication,
Information Technology, and The Next Generation Internet,
Washington », 1998.
Sven Ove Hansson, « Les incertitudes de la société du savoir », in Revue internationale
des sciences sociales, no 171, Paris, UNESCO, 2002, pp. 43-51.
Gérard Valenduc, Patricia Vendramin, Internet et Inégalités : une radiographie de la
fracture numérique, Bruxelles, Labor, 2003.
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Genre
Laurence ALLARD
Interroger la diversité culturelle à l’heure du numérique sous l’entrée
« genre » peut donner lieu à différentes formes de réponses, en fonction
même du spectre large que recouvre cette notion depuis Le Deuxième
Sexe de Simone de Beauvoir. Le champ notionnel s’étend du genre
comme construction, culturelle ou sociale du sexe, au genre comme
performance, redéfinissant les identités de femme, d’homme ou de
transgenre, en tant que pratiques signifiantes et indexicales. Il est ainsi
acquis que la performativité du genre organise le social et contribue à
la formation des identités. Grâce à la problématique du genre (gender),
ce sont les identités biologiques et les rapports sociaux ainsi que les
pratiques culturelles qui sont réarticulés à nouveaux frais.
Cette réarticulation du naturel et du social ouvre à une meilleure
prise en compte de la diversité culturelle. Delphine Gardey, citant
l’historienne pionnière des femmes Michelle Perrot déclarant que
« l’universel qui demeure un objectif ne peut que s’enrichir de ces
consciences multiples », rappelle également que « savoir des femmes
et des hommes, c’est savoir plus, c’est savoir mieux ».
La prise en compte du genre participe de la compréhension et de la réalisation des enjeux de la diversification des contenus, du respect de la
différence, de la promotion des valeurs communes. À travers la prise en
compte du genre, aux côtés de la classe sociale et de l’ethnicité, s’ouvrent
des champs de connaissances et de pratiques, que cela soit au plan des
systèmes de valeurs, des traditions et des croyances, des productions
intellectuelles et artistiques, des modes de vie ou des groupes sociaux.
Ainsi, il est possible de s’attacher aux pratiques numériques en
s’attachant aux formes de socialisation genrée de la culture numérique.
Est alors mis en avant comment le sexe des pratiques culturelles
est construit par des effets de genre allant des catégorisations
sociales stéréotypées des cultures filles et des cultures garçons aux
transmissions familiales. Les compositions des univers culturels,
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
les types de sociabilité, les modes de réception et la formation de
l’identité peuvent constituer des perspectives genrées d’appréhension
de la culture et des pratiques numériques.
Dans ce cadre, on peut citer la façon dont l’internet joue un rôle de machine
à resignifier, à réinterpréter, à recoder les images hypersexualisées
et stéréotypiques à travers les pratiques de remixage de certains
clips vidéos, electro dance ou rap. La stratégie de discours parodique
fréquemment adoptée sur le web constitue une forme de déconstruction
par une lecture au second degré des archétypes médiatiques indexant le
genre sur une délimitation biologique normative.
Il reste cependant à comprendre comment les technologies culturelles
ne sont pas elles-mêmes neutres, et comment une approche genrée des
pratiques numériques doit également prendre en compte comment, dès
sa conception, l’innovation technologique est tramée dans des rapports
sociaux de sexe, et comment, dans leurs usages, les techniques sont
dotées d’un genre. En effet, il ne faudrait pas oublier que, derrière le
numérique saisi depuis le genre, une anthropologie s’esquisse, dans
laquelle les hybrides sociaux que sont les technologies numériques
naturalisent les interactions sociales, voire les invisibilisent, dans les
processus typiques de diffusion sociale de toute technologie nouvelle
de communication. Et parmi ces interactions sociales, il faut compter
les rapports sociaux de sexe.
La neutralité technologique relève donc d’un mythe stérile, et l’on doit
aux épistémologues féministes d’avoir éclairé la « genderisation » des
techniques dont relève le numérique. La critique féministe, en plus
de réinterroger les technologies numériques à l’aune du corps sexué
ou de la domination sociale, a ouvert à un nouvel usage des technologies culturelles. On citera ici l’œuvre indépassable de Donna Haraway
qui, avec la figure du « Cyborg », a enfanté le mouvement cyberféministe comme nouvel horizon de pratiques numériques pour et par des
femmes. Le Cyborg, cette chimère mi-humaine mi-machine, appelle
à imaginer les redéfinitions identitaires et les reconstructions de
genres possibles. Le mouvement cyberféministe a ainsi œuvré à former aux technologies numériques des femmes dans le monde entier, a
encouragé l’apprentissage du code par les femmes dans le but d’augmenter leur capacité d’agir et d’expression sociale. Des ateliers ont
été organisés, tandis que des groupes d’artistes femmes, comme VNS
Matrix, utilisent dès 1991 ce terme en hommage à Donna Haraway ou
œuvrent avec le code HTLM, comme dans My Boyfriend Came Back
From the War d’Olia Lialina datant de 1996.
Le « techno-opportunisme », prôné dès 1985 par l’auteure de A Cyborg
Manifesto pour l’appropriation de l’informatique par les femmes et
pour le détournement de son usage militaire, inspire, de façon para-
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Genre
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doxale, certaines actions contemporaines contre le gender gap numérique. Des programmes TechGirls ou Tech Woman sont lancés notamment dans le cadre de la ligne diplomatique du pouvoir intelligent
(smart power), sous Hillary Clinton, pour amener les jeunes filles et
les femmes du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie à entrer dans des
carrières utilisant les nouvelles technologies.
Du cyberféminisme au pouvoir intelligent féministe, c’est un trajet
qui part de la croyance en un monde virtuel ouvrant à tous les engendrements possibles et qui conduit à un retour à la réalité hybridée
avec le numérique, dans laquelle les femmes doivent toujours se faire
une place. Car le terrain économique a besoin des femmes et de compétences numériques généralisées. N’oublions jamais que si Martin
Cooper a été inspiré par le communicator du Capitaine Kirk dans la
série télévisée Star Trek, ce sont des femmes pauvres du Bangladesh
qui ont loué les premières minutes de téléphonie aux hommes.
Termes liés : fracture numérique, imaginaire, innovation,
pratiques, public/usagers
Références
Laurence Allard, Mythologie du portable, Le Cavalier bleu, Paris, 2009.
Judith Bulter, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité,
Paris, La Découverte, 2006.
Delphine Gardey, Enjeux des recherches sur le genre et le sexe. Rapport de
conjoncture du Comité national de la recherche scientifique, Éditions du
CNRS, Paris, 2004, vol. 2, pp. 181-208 ; lire en ligne http://halshs.archivesouvertes.fr/docs/00/02/95/21/PDF/Gardey_rapport-genre_sexe_03_2004.
pdf.
Donna Haraway, « Manifeste Cyborg : science, technologie et féminisme socialiste à la
fin du xxe siècle », in Manifeste Cyborg et autres essais : Sciences. Fictions.
Féminismes, anthologie établie par Laurence Allard, Delphine Gardey,
Nathalie Magnan, éd.. Exils, 2007.
Sylvie Octobre, « La fabrique sexuée des goûts culturels : construire son identité de
fille ou de garçon à travers les activités culturelles », in Développement
culturel, ministère de la Culture et de la Communication, no 150,
décembre 2005.
Cornelia Sollfrank, First Cyberfeminist International, 1997 ; lire en ligne www.obn.org.
VNS Matrix, //syx.org/vns.
Judy Wajcman, TechnoFeminism, Polity, Cambridge, 2004.
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Imaginaire
Emmanuel Eveno
Avant de se concrétiser dans les panoplies de l’homme moderne (micro-ordinateurs, tablettes numériques, téléphones portables, téléphones intelligents…), avant d’avoir suscité l’installation de l’une des
infrastructures les plus importantes à la fois sur terre, sur mer et
dans l’espace, avant tout cela, le numérique est un langage, un type de
codification de l’information particulièrement adapté aux machines
ou aux objets. C’est aussi un langage véhiculé par un corps professionnel, celui des informaticiens et des ingénieurs. Comme tout langage, il porte en lui des représentations du réel qui lui sont propres,
et qui sont aussi le reflet du monde professionnel qui lui donne corps
avant qu’il ne diffuse très largement au-delà de ce premier cercle
pour s’imposer un peu comme une deuxième langue (à moins qu’il
s’agisse d’une langue de substitution ?) à une proportion croissante
de la population mondiale.
L’imaginaire de ce monde numérique se décline en trois grands
registres. Le premier de ces registres est celui que nous qualifierons
de « spatial » : ce monde numérique fait apparaître de nouveaux types
d’espaces. Il met également en exergue des usagers, soit des individus
qui passent le plus clair de leur temps dans ces nouveaux types
d’espace ». Enfin, ce monde est aussi peuplé par des êtres spécifiques,
qui n’existent que là ou qui trouvent là un mode d’existence plus
satisfaisant ou stimulant.
Les nouveaux types d’espaces, parce qu’exprimés en langage
numérique, ne correspondent plus à l’espace perçu et sensible… mais
peuvent parfaitement se poser en espace vécu (socialisé, pratiqué…).
La représentation spatiale du monde numérique la plus marquante,
celle qui est en passe de devenir un consensus entre le monde des
professionnels et celui des usagers, est sans doute celle qui se traduit
dans les expressions de « cyberespace » ou de « monde virtuel ». Le
mot « cyberespace », traduction de l’anglais cyberspace, a été inventé
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Imaginaire
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en 1984 par le romancier de science-fiction, tendance cyber punk,
William Gibson dans Neuromancer. Il en propose la définition
suivante : « Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement
en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs, dans
tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts
mathématiques… Une représentation graphique de données extraites
des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. » Après
que l’ordinateur a été présenté comme une modélisation du cerveau
humain, le réseau des ordinateurs se présente comme une métaphore
de l’espace. Mais cet espace réticulaire est totalement débarrassé des
pesanteurs de l’espace physique, il subvertit les frontières, annihile
les distances, disloque les territoires ou les recompose sur des
logiques d’archipels…
De même, les usagers de ces espaces ont un statut particulier, entre
un monde et l’autre, ils se caractérisent par de nombreuses ambiguïtés et ambivalences. Les figures héroïques auxquelles s’identifient
les usagers du cyberespace sont en effet assez souvent des individus
dont l’identité territoriale est découplée de l’identité réticulaire. Parce
que ces individus transgressent les frontières physiques et sociales
qui abritent les communautés de chair et de sang, ils agissent dans
un monde où la question de la co-présence des corps a été évacuée.
Les nerds, les geeks, les nolife et autres hikikomori ou otaku sont des
figures héroïques non en fonction d’un corps qu’ils minorent ou martyrisent, mais parce qu’ils maîtrisent les conditions de la mobilité
dans le monde du réseau.
Lisbeth Salander, l’héroïne du roman à succès Millénium de Stieg
Larsson, est un représentant assez typique de cette communauté
d’individus au physique ingrat : « […] une fille pâle, d’une maigreur
anorexique, avec des cheveux coupés archicourt et des piercings
dans le nez et les sourcils » (p. 50), « […] son corps était voué à l’échec
pour une carrière de mannequin […] » (p. 51) ; déscolarisés : « […] non
seulement elle paraissait perturbée […], mais elle avait aussi loupé
le collège, n’avait jamais mis un pied au lycée et manquait de toute
forme d’études supérieures […] » (p. 51) ; asociaux : « Le problème était
qu’elle se foutait des horaires normaux de bureau ou des méthodes
de travail » (p. 52), « Son attitude n’encourageait ni aux confidences ni
à l’amitié, et elle devint rapidement un phénomène occasionnel qui
rôdait tel un chat perdu dans les couloirs de Milton. On la considérait
comme totalement irrécupérable » (p. 52) ; dotés d’une identité floue
ou confuse : Lisbeth est présentée dans l’ambiguïté d’une identité
oscillant entre adolescence et majorité, entre homosexualité et hétérosexualité. Tout cela se trouvant compensé par une agilité quasi
surnaturelle, une forme de transfiguration dès lors qu’elle se trouvait
aux prises avec le monde numérique. Cette transfiguration s’exprime
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
aussi par le recours à des identités multiples, par une grande mobilité
dans l’espace, une capacité à se jouer des frontières institutionnelles,
voire par des dons particuliers (hypermnésie).
Le cyberespace se présente comme un espace expansé ou augmenté.
À la différence des territoires, il ne correspond à aucune métrique
topologique. Si les territoires pouvaient être considérés comme les
espaces de la vie quotidienne des communautés humaines de chair et
de sang, le cyberespace est le plus souvent peuplé d’avatars ou d’individus débarrassés de toutes les contraintes qu’imposent les lois de la
biologie, comme celles de l’histoire ou de la géographie. Les films de
cinéma comme les jeux en réseau sont particulièrement friands dans
la surenchère autour de ces imaginaires débridés qui font revivre des
dinosaures, des êtres fantastiques qui ont pour particularités d’être
souvent des êtres hybrides, entre l’homme et l’animal, entre l’homme
et la machine, entre l’homme et les objets.
Une des questions fondamentales auxquelles nous sommes confrontés
face à l’irruption de ces imaginaires est celle qui s’intéresse à la
portée de ces changements. Sommes-nous entrés ou sur le seuil
d’une ère numérique qui imposerait un ordre nouveau, porterait des
imaginaires nouveaux, verrait se déployer une nouvelle civilisation,
prospérer une nouvelle humanité, une « posthumanité » ? Nous
trouvons-nous face à une remise en cause des fondations même de
l’imaginaire analogique ou face à l’émergence de nouveaux registres
de l’imaginaire, qui viendraient s’ajouter aux autres ? Autrement
dit, le langage numérique va-t-il représenter demain le seul langage
possible à la surface de la terre, un langage de plus ou un langage
parallèle à tous les autres ? Autre formulation plus provocante
encore : le monde numérique s’installe-t-il sur la décadence du monde
analogique, ou comme complément, comme parallèle, nouvel espace
ouvert à la colonisation ?
Le monde numérique, symbolisé par les objets qui constituent autant
de terminaux d’accès ou, pour reprendre le langage analogique (ici
plutôt métaphorique), les « quais d’embarquement », mais aussi
promu par l’action des États dans leur très grande majorité à partir
de la décennie 1990, validé par la croissance extrêmement rapide et
soutenu de ses usagers (habitants virtuels et désincarnés), serait-il le
pendant de la mondialisation, de la massification, de la destruction
des cultures locales ? Dans la généalogie des raisons qui ont présidé à
la mise en œuvre du projet étatsunien des autoroutes de l’information
au début de la décennie 1990, l’une des plus importantes était celle
qui voulait assurer la prééminence et l’exportation du modèle
consumériste et culturel étatsunien (l’American Way of Life) véhiculé
notamment par l’industrie du cinéma hollywoodien. La multiplication
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Imaginaire
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des films recourant aux effets spéciaux, concomitante de cette période
qui démarre avec les années 1990 et se prolonge de nos jours, renvoie
en fait au constat que les effets spéciaux constituent un langage dont
les codes de compréhension sont universels. L’expressivité corporelle
disparaît et s’efface devant des images de synthèse qui subjuguent
l’ensemble des codes culturels et sociaux.
Si l’on conçoit le monde numérique comme étant en passe de se
substituer à « notre » monde, alors le numérique et la mondialisation
sont les horizons, l’acmé de la modernité. Ils constituent à la fois le
point de fuite et l’achèvement de l’histoire, de même que la maîtrise
définitive de l’espace. Dans le courant de la décennie 1990, on a ainsi
vu se multiplier les thèses eschatologiques sur la fin de l’histoire, le
collapsus de l’espace et du temps, la mort de la distance.
Or rien de tel ne s’est encore produit, et si de nombreux arguments
permettent de lier l’avènement de la mondialisation et d’un monde
numérique, il n’en reste pas moins que l’on peut aussi ne considérer
ces arguments que comme les signes d’une conjoncture spécifique,
celle de l’émergence de nouveaux codes culturels et sociaux, qui
peuvent certes dominer un temps, au point d’écraser une part de
l’existant, mais qui peuvent aussi, dans un deuxième temps, rentrer
dans le rang ou, plus sûrement, se déposer comme une nouvelle couche
sur les précédentes. Hollywood n’a pas imposé définitivement ses
standards prétendus universaux tandis qu’émergent des standards
fort différents : Bollywood en Inde, Nollywood au Nigeria…
L’apparition d’un nouveau mode d’expression a déjà, dans le passé,
bouleversé les représentations du monde. Au moment de l’invention du
daguerréotype, on prête à Paul Delaroche, peintre de son état, une prophétie aventureuse : « À partir d’aujourd’hui, la peinture est morte ! »
À rebours des thèses qui s’efforcent de démontrer l’avènement d’une
révolution fondée sur le numérique, il est à notre avis bien préférable
de considérer que ce monde numérique vient se présenter comme de
nouveaux espaces à conquérir. Parce que la civilisation numérique
n’existe encore que dans les utopies, les rêves ou les cauchemars,
il est préférable de parler, à l’instar de la réalité augmentée,
d’« imaginaires augmentés ». Le langage numérique propose de
nouveaux imaginaires, qui se socialisent peu à peu, en se confrontant
aux imaginaires analogiques. Il n’aurait donc pas ces propriétés
disruptives ni d’écrasement du monde, mais d’ouverture vers de
nouvelles dimensions, de nouveaux confins… Après l’essoufflement
des conquêtes géographiques terrestres et la disparition des bouts
du monde, le monde numérique en propose de nouveaux (monde de
mégalopoles, d’insularités, de villes flottantes) et exhume la figure de
nouveaux pionniers, nouveaux pirates, individus apparemment sans
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
corps, attache, racine ni histoire, sans identité (le « pseudonymat »),
sans visage (les Anonymous), éventuellement êtres hybrides
(hommes-machines, hommes augmentés) ou mutants… Ce faisant,
cet imaginaire n’est ni sans histoire, ni sans tradition, ni sans
références. Les êtres hybrides peuplent depuis la nuit des temps nos
imaginaires de bouts du monde. Les cynocéphales par exemple en
sont de belles manifestations.
Nous pouvons donc conclure, prudemment, que les enjeux à venir sont
à la fois ceux qui consistent à coloniser les « nouveaux mondes » et à
les « civiliser ». Autrement dit, il s’agit d’investir des modes de pensée,
des représentations qui permettront d’établir des passerelles entre
des mondes et des imaginaires qui n’apparaissent en confrontation
que parce qu’ils fonctionnent encore sur des codes trop différents et
que les effets de nouveauté sont, comme toujours, considérablement
survalorisés, au bénéfice des premiers acteurs qui maîtrisent
convenablement les codes ou les instruments de navigation entre un
monde et l’autre.
Termes liés : communauté(s), communication, e-réputation,
genre, jeu, navigation et cartographie, pratiques, public/
usagers, réseaux sociaux, sérendipité, vie privée/données
personnelles, virtuel
Références
Philippe Breton, La Tribu informatique. Enquête sur une passion moderne, Éditions
Métailié, 1990.
Emmanuel Eveno, « Science-fiction urbaine », dossier « Aires numériques », Urbanisme,
no 376, janvier-février 2011, pp. 68-70.
William Gibson, Neuromancer, Paris, La Découverte, coll. « Fictions », 1985.
Stieg Larsson, Millénium 1. Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, Actes Sud,
coll. « Babel noir », 2006.
David Lebreton, L’Adieu au corps, Paris, Éditions Métailié, 1999.
Pierre Lévy, Cyberculture, Paris, Odile Jacob, 1997.
Theodore Roszak, The Cult of Information. A Neo-Luddite Treatise on High-Tech,
Artificial Intelligence, and the True Art of Thinking, Berkeley, University
of California Press, 1994.
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Industries créatives
Divina Frau-Meigs
La notion d’« industries créatives » (creative industries), au pluriel
dès le départ, apparaît officiellement en 1997, au sein de la Creative
Industries Taskforce du gouvernement britannique. Il s’agissait alors
de se saisir des promesses du numérique dans son interrelation aux
arts et au commerce pour définir « ces activités qui voient leur origine
dans la créativité, l’habileté et le talent de l’individu et qui ont le
potentiel de créer de la richesse et des emplois à travers la production et l’exploitation de la propriété intellectuelle ». Cette définition
manifeste la volonté politique de réorganiser les filières de la culture
en termes de compétitivité pour s’appuyer au mieux sur les nouvelles
pratiques numériques, car c’est bien d’elles qu’il s’agit en sous-texte,
tout en maintenant la pression de la propriété intellectuelle sur les
biens culturels. Depuis, en 2013, l’Union européenne a adopté le
programme Europe créative 2014-2020, qui intègre les programmes
MEDIA, MEDIA Mundus et Culture, et propose un cadre unique pour
les secteurs de l’audiovisuel et de la culture.
Le terme a fait l’objet de tensions, externes d’une part, dans sa relation en contre-distinction à la notion d’« industries culturelles »,
internes d’autre part, en ce qui concerne son périmètre, entre une
définition étroite qui l’associe aux filières des arts appliqués et au
design (comme en atteste le rapport français de France créative, 2014),
et une définition large qui pointe vers des métiers, des modes de financement et pratiques numériques en devenir, dont la complexité
est telle que la notion émergente de marchés bifaces ne suffit pas à
l’expliquer. Dans cet état d’évolutions théoriques, la diversité des interactions imbriquées et des secteurs de production, de distribution
et de consommation impliqués suggère que, à bien des égards, c’est la
notion de participation, individuelle ou collaborative, qui est au cœur
des enjeux des industries créatives et qui les différencie des industries culturelles. Cela tient aux deux versants des biens culturels à
l’ère numérique, le relationnel et l’expérientiel, fortement imprégnés
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
par la culture des réseaux et par une représentation de la culture
comme « réseau cognitif distribué », selon Merlin Donald.
Les deux versants des biens culturels numériques
Les biens relationnels favorisent des relations interpersonnelles
durables et sont des biens publics locaux, non rivaux, dans la tradition
des biens communs (commons), selon Carole Uhlaner. Ils ne sont pas
liés aux échanges commerciaux, et sont en fait maintenus par des
actions non contractuelles, coordonnées et distribuées. Leur valeur
est fondée sur l’interaction entre les individus, particulièrement la
réciprocité dans la poursuite de l’intimité et les perceptions mutuelles
de compréhension et d’attention, ce en quoi ils produisent du plaisir et
du bien-être. En ce sens, ils affectent la socialisation et l’autonomisation,
qu’ils font dépendre moins de questions matérielles (le pouvoir
d’achat, la propriété) que de questions subjectives (l’expression de soi,
l’interaction…), comme en témoignent non seulement le temps passé
avec des « amis » sur les réseaux sociaux, mais aussi les sites d’échange
et de troc gratuits. Ils n’ont littéralement pas de prix.
Les biens expérientiels sont ceux qui s’acquièrent (ou pas) selon la logique de l’usage plutôt que selon la logique de l’offre et de la demande.
Leur valeur est fondée sur la possibilité de les tester et de les améliorer par le biais d’efforts contributifs, ou effets de réseau, par lesquels
ces biens peuvent être modifiés par les usagers, la qualité augmentant
à mesure que le nombre de participants s’accroît. Ils s’appuient sur
la puissance des « réseaux adaptatifs non linéaires » et sur des « choix
cognitifs non rationnels » (mais très relationnels) selon John Holland,
préoccupé de l’adaptation des systèmes complexes dans le numérique et la mondialisation. Leur valeur relève de bénéfices intangibles
comme l’attente de bien-être, de « pouvoir d’agir » (empowerment), de
qualité de vie. Leur coût se fonde sur ces expériences qualitatives,
avec des formes d’estimation fondées sur l’usage, la confiance et la
gratification (la réputation, la reconnaissance par les pairs, l’appartenance au groupe…). Ils présentent l’avantage d’être applicables tant
aux marchandises matérielles qu’immatérielles, ce qui met les médias et les médiations au cœur même du processus, notamment par
les dispositifs socio-techniques que sont les plateformes numériques.
De par leur logique adaptative et distribuée, ces biens peuvent prêter à confusion avec les biens relationnels dont ils sont l’autre versant. Ainsi un moteur de recherche comme Google participe-t-il des
deux logiques, car il favorise le relationnel (accès gratuit à réseaux
sociaux), et relève pourtant de l’expérientiel (publicité et services).
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Tensions externes et internes
La première définition des industries créatives vise à créer un nouveau
secteur, qui se démarque des industries culturelles et donc ne tombe
pas sous le coup de la Convention de 2005. L’UNESCO réagit dans sa
définition de 2006, qui réintègre les industries créatives comme un
sous-ensemble des industries culturelles : « Les industries créatives
se distinguent des industries culturelles […] par l’accent porté sur
l’expression et l’identité, plutôt que sur la commercialisation, avec
un intérêt particulier pour l’artisanat et les arts populaires, voire le
design, avec des applications et des produits dérivés dans l’édition,
la musique et le film. » Aux démarches cherchant à s’approprier de
nouveaux domaines de l’activité humaine collective, comme la gastronomie, le folklore ou le design, s’ajoutent des perspectives plus
articulées entre production matérielle et production numérique car
ces secteurs sont désormais dépendants des nouvelles technologies
de l’information et de la communication pour leur développement et
leur diffusion.
Ces deux définitions mettent en évidence la manière dont les industries
créatives cherchent à dépasser les oppositions prénumériques entre
deux générations de contenus traditionnellement en concurrence : les
productions de masse de contenus « professionnels » lourds et chers,
sur le modèle industriel d’Hollywood, d’une part, et les contenus
« amateurs » légers et ouverts, proches de la production collaborative
(crowdsourcing) et du financement collaboratif (crowdfunding),
d’autre part. L’une vise un prolongement des industries culturelles
dans l’économie de la connaissance et la mondialisation, tandis que
l’autre reconnaît des usages multiples basés sur des biens relationnels
et expérientiels, adossés au tissu de petites entreprises locales et à son
intelligence distribuée plus encore qu’au soutien du secteur public
et au mécénat d’État. Elles marquent un déplacement des approches
économiques, d’une part, et sociologiques et communicationnelles,
d’autre part.
Dans la perspective économique, Richard Caves propose cinq critères
pour distinguer les industries créatives des autres, en se fondant sur
certaines caractéristiques des médias numériques :
1) la nature du produit, qui relève des biens expérientiels, c’est-à-dire
ceux dont la valeur ne peut être évaluée comme celle d’un autre produit
commercial, car ils requièrent d’être testés avant l’acte d’achat ;
2) la nature du processus de production : la mise en place du prototype
exige une mise de départ importante, mais les coûts de reproduction,
de stockage et de distribution par contre sont très bas. Le retour sur
investissement se fait à partir du nombre de copies vendues ;
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3) la nature de la consommation : le prototype n’est jamais consommé
(il est sur un support dématérialisé) et le consommateur donne de la
valeur à l’expérience vécue plus qu’à la forme matérielle du produit ;
4) la difficulté de la prévision : la valeur du produit sur le marché est
très difficile à prévoir, ce qui crée des conditions d’incertitude et exige
des prises de risque importantes ;
5) la relation au consommateur : chaque produit étant unique et
irremplaçable, il ne fait pas concurrence à d’autres à la manière de
produits de consommation classiques, mais il rivalise avec d’autres
produits pour l’attention et le temps du consommateur.
À ces critères, il faut ajouter le fait que les industries créatives travaillent avec une force ouvrière très qualifiée, aux compétences très
spécifiques, relevant souvent des métiers de l’art, avec une nécessaire
utilisation des TIC. Le modèle économique, encore très chaotique,
ressemble à celui de la production filmique par son orientation projet : une équipe se constitue pour l’occasion et se dissout une fois le
produit réalisé. Les ouvriers fonctionnent à la pièce, souvent en freelance, sans perspective de plein emploi. Les possibilités de satisfaire
à une demande sans fin sont très nombreuses, en raison du stockage
infini et de la réutilisation multiple du prototype.
Dans ce contexte, les industries créatives risquent de modifier durablement les codes de l’expression culturelle, car celle-ci devient peu
coûteuse et non asservie au star system (qui doit être très agressif,
pour amortir les coûts). Chris Anderson y voit la fin de la tyrannie
des tubes, des blockbusters et des best-sellers, et l’avènement des
cultures de niche à publics fragmentés. Pierre Mœglin s’interroge
sur le mode de rémunération du travail créatif et parle de l’« essor du
courtage informationnel », pour rendre compte de la rémunération des
« infomédiaires » qui tirent leur épingle du jeu par le référencement
et la commission. D’autres analystes comparent cela au « nétayage »
(sharecropping), où la contribution de chacun des membres sur les
grandes plateformes prêtes à médiatiser est juste suffisante pour la
subsistance mais où l’ensemble profite à quelques grands cyber-propriétaires, autrement dit les grandes entreprises de l’économie numérique, qui peuvent mettre des barrières financières élevées et exiger
des droits d’auteur et des royalties importants (Frau-Meigs, 2008).
Dans la perspective sociologique et communicationnelle, c’est le point
de vue des usagers-consommateurs qui est pris en compte plutôt que
celui des entreprises. Les industries créatives sont très liées au processus d’information-communication lui-même :
1) la nature du processus de communication : il vise l’expression et
la participation, plus encore que la diffusion, et la satisfaction des
usagers relève des biens relationnels ;
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2) la nature de l’information : les données échangées portent sur
l’individu en quête de groupes affinitaires, visent à repérer les valeurs,
les habitudes et les goûts, et à créer la confiance tout en créant du sens
dans une culture et un contexte situés ;
3) la puissance des processus cognitifs et communicationnels : les
pratiques fonctionnent sur des stratégies de l’ordre du remix et des
expériences personnalisées comme l’agrégation, la curation, le collage
et l’échantillonnage, caractéristiques des échanges sur le Web 2.0 ;
4) les outils de la prévision : les choix non rationnels des usagers
sont compensés par la prise en compte des valeurs de soutenabilité et
de responsabilité sociétale, liées aux contraintes écologiques, fortes
parmi les usagers des réseaux (liées au bien-être) ;
5) la relation au consommateur : elle se fonde moins sur la valeur
fiduciaire que sur la valeur d’échange et de troc, doublée d’une valeur
de construction symbolique de la réputation et de la reconnaissance.
Elle inclut la prise en compte de modes de financement et de rémunération comme la production et le financement collaboratifs, car le
consommateur est aussi producteur et spectateur (Frau-Meigs, 2008).
Dans ce contexte, les industries créatives se prêtent à une logique
ascendante, plutôt en marge, avec des personnalités innovantes
capables de mettre en relation des diffuseurs, des pourvoyeurs de
services, des sponsors et des annonceurs, voire des mécènes de divers
ordres (personnes privées, institutions publiques, fondations, ONG).
Elles visent davantage l’horizontalité des logiques de production, la
créativité individuelle, des relations réticulaires et l’externalisation
de certaines tâches en jouant de la mondialisation. Pour James Lull,
les industries créatives sur des espaces virtuels comme Second
Life peuvent être une façon d’explorer l’« entreprenariat culturel »
(cultural entrepreneurship), et il évoque la possibilité de créer des
« supercultures personnelles » (personal supercultures), Ulrich Beck fait
référence à une collectivité paradoxale en parlant d’« individualisation
réciproque » (reciprocal individualization) pour décrire ces nouvelles
transitions sociales et culturelles, tandis que Barry Wellman évoque
des « communautés personnelles » (personal communities).
Quel que soit l’angle d’attaque, les industries créatives posent la
question du rôle de l’artiste, de la valeur « travail » par rapport
à la valeur « savoir » dans la chaîne des valeurs culturelles et du
renouvellement du statut de l’œuvre, dont la valeur d’usage semble
surmonter la valeur marchande, tout en restant très aléatoire. Leur
production est de plus en plus collaborative, faisant passer l’œuvre
d’un statut de rareté à un système de licence et de flot, qui tend à
évincer les autres modèles des industries culturelles (éditorial,
courtage…). Elles sont associées, chez certains chercheurs comme
Yann Moulier-Boutang, à la notion de capitalisme cognitif, à savoir
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une nouvelle forme de régulation de l’économie, fondée sur les droits
de propriété sur des savoirs immatériels avec l’information comme
matière première à exploiter, sur des plateformes où biens relationnels
et expérientiels se côtoient et produisent de nouveaux services.
Retombées en termes de diversité cognitive
En termes de diversité culturelle, les industries créatives présentent
l’opportunité d’une démocratisation accrue et le risque d’une marchandisation accrue par le renforcement des logiques industrielles
numériques. Les principaux points de friction et de défi sont liés à la
propriété intellectuelle, à l’accès à la technologie, aux finances, aux
compétences, à l’équilibre à trouver entre privé, public et civique/
collaboratif, à la situation actuelle de concentration des industries
culturelles et créatives dans les mains de quelques grands groupes
transnationaux, qui peuvent assécher les ressources financières ou
créer des goulots d’étranglement tout en créant des monopoles de fait
qui contrarient l’expansion des savoirs et des services.
Pour faire face à ces mutations, l’Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle (OMPI) s’est dotée d’un certain nombre d’outils, dont une
division « Industries créatives » et un agenda pour le développement.
Ces outils manifestent à la fois la percolation du vocabulaire et de
la rhétorique utilisée dans les débats sur la diversité culturelle, et la
volonté d’instrumentalisation et d’endiguement de la dynamique ainsi
créée. La division des industries créatives, située dans le secteur des
petites et des moyennes entreprises, vise à quantifier statistiquement
les industries créatives, pour mesurer leur potentiel économique
et leur valeur en tant que services et produits marchands. Tout en
reconnaissant leur importance pour la diversité culturelle comme
vecteur d’autonomisation et d’enrichissement économique, il s’agit de
s’assurer qu’elles restent dans le giron de la propriété intellectuelle
et ne testent pas d’autres formes de gestion de la connaissance ou de
la créativité.
De son côté, l’UNESCO fait relever les industries créatives du dispositif de la Convention, visant à les soustraire aux règles de libre échange
(OMC) et de la propriété intellectuelle (OMPI). Depuis 2004, elle anime
un réseau de villes créatives (41 dans le monde en 2014), afin que ces
entités territoriales et politiques puissent protéger l’individu au sein
de la communauté, parer aux risques de l’entrepreunariat culturel
par un accompagnement des personnes et des entreprises innovantes,
et sauvegarder des biens communs tout en faisant du transfert de
compétences dans une perspective de développement durable et local.
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Industries créatives
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Elles sont organisées en sept catégories créatives (littérature, cinéma,
musique, artisanat et arts populaires, design, arts numériques, gastronomie) afin de mettre en valeur la diversité des marchés locaux et
leur donner une visibilité nationale et internationale. La France a inscrit Saint-Étienne pour le design ainsi que Lyon et Enghien-les-Bains
pour les arts numériques.
Dans cette diversité cognitive, de nouvelles formes de médiation
et d’intermédiation se mettent en place, qui passent par la
reterritorialisation de pratiques développées sur la toile (notamment
en termes de compétences commerciales) et l’hybridation
d’expériences indigènes. Elles permettent la création de canaux
d’échange de techniques d’artisanat (par exemple, des savoir-faire
liés à la cuisine ou aux arts du spectacle vivant), l’organisation quasi
taxonomique des flux de données associées à des connaissances
populaires et collectives, partagées grâce aux nouvelles technologies
(par exemple l’émergence de musées d’art populaire numériques),
ou encore des stratégies d’intelligence territoriale qui renforcent les
effets de réseau (par exemple l’huile d’argan passée de condiment
à cosmétique). Elles s’appuient de plus en plus sur des modes de
production et de financement collaboratifs, illustrés par une opération
comme Let’s Build a Goddamm Tesla Museum, issue d’un appel lancé
sur la plateforme américaine Indiegogo, les projets de restauration
du patrimoine menés par le Centre des monuments nationaux avec la
plateforme MyMajorCompany, le projet de Rive droite numérique, à
côté de Bordeaux, ou encore le réaménagement des quais de Londres
par le biais de Spacehive et l’opération Unlock London’s Secret Dock.
La co-construction de la ville devient possible en faisant participer
les acteurs privés et associatifs, pour produire des effets socialement
désirés et des biens relationnels tout autant qu’expérientiels.
Des retombées existent donc en termes de modernisation des
politiques publiques de la culture, qui sont perturbées par les
interactions entre stratégies industrielles et logiques d’usagers,
avec des acteurs en présence dont les statuts sont en mutation,
entre professionnels, experts et amateurs. Des initiatives comme
Tous mécènes !, la plateforme du musée du Louvre, montrent que
certaines institutions publiques essaient de canaliser ces nouveaux
modes de créativité et de financement participatif ou contributif.
Elles peuvent être vues comme des formes de désengagement
financier de l’État dans le secteur de la culture ou, au contraire,
comme une logique de mécénat déplacé et de valorisation symbolique
engageant les publics et les usagers au plus près.
D’autres retombées sont à prévoir en ce qui concerne la propriété
intellectuelle et la chaîne de la valeur numérique, avec, d’un côté, les
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tenants de la fiduciarisation systématique de la propriété intellectuelle
et, de l’autre, les tenants du droit au remix ou aux licences GNU ou
GPL, dans un contexte de cocréation, de coautorat et d’extension des
communs. En réalité, l’appréhension de la propriété intellectuelle est
rendue complexe par la coexistence au sein des industries créatives
d’activités marchandes et non marchandes, propriétaires et non
propriétaires, nécessairement interdépendantes. Les tensions entre
ces deux dimensions sont permanentes, d’autant que s’y ajoutent
la désuétude de la forme industrielle du brevet et la porosité entre
propriété industrielle et propriété artistique dans le cadre spécifique
des industries créatives, car elles se placent partiellement sous le
signe de l’art et sous le signe du commerce.
Les industries créatives recèlent une promesse de démocratisation de
la culture et de lutte contre les inégalités culturelles, car elles peuvent
passer outre les blocages liés à une distribution monopolistique des
contenus, laquelle recherche toujours le plus petit dénominateur
commun dans un marché (par le biais des tubes et des blockbusters).
C’est aussi une promesse de diversité culturelle légitimée des Suds,
qui sont riches en biens expérientiels et en biens relationnels.
Mais, à l’inverse, elles peuvent aussi être versées au profit de la
marchandisation de la culture. La reconnaissance de la culture
comme levier de développement (Déclaration de Hangzou, 2013) n’est
pas sans ambiguïté car elle risque de transformer toutes les œuvres
de l’esprit en produits industrialisés, qui n’ont plus de spécificité
particulière et donc ne justifient plus la mise en œuvre de politiques
publiques assurant leur protection et leur promotion.
Termes liés : agrégation, auteur, curation, financement des
médias à l’ère numérique, industries culturelles, œuvre,
propriété intellectuelle, public/usagers, remix, territoires
Références
Ulrich Beck, Individualisation, London, Sage, 2002.
Richard Caves, Creative Industries : Contracts Between Art and Commerce,
Cambridge, Massachussetts, The MIT Press, et London, Harvard
University Press, 2000.
Creative Industries Taskforce, 1997, lire en ligne http//:www.culture.gov.uk/
Reference_library/Publications/archive_1998, dernière consultation le
1er juin 2014.
Divina Frau-Meigs, « La diversité et le pluralisme des produits de contenu : la
problématique cohabitation des industries culturelles et des industries
créatives », in Culture Web 2.0, N. Sonnac et X. Greffe (éd..), Paris, Dalloz,
2008.
John Holland, « Can There Be A Unified Theory of Complex Adaptive Systems ? », in The
Mind, The Brain, and Complex Adaptive Systems, Harold J. Morowitz,
Jerome L. Singer (éds), Redwood City, Addison-Wesley, 1995.
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Industries créatives
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James Lull, Culture-on-Demand. Communication in a Crisis World, London,
Blackwell, 2008.
Pierre Mœglin, « Des modèles socio-économiques en mutation », in Les Industries de
la culture et de la communication en mutation, Philippe Bouquillon et
Yolance Combès (dir.), Paris, L’Harmattan, 2007, pp. 151-162.
Yann Moulier-Boutang, Le Capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation,
Paris, Amsterdam, 2007.
Carole Uhlaner, « Relational Goods and Participation : Incorporating Sociability into a
Theory of Rational Action », Public Choice, 1989, pp. 250-264.
UNESCO « Industries créatives », 2006, lire en ligne http://www.unesco.org/new/fr/
culture/themes/creativity/creative-industries/, dernière consultation le
1er juin 2014.
Barry Wellman, Studying Personal Communities in East York, Toronto, Centre for
Urban and Community Studies, University of Toronto, 1982.
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Industries culturelles
Philippe Bouquillion
Le concept d’industrie culturelle est proposé par Theodor W. Adorno et
Max Horkheimer en 1947. Il s’agit d’une mise en question radicale de la
culture de masse qui s’intègre dans une critique de la société capitaliste.
Le « système » de l’industrie culturelle, c’est-à-dire l’articulation
étroite de ses diverses composantes, est dénoncé. L’asservissement de
l’art s’intégrerait à un processus de production de consentement. Si
la notion d’« industrie culturelle », au singulier, s’est au départ révélée
féconde, il est rapidement apparu que ses applications ne rendent
qu’imparfaitement compte de la diversité des fonctionnements socioéconomiques des secteurs concernés. C’est la raison pour laquelle lui
a été rapidement préférée la notion d’« industries culturelles », dont
le pluriel marque mieux la diversité des industries en jeu. De même,
aux démarches dénonciatrices appréhendant l’industrialisation et
la marchandisation sur le mode de la corruption et de l’imposition
à un public en quête de jouissance d’une « production unifiée », se
substituent des analyses plus distanciées.
Différentes approches contemporaines
Deux courants principaux se développent à partir des années 1970 et
1980, qui seront conduits à affirmer deux positions différentes face à
la notion et à la question de la diversité culturelle.
D’une part, à partir des années 1980, des économistes de la culture
ont abordé les industries culturelles en appliquant les notions et les
interrogations introduites dans les années 1960 lors des premières
études sur le spectacle vivant ou le patrimoine. Du point de vue de la
diversité, l‘une des questions centrales posées est celle de l’intervention
publique et de son impact sur les quantités et les qualités produites.
Certaines caractéristiques des industries culturelles, aggravées par
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Industries culturelles
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des politiques publiques inadéquates, menaceraient la diversité
culturelle. Françoise Benhamou, s’inspirant des recherches sur la
diversité biologique, propose la mise en place d’indicateurs reposant
sur la base de trois dimensions, « la variété, la disparité et l’équilibre
entre les genres » (2006, p. 257). Au fur et à mesure que les industries
culturelles vont être confrontées avec la question du numérique, les
notions et les concepts de l’économie de la culture vont être croisés de
façon croissante avec ceux de l’économie des réseaux ou des analyses
sur la concurrence.
D’autre part, renouvelant profondément les acquis de l’École de
Francfort tout en s’appuyant sur certains d’entre eux, les sciences de
l’information et de la communication ont contribué à poser les fondements d’une théorie des industries culturelles. À partir de la fin des
années 1970, Patrice Flichy, Nicholas Garnham, Armand Mattelart,
Bernard Miège, Pierre Mœglin, Herbert Schiller et Gaëtan Tremblay
portent leur attention sur les conditions matérielles concrètes de
création, production, diffusion et valorisation de la culture industrialisée. Ils soulignent à la fois les spécificités des industries culturelles
– elles ne sont pas des industries comme les autres – et les différences
entre les diverses filières (livre, presse, musique enregistrée, cinéma
et audiovisuel et, plus tard, jeu vidéo).
Cinq modèles socio-économiques idéal-typiques (éditorial, flot, club,
compteur et courtage) permettent de situer les diverses industries
culturelles les unes par rapport aux autres ainsi que par rapport aux
autres activités économiques. Les auteurs relevant de cette approche
insistent sur une spécificité centrale des industries culturelles : le caractère aléatoire de la valeur des produits culturels industrialisés,
lui-même lié à la présence de travail artistique ou intellectuel (Miège,
1984). Ce travail fonde la valeur des produits culturels, et c’est autour
de lui que s’organise la chaîne de production. Mais, dans le même
temps, il explique pourquoi valeur d’usage et valeur marchande sont
aléatoires : les prestations d’un artiste ou d’un travailleur intellectuel
s’intègrent à chaque fois dans une production singulière. Or il est
difficile de prévoir et de planifier ex ante ses contours et, plus encore,
les réactions des consommateurs.
Au sein de ces approches, la question de la diversité n’est pas explicitement posée. Pourtant, les cinq modèles intègrent les liens entre
production et consommation. Des rapports différents à la culture se
jouent. « Par exemple, l’univers humaniste et bourgeois de la bibliothèque personnelle, propre au modèle éditorial, n’a rien à voir avec
la culture de masse sous-jacente au modèle de flot » (Mœglin, 2007,
p. 159). En fait, le croisement des points de vue socio-économique
et idéologico-politique – les industries culturelles sont considérées
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
comme contribuant aux ordres politique et économique – explique
pourquoi ces chercheurs sont critiques vis-à-vis de la notion de diversité culturelle. La difficulté à définir de façon objective cette notion
et son insertion dans des jeux de pouvoir les incitent à la considérer
moins comme une réalité objectivable existant en dehors des acteurs
et de leurs stratégies, que comme un ensemble de discours accompagnant et légitimant diverses stratégies, parfois opposées (Bouquillion
et Combès, 2011).
Des discussions autour des relations entre
industries culturelles et diversité
Les approches économiques, d’un côté, et communicationnelles, de
l’autre, présentent certaines différences qui s’expriment en particulier autour de la question de la diversité. Les économistes ont tendance à considérer que l’abondance de produits culturels mis sur le
marché – une surproduction par rapport aux capacités d’absorption
des consommateurs – constitue un dysfonctionnement qui s’explique
notamment par un soutien public excessif ou favorisant des productions éloignées des goûts des consommateurs. Ils demandent ainsi
une réduction ou une réorientation des subventions à l’offre au profit
du soutien à la diffusion, voire à la promotion envisagée telle une
façon de rassurer les consommateurs face aux « biens d’expérience »
que sont les produits culturels. Ce type de soutien serait d’autant
plus nécessaire que la surabondance de l’offre contribuerait à diminuer le choix effectif des consommateurs : « Le comportement d’une
large part des acheteurs et/ou des lecteurs dénote une fuite devant
l’abondance » (Benhamou, 2006, p. 262).
En revanche, les chercheurs en communication envisagent cette surproduction telle une conséquence directe du caractère aléatoire de
la valeur. Grâce au nombre élevé de produits offerts, les producteurs
sont certains de mettre sur le marché le petit nombre de produits qui
ex post, et de façon imprévisible, trouvera une rentabilité. La question est alors pour les producteurs de favoriser une organisation des
filières permettant de financer la surproduction. L’organisation des
filières en oligopoles à franges en constitue un rouage essentiel. Les
petits acteurs, à la situation souvent précaire, prennent à leur charge
une part significative des risques et des coûts de la production des
contenus, tandis que les membres des oligopoles s’assurent de la
maîtrise de la position aval des filières, la diffusion-distribution, qui
permet de capter une part significative de la valeur ajoutée.
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Industries culturelles
165
Les débats se poursuivent désormais autour de la question
du numérique ou, pour les chercheurs désireux d’éviter tout
déterminisme technique, autour des articulations entre industries
culturelles et industries de la communication (télécommunications,
web et matériels électroniques grand public). Les avis des chercheurs
tendent, dans une assez large mesure, à converger pour pointer trois
éléments importants du point de la vue de la diversité.
Tout d’abord, ces mouvements s’accompagnent d’une augmentation
nette du nombre de produits offerts ainsi que des productions
réalisées par des amateurs ou des semi-professionnels. Grâce aux
technologies numériques, les coûts de création et de production
peuvent se trouver réduits tandis que de nouvelles opportunités de
diffusion apparaissent notamment sur les sites dits « de partage de
fichiers ». Ces mouvements dépassent largement la seule dialectique
entre offre industrielle et offre émanant des amateurs. En effet,
les acteurs des industries culturelles externalisent des tâches de
création-production non seulement en direction de petites entreprises
(les franges des filières présentées ci-dessus) mais aussi vers les
créateurs individuels, de plus en plus nombreux, fréquemment
organisés en auto-entrepreneur. Dans le domaine de la musique
enregistrée, par exemple, ce mouvement a pris une grande ampleur.
Évidemment, en mettant en perspective les produits issus des acteurs
industriels et ceux des amateurs ou des créateurs professionnels
auto-entrepreneurs, on rassemble des productions très différentes au
regard des coûts de production tout comme des chances d’accéder
aux consommateurs.
Ensuite, la problématique de la concentration est relancée. Si
nombre de chercheurs considèrent qu’elle n’a pas d’impact
mécanique ni direct sur les quantités ou les qualités des produits
culturels, certains soulignent que des acteurs des industries de la
communication contrôlent désormais l’aval de nombre de filières
des industries culturelles, non seulement de la musique enregistrée
mais aussi de plus en plus du livre et de la presse. Ces acteurs,
grâce à leur maîtrise des nouvelles positions en aval (plateformes
notamment), captent une partie significative de la valeur ajoutée
liée aux contenus. Surtout, en s’articulant aux contenus culturels,
leurs offres se trouvent placées hors de la concurrence par les prix
tandis qu’ils bénéficient fréquemment d’une valorisation boursière
exceptionnelle. Cette situation est d’autant plus problématique que
ces acteurs ne contribuent guère financièrement à la production de
contenus orignaux tout en limitant les marges des acteurs historiques
des contenus, notamment en fixant des prix de référence assez bas,
sur le modèle d’iTunes proposant un « monoplage musical » (single)
pour 99 cents.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Enfin, la notion de diversité soulève d’importants enjeux et débats
du point de vue de l’exception culturelle. Elle peut être considérée
comme renforçant le dispositif soustrayant les produits culturels
aux règles de libre-échange adoptées lors de la signature des accords
fondant l’Organisation mondiale du commerce en 1994. Mais elle
peut aussi être instrumentalisée au profit de l’objectif inverse. JeanMarie Messier, appelant de ses vœux la disparition de l’exception,
s’est ainsi fait le chantre de la diversité culturelle en soulignant que
les mécanismes du marché non seulement respectent la diversité
mais la favorisent. La profusion de contenus en témoignerait. La
référence à la diversité vient alors d’autant plus affaiblir la référence
à l’exception qu’elle s’accompagne généralement de la mise en avant
d’une représentation de la culture qui dépasse les seules œuvres de
l’esprit et même la culture industrialisée. Dès lors, noyées dans un
ensemble très vaste, avec des productions relevant par exemple du
design ou de la mode qui sont parfaitement intégrées aux échanges
commerciaux mondiaux, les productions culturelles ne semblent
plus constituer une catégorie propre à justifier la mise en œuvre de
politiques publiques spécifiques. On retrouve ici la difficulté à saisir
la notion de diversité et son ambiguïté profonde, réalité mesurable
pour les uns, référence normative performative pour les autres.
Termes liés : agrégation, curation, économie des œuvres sous
format numérique, édition, financement des médias à l’ère
numérique, industries créatives, pratiques, public/usagers
Références
Françoise Benhamou, Les Dérèglements de l’exception culturelle, Paris, Seuil, 2006.
Philippe Bouquillion, Yolande Combès, Diversité et industries culturelles, Paris,
L’Harmattan, 2011.
Bernard Miège, « Postface à la deuxième édition », in Capitalisme et industries
culturelles, A. Huet, J. Ion, A. Lefebvre, B. Miège, R. Peron, Grenoble,
Presses universitaires de Grenoble, 1978, 2e édition revue et augmentée,
1984, pp. 199-214.
Pierre Mœglin, « Des modèles socio-économiques en mutation », in Diversité et
industries culturelles, P. Bouquillion, Y. Combès (éd..), Paris, L’Harmattan,
2007 pp. 152-162.
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Information
Jean-Michel Salaün
Le terme « information », aujourd’hui omniprésent dans nos conversations, appartient aussi aux vocables spécialisés des scientifiques,
des experts ou des décideurs. Pour autant, les définitions précises demeurent rares, et souvent ambiguës ou tautologiques.
Même la « science de l’information », qui ne devrait pas laisser place à
l’incertitude, devient, pour certains, quasi synonyme d’informatique
tandis que, pour d’autres, elle a une origine différente, issue des méthodes et des savoirs du monde des bibliothèques et des archives, et,
pour d’autres encore, elle a symbolisé, il y a une cinquantaine d’années, l’espoir d’unifier l’ensemble des sciences. De même, on parle
aujourd’hui couramment de « société de l’information », ou encore
d’« économie de l’information » pour signifier des changements majeurs dans les modes de production, les organisations, les institutions
ainsi que dans les comportements et les pratiques des individus, sans
que l’explication du terme « information » ne dépasse les généralités.
L’ambition d’une théorie de l’information
On doit à l’historien des sciences Jérôme Segal (2013) une minutieuse
enquête sur le processus de construction d’une théorie de l’information, démarré avant la Seconde Guerre mondiale et achevé, peut-être
provisoirement, dans les années 60. Les premiers travaux des chercheurs ont concerné la thermodynamique, la statistique et les télécommunications, chacun dans son domaine arrivant à des résultats
apparemment comparables dans leur représentation mathématique
pour préciser le concept et le quantifier. Tous ces efforts ont convergé
grâce aux travaux de Claude Shannon et à ceux de Norbert Wiener
dans les laboratoires Bell. Le premier étudiait la cryptographie pour
sécuriser et accélérer la transmission des messages dans les réseaux,
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
le second la régulation des systèmes par la rétroaction, qu’il a appelée la « cybernétique ».
Dans tous les cas, l’information se trouve définie par son contraire :
l’incertitude, que l’on peut quantifier grâce aux probabilités. Ainsi,
pour un message d’une longueur définie, rédigé avec un alphabet précis dans un contexte donné, il n’existe qu’un certain nombre de solutions possibles. Claude Shannon a montré que l’incertitude liée à
ces possibilités, ou entropie informationnelle, pouvait s’écrire sous
cette fonction : H = -k∑pxlog px où k est une constante positive, et px la
probabilité que le message x soit le bon. Dans un choix binaire, l’entropie est égale à 1, ce qui définit l’unité de mesure de l’information,
le bit pour binary digit. Les travaux de Shannon ont connu de nombreuses retombées, comme la compression des signaux ou la sécurité
des transmissions.
La théorie a eu un large retentissement et a été déclinée parallèlement
dans diverses disciplines. Certains ont été tentés alors de voir dans
l’information une entité fondamentale, allant jusqu’à proposer que
l’information soit la clé de la transformation de la matière ou de l’explication des transformations génétiques.
Néanmoins, du côté des sciences humaines et sociales, à l’extérieur
des sciences exactes, des sciences de l’ingénieur ou des sciences de
la vie, cette théorie est devenu la source d’un malentendu. Les chercheurs de ces disciplines ont surtout retenu le schéma présentant un
« système général de communication », qu’ils ont reproduit sous différentes formes en lui donnant une lecture sémantique et sociale. Pourtant, toute référence à la sémantique (signification ou sens), ainsi qu’à
l’humain (émetteur, destinataire) est absente de la théorie initiale, qui
s’intéresse plus au signal qu’au signe.
Les nécessités professionnelles et politiques
Les sciences humaines et sociales ont progressivement développé de
leur côté une conception de l’information où la sémantique est, au
contraire, porteuse de sa valeur. L’origine de ce second courant est plus
sociotechnique que scientifique, en raison de la montée progressive des
échanges et des contrôles dans les sociétés contemporaines. Avec l’affinement des techniques des médias et de celles de l’administration et du
commerce, des méthodes et des professions sont apparues ou se sont
rationalisées autour d’une conception de l’information. Parmi celles-ci,
je distinguerai trois familles : le journalisme, par son insistance sur
l’accès à l’information et la liberté de sa circulation ; la documentation
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Information
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(archives, bibliothèques), où l’effort porte sur le classement des informations en vue de leur réutilisation ; et, enfin, la gestion, où l’essentiel
réside dans la collecte des informations pour la prise de décisions.
C’est peut-être la deuxième famille, celle du document, qui,
principalement en Amérique du Nord, est allée le plus loin dans la
réflexion sur la notion d’information, jusqu’à fonder une société
savante (ASIS & T, Association for Information Science & Technology),
des écoles (Information Schools), des filières nouvelles (Information
Architecture). La revue de l’ASIS & T publie régulièrement des articles
sur la question, qui reprennent les avancées des autres familles. Je
retiendrai deux articles. Le premier de Michael Buckland (1991)
distingue trois façons d’appréhender l’information : comme
un processus (qui modifie la personne informée) ; comme une
connaissance (sur un sujet, un fait, un événement) ; ou comme une
chose (des données, des documents). Chaim Zins (2007), a réalisé
une enquête auprès d’une soixantaine d’experts dans seize pays
sur leur définition de trois notions : données (data), information et
connaissance (knowledge). Le résultat montre d’abord qu’il n’y a pas
d’accord évident entre les chercheurs, et parfois une influence nette
du courant précédent. Néanmoins, beaucoup trouvent une continuité
entre les trois notions : les données seraient la matière première de
l’information qui constituerait elle-même celle de la connaissance. De
plus, la connaissance est généralement perçue comme l’intégration
de l’information par une personne. Ainsi, non sans ambiguïté sur le
vocabulaire (le processus de l’un est la connaissance chez l’autre,
tandis que la connaissance du premier correspond à l’information chez
le second), les propositions de Buckland rejoignent les constatations
de Zins sur la tripartition. Cette tripartition se retrouve aussi, dans
des termes proches, dans les travaux du groupe Pédauque sur le
document numérique (Salaün, 2012). Même s’il reste une hésitation
sur le vocabulaire, il semble bien y avoir un consensus sur les notions.
Vers une science du web
Le troisième mouvement résulte de la très rapide montée du numérique,
et plus particulièrement du succès spectaculaire du web, piloté par la
feuille de route du W3C et animé par des entrepreneurs dynamiques
et les internautes eux-mêmes. Il peut se lire comme le dépassement ou
la convergence des deux courants précédents. Les réflexions étaient
souvent déjà présentes dans les courants précédents, mais elles sont
radicalisées par l’accélération produite par le numérique. Examinons
quelques exemples.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Le développement très rapide du réseau a fait prendre conscience
aux économistes du poids de l’économie de l’immatériel, au centre
de laquelle se trouve l’information, et tout particulièrement de
ses caractéristiques comme la non-rivalité et la non-exclusivité,
qui autorisent son partage sans destruction ou la possibilité de
valorisation de la captation de l’attention dans une surabondance
d’informations, ou encore la distribution des biens informationnels
selon des lois de puissance (longue traîne).
Les informaticiens, de leur côté, brutalement confrontés aux
applications sémantiques des moteurs de recherche ou aux applications
sociales des médias sociaux, font face à des interrogations nouvelles
comme l’influence des algorithmes sur le filtrage ou la reconstruction
des informations. Les données, les métadonnées, les traces laissées
par les internautes deviennent les unités informationnelles de base
sur lesquelles des calculs à grande échelle s’effectuent pour agencer
des informations signifiantes. Tout l’enjeu est de dégager des langages
formels sur lesquels on puisse appliquer des calculs, sans pour autant
dissoudre la sémantique qui définit la valeur informationnelle.
La question du sens, au centre de la notion d’information, reste bien
le défi. Le philosophe Luciano Floridi (2008), un des rares à tenter de
conceptualiser l’information, montre ainsi, dans un article éclairant,
pourquoi la tentative de construire un web sémantique était
vouée à l’échec, tandis que le Web 2.0, non planifié, s’est développé
rapidement. Et, assure-t-il : « Les technologies de l’information et de
la communication ont atteint le stade où elles pourraient assurer la
présence stable, l’accumulation, la croissance et la disponibilité de
plus en plus grande de notre humus sémantique. » Mais pour profiter
pleinement de ces avancées, il faudra bien que nous nous soyons mis
d’accord sur la notion d’information.
Termes liés : connaissance, documentation
Références
Michael Buckland, « Information as thing », Journal of the American Society of
Information Science, 42 : 5 (juin 1991), pp. 351-360.
Luciano Floridi, « The Semantic Web vs Web 2.0 :A Philosophical Assessment »,
Episteme, 2009, 6, pp. 25-37, traduction française par Patrick Pecatte,
« Web 2.0 contre web sémantique : un point de vue philosophique ».
Jérôme Segal, « La théorie de l’information existe-t-elle ? » Pour la Science, no 424,
février 2013, pp. 18‑25.
Chaim Zins, « Conceptual Approaches for Defining Data, Information, and
Knowledge », Journal of the American Society of Information Science
(JASIS), 58, no 4 (2007), pp. 479‑493.
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Innovation
Dominique Carré
L’innovation est la rencontre entre une invention et la mise au pointcommercialisation d’un bien, d’un service nouveau ou plus performant,
produit à grande échelle et mis en marché. Ce processus favorise la
construction de prototypes, la constitution d’une offre, la mise en
marché et des stratégies de diffusion recourant à des injonctions
publicitaires ou communicationnelles afin d’inciter les futurs
usagers (consommateurs) à acquérir le produit ou service proposé.
L’innovation est ainsi la transformation réussie d’une invention en
une réalité socio-économique et industrielle. La caractéristique
actuelle est que l’innovation numérique alimente un couplage produitservice qui engendre une concurrence aiguë et un productivisme
effréné pour renouveler le plus rapidement possible les marchés. Ce
processus favorise la mise en œuvre d’une obsolescence technique ou
sociale programmée, pratique par laquelle un industriel raccourcit
la durée de vie ou l’utilisation d’un produit, le plus souvent de haute
technologie, dans une logique consumériste. Ainsi l’innovation
numérique s’inscrit au cœur même du développement des sociétés
capitalistes, industrielles et marchandes.
Innovations numériques : la constitution
d’une offre diversifiée
La numérisation des supports et des réseaux, en permettant la dématérialisation, la duplicabilité des contenus, leur transférabilité, a mis
à mal à la fin du xxe siècle, les modèles socio-économiques dominants
des industries culturelles (édition, musique enregistrée, cinéma) et
médiatique (radio, télévision), contribuant à l’arrivée sur le marché de
nouveaux entrants, le plus souvent issus des industries de la communication (électronique, informatique, télécommunications) : Google
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
(moteur de recherche), Amazon (commerce électronique), YouTube
(site web d’hébergement et de diffusion de vidéos), Facebook (service
de réseautage numérique), iTunes (musique en ligne d’Apple).
Ces industriels de la communication offrent ainsi des contenus
et/ou des services en ligne abondants, aisément accessibles et le plus
souvent gratuits, favorisant la création, la liberté d’expression, la mise
en relation, l’internationalisation des échanges et l’accès à une gamme
de biens culturels dématérialisés. Le modèle d’affaires, quant à lui,
repose sur la captation et le transfert de la valeur par les opérateurs
de diffusion, acteurs de l’internet et de l’électronique, au détriment des
producteurs de contenus issus des industries de la culture et médiatique.
La caractéristique essentielle de ces multinationales, le plus souvent
d’origine nord-américaine, est de pratiquer l’optimisation fiscale, tout en
s’exonérant d’une quelconque participation au financement de la création,
ce qui fragilise d’autant les politiques culturelles publiques existantes.
Un enrichissement possible
de la diversité culturelle
L’élargissement des moyens de création et de diffusion favorise la
production de contenus et développe les sociabilités et les formes
expressives, participant à un processus plus général d’émancipation
communicationnelle. Les dispositifs techniques (web, réseaux sociaux
numériques, plateformes d’échanges vidéos…) offrent la possibilité à
tout usager équipé et connecté d’être à la fois émetteur et récepteur
de contenus, participant à la mise en place d’un modèle dialogique
de production et d’échanges qui repose sur une certaine réversibilité
des rôles. Disqualifiant ainsi, quelque peu, le modèle historique de la
production et de la diffusion de contenus.
Personne ne semble plus avoir le monopole de l’expression publique
et culturelle. L’offre de contenus est constituée dorénavant de
productions de professionnels et de productions d’amateurs
mises en ligne dans le cadre d’activités ordinaires quotidiennes
– 550 millions de photos sont partagées, chaque jour, sur Facebook,
100 heures de vidéo sont diffusées chaque minute sur YouTube. La
vidéo The Harlem Shake, qui propose une danse déjantée sur fond
musical sonore, diffusée d’une manière spectaculaire sur l’internet,
en est une parfaite illustration. Conçu par un amateur, imité par
d’autres, le format sera même repris par un studio de la Time Warner.
Par imitation et par mimétisme, individus, collectifs et institutions
conçoivent et diffusent dans le monde entier de multiples vidéos
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Innovation
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loufoques. Des opposants vont même détourner ce type de vidéo
ludique et festif à des fins de contestation des autorités, comme cela
a été le cas en Éypte et en Tunisie.
L’hyper-offre numérique n’est pas synonyme de
plus grande diversité culturelle
Les échanges peuvent paraître ouverts, interactifs, diversifiés, mondialisés. Cette appréciation mérite d’être fortement nuancée. Tout
d’abord, les échanges s’effectuent avant tout dans le prolongement
de relations quotidiennes amicales ou professionnelles, ou entre personnes se retrouvant autour d’intérêts communs. Ensuite, l’accès
universel ne peut s’entendre qu’à partir du moment où l’accès aux
réseaux et au haut débit est possible sur l’ensemble des territoires,
ce qui est loin d’être le cas. Puis, n’oublions pas que les États ont
toujours la capacité d’intervenir pour arrêter les flux numériques, les
restreindre au nom de la sécurité nationale, de la censure politique ou
encore de la moralité.
Enfin, le système d’attribution des noms de domaines (DNS) mis en
œuvre par l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and
Numbers), organisation dépendant du département du Commerce
des États-Unis d’Amérique, dont la vocation est de rendre l’internet
accessible à tous, via un système d’adressage, possède des limites.
En effet, cet organisme ne reconnaît pas les racines ouvertes, créées
par d’autres, afin que les internautes accèdent à des sites dont les
extensions n’existent pas dans la racine proposée par l’ICANN. Deux
raisons à cela : soit les utilisateurs ont été refusés par l’ICANN
(pays non officialisés par l’ONU, langues non prises en charge – en
contradiction avec l’Agenda de Tunis du Sommet mondial sur la
société de l’information, 2005), soit ceux-ci refusent les conditions
imposées par l’ICANN (coût élevé de l’extension, censure possible par
les gouvernements autoritaires…). De ce fait, nombre d’internautes
ne peuvent accéder à une multitude de sites web. Le nom de domaine
des sites n’étant pas attribué par l’ICANN, ils ne sont pas reconnus
par la plupart des moteurs de recherche et, en l’absence de choix de
l’internaute, la racine activée sur tous les ordinateurs est celle de
l’ICANN (cf. www.open-root.eu). Ce qui restreint fortement leur accès
et ne favorise pas les échanges ni la diversité culturelle.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Un contrôle social inégalé
Mais, au fur et à mesure que s’étendent par le numérique la liberté
d’agir, la puissance d’agir, de créer, d’échanger, le contrôle social
simultanément s’étend, se nourrissant des traces techniques
inhérentes laissées par les internautes en se connectant, en naviguant
et de l’assiduité consentie par ceux-ci à s’afficher, à se dévoiler. Le
croisement des traces et des données recueillies (datamining)
et l’analyse en continu des comportements participent in fine à
un contrôle permanent et intrusif de la part des industriels, des
annonceurs, pour mieux connaître les comportements et les pratiques
d’achat des individus, tout en servant les autorités administratives
et policières. Notons que traces et affichages participent également
à un contrôle social mutuel entre internautes et qu’elles ont une
valeur d’usage et une valeur marchande qui alimentent le modèle
économique publicitaire de la gratuité des services en ligne.
Termes liés : codes, fracture numérique, industries créatives,
industries culturelles, langues, remix, pratiques, public/
usagers, territoires, vie privée/données personnelles
Références
Dominique Carré, « De l’émancipation éducative à l’émancipation
communicationnelle ? », in L’Émancipation hier et aujourd’hui.
Perspectives françaises et québécoises, Gaëtan Tremblay (dir), Québec,
Presses de l’Université du Québec, 2009, pp. 259-267.
Dominique Carré et Robert Panico, « Puissance d’agir à l’ère du web social », in
Réseaux socionumériques et médiations humaines. Le social est-il soluble
dans le web ?, Estella Rojas (dir), Paris, Hermès Lavoisier, 2013, chap. 7
pp. 195-197.
Michel Arnaud et Louise Merzeau (coord.), « Traçabilité et réseaux », Hermès, no 53,
2009, Éditions du CNRS.
Serge Latouche, Bon pour la casse. Les déraisons de l’obsolescence programmée, Paris,
Les liens qui libèrent, 2012.
Bernard Miège, La Société conquise par la communication, t. 3, « Les TIC entre
innovation technique et ancrage social », Grenoble, Presses universitaires
de Grenoble, 2007.
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Interfaces
Nicole Pignier
Origine des interfaces numériques
Le terme « interface » vient de la chimie ; il désigne la limite commune
à deux milieux, par exemple gazeux et liquide, permettant l’échange
entre ceux-ci. Cette dénomination a été reprise en informatique pour
désigner un dispositif permettant des échanges d’informations entre
le système informatique matériel, logiciel, et l’utilisateur. Dans les
années 1945-1950 sont apparus les premiers types d’interfaces,
les interfaces de lots (batch interfaces), qui proposaient aux
utilisateurs de préprogrammer des cartes perforées spécialement
formatées. L’exécution d’un programme nécessitait beaucoup de
temps et des compétences spécifiques en informatique. Ensuite sont
nées les interfaces en ligne de commande : l’utilisateur donnait
des instructions à la machine en mode texte, et le retour de celleci s’affichait également en texte. Ce type d’interface nécessitait que
l’utilisateur apprenne un langage spécifique (Drouillat, 2013).
Puis en 1973, au Xerox PARC (Xerox Palo Alto Research Center), ont
été conçues les premières interfaces graphiques. Ce mode d’interface
est devenu par la suite le plus répandu dans le grand public, à travers
la métaphore du bureau. Il consiste en la manipulation à l’écran
d’éléments visuels via des périphériques, principalement une souris
et un clavier. L’interface fournit des représentations métaphoriques
graphiques, comme des fenêtres, des boutons, des menus et des
icônes. L’apprentissage nécessaire de la part de l’utilisateur devient
moindre par rapport aux deux premiers types d’interface. Le mode
d’interaction repose sur le pointage, la sélection, la manipulation
d’icônes, de boutons… Les interfaces graphiques se popularisent dès
le début des années 1980.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Une diversité créative
Aujourd’hui la diversité des types d’interfaces les plus connus du grand
public témoigne d’une richesse créative certaine. Ainsi les interfaces
tactiles, permettant à l’utilisateur de se passer de périphériques,
accentuent l’impression de manipulation directe des boutons,
icônes, touches… Les instructions se font par pointage du doigt. Les
interfaces haptiques intensifient la relation sensible du corps humain
à la machine, dans la mesure où elles font appel à notre sens tactilo.
Elles induisent en effet un contact cutané actif kinesthésique avec
le dispositif. Les appréhensions du volume, du poids, de la force
cinétique, des vibrations, font ainsi partie de la gamme d’interactions
possibles. Les interfaces haptiques sont apparues au milieu des
années 1950 dans le domaine de la téléopération nucléaire. Leur
application s’est largement étendue depuis aux domaines médical
(chirurgie assistée par ordinateur), aéronautique (manche à retour
d’effort), et, plus récemment, au jeu vidéo, via les contrôleurs comme
le joystick et le volant à retour de force (Douillat, 2013).
Les interfaces tangibles, conçues au MIT (Massachusetts Institute of
Technology) en 1997 par Hiroshi Ishii, reposent sur une interaction
avec des objets numériques à forme physique (Gault, 2013). Pour
passer des instructions, l’utilisateur manipule des figurines posées
sur une table numérique, ce qui donne lieu à une expérience interactive
concrète, proche des manipulations d’objets non numériques du
quotidien. Quant aux interfaces sans commande, elles pénètrent
désormais le monde physique : l’utilisateur n’a plus besoin de donner
des instructions à l’objet numérique (Drouillat, 2013), ce dernier
étant conçu et programmé pour réagir à son environnement. Ainsi, un
plancher dit « intelligent » reconnaît les gestes de l’utilisateur même à
l’insu de ce dernier.
Une richesse créative mais qui exclut
des minorités
Ce rapide aperçu historique puis synchronique montre que le design
des interfaces ne repose pas seulement sur une évolution technologique.
Il engage une réelle richesse culturelle, créative. Il questionne une
diversité des manières de faire, des manières d’envisager le sens
de la relation entre l’objet numérique et l’individu. Ce dernier n’est
pas seulement un utilisateur qui donne des instructions et attend
le retour, il est aussi un usager immergé dans des usages et des
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Interfaces
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pratiques culturelles qui font sens pour lui. Le terme « utilisateur »
convient bien moins alors que celui d’« usager » (Pignier, 2012).
Les interfaces haptiques développées dans le domaine du jeu
permettent à l’usager de ressentir les spécificités sensorielles des
objets à l’écran, et pourraient permettre aux personnes aveugles
des expériences de lecture aptes à les immerger dans l’histoire. On
pense en particulier aux enfants aveugles qui n’ont à leur disposition
quasiment que des fichiers audio, ce marché n’étant pas jugé
suffisamment lucratif par les entreprises de conception de livres et
de matériels numériques. Le développement des interfaces haptiques
pour les livres numériques adressés aux enfants aveugles constitue
un cas parmi d’autres où les enjeux financiers prévalent sur les enjeux
sociaux, et cela mérite débat.
Une nécessaire approche critique des interfaces
numériques et de leurs usages
Plus globalement, la préservation de la diversité culturelle nécessite
que non seulement l’usager, le designer, le fabricant mais aussi et
surtout les institutions questionnent la visée éthique à l’origine du
design des interfaces numériques, des politiques institutionnelles de
leur mise en œuvre dans les différents domaines sociaux.
La création des interfaces sans commande, entre autres, se fonde souvent sur une conception du bien-être des gens et des sociétés très
particulière : celle où l’informatique est partout, de la trousse à la
cuillère en passant par le vêtement et les murs. Or n’oublions pas
que l’informatique ubiquitaire (informatique présente dans tous les
objets et lieux de la vie), selon les politiques institutionnelles de mise
en œuvre, peut en pratique pénétrer la vie des usagers à leur gré,
contre leur gré, ou totalement à leur insu. Faussement intelligentes
dans la mesure où elles ne savent faire que ce pour quoi elles ont été
programmées, les interfaces numériques sans commande permettent
de détecter, d’enregistrer, de contrôler la présence, les faits et gestes
de tout un chacun. Si l’on pense aux usages douteux que peuvent en
faire les régimes totalitaires, mettant à mal la diversité culturelle
idéologique, l’on pense moins souvent aux usages de ces interfaces
qui peuvent être encouragés par des collectivités, des institutions,
sans suffisamment de cadrage de leurs usages ni de la liberté de choix
accordée à l’usager final.
Ainsi, des personnes âgées peuvent-elles se voir installer à leur
domicile des environnements numériques pour leur confort et leur
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
sécurité mais aussi aptes à remplacer la présence physique de
personnels. Partagent-elles toutes l’idée que leurs interactions avec
des robots ou autres interfaces numériques est synonyme de bien-être,
de mieux-être ? Partagent-elles toutes l’idée que leur environnement
numérique sans commande préserve leur vie privée ?
Certes, les recherches sur les interfaces numériques et leurs usages
mobilisent internationalement de nombreuses disciplines, tant
en sciences dures (informatique, mathématique, électronique…)
qu’en sciences humaines (philosophie, sociologie, sémiotique,
arts plastiques, sciences de l’information et de la communication,
anthropologie), mais les approches critiques objectives que l’on est
en droit d’attendre de la part des sciences humaines font vraiment
défaut, les hypothèses et les thèses se fondant souvent pour (Besnier,
2009) ou contre l’idéologie technique (Wolton, 2009). Cela en partie
parce que les appels à projet régionaux, nationaux, européens,
internationaux orientent la plupart du temps les travaux de recherche
vers la conception d’interfaces numériques au lieu de les orienter vers
l’interrogation des conditions pratiques et éthiques de la pertinence
ou de la non-pertinence de leur mise en œuvre auprès des usagers.
Il y a urgence, pour préserver et défendre les diversités culturelles,
à amener les acteurs – usagers dès l’enfance, politiques, designers,
institutionnels – à adopter un regard critique, éclairé, sur le sens
pratique et éthique des interfaces numériques et de leurs usages.
Termes liés : augmentation, connexion, design numérique,
ergonomie des interfaces, éthique, innovation, jeu, public/
usagers
Références
Jean-Michel Besnier, Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ?,
Paris, Fayard, coll. « Haute Tension », 2009.
Benoît Drouillat, « Interfaces haptiques », « Interfaces sans commande », in Le Design
des interfaces numériques en 170 mots-clés, Paris, Dunod, 2013.
Clément Gault, « Interfaces tangibles », in Le Design des interfaces numériques en
170 mots-clés, Paris, Dunod, 2013.
Nicole Pignier, « Le plaisir de l’interaction entre l’usager et les objets TIC
numériques », in « De l’interactivité aux interaction(s) médiatrice(s) », Eléni
Mitopoulou et Nicole Pignier (coord.), Interfaces numériques, no 1, Paris,
Lavoisier, 2012.
Dominique Wolton, Informer n’est pas communiquer, Paris, Éditions du CNRS, 2009.
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Le jeu, espace
tridimensionnel
Éric Sanchez
Le terme « jeu épistémique numérique » désigne une situation de jeu
élaborée pour des visées éducatives à l’aide d’artefacts numériques. Nous
en évoquons les enjeux culturels en considérant qu’un jeu épistémique
numérique est un espace tridimensionnel : espace métaphorisé et
fictionnel permettant un nouveau rapport phénoménologique au monde,
espace de réflexivité au sein duquel l’apprenant peut éprouver sa manière
de penser et d’agir, et espace de créativité en lien avec une liberté qui
permet l’innovation ainsi que la découverte et l’invention de soi.
Le jeu, situation plutôt qu’artefact
Inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant en tant
que droit fondamental permettant son développement, le jeu est également une industrie dont le chiffre d’affaires avoisine celui d’autres
industries culturelles telles que le livre ou le cinéma.
L’histoire du jeu numérique se confond avec celle de l’informatique. En
effet, nés dans les laboratoires informatiques du MIT (Massachusetts
Institute of Technology), les premiers jeux vidéo sont l’œuvre d’étudiants
qui exercent leurs talents de programmeur pour élaborer des logiciels
s’appuyant sur la simulation. D’abord cantonnés aux écrans des
ordinateurs ou des consoles, les jeux numériques exploitent aujourd’hui
l’internet et les réseaux sociaux en devenant massifs et multijoueurs.
De plus, disponibles sur des dispositifs tels que les ordiphones et les
tablettes numériques, ils ne sont plus limités au strict cadre de l’écran
d’un ordinateur et deviennent mobiles, pervasifs et persistants, mêlant
des éléments simulés et le monde physique lui-même.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Mais le succès des jeux dépasse aujourd’hui la stricte aire des loisirs culturels, et l’idée qu’ils puissent être utilisés pour des fonctions
utilitaires se développe. Des jeux qualifiés de « sérieux » (serious games) sont produits par des institutions pour communiquer auprès
du public, ou par des entreprises pour promouvoir leurs produits ou
former leur personnel. Le jeu pénètre ainsi de nombreux secteurs de
l’activité humaine dont il était jusqu’alors exclu. Néanmoins, quand
il s’agit de décrire et d’étudier ce phénomène, le terme « jeu » est ambigu puisqu’il désigne aussi bien le « jeu-game », la structure du jeu,
l’artefact employé pour jouer, que le « jeu-play », l’activité ludique, la
situation permise par le « jeu-game ».
Comme Jacques Henriot, il nous semble donc préférable de considérer
que « le jeu n’est pas dans la chose mais dans l’usage qu’on en fait », et de
nous inscrire en rupture avec le courant des games studies, qui conduit
à considérer l’artefact, le jeu sérieux (serious game), pour plutôt prendre
en compte les interactions qui émergent de la situation et le jeu numérique épistémique, en tant que situation ayant des visées éducatives. Le
terme « ludification », traduction du terme anglais gamification qui renvoie au jeu-game et désigne l’emploi de ressorts ludiques, pour des secteurs d’activité autres que le jeu lui-même, nous semble inapproprié. Le
terme « ludicisation » paraît préférable dans la mesure où il s’applique
aux interactions entre un dispositif et un humain et concerne le jeu-play.
Le jeu, espace métaphorisé et fictionnel
Conçu par un processus de transposition qui, à partir d’un domaine
de référence, conduit à formaliser des règles, un jeu numérique épistémique constitue une métaphore qui permet au joueur de vivre une
expérience empirique. Le jeu permet ainsi un nouveau type de rapport
phénoménologique au monde. Jeu vidéo ou jeu de rôle, le jeu s’appuie en
effet sur une réalité simulée, et le joueur devient un marionnettiste qui
décide de la manière dont les événements surviennent dans un univers
fictionnel. Mais le scénario dépend largement des choix du concepteur
du jeu. Ainsi Spore, un jeu vidéo qui consiste à créer et faire évoluer
des créatures, s’appuie sur un modèle d’évolution qui s’apparente au
dessein intelligent plutôt qu’aux théories retenues par la communauté
scientifique. On pourrait multiplier les exemples et souligner également
que SimCity, le modèle de la ville qu’il faut créer et gérer, est avant tout
un modèle de ville américaine ou que, dans certains jeux qui portent sur
le développement durable, le coût écologique de certaines énergies est
minoré afin de les promouvoir. Ainsi tout jeu est porteur d’une idéologie.
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Le jeu, espace tridimensionnel
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Le virtuel du jeu ne s’oppose pas au réel mais constitue plutôt une
manière différente d’être réel. Il renvoie, plutôt qu’à une prétendue
irréalité, à une réalité simulée construite par le jeu. Ce point soulève
une question fondamentale dans les jeux, celle de l’illusion. Le
joueur n’est pas en mesure de dire si les événements qui surviennent
résultent de son désir subjectif ou d’une réalité externe et objective.
Le jeu est illusion et, dans le cadre d’un projet pédagogique, il
est nécessaire de désillusionner le joueur. On voit ici la nécessité
d’un accompagnement par un éducateur et, plus généralement,
l’importance d’une éducation aux médias qui prenne en compte la
question du jeu en tant qu’activité culturelle.
Le jeu, espace de réflexivité
Au-delà de la motivation, l’intérêt des jeux réside dans le fait qu’ils permettent l’engagement du joueur en tant qu’apprenant. En effet, pour
avancer dans un jeu, il n’est pas nécessaire que le joueur tente de décoder
les attentes de l’enseignant. Les objectifs pédagogiques sont cachés, les
actions du joueur sont entièrement motivées par la logique interne de la
situation et le défi à relever. L’enjeu permet l’engagement du joueur.
En outre, un jeu permet de prendre en compte que toute connaissance
est une réponse à un problème. Ainsi, le joueur peut expérimenter, dans
un contexte sécuritaire, sa manière de penser et d’agir, en essayant de
transformer un milieu objectif au comportement prédictible. Le jeu
favorise l’autonomie de l’apprenant en lui offrant une liberté d’action
et les moyens d’exercer cette liberté, car les rétroactions qu’il obtient
en retour de ses actions lui permettent de juger de la pertinence de
ses décisions. Cette réflexivité s’exerce dans un cadre sécuritaire. En
effet, dans le jeu, l’erreur est dédramatisée, il est toujours possible
de recommencer pour explorer d’autres choix, d’autres stratégies, et
finalement apprendre de ses échecs et de ses réussites.
Le jeu, espace de créativité
Certains jeux ne sont pas uniquement une manière de reproduire le
monde mais aussi la possibilité de concevoir un monde nouveau et
original au sein duquel il est possible d’expérimenter. C’est le cas par
exemple des jeux qualifiés de « bacs à sable » qui permettent une infinité de combinaisons pour créer. Ainsi, Minecraft, un jeu qui combine
construction et aventure, permet au joueur d’affronter à un monde
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
simulé mais également de l’imaginer et de le réaliser. Une des caractéristiques fondamentales du jeu est l’articulation entre rituel et
innovation, entre monde standardisé imposé et monde inventé. Par
conséquent, l’entrée dans le jeu ouvre un univers de possibles qui
libère l’imagination, la fantaisie et la créativité.
De ce point de vue, l’avatar est un élément clef du jeu. C’est une
marionnette que le joueur anime à l’écran ou qu’il incarne dans la
situation. Il permet l’introjection du joueur dans un personnage fictif
et la projection de ses idées, de ses désirs et de ses valeurs dans une
figure idéalisée permettant la subjectivation. L’avatar constitue alors
un terrain d’investigation d’un soi en devenir.
Le « ludant », un nouvel apprenant ?
En acceptant les règles du jeu, l’apprenant troque sa liberté contre une
liberté ludique qui est encadrée par les règles du jeu. Il devient alors
« ludant » dans le sens où, comme l’exprime ludus, la racine latine de
ce terme, un jeu numérique épistémique combine des éléments qui
relèvent du jeu, en tant qu’activité libre et spontanée, et du travail
scolaire, en tant qu’activité imposée et dirigée. Il constitue un univers
au sein duquel le ludant sera amené à résoudre des problèmes qui
peuvent être complexes et non déterministes. Il peut ainsi évoluer d’un
point de vue épistémique et développer les compétences attendues
pour exercer sa citoyenneté dans un monde également complexe.
Néanmoins, cela le conduit également à accomplir les desseins du
créateur du jeu. Son autonomisation et son émancipation intellectuelle
passent alors nécessairement par une prise de distance qui ne pourra
s’accomplir qu’en quittant le jeu.
Termes liés : connaissance, genre, imaginaire, industries
créatives, industries culturelles, littératie numérique, virtuel
Références
Gilles Brougère, Jeu et éducation, Paris, L’Harmattan, 2000.
Sébastien Genvo, « Penser les phénomènes de ludicisation à partir de Jacques Henriot »,
Journée d’études en hommage à Jacques Henriot, Paris, 4 mai 2012 ; lire en
ligne http://www.ludologique.com/publis/JH_article_Genvo_S.pdf.
Jacques Henriot, Le Jeu, Paris, Presses universitaires de France, 1969.
Éric Sanchez, « Des jeux dans la classe, est-ce bien sérieux ? », dans L’École numérique
no 6, 2010, pp. 24-26.
Brian Sutton-Smith, The Ambiguity of Play, Cambridge, Harvard University Press, 1997.
Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, Paris, La Découverte, 2011.
UNESCO, Déclaration universelle de la diversité culturelle, 2001.
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183
Journalisme
Franck Rebillard
Dans sa définition la plus basique, le journalisme peut être défini
comme l’activité de création, d’édition et de diffusion d’informations
en lien avec l’actualité. Ses finalités principales consistent donc à
rendre compte du monde qui nous entoure, jour après jour, et à donner
un écho aux voix qui peuplent ce monde. En cela, le journalisme
rencontre pleinement les problématiques de la diversité culturelle
exprimées par l’UNESCO dans sa Convention de 2005. Celle-ci réaffirme
notamment que « la liberté de pensée, d’expression et d’information,
ainsi que la diversité des médias permettent l’épanouissement des
expressions culturelles au sein des sociétés ». Elle prolonge de plus le
vœu, né dans les années 1970-1980 avec le rapport MacBride impulsé
par l’UNESCO, d’un nouvel ordre mondial de l’information et de
la communication qui réduirait l’influence des agences de presse
occidentales conduisant à la surreprésentation médiatique des
pays du Nord. Elle laisse également ouvertes des interrogations sur
l’expression médiatique des minorités (Rigoni et al., 2011).
Les deux faces du journalisme en ligne
De tels enjeux sont réactivés avec le développement du numérique
et de l’internet en particulier. Le journalisme en ligne se distingue
en effet sur plusieurs points du journalisme imprimé et audiovisuel.
Tout d’abord, sur le plan communicationnel, à la diffusion
unidirectionnelle des médias de masse (presse, radio, télévision),
s’ajoutent avec l’internet des modalités d’expression et de mise
en relation interpersonnelles. Celles-ci débouchent, à un niveau
socioéconomique, sur l’apparition de deux nouveaux types d’acteurs.
D’une part, les coûts réduits de publication en ligne favorisent
l’intervention d’amateurs, au sens de non-professionnels, dans le
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
journalisme. D’autre part, la surabondance numérique d’informations
– surabondance quantitative sans forcément être qualitative – rend
décisifs les services d’orientation des internautes opérés par quelques
multinationales des secteurs de l’informatique et de l’internet.
Ainsi le journalisme en ligne paraît-il soumis à un double mouvement
antagoniste vis-à-vis d’une quête de diversité : d’un côté, celle-ci
semble pouvoir bénéficier de nouvelles possibilités d’expression
individualisées ; elle voit, de l’autre, réapparaître le spectre d’une
domination oligopolistique d’un nouveau genre. Sur ces deux versants,
après une phase relativement spéculative, la recherche a apporté
plusieurs éléments de connaissance empiriques qui forment autant
de contributions au débat.
Le potentiel de diversité du journalisme
participatif
Avec l’internet, tout un chacun dispose – potentiellement – d’un assez
large éventail d’outils pour s’exprimer à propos de l’actualité. L’activité
correspondante, qualifiée de journalisme amateur, journalisme citoyen,
ou plus largement de journalisme participatif, transite par des blogs et
des wikis, des plateformes dédiées (sites de publication collaborative ou
de partage de vidéos), ou encore des espaces réservés au sein des sites
de médias professionnels (commentaires, forums…). Un tel phénomène,
après avoir donné lieu à une littérature aux accents fortement utopiques
transformant l’hypothèse d’une expressivité généralisée en prophétie
autoréalisée, a été l’objet de recherches plus situées.
L’une des recherches les plus conséquentes au niveau international
(Domingo et al., 2008) a porté sur les sites web des principaux
quotidiens dans huit pays européens et aux États-Unis. Elle amène
des conclusions mitigées : les espaces offerts à la participation des
internautes, certes nombreux, concernent principalement la réaction
à des informations sélectionnées en amont par les professionnels. En
dehors des sites de médias traditionnels, les internautes peuvent aussi
s’exprimer plus directement par le biais des blogs ou des plateformes
participatives, mais là encore plusieurs recherches se rejoignent dans
des conclusions nuancées : ces espaces d’expression se sont certes
multipliés mais ils sont restés le plus souvent l’apanage des franges
intellectuelles de la population, loin donc de représenter la diversité
de la société.
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Journalisme
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L’infomédiation ou l’ordre mondial
de l’information revisité
Les initiatives relevant du journalisme participatif ont ainsi offert
des possibilités de prise de parole supplémentaires, même si elles
n’ont pas forcément permis d’entendre toutes les voix de la société.
Elles sont de façon plus globale venues grossir les rangs d’une
information en ligne qui, outre les déclinaisons web de journaux,
radios et télévisions, compte également des sites professionnels « tout
en ligne » (pure players). À cet ensemble d’informations volumineux et
hétérogène correspond un accès individualisé des internautes, dont
l’appariement est assuré par des entreprises réalisant un service
d’infomédiation, fondé sur les requêtes de chaque internaute (moteurs
de recherche) et/ou les recommandations de leurs pairs (réseaux
socionumériques). En raison de caractéristiques propres à l’économie
des réseaux, ces acteurs sont peu nombreux à l’échelle internationale
et de fait souvent originaires des États-Unis comme Google, Facebook,
Twitter et Apple.
L’existence d’un tel oligopole dans le domaine de l’information en ligne
n’est évidemment pas sans rappeler, en ce début de xxie siècle, celui
qui dominait le monde des médias quelques décennies auparavant.
Alors que les agences de presse visées par le rapport MacBride
étaient situées en amont, les infomédiaires sont davantage placés en
aval, mais leur rôle n’en est pas moins important. Car, face à une offre
numérique pléthorique, le niveau de la mise en visibilité et de l’accès
aux contenus devient le plus stratégique. En outre, cette domination
d’un nouveau genre n’est pas forcément de nature à atténuer la
précédente. Comme l’a démontré un spécialiste de la géopolitique
des nouvelles, la montée en puissance des infomédiaires dans
l’information en ligne, durant les années 2000, s’est principalement
bâtie sur la reprise de contenus distillés en premier lieu par les
agences Reuters et Associated Press (Paterson, 2007).
L’exposition à une diversité d’informations
comme enjeu majeur sur l’internet
En somme, le risque existe que le nouvel ordre mondial de l’information continue de s’appuyer sur l’ordre ancien. Si, effectivement,
les infomédiaires renvoient les internautes de façon privilégiée à la
production des agences, et par extension aux médias professionnels,
alors le potentiel de diversité résidant dans le journalisme participa-
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
tif pourrait être contourné. Pourtant ce potentiel existe bien : comme
l’a montré une recherche collective portant sur la totalité des sites
d’information politique et générale en France (Rebillard, 2012), les
blogs et les sites à visée participative sont les plus originaux sur le
plan éditorial, tandis que les sites de médias professionnels et les
infomédiaires reviennent de façon redondante sur les sujets mis à
la une de l’agenda médiatique. Or ces deux types de sites (infomédiaires et médias professionnels en ligne) réalisent les plus grosses
audiences de l’internet, très loin devant les autres.
Le problème le plus crucial ne se situe donc pas dans l’offre
d’informations en ligne, puisque celle-ci est d’ores et déjà l’œuvre d’une
diversité de sources (blogs et sites de journalisme participatif, en plus
des sites web professionnels), et débouche sur une diversité au niveau
du contenu, faisant voisiner information dominante et information
alternative. Encore faut-il que cette dernière soit suffisamment visible
et accessible, autrement dit bien exposée. La question de la relation
entre diversité des sources (source diversity), diversité des contenus
(content diversity) et diversité d’exposition (exposure diversity), qui
anime depuis plusieurs années déjà les recherches sur la diversité des
médias (media diversity) (Napoli, Karppinen, 2013), se pose à nouveau
avec l’internet. Car c’est bien in fine l’exposition des internautes à
la diversité de l’information qui constitue l’enjeu majeur et devrait
concentrer l’attention des chercheurs comme des régulateurs.
Termes liés : agrégation, communication, connaissance,
curation, édition, information, médias, financement des
médias à l’ère numérique, neutralité de l’internet, pratiques,
public/usagers, réseaux sociaux
Références
Sean MacBride, Many Voices One World. Communication and Society Today
and Tomorrow. Towards a new more just and more efficient world
information and communication order, Kogan Page, London/
Uniput, New York/Unesco, Paris/Unesco, 1980 ; lire en ligne http://
unesdoc.unesco.org/images/0004/000400/040066fb.pdf?bcsi_
scan_1fe59ba8c561fa18=sD9bCpSt73FKeSlQ9vO5lFGSN902AAAA
M0vPWw==&bcsi_scan_filename=040066fb.pdf, dernière consultation le
1er juin 2014.
David Domingo, Thorsten Quandt, Ari Heinonen, Steve Paulussen, Jane B. Singer et
Marina Vujnovic, « Participatory Journalism Practices in the Media and
Beyond. An International Comparative Study of Initiatives in Online
Newspapers », Journalism Practice, 2008, vol. 2, n° 3, pp. 326-342.
Philip M. Napoli, Kari Karppinen, « La diversité comme principe émergent pour la
gouvernance de l’internet », in Pluralisme de l’information et Media
Diversity : un état des lieux international, Franck Rebillard, Marlène
Loicq (dir.), Bruxelles, De Boeck, 2013, pp. 39-58.
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Journalisme
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Chris Paterson, « International News on the Internet : Why More is Less », Ethical
Space : The International Journal of Communication Ethics, 2007, vol. 4,
n° 1/2, pp. 57-66.
Franck Rebillard (dir.), « Internet et pluralisme de l’information », Réseaux,
2012, no 176, pp. 3-173.
Laura Navarro Garcia, Isabelle Rigoni, Eugénie Saitta, « Exprimer la diversité. Les
médias des minorités culturelles et linguistiques en Espagne, en France
et en Italie », in Les Médias de la diversité culturelle dans les pays latins
d’Europe, Annie Lenoble-Bart, Michel Mathien (dir.), Bruxelles, Bruylant,
2011, pp. 55-69.
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Langues
Musanji Ngalasso-Mwatha
Le langage, richesse de l’homme
Les hommes, comme la plupart des animaux, communiquent entre eux
au moyen des sons et des mouvements du corps. On discute souvent
pour savoir si des animaux comme les perroquets, les abeilles ou les
dauphins ne possèdent pas un langage, comme nous. On est à peu
près certain aujourd’hui que seuls les systèmes de communication
employés par l’homme correspondent à la définition stricte du langage.
Celui-ci implique conscience (le sujet parlant sait qu’il parle telle ou
telle langue), bilatéralité (le langage fait l’objet d’un emploi partagé
au cours d’échanges dialogués), variabilité (il évolue dans le temps
et varie dans l’espace). Bien plus, le langage articulé est polyvalent
et multiforme : il suppose un vocabulaire riche et une grammaire
complexe ; il peut être fixé par l’écriture ou par toutes sortes de
symboles ; il s’accompagne de gestes et de mouvements divers ; il
permet d’aborder toutes les dimensions du monde sur l’axe du temps
(passé, présent et avenir) aussi bien que sur celui de l’espace (ici, làbas, ailleurs) ; il exprime le visible et l’invisible, le vrai et le faux, le
réel et l’imaginaire.
Objet culturel, comme la sculpture, la peinture, la musique ou les arts
de la table, la langue possède néanmoins un caractère particulier car
elle est, à la fois, produit et véhicule de la culture. Avec la langue on
peut parler de toute chose, y compris de la langue elle-même. C’est
l’outil de communication le plus perfectionné dont dispose l’homme.
On a comparé la langue à l’argent en tant que valeur fiduciaire : si
l’argent permet d’obtenir toutes sortes de biens matériels, la langue
donne accès à toutes sortes de biens immatériels. La traductibilité
des langues est comparable à la convertibilité des monnaies.
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Langues
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L’homme parle depuis environ 100 000 ans. Ses multiples déplacements ont favorisé la multiplication et la diversification des langues
sur la Terre. On dénombre actuellement environ 7 000 langues, sans
compter les dialectes, regroupées en plusieurs familles inégalement
réparties sur les cinq continents : 2 165 langues en Asie, 2 011 en
Afrique, 1 302 en Océanie, 1 000 en Amérique et 225 en Europe. C’est la
pluralité des langues dans leur singularité qui constitue la richesse
du patrimoine linguistique de l’humanité. Il n’existe pas de communauté humaine dépourvue de langue ou de culture propre. En parlant
sa langue maternelle, tout homme est capable de produire et de comprendre un nombre infini de phrases déjà entendues ou jamais émises
auparavant ; il est, en outre, potentiellement apte à apprendre et à
parler n’importe quelle langue par simple imitation de son entourage.
Les langues sont mortelles
Comme les civilisations, les langues sont mortelles. Elles peuvent,
après usure, sombrer dans l’oubli et finir au fond des siècles, avec
leurs grammaires et leurs dictionnaires. Les scientifiques observent
une tendance très marquée à la réduction du nombre des langues
dans le monde. Leur sentence est sans appel : d’ici à la fin du siècle,
la moitié des langues parlées actuellement aura disparu de la surface
de la Terre. Elles meurent de deux causes majeures : la pression
glottophagique des langues les plus puissantes, qui « mangent » les
plus faibles, et le poids des lois linguicides édictées par les États
qui favorisent les langues majoritaires au détriment des langues
minoritaires. La plupart des langues ont déjà disparu en Amérique
à cause des colonisations et des génocides. Des dizaines de langues
meurent chaque année en Afrique pour les mêmes raisons. Plusieurs
langues reculent en Chine sous la poussée du chinois standard. La
glottodiversité est aujourd’hui sérieusement menacée. Tout comme la
biodiversité animale et végétale.
Le phénomène n’est pas nouveau. Toute évolution du monde provoque la
disparition de langues et l’apparition de nouvelles langues. Cependant,
jamais le mouvement d’extinction des langues n’a connu les proportions
que l’on observe aujourd’hui. Selon l’UNESCO, une langue meurt tous
les quinze jours. La mondialisation des échanges et l’industrialisation
des moyens de communication n’y sont pas pour rien.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Le cinquième pouvoir : ses opportunités…
L’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la
communication constitue une avancée considérable dans l’évolution
de la communication interhumaine. Les industries de la langue
participent de cette extraordinaire mutation technologique. Le
traitement automatique des langues est un secteur en pleine
expansion. Il comporte des enjeux industriels et économiques
considérables. Toutes les langues sont directement concernées par
ces enjeux. L’invention de l’internet est une révolution copernicienne.
Du même ordre que l’invention de l’imprimerie, de la téléphonie, de
l’électricité ou du cinéma parlant.
L’internet offre d’énormes avantages. Le numérique rend possible une
très large distribution de la parole dans toutes les langues grâce à
la facilité de création en ligne de blogs et autres forums interactifs.
Il permet l’accès à de nombreux textes écrits et à des outils
techno-linguistiques avancés comme la traduction automatique, la
reconnaissance vocale et la synthèse de la parole à partir de textes. Il
facilite le travail en réseau, la saisie des données lexicales devant servir
à élaborer les dictionnaires et les listes terminologiques. L’internet
donne à chacun, simple citoyen, travailleur ou consommateur, des
moyens de communication et d’expression absolument inédits. De
nouvelles possibilités aussi d’apprendre et de se cultiver pour ne
plus être les esclaves martyrisés de l’ignorance. L’internet permet de
transmettre des messages écrits dans n’importe quelle langue. Même
dans celles qui n’ont pas de tradition d’écriture.
Situé entre l’écrit et l’oral, le cyberlangage se caractérise par le style
direct conversationnel. Par son hybridité et sa fluidité, sa spontanéité
et sa convivialité, sa rapidité et son interactivité, sa simplicité et
sa moindre normativité, il répond parfaitement à la définition du
langage efficace. L’internet démocratise l’accès à la connaissance.
L’internaute peut, d’un simple clic, comme d’un claquement de doigts,
visionner un film, télécharger la chanson de son choix, lire quantité de
textes numérisés, converser en ligne (tchat) avec qui il veut, envoyer
des fichiers attachés à des destinataires sans nombre. Avec raison,
on a parlé de « cinquième pouvoir » après l’exécutif, le législatif, le
judiciaire et le médiatique. C’est le pouvoir du grand public et de
M. Tout-le-Monde. C’est aussi le redoutable contre-pouvoir de la
rumeur en ligne qui peut, en un clin d’œil, faire dégringoler le cours
du dollar ou flamber le prix du pétrole, discréditer un gouvernement
et précipiter sa chute, changer l’état de l’opinion et modifier la donne
électorale, voire l’issue d’un scrutin. Avec l’internet, on retrouve
toutes les fonctions sociales du langage : exprimer des émotions,
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Langues
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échanger des idées, agir sur les esprits et les mentalités, assurer des
relations, créer du beau avec les mots et les images. La question n’est
plus de savoir si, oui ou non, cela est possible dans toutes les langues
du monde. La question est : quelles langues sortiront gagnantes de
ce grand chambardement porteur de tant de promesses et d’autant
d’incertitudes ? La lutte pour la (sur)vie est engagée.
… et ses risques
L’internet comporte donc aussi des risques pour la majorité des langues, qu’il convient de ne pas sous-estimer. Il participe à la détérioration des rapports entre les langues et contribue à accélérer la disparition de plusieurs d’entre elles. Aujourd’hui toutes les langues ne
profitent pas des avancées industrielles. Les langues qui gagneront la
bataille numérique gagneront non seulement un marché considérable
mais aussi de nouvelles chances de se perpétuer dans les siècles et de
se propager sur de larges espaces. Celles qui perdront cette bataille
perdront définitivement la guerre pour la (sur)vie.
La Bible est le seul livre traduit en 2 454 langues qui soit accessible à
95 % de la population de la planète. Elle est disponible sur l’internet en
140 langues. Wikipédia n’existe encore que dans 300 langues, Facebook
dans 80, et Twitter dans 20. Dans le top 10 des langues les plus utilisées
sur l’internet, on ne trouve que des langues européennes (anglais,
espagnol, allemand, français, portugais) favorisées par l’expansion
coloniale, concurrencées seulement par les langues asiatiques (chinois,
japonais, coréen, turc, farsi), portées par des cultures nationales
millénaires. On ne trouve aucune langue africaine, ni amérindienne,
ni océanienne. Plus de 90 % des langues parlées dans le monde sont
ainsi absentes ou sous-représentées sur la Toile. Les alphabets et les
systèmes d’écriture utilisés sont, eux aussi, exclusivement européens
(latin, grec, cyrillique) ou asiatiques (arabe, chinois, japonais, coréen).
Les langues minoritaires, qui sont la majorité dans le monde, sont souséquipées en technologies du langage et se trouvent, de fait, exclues
des correcteurs orthographiques et grammaticaux, des systèmes
de dialogue par téléphone, des outils de traduction automatique,
des moteurs de recherche sur le web, des synthétiseurs vocaux
des GPS. Leurs locuteurs sont ainsi privés d’accès à la plupart des
services communicants modernes. Un exemple illustre cette disparité
intolérable au xxie siècle : aujourd’hui le conducteur d’une voiture
équipée d’un GPS (Global Positioning System) ne peut pas s’égarer s’il
parle anglais, français ou espagnol ; il est en revanche complètement
perdu s’il ne parle que breton, yao, tagalog, wolof, kikongo, tchouktche,
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
nahuatl ou tupiguarani. À l’ère du tout numérique, les technologies du
langage se sont certes démocratisées. Mais elles ne profitent pas à
toutes les langues.
Sauver la glottodiversité
Les langues représentent une richesse culturelle inestimable. Avec la
disparition de plusieurs d’entre elles, c’est la richesse même de l’humain qui se trouve mise en danger. La mort des langues n’est pas une
fatalité. La généralisation des outils numériques à toutes les langues
n’est pas technologiquement irréalisable. La convergence numérique
peut être la planche de salut pour beaucoup d’entre elles. Il y a donc
urgence à trouver, dès à présent, les moyens de ralentir le rythme de la
mort des langues. Ces moyens sont techniques et financiers. Ils sont
aussi juridiques et politiques : ils dépendent du volontarisme des
gouvernements. Dans la plupart des États, il n’y a pas de politique en
faveur de la diversité linguistique et culturelle ; il n’y a qu’un début de
prise de conscience de leur importance comme moyens d’expression
des identités nationales.
Il faut un effort concerté, au niveau mondial, pour consolider
cette prise de conscience, créer les technologies nécessaires et les
déployer vers l’ensemble des langues. Toutes les nations devraient
investir dans le multilinguisme et encourager la présence de toutes
les langues sur la Toile, et d’abord dans la vie quotidienne. C’est la
seule manière de sauver la glottodiversité et de sauvegarder notre
riche patrimoine culturel. La meilleure manière aussi de refuser
l’uniformisation comme une pernicieuse forme de nivellement par le
bas, donc d’appauvrissement de l’Homme.
Termes liés : communautés, communication, connexion,
connaissance, fracture numérique, patrimoine, public/usagers,
territoires
Références
Roland Breton, Géographie des langues, Paris, Presses universitaires de France, 1995.
Bernard Comrie et al., Atlas des langues. L’origine et le développement des langues
dans le monde, Paris, France Loisirs, Éd. Acropole, 2004.
Antoine Meillet et Marcel Cohen, Les Langues du monde, Paris, Gallimard, 1952,
réédition Paris, Slatkine, 1997.
Jean Perrot (dir), Les Langues dans le monde ancien et moderne, Paris, Éditions du
CNRS, 1989.
Stephen Wurm, Atlas des langues en péril dans le monde, Paris, UNESCO, 1996.
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Le libre
Éric Guichard
Pouvoir lire ou ne pas lire
Dans le domaine de l’informatique et de l’internet, l’adjectif « libre »
renvoie essentiellement à un certain type de logiciels : un logiciel libre est avant tout un logiciel dont le code source (l’ensemble
des programmes qui le constitue) est accessible et lisible (en clair),
contrairement à un logiciel dont seule la version binaire (donc incompréhensible : il ne s’agit pas d’une simple compression) est transmise.
Historiquement, les logiciels transmis sous forme binaire ont été conçus
pour économiser de la place (mémoire ou disque) et pour faciliter leur
installation par l’utilisateur. Ils ont grandement contribué à l’essor de
l’informatique grand public. Ils ont aussi favorisé la construction de
monopoles, dans la mesure où ce choix de l’opacité a été étendu aux
fichiers produits par ces logiciels : écrits en des formats illisibles, cette
fois-ci au sens commun du terme, ils requéraient l’usage de ces mêmes
logiciels pour être visualisés ou modifiés.
Pour de tels fichiers, on parle de « formats propriétaires » et les
logiciels qui les produisent, souvent vendus, sont aussi appelés des
logiciels « privateurs », au sens où ils nous privent de deux types de
libertés, qui expriment la double dimension du logiciel libre :
•la liberté de construire soi-même sa confiance en un outil ou une
méthode, sans la déléguer aveuglément à un vendeur, qui pourrait être
malhonnête ou coercitif (par exemple en raison d’un monopole). Nous
sommes là dans le registre le plus cartésien de la preuve : est vrai (ou
fiable) ce dont j’arrive à me persuader par mon propre entendement ;
•la liberté d’adapter, d’améliorer, de transmettre une œuvre de l’esprit
(singulière ou collective), par définition non brevetable et susceptible
de contribuer à l’émancipation ou au bonheur de l’humanité.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
De la compétence scribale à l’épistémologie
Tout cela serait aisé si la question de la compétence ne surgissait pas
d’emblée : si Descartes a pu articuler l’invention de l’algèbre moderne
avec une philosophie qui conjugue la liberté intellectuelle et une méthodologie (donc offerte à tous) de la compréhension du monde, rares
sont ceux d’entre nous qui peuvent prétendre à son intelligence. Un
peu plus de personnes sont capables de lire et de commenter un programme de quelques milliers ou millions de lignes, mais elles ne sont
pas si nombreuses.
Pour le dire autrement, la question du « libre » semble relever du débat
d’experts en programmation, dont nous nous sentirions exclus, par
manque de compétences, sans trop savoir si ces lacunes sont réelles,
artificiellement déplacées, ou incorporées vu la foison de discours,
depuis quarante ans, sur l’intelligence des machines et le renouveau
technologique. Ou plus simplement parce que nous n’avons ni le
temps ni le désir d’acquérir une compétence informatique forte, en
plus de nos propres spécialisations.
Penser le libre conduit vite à une archéologie de l’informatique,
comme discipline et comme industrie, assurément comme technique
et donc comme produit collectif de nos inventions d’humains, de
leurs socialisations et aussi de leurs contractualisations, en fonction
de représentations culturelles fort diverses suivant les milieux et
les pays. En effet, les questions des logiciels libres et privateurs
mènent rapidement aux suivantes : quel système privilégions-nous
pour transmettre les savoirs ? Celui de la gratuité, avec ses écoles
et ses précepteurs financés par l’impôt ? Celui de la vente, avec ce
qu’il suppose de temps passé à rechercher des clients et à s’adapter
à leurs désirs ? Celui de l’héritage, avec ce qu’il induit en termes de
construction de monopole et d’étouffement de l’innovation, ou celui
du bien public, qui n’est protégé que si le peuple s’y intéresse ?
Nous comprenons que ces questions débordent largement le strict
cadre de l’informatique et que des réponses variées leur soient apportées. Cette remarque, qui renvoie à la sociologie (une idée ou un projet
ne peut se déployer sans débat ni rapports de forces, et ne peut s’inscrire dans un champ politique sans simplifications ni engagements)
ne doit pas sous-estimer l’importance du logiciel libre, en termes
de problématique comme de diffusion. Et les notions d’expertise et
d’engagement ne doivent pas être dépréciées : Louis Pasteur, comme
Émile Zola, quand il décida de défendre Alfred Dreyfus, n’étaient pas
des incultes transcendés par une foi, mais de réels spécialistes de
leur domaine, devenu cause scientifique ou politique.
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Le libre
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Origine et évolution du terme
Des logiciels initialement tous libres
La notion de logiciel libre est relativement récente : elle date des
années 1980, essentiellement impulsée par Richard Stallman, qui
luttait contre l’essor du logiciel privateur : en effet, avant l’essor
des micro-ordinateurs, toutes les machines étaient vendues avec
des systèmes d’exploitation (les lignes de code qui permettent leur
fonctionnement et leur appropriation) gratuits, documentés et
modifiables – libres, au sens actuel du terme.
Il est difficile de savoir si l’introduction du logiciel privateur vient
d’Apple, de Microsoft, d’autres acteurs désireux de faire payer des
« droits de copie » à IBM et aux personnes achetant de telles machines,
ou tout simplement de l’apparition de nouveaux marchés, tendant à
distinguer le hard-ware (les machines) du soft-ware (les logiciels, en
accroissement perpétuel).
Une réaction face à Microsoft et à l’ordinateur personnel
En revanche, il est manifeste que la position hégémonique de
Microsoft, alliée à une forme de publicité parfois mensongère
(promettant l’intégration future de logiciels performants pourtant
déjà connus des spécialistes, tout en générant des formats de fichiers
abscons et donc réduisant l’interopérabilité), a stimulé l’intérêt des
programmeurs pour les logiciels libres, dont le code source était
disponible (Di Cosmo, 1998).
Il ne faut pas pour autant négliger l’histoire (des mondes lettrés) de
l’informatique : au moment où l’Apple II connaît ses premiers succès,
un système d’exploitation complexe, mais d’une redoutable efficacité,
se déploie : Unix. Or Unix fonctionne avant tout sur l’usage de milliers
de scripts (de petits logiciels) écrits en clair, qui s’enchaînent les uns
les autres au gré des besoins de l’utilisateur… à condition qu’il en
connaisse l’existence. À terme, Unix a permis le développement de
l’internet et du web. Initialement réservé à des machines spécifiques
et coûteuses (Sun, NeXT, l’ancêtre du système d’exploitation du
Macintosh actuel), il devient un système d’exploitation commun,
depuis qu’il a été « porté » sur les ordinateurs portables grâce aux
efforts de Linus Torvalds et des programmeurs qu’il a fédérés : Linux.
La qualité au rendez-vous
Aujourd’hui, de nombreux logiciels libres sont massivement utilisés : les plus connus sont OpenOffice et Libre Office (variantes de
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Microsoft Office) ou Firefox (navigateur) et Thunderbird (gestionnaire
de courrier électronique), les deux derniers relevant de la fondation
Mozilla. Mais la majorité des logiciels libres est méconnue du grand
public : ce peut être Apache, utilisé par la majorité des serveurs web,
Linux, Perl, ou les outils (comme subversion) permettant d’obtenir les
dernières versions des uns ou des autres. Tous sont massivement utilisés en raison de leur très grande qualité.
Pour revenir à la notion d’expert, il n’est pas si aisé de récupérer le
code source d’un logiciel libre si l’on n’est pas un réel spécialiste de
l’internet et de l’informatique, ou au moins un excellent amateur.
Cependant, efforts et pertes de temps sont compensés par l’acquisition d’une nouvelle culture, incluant des formes inédites de socialisation et de partage. Ce que ne permettent pas les logiciels privateurs.
Et le coût d’entrée dans le monde du libre est de moins en moins élevé.
Aujourd’hui, la majorité des logiciels libres est gratuite, tous ont par
définition leur code accessible. Pour cela, ils sont souvent adaptables sur
tous les systèmes d’exploitation. Ce mélange de qualité, de transparence
et de faible coût, associé aux possibilités de rapide correction des
bogues, ou d’amélioration du fait de l’internet, contribue au succès
actuel des logiciels libres, au point qu’ils sont largement utilisés par
des individus, des entreprises et des institutions, jusqu’à des États.
Différentes approches et solutions
Un tel succès ne peut que conduire à des approches divergentes,
parmi ses promoteurs.
Approches politique et pragmatique
Ces derniers peuvent osciller entre une variété de positions, dont
les plus caractéristiques sont les suivantes : celle qui revendique le
lien entre épistémologie et politique (transparence, appropriation
des savoirs et liberté d’expression sont les clés de la démocratie),
représentée par Stallman et la FSF (Free Software Foundation) et
celle qui insiste sur les opportunités économiques rendues possibles
par des logiciels aux codes sources ouverts et souvent gratuits (le
second sens de free). C’est le cas de l’Open Source Initiative.
Les licences
Dans cet environnement méconnu et réputé compétitif qu’est l’informatique, se posent rapidement trois questions :
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Le libre
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1. Comment faire du commerce avec des produits gratuits ? 2. Comment
se rétribuer avec des inventions qu’on ne vend pas ? 3. Comment ne pas
se faire voler des idées aussitôt publiées et implémentées ?
La première peut se résoudre aisément, avec les notions de service
et d’enseignement : le théorème de Pythagore et le swahili n’appartiennent à personne, mais si nous désirons les comprendre, à tous
les sens du terme, nous sommes prêts à (faire) payer des enseignants,
de mathématiques ou de langues. Si nous désirons réaliser un beau
livre, nous avons le choix entre un logiciel privateur, par exemple de
la firme Adobe, et un logiciel libre comme LaTeX. Dans les deux cas,
une formation, sinon le paiement de la mise en pages accéléreront
grandement la production de l’ouvrage.
La seconde est plus complexe, car elle suppose que l’inventeur (programmeur/se, informaticien/ne) passe une partie de son temps à
vendre ses services. Ce qui n’est pas très rentable, surtout si une
entreprise lui vole ses idées. D’où la cruciale importance du point 3.
Pour cela, la solution proposée est celle de la licence, droit d’usage
qui emprunte autant au droit artistique (l’écrivain, le peintre…) qu’à
la tradition juridique de l’informatique. Sans entrer dans les détails,
mais en élargissant ces problématiques à nos propres pratiques,
quand nous mettons en ligne une photographie personnelle ou une
œuvre de musique composée par nos soins, nous pouvons :
1. Ne pas désirer en tirer profit, et par suite...
2. interdire à quiconque de vendre notre œuvre, tout en...
3. laissant quiconque en profiter (droit de jouissance), ...
4. et permettre la reproduction ou publication de notre œuvre (éventuellement sous forme partielle ou transformée) à condition que soit
mentionné notre nom, en tant que créateur original.
C’est peu ou prou ce qui existe dans le domaine des logiciels libres.
Quelques nuances peuvent apparaître  : parfois, on peut modifier l’œuvre,
mais celle-ci doit rester dans le domaine public (copyleft) ; d’autres fois,
on peut en tirer un bénéfice, par exemple en vendant le résultat d’un
programme réalisé avec un logiciel libre. Citons les licences GNU GPL
(General Public License), CeCILL en France (CEA CNRS INRIA logiciel
libre), l’Open Software License, et les licences Creative Commons,
historiquement élaborées par le juriste Lawrence Lessig et qui ont
grandement contribué à la popularisation des précédentes.
Ces licences sont abondamment détaillées sur le web et sont désormais
reconnues par la majorité des juges nationaux.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Pertinence et avenir
Une nouvelle configuration économique
Le plus étrange, dans le modèle et le succès du logiciel libre, peut
résider dans la façon dont il contredit les discours communs du
néolibéralisme : le bien public, la gratuité, le communisme semblent
ici plus efficaces que la propriété et le brevet. Effectivement, le modèle
économique du logiciel libre fonctionne : il permet aux entreprises qui
s’y impliquent de réaliser des bénéfices, il stimule l’innovation. C’est
d’ailleurs pour ces deux raisons qu’a été développée l’approche de
l’Open Source Initiative. Dans sa version corollaire du format ouvert,
souvent oubliée mais aujourd’hui prépondérante sur l’internet (formats
HTML, XML, protocoles…), le libre est synonyme de normalisation.
Au point que la majorité des entreprises informatiques, auparavant
intéressées par les formats propriétaires, préfèrent aujourd’hui
dialoguer autour d’une table pour définir ensemble des formats et
des protocoles publics, comme au sein du W3C (World Wide Web
Consortium). Cela dit, un logiciel libre a un coût, celui des salaires
de ses développeurs. C’est donc un savant mélange entre rétribution
et diffusion gratuite qui s’élabore, au final assez proche de celui du
financement de la recherche scientifique.
Dynamiques du libre en France
En Europe, de nombreuses associations fédèrent et promeuvent de
tels outils. Citons en France l’association Framasoft (http://www.framasoft.net/), l’April (https://www.april.org/), le Conseil national du
logiciel libre (http://www.cnll.fr/) … Le 19 septembre 2012, le Premier
ministre a signé une lettre d’orientation pour favoriser l’usage des
logiciels libres dans l’administration française.
Élargissement du débat
Nous réalisons que le débat autour du libre, sous ses formes technique comme juridique, s’élargit aujourd’hui aux œuvres artistiques,
non seulement celles des artistes reconnus mais aussi celles de tout
un chacun. Par exemple, une photographie que nous mettons en ligne
nous appartient-elle, ou peut-elle devenir la propriété de son hébergeur sans que nous ayons notre mot à dire ? Plus généralement se
pose la question de la propriété de notre vie privée : les abus de la
publicité ciblée et plus encore le scandale des enregistrements de nos
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Le libre
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faits et gestes, en ligne ou téléphoniques, par des agences de surveillance nationales, comme la NSA (National Security Agency), avec la
complicité active de nombreux industriels du numérique, posent de
redoutables questions aux sociétés démocratiques actuelles. Ce qui
signale, à rebours, l’importance des questions politiques posées par
les fondateurs du logiciel libre.
Ce ne sont plus seulement des lignes de code ou des formats de fichier
qu’il convient de protéger de firmes monopolistiques, mais désormais
nos propres traces électroniques. Après tout, dans l’interprétation la
plus restrictive du droit d’auteur, n’en sommes-nous pas les créateurs
et les propriétaires ? Et l’économie du libre ne nous prouve-t-elle pas
qu’un droit précis attaché à ces sources, où nous pourrions à chaque
instant définir ce que nous voulons garder pour nous et ce que nous
acceptons de faire basculer dans le domaine public, comme bien authentiquement commun et jamais privatisable, s’avérera plus fructueux pour le commerce comme pour la liberté ?
Ici, paradoxalement, les philosophies libérale et communiste semblent
converger.
Termes liés : biens communs, codes, vie privée/données
personnelles
Références
Roberto di Cosmo, Piège dans le cyberespace, 1998, lire en ligne http://www.dicosmo.
org/Piege/PiegeFR.html.
Philippe Aigrain, Cause commune, Paris, Fayard, 2005, lire en ligne, éd. électronique
sous droits CC, http://www.causecommune.org.
Andrew Feenberg, Pour une théorie critique de la technique, Paris, Lux, coll.
« Humanités », 2014.
David Edgerton, Quoi de neuf ?, Paris, Seuil, 2013.
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Littératie numérique
Divina Frau-Meigs
La « littératie », traduction proposée par les Québecois de l’anglais literacy, se distingue, de la traduction attendue par « alphabétisation »,
de par sa dimension pragmatique et appliquée plutôt que didactique
et théorique. Elle est convoquée à partir des années 1980 pour réfléchir aux formes nouvelles que prend l’écriture, notamment dans son
rapport à l’oralité (plus qu’à la lecture). Elle s’appuie sur la pratique
(practice), et l’articule à une technologie et des modes de faire et de
savoir inscrits dans des contextes culturels spécifiques. De fait, cette
perspective, issue de l’anthropologie culturelle, montre qu’il existe
toutes sortes d’effets dus à l’appropriation de l’écrit et des configurations très variées entre oralité et littératie selon les cultures et les
rapports qu’elles entretiennent, notamment, entre savoir et pouvoir.
Depuis les années 1990, la notion a évolué en raison de l’impact des nouvelles technologies numériques sur l’écriture et la lecture, voire l’oralité
seconde (après passage à l’écran). Deux tendances se dégagent : une approche socioculturelle qui continue de s’interroger sur la pratique dans
son articulation avec les modes de faire et de savoir tels qu’ils sont reconfigurés par le contexte informatique ambiant ; une approche psychocognitive qui se focalise sur l’appropriation mentale des processus de
compréhension induits par le numérique en s’appuyant sur les neurosciences. La pratique se complexifie en pratiques littéraciques, multiples,
évolutives et porteuses de valeurs, de représentations et d’attitudes qui
affectent les relations sociales, économiques et culturelles.
La complexité des modes de faire autour
du savoir lire-écrire-voir
Les études sur les littératies se sont diversifiées, pour prendre en
compte les nouvelles formes d’appropriation de l’écriture-lecture, qui
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Littératie numérique
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incluent non seulement l’alphabet en tant qu’ensemble de symboles représentant les phonèmes d’une langue (vingt-six caractères en France),
mais aussi la résultante de la numérisation de ce code en le réduisant à
deux nombres (0 et 1). La numérisation permet en effet non seulement
de transformer une suite de caractères textuels mais aussi de configurer des sensations visuelles à partir de pixels. Ce procédé complexifie
la littératie parce qu’il permet la conversion de toutes sortes d’informations, quel que soit le support (visuel, audio, textuel), en données
numériques qui sont traitables et modifiables par des dispositifs informatiques. Ces données numériques, composées de suites de caractères
et de nombres, véhiculent des informations dont les caractéristiques
principales sont qu’elles sont sécables, mixables, modulables et portables, permettant des transfigurations morphologiques de l’écrit, du
lire, du parler et additionnellement du voir, inédites jusqu’alors.
L’élargissement de la réflexion sur les littératies rencontre à ce stade
les interrogations sur les cultures de l’information, qui analysent les
évolutions nouvelles dues aux possibilités d’éditorialisation de toutes
sortes de documents et de données en utilisant la plasticité propre
aux langages artificiels fondés sur le calcul et l’informatique. La
transférabilité des pratiques et des compétences dans des contextes
informationnels différenciés pointe également vers des phénomènes
nouveaux, notamment l’interpénétration des sphères du loisir, du travail et de l’école, et également la position d’autorité de l’usager, par
rapport à la plasticité de l’information qu’il produit et qu’il valide, lui
permettant de contrôler toute la chaîne éditoriale du lire-écrire-voir
par le truchement de la mise en ligne.
Les littératies et leurs pratiques se présentent alors en bouquet,
sous la forme de toutes sortes d’« éducation à… ». La « littératie
informationnelle » (information literacy), définie sous l’impulsion
de la puissante Fédération internationale des associations de
bibliothécaires (IFLA), s’appuie sur le domaine scientifique de la
documentation informatique. Elle s’agrège à l’éducation aux médias
(media literacy), qui incorpore toutes sortes de compétences et de
stratégies de mise en lecture et en écriture critique du texte et de
l’image, en rapport à l’actualité et à la presse notamment, à partir
des sciences de l’information et de la communication, pour donner
le programme Media and Information Literacy (MIL) de l’UNESCO.
S’y adjoint également, avec plus de difficultés du fait de son lien aux
mathématiques plutôt qu’aux humanités, la « littératie informatique »
(computer literacy) pour tenir compte des usages issus de l’encodagedécodage des informations en données, portée en Europe par le
passeport de compétences informatiques européen (PCIE). Le vocable
« translittératie » émerge alors pour signifier la convergence des
pratiques informationnelles autour de l’information entendue à la
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
fois comme actualité et dispositif de presse (éducation aux médias),
comme code et algorithme (littératie informatique) et comme document
et donnée (littératie informationnelle).
La convergence sur le numérique des supports papier et analogique
depuis le tournant du millénaire a progressivement inclus la notion de
littératie dans les contextes d’enseignement et d’apprentissage, dans
la visée d’une maîtrise des cultures de l’information reconfigurées par
les données numériques, souvent résumée sous le terme unique de
« culture numérique » – en vérité un prolongement dans le numérique
de l’éducation aux médias et à l’information. L’enjeu est de comprendre
les mutations et les hybridations des pratiques littéraciques dans la
sphère sociale, culturelle et économique. Dans tous les cas, le souci
est de former des individus aux nouveaux savoirs, spectacles et
services rendus possibles par le numérique tout en gardant l’héritage
acquis des littératies prénumériques, en termes d’alphabétisation, de
citoyenneté et d’employabilité.
La littératie au fondement des humanités
numériques et des industries culturelles et créatives
La convergence entre ces diverses pratiques associées à l’information
comme code, donnée, dispositif, document et actualité a enrichi la
notion de littératie et produit une augmentation possible de la
relation au savoir, qui n’est pas sans être disruptive des savoirs
établis à l’ère prénumérique. Le passage du mode analogique au
mode numérique de saisie des données d’entrée et de sortie est un
accélérateur de changement qui enrichit la diversité des expressions
culturelles, mais risque de déplacer ou de marginaliser les formes
d’expression prénumériques. En outre, en contexte d’apprentissage,
il s’accompagne d’une pédagogie inductive centrée sur la pratique, le
projet et la co-construction des connaissances par l’apprenant-usager,
plutôt que sur l’approche transmissive centrée sur le savoir, l’autorité
du maître et la sanction. La posture pédagogique s’éloigne du modèle
de l’enseignant comme source, pour aller vers celui de l’enseignant
comme ressource. Elle s’insère dans des approches connectivistes
– au-delà des approches cognitivistes et constructivistes – où
l’apprentissage est un phénomène qui s’auto-organise en utilisant les
affordances technologiques, comme le montre la diffusion des cours
en ligne ouverts à tous (MOOC, Massive Open Online Courses).
Le potentiel de perturbation d’une telle augmentation est réel, avec des
implications pour l’apprentissage comme pour la culture. L’agrégat
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Littératie numérique
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entre écriture, oralité, lecture et visualisation permis par la convergence numérique implique un changement des conditions sociomatérielles de production de la culture qui se caractérisent par un double
processus : les hommes prêtent à la machine certaines de leurs capacités mentales, notamment la mémoire et la capacité à la communication
et au traitement de l’information ; réciproquement les machines prêtent
aux hommes plus d’autonomie dans leurs interactions en réseaux.
La littératie numérique, dans ce contexte constructiviste et connectiviste, s’appuie sur un certain nombre de stratégies en ligne qui
constituent progressivement une raison numérique. Elles soulignent
la coévolution hommes-médias, car certaines d’entre elles font allusion à des tâches d’intelligence artificielle utilisées en informatique,
comme en témoigne leur version anglaise souvent passée telle quelle
dans la langue française : l’agrégation de contenus (content aggregation), la mise en commun de ressources (pooling), l’échantillonnage (sampling), le réseautage (networking). Se développe toute une
réflexion sur les nouvelles compétences littéraciques (digital skills)
pour le xxie siècle, autour de la « ludo-littératie » et de la simulation,
pour aider à la résolution de problèmes et tester des modèles dynamiques de processus applicables au monde réel. À côté des compétences classiques du lire-écrire-calculer s’ajoutent alors les capacités
à éditorialiser, à créer et à coopérer. Outre le rôle de consommateur
et de citoyen, de nouveaux rôles sont attendus des apprenants, pour
lesquels ils doivent être préparés, pour évoluer dans des univers simulés et immersifs qui sont aussi des événements d’apprentissage,
dans une philosophie de l’action et de la participation.
Ces nouveaux rôles et compétences préparent aux emplois du futur liés
aux industries culturelles et créatives. Ils pointent vers la constitution
d’humanités numériques appuyées sur les arts appliqués et le design
tout autant que sur l’informatique, car la littératie numérique détient
le potentiel disruptif de donner un second souffle aux humanités en
les transposant sur le numérique et en annulant la polarisation entre
sciences dures et sciences sociales. Cela implique, à terme, soit une
reconfiguration des disciplines classiques en d’autres regroupements,
soit l’émergence d’un nouvel ensemble de savoirs et de modes de faire,
regroupant les apprentissages littéraciques (design, éditorialisation,
médiatisation…). Les refontes actuelles du système universitaire et
scolaire comme les débats autour de la création d’un service public
du numérique vont dans ce sens, malgré de nombreuses réticences.
Alors qu’émergent des plateformes multimédias qui offrent des
cours en ligne ouverts à tous (MOOC) et toutes sortes de stratégies
de certification alternative (badges, e-portfolios…), l’école se doit
d’opérer sa transition vers la littératie numérique sous peine de se
voir marginaliser.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Elle en prend le chemin en faisant évoluer l’éducation aux médias
de concert avec la littératie numérique, en intelligence distribuée,
en gardant l’esprit critique de la première et l’esprit créatif de la
seconde, dans le dialogue interculturel, comme le concrétise l’Alliance
mondiale des partenaires en éducation aux médias et à l’information
(GAPMIL) de l’UNESCO depuis 2013.
Termes liés : algorithme, co-construction, code,
communication, computation connaissance, document,
information, jeu, journalisme, public/usagers
Références
David Buckingham, Media Education : Literacy, Learning and Contemporary Culture,
Boston, MIT, 2007.
Éric Delamotte, Vincent Liquète, Divina Frau-Meigs, « La translittératie ou la
convergence des cultures de l’information : supports, contextes et
modalités », Spirale, no 53, 2013.
Divina Frau-Meigs, Socialisation des jeunes et éducation aux médias, Toulouse, Eres,
2011.
Henry Jenkins et al., Confronting the Challenges of Participatory Culture. Media
Education for the 21st Century, Boston, Mac Arthur Foundation, 2009.
Alexandre Serres, Dans le labyrinthe. Évaluer l’information sur internet, Caen,
C & F Éditions, 2012.
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Médias
Divina Frau-Meigs
Lors du débat sur l’exception culturelle, en 1993-1994, les médias
se définissaient comme des moyens de diffusion d’informations et
de spectacles, et relevaient de catégories et de supports analogiques
précis tels l’édition, le film, la radio-télévision et la musique. Leur
double valeur, économique et culturelle, était reconnue et, de ce fait,
ils représentaient des biens culturels pouvant bénéficier des divers
régimes de protection et de promotion inscrits dans le droit national,
comme en atteste, en Europe, la directive « Télévisions sans frontières »
de 1989, modifiée en 1997, légitimant, entre autres, les quotas de
diffusion et les aides à la production.
La numérisation et la convergence des médias analogiques sur le
numérique à haut débit ont fondé une définition augmentée des
médias comme services, sans relever d’une plateforme de diffusion
précise, comme le manifeste la directive « Services de médias
audiovisuels » de 2010. Elle distingue deux sous-catégories : les
services linéaires, sur la base de grilles de programmes ; les services
non linéaires, sur la base de catalogues à disposition de l’utilisateur.
Elle englobe les services de vidéo à la demande sur télévision
connectée et la télévision dite « de rattrapage » (rediffusions pendant
une période de quelques jours sur réseau numérique) ; elle assure
à la publicité un rôle central de communication commerciale,
notamment en reconnaissant le placement de produit (autrefois
nommé « publicité clandestine »). Elle opère le glissement des médias
comme biens culturels à services commerciaux payants à forte
valeur relationnelle en raison de l’enrichissement par l’interactivité.
Même la presse traditionnelle doit s’aligner, à cause de l’émergence
de blogs et de réseaux sociaux qui permettent à tout individu de
créer de l’information et de redéfinir les contours de l’actualité
tout en remettant en cause la fonction d’agenda et de filtrage du
journalisme.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
La situation de l’écran navette
S’installe ainsi une situation d’écran navette ou second écran : en
surface, l’écran audiovisuel linéaire continue à jouer son rôle de
pourvoyeur de représentations et de récits (séries, films, sports,
actualités…) ; en profondeur, l’écran réticulaire non linéaire (réseaux
sociaux, jeux vidéo en ligne…) se nourrit du premier pour proposer des
services personnalisés et provoquer des conversations porteuses de
lien social, qui viennent rétro-alimenter l’écran de surface. Les deux
sous-systèmes de la « société de l’information » (la télé connectée et
l’internet) rivalisent l’un avec l’autre, sur une multitude de formats et
de dispositifs (tablettes, téléphones intelligents…). Les contenus qui
suscitent le plus de commentaires relèvent du spectacle (la téléréalité,
les séries et les rencontres sportives) et utilisent des services ajoutés,
comme les recommandations de programmes.
Du point de vue des utilisateurs – qui ne sont plus des audiences
à proprement parler – la situation de l’écran navette produit une
expérience sans suture, transparente et conviviale, leur permettant
de glisser de contenu en contenu, de spectacle en service, et de
plateforme en plateforme sans interruption. Elle a des implications
sur les expressions culturelles, dont la diversité est augmentée par la
mobilité, l’ubiquité, l’interopérabilité et la partageabilité. Elle suscite
des pratiques culturelles nouvelles, venant d’individus autres que
les artistes et d’institutions autres que les studios de production,
avec des perceptions différentes des formats, des genres, des valeurs
de production et de la qualité. Ces pratiques sont participatives et
appartiennent à des modes de faire relevant de l’agrégation et de
la curation de contenus, visibles sur la multitude de sites dédiés
à la cuisine, la décoration d’intérieur, au jardinage… Elles sont
caractéristiques de nouveaux profils d’usagers, les « pro-ams », qui
cherchent à gérer non plus la rareté des contenus médiatiques mais
leur surabondance, sans toutefois garantir l’originalité de la création.
La fin du statu quo prénumérique
Cette évolution complexe profite aux médias interactifs non linéaires,
comme l’internet, les jeux vidéo et les réseaux sociaux, et aux nouveaux
entrants, les spécialistes « tout en ligne » (pure players) du numérique
comme Google, Apple, Amazon, Microsoft, Facebook. Le statu quo
prénumérique du tournant du millénaire, entre 1990 et 2005, pendant
lequel les entreprises analogiques de Hollywood et numériques de
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Médias
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la Silicon Valley respectaient leurs territoires respectifs, n’existe
plus. Les spécialistes tout en ligne reconfigurent Hollyweb, adoptant
une logique de production de contenus audiovisuels par la mise à
disposition de studios de création (Google dotant YouTube de studios à
Los Angeles) ou d’acquisition de compagnies susceptibles de diffuser
leurs contenus numériques sur des plateformes mobiles (Microsoft se
dotant de Nokia, ou Facebook d’Instagram).
Même s’ils se défendent de toute responsabilité éditoriale parce
qu’ils viennent de l’industrie informatique et non audiovisuelle et
pour éviter toutes sortes d’obligations et de réglementations héritées
du prénumérique, ces nouveaux entrants n’en sont pas moins devenus des producteurs de contenus qui dépassent de loin la production
audiovisuelle. Ils bénéficient d’un ancrage dans le droit et l’économie américaine qui leur donne une position dominante à l’international. La nature transfrontalière des échanges numériques permet à
Hollyweb de pratiquer l’optimisation fiscale en se jouant des marchés
nationaux et en échappant aux mécanismes locaux de régulation et
de protection de la diversité de la production. Hollyweb est de facto
exempté de taxes ou de retours sur publicité, ce qui l’exonère de toute
participation au financement de la création nationale ou locale, voire
assèche celle-ci, comme le montre le bras de fer entre la France et
Google News, à l’occasion de la dispute sur l’agrégation des titres de
presse, en 2013.
Les effets sur la chaîne des valeurs culturelles
La chaîne de valeur des médias est donc en pleine mutation, avec de
nouveaux modèles de services venant se poser en concurrence ou en
complémentarité des modèles de spectacles. Ces mutations affectent
la culture avec une même tendance à double tranchant : au microniveau, elles ont le potentiel de marginaliser, voire de détruire, les
emplois, les activités et les institutions prénumériques ; au macroniveau, elles ont la capacité de connecter les personnes entre elles et
de susciter de nouveaux modèles économiques participatifs. Se crée
donc un hiatus entre les usages diversifiés des médias, favorables à la
diversité culturelle, et les effets de l’économie numérique, propices à
la concentration des spécialistes tout en ligne, opposés aux politiques
publiques nationales.
Ces mutations ont deux implications différentes pour les médias à
l’échelon national : l’importance de construire un domaine public
numérique transfrontalier pour disséminer des spectacles et des
services non commerciaux ; le besoin de motiver la création par la
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
reconnaissance et la valorisation économique (avec le besoin de réfléchir aux modes de monétisation et d’attribution de la valeur, sans
pénaliser le créateur ou l’utilisateur). Se pose la question de nouveaux
principes de gouvernance de la culture en termes de contenus (premium, freemium, libre), de distribution équitable du « dividende numérique » (spectre pour médias locaux et associatifs) et de neutralité
de l’internet.
Le droit national peut tenter de protéger les médias analogiques
linéaires en respectant certains acquis prénumériques mais il est
obligé d’organiser la transition, comme en atteste la stratégie du CSA
concernant la télévision connectée : d’une part, maintien des domaines
régulés (protection de l’enfance, dignité de la personne, protection du
consommateur, pluralisme…) ; d’autre part, allègement de certaines
réglementations (chronologie des médias, plafond de concentration,
circulation des œuvres), sans porter atteinte aux intérêts des créateurs.
Les politiques publiques pourraient adopter de nouvelles formes de
promotion des médias numériques  : procéder à la rémunération crédible
de la créativité, avec diversification des modes de compensation ;
promouvoir des espaces de création distribués, libres et open source ;
réguler le « travail ludo-numérique » (playbour) en relation notamment
avec les publics jeunes (sans compter leur protection à l’égard de
contenus et de comportements à risque) ; maintenir le pluralisme
des idées et des usages (contre les pratiques en bouquet des portails
d’Hollyweb). Cela passe aussi par une révision du rôle des autorités de
régulation, souvent découpées entre médias audiovisuels d’une part et
médias numériques ou télécoms d’autre part, qu’il s’agit d’aligner en
termes de cohérence politique et culturelle.
Termes liés : agrégation, curation, financement des médias à
l’ère numérique, industries créatives, industries culturelles,
jeu, journalisme, littératie numérique, public/usagers
Références
Gustavo Cardoso, The Media in the Network Society. Browsing, News, Filters and
Citizenship, Lisbon, Center for Research and Studies in Sociology, 2006.
Divina Frau-Meigs, Penser la société de l’écran. Dispositifs et usages, Paris, Presses de
la Sorbonne nouvelle, 2011.
Divina Frau-Meigs, Media Matters in the Cultural Contradictions of the Information
Society, Strasbourg, Presses du Conseil de l’Europe, 2011.
Karol Jakubowicz, A New Notion of Media ? Media and Media-like Content and
Activities on New Communication Services, Strasbourg, Media and
Information Society Division, 2009.
Steven Rosenbaum, Curation Nation : How to Win in a World Where Consumers are
Creators, New York, McGraw-Hill, 2011.
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Médiation(s) du
patrimoine
Bernadette Dufrêne
Le terme « médiation » prend une résonance particulière dans le champ
des sciences humaines et sociales à l’époque contemporaine. Depuis
son apparition, que l’on peut assez précisément dater grâce à la
parution en 1992 de l’ouvrage de Louis Quéré, Des miroirs équivoques,
et à une livraison de la revue Réseaux en 1993, la notion de médiation
culturelle a connu une rapide extension qui a débordé le cadre initial
de sa formulation, celui de la recherche, pour être transposé dans celui
des professionnels de la culture dès 1995 et dans celui des politiques
culturelles, où elle détrône l’animation culturelle. Ce très rapide
survol montre la complexité qu’il y a à aborder les formes concrètes
de la médiation selon qu’on l’envisage sous l’angle d’une théorie de la
communication ou encore sous celui d’une sociologie de l’action, sous
l’angle des pratiques professionnelles ou sous celui des politiques
culturelles. Les médiations numériques peuvent être analysées dans le
cadre de l’une ou l’autre de ces théories. Rapportées à la question de la
diversité culturelle, elles engagent de manière privilégiée une théorie de
la communication (quels modes de communication sur quelles bases ?) et
un questionnement politique (quels accès pour quelles communautés ?).
Dans le cadre qui est celui de la Convention de l’UNESCO de 2005, les
technologies de l’information et de la communication sont considérées
comme une possible chance du projet politique qui vise à défendre
la pluralité des cultures, des langues et des expressions artistiques.
Derrière cette pétition de principe, quelles sont les réalités que recouvre l’expression « médiations numériques » ? Dans la perspective du
sociologue Antoine Hennion, le suffixe -tion du mot médiation invite à
considérer une action, ou plus précisément l’ensemble des processus
qui informent une œuvre et en orientent la perception et le sens.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
C’est sous l’angle de l’ « empilement des médiations » que l’on a pu
analyser les médiations numériques. D’abord la médiation technique.
Le numérique, c’est, comme le montre bien Milad Doueihi, la pensée de la technique en fonction d’usages sociaux. Dans cette mesure,
l’encodage numérique de la culture, du patrimoine est une question
passionnante, pensée d’abord sous l’angle de l’information entendue
comme information documentaire, inscrite dans ce vaste mouvement
que l’on a désigné comme celui de la redocumentarisation du monde,
c’est-à-dire non seulement sa documentation mais aussi son indexation à travers les métadonnées qui en rendent possible le repérage
et la circulation sur les réseaux. Il a été pensé avec le Web 2.0 dans
la perspective d’une collaboration et d’un partage. Si cet idéal du
Web 2.0 doit être relativisé, dans la mesure où les enquêtes ont montré que seule une petite minorité d’internautes contribuait activement
aux contenus culturels, il n’empêche que ces outils offrent à tous les
internautes la possibilité d’intervenir dans des espaces publics.
Il est à noter que, si les institutions culturelles occidentales ont adopté massivement ces outils et ont une politique de réseaux sociaux,
nombre d’institutions patrimoniales du Sud n’ont pas encore une
politique documentaire bien établie ni une politique de communication sociale favorisant la circulation des patrimoines numériques.
L’encodage numérique du patrimoine y est encore trop souvent limité
à la simple reproduction numérique et à la conception publicitaire de
l’image. Au moment où un nouveau modèle d’information, celui du web
sémantique qui vise à établir des ponts entre les réservoirs d’informations et à doter tous les objets patrimoniaux d’un identifiant pérenne,
est en train d’être testé, l’écart se creuse entre des pays qui bénéficient
de savoir-faire en matière patrimoniale issus d’une tradition de deux
siècles et les autres. Ainsi se creuse subrepticement une nouvelle ligne
de faille qui met en danger le principe de la diversité culturelle.
L’analyse des médiations numériques sous l’angle de la technique
montre un autre plan, celui de leur fonction symbolique. D’une
part, la technique apparaît comme le résultat de choix en fonction
du rapport social désiré et comporte donc une dimension politique ;
d’autre part, le dispositif peut être considéré sous l’angle de ce que
Louis Quéré nomme le « tiers symbolisant » : « Celui-ci n’est pas un
donné mais un construit, il procède d’une élaboration collective
permanente des conditions de mise en forme du rapport social. » À
considérer cette mise en forme dans le domaine du patrimoine, on
peut voir la diversification des usages : aux usages essentiellement
centrés sur l’inventaire et la documentation des œuvres, donc autour
d’objectifs politiques et scientifiques, se sont ajoutées des pratiques
comme le « marquage » (tagging), la folksonomie, qui sont le fait
de nouveaux acteurs. Ceux-ci ne se recrutent plus dans les seuls
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Médiation(s) du patrimoine
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cercles d’amateurs et d’habitués, comme l’étaient autrefois les amis
de musées, mais parmi des publics aux attachements divers. De ce
point de vue, les communautés virtuelles qui se sont formées autour
de patrimoines peuvent sembler le meilleur garant de la diversité
culturelle. Qu’il s’agisse de patrimoines de la culture populaire ou
de la culture savante, on peut considérer le web comme le lieu de la
diversité dans la représentation des patrimoines.
Comme dispositif public, le site web peut être vu comme un des lieux
privilégiés de cette mise en forme du rapport social, et être analysé
dans cette perspective comme tiers symbolisant. On peut transposer à
l’analyse des médiations numériques les outils qui permettent l’analyse
du tiers symbolisant, et notamment s’interroger, dans la perspective
de Louis Quéré, sur ce qui le constitue, à savoir « l’articulation d’un
ensemble d’éléments composites 
: structures cognitives, cadres
normatifs, modes d’appréhension du temps, modes de représentation
et schémas d’action ». C’est par l’analyse de ces éléments que l’on pourra
appréhender dans leur spécificité la construction d’une communauté
et celle de son identité. Selon qu’une institution patrimoniale aura ou
non recours à des dispositifs numériques, selon les schémas d’action
qu’ils induisent (consommation de type spectaculaire ou apports
éducatifs ou scientifiques), selon les rôles assignés aux publics (par
exemple si un site web offre, ou non, la possibilité de participer ou de
contribuer), selon les rapports au temps et à l’espace engagés, selon
le design des interfaces, on pourra établir une cartographie tenant
compte de la dimension symbolique des médiations du patrimoine.
Si les institutions du patrimoine (musées, bibliothèques, archives)
étaient jusqu’à présent les lieux essentiels de médiation du patrimoine, aujourd’hui il faut tenir compte de l’émergence de nouveaux
modes de patrimonialisation qui permettent la constitution de collections, non pas au sens de compilation mais d’ensembles cohérents
et organisés (plateformes collaboratives, réseaux sociaux, sites).
L’immense champ du patrimoine numérisé – Europeana va bientôt
rejoindre Google avec 14 millions de documents numérisés – recouvre
aussi bien des pratiques professionnelles qu’amateurs, aussi bien des
pratiques artistiques que culturelles.
La diversité des patrimoines médiés comme la diversité des formes de
médiation numériques posent le problème de l’articulation du singulier
avec le pluriel. À l’ère de la diversité culturelle, faut-il envisager
des médiations numériques dans leurs particularismes ou poser la
question plus globalement de la médiation numérique ? Est alors en
jeu le statut de la technique numérique : une technique au service de
cultures préexistantes et/ou une culture à part entière modifiant le
rapport des cultures au temps et à l’espace ? La question recouvre
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
un certain nombre d’enjeux : dans le premier cas, le numérique peut
apparaître comme une formidable opportunité pour la culture dont
les sociétés se sont emparées ; Bruno Latour a montré que la pensée
moderniste avait exclu les savoirs marginaux, exotiques, déviants, au
profit d’une science monolithique. Le numérique permet de dépasser les
échecs et les apories du modernisme en raison de la représentation sur
le web de « réseaux d’actants » : individus, laboratoires institutions…
et grâce à la possibilité de rendre les choses commensurables dans
des collections de plus en plus personnalisées. Dans le domaine du
patrimoine, cela se traduit, d’une part, par l’impossibilité de concevoir
désormais une histoire de l’art monolithique, d’autre part, par les
nouveaux services offerts par les institutions patrimoniales ou les
nouveaux modes de patrimonialisation.
Dans ce cas, ce que réalisent les cultures numériques – et c’est l’intérêt de maintenir le pluriel – c’est la démocratie culturelle, ou ce que
Michel de Certeau avait appelé en son temps la « culture au pluriel » :
une culture indexée sur une diversité d’objets, de pratiques, de groupes
sociaux. Les médiations numériques au pluriel ne font pas que décloisonner la culture, elles en proposent une version augmentée.
L’autre regard qu’on peut porter sur les cultures numériques est celui
qui se fonde sur la technique pour en déployer les possibilités. Dans
ce cas, c’est parce qu’on a une technique qui recèle des possibilités de
stockage, d’échange, de commutation que se pose la question de nouveaux choix culturels au sens politique du terme : l’investissement
dans une institution ou dans un moteur de recherche, dans le multilinguisme, dans l’immersion… C’est aussi à partir de là que l’on peut
voir comment se propagent des formes culturelles, que Milad Doueihi
a montrées dans ses ouvrages : une culture de l’index, de l’anthologie,
une culture de l’amitié au sens des réseaux sociaux. Ce qui caractérise
alors la culture numérique, ce sont les prédilections que la technique
numérique induit, une nouvelle dynamique de la pensée qui préfère le
collage à la démonstration, l’hybridation à la logique monolithique,
l’accumulation mémorielle.
Donc faut-il choisir entre ces deux regards sur la médiation
numérique ou les admettre simultanément ? Dans le premier cas – les
médiations numériques au pluriel – sont privilégiées la dimension
politique, la multiplicité et la coexistence de micro-espaces publics,
où le numérique ne conditionne que partiellement les cours d’action
mais reconfigure la représentation. Dans le second cas – la médiation
numérique au singulier – sont privilégiées les dynamiques d’une
culture qui serait celle de l’échange de la création avec ses mots, ses
valeurs et ses mythes.
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Médiation(s) du patrimoine
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Termes liés : algorithme, augmentation, bibliothèques,
documentation, fracture, patrimoine, public/usagers
Références
« Les médiations », Réseaux, 1993, no 60.
Milad Doueihi, La Grande Conversion numérique, Paris, Seuil, 2008.
Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011.
Mathew K. Gold, Debates in the Digital Humanities, University of Minnesota Press,
2012.
Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes, Paris, La Découverte, 1991.
Louis Quéré, Des miroirs équivoques. Aux origines de la communication, Paris,
Aubier, 1992.
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Mobile – Téléphone
portable
Alain Kiyindou
Le téléphone portable, aussi appelé téléphone mobile ou cellulaire,
est un appareil électronique fondé sur la radiotéléphonie, c’est-àdire la transmission de la voix à l’aide d’ondes radio entre une base
relais qui couvre une zone de plusieurs dizaines de kilomètres de
rayon et le téléphone de l’utilisateur. Il est le résultat de différentes
technologies antérieures. Les origines de cette innovation se situent
au début de la radiophonie avec notamment les expériences menées
par Guglielmo Marconi. Des ancêtres du téléphone portable ont été
utilisés par la police de Detroit dans les années 1920. Il s’agissait de
machines analogiques, très coûteuses, peu esthétiques, construites
sur commande et pouvant transmettre jusqu’à 100 km de distance.
Toutefois, son invention est attribuée à Martin Cooper, directeur de
la recherche et du développement chez Motorola, qui en a réalisé une
démonstration à New York en avril 1973.
En ce qui concerne les réseaux cellulaires, la première expérimentation
fut menée à Chicago en juillet 1978 par la société Bell. Mais, au-delà de
ces développements, ce n’est qu’en 1983 (date de la certification) que
Motorola lance aux États-Unis le premier véritable téléphone portable,
le Motorola DynaTAC 8000X. Cette technologie s’est considérablement
développée auprès du grand public ces dix dernières années,
supplantant même le téléphone fixe. On compte aujourd’hui plus
de cinq milliards d’utilisateurs dans le monde. Pour distinguer les
caractéristiques de la technologie mobile, Jill Attewell (2005) retient
cinq axes : les options de transport (GPRS, 3G, infrarouge, Bluetooth,
transfertPC) ; les options d’expression (protocole WAP [Wireless
Application Protocol], courriel, textos, messages multimédias,
protocole HTTP [HyperText Transfer Protocol]) ; les options de
plateforme (PC de poche, Windows CE, Windows Embedded Compact,
Symbian, Palm OS) ; les options de média (la vidéo, les fichiers audio,
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Mobile – Téléphone portable
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les appels vocaux, la téléconférence, la reconnaissance vocale, les
émissions télévisées) ; les langages de développement (Flash, C, WML
[Wireless Markup Language], VoiceXML [Voice eXtensible Markup
Language], HTML [Hypertext Markup Language], XHTML [Extensible
HyperText Markup Language]).
Expression identitaire et liens sociaux
Le téléphone portable est à saisir comme un dispositif de médiation :
il articule toujours la dimension singulière du sujet et sa dimension
collective, se situant entre enracinement et déracinement. Les usages
de la téléphonie mobile s’inscrivent à la fois dans le cadre des groupes
primaires (la famille, l’équipe de travail), des groupes larges comme
les Églises, et des groupes plus étendus aux frontières difficilement
identifiables. Ces possibilités techniques créent de nouvelles formes
d’associations humaines qui transcendent les limites des villes, des
nations et des cultures. D’où aussi de nouvelles formes et pratiques
linguistiques liées à de nouvelles identités culturelles qui élargissent
et redéfinissent les frontières entre le privé et le public, ainsi que les
dimensions sociales, culturelles et éducatives. Mais le téléphone est
aussi un objet transitionnel, dans la mesure où il constitue une véritable défense face à l’angoisse du monde extérieur.
De la diversité d’usages et contenus
L’appropriation de la téléphonie mobile s’est accompagnée du
développement d’un certain nombre d’usages plus ou moins inédits.
Au-delà des forfaits ordinaires émergent des formules prépayées
avec des cartes du type mobicarte. Ce système a permis aux petits
consommateurs de s’approprier l’outil et aussi d’élargir l’accès à une
bonne partie de la population (particuliers, femmes, jeunes). On voit
aussi se développer des pratiques de Happy Snapping, de financement
collaboratif (crowdfunding), de commerce mobile (m-commerce),
d’apprentissage mobile (m-learning). Le Happy Snapping se réfère au
fait de prendre des photos et de conclure des rendez-vous à l’insu des
parents. Cette pratique bouleverse, à n’en point douter, les normes dans
un système social où les relations hommes-femmes sont fortement
codifiées. Le crowfunding ou crowfinancing consiste à utiliser les
technologies de l’information et de la communication pour utiliser
des systèmes de financement participatif. Il s’agirait donc de faire
appel à des opérateurs financiers pour mettre en place un projet. Les
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
applications du commerce mobile incluent non seulement la banque
mobile (m-banking) et le paiement mobile (m-payment), mais aussi
le divertissement mobile (m-entertainment), le marketing mobile
(m-marketing) et le ticket mobile (m-ticketing) pour n’en nommer que
quelques-unes.
On peut évoquer aussi les usages de la téléphonie mobile dans les
pratiques religieuses avec des maraboutages à distance ; dans la lutte
contre les fraudes électorales et dans la mobilisation sociale, notamment lors des manifestations à caractère politique. Les artisans miniers du Mali utilisent le téléphone portable pour s’éclairer au fond
de la mine, pour photographier les filons, mais aussi pour donner des
alertes en cas d’éboulement. Le cellulaire n’est donc plus un simple
téléphone, il permet de prendre des photos et de les envoyer, de réaliser des vidéos, de localiser ses amis, de trouver son itinéraire et de se
connecter à l’internet pour lire ses courriels, les envoyer, s’informer,
communiquer et télécharger des documents.
À la multiplicité des usages inédits s’ajoutent de nouveaux métiers,
notamment celui de tenancier de cabine téléphonique ou de
« téléphoneur ». La multiplication des cabines est une particularité des
pays du Sud, celles-ci n’ont rien à voir avec les occidentales. Il s’agit tout
simplement d’une table amovible et d’une chaise installées au coin d’une
rue, avec un écriteau sur lequel on peut lire : « Cabine téléphonique »,
suivi du tarif et de la mention : « Le paiement se fait en espèces. » Les
téléphoneurs se trouvent dans les villages, sur les marchés pour aider,
moyennant rémunération, des personnes souvent analphabètes à passer
des appels téléphoniques. Ils détiennent un carnet d’adresses recensant
par exemple tous les numéros des vendeurs du marché. Mais, dans
la plupart des cas, le personnel de ces micro-entreprises informelles
exerce sa mission en attendant d’autres opportunités.
Au-delà des usages, des contenus nouveaux voient le jour, liés
au développement de produits culturels, informationnels et
communicationnels tout récents, accessibles via les téléphones
mobiles, ce qui permet l’émergence de petites structures de
production ciblant des micromarchés et de nouveaux modèles
de création et de diffusion de contenus (contenus générés par les
utilisateurs). La téléphonie mobile devient une source de découverte
et d’écoute musicales, de visionnage de films et de documentaires de
tout genre, de participation à des jeux en réseau…
L’on perçoit donc que l’objet téléphone mobile va au-delà de sa fonction première, la communication. Il permet aussi d’affirmer sa façon
d’être, sa particularité, sa différence, de se montrer aux autres tel que
l’on est, ou tel que l’on veut paraître. Le téléphone mobile participe de
la diversité des expressions et du dialogue des cultures.
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Mobile – Téléphone portable
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Domination des grands opérateurs
et standardisation
La téléphonie mobile reste, toutefois, une activité économique
importante reposant sur des opérateurs de plus en plus nombreux.
Elle s’inscrit dans un marché concurrentiel plus ou moins régulé.
Cette régulation passe par la mise en place des normes et des
standards permettant l’interopérabilité au niveau international et par
la privatisation des télécommunications imposées par les institutions
de Bretton Woods. Si ces différentes démarches ont facilité la
démocratisation du téléphone mobile, il n’en reste pas moins qu’elles
ont favorisé un certain nombre de procédures, et surtout quelques
opérateurs, c’est-à-dire ceux qui ont les moyens de résister à la
poussée concurrentielle internationale. On retrouve dans ce marché
les ingrédients essentiels de la diversité culturelle, à savoir la variété
et la disparité, mais la raison économique reprend vite le pas sur les
considérations culturelles.
Termes liés : communication, connexion, fracture, médias,
pratiques, public/usagers
Références
Annie Cheneau-Loquay, « La téléphonie mobile dans les villes africaines. Une
adaptation réussie au contexte local », L’Espace géographique, 2012/1,
t. 41, pp. 82-93.
Magda Fusaro, Un monde sans fil. Les promesses du mobile à l’ère de la convergence,
Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2002.
Alban Gonord, Joëlle Menrath, Mobile attitude. Ce que les portables ont changé dans
nos vies, Paris, Hachette Littératures, 2005.
Alain Kiyindou, Ali Khardouche (dir.), « TIC mobiles et développement social », Les Cahiers
du Cedimes, vol. 5, no 1, printemps 2011.
Corinne Martin, Le Téléphone portable et nous. En famille, entre amis, au travail,
Paris, L’Harmattan, 2007.
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Navigation
et cartographie
Thierry Joliveau
La nature et les usages de la carte ont bien changé avec l’émergence
des technologies numériques puis de l’internet. La carte n’est plus seulement le résultat final d’un processus mais une interface de consultation et d’analyse de l’information. Une nouvelle étape a été marquée
par la constitution de ce qu’on appelle le « Géoweb », qui prend en
charge l’organisation spatiale de l’information et donne aux lieux de
la surface terrestre un prolongement numérique sur l’internet auquel
l’utilisateur a accès avec son téléphone ou sa tablette en fonction de sa
position géographique. Les nouveaux services fondés sur la géolocalisation commencent à concerner l’accès territorialisé aux œuvres culturelles avec un impact tant sur l’industrie culturelle que sur les territoires. Les nouveaux outils de cartographie collaborative facilitent la
construction d’un espace culturel commun à des groupes marginalisés.
Les conséquences sur la diversité culturelle de ces nouveaux outils de
géographie numérique sont donc indiscutables, bien que paradoxales.
Depuis l’Antiquité, la carte sert au voyageur à se repérer. Elle est
dès l’origine un outil de navigateur. Mercator, dans sa fameuse carte
de 1569, utilise une projection conforme qui rend le tracé des caps
rectiligne. Mais la carte n’est pas qu’un outil de repérage pour l’exploration. En fournissant une représentation réduite et portable du
monde, elle permet, à distance de celui-ci, d’en percevoir les formes,
d’en comprendre l’organisation et d’en découvrir les structures. Et
son utilité dépasse le rendu des formes topographiques et des objets matériels de la surface terrestre pour les expéditions militaires
ou les randonnées pacifiques. Technique scientifique, elle sert aussi
à représenter les phénomènes les plus divers, naturels ou sociaux.
La carte est économique, géologique, climatique, culturelle… Enfin,
au-delà de son usage pour une orientation pratique ou intellectuelle,
la carte porte une dimension esthétique et poétique : elle fait rêver.
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Elle a ses collectionneurs et ses amoureux. Les artistes aussi jouent
des cartes et détournent leurs codes. Ils mettent en doute la prétention des cartes à dire le vrai et le tout, et travaillent la nostalgie pour
un monde disparu et idéalisé que secrète toute carte ancienne.
De la carte numérique au Géoweb
La carte traditionnelle était un objet informationnel qui transcrivait
selon un processus formalisé les données collectées sur le monde
pour répondre à des finalités déterminées. L’apparition du numérique
a radicalement transformé son rôle. Alors qu’elle résumait en tant
que produit final l’ensemble des processus complexes qui avaient
contribué à la produire, les systèmes d’information géographique sur
ordinateur ont progressivement conduit à découpler la structuration
des données de leur visualisation. La carte n’est plus seulement un
moyen pour communiquer l’information. Elle est devenue en plus une
interface pour naviguer géographiquement dans des bases de données. La carte est devenue un moyen indispensable pour naviguer sur
la Toile, pour se repérer dans cet espace de données à la croissance
vertigineuse qu’est l’internet. On affirme souvent que 80 % de l’information produite est spatialisable.
Le Géoweb constitue l’ossature technique qui prend en charge
le géoréférencement sur la surface terrestre de l’information sur
l’internet. Pour explorer le Géoweb, les grandes sociétés du web
proposent des globes virtuels, qui combinent des données sur le
relief et le réseau routier avec des photographies aériennes pour
localiser et visualiser interactivement en deux ou trois dimensions
n’importe quelle information sur l’ensemble de la planète. Dans le
même temps, les cartes numériques sont devenues nomades et ont
conquis les écrans miniaturisés des nouveaux téléphones mobiles.
Associées aux systèmes de positionnement par satellite de type GPS
(Global Positioning System), elles jouent toujours leur rôle traditionnel
d’instruments de navigation pour les automobilistes et les piétons.
Mais l’accès à l’internet par téléphone rend le Géoweb accessible dans
des zones de plus en plus vastes. Du coup, il connecte en permanence
le monde réel et le monde informationnel numérique et procure aux
lieux et aux objets qui s’y trouvent un prolongement numérique. Il
est désormais possible d’explorer le monde par le web en naviguant
à travers la représentation numérique de celui-ci. Mais on peut, à
l’inverse, explorer le web par le monde en mobilisant in situ sur son
téléphone ou sa tablette tactile l’information disponible sur l’internet
qui vient alors s’ajouter aux informations perçues par les sens.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Les services de géolocalisation appliqués
aux œuvres culturelles
De nombreux services sont apparus pour fournir en mobilité les informations les plus diverses. Ceux-ci s’étendent progressivement au
domaine des contenus culturels systématiquement numérisés (livres,
films, œuvres d’art…). Les œuvres culturelles se trouvent associées
aux territoires qu’elles évoquent, directement ou indirectement, et
des interfaces cartographiques permettent de les mobiliser en fonction d’une position géographique. Un site comme Géoculture, lancé
par le Centre régional du livre, en Limousin, permet ainsi de consulter
des extraits d’œuvres en parcourant le territoire qui leur correspond.
Il ne s’agit pas seulement d’un nouvel avatar du tourisme culturel.
Le Géoweb participe à l’interconnexion de l’espace imaginaire des
créateurs et de l’espace des pratiques culturelles en renouvelant à la
fois l’expérience des lieux et celle des œuvres (Joliveau, 2009). Il est
difficile d’anticiper l’impact de ces nouveaux modes de valorisation
sur l’homogénéisation ou la différenciation des produits culturels.
Mais cette capacité à reterritorialiser les œuvres de culture peut
influer sur l’industrie culturelle, l’économie des territoires et leur
valorisation touristique. Les distorsions dans l’équipement numérique
des territoires risquent aussi de se traduire par des inégalités dans la
richesse de leurs imaginaires numériques.
Néogéographie, Géoweb et particularisme
culturel
Depuis le Web 2.0, le contenu généré par les utilisateurs est devenu
un élément central du web, et la cartographie en est une application
emblématique. On qualifie de néogéographie, ou d’information
géographique volontaire (Goodchild, 2007), ce mouvement qui conduit
chacun à pouvoir devenir cartographe, en publiant sa propre carte ou
en contribuant à une carte collective. Le projet de référence dans ce
domaine est évidemment OpenStreetMap (OSM), qui a vu des milliers
de volontaires construire en quelques années une carte mondiale
libre de droits. D’autres outils de cartographie collaborative comme
Ushahidi permettent de construire des dispositifs de veille localisée en
situation de crise. Ces nouveaux modes d’expression cartographique
sont de plus en plus mobilisés par des groupes socialement défavorisés
et culturellement marginalisés, afin de consolider leurs valeurs
culturelles et identitaires ou défendre leurs droits territoriaux. Il s’agit
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Navigation et cartographie
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d’un renouvellement des pratiques anciennes de contre-cartographie,
dite « indigène » ou « autochtone », souvent critiquées pour leur usage
de techniques étrangères à la culture et aux savoirs traditionnels
(Hirt, 2009). Les outils néogéographiques, techniquement plus simples
et plus accessibles, apparaissent comme une solution pour renforcer
l’identité et la culture d’un groupe en permettant à ses membres
de partager sur une carte des souvenirs, des connaissances ou des
documents (textes, images, vidéos…) liés aux lieux et au territoire du
groupe. Comme exemples, on peut citer le projet Britisch Colombia
Metis Historical Document Database (Corbett, Evans et Roman,
2012) et le Portrait du patrimoine mennonite (McGarry, Cowan, et
McCarthy, 2009), tous deux au Canada. Le véritable potentiel dans
l’expression et la promotion de la diversité culturelle qu’offrent de
tels outils reste à évaluer.
Un risque de standardisation et de confiscation
C’est l’économie générale de l’information géographique qui est
bouleversée par le numérique. La cartographie était historiquement
une mission étatique liée à la défense et à l’aménagement du territoire
national. Dans tous les pays, elle a été impulsée par la puissance
publique. Avec les outils modernes de la géomatique, puis de la
néogéographie et du Géoweb, les acteurs impliqués dans l’information
géographique se sont diversifiés : collectivités locales, sociétés privées,
groupes associatifs, individus… On assiste à une globalisation
et à une privatisation inédite de la production cartographique
Les multinationales du web prennent en main la communication
cartographique, qui échappe de plus en plus aux États.
Alors qu’il existait des styles cartographiques nationaux liés aux traditions des agences de chaque pays et qu’un anthropologue comme
Edward T. Hall (1978) repérait des traits culturels dans la manière
d’établir des cartes routières, on utilise quasiment partout dans le
monde la même interface cartographique, celle de Google. Même un
projet collectif comme OpenStreetMap est fondé sur un modèle de
données universel. Derrière la question des données libres et des systèmes participatifs, se profile tout l’enjeu de la capture, de la maîtrise
et de la valorisation des données des utilisateurs. L’usage des outils
de positionnement, que ce soit à domicile ou en mobilité, permet un
traçage des individus et génère un flux de données localisées dont
ils perdent la maîtrise. Les différents opérateurs de la filière, qu’il
s’agisse des fournisseurs d’accès à l’internet ou des firmes proposant
les interfaces matérielles ou logicielles, s’approprient ces données
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
individuelles ou collectives pour les valoriser. Le Géoweb est étroitement associé à l’émergence d’un capitalisme culturel, voire cognitif
(Leszczynski, 2012), dont l’impact sur les spécificités culturelles et la
diversité des modes de vie, bien qu’ambivalent, est indéniable.
Termes liés : communication, connaissance, co-construction,
documentation, diaspora, fracture numérique, pratiques,
public/usagers, territoires
Références
Jon Corbett, Mike Evans, Zach Romano, « Digital Collections. Memory, Placelessness
and the Geoweb : Exploring the Role of Locational Social-Networking
in Reimagining Community », in Digital Humanities, Australasia 2012.
Building, Mapping, Connecting, Canberra, 2012.
Michael Goodchild, « Citizens as Sensors ; the World of Volounteered Geography »,
GeoJournal, 2007, vol. 69, n° 4, pp. 211221.
Edward T. Hall, La Dimension cachée, Paris, Seuil, 1978.
Irène Hirt « Cartographies autochtones. Éléments pour une analyse critique », Espace
géographique, 5 juin 2009, vol. 38, no 2, pp. 171186.
Thierry Joliveau, « Connecting Real and Imaginary Places through Geospatial
Technologies : Examples from Set-Jetting and Art-Oriented Tourism », The
Cartographic Journal, février 2009, vol. 46, n° 1, « Cinematic Cartography
Special Issue », pp. 36-45.
Agnieszka Leszczynski, « Situating the Geoweb in Political Economy », Progress in
Human Geography, 1 février 2012, vol. 36, n° 1, pp. 72-89.
Fred McGarry, Donald Cowan, Daniel McCarthy, « Collaborative Geomatics for Social
Innovation », in Cartographic Challenges : Movement, Participation, Risk,
Casti E. (éd..), Bergamo, avril 23rd-24th 2009, p. 19 sq.
http://document.bcmetiscitizen.ca/, dernière consultation le 1er juin 2014.
http://www.mennoniteheritageportrait.ca/index.php?lang=fr, dernière consultation le
1er juin 2014.
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Net Art
Jean-Paul Fourmentraux
Depuis la seconde moitié des années 1990, le Net Art se développe à
l’écart du monde réel en parodiant les institutions médiatiques et les
modes de diffusion et de réception de l’art contemporain. Tirant parti
de la démocratisation de l’informatique connectée, ses manifestations
et ses inscriptions sur l’internet ont promu des modes inédits
d’exposition et de propagation des œuvres. Au-delà de l’acte de création
et de l’exposition d’œuvres numériques interactives, des réseaux de
communication à l’échelle internationale ont pour objectif de déjouer
les frontières territoriales et de favoriser la liberté d’expression. Ces
modes d’occupation du réseau ainsi que les stratégies médiatiques et
les dispositifs de détournements artistiques contribuent à l’émergence
d’un monde de l’art en même temps qu’ils constituent un vecteur de
défense de la diversité culturelle à l’ère de l’internet.
Poursuivant la logique plus ancienne de l’art postal (Mail Art),
les premières œuvres pour le réseau de l’internet ont promu une
circulation de courriels artistiques. La lettre électronique, à michemin de la performance d’artiste et de l’acte de langage, constitua
une communication d’auteur, participative et performative, dont
la propagation a adopté les modes d’amplifications propres à la
rumeur. Mouchette (1996-2006) a ainsi érigé en œuvre artistique
le jeu des mises en lien et l’esthétique relationnelle du réseau.
L’internet y est tout autant investi comme un atelier que comme
un lieu d’exposition. Le site internet, la page d’accueil, le courrier
électronique, les listes de diffusion, les forums de discussion, mais
aussi les blogs et leurs technologies appareillées (syndication
et étiquettes [tags], baladodiffusion [podcasting], animation de
blogs vidéo [video-blogging] …), les réseaux sociaux d’échanges
entre pairs et leurs pratiques associées (copie et sous-titrage,
[fansubbing], réalisation de films [fansfilms] …) constituent des
cadres de sociabilités renouvelées et engendrent des formes de vies
en ligne ou d’occupations du réseau que les développements récents
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
du Web 2.0 ont radicalisées. Des galeries virtuelles et des revues
électroniques sont apparues, qui se consacrent à cette forme d’art,
relayées par de nombreux groupes de discussion et de forums en
ligne souvent initiés par les artistes eux-mêmes.
La création en réseau : un art hacktiviste
Certaines œuvres permettent de développer une réflexion et un regard
critique sur les évolutions du réseau. À l’instar de la photographie,
du cinéma et de la télévision, l’innovation technique et le média que
constitue l’internet font, dès leur apparition publique autour de 1995,
l’objet d’une longue série d’appropriations et de détournements artistiques. C’est alors la matérialité et les fonctionnalités de l’internet
qui forment le cœur des premières investigations du Net Art – dans la
lignée des œuvres de Nam June Paik ou de Wolf Vostell, qui visaient
à détruire physiquement la télévision (les sculptures vidéo) ou intervenaient plus symboliquement sur le médium par des altérations du
signal vidéo. L’action créative vise ainsi à contaminer l’internet par
des virus artistiques.
À l’instar du groupe anonyme Jodi, plusieurs Net artistes ont revendiqué une implication parasitaire par la création de virus artistiques empruntant la logique déviante des pirates de l’informatique, les hackers. Emblématique, le Shredder de Mark Napier
s’apparente à un navigateur et (anti-) moteur de recherche subversif qui répond aux requêtes par un afflux anarchique de textes, de
sons et d’images récupérées sur le web. Le Trace Noiser génère de
fausses pages perso et les dissémine sur le réseau pour brouiller
l’identité des internautes.
Cette implication parasitaire au sein du réseau emprunte ses formes
et ses actions aux comportements déviants des hackeurs. Les
artistes y mettent en œuvre une stratégie efficace de l’infection et de
la contamination : leur démarche a pour objet l’incident, le bogue,
l’inconfort technologique et la perte des repères. Au-delà de cette
première visée « médiologique », le Net Art interroge également les
modes de communication et les formes relationnelles engendrées sur
le réseau. Il participe de l’apparition d’une « démocratie technique », à
l’articulation des problématiques du logiciel libre et des réseaux pair à
pair (peer to peer) relayés par des collectifs d’artistes et des réseaux de
production indépendants.
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Net Art
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Liberté d’expression et diversité culturelle
Dès l’origine, le Net Art questionne également les spécificités politiques
et sociales de son médium qu’est l’internet. Ce n’est pas un hasard
si le Net Art s’est développé massivement, et cela dès son apparition
en Russie et dans les pays d’Europe de l’Est, où Heath Bunting (GB),
Oliana Lialina et Alexei Shulgin (Russie) ou Vuk Cosic (artiste militant,
Slovénie, co-fondateur des listes de diffusion Nettime, Syndicate, 7-11
et du Ljubljana Digital Media Lab) développent leurs premiers projets
dès 1996. Dans leurs œuvres, la critique des régimes non démocratiques,
le hacktivisme, le cyberféminisme, la réflexion sur le concept même de
Net Art constituent les prémisses de la création sur le réseau internet.
Leur art est en effet indissociable de la technologie et du contexte
sociopolitique des années 1990, révélant les implications sociales du
réseau, notamment des technologies de repérage et d’accès à l’information sur l’internet. Dans ce contexte, le Net Art développe des dispositifs de distorsion des médias et de leurs contenus et adopte ainsi
une visée plus politique. L’œuvre collective Carnivore (www.rhizome.
org/carnivore) propose par exemple une version détournée du logiciel
DCS1000 employé par le FBI pour développer l’écoute électronique
sur le réseau. Heath Bunting (www.irational.org) pervertit les communications médiatiques de grandes puissances financières. Les Yes
Men et le collectif ®TMark (www.rtmark.com) détournent, dans un
but politique, les stratégies de communication de grandes sociétés
de courtage privées. À l’heure de l’internet 2.0, l’artiste Christophe
Bruno incarne le renouveau français de cet imaginaire de l’artiste critique en s’attaquant aux outils et aux rituels du web collaboratif. Il
baptise une première série d’œuvres les Google Hack : des dispositifs
artistiques et des programmes informatiques qui détournent Google
de ses fonctions utilitaires tout en en révélant les dimensions contraignantes et cachées. Selon l’artiste, l’internet est devenu un outil de
surveillance et de contrôle inégalé dont la dynamique économique repose sur l’analyse et la prédiction de tendances, à l’aide de logiciels
de traçage de la vie privée, des goûts et des identités sur la Toile.
Cette configuration des dispositifs du Net Art engage une redéfinition
des conventions qui organisent et permettent la circulation aussi bien
que la réception des œuvres d’art. L’expérience de l’œuvre résulte ici
d’une négociation socialement distribuée entre artistes, dispositifs
techniques et publics enrôlés. L’originalité de l’internet tient à ce
qu’il propose simultanément un support – sa dimension de vecteur
de transmission – un outil – comme instrument de production – et
un environnement créatif – en tant qu’espace habitable et habité qui
promeut des œuvres dont les enjeux relationnels et collaboratifs ont
bousculé les relations entre art, politique et société.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Termes liés : art et science, communication, éthique,
financement des œuvres sous format numérique, genre,
industries créatives, œuvre, piratage, réseaux sociaux
Références
Howard S. Becker, Les Mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988.
Éric Maigret, Éric Macé, Penser les médiacultures, Paris, INA, Armand Colin, 2005.
Dominique Cardon, La Démocratie internet, Paris, Seuil, coll. « La République des
idées », 2010.
Dominique Cardon, Fabien Granjon, Médiactivistes, Paris, Les Presses de Sciences Po,
2010.
Jean Paul Fourmentraux, Art et internet. Les nouvelles figures de la création, Paris,
EÉditions du CNRS, 2010.
Jean Paul Fourmentraux, Artistes de laboratoire. Recherche et création à l’ère
numérique, Paris, Hermann, 2011.
Jean Paul Fourmentraux, L’Œuvre virale. Net Art et culture Hacker, Bruxelles,
La Lettre volée, 2013.
Sites internet
Mouchette, http://www.mouchette.org
Jodi, http://www.Jodi.org
Shredder, http://potatoland.org/shredder/welcome.Html.
Mathieu Laurette, http://www.laurette.net/
Valéry Grancher, http://www.nomemory.org/
Fred Forest, http://www.fredforest.com/
Antoine Schmitt, www.fdn.fr/~aschmitt/gratin//as/index.html
Claude Closky, http://closky.online.fr/
Maurice Benayoun, www.benayoun.com
Samuel Bianchini, http://www.dispotheque.org/
Grégory Chatonsky, http://gregory.incident.net/
Reynald Drouhin, http://reynald.incident.net/.
Christophe Bruno, http://www.christophebruno.com
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Neutralité de
l’internet
Francesca Musiani
Le principe dit de « neutralité de l’internet » ou « neutralité du net » (Net
Neutrality, NN) préconise que les paquets de données qui circulent dans
le réseau des réseaux doivent être traités de manière équitable, indépendamment de leur contenu, de la plateforme de transmission ou du service, de la source ou du destinataire. Ce principe se réfère à l’idée que les
utilisateurs doivent pouvoir accéder à tout contenu numérique et à toute
application de leur choix sans que des restrictions leur soient imposées
a priori, par aucun des acteurs de la chaîne de valeur de l’internet.
Des facteurs tels que l’avancement du développement technologique,
l’usage toujours croissant de services gourmands en bande passante
tels que le téléchargement et le streaming de vidéos, et le panorama en
évolution des intérêts économiques des fournisseurs d’accès internet
ont suscité de nombreuses controverses autour de la NN – qui n’est
pas, cependant, un enjeu radicalement nouveau (Marsden, 2010 :
14-15). Un tableau géopolitique changeant est également à prendre
en compte : le débat n’est plus confiné aux États-Unis, où il a émergé,
mais la NN est devenue un enjeu global de premier plan. Les premières
lois écrites en soutien de la NN commencent à prendre forme dans
des États européens tels que la Slovénie ou les Pays-Bas, tandis que
plusieurs autorités députées à la communication et à la concurrence
s’inquiètent des enjeux économiques et de marchés sous-tendus
par la question. En effet, le débat a contribué à rendre visibles de
nombreux enjeux politiques, économiques et sociaux, qui illustrent
que la NN dépasse une simple question technique d’architecture et
infrastructure de l’internet. Un champ d’études interdisciplinaire, qui
tient à la fois de l’ingénierie des réseaux, de l’informatique, du droit,
de l’économie et des sciences sociales, réfléchit à ces enjeux ; certains
acteurs du monde de la recherche sont souvent, en outre, acteurs dans
les arènes politiques et peuvent en influencer les débats.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Le débat sur la NN commence autour d’une question concernant la
couche de transport de l’infrastructure de l’internet. Dans le modèle
OSI (Open System Interconnection), les fonctions de l’internet en tant
que système de communication sont caractérisées et standardisées
en termes de « couches d’abstraction », avec des fonctions similaires
regroupées en couches logiques. Une couche sert la couche au-dessus, et est servie par la couche au-dessous. La couche de transport
sert une fonction de transfert de données entre utilisateurs, de manière transparente, en transmettant les données de manière fiable aux
couches supérieures (Zimmermann, 1980).
Au fur et à mesure que l’internet a évolué, la NN s’est transformée
en objet d’un débat articulé et enflammé sur le financement des
infrastructures, en champ de bataille politique autour du rôle
respectif des acteurs de l’« écologie internet », et en arène de discussion
du rapport entre droits fondamentaux, démocratie, diversité et
services de communication en ligne. Le modèle en couches sur lequel
l’internet est construit fait de la couche de transport une sorte de
fondement commun, sur laquelle une grande variété de services peut
être construite : le World Wide Web et ses multiples applications à
la télévision et la voix sur IP (Internet Protocol), les échanges pair à
pair (peer to peer), le système de noms de domaine, la distribution des
mises à jour logicielles, et de nombreux autres services.
Ces services restent souvent invisibles aux yeux de l’utilisateur
mais n’en sont pas moins fondamentaux pour l’équilibre et la
stabilité du réseau dans sa globalité. De fait, l’internet lui-même
peut être considéré comme la base commune de plusieurs services
communicationnels et informationnels qui occupent une place
toujours plus importante dans notre vie quotidienne. L’enjeu de la
neutralité de l’internet, donc, a trait aux véritables fondements du
réseau des réseaux, non seulement au niveau technique mais par
rapport aux imaginaires sociaux – les visions collectives – qui y
trouvent leur place, par exemple la conception de l’internet comme
bien commun partagé, ou comme l’infrastructure globale de la société
de l’information d’aujourd’hui.
Malgré un certain nombre de voix critiques, l’argument est souvent avancé que les principes d’innovation et d’ouverture qui soustendent l’internet se fondent sur le choix de ne pas concentrer le
traitement et la gestion des données au cœur du réseau, mais bien
à ses marges ou sa périphérie (Van Schewick, 2012). Le principe de
NN correspond à la volonté de préserver l’intelligence du réseau aux
extrêmes de la chaîne (end-to-end principle), sur les serveurs et les
terminaux des utilisateurs (ordinateurs et, de façon croissante, dispositifs mobiles en tout genre).
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Neutralité de l’internet
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Il est intéressant de noter que, dans les années plus récentes, plusieurs décisions et actions ayant trait à la gestion globale du réseau ont, de facto, déjà enfreint la NN, pour des raisons de nécessité
technique. Il est question, par exemple, du combat incessant contre
le pourriel (spam), de la mise en place de pare-feu aux portes d’entrée
des intranet de nombreuses entreprises ou institutions, ou encore des
services comme les réseaux privés virtuels (Virtual Private Networks
ou VPN), ou la télévision par IP, qui empruntent l’internet en tant que
canal de communication, mais en restent indépendants.
L’enjeu central est donc de savoir si le choix délibéré de distinguer
entre différents types de paquets de données et de les diriger à
leur destination de manière plus ou moins rapide devrait être
laissé au jugement exclusif des différents opérateurs de réseau et
aux négociations commerciales entre eux ; ou bien si des mesures
de régulation actives sont nécessaires afin de préserver autant que
possible la neutralité de l’internet global. Ainsi, la NN concerne la
mesure dans laquelle les fournisseurs de services internet devraient
pouvoir favoriser certains types de trafic – et d’usagers – plutôt
que d’autres, en influençant ainsi les contenus, les applications et
les dispositifs qui composent le réseau. En résumé, ce principe a
trait au traitement égalitaire des fournisseurs et des utilisateurs de
contenus sur l’internet.
L’intérêt des chercheurs en communication pour le sujet est de plus
en plus vif (par exemple, Blevins et Shade, 2010 ; Schafer, Le Crosnier
et Musiani, 2011). En particulier, la NN est un sujet qui a trait à
plusieurs questions abordées par la recherche en communication,
parmi lesquelles figurent la liberté d’expression, les droits de/à la
communication, le contrôle par l’utilisateur, la diversité du paysage
médiatique et la gouvernance de l’internet. En dépit de son caractère
intrinsèquement technique, le débat sur la NN a des implications
pour les utilisateurs et les fournisseurs de contenus, qu’ils soient
blogueurs, organisations, médias ou sites de réseautage social. La NN
soulève la question de qui contrôle l’internet, de qui le polarise plutôt
que d’en favoriser la diversité et l’ouverture, et de quels modes de
communication se développent en ligne.
En particulier, des études de communication récentes montrent
l’importance de la NN pour une sphère publique qui puisse non
seulement fonctionner mais s’épanouir. La sphère publique permet
la circulation d’informations et d’idées, et elle consiste en espaces de
communication où se forment – et s’informent – la volonté politique,
le divertissement, le commerce, l’éducation. Selon Jürgen Habermas
(1989), la sphère publique devrait être aisément accessible à tous les
citoyens pour bien fonctionner : le débat sur la NN est donc directement
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
lié à la question de l’accès à la sphère publique, puisqu’il questionne
la mesure dans laquelle l’internet, comme ensemble de canaux de
distribution, peut être utilisé pour discriminer, contrôler et empêcher
l’accès et la communication. Une approche de la NN qui passe par
le concept de sphère publique permet d’approfondir les effets de
l’infrastructure de l’internet sur les espaces de communication.
L’application du cadre d’analyse proposé par Peter Dahlgren (2005)
s’est révélée très utile pour montrer les manières dont la NN influence,
à la fois, l’accès à l’infrastructure de l’internet pour les individus et
les collectifs, la diversité des contenus, le contrôle et la censure des
communications ainsi que les modalités, cultures, et espaces de la
délibération (Löblich et Musiani, 2013).
Le débat sur la NN n’est qu’un parmi plusieurs aspects d’une
réflexion plus globale sur le réseau des réseaux. Il ne peut être réduit
à un ensemble de mesures et d’implémentations techniques, mais est
bien une question politique et communicationnelle, centrale pour
le développement d’une « démocratie technique » et d’un espace de
communication global dynamique et varié. Les questions posées par
la NN (accès, non-discrimination, ouverture, égalité, concurrence
loyale et plurielle) invitent les chercheurs à reconsidérer, sous des
angles inédits, les formes de régulation et les capacités d’intervention
collective d’un réseau qui est devenu le système nerveux de nos
activités d’information et de communication, habitudes d’échange et
de consommation, configurations d’identité.
Termes liés : biens communs, communication, connexion,
fracture numérique, médias, normes, réseaux sociaux,
territoires
Références
Jeffrey Layne Blevins, Leslie Regan Shade, « Editorial : International Perspectives on
Network Neutrality. Exploring the Politics of Internet Traffic Management
and Policy Implications for Canada and the US3 », Global Media Journal :
Canadian Edition, 2010, 3 (1), pp. 1-8.
Peter Dahlgren, « The Internet, Public Spheres and Political Communication :
Dispersion and Deliberation », Political Communication, 2005, 22, pp. 147162 ; lire en ligne (http://dx.doi.org/10.1080/10584600590933160.
Maria Löblich, Francesca Musiani, « Net Neutrality and Communication Research :
The Implications of Internet Infrastructure for the Public Sphere »,
Communication Yearbook, 38, Boston, E. L. Cohen (éd..), 2013.
Jürgen Habermas, The Structural Transformation of The Public Sphere, MIT Press, 1989.
Chris Marsden, Net Neutrality. Towards a Co-Regulatory Solution, London,
Bloomsbury Academic, 2010 ; lire en ligne http://dx.doi.
org/10.5040/9781849662192.
Valérie Schafer, Hervé Le Crosnier, Francesca Musiani, La Neutralité de l’internet, un
enjeu de communication, Paris, Éditions du CNRS, 2011.
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Neutralité de l’internet
231
Barbara van Schewick, « Network Neutrality and Quality of Service. What a Nondiscrimination Rule Should Look Like », extrait du site de The Center
for Internet & Society, 2012 ; lire en ligne http://cyberlaw.stanford.edu/
downloads/20120611-NetworkNeutrality.pdf.
Hubert Zimmermann, « OSI Reference Model. The ISO Model of Architecture for Open
Systems Interconnection », IEEE Transactions on Communications,
1980, 28, pp. 425 – 432. lire en ligne http://dx.doi.org/10.1109/
TCOM.1980.1094702, dernière consultation le 1er juin 2014.
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Normes
Renaud Fabre
Une définition courante, visant plus directement les processus normatifs contemporains, précise : une norme est « un document établi
par consensus, qui fournit, pour des usages communs et répétés, des
règles, des lignes directrices ou des caractéristiques, pour des activités ou leurs résultats, garantissant un niveau d’ordre optimal dans un
contexte donné » (extrait du Guide ISO/IEC). Bernard Blandin, qui cite
cette définition, souligne qu’elle soulève plusieurs questions :
– qui établit le « consensus », et en vertu de quelle légitimité ?
– à qui s’impose le « niveau d’ordre optimal » garanti, uniquement à
ceux qui ont établi le consensus ou également à d’autres ?
– si le niveau d’ordre optimal garanti s’impose à d’autres que ceux qui
l’ont approuvé, est-il toujours acceptable par ceux à qui il s’impose ?
Cette liberté elle-même a un sens ; ce non-choix est lui-même un choix :
s’il laisse ouvert le plus grand nombre des possibles et garantit à
l’internet sa survie et son évolution au milieu des très hautes pressions
que traverse le réseau, cette ouverture ne se confond en rien avec la
neutralité. Les normes auront donc, plus ou moins, tendance à se
ranger du côté des applications les plus fréquentes, pour ne pas dire
les plus clairement dominantes. Selon la belle expression proposée
par Stéphanie Delmotte, les normes ont ainsi une « double face » : elles
peuvent, selon les contextes et les usages, faciliter ou restreindre la
communication.
Qu’est-ce qu’une norme numérique ?
Dans la réflexion fondatrice de Jacques Perriault, cet auteur précise : « Les échanges sur les réseaux numériques impliquent des
règles communes d’organisation des plateformes et des données. Ces
conventions, élaborées dans des organisations multilatérales, sont au
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Normes
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départ des standards adoptés par des groupes d’utilisateurs. Elles
deviennent des normes numériques lorsqu’un large consensus international les retient. Cet ouvrage initie le lecteur profane à cette activité peu connue qu’est la normalisation pour la circulation des savoirs
sur l’internet. Cette normalisation n’est pas l’apanage de l’informatique et de l’industrie, même si elles y jouent un rôle primordial. Elle
concerne aussi les sciences humaines et sociales, car elle s’intéresse
directement à l’utilisateur. » (Perriault et al., 2011).
Les normes constituent au fond des démarches ingénieuses pour accomplir diverses tâches complémentaires. Une norme est donc avant
tout un ensemble de règles à partir desquelles un objectif peut être
atteint ; le détail technique de la règle est toujours moins important et
plus contournable que la règle elle-même, la démarche. La norme décrit
fondamentalement un comportement face aux choses, comportement
dont la norme définit et catégorise toutes les grandes étapes, comme le
montre l’exemple d’une norme aujourd’hui universelle : le Dublin Core.
Défini à Dublin (Ohio) en 1995 par un collectif de documentation,
informatique, web science, autour de l’objectif de gestion des
métadonnées, la DCMI (Dublin Core Metadata Initiative) est
assurément un résultat représentatif, dans la forme et le fond, des
nouvelles pratiques auxquelles la normalisation laisse libre cours.
Il s’agissait de résoudre un problème de positionnement dans l’univers numérique. La question était : comment comparer le contenu de
deux ressources présentes sur le web ? La réponse supposait que ces
ressources soient sélectionnées sur leur contenu et que celui-ci se
distingue de la couche de données relatives à tous les aspects de leur
origine, de leur auteur, de leur aspect, de leur présentation.
Il était donc nécessaire de produire un descriptif harmonisé complet des éléments autres que le contenu d’un document et permettant
de décrire et de repérer ce dernier. Les données de présentation du
contenu, les métadonnées, ont donc été organisées en un catalogue
unique dont le contenu est décrit par une norme ISO (International
Standards Organization), ici la norme 15836. Ce descriptif harmonisé
est évolutif et cherche à répondre aux besoins du plus grand nombre
pour les requêtes documentaires.
Le Dublin Core est la norme qui rend possible la réalisation des
conditions d’un autre protocole, le protocole OAI-PMH (Open
Archives Initiative-Protocol for Metadata Harvesting), issu d’une
autre initiative de normalisation. En utilisant le Dublin Core, le
protocole OAI-PMH permet de rendre interrogeables toutes les bases
de données hétérogènes, quelle que soit leur présentation, et de fixer
les conditions de collecte massive de métadonnées.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Il n’y aurait donc pas de bases de données ouvertes sans ces deux
protocoles, et ceux-ci reposent sur les conventions internationales
fournies par les normes, lesquelles constituent en définitive un vocabulaire et une grammaire des échanges de données numériques.
Aperçus de la normalisation institutionnelle
Le rapport de Claude Revel, en 2012, Développer une influence normative stratégique internationale pour la France rappelle : « 90 % des
30 000 normes applicables sur le territoire français sont de portée
européenne (CEN) ou internationale (ISO), dans une proportion d’environ deux tiers/un tiers. La production de normes ISO a progressé
de 30 % depuis 2003, pour se situer à environ 100 normes nouvelles
ou révisées publiées chaque mois ; 162 pays ont aujourd’hui adhéré à
l’ISO, plus de un million de certificats ISO 9001 (norme vedette) sont
en vigueur dans 174 pays. »
Créée en 1926, l’AFNOR (Agence française de normalisation), membre
français du CEN (Comité européen de normalisation) et de l’ISO,
assume les responsabilités attribuées à la France à ce titre.
Les normes des technologies de l’information :
le JTC1 de l’ISO
Le JTC1 (Joint Technical Committee 1) de l’ISO coordonne la
production des normes internationales relatives aux technologies
de l’information. Le JTC1 comprend 35 pays membres et 56 pays
observateurs ; 330 normes internationales, mises à jour comprises,
ont été produites dans le cadre du JTC1 de l’ISO par l’une ou l’autre
des entités spécialisées qui le composent, parmi lesquelles 19 souscomités (SC) internationaux, dont les pays membres fréquentent les
groupes de travail qui sont les cellules de bases de la production des
normes internationales, régies par des procédures rigoureusement
uniformes d’un domaine à l’autre. Le JTC1 affecte ainsi des souscomités internationaux à la biométrique, aux techniques de sécurité,
aux langages de programmation… Le SC36 du JTC1 a pour mandat
de produire les normes dans le champ « Technologies de l’information
pour l’éducation, la formation et l’apprentissage ».
Parmi les résultats obtenus, on peut citer le déploiement de solutions
nationales de description de ressources pédagogiques (LOM.fr, Sup.
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Normes
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LOM.fr, largement utilisées par les universités numériques thématiques), de protocoles d’échanges dans le monde de la francophonie
grâce à l’intermédiaire des portails français en ligne existants (UNIT,
UNISCIEL), de mise en place de la norme MLR (ISO 19788) qui permet de
décrire les ressources en tenant compte des usages du web sémantique.
L’adoption d’une norme cadre européenne EN 15982 MLO (Metadata
for Learning Opportunities) rendra à terme l’offre plus visible.
Termes liés : algorithme, archives, biens communs,
communication, documentation, littératie numérique,
neutralité du net
Références
Text Encoding Initiative (TEI), lire en ligne : http://www.tei-c.org/index.
Renaud Fabre, « Refonder le contrat social pour l’école » et « L’évaluation publique
et l’école », in Après-demain, revue trimestrielle fondée par la Ligue des
droits de l’homme, rédacteur en chef du no 21, 1er trimestre 2012.
Renaud Fabre, Jake Knoppers, Information Technology. Identification of Privacy
Protection Requirements Pertaining to Learning, Education and
Training (LET). Part 1 : Framework and Reference Model ISO/IEC/JTC1/
SC36/WG 3 Secretariat, AFNOR, Genève International Organization for
Standardization (ISO), janvier 2013.
Bernard Blandin, « État des normes e-learning : enjeux, niveaux, acteurs. Qui décide
quoi et pourquoi », colloque Synergie, Université de technologie de Troyes,
12-13 juin 2003.
Stéphanie Delmotte, « La double face des normes : entre facilitation et restriction »,
in La Norme numérique. Savoir en ligne et internet, Jacques Perriault,
Céline Vaguer (dir), Paris, Éditions du CNRS, 2011.
Jacques Perriault, Céline Vaguer (dir.), La Norme numérique. Savoir en ligne et
internet, Paris, Éditions du CNRS, 2011.
Claude Revel, Développer une influence normative stratégique internationale pour
la France, rapport à Mme la ministre du Commerce extérieur, Paris,
décembre 2012.
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Œuvre
Bernadette Dufrêne
Qu’entend-on par œuvre ? C’est à l’Esthétique de Georg Wilhelm
Friedrich Hegel que l’on aura d’abord recours pour donner une définition de l’œuvre, qu’elle soit ou non numérique. Pour Hegel, « l’homme
est engagé dans des rapports pratiques avec le monde, et de ces rapports naît le besoin de transformer le monde, dans la mesure où il en
fait partie, en lui imprimant son cachet personnel. Et il le fait pour
encore se reconnaître lui-même dans la forme des choses, pour jouir
de lui-même comme d’une réalité extérieure ». L’approche anthropologique d’Hegel est suffisamment large pour permettre de penser la
diversité des œuvres, quels qu’en soient le support et le contexte de
production. L’œuvre, c’est avant tout cette réalité objectale issue d’un
travail (du latin opera, travail, activité, soin) par lequel l’homme informe le monde, donne une forme au monde. En ce sens, elle est une
synthèse du moi et du monde.
Pour autant, l’apport anthropologique ne saurait suffire pour deux raisons au moins : d’abord parce que le concept de l’œuvre, loin d’être
a-historique, est fortement ancré dans un contexte de production mais
aussi parce qu’il ouvre, comme l’a bien montré Pour une esthétique
de la réception de Hans-Robert Jauss, des horizons d’attente, parce
qu’il donne lieu à des réinterprétations. L’histoire des œuvres n’est
pas seulement une histoire des styles au sens de Johann Joachim
Winckelmann ou une histoire des formes (cette conception de l’histoire
de l’art a d’ailleurs été mise en cause par des historiens de l’art comme
Hans Belting, dans la mesure où elle ne retient que le concept occidental d’œuvre), mais aussi une histoire de leur interprétation. S’inscrivant
dans la même perspective que les Cultural Studies, et rejetant l’idée
d’une grande coupure entre producteur et consommateur, Umberto Eco
a montré l’activité du récepteur dans L’Œuvre ouverte (1962).
L’émergence du numérique et sa généralisation à partir des années 1990
ont problématisé la notion d’œuvre au moins de trois points de vue : du
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Œuvre
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point de vue de l’auteur, du point de vue des modalités de sa diffusion
et du point de vue de la définition même de l’œuvre.
Du point de vue du droit d’auteur, l’histoire de la notion d’œuvre
montre que celle-ci ne doit pas être rapportée dans la plupart des
cas à un seul auteur qui serait autonome, mais qu’il faut prendre en
compte des modes d’élaboration de l’œuvre qui, sans être toujours
nouveaux, posent aujourd’hui la question du régime des œuvres plurales. La législation est à mettre en lien avec différents courants de
sciences humaines, philosophique, sociologique ou communicationnelle, qui ont attiré l’attention sur la nécessité de voir dans l’artiste un
« réalisateur », selon le terme utilisé par François Dagognet (Dagognet,
1986) et sur celle de rematérialiser.
Le droit a distingué œuvre collective, œuvre collaborative, œuvre composite notamment (art. L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle).
À propos de cette dernière catégorie, il est à noter que, depuis 1998, a
été entérinée la reconnaissance des bases de données comme œuvre
(art. L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle). Les conditions
de production d’une œuvre numérique amènent à reconsidérer les
mondes de l’art au sens donné à cette notion par Howard Becker, à savoir les conventions qui régissent les formes de coopération propres
à un monde de l’art : en l’occurrence la coopération entre ingénieurs,
programmeurs et artistes, écrivains et historiens de l’art.
En outre, la diffusion sur le web des œuvres qui ne sont pas encore
tombées dans le domaine public a suscité de vifs débats portant sur la
nécessité de trouver un équilibre entre la protection du droit d’auteur
et la diffusion dans l’intérêt général. Selon le rapport Lescure (2013),
« le droit d’auteur est, depuis son origine, l’expression d’un compromis
social entre les droits des créateurs et ceux des publics. L’irruption du
numérique a bouleversé les termes de ce compromis : propulsé dans la
sphère du grand public, le droit de la propriété intellectuelle, jusqu’ici
cantonné aux relations entre créateurs et exploitants, est exposé
aux interrogations et aux contestations grandissantes d’internautes
contrariés dans leurs pratiques et leurs attentes. L’équilibre du
compromis fondateur doit être retrouvé, en poursuivant deux objectifs
étroitement liés : d’une part, réaffirmer la pleine légitimité du droit
d’auteur et la nécessité de sa protection, en réorientant la lutte contre
le piratage en direction de ceux qui en tirent un bénéfice économique ;
d’autre part, adapter le droit de la propriété intellectuelle aux réalités et
aux pratiques numériques, afin de permettre aux publics de bénéficier
pleinement des opportunités offertes par les nouvelles technologies, en
termes d’accès aux œuvres comme de création ».
Ensuite, c’est la notion même d’œuvre au sens de « production » que
le contexte du numérique met en question. Faut-il réserver le terme
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
d’œuvre à la production originale ? Dans la mesure où la loi reconnaît
la base de données comme une œuvre à part entière, les métadonnées – qui permettent d’indexer l’œuvre originale ou les fragments de
l’œuvre proposée dans une configuration spécifique, de les offrir au
commentaire et parfois à la manipulation – ne constituent-elles pas
une extension de la notion d’œuvre ? En raison de ses conditions de
production et de réception, l’œuvre à l’ère du numérique ne remet-elle
pas en cause la coupure entre production et consommation ?
Le numérique a eu enfin des incidences sur la diversité culturelle, dans
la mesure où la numérisation a favorisé la représentation de la pluralité culturelle. Pour autant, la diversité culturelle ne commence pas avec
le numérique. Si l’UNESCO a pu faire adopter en 2005 la Convention
sur la diversité des expressions culturelles, définie comme politique
culturelle visant à défendre la pluralité des cultures, des langues et
des expressions artistiques, à valoriser les savoir-faire traditionnels,
à promouvoir les patrimoines matériels mais aussi immatériels, c’est
que la réflexion sur la diversité culturelle avait commencé dès le début du xxe siècle avec la critique de l’universalisme telle qu’elle a été
menée par Oswald Spengler dans Le Déclin de l’Occident. Quelles que
soient les réserves – d’ailleurs fondées – que l’on a pu émettre à propos
de l’auteur, le fait est qu’en soulignant l’hétérogénéité des cultures, il
ouvrait la voie à la reconnaissance de la pluralité.
L’émergence de la mondialisation, qui, dans la perspective de
Stuart Hall, peut être définie comme une culture de masse prenant
appui sur la convergence des technologies, a suscité deux mouvements contradictoires : d’une part, l’hybridation d’une culture qui
reste « centrée à l’Ouest », et, d’autre part, une « homogénéisation » qui
s’appuie néanmoins sur des partenariats locaux pour s’implanter. La
pensée critique de Hall permet ainsi d’interroger ce processus aussi bien du point de vue des industries culturelles, notamment dans
le domaine de l’audiovisuel, que des industries créatives dans le domaine du numérique.
Il reste à approfondir la réflexion sur les effets de la numérisation
du patrimoine, défini comme l’ensemble des œuvres qu’une communauté – fût-elle virtuelle – sélectionne en vue de la transmission. La
situation créée par le numérique peut, certes, amener à défendre la
position selon laquelle la reproduction des œuvres et leur circulation
à large échelle sur le web n’en font plus les témoins de cultures closes
sur elles-mêmes mais participent à la formation de nouvelles identités, les échelles locales, voire régionales, s’effaçant au profit d’aires
culturelles et surtout donnant lieu à de nouvelles configurations qui
sont le fait de communautés d’intérêts, il n’en demeure pas moins que
les outils du numérique sont pensés selon des institutions, des confi-
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Œuvre
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gurations sociales et culturelles centrées sur l’Ouest. L’ubiquité des
techniques ne doit pas en effet occulter la réalité de la fracture numérique tant en ce qui concerne les possibilités d’accès que la maîtrise
de la culture informationnelle.
Dans son préambule, la Convention de l’UNESCO s’appuie sur le constat
suivant : « Les processus de mondialisation, facilités par l’évolution
rapide des technologies de l’information et de la communication,
s’ils créent les conditions inédites d’une interaction renforcée entre
les cultures, représentent aussi un défi pour la diversité culturelle,
notamment au regard des risques de déséquilibre entre pays riches et
pays pauvres. » Au moment même où la représentation et la circulation
des œuvres sont particulièrement bien servies par ces technologies,
les inégalités culturelles subsistent, voire s’accroissent, malgré les
vœux exprimés. Qu’il s’agisse de création numérique ou de diffusion,
les écarts persistent d’autant plus que le numérique suppose des
infrastructures et des qualifications coûteuses sur le plan économique,
et que les pratiques professionnelles en matière d’inventaire et de
documentation des œuvres supposent une formation. C’est à la
condition qu’il y ait une réelle coopération entre les États et une
véritable volonté politique que les œuvres patrimoniales acquerront
une égale dignité dans leur présentation et leur contextualisation.
Termes liés : fracture numérique, industries créatives,
industries culturelles, médiation numérique du patrimoine,
patrimoine, propriété intellectuelle, remix, transmédiation,
territoires, virtuel
Références
Hans Belting François Dagognet, Philosophie de l’image, Paris, Vrin, 1986.
Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Le Seuil, 2011.
Umberto Eco, L’Œuvre ouverte, tr. fr., Paris, Le Seuil, 1972.
Mathew Gold, Debates in the Digital Humanities, University of Minnesota Press, 2012.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Esthétique, choix de textes, édition française
Claude Khodoss, Paris, PUF, 1998.
Hans-Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978, ou
coll. « Tel », Gallimard, 1990.
Pierre Lescure, Contribution aux politiques culturelles à l’ère numérique. Rapport à
Mme la ministre de la Culture, mai 2013.
Oswald Spengler, Le Déclin de l’Occident, traduction française M. Tazerout, Paris,
Gallimard, 1976.
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Patrimoine
Emmanuelle Chevry Pébayle
Depuis les années 1960, les technologies de l’information et de la
communication basées sur le numérique se sont développées et
connaissent un essor considérable dans l’ensemble des activités
humaines, qu’elles soient techniques, économiques ou sociales. Cette
révolution n’épargne pas le patrimoine, qui s’est considérablement
élargi depuis ces dernières années. Notion récente et toujours
en progrès, le patrimoine comprend tous les biens matériels et
immatériels légués par une communauté, en y englobant la nature
et la culture. Les domaines concernés peuvent être multiples : le
patrimoine écrit, iconographique, sonore, architectural, musical,
linguistique, cinématographique…
Afin de respecter le droit d’auteur et par souci de conservation, des
établissements culturels, des associations et des laboratoires de
recherche numérisent principalement le patrimoine écrit et graphique
libre de droits. Ce patrimoine est diffusé à travers des bibliothèques
numériques telles que le projet Gutenberg débuté en 1971, American
Memory en 1995 à l’initiative de la bibliothèque du Congrès, Gallica,
la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France
créée en 1997… Le projet de grande envergure porté par Google
en 2004 a abouti par réaction en 2008 à la création de la bibliothèque
numérique européenne Europeana.
Le patrimoine en ligne, une réelle opportunité
pour la diversité culturelle
La dématérialisation du patrimoine, rendue possible par le
numérique, nous conduit à nous demander en quoi elle favorise la
protection et la promotion de la diversité culturelle. L’impact du
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Patrimoine
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numérique sur le patrimoine concerne trois domaines relatifs au
patrimoine  : la transmission, la sauvegarde et l’exploitation permises
par les caractéristiques techniques des médias numériques et leur
impact social.
Mettre à la disposition de tous le bien culturel commun
Toute opération de numérisation a pour objectif d’offrir au public
l’accès à des ressources documentaires rares, précieuses, fragiles. La
numérisation permet de reproduire des œuvres sans dégradation, à
l’infini et à l’échelle planétaire, en offrant les conditions idéales à leur
circulation. Le numérique présente cet avantage sur le papier : il permet
la diffusion d’un même document pour un coût modique, très rapidement
et à un très grand nombre de destinataires. Grâce à ce large accès au
patrimoine, l’internet répond à des enjeux de mise à la disposition de
tous du bien culturel commun. Chaque pays peut faire connaître son
patrimoine et multiplier les accès à celui-ci dans une dynamique de
démocratisation culturelle et de transmission des savoirs.
L’accessibilité d’une culture du monde procure un sentiment d’identité
et de continuité, contribuant à promouvoir le respect de la diversité
culturelle et la créativité humaine. Ainsi, l’UNESCO vise à sauvegarder
la « mémoire de l’humanité » à travers la Bibliothèque numérique
mondiale, en numérisant et en publiant des fonds représentatifs du
patrimoine documentaire mondial. Ses objectifs sont de permettre
au plus grand nombre d’accéder gratuitement, via l’internet, aux
trésors des grandes bibliothèques internationales, de développer le
multilinguisme, de réduire la fracture numérique Nord-Sud en donnant
l’occasion aux pays en développement de valoriser leur patrimoine de
la même manière que les pays développés.
De très nombreux monuments historiques et autres édifices relevant du domaine patrimonial sont visibles également à travers des
applications telles que Google Earth, ou Google Street View. Google
Art Project offre même des visites virtuelles de monuments et de musées tels Versailles, la National Gallery de Londres ou le Metropolitan
Museum of Art de New York.
Préserver et conserver le patrimoine
La numérisation permet aussi de préserver et conserver le patrimoine.
D’une part, en offrant un document de substitution, la numérisation
peut être utilisée dans un but de sauvegarde d’un patrimoine en danger tels que les journaux attaqués par l’acidité de l’encre par exemple.
Les lecteurs peuvent consulter la réplique numérisée, évitant ainsi la
manipulation de l’original. Le fac-similé protège l’œuvre fragile de
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
l’usure provoquée par un accès direct. D’autre part, grâce au numérique, on peut garder en mémoire, très précisément, l’aspect des lieux
ou des objets. Les données numérisées constituent une assurance et
des documents de référence au cas où une dégradation ou une destruction imputable aux hommes ou à la nature surviendraient.
Favoriser la coopération dans le domaine culturel
Le numérique permet aux professionnels chargés du patrimoine de
travailler ensemble sur des projets de numérisation et de publication
à différents niveaux : entre institutions culturelles, entre institutions
culturelles et sociétés privées, entre institutions culturelles et services de l’État, entre différents pays. Par exemple, le portail Global
Gateway, réalisé par la bibliothèque du Congrès américain, est un
projet coopératif entre les différentes bibliothèques nationales du
monde. Il vise à offrir à un large public l’accès à une grande variété de documents d’intérêt historique et culturel, afin de contribuer à
l’éducation et à l’étude tout au long de la vie. Les partenariats ainsi
noués entre les bibliothèques nationales permettent de compléter les
ressources de la bibliothèque du Congrès, ils aboutissent à des sites
thématiques qui mettent en valeur et enrichissent les collections des
bibliothèques nationales. Ainsi, la Bibliothèque nationale de France
et la bibliothèque du Congrès ont collaboré à la réalisation d’un site
bilingue sur le thème de la présence française en Amérique du Nord
du xvie siècle à la fin du xixe. Les documents numérisés, mis en perspective par des éléments d’information, intellectuels, techniques et
pédagogiques, permettent d’en exploiter le contenu.
Grâce à l’échange de données via le protocole OAI-PMH, ces
partenariats enrichissent des collections, multiplient les accès à ce
patrimoine dématérialisé, reconstituent virtuellement des collections
dispersées géographiquement et les valorisent (expositions virtuelles,
site thématique). Depuis Gallica, l’internaute peut accéder à six
bibliothèques numériques. Réciproquement, ces bibliothèques peuvent
référencer tout ou une partie des ressources de Gallica, en récupérant
les données descriptives.
Des limites à la démocratisation du patrimoine
La démocratisation se situe sur deux plans grâce au numérique : tout
le monde peut accéder à l’information, et tout le monde peut proposer
de l’information. Or, en l’état actuel, plusieurs limites freinent l’accessibilité au patrimoine en ligne.
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Patrimoine
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Le patrimoine numérisé soumis à une forte concurrence
Diffuser le patrimoine en ligne ne suffit pas à en garantir une large
diffusion. Les fonds multiples et la diffusion sur le web conduisent
les fournisseurs de fonds numérisés vers une concurrence entre eux
et vers une concurrence avec tout le web. Le patrimoine est numérisé
à la fois par de petites et de grandes institutions culturelles, des associations, des laboratoires et des sociétés privées. Ces réalisations
sont noyées parmi tous les autres sites du web et, sans communication, les internautes ont alors des difficultés à arriver jusqu’à elles.
Néanmoins, il existe, pour certains pays, des catalogues en ligne qui
recensent le patrimoine numérisé : e-corpus pour le monde et en particulier pour l’espace euro-méditerranéen, MICHAEL pour une vision à
l’échelle européenne, Patrimoine numérique et NUMES pour la France.
La menace d’une prédominance de la culture anglophone
au détriment des autres cultures
L’émergence de nouveaux acteurs extérieurs au monde de la culture
dans des projets de numérisation du patrimoine soulève de nombreuses interrogations. L’entreprise privée Google a lancé, en 2004,
un projet de numérisation de 15 millions d’ouvrages appelé Google
Books et a conclu des partenariats avec 20 bibliothèques.
Face à cette réalisation d’envergure, Jean-Noël Jeanneney a attiré
l’attention de l’opinion publique sur différents risques : celui d’une
domination de la culture anglophone sur la Toile ; celui que la langue
anglaise ait encore plus d’emprise aux dépens des autres langues
européennes ; celui des éditeurs américains qui pourraient avoir
un poids écrasant ; celui d’une diffusion de la recherche qui soit
principalement américaine ; celui d’assimiler les œuvres culturelles
à des marchandises. De plus, le droit d’auteur est loin d’être respecté
systématiquement. Selon le rapport que Marc Tessier a remis en 2010
au ministre de la Culture et de la Communication, sur les 10 millions
d’ouvrages numérisés, 7,5 millions étaient numérisés sans accord des
ayants droit.
La fracture numérique
Selon un rapport, publié en octobre 2012, de l’Union internationale
des télécommunications (UIT), une agence spécialisée de l’ONU, deux
tiers de la population mondiale n’a pas accès à l’internet. Un fossé
existe entre ceux qui utilisent les technologies de l’information et de
la communication pour accéder au patrimoine numérisé, et ceux qui
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
ne peuvent en avoir connaissance faute de pouvoir accéder aux équipements ou par manque de compétences.
De plus, le patrimoine numérisé et publié en ligne ne représente pas
la culture de toutes les nations de façon égalitaire. Tous les pays n’ont
pas les moyens de numériser et de publier leur patrimoine, malgré
l’initiative de la Bibiliothèque numérique mondiale. Une politique
publique ambitieuse de numérisation pour chaque pays serait nécessaire pour que ces derniers restent maîtres de leurs ressources et garantissent l’accès aux divers utilisateurs. C’est le cas de la France qui,
depuis 2003, lance un appel à projets chaque année pour des actions
de numérisation du patrimoine.
En somme, le patrimoine numérisé et publié en ligne permettrait de
promouvoir des valeurs communes, de respecter les différences et
d’atteindre des contenus diversifiés si l’ensemble de la population
pouvait avoir les moyens et les compétences pour consulter le patrimoine et si chaque pays pouvait numériser et mettre en ligne son
patrimoine.
Termes liés : archives, bibliothèques, fracture numérique,
médiation numérique du patrimoine, normes, territoires
Références
Dominique Audrerie, La Notion et la Protection du patrimoine, Paris, Presses
universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1998.
Emmanuelle Chevry, Stratégies numériques. Patrimoine écrit et iconographique,
Paris, Hermès Science Publications, Lavoisier, 2011.
Jean-Noël Jeanneney, Quand Google défie l’Europe : Plaidoyer pour un sursaut, Paris,
Mille et une nuits, 3e éd.., revue, augmentée et mise à jour, 2010.
Marc Tessier, Rapport sur la numérisation du patrimoine écrit, remis au
ministre de la Culture et de la Communication, 2010 ; lire en ligne
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapportspublics/104000016/0000.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014.
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Piratage
Tristan Mattelart
La relation existant entre piratage et diversité culturelle est
explicitement posée, dans de nombreux rapports d’organisations
multilatérales, comme antinomique. Ainsi un document de l’UNESCO
commentant les dispositions de la Déclaration universelle sur la
diversité culturelle, adoptée en 2001, invite-t-il à « éradiquer le
piratage qui est un obstacle majeur au développement de toute
industrie culturelle et donc un adversaire de la diversité culturelle »
(UNESCO, 2002). Cette condamnation fait écho à celles que formulent
les organisations défendant les intérêts des grandes multinationales
de la communication. Un représentant de la MPAA (Motion Picture
Association of America) l’affirme sans ambages : « L’une des plus
grandes menaces à l’encontre de la diversité culturelle aujourd’hui
est le piratage » (Richardson, 2005). La cause semble donc entendue.
Pourtant, sans sous-estimer les défis que pose le piratage pour l’avenir
des industries culturelles, les relations qu’entretient celui-ci avec la
diversité culturelle sont plus complexes que ne le laissent entendre
les discours accusateurs.
La lutte contre le piratage au service de la
diversité culturelle ?
Il est, dans un premier temps, nécessaire d’interroger la correspondance entre les politiques de lutte contre le piratage et la défense de
la diversité culturelle. Ces politiques sont en effet insérées dans des
rapports de forces internationaux : bien qu’elles se drapent, depuis le
début des années 2000, dans les habits de la diversité culturelle, elles
poursuivent des objectifs qui ne sont pas toujours convergents avec
les principes, certes contradictoires, de ladite diversité.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Les travaux de l’économie politique critique de la propriété
intellectuelle montrent comment s’est opéré, dans le dernier quart
du xxe siècle, sous la pression conjointe des principales industries
qui s’appuient sur le droit d’auteur et des gouvernements qui les
soutiennent, à commencer par le gouvernement états-unien, « un
changement explicite d’orientation quant à la finalité des droits
d’auteur/copyright », qui, au nom du rôle croissant que jouent les
actifs immatériels dans le développement et la croissance, a vu le droit
de la propriété intellectuelle se rapprocher de plus en plus du « régime
commun de la propriété » (Bullich, 2013). Ce mouvement, né bien avant
l’essor de l’internet, s’est considérablement accéléré avec l’avènement
de celui-ci et du développement concomitant de la nouvelle variété
de pratiques d’échange et de consommation de contenus numériques
qu’il a favorisées.
À cette occasion s’est largement imposée une conception extensive
du piratage, celui-ci englobant désormais, sous une même ombrelle, la production, la distribution ou la consommation de produits
contrefaits – CDs, DVDs, VCDs, logiciels… – mais aussi les pratiques
d’échange, de téléchargement ou de visionnement de contenus hors
paiement des droits sur l’internet. À cette conception extensive du
piratage – qui a accru le rayon d’action des politiques luttant contre
celui-ci – a correspondu une conception également extensive de la
propriété artistique.
Le nouveau droit qui s’est mis en place en la matière, explique Vincent
Bullich dans un texte où il synthétise les apports des travaux produits par l’économie politique critique de la propriété intellectuelle,
tend à faire prévaloir « l’affirmation des intérêts privés au détriment
de l’intérêt général » : sous l’effet des évolutions du droit, idées, informations et créations artistiques sont progressivement « extrai [tes]
du “bien commun” pour devenir la propriété de quelques-uns ». L’on
assiste ainsi à une « privatisation » des connaissances, avec toutes
les incidences négatives que cela peut avoir pour la création ou la
liberté d’expression. Cette tendance à la privatisation des domaines
cognitifs et culturels est d’autant plus problématique qu’elle s’accompagne d’« une privatisation du domaine législatif » (Bullich, 2013).
Les travaux de l’économie politique critique de la propriété
intellectuelle décryptent aussi la manière dont, au travers d’un intense
travail de lobbying, mené à une échelle mondiale, auprès tant des
gouvernements nationaux que des organisations multilatérales, telles
l’UNESCO, l’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle
(OMPI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – qui tient une
place importante en la matière depuis le début des années 1990 – les
industries qui s’appuient sur le droit d’auteur (copyright-based) ont
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Piratage
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joué et continuent de jouer un rôle majeur dans l’élaboration des lois
nationales et des traités internationaux comme dans les mesures
prises pour leur application (Bullich, 2013). L’équation posée entre
lutte contre le piratage et défense de la diversité culturelle mérite
donc, pour le moins, d’être discutée.
Piratages et diversité : une relation ambivalente
Il est d’autant plus facile pour les organisations publiques ou privées
de considérer que le piratage constitue un « adversaire de la diversité culturelle » que cette dernière est définie en termes fort lâches.
Or si le piratage, en privant les créateurs et les ayants droit d’une
partie de leurs revenus, peut être accusé d’attenter à la pérennité de
la production culturelle et donc au futur de la diversité de l’offre en
ce domaine, il favorise dans le même temps, sous certains aspects, la
circulation des produits culturels. La question se pose à cet égard de
savoir s’il peut être considéré comme contribuant à une diversification de la consommation culturelle du public qui y a recours.
La Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001
contrebalance elle-même la nécessité d’« assurer la protection des
droits d’auteur et des droits qui leur sont associés » avec le besoin de
défendre « un droit public d’accès à la culture » (UNESCO, 2002 : 50).
Ce dernier principe qui était encore promu avec force au tout début
des années 1980 dans les débats à l’UNESCO sur la piraterie – et qui
figure encore sur l’agenda de l’organisation – a peu à peu perdu de sa
vigueur au fur et à mesure que le centre de gravité des discussions
et des décisions en matière de propriété artistique s’est déplacé des
enceintes spécialisées sur la culture et la propriété intellectuelle vers
celles spécialisées dans le commerce, telle l’OMC (Mattelart, 2011 : 4243). Preuve de cette évolution au sein même de l’UNESCO, lorsqu’il est
nécessaire, dans le cadre de la nouvellement créée Alliance globale
pour la diversité culturelle, d’interroger les « conséquences du
piratage pour la créativité [et] la culture », c’est vers Darrell Panethiere,
conseiller juridique de la Fédération internationale des industries du
disque (International Federation of the Phonographic Industry, IFPI),
que se tourne l’organisation (Panethiere, 2005).
Il n’empêche que le piratage constitue, comme le montrent deux études
internationales sur le phénomène dans les pays émergents (Mattelart,
2011 ; Karaganis, 2011), pour des dizaines de millions de personnes,
au Sud comme au Nord, une voie privilégiée pour contourner les obstacles politiques, administratifs, sociaux ou économiques empêchant
l’accès aux biens culturels. En effet, les pratiques de piratage, pour
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
illégitimes qu’elles semblent être, n’en reflètent pas moins les contradictions sociales, politiques et économiques qui traversent les sociétés du Sud comme du Nord et qui poussent certaines populations à
s’approvisionner en produits culturels hors des voies officielles.
De là à penser que le piratage peut augmenter la diversité du menu
audiovisuel du public, il n’y aurait qu’un pas qu’il faut se garder de
franchir trop hâtivement. Le commerce pirate des images est, dans
l’ensemble, dominé par les mêmes types d’images qui officient sur les
marchés légaux, attribuant une grande place aux fictions télévisuelles
et cinématographiques hollywoodiennes, tout en ménageant néanmoins
une place non négligeable à des programmes ayant d’autres origines,
en consonance avec les attentes culturelles des consommateurs.
Le piratage au service de la diversité ?
Quelques auteurs mettent cependant l’accent sur certains des effets positifs de cet accès, par des voies pirates, aux productions culturelles.
Tilman Baumgärtel par exemple, étudiant les marchés pirates du film en
Asie du Sud-Est, quoique reconnaissant la domination de ceux-ci par le
film hollywoodien et les productions pornographiques, souligne l’importance du rôle joué par la présence sur ces marchés également des films
d’auteur occidentaux qui ont contribué à nourrir, à l’en croire, une génération de cinéastes indépendants dans cette région (Baumgärtel, 2008).
D’autres travaux montrent, en particulier à partir du cas nigérian,
comment les réseaux de l’économie informelle peuvent offrir une infrastructure pour l’édification d’une puissante industrie télévisuelle
et cinématographique au rayonnement international (Miller, 2012).
Les études sur le piratage dans les pays émergents explorent à leur
tour, à partir d’une variété d’études de cas, la manière dont certaines
entreprises pirates constituent des laboratoires pour la mise en place
de nouveaux modèles d’affaires (business models), capables de fournir des produits culturels à des populations n’ayant pas accès aux
produits légaux (Karaganis, 2011 : 1 ; Mattelart, 2011). Dans ces différents cas de figure, le piratage ne peut être aussi facilement accusé de
représenter un « obstacle majeur au développement de toute industrie
culturelle », ni un « adversaire de la diversité culturelle ».
Il serait naturellement bien imprudent de considérer, à partir de ces
exemples, comme caduc le caractère antinomique de la relation entre
piratage et diversité culturelle. En revanche, est ainsi mise en relief la
nécessité d’appréhender le piratage comme un phénomène plus complexe que ne le font les discours contempteurs.
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Piratage
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Termes liés : économie des œuvres sous format numérique,
financement des médias sous format numérique,
fracture numérique, industries créatives, industries culturelles,
pratiques, propriété intellectuelle, public/usagers
Références
Tilman Baumgärtel, « Media Piracy and Independent Cinema in Southeast Asia », in
Video Vortex Reader. Responses to YouTube, Geert Lovink, Sabine Niederer
(éds.), Amsterdam, Institute of Network Cultures, 2008, pp. 259-272.
Vincent Bullich, « Perspectives critiques sur la propriété intellectuelle », Les Enjeux
de l’information et de la communication, avril 2013 ; lire en ligne http://
lesenjeux.u-grenoble3.fr/2013-supplement/07Bullich/07Bullich.pdf,
dernière consultation le 1er juin 2014.
Joe Karaganis (éd..), Media Piracy in Emerging Economies, New York, Social Sciences
Research Council, 2011.
Tristan Mattelart (dir.), Piratages audiovisuels. Les voies souterraines de la
mondialisation culturelle, Bruxelles-Paris, De Boeck-INA, 2011.
Jade Miller, « Global Nollywood : The Nigerian Movie Industry and Alternative
Global Networks in Production and Distribution », Global Media and
Communication, août 2012, vol. 8, n° 2, pp. 117-133.
Darrell Panethiere, Persistance de la piraterie. Conséquences pour la créativité, la
culture et le développement durable, Paris, UNESCO, 2005.
Bonnie J.K. Richardson, vice-président, Trade and Federal Affairs, MPAA,
« Globalization and Diversity, UNESCO and Cultural-Policy Making :
Imperatives for US Arts and Culture Practitioners and Organizations »,
10-11 janvier 2005, Smithsonian Institution, Washington DC, lire en
ligne http://www.folklife.si.edu/resources/center/cultural_policy/pdf/
BonnieRichardson.pdf, dernière consultation le 1er juin 2014.
UNESCO, Déclaration universelle sur la diversité culturelle, série « Diversité
culturelle », no 1, Paris, UNESCO, 2002.
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250
Pratique
Laurence Allard
Pourquoi parler de pratique plutôt que d’usage, à l’heure du numérique ? L’hypothèse défendue ici est qu’observer, décrire et penser le
numérique en termes de pratique vient rendre compte de façon plus
adéquate de ce que le numérique fait à la diversité culturelle.
Au-delà du braconneur, le praticien
transécranique
Dans les années 1990, la notion d’usage avait été revisitée, à l’aune
des nouvelles technologies de la communication de l’époque,
comme relevant d’une double médiation du social et du technique,
comme étant tramée de représentations sociales, comme se révélant
dépendante des contextes matériels et des situations sociales, et
s’inscrivant dans un temps long.
Le travail pionnier de Michel de Certeau a été et est communément
cité comme une grande source d’inspiration dans les études des
usages des technologies culturelles. Il a pointé de façon lumineuse
la part d’autonomie active de l’usager. L’inventivité des pratiques ordinaires est notamment illustrée par la problématique du détournement par rapport aux fonctionnalités attendues et aux usages prescrits. La figure du braconneur est devenue familière pour incarner
la dynamique d’appropriation des technologies de la communication.
Si l’acquis de ces réflexions est de mettre en avant un pratiquant
tacticien, elles ne permettent pas aujourd’hui de prendre toute la
mesure du tournant du numérique connecté. En faisant siens les
technologies et les services connectés tels le téléphone mobile ou
la tablette, ou en s’adonnant à l’expression de soi sur les sites de
réseaux sociaux, l’usager du numérique est aujourd’hui un praticien
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Pratique
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transécranique et transmédiatique, qui ne se contente pas de
braconner de-ci, de détourner de-là. Le « hack d’usage » est devenu
le mode d’accomplissement pratique du numérique, puisque la
singularisation de l’offre technologique en est la norme prescrite.
Quand l’utilisateur est l’outil, du numérique
au digital
Pour bien marquer ce degré de singularisation atteint avec le numérique dans l’histoire des TIC, la notion de pratique semble donc préférable à celle d’usage. Le téléphone intelligent (smartphone) reste un
objet inerte s’il n’est pas activé tactilement, le web reste lettre morte
s’il n’est pas alimenté par les contenus des internautes. Les technologies numériques connectées se pratiquent bel et bien tel un instrument de musique ou un art martial. La notion de digital, prise au sens
à la fois français et anglophone du terme, vient rendre compte d’un
nouveau degré d’incorporation du numérique avec le développement
des interfaces tactiles et des commandes gestuelles ou vocales.
Observons les applications de deux smartphones ou tablettes, comparons les fichiers de deux ordinateurs ou les sites d’un navigateur.
Depuis leur disposition matérielle (sur une page, dans des dossiers,
sur le bureau ou dans le nuage) jusqu’à leur sélection (collections
d’applications multi-usagers pour soi et ses enfants, marque-pages
temporaires correspondant aux requêtes du moment ou fichiers partagés depuis des disques durs), la description des usages du numérique doit s’effectuer au singulier de la pratique.
Le téléphone mobile constitue un bon terrain d’observation des praticiens du numérique connecté. La créativité mobile ne ressort pas
d’une forme de création en tant que telle mais d’une mise en pratique des fonctionnalités et des services propres à chaque utilisateur comme la photographie de textes (listes de courses, cartes de
visite, étiquettes de bagages) ou l’utilisation de la carte SIM comme
porte-monnaie dans les services de banque mobile (m-banking).
Une culture en lecture/écriture ouverte au
dialogue et au partage transnational
De ces technologies numériques connectées pratiquées sous un mode
singulier, propre à chacun – ce qui leur confère le statut de « technolo-
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
gies du soi » dont parlait Michel Foucault – émerge une culture réversible en lecture/écriture esquissant un nouveau paysage de diversité
créative ouverte au partage et au dialogue. En effet, la conversation
tissée à travers les pratiques du mobile et de l’internet s’effectue par
le biais d’expressions singulières, qui se nourrissent et sont nourries par l’échange de contenus à aimer, commenter et partager. Cette
conversation créative est tissée dans le remix des contenus du web et
des mobiles, elle est constituée de contenus appropriés symboliquement selon différents procédés plus ou moins standardisés (« liker »,
« retweeter », commenter, etc.). Le web se pratique ainsi comme une
vaste database ouverte aux échanges.
Enfin, les outils numériques peuvent être utiles pour vaincre les
risques d’uniformisation ou d’exclusion et le péril du monologue. Les
mobilisations dans le monde aménagent désormais une dramaturgie
scénique autour d’une place publique connectée (Tahrir, piazza del
Sol, Zuccoti, Taksim…). À travers la connexion numérique de l’espace
public aura été réalisé un nouvel horizon cosmopolitique, à concevoir
sous la perspective d’un universalisme nécessairement situé et provincial, et qui ouvre à des cosmopolitismes multiples permettant en
principe de surmonter la superbe de l’universalisme et le relativisme
des localismes.
Termes liés : augmentation, auteur, co-construction,
communauté, communication, œuvre, piratage, remix, public/
usagers, réseaux sociaux, transmédiation
Références
Laurence Allard, « Le remix comme appropriation ordinaire de contenus partageables :
de la pratique sociale digitale à la consécration publique des institutions
culturelles », juillet 2013, lire en ligne http://www.mashupfilmfestival.fr/
blog/2013/06/07/le-remix-comme-appropriation-ordinaire-de-contenuspartageables-de-la-pratique-sociale-digitale-a-la-consecration-publiquedes-institutions-culturelles/, dernière consultation le 1er juin 2014.
Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, t. 1, Paris, Arts de faire, UGE, 1980.
Michel Foucault, « Subjectivité et vérité », in Dits et Écrits, 1976-1988, Paris, Gallimard,
2001.
Josiane Jouet, « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux, Paris, 2000,
vol. 18, no 100, pp. 487-521.
Fréderic Vandenberghe, « The State of Cosmopolitism », Novos Estudos, Cebrap ; lire en
ligne http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/cr-cridis/documents/_State_
of_Cosmopolitanism_final.doc, dernière consultation le 1er juin 2014.
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Propriété
intellectuelle
Mélanie Dulong de Rosnay
La propriété intellectuelle est la branche du droit qui régule la
circulation de la création et de l’innovation dans la société. Elle
comprend notamment le droit d’auteur, le droit des brevets d’invention,
les marques, les expressions culturelles traditionnelles et le folklore.
Cette fiction juridique vise à établir une exclusivité temporaire sur
l’exploitation de l’immatériel. L’expiration de ce monopole signale
l’entrée de l’œuvre ou de l’invention dans le domaine public. Certaines
créations ne remplissent pas les conditions de forme pour bénéficier
d’un droit de propriété intellectuelle et appartiennent également au
domaine public : il s’agit des idées et des connaissances générales,
considérées de libre parcours et appartenant à tous.
Les titulaires de droits de propriété intellectuelle doivent délivrer une
autorisation avant chaque utilisation de leur création, qu’ils peuvent
octroyer contre une rémunération. Certaines utilisations échappent à
ce modèle, elles sont appelées les « exceptions » et les « limitations ».
Ce régime dispense de la nécessité de solliciter une autorisation préalable à chaque utilisation et de verser une rémunération, et en cela
cherche à garantir un accès équitable. Les exceptions au droit d’auteur
que constituent le droit de parodie ou celui de citation rendent possible l’expression critique sur une œuvre préexistante sans contrôle
ni possible censure de la part de son auteur, et donc une diversité des
points de vue. Les droits exclusifs de titulaires de brevets peuvent
également être limités par des licences obligatoires pour éviter de
bloquer la concurrence et par là la diversité culturelle.
Le droit d’auteur s’est développé avec l’imprimerie, il est révisé à l’apparition de chaque technique de reproductibilité qui transforme les
modes de reproduction et de dissémination des œuvres : la radio et
la photographie, la photocopie, puis le numérique. La conjonction du
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
numérique et des réseaux permet de reproduire et de diffuser gratuitement tout document. Cette opportunité est source de tensions entre
les industries culturelles et le public. Elles sont reflétées dans le 16e
objectif du Plan d’action pour la mise en œuvre de la Déclaration de
l’UNESCO sur la diversité culturelle : « Assurer la protection du droit
d’auteur et des droits qui lui sont associés, dans l’intérêt du développement de la créativité contemporaine et d’une rémunération équitable du travail créatif, tout en défendant un droit public d’accès à la
culture, conformément à l’article 27 de la Déclaration universelle des
droits de l’homme. »
D’une part, le droit d’auteur peut être perçu comme une protection des
créateurs et de ces auxiliaires de la création que sont les interprètes,
les producteurs audiovisuels et les entreprises de communication, de
radio et de télévision. Le droit d’auteur procure une rémunération lors
de chaque utilisation des œuvres, soutenant en principe la diversité
culturelle, dans la mesure où le financement de la production culturelle
va apporter un revenu aux créateurs et permettre aux producteurs
de soutenir les prochains créateurs. Dans la pratique, la diversité
culturelle est limitée par la concentration des industries culturelles
et la médiatisation de certains artistes surexposés.
Le numérique change la donne avec la possibilité de se produire et de
se distribuer sans intermédiaires. Le phénomène de la « longue traîne »
caractérise le développement du nombre de créations à faible diffusion, correspondant à des expressions culturelles de niche. La rareté
dans un contexte d’abondance de l’offre culturelle en ligne se déplace
avec le numérique vers le temps d’attention et le filtre des moteurs de
recherche. Les réseaux pair à pair permettent la diffusion des œuvres
rares qui ne trouvent pas de canaux de diffusion commerciaux.
Face à ces possibilités de reproduction et de distribution non autorisées
offertes par les technologies du numérique, les entreprises du
divertissement demandent une extension de la propriété intellectuelle
et de son application pour limiter la concurrence de la distribution
gratuite par les pairs. Les adaptations du droit d’auteur au numérique
développent des couches de droits supplémentaires pour protéger
juridiquement les mesures de protection techniques qui limitent
les possibilités pratiques d’accès et de reproduction des fichiers
numériques, qui deviennent moins attractifs pour le consommateur
que les fichiers non bridés disponibles sur les réseaux pair à pair.
D’autre part, les droits de propriété intellectuelle peuvent limiter l’accès à la culture, la créativité et la diversité culturelle quand ils sont
utilisés de manière restrictive ou extensive. L’extension de la durée
des droits va empêcher la réappropriation et la réédition d’œuvres du
domaine public. Une redevance élevée va bloquer l’accès effectif à une
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Propriété intellectuelle
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œuvre et réduire l’offre culturelle. Tous les créateurs ont besoin d’accéder à des œuvres préexistantes et de les réutiliser, mais l’évolution
de la propriété intellectuelle dans le numérique conduit à réduire le
champ des exceptions. Ainsi les exceptions au droit d’auteur ne sont
pas adaptées aux pratiques de remix ni aux expressions culturelles
individuelles. Il est difficile pour un auteur individuel de négocier des
droits pour reprendre des samples ou des fragments d’œuvre sans
passer par une structure intermédiaire qui risque de filtrer les goûts
et, in fine, de limiter la diversité culturelle par les choix éditoriaux et
la concentration des médias.
En France, le droit de citation ne s’applique qu’aux œuvres littéraires,
excluant d’inclure des extraits d’œuvres audiovisuelles dans un
« collage-montage » (mashup), et l’exception pour les utilisations
dans le cadre de l’enseignement et la recherche ne favorise pas la
diversité culturelle à l’ère du numérique. En effet, les œuvres d’art
contemporaines ne peuvent être reproduites ni dans les supports de
cours ni dans les articles, et seules les œuvres cinématographiques
diffusées sur les chaînes hertziennes peuvent être montrées en classe,
– l’exception pédagogique ne couvrant pas les films distribués sur
le câble ni en ligne dans les lieux où la production indépendante est
diffusée et la diversité culturelle plus large. De même, les chercheurs
et les bibliothèques voient leur accès à une diversité d’expressions
limité en raison de la multiplication des bouquets numériques vendus
par les éditeurs de revues scientifiques. Face à cette concentration
de l’offre, le mouvement pour l’accès ouvert à la recherche favorise
la bibliodiversité et la dissémination de la connaissance si tous,
chercheurs et non-chercheurs, peuvent accéder gratuitement à des
articles dans d’autres disciplines et d’autres langues que celles des
portails dominés par les grands groupes anglophones.
Les biens communs et les licences libres et ouvertes comme
Creative Commons constituent un mode alternatif de diffusion des
œuvres couvertes par un droit de propriété intellectuelle puisque
la reproduction et la diffusion sur les réseaux sont autorisées à
l’avance, quel que soit le type de licence. Les options de ces licences
concernent l’attribution des auteurs, l’intégrité des œuvres et
l’utilisation commerciale. Cette nouvelle mise en œuvre des droits tire
parti des possibilités techniques offertes par le numérique en termes
de distribution et de modification et des changements d’usages,
contrairement aux lois sur le droit d’auteur qui cherchent à freiner le
développement des échanges sur les réseaux et des réappropriations
créatives et ne considèrent la création que comme une marchandise.
L’incidence du numérique sur la diversité culturelle concerne
essentiellement le droit d’auteur, les droits voisins et le droit
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
des bases de données. Mais une autre branche de la propriété
intellectuelle peut également être concernée. Il s’agit des expressions
traditionnelles et du folklore. Leur réappropriation par les sociétés
occidentales et les opportunités de diffusion en ligne peuvent être
source de diversité culturelle comme d’appropriation exclusive
ou illicite. Le risque est réel à l’ère du numérique de déplacer
l’équilibre de la propriété intellectuelle vers les titulaires de droits
dans les pays du Nord, et de limiter l’accès à la connaissance et au
patrimoine culturel immatériel et les droits du public et des pays
du Sud. Les modèles des biens communs, du libre et de l’accès aux
savoirs s’appuient sur les opportunités offertes par le numérique
pour partager la propriété intellectuelle de manière plus équitable
et collective, et pour produire une création plus diverse.
Termes liés : biens communs, économie des œuvres sous
format numérique, financement des médias à l’ère numérique,
fracture numérique, industries créatives, industries culturelles,
libre, œuvre, piratage
Références
Christoph Beat Graber, Mira Burri Nenova (éd..), Intellectual Property and Traditional
Cultural Expressions in a Digital Environment, Edward Elgar Publishing,
2008.
Mélanie Dulong de Rosnay, Hervé Le Crosnier, Propriété intellectuelle, Géopolitique et
Mondialisation, Éditions du CNRS, coll. « Les essentiels d’Hermès », 2013.
Joëlle Farchy, « Promouvoir la diversité culturelle », Questions de communication,
13 | 2008, pp. 171-195.
Jacques Vétois (dir.), « La propriété intellectuelle emportée par le numérique ? »
Terminal. Technologie de l’information, culture et société, no 102,
L’Harmattan, 2009.
Michel Vivant, Propriété intellectuelle et mondialisation : la propriété intellectuelle
est-elle une marchandise ?, Paris, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires »,
2004.
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Public/usagers
Karine Aillerie
Relatif au cadre de pensée émetteur/récepteur, à la primauté du
groupe désigné, le terme de « public » est d’acceptation antérieure à
celui d’ « usagers », qui pose pour sa part l’expérience individuelle
et sociale des technologies de l’information et de la communication
comme marqueur des enjeux actuels de la société connectée.
Le terme d’« usagers » est à rapprocher de l’évolution de cadres théoriques, qui se définissent mutuellement plus qu’ils ne se succèdent.
Dans les années 1970-1980 prévaut l’orientation système et la focalisation sur l’optimisation des dispositifs de traitement et d’accès à
l’information, l’adéquation entre indexation et requête. Émerge ensuite une approche orientée usager, massivement représentée dans
le paysage scientifique, qui a vu s’élargir aux besoins réels de l’individu, puis à son environnement social, le cadre d’appréhension des
systèmes d’information et de communication. La réflexion s’est alors
portée sur la façon dont les personnes interagissent avec les outils à
leur disposition, tout d’abord afin d’améliorer ces outils, puis pour
modéliser en tant que tels les comportements de recherche et de navigation. Aujourd’hui, dans la perspective des approches « expérience
utilisateur », il s’agit de comprendre comment fonctionnent ces outils
inséparables de l’interaction avec les personnes, c’est-à-dire non plus
seulement d’adapter le dispositif au comportement et au contexte
de ses usagers, mais de partir de ce comportement et de ce contexte
mêmes pour concevoir de nouveaux dispositifs ou faire évoluer les
systèmes existants.
Il est traditionnellement fait référence aux travaux fondateurs de
Michel de Certeau lorsqu’il est question d’usagers (De Certeau, 1990).
Il convoque, via la métaphore du braconnage, un usager créateur de
son propre usage, transformant de façon inédite les contenus culturels qu’il reçoit. Relative à la singularité, la notion d’usage devient
alors multiple, exprimée selon un continuum allant de l’adoption à
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
l’appropriation. Selon le paradigme de l’appropriation, ce que l’usager fait réellement de et avec l’objet technique se démarque ainsi toujours d’un quelconque mode d’emploi et du projet même de l’innovation. Dès cette définition première de l’usager est perceptible une
distinction fondamentale entre usage et utilisation, ainsi qu’une mise
en évidence de l’hétérogénéité au principe de ces usages (distinction
entre tactiques et stratégies). Cette mise en question de l’individualité et de la capacité du sujet à choisir et à orienter son action se retrouve dans les réflexions terminologiques entre usages et pratiques
(Jouet, 1993). Elle colore finalement toute la sociologie des usages en
France, centrée sur ce que les gens font avec les technologies et sur les
processus d’appropriation individuelle et sociale de ces technologies.
Ce que fait le numérique aux usagers
La question des usagers, de leurs pratiques concrètes et contextualisées de consommation des contenus informationnels, culturels et
médiatiques, grandit avec le déclin des technologies majoritairement
orientées vers la transmission de l’information et la diffusion verticale des contenus. Avec l’entrée en scène des technologies numériques en général, de l’internet et du web en particulier, la question
essentielle est celle de la surabondance de l’offre et des sollicitations,
mais aussi et surtout celle des besoins et des capacités effectifs des
personnes et des groupes à en tirer parti. Ce questionnement est crucial, eu égard aux problématiques renouvelées de la fracture et de la
convergence numériques (Jenkins, 2006).
Lorsqu’il est question de culture numérique, c’est la nature de la relation qui s’instaure entre un collectif et des contenus qui importe, et,
au-delà d’une simple somme d’usages, les éléments de communauté
qui permettent de l’identifier. Si nous définissons donc très simplement et dans une perspective anthropologique la culture comme rapport au monde typiquement humain, non pas opposé à la nature mais
spécifique, il nous est permis de nous poser la question des rapports
entre culture et culture numérique. La culture numérique, et à travers
elle les usages qui sont la culture incarnée et en actes, a-t-elle une
existence en tant que telle, ou est-elle soluble dans les définitions
préalables de la culture ?
La numérisation des contenus et les usages afférents s’enchâssent
ainsi dans les dispositifs préexistants d’externalisation de la
mémoire, en même temps qu’ils obligent à en repenser les modalités et
les enjeux. « […] Il existe une culture propre à la Toile, qui se construit
par un processus de distribution où tous les acteurs ont un rôle à
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Public/usagers
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jouer, ne serait-ce que par les choix et les tris auxquels ils procèdent
entre toutes les sources d’information disponibles, contribuant à une
circulation créative continue d’informations et de savoirs dont aucun
individu ou aucune institution n’a l’initiative […] » (UNESCO, 2005).
Ce qui apparaît ici au cœur de cette circonscription de la culture
numérique, comprise comme culture en tant que telle, ce n’est pas
seulement le processus de numérisation qui la fonde mais la place
centrale qui y est effectivement attribuée à l’usager, acteur social.
Si la culture est l’expression d’une certaine vision du monde, un « être
au monde » proprement humain et qui en tant que tel se décline au cours
des époques et au gré des localisations, elle est basée sur un ensemble
de connaissances et de valeurs, elle est en tant que telle repérable
et structurée, transmissible. Ainsi les usages liés à la numérisation
peuvent-ils être connus comme tels : contribuant à opérer des choix,
ils engagent l’« intelligence de l’usager » (Merzeau, 2010). Cela doit
être mis en résonance avec la diffusion de l’internet dans tous les
secteurs de la vie et de la massification des usages quotidiens tendant
à l’individualité et à l’hypermobilité. Inséparable de la délimitation
de l’usager numérique, paraît la question du contexte des usages,
contextes de plus en plus diffus (e. g. entre sphères intime et privéepublique sur les réseaux sociaux).
Entre public et usagers, la délimitation des termes, et surtout des
enjeux qu’ils portent, est plus que jamais à l’ordre du jour au travers
de la question du choix et du bénéfice réels de l’usage. En effet, les
études pointent la diversité et surtout l’hétérogénéité des situations.
Dans le champ des pratiques culturelles en France, par exemple,
les pratiques numériques sont décrites dans une logique de cumul
comme allant de pair avec un investissement culturel à la fois plus
prononcé et plus diversifié. Cette perspective prolonge les profils
éclectiques de l’omnivorité et de la dissonance. L’usager fait ainsi
face à l’exigence accrue d’une certaine acuité attentionnelle. Il ne
s’agit plus seulement de savoir repérer à quels contenus, marqueurs
d’une certaine légitimité sociale, adhérer, mais prime cette capacité
prise pour elle-même à capter des contenus et à les désigner comme
intéressants ou pertinents, à les partager et à les produire. Or
produire et diffuser un contenu engage l’aptitude à le caractériser
(e. g. sa description au moyen d’étiquettes [tags]), à envisager des
modalités de gestion et de diffusion (e. g. droits d’utilisation). L’enjeu
majeur de cette délimitation du terme d’usager, du point de vue
des individus comme des sociétés, s’énonce en termes de capacités
translittéraciques à accéder aux contenus, à les valider ainsi qu’à les
produire et à les distribuer. Il y va de la capacité de l’usager à agir en
tant que sujet et citoyen.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Usagers numériques et diversité culturelle
La numérisation des contenus et leur mise en circulation sur les
réseaux impactent l’organisation structurelle des modalités de
production/réception des contenus et renouvellent l’appréhension
des processus culturels et d’émancipation. Dans le prolongement des
réflexions portées sur les technologies intellectuelles, les penseurs
de l’internet ont largement soupesé les potentialités d’échange et
de mutualisation, le renouveau d’un possible « vivre ensemble ». De
façon schématique, deux visions se sont longuement opposées : la
communion fusionnelle du « village global » (Lévy, 1997) et la mise en
garde pointant écarts et inégalités accrus (Wolton, 2003).
À l’heure où les usages quotidiens s’affichent à coup de chiffres vertigineux et d’arguments infographiques, cette capacité des individus comme des groupes sociaux à disposer d’eux-mêmes, en toute
connaissance de cause, rejoint la notion polysémique anglaise d’empowerment, souvent traduite par le terme de « capacitation », et désignant à la fois le pouvoir d’agir (un état) et le cheminement pour
atteindre cette autonomie (un processus) (Bacqué et Biewener, 2013).
La distinction opérée par de Certeau entre tactiques et stratégies se
pose ainsi pour les acteurs individuels comme pour les sociétés, et
s’illustre par une fracture numérique de deuxième niveau : au-delà
des problématiques d’accès aux dispositifs, les capacités réelles des
individus et des groupes à tirer parti de cet accès. C’est bien la possibilité d’exprimer, de transmettre, de renouveler son identité, et donc
de nourrir une certaine diversité culturelle, qui est en jeu.
Cette capacité à consulter des contenus mais aussi à en créer rejoint
la thématique plus globale d’« innovation ascendante », émanant du
contexte précis de l’usager et d’un besoin le plus souvent très personnel (Von Hippel, 2005). Le phénomène de désintermédiation souvent associé aux technologies numériques présente ainsi un potentiel
certain pour ces innovations par l’usage et pour le rôle réaffirmé des
acteurs individuels et des communautés, l’internet lui-même devant
beaucoup à l’inventivité de ses contributeurs.
Mais l’innovation ascendante n’est ni totalement spontanée ni dénuée de
toute préoccupation de gouvernance : dès lors faut-il vouloir et savoirfaire pour participer au développement d’un logiciel libre ou d’une
encyclopédie collaborative, pour citer deux exemples emblématiques.
Cela ne doit effectivement pas occulter la nécessité d’une formation
et d’un apprentissage au principe de cette capacité à s’exprimer et à
prendre part à la conversation mondiale. C’est en ce sens que l’innovation
par l’usage ne se substitue pas au modèle vertical de développement
culturel mais renouvelle profondément l’appellation de culture.
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Public/usagers
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Termes liés : agrégation, curation, édition, innovation, jeu,
libre, littératie, médiation numérique du patrimoine, Net Art,
pratiques, propriété intellectuelle, remix, réseaux sociaux,
virtuel
Références
Marie-Hélène Bacqué, Carole Biewener, L’Empowerment, une pratique émancipatrice,
Paris, La Découverte, 2013.
Michel de Certeau, L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, Folio
Essais, 1990.
Henry Jenkins, Convergence Culture : Where Old and New Media Collide, New York
University Press, 2006.
Josiane Jouet, « Pratiques de communication et figures de la médiation », Réseaux,
no 60, 1993.
Pierre Lévy, Cyberculture. Rapport au Conseil de l’Europe dans le cadre du projet
« Nouvelles Technologies : coopération culturelle et communication »,
Paris, Odile Jacob, Éditions du Conseil de l’Europe, 1997.
Louise Merzeau, « L’intelligence de l’usager », in L’Usager numérique, Lisette Calderan,
Bernard Hidoine, Jacques Millet, séminaire INRIA, 27 septembre1er octobre 2010, Anglet. Paris, Éditions de l’ADBS, 2010.
UNESCO, Vers les sociétés du savoir. Rapport mondial de l’UNESCO, Paris,
Éditions de l’UNESCO, 2005 ; lire en ligne http://unesdoc.unesco.org/
images/0014/001419/141907f.pdf.
Éric von Hippel, Democratizing Innovation, Cambridge, Massachusetts, MIT Press,
2005.
Dominique Wolton, L’Autre Mondialisation, Paris, Flammarion, 2003.
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Régulation de
l’internet
Françoise Massit-Folléa
L’épreuve de la complexité
Malgré la Déclaration d’indépendance du cyberespace, lancée de manière provocatrice au Forum économique mondial de Davos, en 1996,
le monde numérique apparaît de plus en plus imbriqué dans le monde
réel. En effet, alors que l’internet a été conçu et d’abord utilisé par
une poignée de laboratoires informatiques publics et privés, principalement aux États-Unis, il irrigue désormais toutes les activités
humaines, il est accessible sur des supports multiples, il s’apprête
à rendre intelligents la plupart des objets qui nous environnent. Et
cela en tout point du globe : pour près de 2,5 milliards d’utilisateurs
à la fin de 2012, la part des pays en développement est passée de 44 %
en 2006 à 62 % en 2011 (source UIT).
Mais cela ne signifie pas que le réseau de réseaux a engendré un « monde
plat » : la diversité des cultures et celle des législations nationales, les
inégalités dans l’accès aux équipements et à la connaissance, la centralisation du management des « ressources critiques » (adresses IP et
noms de domaine) au profit du gouvernement et des entreprises étatsuniennes, tout cela pose la question d’une régulation de l’internet qui
aille dans le sens d’une communication égalitaire et fertile pour tous.
Le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) a posé les
principes généraux d’une « gouvernance de l’internet » démocratique,
mais il n’a pas modifié le statu quo, faute peut-être de distinguer ce
qui relève de la régulation d’un système technique en perpétuelle évolution, d’un nouveau support des échanges économiques, culturels et
sociaux, et d’un véhicule de nouvelles relations politiques.
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Régulation de l’internet
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Le passage à l’échelle, inédit par sa rapidité et son ampleur dans
l’histoire des moyens de communication, s’est accompli sans
modification substantielle des bases techniques de fonctionnement du
réseau de réseaux. Si bien que, au fur et à mesure de son expansion, ont
pu perdurer les valeurs de libre initiative, de méritocratie technique et
de relations entre pairs qui inspiraient le comportement des pionniers,
imprégnés de la contre-culture californienne des années 1960-1970
(Massit-Folléa, 2012). On retrouve ces valeurs chez les développeurs
de logiciel libre et dans les initiatives de « science ouverte » (open
science) (dont les premiers bénéficiaires peuvent être les pays les
moins avancés, où les universités ont un accès limité aux publications
scientifiques), dans les innovations du financement coopératif en
ligne, de la consommation collaborative et des monnaies virtuelles,
qui visent à transformer les règles inéquitables du jeu économique et
financier, ou dans la mise à disposition par les « allumés » (geeks) du
Nord de solutions techniques permettant de contourner la censure en
terres de conflits. Mais elles sont aussi revendiquées par les pirates
et autres Anonymous pour déstabiliser les puissances établies,
voire dans les pratiques décomplexées de téléchargement gratuit de
produits culturels, particulièrement chez les adolescents.
C’est une source de conflits avec beaucoup des lois et des règlements
qui gèrent les sociétés humaines, à quoi il faut ajouter la persistance
des inégalités matérielles et culturelles. Il y a là une ambiguïté fondamentale de l’internet, qui apparaît à la fois perturbateur, révélateur et
producteur de règles (Delmas-Marty, 2012).
L’internet perturbateur de règles
Une première cause de perturbation provient des divergences entre
les Constitutions et les législations des différents pays  : par exemple,
dans le cas des procès intentés contre les entreprises Yahoo ! en 2000
et Twitter en 2012 par des associations françaises militant contre le
racisme et l’antisémitisme, le droit à la liberté d’expression garanti
aux États-Unis par le premier amendement de la Constitution
se heurte aux dispositions du droit français de lutte contre les
discriminations. Deuxième exemple, concernant la protection des
données hébergées dans le nuage (cloud) : le Parlement européen
est encouragé à rouvrir les négociations avec les États-Unis pour
faire reconnaître par les tribunaux américains le droit à la vie privée
dans son acception européenne.
Un autre champ de perturbation concerne les droits de propriété
intellectuelle, qui n’ont pas partout le même périmètre : le fondateur
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
de Megaupload (plateforme de téléchargement basée à Hong Kong
qui aurait rassemblé jusqu’à 50 millions d’utilisateurs dans le
monde) a été accusé d’avoir violé les lois sur le copyright et arrêté en
Nouvelle-Zélande par le FBI (Federal Bureau of Investigation), avant
de relancer une nouvelle plateforme – un an après exactement ! Cette
décision drastique n’a pas fait l’unanimité, loin de là : la commissaire
européenne chargée des Nouvelles Technologies a par exemple estimé
que « la réglementation sur l’internet doit être efficace, proportionnée
et préserver les bénéfices d’un réseau ouvert ».
Enfin on peut évoquer la régulation traditionnelle des médias audiovisuels, emplie d’incertitudes quant à son champ d’action et à la spécificité de ses instances à l’heure de la convergence numérique.
L’internet révélateur de règles
Il est ici question des règles de droit et de celles du marché.
Rappelons comment des secrets d’État ont été révélés, au nom d’un
idéal de transparence absolue, par l’initiative WikiLeaks, aux dépens
de la sécurité des agents secrets et des diplomates concernés. Il y
a plus grave encore, à l’heure de la cyber-criminalité touchant des
entreprises ou des particuliers et de la cyber-guerre entre États : la
surveillance généralisée se dote d’instruments de plus en plus performants, les services de police se spécialisent, les coopérations internationales se multiplient. Ce retour de l’État dans sa mission régalienne
engendre des mobilisations nombreuses, numériques et physiques,
pour défendre la liberté d’expression ou la vie privée, qui sont des
droits garantis par la plupart des Constitutions. Il révèle a contrario
son impuissance à élaborer des législations soutenables dans la durée, vu la rapidité des évolutions technologiques, et dans l’espace, vu
les différences de culture et d’intérêts géopolitiques.
Hormis dans les pays les plus autocratiques, c’est le marché qui a
l’initiative, au nom de la liberté d’entreprendre et des services rendus
aux internautes. La capture des comportements et des identités par
les plateformes des géants du net (Google, Apple, Facebook, Amazon…)
et les exemptions fiscales qu’ils s’arrogent sont désormais mieux
connues. Mais l’échec de la dernière conférence mondiale de l’Union
internationale des télécommunications (UIT) sur la régulation des
communications électroniques montre que l’institution onusienne n’a
pas trouvé les voies ni les moyens d’un nouvel accord multilatéral : ce
fut une caricature de débat, portée par le lobby nord-américain associant gouvernement, entreprises et certaines ONG, qui dénonçait « les
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Régulation de l’internet
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États désireux de prendre le contrôle de l’internet ». Ironie de l’histoire : le scandale du programme PRISM (révélation de la surveillance
généralisée des télécommunications par la National Security Agency
des États-Unis) éclata peu après.
L’internet producteur de règles
Pourtant l’internet est largement considéré comme un moyen privilégié
d’accès à la connaissance et d’émancipation, comme un facteur
essentiel pour la croissance et l’emploi : même dans les pays les moins
avancés, nombre d’innovations en matière de santé, de commerce ou
d’éducation, reposent sur des applications (principalement mobiles)
originales qui trouvent peu à peu leurs marques.
Parallèlement, plusieurs exemples sont à mettre en valeur dans la
construction d’une régulation plus équilibrée.
Le premier concerne un élément essentiel de l’architecture du réseau,
les noms de domaine : l’accord signé en 2009 entre l’ICANN (Internet
Corporation for Assigned Names and Numbers) et l’UNESCO
encourage la création de noms de domaine internationaux, outil de
promotion de la diversité linguistique.
Le deuxième provient de l’expérience inédite de l’encyclopédie en
ligne Wikipédia : d’une part, elle constitue un énorme appel d’air
pour la production et la circulation des savoirs, avec, en janvier 2013,
285 versions localisées par langues ; d’autre part, elle est gérée par des
bénévoles selon des modalités de plus en plus fines qui dessinent au fil
du temps une forme originale de démocratie volontaire (Cardon, 2012).
Un troisième réside dans la dynamique de l’ouverture des données
(open data), issue des mouvements du logiciel libre et de la science
ouverte (open science), dynamique développée désormais par de
nombreux gouvernements, au nom d’une meilleure information des
citoyens, prélude à leur plus grande implication dans la vie publique
démocratique.
Il est donc utile de considérer avec un peu plus d’attention les bénéfices en termes de régulation que peut apporter la consolidation du
lien entre les pratiques diversifiées de l’internet et les principes fondamentaux des droits humains. Cela suppose d’assumer le fait que la
loi n’est pas le seul instrument possible pour réguler les conduites.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
La recherche d’une cohérence
Comme le rappelaient les auteurs de Net. lang (réseau Maaya, 2012),
« l’internet n’est pas neutre culturellement. Ses formats, sa façon de
représenter la réalité, sa topographie, sa gouvernance, ses protocoles
et normes, etc., restent encore liés au milieu anglophone où il est né ».
Question de standards, de normes techniques, mais aussi question
éminemment politique : l’internet symbolise les atouts et les pièges
de la mondialisation.
Assurer la diversité culturelle suppose de réguler le secteur de manière
pragmatique et, plus encore, de soutenir les producteurs de contenus du
monde entier. On peut aussi réfléchir à la construction de plateformes
de diffusion dont l’avantage concurrentiel résiderait dans l’ouverture
et l’interopérabilité, pour multiplier les voies d’accès aux contenus
plurilingues de l’internet, à rebours des nouveaux monopoles.
Pour réguler l’internet dans l’intérêt général des peuples sans compromettre son développement, l’effort en termes d’éducation (y compris l’éducation au numérique), d’une part, de responsabilisation des
acteurs, d’autre part, est un double impératif qui permettra d’associer l’ensemble des parties prenantes à sa gouvernance. L’adossement
aux droits universels fournit un horizon, en même temps qu’un gardefou, pour tenter d’harmoniser les multiples objets et les instances de
sa régulation, en dépit des intérêts contradictoires qui s’y expriment.
C’est à ces conditions que l’internet méritera vraiment le titre de
« nouvel espace public ».
Termes liés : biens communs, codes, données personnelles,
libre, littératie, neutralité du net, normes, piratage, propriété
intellectuelle, vie privée/données personnelles
Références
Dominique Cardon, « Discipline, But Not Punish : The Governance of Wikipedia »,
in Normative Experience in Internet Politics, Massit-Folléa, Méadel et
Monnoyer-Smith, Paris, Presse des Mines, 2012, pp. 209-232.
Mireille Delmas-Marty, « Foreword », in Normative Experience in Internet Politics, op. cit.
Réseau Maaya, Net. lang. Réussir le cyberespace multilingue, C & F Éditions, 2012.
Françoise Massit-Folléa, « Gouvernance de l’internet : une internationalisation
inachevée », Le Temps des médias, printemps 2012, no 18.
Françoise Massit-Folléa, Clément Mabi, « La gouvernance des biens communs. Du
climat à internet, premières leçons d’une comparaison », Communication,
vol. 31/2 | 2013.
Françoise Massit-Folléa, « La régulation de l’internet : fictions et frictions », in Les
Débats du numérique, Maryse Carmes, Jean-Max Noyer (dir.), Paris,
Presses des Mines, coll. « Territoires numériques », 2013, chap. 1, pp. 17-45.
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Remix
Laurence Allard
Dans le contexte sociétal contemporain de l’« individualisme expressif », l’internet peut être considéré comme un espace réflexif d’exploration de son identité personnelle et sociale, à travers des expressions de soi supposant à la fois de s’autoformuler et de donner forme
suivant les termes de Charles Taylor. L’internet peut ainsi être défini,
suivant Michel Foucault, comme une « technologie du soi ».
Le remix ordinaire ou la prose du web
Mais nul ne s’exprime dans le vide. Sur l’internet, on s’exprime et on
interagit à travers des contenus venus d’autrui – amis famille ou sites
de confiance – que l’on a fait siens, que l’on s’approprie symboliquement en les partageant, en les retweetant ou en les commentant. Les
internautes s’approprient ces contenus par différents procédés plus
ou moins standardisés, comme le like de Facebook, sans la plupart du
temps les transformer matériellement. Par conséquent, si les conversations digitales sont constituées de contenus préexistants appropriés selon différents procédés plus ou moins standardisés, le web est
tramé dans une remixabilité profonde, devenue, selon Lev Manovich,
théoricien des nouveaux médias, le principe même de construction de
l’univers des médias digitaux : « La remixabilité profonde ne concerne
plus seulement les professionnels mais également les amateurs, qui
n’ont pas seulement en mains les moyens de production de leurs
propres contenus mais ont également accès aux contenus des professionnels, dans la mainstream database que représente l’internet. »
En bref, chaque internaute s’exprime par remix de contenus sans le
savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Poïétiques du copier-coller
La remixabilité est à l’œuvre dans les pratiques d’expression et
conversationnelles digitales. Il peut s’agir, d’une part, d’une poïétique
ordinaire du copier-coller comme on peut l’observer lors de la
confection des blogs mixant des photos de petits chats, des codes
permettant de lire des clips vidéos (codes embed), des commentaires
d’amis. Mais il existe, d’autre part, des pratiques d’appropriations
transformatives de contenus. On peut mentionner le genre Poop qui
consiste en un tronçonnage d’émissions de télévision, de dessins
animés ou de jeux vidéo (Super Mario, Zelda, Tintin) mixés en petites
unités montées. Il existe donc des appropriations transformatives de
second degré par rapport au copier-coller ordinaire, à la prose du web.
Ce qui suppose différents procédés de transformations du contenu
préexistant comme le retitrage, la recatégorisation, la resonorisation,
le recadrage, le remontage, le remixage de petites unités, le montagecollage (mashup) des contenus intégraux, voire la recréation. Ces
appropriations transformatives font écho à la politique du montage
de Dziga Vertov reprise par les situationnistes : il s’agit de produire un
discours par le montage dépassant le sens interne de chaque image.
Aux origines du remix : détournement filmique
situationniste et cultural jamming
Remixer des contenus préexistants vise à s’exprimer et notamment
à dire son opinion, comme c’est le cas avec de nombreux remixes de
chansons populaires ou de séquences de films sur l’internet. Ce discours politique par détournement d’image s’origine dans le film La
dialectique peut-elle casser des briques ? de René Viénet, en 1973, qui
a proposé un redoublage intégral du film chinois Crush, de Kuangchi Tu, de 1972. Les situationnistes vont pratiquer le détournement
de la culture populaire – cinéma, bande dessinée ou publicité – à des
fins d’expressions politisées. Comme l’écrivent Guy-Ernest Debord et
Gil J. Wolman : « Dans son ensemble, l’héritage littéraire et artistique
de l’humanité doit être utilisé à des fins de propagande partisane. »
Le remix d’opinions sur l’internet prend ses sources dans le détournement filmique situationniste et participe d’un ensemble plus
large désigné comme le détournement ou sabotage culturel (cultural jamming). Suivant Mark Dhery dans son célèbre article de 1997,
« Cultural Jamming : Hacking, Slashing and Sniping in the Empire
of Signs », le terme cultural jamming a été utilisé pour la première
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Remix
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fois aux États-Unis par " le collage band " Negativland pour décrire le
sabotage des médias afin de résister à l’envahissement des flux des
médias de masse. Le studio du cultural jammer est le monde entier.
C’est une catégorie élastique qui recouvre une multitude de pratiques
sous-culturelles : le hacking contre les géants de l’informatique,
la mutilation (slashing), ou les détournements pornographiques de
Star Trek publiés dans les fanzines, magazines indépendants créés
par des fans, pour toutes les formes de brouillage de la consommation de masse. Les piratages radios et télévisés, la contre-surveillance
vidéo, les détournements publicitaires sont les modes opératoires du
cultural jamming.
Sous le remix, la cause du droit d’auteur
Negativland plaide pour le droit de citation, « comme l’a montré
Duchamp, l’acte de sélectionner peut être une forme d’inspiration aussi
originale et significative que n’importe quelle autre ». Dans le contexte
de l’individualisme expressif et d’une réversibilité des rôles culturels
à l’œuvre dans la culture de la participation (participatory culture),
se pose la question de la légitimité socioculturelle et du caractère
juridiquement loyal de ces pratiques digitales transformatives. Car
elles nourrissent le modèle d’affaires du Web 2.0 dit « de production
collaborative » (crowdsourcing), c’est-à-dire l’alimentation du web
en contenus par les internautes eux-mêmes. À travers les différents
procédés de la « conversation digitale » (« liker », partager, commenter)
et des pratiques transformatives de remix, collage-montage et autres
détournements parodiques, les contenus du web sont diffusés, promus
et popularisés gracieusement par les expressions et les interactions
des internautes.
Plaidoyer pour un usage loyal par
et pour les publics
Il existe une notion plaidable d’usage loyal, dite fair use, pour ces
pratiques expressives de remix. Le fair use concerne les usages
transformatifs qui servent un propos et dont la nature supplétive
enrichit le matériel utilisé (Copyright Act, 1976, articles 108-122).
Depuis juillet 2010, aux États-Unis, le fair use est reconnu pour les
remixeurs et les créateurs amateurs qui utilisent des extraits de
DVD pour confectionner de nouveaux travaux non commerciaux dans
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un but de critique ou de commentaire, si ce procédé est nécessaire
à leur propos. Il semble donc juste de plaider pour un usage loyal
par et pour les publics dans le monde, comme certaines politiques
culturelles nationales s’y attèlent.
Termes liés : communication, imaginaire, industries créatives,
Net Art, œuvre, médiation numérique du patrimoine, piratage,
pratiques, propriété intellectuelle, transmédiation
Références
Laurence Allard, « Express Yourself 2.0 ! », extrait de Penser les médiacultures.
Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation
du monde, Éric Macé, Éric Maigret (dir.), Paris, Armand Colin, coll.
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Guy-Ernest Debord et Gil J. Wolman, « Mode d’emploi du détournement », Les Lèvres
nues, no 8, mai 1956.
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in Open Magazine Pamphlet Series, 1997, Open Media Editions, 1993 ;
lire en ligne http://markdery.com/?page_id=154, dernière consultation le
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Michel Foucault, « Subjectivité et vérité », in Dits et Écrits 1981, Paris, Gallimard, 2001.
Jeff Howe, « The Rise of Crowdsourcing », 14 juin 2006, lire en ligne http://www.wired.
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Henry Jenkins, « Convergence Culture », NYUP, New York, 2006, tr. fr. de l’introduction
in « 2.0 ? Culture numérique, cultures expressives », MédiaMorphoses,
no 21, INA-Armand Colin, 2007.
Lev Manovich, « Software Takes Commands », 2008, lire en ligne http://issuu.com/
bloomsburypublishing/docs/9781623566722_web, dernière consultation
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Charles Taylor, Aux sources du moi. La formation de l’identité moderne, Paris,
Le Seuil, 1999.
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Réseaux sociaux
Alexandre Coutant
Des réseaux sociaux aux réseaux
socionumériques
Clyde Mitchell définit les réseaux sociaux comme « un ensemble particulier d’interrelations entre un ensemble limité de personnes avec
la propriété supplémentaire que les caractéristiques de ces interrelations, considérées comme une totalité, peuvent être utilisées pour interpréter le comportement social des personnes impliquées ». Il s’agit
d’un courant sociologique qui considère que l’acteur peut être compris moins par ses caractéristiques individuelles (revenu, âge, sexe,
lieu de résidence, etc.) que par son insertion dans des cercles sociaux.
Ce courant remonte théoriquement aux travaux de Georg Simmel à
la fin du xixe siècle. Il ne connaîtra un véritable essor qu’avec la mise
au point de méthodes de construction et de représentation de ces réseaux, dont les premiers outils ont été proposés par Jacob Moreno
au début des années 1930. Son étude, menée dans un internat pour
jeunes filles, constitue un exemple classique et simple de l’intérêt de
l’approche : en interrogeant les jeunes filles sur leurs amitiés et leurs
inimitiés, Moreno a reconstruit le réseau de sociabilité de ces dernières au-delà de leur affectation en classe ou en dortoir. Il a ainsi
notamment pu expliquer les phénomènes de diffusion lors de fugues.
Son emploi à propos de l’internet a explosé pendant la première décennie des années 2000. Plusieurs plateformes relevant des médias
sociaux, la première recensée étant SixDegrees, se sont elles-mêmes
définies comme des réseaux sociaux. Leur popularité a abouti à ce que
le terme soit employé pour qualifier toutes les plateformes relevant
du Web 2.0. Ce rapprochement reposerait sur l’idée que les réseaux de
relations nouées sur ces sites, souvent appelés graphes sociaux, pour-
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raient être exploités de manière à prédire les actions d’un utilisateur
ou à lui suggérer des contenus et des activités qu’il sera susceptible
d’apprécier. Par exemple, la plateforme pourrait suggérer un film car
les personnes avec lesquelles je suis en relation sur cette dernière
sont allées le voir.
Cet engouement ne va pas sans poser des problèmes de compréhension, bien visibles à travers la multiplicité des termes proposés par
la recherche académique : réseaux sociaux, sites de réseaux sociaux,
réseaux sociaux de l’internet, réseaux sociaux numériques, réseaux
socionumériques.
Le premier problème concerne l’application des théories des réseaux
sociaux à ces sites. Les enquêtes reposent effectivement sur de très
fortes exigences méthodologiques. Premièrement, il est nécessaire de
connaître la finalité du réseau analysé : par exemple en étudiant les
relations ou l’absence de relations au sein d’une entreprise pour vérifier que son organisation fonctionne. De plus, le réseau étudié doit
pouvoir être circonscrit : dans l’exemple précédent, nous pourrons
choisir de ne retenir comme membres du réseau que les employés ou
bien l’élargir aux partenaires de l’entreprise, mais dans tous les cas
il sera possible de constituer un réseau fini. Enfin, il est nécessaire
de connaître les formes de liens noués au sein du réseau pour analyser ce dernier : toujours dans notre entreprise, l’absence de contacts
entre le service de la recherche et le service de l’innovation n’est interprétable comme un problème organisationnel que dans la mesure
où nous avons une conception des liens devant unir ces deux services
dans une organisation. Cela n’interdit pas d’envisager l’emploi de ces
méthodes mais nécessite, pour chaque plateforme, de vérifier qu’il est
possible d’accéder à ces exigences. On constate alors que le cas n’est
pas si fréquent. Qui pourrait définir précisément la forme de relation
qu’entretiennent deux « amis » sur Facebook ?
Le deuxième problème consiste dans l’application indifférenciée du
terme à tous les sites récents peuplant le web. Ces derniers constituent
pourtant un écosystème hétéroclite, composé de plateformes aux
usages très différenciés, soulevant des enjeux radicalement différents.
Le succès du terme a alors pour effet de masquer la diversité des
collectifs retrouvés sur l’internet. En effet, quelle similarité entre
la mise en visibilité de sociabilités quotidiennes sur une page
personnelle de Facebook, la participation à la constitution d’un savoir
collectif ou sa consultation sur Wikipédia, la valorisation de son profil
professionnel sur Viadéo ou la promotion d’une carrière, d’amateur
ou de professionnel, d’un groupe de musique sur une page collective
Myspace ? Rassembler ces dispositifs si différents au sein d’une
même appellation génère davantage de confusion que de clarification.
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Réseaux sociaux
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Détaillons les enjeux associés à une définition précise des réseaux
socionumériques, qui distingue ces plateformes par des caractéristiques formelles : possibilité de construire un profil public ou semi-public au sein d’un système, de gérer une liste des utilisateurs
avec lesquels ils partagent un lien, de voir et de naviguer sur leur liste
de liens et sur ceux établis par les autres au sein du système (mis en
lumière par Danah Boyd et Nicole Ellison), mais aussi par des caractéristiques d’usage : les activités menées sur ces plateformes relèvent
essentiellement de la sociabilité ordinaire et mettent en valeur l’exposition de soi dans son quotidien (Stenger et Coutant, 2011, p. 13).
Facebook constitue aujourd’hui le principal représentant de cette
catégorie, bien qu’il existe d’autres sites comme Skyrock, Renren,
Netlog, Qzone, Hi5…
Insistons à nouveau sur ce point : définis précisément, ces sites
s’éloignent fortement d’autres plateformes qui leur sont pourtant fréquemment associées dans les discours d’accompagnement de l’internet.
Twitter, Linkedin… ont ainsi peu à voir en matière de caractéristiques
des usagers, de formes d’activités collectives, d’enjeux socioculturels
et politiques avec cette forme particulière de dispositif sociotechnique.
Les enjeux d’un monde d’interconnexion
Ces sites prolongent plusieurs enjeux majeurs pour la diversité
culturelle.
Le premier consiste dans la tension entre une appropriation locale de
ces plateformes, aboutissant à des emplois plus ou moins narcissiques,
badins, solidaires selon les pays, et le modèle économique les soustendant, tendant à imposer un unique modèle relationnel fondé sur
le ménagement mutuel, afin que chacun se sente libre de participer,
mais qui encourage une culture du consensus et de la superficialité
des échanges. Il n’est pas anodin que l’on nous propose d’aimer un
contenu, mais pas de ne pas l’aimer. L’exploitation du graphe social
constitué sur un site suppose effectivement une participation soutenue
de tous. Les situations conflictuelles ou controversées risqueraient de
limiter celle-ci. Les échanges sont donc orientés vers le quotidien, et
non vers des questions plus politiques ou sociales. Cela ne constitue
pas un problème en soi. Le problème tient davantage au fait que les
statistiques d’usage soulignent que ces sites occupent une grande
partie du temps passé en ligne.
En revanche, les différents exemples de manifestations politiques,
ces dernières années, à travers la planète ont démontré leur rôle de
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
chambre d’écho. Si les actions n’ont pas lieu sur ces espaces, elles
sont en revanche beaucoup diffusées par leur biais. Si l’engagement
est peu encouragé à la fois par les plateformes elles-mêmes et par les
activités menées par les usagers, le recrutement de personnes pour
les entraîner vers d’autres espaces plus propices à ce dernier, en ligne
ou hors ligne, se révèle bien plus efficace. Les réseaux socionumériques, par leur accessibilité et une certaine forme d’addiction générée par le renouvellement permanent des flux d’informations qui circulent, vampirisent, en partie, nos différents temps d’activité, notamment ceux consacrés à nous informer, ou les temps passés hors ligne
avec les autres cercles sociaux auxquels nous appartenons (famille,
école…). Les usagers ne sont cependant pas démunis face à ce potentiel addictif et apprennent plus ou moins facilement à gérer leurs différents temps de présence connectée. Le rôle des éducateurs, et plus
largement de toutes les formes de médiateurs, s’avère ici essentiel
pour aider les individus à faire de ces outils des supports d’individuation et non d’aliénation.
Cet enjeu est amplifié par la forme particulière d’activité hébergée sur
les réseaux socionumériques. Les personnes les fréquentant davantage pour le plaisir de retrouver leurs contacts que pour une activité
particulière, elles auront tendance à ne soigner qu’un seul profil. La
position d’un acteur comme Facebook se trouve alors favorisée par
effet de club : son attractivité grandit au fur et à mesure que ses utilisateurs se multiplient. C’est ainsi que le site règne désormais sur
la catégorie des réseaux socionumériques, au point où nombre de
ses concurrents ont dû fermer ou se repositionner. La diversité des
formes de sociabilité ordinaire que pourraient incarner différents
sites se trouve résumée au modèle de Facebook.
Un second enjeu a trait aux contenus mis en visibilité. Bien que chacun se voie offrir un espace d’expression, la course à la popularité encourage à sélectionner les contenus partagés. Ces derniers sont
préférentiellement ceux qui ont déjà atteint ou ont le plus de chance
d’atteindre une certaine popularité. Les contenus partagés demeurent
diversifiés, mais la répartition de la visibilité est très inégale : les
bénéficiaires des phénomènes viraux s’avèrent majoritairement les
contenus issus des grandes industries culturelles.
Un troisième enjeu relève de la forme de réseau social constituée. Les
réseaux socionumériques sont effectivement très ancrés géographiquement. Chacun cherche à reconstruire un réseau varié de sociabilités hors ligne : notre collège ou lycée, nos amis actuels et passés,
nos associations ou clubs de loisirs… Très rares sont les rencontres
de parfaits inconnus. Les réseaux socionumériques encouragent à
retrouver des personnes connues hors ligne. Or la sociologie a dé-
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Réseaux sociaux
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montré que nous fréquentons essentiellement des individus aux caractéristiques socioculturelles proches. Cette forme de réseau social
ne constitue pas non plus un problème en soi, et ne le devient que
si sa fréquentation trop régulière finit par nous détourner d’autres
espaces regroupant des personnes aux origines socioculturelles plus
diversifiées.
Permanence et renouvellement
des problématiques sociales
Les réseaux socionumériques donnent une visibilité inédite à un invariant anthropologique : la place centrale des sociabilités ordinaires
dans nos quotidiens. Essentiellement destinées à conserver et à entretenir le lien avec notre entourage, à l’instar des traditionnelles
conversations sur la météo, elles constituent une constante dans les
usages se développant aux quatre coins du monde. En revanche, les
formes que prennent ces activités phatiques se révèlent très diversifiées d’une culture à l’autre : mise en avant plus ou moins assumée de
soi, types de photographies partagées, formes d’activités collectives
davantage orientées vers le jeu, le regroupement sur des groupes puis
pages, des applications tierces ou des invitations de pairs, etc.
Les réseaux socionumériques participent d’un constat d’homophilie
établi plus généralement dans la société, mais ils ne l’ont pas créé.
Ils ont rendu plus visibles des sociabilités ordinaires préexistantes,
mais ont aussi élargi les contextes dans lesquels nous pouvons y
avoir accès. L’enjeu majeur est donc temporel. Il consiste à apprendre
à arbitrer entre les temps consacrés à nos différentes sociabilités, autrefois séparées physiquement, et à apprendre à demeurer attentif à
l’altérité, face à la tentation que représentent ces sites de se conforter
dans le même.
Termes liés : communication, diaspora, e-réputation, langues,
mobile-téléphone portable public/usagers, territoires, vie
privée/données personnelles, virtuel
Références
Danah Boyd, Nicole Ellison, « Social Network Sites : Definition, History, and
Scholarship », Journal of Computer-Mediated Communication, 2013, 1 ;
lire en ligne http://jcmc.indiana.edu/vol13/issue1/boyd.ellison.html.
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Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2011.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
James Clyde Mitchell, « Social Networks », Annual Review of Anthropology, 1974, 3,
pp. 279-299.
Jacob Levy Moreno, Who Shall Survive ?, New York, Beacon Press, tr. fr. : Fondements
de la sociométrie, Paris, Presses universitaires de France, 1954.
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communication, Presses de l’Université du Québec, 2010.
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Soziologie, 1re éd.. allemande 1908), Paris, Presses universitaires de
France, coll. « Sociologies ».
Thomas Stenger, Alexandre Coutant (dir.), « Ces réseaux numériques dits sociaux »,
Hermès, 2011, no 59.
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Sérendipité
Sylvie Catellin
« Sérendipité » a une histoire singulière : issu de contes millénaires, le
mot est entré dans le vocabulaire scientifique au xxe siècle et suscite
de nouveaux questionnements à l’ère du numérique.
Lorsqu’il crée le mot en 1754, l’écrivain anglais Horace Walpole en
donne une définition ambiguë : la faculté de découvrir, par hasard et
sagacité, des choses que l’on ne cherchait pas. Pour désigner cet art de
la découverte, Walpole se réfère à un conte persan, dont il retient un
motif particulier : trois frères, les princes de Serendip, sont capables
de reconstituer l’aspect d’un animal qu’ils n’ont jamais vu en observant ses traces qui fonctionnent comme des indices. Or la reprise de
ce motif n’est pas un geste isolé. D’autres écrivains, comme Voltaire
dans Zadig (1748), avaient déjà repéré ce motif oriental populaire
très ancien, qui s’est transmis oralement et par écrit avec plusieurs
variantes, tantôt de manière autonome, tantôt enchâssé à l’intérieur
d’autres fictions. Lorsqu’il arrive en Europe au xvie siècle, le motif fictionnel figure cette fois comme nouvelle-prologue d’un recueil persan
où les trois frères, devenus en cours de route les princes de Serendip,
poursuivent leurs aventures. Il rencontre un succès considérable et
devient l’objet de nombreuses réécritures. Toutes ces fictions mettent
l’accent non seulement sur la profonde sagacité de personnages capables de réintégrer des faits singuliers dans des séries causales,
mais aussi sur le pouvoir que confère ce savoir. Grâce à leur sagacité,
les trois princes de Serendip deviennent les conseillers de l’empereur ; grâce à sa science, Zadig devient conseiller du roi. Mais, alors
que Voltaire rationalise le processus de découverte, Walpole, lui, est
plutôt sensible au rôle de l’inattendu et de l’imagination. La création
même du néologisme serendipity, sous sa plume, en est une illustration exemplaire. Walpole invente le mot et le définit en réfléchissant
à sa propre faculté de découverte, par association d’idées, dans une
séquence qui associe trois exemples liés à la découverte de liens de
causalité et de filiation. Si la sagacité se situe du côté de la raison, le
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hasard renvoie à cette liberté imaginative propice à l’émergence des
idées incidentes, ces idées non cherchées qui révèlent le sens même
de ce que l’on découvre. La sérendipité implique un dialogue entre
la raison et l’imagination, entre le conscient et le non-conscient. Le
pouvoir de découvrir découle de cette interaction.
De la fiction à la science
Alors que le mot reste enfoui pendant plus d’un siècle dans la volumineuse
correspondance de son créateur, l’idée de sérendipité, elle, circule dans les
textes qui ont repris le motif fictionnel sérendipien. L’histoire de Zadig est
dans toutes les mémoires de ceux qui, au xixe siècle, s’intéressent à cette
forme de raisonnement capable d’inférer les causes à partir des effets.
Bien des écrivains s’en inspirent pour inventer les formes modernes
du récit d’enquête et la figure du détective, cependant que le biologiste
Thomas Huxley s’en sert pour expliquer les fondements de la paléontologie.
Or, à la même époque, ce que Huxley cherche à désigner en se référant à
la " méthode de Zadig ", le philosophe américain Charles Sanders Peirce le
théorise en le nommant « abduction », Freud s’en sert pour reconstruire
des chaînes causales par la psychanalyse et l’appelle association d’idées
incidentes, tandis que les bibliophiles britanniques qui découvrent le
néologisme walpolien l’appellent sérendipité. L’idée de sérendipité, à
la croisée des sciences et de la littérature, s’inscrit dans les processus
d’institutionnalisation de divers savoirs et pratiques mettant en œuvre
l’interprétation d’indices, de la paléontologie à la médecine en passant
par la sémiotique et la psychanalyse.
Le mot se diffuse dans les milieux scientifiques à partir des années 1930.
Walter Cannon, professeur à la faculté de médecine de Harvard, puis
Robert Merton, sociologue des sciences, sont deux figures clés de ce
transfert. Mais, alors que Cannon met l’accent sur les connaissances
conscientes ou non conscientes du chercheur, sollicitées par des
faits ou événements imprévus, Merton rattache la sérendipité au fait
accidentel, à l’anomalie qui entre en contradiction avec les données
établies. C’est ce qui lui vaudra une critique de Bourdieu : « À trop
insister sur le rôle du hasard ou de l’accident dans la découverte
scientifique, on s’expose à réveiller les représentations les plus naïves
de l’invention que résume le paradigme de la pomme de Newton. »
L’appréhension d’un fait inattendu suppose au moins la réceptivité à
l’inattendu et la décision d’y prêter méthodiquement attention. C’est
pourquoi l’expression « découverte due au hasard » ou « découverte
accidentelle », qui s’est largement diffusée comme définition courante
du mot, constitue un raccourci qui occulte la partie essentielle de la
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Sérendipité
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sérendipité. Ce n’est pas la découverte qui est accidentelle, mais la
rencontre du fait jugé surprenant. La découverte a lieu lorsque le fait
inattendu, ou l’anomalie non anticipée, est interprété correctement.
Mais, a contrario, en mettant l’accent uniquement sur les qualités ou
les connaissances du chercheur, on a tendance à minimiser le rôle de
l’inattendu, et donc la dimension imprévisible et non planifiable de la
sérendipité. C’est ainsi que le maintien de la référence au hasard, chez
des scientifiques nécessairement déterministes, peut se comprendre.
Lorsque Fleming prend la parole dans les colonnes du New York Times,
le 4 juillet 1949, l’importance de la sérendipité en sciences n’est plus
à démontrer, ce qui est en jeu c’est la reconnaissance de la part de
créativité dans la recherche et le besoin de liberté du chercheur.
Dans son acception savante, la sérendipité est l’art de prêter attention à ce qui surprend et d’en imaginer une interprétation pertinente.
Cette aptitude est à l’origine de découvertes scientifiques majeures, et
traverse l’histoire de l’art et de la création esthétique. Se pose alors
la question de savoir comment la susciter ou la mettre en pratique,
quand bien même elle est imprévisible.
Le web comme terrain de sérendipité
et de créativité sociale
Au tournant du xxie siècle, la sérendipité prend un sens nouveau avec le
web et les pratiques de recherche d’information. Pour les internautes,
la prise de conscience du phénomène est liée à une pratique de lecture,
la navigation hypertexte. C’est la découverte de liens inattendus ou
incongrus menant à l’information recherchée, ou bien celle des vertus
d’une curiosité attentive permettant d’ouvrir en chemin les portes
vers de précieuses trouvailles.
Les premiers temps du web favorisaient de telles pratiques, qui
relèvent plus de la rencontre que de la recherche d’information.
Avec le développement des moteurs de recherche, la diversité et le
volume croissant de l’information accessible, le web a pu devenir
un opérateur de sérendipité, un dispositif sémiocognitif favorisant
les interconnexions et les combinaisons inédites entre différents
domaines de savoirs, incitant en retour l’usager à construire des
stratégies exploratoires et abductives.
Avec les moteurs de deuxième génération privilégiant les pages les
plus fréquemment citées et l’intrusion des logiques commerciales,
de nouvelles formes de canalisation de l’attention et d’emprise se
sont déployées sur le web. Étant donné l’engouement des internautes
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pour la sérendipité, la notion a été l’objet d’une instrumentalisation
par les moteurs et les réseaux sociaux, aboutissant en fin de compte
non seulement à une supercherie, mais entretenant aussi l’idée
qu’un transfert de la compétence interprétative de l’être humain
à l’outil automatisé est possible. Or la sérendipité n’est pas plus
programmable que planifiable, tout simplement parce qu’elle procède
de l’interaction entre un fait ou une observation inattendue et son
interprétation, et qu’elle relève du rapport singulier et réflexif que
l’individu entretient avec la connaissance.
Favoriser les formes d’utilisation créative de l’information, non pas
trouvée par hasard mais découverte parce qu’ayant été mise en relation et interprétée, passe par l’accès libre aux ressources documentaires, par le développement d’outils et d’environnements augmentés
et partagés, qui stimulent les approches individuelles et collectives
de la sérendipité ainsi que les stratégies autonomes de recherche et
de découverte capables de croiser librement les savoirs.
Termes liés : algorithme, connaissance, connexion,
documentation, fracture numérique, imaginaire, littératie
numérique, territoires
Références
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et le droit. Leçons de l’inattendu, Chambéry, L’Act Mem, 2009.
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Designing for (Un) Serendipity », Comptes rendus de la 7th Conference on
Creativity and Cognition, Berkeley, California, 26-30 oct. 2009, pp. 305314.
Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Jean-Claude Chamboredon, Le Métier de
sociologue, livre 1, Paris, EPHE, Mouton et Bordas, 1968, pp. 36-37.
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Experiences in Medical Research, New York, W. W. Norton, 1945.
Sylvie Catellin, Sérendipité. Du conte au concept, préface de Laurent Loty, Paris,
Seuil, « Science ouverte », 2014.
Olivier Ertzscheid, Gabriel Gallezot, Eric Boutin, « PageRank : entre sérendipité et
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Robert K. Merton, Elinor G. Barber, The Travels and Adventures of Serendipity : A
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Temporalités
Valérie Carayol
Le développement des technologies de l’information et de la communication va de pair avec une accélération des échanges et une
transformation profonde des temporalités sociales. Les temporalités
sont comprises comme un lieu d’intelligibilité du social, en suivant
Marc Bloch, au caractère à la fois collectif et pluriel, « au cœur des
processus de rationalisation, de domination et de résistance ». Elles
recouvrent, si on suit la définition de Jean-Pierre Rouch, des dispositifs de repérage, d’orientation et de synchronisation des activités, les
usages de ces dispositifs, des représentations et valeurs du temps,
des rythmes sociaux.
Le prisme des temporalités permet de pointer quelques phénomènes
et transformations liés aux pratiques des TIC qui ont un impact potentiel sur les questions de diversité culturelle.
Paul Virilio n’a eu de cesse, ces quarante dernières années, de montrer
comment la lutte pour une vitesse toujours plus élevée des échanges
communicationnels représentait un enjeu à la fois militaire et
commercial de poids dans nos sociétés. Si le ton apocalyptique de certains
de ses propos a pu parfois disqualifier son discours, il a cependant
mis le doigt, parmi les premiers, sur un phénomène particulièrement
marquant du développement des phénomènes de communication
que nous connaissons actuellement. La rapidité des échanges est
surtout, dans l’histoire des technologies, un enjeu économique pour les
marchés boursiers et un avantage militaire et géostratégique avéré. Le
moindre avantage temporel, de l’ordre de la milliseconde, dans le cadre
boursier, permet de réaliser des profits considérables, l’automatisation
des décisions programmées sur ordinateur permettant d’en tirer profit
instantanément. Dans le domaine militaire, l’avantage temporel en
termes de vitesse d’information permet de contrer plus facilement
les cyber-attaques, désormais quotidiennes sur des systèmes
d’information stratégiques, comme les attaques plus traditionnelles.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
La rapidité et la réactivité ont toujours été envisagées en tant que
ressources stratégiques essentielles, comme les ailes du dieu Hermès
l’illustrent, lui qui se déplace à la vitesse du vent. Si, comme souvent
en matière de technologies, ce sont donc les applications militaires ou
à fort impact économique qui sont développées en premier pour servir
les objectifs de ces deux secteurs, les retombées d’une accélération
des échanges instrumentés par les technologies de l’information et
de la communication se font désormais sentir dans toutes les sphères
sociales à l’échelle mondiale.
Les technologies de communication ont notamment contribué à modifier en profondeur nos pratiques patrimoniales, nos rythmes sociaux, notre exposition continue au regard des autres, introduisant
de nouveaux facteurs de risques pour la diversité culturelle et d’inégalité entre les sociétés et les hommes. Trois concepts structurent
l’analyse : dans un premier temps, celui de mémoire, lié à la question
de l’archive et de la transmission intergénérationnelle ; dans un deuxième temps, celui d’accélération lié à la question de la suprématie
du temps réel et de l’obsolescence généralisée, enfin celui d’ubiquité
lié à la mise en évidence d’une incommensurabilité des valeurs et des
croyances dans un monde interconnecté et globalisé.
Temporalité et mémoire
La numérisation massive des biens culturels (livres, archives, images,
données diverses), entamée à vive allure par les pays les plus riches
et autorisée par les TIC, constitue un phénomène nouveau qui interroge la question de la mémoire intergénérationnelle et celle de la
transmission culturelle. Elle laisse supposer un enregistrement quasi
éternel et des possibilités inédites pour figer, pour les générations
futures, des ressources culturelles variées, parfois en voie de disparition. Très précieuses en termes de diversité culturelle, ces initiatives
posent déjà d’innombrables problèmes en termes de coût énergétique
et de maintenance. Un format d’enregistrement a aujourd’hui une viabilité d’une dizaine d’années. Il faudra convertir régulièrement tous
ces fichiers pour espérer préserver ces trésors enregistrés. On évalue
à un tiers des dépenses énergétiques nationales d’ici à vingt ans, le
maintien de la pérennité des données numériques enregistrées, si les
coûts de stockage ne diminuent pas et si de nouvelles technologies ne
sont pas mises au point.
La question du coût de la pérennisation des données culturelles pour
des sociétés aux faibles moyens financiers se pose avec acuité, de
même que la sobriété et les choix drastiques qui devront être réalisés
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Temporalités
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en termes de contenus à sauvegarder. Si l’on a cru pouvoir un temps
tout conserver pour les générations futures, sans rien classer ni trier,
et laisser aux algorithmes futurs le soin de mettre de l’ordre dans
les data ou données ainsi accumulées, cette vision des choses cède
le pas devant la réalité économique du stockage numérique. La raison économique interfère ici avec le champ culturel et politique, avec
toutes les incertitudes qui peuvent être associées à cet état de fait.
La numérisation du patrimoine offre à la fois des opportunités et des
défis immenses, d’ordre culturel, politique et technologique, à toutes
les sociétés de la planète, qui sont encore peu pris en compte dans la
réflexion sur la diversité culturelle.
Temporalité et accélération
Les technologies numériques, comme l’ont souligné Paul Virilio et
plus récemment François Hartog ou Hartmut Rosa, mettent au centre
du jeu social la question du temps réel, de la réactivité, et leur développement va de pair avec une accélération des échanges qui semble
quasi continue. Symptôme de l’hyper-modernité dans les sociétés
dites « avancées », l’accélération permanente des rythmes de vie et des
échanges produit des effets non souhaités que l’on commence à mesurer à l’échelle individuelle, organisationnelle et sociétale. L’usage sans
limite des technologies mobiles et l’hyper-connexion des adolescents
suscitent l’inquiétude dans la sphère éducative. La mise en place de
mesure des risques psychosociaux en entreprise identifie désormais
ce que l’on dénomme le « techno-stress », lié à l’usage intensif des TIC.
La suprématie du temps réel, la centration sur l’instant, que François
Hartog qualifie de « présentisme », est préoccupante à la fois en termes
d’anticipation, de réflexion stratégique dans la sphère sociale, et
désormais en termes de santé publique. Si Michel Foucault a défini le
pouvoir comme la capacité d’ôter aux autres leur capacité d’anticipation,
on mesure aussi le danger d’un espace social gouverné par l’instant,
laissant peu de place à l’imaginaire, qui demande de l’inaction pour
s’épanouir. On mesure aussi les écarts culturels qui s’accentuent dans
l’usage du temps entre sociétés, entre individus et groupe sociaux.
L’urgence des nantis, des cadres en surchauffe s’oppose à l’inaction
des individus, par défaut, chômeurs qui tuent le temps.
La valorisation de l’urgence, du Nord au Sud, engendre des exclusions de toute nature. Accélération, obsolescence : la dépendance aux
technologies engendre aussi une course effrénée à l’acquisition de
nouveaux outils, rendus nécessaires par l’obsolescence programmée
des terminaux de communication par les fournisseurs de technologie
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ou de solutions logicielles. Cette obsolescence généralisée des biens,
notamment technologique, symptôme de ce que Zygmunt Bauman appelle la « société liquide », engendre un sentiment de retard permanent. Le mouvement des logiciels libres, n’obligeant pas à changer de
terminal de communication au gré des décisions des conglomérats
technologiques, constitue un enjeu réel dans nos sociétés, qu’elles
soient démunies ou en crise, pour essayer de maîtriser les coûts de la
technologie, aussi bien pour l’économie familiale que pour les organisations et les États. Si le budget nourriture d’une famille a baissé
ces dernières années au profit des technologies numériques de loisirs
(téléphonie, informatique, jeux), une hausse non maîtrisée des coûts
de l’usage des technologies engendrera des inégalités encore accrues
entre sociétés, surtout pour celles qui ne seront pas pourvues de capacités industrielles dans ce domaine. Aider à combler le « fossé numérique » dans l’accès à la technologie, du Nord au Sud, reste un défi ;
rester synchrone et dans le nouveau rythme des échanges mondialisés, un challenge supplémentaire.
Temporalité et ubiquité
Les technologies de communication permettent une certaine forme
d’ubiquité : nous pouvons être en plusieurs lieux à la fois, et surtout
dans le même temps. Dans notre salon, mais aussi, par le biais d’une
émission télévisée en direct, ou par l’internet et la vidéotransmission,
dans notre communauté pour les personnes en diaspora, dans notre
famille à l’autre bout du monde pour les personnes en mobilité, ou
encore dans un lieu totalement étranger et culturellement très différent. Cette capacité qu’ont les TIC de nous relier en temps réel à des
environnements culturellement divers conduit à une mise en scène
permanente de la disparité et de la différence culturelle. Certes, le
réseau internet n’est pas exempt de frontières virtuelles : on n’accède
pas dans le monde entier à des contenus illimités, et la censure sévit
sur l’internet comme ailleurs. Les frontières bien réelles du monde
se manifestent dans l’espace numérique de l’internet, dont la gestion
n’est pas exempte d’enjeux économiques et politiques.
L’ubiquité généralisée engendre cependant des phénomènes de
comparaison sociale accrus. Désormais, chacun peut voir comment
vit son voisin très éloigné, en temps réel, et prend conscience de sa
condition et de l’incommensurabilité des valeurs et des croyances
sur toute la planète. Cette nouvelle donne, liée à la mondialisation
médiatique notamment et à la circulation des produits culturels,
peut mettre en péril une culture de la paix, comme elle peut
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favoriser l’autonomie et la lutte pour une liberté et des droits
nouveaux. La facilité d’accès en temps réel au réseau internet
autorise la diminution des intermédiaires traditionnels que sont les
journalistes dans l’accès aux médias et à l’espace public, rendant
plus facile l’expression des individus. Elle autorise aussi les
pratiques médiatiques des mouvements terroristes, sûrs de voir la
moindre de leur intervention commentée quasiment en direct dans
les journaux télévisés du monde entier.
La responsabilité collective est engagée sur plusieurs défis dont l’issue contribuera à définir la façon dont notre génération, la première à
produire non seulement des connaissances encore matérialisées sur
des supports physiques mais aussi des documents dits « nativement
numériques », saura transmettre aux générations futures ce qu’elle
juge essentiel. Si la maîtrise des TIC est un atout, ces dernières peuvent
se révéler, en cas de grave crise énergétique mondiale ou de conflit, un
point de faiblesse considérable. Le nuage (cloud) ou l’« informatique
dans le nuage », en raison de sa faible rusticité, est aujourd’hui un
avantage des sociétés technologiquement avancées, mais peut demain
devenir leur talon d’Achille, un facteur d’amnésie catastrophique.
Pour conclure, nous soulignerons que le mythe d’une synchronie mondiale, expérimentée par certaines multinationales, tout comme l’imposition d’une urgence, subie par beaucoup, incitent aussi à considérer les dimensions temporelles de l’action instrumentée par les TIC
dans leurs dimensions sociopolitiques de façon à ne pas occulter les
dynamiques hégémoniques qui peuvent les soutenir.
Termes liés : connexion, fracture numérique, mobile/téléphone
portable, navigation, cartographie, territoires
Références
Nicole Aubert, Christophe Roux-Dufort, Le Culte de l’urgence. La société malade du
temps, Paris, Flammarion, 2009.
Zygmunt Baumann, La Vie liquide, Chambon, Éditions du Rouergue, 2006.
Valérie Carayol, Alain Bouldoires (dir), Discordances des temps. Rythmes,
temporalités, urgence à l’ère de la globalisation de la communication,
Pessac, éd.. de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2012.
François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris,
Le Seuil, 2003.
Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, Paris, La Découverte,
2010.
Paul Virilio, Vitesse et politique. Essai de dromologie, Paris, éd.. Galilée, 1977.
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Territoires
Jean Pascal Quiles
Les hommes vivent aujourd’hui une grande partie de leurs échanges
quotidiens à partir du numérique, comme utilisateurs, acheteurs, diffuseurs, producteurs, créateurs… Cette technologie, génératrice de
réalité, produit des espaces et des territoires nouveaux qui interagissent de manière déterminante sur l’évolution des sociétés et sur la
capacité de cohabitation des cultures.
Espaces numériques
L’espace est déterminé par les perceptions et les représentations humaines. Il est construit au travers des codes culturels de son observateur et représente le rapport existentiel de l’individu avec son environnement, il lui permet de constituer des relations, des connexions…
L’internet crée un nouvel espace relationnel entre les hommes et permet
à la fois le déplacement dans le cyberespace et la mobilité dans l’espace physique. Le terme de « cyberespace » pourrait faire penser à une
entité homogène, il n’en est rien, à l’image de l’espace interstellaire, il
est en expansion permanente, il constitue une pluralité de mondes et
une nébuleuse dont personne ne peut explorer ni même appréhender la
totalité. Qualifié à tort de virtuel, cet espace bien matériel produit aussi des effets très concrets sur les territoires : consommation considérable d’énergie et nuisances environnementales non négligeables. Il est
constitué d’une multitude de fragments qui reflètent les différences ou
les inégalités sociales, économiques, culturelles des sociétés. Ce processus peut aller jusqu’à la relégation sociospatiale et la marginalisation des populations ou des territoires non numériques. Bien que perçu
comme n’ayant ni centre ni gouvernement, cet espace est fortement polarisé à partir de quelques sociétés bien territorialisées et essentiellement nord-américaines (ICANN, Google, Microsoft, Apple, Amazon…).
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Territoires
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L’internet recompose l’espace public en laissant libre cours à
la sensibilité et à l’initiative des individus. Les frontières et les
relations descendantes entre l’espace public traditionnel et l’espace
du quotidien sont bouleversées par l’émancipation des publics
permise par le web. En brouillant le rapport entre espace privé et
espace public, l’internet remet en question les espaces de liberté. Les
tensions entre les partisans d’un espace libre et ceux qui souhaitent
créer des délimitations calquées sur le monde ordinaire sont
symptomatiques de ce phénomène. En pratique, le numérique est un
outil de développement de la démocratie tout autant qu’un vecteur de
contrôle des populations, des espaces et des territoires. La traçabilité,
dans l’espace et le temps, des mouvements et des goûts des individus,
leurs comportements dans les lieux publics ou privés sont autant de
paradoxes d’un cyberespace qui, sous couvert de la liberté de naviguer,
ne se cache pas d’une observation et d’une exploitation permanentes
des données personnelles.
Pourtant, beaucoup continuent de voir le web comme un univers
libre permettant l’expression de tous dans un espace public élargi.
Certains, comme John Perry Barlow, ont été jusqu’à formuler la
Déclaration d’indépendance du cyberespace. De ce point de vue et au
regard de la diversité des expressions culturelles, la reconnaissance
de biens communs numériques, de logiciels libres et d’espaces d’accès
collectifs encourage de manière déterminante l’accès au savoir, à
la liberté d’expression, à la créativité artistique et à l’innovation
scientifique.
Territoires numériques
Si l’espace est un enjeu de pouvoir, on considère le territoire comme
un produit du pouvoir. Le territoire, construction sociale, est le support de la représentation politique et de l’identité collective. Espaces
et territoires ont en commun d’être protéiformes selon la manière dont
ils sont perçus, vécus, imaginés par chacun d’entre nous… De plus en
plus, avec la mobilité, on constate la multi-appartenance, ou la non-appartenance, revendiquée des populations à certains territoires.
Le territoire ordinaire devient numérique lorsque des investissements
massifs en infrastructures et en matériels sont réalisés autour d’un
projet de territoire incluant l’accès, l’information et trop peu souvent
la prise en compte et la formation des populations aux usages du
numérique. Le territoire numérique se caractérise par une démarche
identitaire et concurrentielle faisant appel aux ressources naturelles
et culturelles locales mises en scène autour d’une réinterprétation du
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territoire, ou « territoriographie », dans laquelle les industries créatives jouent un rôle déterminant.
Si le numérique donne de la visibilité aux territoires, il n’annule pas
pour autant les effets de métropolisation ou de mise en périphérie de
certaines villes, régions ou États. On constate en effet la domination
des « villes mondes » (global cities) et la marginalisation des territoires
plus fragiles, ce qui peut engendrer des conséquences graves pour
les populations et l’accès aux ressources culturelles. Quant aux territoires numériques dits « ruraux », ils n’ont de chance de se développer qu’en interaction forte avec les logiques des aires métropolitaines
dominantes. Cependant, le numérique permet le désenclavement du
territoire. Par exemple, en Catalogne, des villages isolés accèdent au
spectacle vivant ou, lors du festival Sonar, des villes participent mutuellement à un concert en direct. Les études sur les pratiques culturelles montrent d’ailleurs que le numérique ne diminue pas le pouvoir des lieux physiques, au contraire il le démultiplie. À partir des
technologies numériques ; le territoire peut produire des carrefours
culturels de rencontre et de production ouvrant des fenêtres sur les
réseaux et les échanges invisibles, proposant aux populations une
matérialisation des espaces numériques.
L’espace géographique et l’espace-temps sont fortement sollicités par
le numérique, comme le montre la reconstitution virtuelle de territoires ordinaires non seulement parcourus au présent mais aussi revisitant le passé ou se projetant dans l’avenir. Le territoire imaginaire
prend alors toute sa dimension, jusque dans les jeux vidéo qui à leur
tour influencent les représentations de notre quotidien. Réalité augmentée, géolocalisation, puces RFID (Radio Frequency Identification)
… Plus on parcourt le territoire ainsi numérisé, plus le besoin de repérage et de connaissance des lieux réels s’amplifie, notamment dans
leurs dimensions culturelle et historique (expositions, monuments,
lieux de mémoire, musées, cinémas, festivals…), ce qui représente un
enjeu essentiel pour la créativité artistique comme pour la connaissance mutuelle des populations, des communautés, des cultures.
Justice spatiale, action publique territoriale
et diversité culturelle
L’étude du numérique dans ses relations à la diversité culturelle
passe par un souci de justice spatiale, c’est-à-dire par la capacité des
populations et des territoires à accéder à l’espace numérique et à y
cohabiter équitablement. En effet, il nous faut aborder les conver-
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Territoires
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gences possibles entre les cultures à partir de la question de la cohabitation des espaces et des territoires. Or le numérique progresse
très irrégulièrement dans l’espace géographique car il n’est pas détachable de sa contrepartie territorialisée. L’espace numérique est géopolitiquement sensible, il est le reflet de la société qu’il prolonge, de
la situation des individus et des pouvoirs publics qui le constituent.
De ce fait une grande partie de l’humanité n’a toujours pas accès à cet
espace, avec des conséquences certaines sur le respect des droits et
de la diversité culturels.
Le développement de l’espace numérique joue un rôle démultiplicateur
dans la mondialisation car il est un des facteurs constitutifs de ce
phénomène. L’espace numérique permet aux territoires comme aux
individus de développer leur réputation, d’afficher le récit qu’ils
souhaitent faire reconnaître par les autres. Le territoire, loin de
disparaître ou de se fondre dans un village global, renforce son identité
et ses différences. À la fois lieu d’émission et de réception, il prend, grâce
au numérique, une dimension symbolique plus forte par sa réécriture
et sa représentation permanente. Pour autant, le territoire numérique
reste dépendant de ses atouts classiques : de son positionnement
géographique, de son patrimoine culturel, de son potentiel créatif,
des économies d’agglomération (faisceaux de serveurs [clusters],
districts…), du potentiel humain et de son niveau de qualification, des
mobilités. Ce point laisse entrevoir l’extrême contraste des situations
locales (villes connectées [cybercities], e-territoires…). De plus, le
numérique peut fragiliser le territoire en l’exposant à des cyberattaques ou même à des cyber-conflits, c’est pourquoi des polices ou
des armées sont aujourd’hui affectées à cet espace.
Il est possible d’intervenir dans l’espace numérique en visant le développement des pratiques collaboratives à partir des territoires, c’est-àdire en recherchant une gouvernance plus favorable à la cohabitation
des cultures, au « vivre ensemble » et à l’épanouissement de la diversité
des expressions culturelles. C’est du point de vue des usages qu’il faut
être particulièrement vigilant, ce qu’Amartya Sen nomme les « capabilités » (capabilities) des populations. Afin de développer ces capabilités
dans un contexte de forte diversité culturelle, Gilberto Gil ; lorsqu’il
était ministre de la Culture du Brésil, a mis en œuvre les « Points de
culture », forme d’acupuncture numérique du pays, l’État fédéral n’intervenant que comme l’accompagnateur d’une initiative locale. Il s’agit
là d’un exemple d’élaboration d’une politique territocollaboratives
prialisée faisant appel à l’innovation, en vue d’installer des pratiques
ar le numérique autour de projets concrets portés par les utilisateurs.
L’accès à la connaissance et la construction d’un imaginaire, d’un récit commun en appui sur les services publics constituent une matrice
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essentielle pour le développement humain et la mise en relation ou en
cohabitation des cultures. Elle se heurte aux inégalités sociales ainsi
qu’à la multiplicité des ressources et à la fragmentation de l’espace
public de l’information. La mise en cohérence et l’accessibilité sociale
des ressources représentent un défi pour les pourvoir publics comme
pour les acteurs et les institutions du domaine culturel. À cet égard,
la notion de « droits culturels » devrait permettre de prêter attention
aux populations et aux territoires plutôt que de privilégier un message culturel et sociétal formaté unilatéralement par les industries
culturelles ou les pouvoirs publics.
La condition effective de l’exercice des droits culturels et de
l’expression de la diversité des cultures nécessite une véritable
régulation publique. L’internet nous invite à créer des espaces et
des territoires de régulation, d’expériences et surtout de sociabilité.
Il s’agit notamment d’imaginer de nouveaux sites ou équipements
connectés et participatifs qui permettront de repérer, d’analyser,
d’accompagner les pratiques numériques. Par exemple, les Living
Labs, composés d’acteurs publics, privés et de la société civile,
proposent de nouvelles formes de compétences partagées et
intergénérationnelles, ils permettent de former les populations et de
tester des usages nouveaux, des services… Le défi pour les acteurs
publics est de contribuer au développement humain par la promotion
de la diversité des cultures en inventant un autre service public à
partir des espaces et des territoires numériques.
Termes liés : augmentation, communautés, connexion,
diasporas, fracture numérique, mobile/téléphone portable,
navigation/cartographie, public/usagers, virtuel
Références
Boris Beaude, Internet. Changer l’espace, changer la société, Paris, FYP Éditions, 2012.
Déclaration de Fribourg, Observatoire de la diversité et des droits culturels,
Université de Fribourg, chaire UNESCO sur les droits de l’homme et la
démocratie, 2009.
Olivier Donnat, Les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique,
enquête 2008, ministère de la Culture et de la Communication, Paris,
La Découverte, 2009.
Michel Lussault, L’Avènement du monde. Essai sur l’habitation humaine de la Terre,
Paris, Le Seuil, 2013.
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Transmédiation
Julie Gueguen
La notion de « transmédiation » fut évoquée pour la première
fois en 1991 par Marsha Kinder, qui considère alors le concept de
transmédiation intertextuelle dans le but d’expliciter l’adaptabilité
des enfants dans leur interaction avec des personnages de fiction,
quelle que soit la plateforme médiatique utilisée (un même personnage
et une même narration proposeront un amusement différent selon
qu’ils seront représentés à la télévision, dans une bande dessinée, en
jeu vidéo, ou bien sous la forme d’un jouet). C’est cependant Henry
Jenkins qui, dans un article rédigé en 2003 pour la Technology Review
du MIT (Massachusetts Institute of Technology), reprend le terme de
transmédiation et crée le principe de transmédiation narrative pour
illustrer l’avènement de la narration multi-plateformes des fictions
grand public. Il intègre ce principe à sa réflexion sur la culture de
convergence et le popularise dans le milieu de la recherche, puis
auprès de l’industrie médiatique, comme processus narratif répondant
aux attentes de spectateurs ayant développé de nouvelles habitudes
technologiques (l’utilisation quotidienne et parfois simultanée de
la télévision, de l’ordinateur, de la console de jeux vidéo ou bien du
téléphone portable).
Le principe de transmédiation narrative, tel qu’il est entendu par
Jenkins, peut être subdivisé en deux catégories distinctes. La
première représente l’approche corporative, tandis que la seconde
représente l’approche culturelle. Chacune de ces approches représente
un processus narratif unique visant à l’extension d’un contenu
médiatique, dans sa continuité ou par sa multiplication.
L’approche corporative est un acte de co-création, où plusieurs secteurs de l’industrie médiatique vont collaborer à un même projet afin
de développer son contenu sur de multiples plateformes, et cela de
façon simultanée. Chaque plateforme propose une extension dans la
continuité de ce qui était proposé ailleurs, offrant ainsi un tout nar-
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ratif cohérent que le spectateur pourra explorer à loisir. Jenkins parle
alors de « synergistic world-making », c’est-à-dire la maximisation
du potentiel narratif d’un contenu par la création d’un univers vaste
et complexifié.
La première occurrence de transmédiation corporative accessible
au grand public eut lieu en 1999, lors de la sortie de The Blair Witch
Project. Ce film d’horreur à budget réduit a marqué les esprits grâce
à l’ingéniosité de ses producteurs, qui, par le biais de l’internet, ont
fait circuler toute une série de documents visant à jeter le trouble sur
l’éventuelle réalité de leur fiction. Des mois durant, les spectateurs
avides de sensations ont perpétué la rumeur, collectant ces documents
en se persuadant que les victimes n’étaient pas des acteurs mais de
véritables étudiants dont le documentaire aurait été retrouvé, puis
diffusé au cinéma. En 2003, la trilogie Matrix a marqué une étape
décisive dans la démocratisation du principe de transmédiation
corporative en déployant son univers transmédia tentaculaire, tant au
cinéma qu’en jeux vidéo, au travers de bandes dessinées et de mangas
diffusés sur l’internet ou bien en DVD. Depuis, la majorité des créateurs
de fictions grand public utilise la transmédiation, fidélisant leurs
consommateurs en leur promettant une expérience multi-plateforme
plus enrichissante, divertissante et sans nul doute plus addictive.
L’approche culturelle est un acte d’appropriation où les consommateurs de contenus médiatiques ayant développé un attachement émotionnel envers une fiction vont la transformer, puis la faire recirculer
sur de nouvelles plateformes médiatiques. Chaque transformation
propose une extension narrative par la multiplication des interprétations du contenu original, offrant ainsi l’opportunité au spectateur
de maximiser le potentiel narratif d’une fiction de façon individuelle
et illimitée.
Ce processus fait partie intégrante de la réflexion de Jenkins sur la
culture participative, autrement dit la diversification de la culture
de masse par le biais des communautés de fans (fandoms). La distinction entre les multiples exemples de transmédiation culturelle
peut se réaliser par mode opératoire ou bien par fandom, bien que
la dernière option soit particulièrement fastidieuse étant donné l’innombrable quantité d’occurrences disponibles. Cependant, si chaque
composante de la constellation de fandoms présentes sur l’internet
possède son propre sociolecte, sa propre hiérarchie et ses propres
convictions, toutes partagent un mode opératoire identique dans leur
appropriation de la culture de masse.
La première étape passe par la consommation de la fiction choisie
sur sa plateforme d’origine (télévision, cinéma, livre ou jeu vidéo).
La seconde étape, provoquée par le désir de prolonger l’interaction
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Transmédiation
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avec cette fiction, passe par le choix d’une méthode d’appropriation
(fanfiction, fan art ou fan video) et la sélection d’une scène ou d’un
aspect à transformer. Enfin, la dernière étape passe par la diffusion
de cette extension narrative sur une nouvelle plateforme médiatique,
où elle trouvera un nouveau public pour la consommer, puis peut-être
la transformer à nouveau !
Il est judicieux de considérer la notion de transmédiation narrative
dans les débats sur la diversité culturelle et numérique, étant donné
son caractère particulièrement ambivalent. En effet, selon l’approche
choisie, la transmédiation peut représenter à la fois une opportunité et
une menace pour la diversité culturelle. Si l’on prend l’exemple de l’approche culturelle, où le caractère monochrome de la culture de masse
passe par le prisme de l’appropriation et de l’interprétation individuelle, la transmédiation devient un atout indéniable de la diversité.
En revanche, si l’on observe de plus près l’exemple de l’approche corporative, il est aisé d’y discerner une volonté de contrôler l’interprétation qui sera faite d’un contenu, quelle que soit la plateforme utilisée
pour le diffuser. Lorsque l’industrie médiatique parle de transmédiation, si les plus optimistes (et ils sont légion !) n’y voient que le prolongement et l’enrichissement du divertissement de masse, il s’agit
en réalité d’une tentative de verrouillage corporatif de la culture. En
proposant des extensions narratives prêtes à l’emploi, l’industrie médiatique impose un monologue interprétatif de ses propres contenus
aux spectateurs et exclut de ce fait toute velléité créative de leur part.
Le but d’une telle manœuvre est à la fois de protéger sa propriété
intellectuelle sur plateformes multiples et d’étendre son marché potentiel en instrumentalisant le désir du consommateur de prolonger
son interaction avec une fiction. Ces considérations constituent une
réelle menace pour la diversité, puisque le capital culturel de la transmédiation devient économique, et sa valeur, purement commerciale.
S’agit-il pour autant d’une situation où la diversité des expressions
culturelles se trouvera à terme altérée ? Les fandoms succomberont-elles un jour au nivellement culturel imposé par l’industrie médiatique ? La transmédiation narrative ne va-t-elle constituer qu’une
stratégie marketing de plus ? C’est au public qu’il appartient d’en
décider même si, à l’heure actuelle, des études de réception transmédia tendent déjà à mettre en exergue une certaine ambiguïté dans le
processus d’appropriation de contenus médiatiques par ce dernier.
Bien que d’intensité variable selon la fandom, cette ambiguïté place
généralement le consommateur dans le rôle du censeur, tentant luimême de contrôler l’interprétation qui sera faite de sa fiction de prédilection en vantant les mérites d’un paradigme narratif dérivé d’une
perception commune du contenu original (le canon). S’il n’empêche
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pas l’émergence d’interprétations multiples, cet appel au conformisme peut avoir des conséquences sur la structure hiérarchique de
la communauté de fans, selon qu’il sera suivi ou non, les individus
récalcitrants, ostracisés par le reste de leur communauté, se voyant
ainsi souvent condamnés au silence, voire à l’exil virtuel. Il convient
alors de s’interroger : les communautés de fans succombent-elles
déjà au nivellement culturel qu’elles s’imposent à elles-mêmes ?
Termes liés : co-construction, communautés, économie des
œuvres sous format numérique, édition, industries créatives,
industries culturelles, jeu, pratiques, propriété intellectuelle,
public/usagers, remix
Références
Julie Guéguen, « Espressioni e pratiche degli autori di fanfiction. Il caso Bones »,
in Media Mutations : gli ecosistemi narrativi nello scenario mediale
contemporaneo. Spazi, modelli, usi sociali, Modena, Mucchi Editore, 2013.
Henry Jenkins, Convergence Culture. Where Old and New Media Collide, New York,
New York University Press, 2006.
Henry Jenkins, « Transmedia Storytelling », MIT Technology Review, internet,
15 janvier 2003 ; lire en ligne : http://www.technologyreview.com/
news/401760/transmedia-storytelling/, dernière consultation le 1er juin
2014.
Henry Jenkins, « Transmedia Storytelling 101 », Confessions of an Aca-Fan, internet,
22 mars 2007 ; lire en ligne http://henryjenkins.org/2007/03/transmedia_
storytelling_101.html, dernière consultation le 1er juin 2014.
Marsha Kinder, Playing with Power in Movies, Television and Video Games. From
Muppet Babies to Teenage Mutant Ninja Turtles, Berkeley, University of
California Press, 1991.
Philippe Le Guern (dir.)., Les Cultes médiatiques. Culture fan et œuvres cultes, Presses
universitaires de Rennes, 2002.
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Vie privée/données
personnelles
Mélanie Dulong de Rosnay
Développement des législations européennes
Les premières législations sur la protection de la vie privée ont
accompagné le développement du fichage dans des bases de données
informatisées dans les années 1970 en Allemagne, en Suède et en
France. C’est après l’affaire du SAFARI (Système automatisé pour les
fichiers administratifs et le répertoire des individus), en 1974, qui
visait à l’interconnexion des fichiers de l’administration, que la CNIL
(Commission nationale de l’informatique et des libertés), est mise en
place pour veiller à ce que l’informatique ne porte pas atteinte aux
libertés individuelles ni à la vie privée. Le principe de la loi éponyme
de 1978 est la déclaration a priori des traitements de données à caractère
personnel, définies à son article 2 comme « toute information relative à
une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement
ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou
plusieurs éléments qui lui sont propres. Pour déterminer si une personne
est identifiable, il convient de considérer l’ensemble des moyens en vue
de permettre son identification dont dispose ou auxquels peut avoir
accès le responsable du traitement ou toute autre personne ».
La loi pose des obligations pour la conservation de ces données :
les principes de finalité, de proportionnalité, d’exactitude, d’accès,
de rectification et de sécurisation des données. La directive européenne 95/46/CE sur la protection des données personnelles reprend
le principe de consentement expresse ou opt-in, qui s’oppose à la pratique du opt-out où le citoyen doit explicitement interdire l’usage de
ses données personnelles.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Les risques du traitement de grandes masses
de données et des traces involontaires
Le développement des capacités de traitement des grandes masses
de données (big data) et les révélations, en 2013, d’Edward Snowden
sur l’existence de programmes de surveillance d’agences de renseignements en dehors de tout contrôle juridique donnent une ampleur
sans précédent à la question de la protection de la vie privée sur
l’internet. La collecte d’informations par les fournisseurs de service
s’accompagne de la constitution de traces numériques involontaires
par les internautes, lors de l’utilisation de tout système d’information
connecté à l’internet, permettant le profilage comportemental et le
ciblage à partir des recherches et des visites.
Le traitement de données personnelles peut avoir de simples visées
marketing, mais il peut aussi mettre en danger plus gravement la vie
privée et la sécurité des personnes qui sont réidentifiées par simple
croisement de données même anonymisées. Associées à des données
de géolocalisation, les techniques de fouilles de données (data mining) permettent non seulement de proposer des services personnalisés, d’influencer les comportements, mais aussi de réduire l’espace de liberté. Elles peuvent conduire à des décisions d’exclusion,
par exemple l’appréhension d’individus potentiellement soupçonnés
de pratiques déviantes dans les dossiers scolaires, dans les profils
des passagers aériens ou dans l’appréciation du risque de crédit. Les
technologies de surveillance permettent de suivre les activités des
employés et des membres de la famille sans qu’ils en soient informés. L’absence de maîtrise technique et juridique sur le devenir de ses
propres informations, renforcée par la réidentification et la collecte
involontaire, menace le libre arbitre et la liberté d’expression.
Les stratégies de réappropriation
de ses propres données
L’analyse des données personnelles présente certains avantages pratiques, comme la mise à disposition de services personnalisés. Le
phénomène de quantification de soi consiste à la captation de ses
propres données, par exemple liées à sa santé avec une application
sur son téléphone intelligent, afin d’en extraire des corrélations dans
un but médical personnel et pour aider la recherche. Cette pratique
se situe dans la lignée du partage volontaire des données publiques
ou scientifiques lié au mouvement pour « l’accès ouvert aux données
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Vie privée/données personnelles
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(open data). Certains actent la fin de la vie privée avec la divulgation
volontaire d’informations sur les réseaux sociaux, dans lesquels les
données personnelles de l’utilisateur constituent le produit qui est
vendu à des entreprises, en échange desquelles l’utilisation du service est gratuite. La réalité des pratiques sociales est plus complexe
et les adolescents développent des stratégies associant la révélation
de l’intime avec des codes masquant la signification réelle des messages aux personnes extérieures.
D’autres proposent de mettre en place des mécanismes juridiques de
réappropriation de ses propres données sur la base des droits de propriété ou des droits de personnalité, du droit à l’oubli ou du droit à la
désindexation des moteurs de recherche. L’accès à ses propres données collectées par des gouvernements et des entreprises privées est
une question économique, juridique, éthique, politique et technique :
tout le monde n’a pas la capacité d’analyser ces données, de les visualiser pour mieux les comprendre ou en extraire des connaissances.
La vie privée peut être perçue comme contextualisée, impliquant de
concevoir les conditions de collecte et de partage de données afin de
refléter le choix informé d’une personne en lien avec l’utilisation à laquelle elle consent. Et le consentement éclairé d’une personne à partager ses données personnelles ne peut pas vraiment être obtenu en
lui imposant d’accepter un contrat d’une dizaine de pages au moment
de la souscription à un service. Le projet de 2012 de réglement européen sur la protection des données prévoit que les informations données aux personnes devraient être transparentes et compréhensibles,
la portabilité des données est également prévue.
Enfin, on voit se développer l’usage de la cryptographie et de services d’anonymisation pour chiffrer ses communications et limiter
ses traces numériques. Ces applications se développent à la destination non seulement des informaticiens, mais aussi du grand public et
des communautés à risque : les journalistes et les avocats qui doivent
protéger leurs sources, les lanceurs d’alerte, les dissidents et les militants des droits humains menacés par des régimes politiques répressifs qui surveillent les communications et les données personnelles.
Les mécanismes législatifs et réglementaires de protection de la vie
privée pouvant sembler inefficaces face aux capacités techniques de
surveillance des entreprises et des gouvernements, l’autorégulation
et le développement d’outils de gestion des données personnelles
incluant le cryptage et la privacy by design paraissent la meilleure
voie à même de garantir le respect de la vie privée et des libertés
individuelles.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
La négation de la diversité des approches
La diversité des positionnements éthiques et des stratégies de
valorisation et de protection des données personnelles reflète des
différences importantes selon les régions du monde, les approches
culturelles et les idées politiques, les modèles économiques, les
systèmes juridiques et les capacités techniques individuelles et
collectives, reproduisant les divisions et les rapports de pouvoir
observés classiquement par les analyses critiques du libéralisme.
La vision occidentale de la vie privée oppose les normes anglo-saxonnes
plutôt utilitaristes aux valeurs européennes continentales plus déontologiques, chacun des deux modèles de contrôle informationnel se
retrouvant exporté dans les technologies et les systèmes juridiques.
Aux États-Unis, la réglementation des données personnelles est fragmentée entre des législations sectorielles favorisant la collecte par
les entreprises commerciales, qui vont typiquement détenir par défaut les données générées par les utilisateurs, qui pourront bénéficier d’une possibilité de retrait. Au contraire, l’approche européenne
privilégie le consentement explicite des individus qui bénéficient de
droits auxquels ils ne peuvent pas renoncer, imposant des coûts aux
entreprises et aux administrations qui n’ont pas le droit d’utiliser
les données pour un autre propos que celui pour lequel elles ont été
collectées, et après que le consentement a été obtenu.
Le droit au respect de la vie privée fait l’objet de l’attention de la
Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, et la protection des données
personnelles est soumise à de nombreuses normes régionales, les
normes européennes étant les plus détaillées.
La transposition du concept individualiste de vie privée et les conceptions alternatives ont été moins étudiées dans les cultures dont les
législations et les applications ne reflètent pas nécessairement les
valeurs protégeant l’entreprise privée et la personne individuelle, les
entités de base des systèmes occidentaux de contrôle des données personnelles. En Chine, les informations sur la famille ou la communauté
seront encore peut-être plus sensibles que les données personnelles
des individus. Au Japon, la personne pourra être protégée comme appartenant à un groupe. L’Inde s’est dotée en 2011 d’une législation sur
la protection des données personnelles collectées par le secteur privé uniquement. L’Argentine a été reconnue par la Commission européenne comme le premier pays d’Amérique latine à donner un niveau
de protection adéquat aux données personnelles.
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Vie privée/données personnelles
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La majorité des grands services et plateformes en ligne se situant aux
États-Unis, leurs conditions d’utilisation ne sont pas favorables aux
utilisateurs. Leur modèle de stockage, centralisé et en nuage, rend
les données personnelles vulnérables. Les consommateurs européens
pourront bénéficier de la protection que le droit communautaire
accorde aux données personnelles à la condition qu’un contexte
techno-juridique favorable parvienne à émerger. Cela implique que la
recherche et les entreprises européennes développent des services en
ligne concurrents des plateformes américaines et aux architectures
décentralisées. Il sera également nécessaire que l’Europe parvienne
à imposer des valeurs de confidentialité et de respect de la vie privée
dans le règlement européen sur la protection des données et les
accords bilatéraux comme le Partenariat transatlantique de commerce
et d’investissement (TTIP).
Termes liés : communautés, communication, connexion,
e-réputation, éthique, normes,
Références
Dan Burk, « Privacy and Property in the Global Datasphere », in Information
Technology Ethics : Cultural Perspectives, in Soraj Hongladarom, Charles
Ess (éds), 2007, Hershey, Idea Group Reference, pp. 94-107.
Jessica Eynard, « L’éthique à l’épreuve des nouvelles particularités et fonctions des
informations personnelles », Éthique publique, vol. 14, no 2, 2012.
Toby Mendel, Andrew Puddephatt, Ben Wagner, Dixie Hawtin et Natalia Torres,
Étude mondiale sur le respect de la vie privée sur l’internet et la liberté
d’expression, UNESCO, 2013.
Masahiko Mizutani, James Dorsey, James H. Moor, « The Internet and Japanese
Conception of Privacy », Ethics and Information Technology, 2004, vol. 6,
no 2, pp. 121-128.
Helen Nissenbaum, « A Contextual Approach to Privacy Online », Dædalus, Journal of
the American Academy of Arts & Sciences, 140 (4), Fall, 2011, pp. 32-48.
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Virtuel
Patrick Schmoll
L’adjectif « virtuel », comme sa forme substantivée « le virtuel », désigne aujourd’hui couramment l’ensemble de ce qui se passe dans un
monde numérique, sur un ordinateur ou sur l’internet.
Dans le champ des technologies numériques, le terme se réfère à l’origine plus strictement à la « réalité virtuelle », entendue comme un dispositif informatique capable de simuler, à travers des images de synthèse stéréoscopiques, des mondes tridimensionnels artificiels dans
lesquels, par sollicitation de plusieurs de nos sens (vision, audition
mais aussi kinesthésie) on peut s’immerger et se déplacer. Ces dispositifs ont des applications multiples dans la recherche et dans l’industrie, dans un but d’expérimentation, de prototypage ou de formation. Dans le grand public, ce sont les applications de loisirs qui sont
les plus connues : espaces de rencontre dans des mondes virtuels 3D,
tels que Second Life, ou jeux vidéo massivement multi-joueurs en
ligne, tels que World of Warcraft.
Le terme est cependant plus ancien que son usage en informatique.
Il désigne alors, en philosophie ou en littérature, des objets ou des
mondes inactuels. La notion de virtuel remonte en effet à la scolastique
médiévale, où le terme virtualis qualifie un être ou une chose dans un
état potentiel, en programme, susceptible d’actualisation. C’est ainsi
que l’arbre est virtuellement contenu dans la graine, que l’embryon
peut être considéré comme un être humain virtuel, ou plus généralement que l’effet est contenu dans la cause, et inversement la cause
présente virtuellement dans l’effet. C’est à ce sens philosophique que
se réfèrent des auteurs comme Gilles Deleuze (1968), Philippe Quéau
(1993) et Pierre Lévy (1998) quand ils utilisent le terme, y compris,
pour ces deux derniers, quand ils l’appliquent aux réalisations numériques. Même l’expression « réalité virtuelle » est attribuée, bien avant
le sens qu’elle prend en infographie, à Antonin Artaud (1938), qui décrit ainsi le théâtre en le rapprochant du processus alchimique.
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Virtuel
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L’usage informatique du terme contredit en première approche son
usage philosophique. Dans un cas, le virtuel désigne des objets ou
des mondes infographiques qui sont actuels mais immatériels, dans
l’autre, il désigne des objets ou des mondes potentiels, qui sont au
contraire inactuels mais peuvent devenir matériels, comme le papillon virtuellement contenu dans la chrysalide.
Cependant, les images de synthèse ont besoin d’une procédure, d’une
écriture algorithmique pour s’actualiser. De ce point de vue, le code
informatique contient virtuellement l’image de synthèse qui en est
l’actualisation à l’écran, ce qui permet de rapprocher cette dernière
aussi bien des êtres vivants en ce qu’ils sont contenus virtuellement
dans leur code génétique, que des univers de fiction en ce qu’ils sont
virtuellement contenus dans le scénario décrivant les personnages,
leur environnement et leur histoire. Le virtuel est ainsi une notion qui
a permis une convergence d’univers de référence, techniques, philosophiques, littéraires, jusque-là disjoints.
La notion de virtuel s’est imposée dans le grand public avec le développement des techniques d’imagerie de synthèse à partir des
années 1980. Mais son succès tient à ce que ces techniques se sont
offertes comme un paradigme pour penser également le virtuel
dans le sens philosophique qu’il avait antérieurement, et au-delà pour penser les rapports entre réalité et fiction. Des auteurs de
science-fiction comme William Gibson (1984) ou Neal Stephenson
(1992) décrivent une société dans laquelle les humains vivent au
quotidien à l’intérieur de mondes virtuels infographiques constituant une réalité alternative au monde désenchanté de la réalité.
Des films comme Matrix (1999) mettent en scène l’idée que la réalité
pourrait n’être qu’une hallucination consensuelle, ce qui invite à
une mise en doute, une déconstruction du social en tant que représentation partagée.
La texture sociale du virtuel
En tant que paradigme, le virtuel nourrit une réflexion qui déborde
le seul cadre des univers infographiques. Le terme a ainsi très tôt
désigné les premières expériences sociales en ligne, dans des univers
tels qu’Habitat de Lucasfilm en 1986, bien qu’ils ne fassent pas appel
à l’imagerie de synthèse et proposent en fait une navigation écran par
écran dans un univers visuel en 2D faiblement réaliste (Morningstar
et Farmer, 1991). Howard Rheingold (1993) introduit la notion de
« communauté virtuelle » pour désigner des groupes qui se forment
sur l’internet avec une certaine stabilité, bien que le support tech-
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
nique de leurs échanges puisse être strictement textuel, comme un
forum ou un espace de dialogue en ligne (chatroom).
Le virtuel finit par désigner toute expérience de confrontation avec ce
qui se passe à l’écran d’un ordinateur et sur l’internet. Quand le terme est
utilisé, il connote toutefois le plus souvent une expérience vécue comme
se déroulant dans un espace, ainsi que l’indique le vocabulaire associé :
" visites " virtuelles, " galeries " virtuelles, " rencontres " virtuelles sur
les forums et dans les espaces de dialogue, etc. Ce sont les échanges en
ligne qui, en se soutenant de l’idée que l’on se rencontre nécessairement
« quelque part », produisent l’effet d’immersion des interlocuteurs dans
un espace. Et comme cet espace n’est pas matériel, tangible, ni même
souvent visualisable, il est qualifié de virtuel.
Un risque pour la diversité culturelle ?
L’explosion du numérique accompagne la mondialisation. Le
virtuel constitue l’un des aspects d’une évolution qui va vers la
dématérialisation des produits et des services, ainsi que des circuits
monétaires, accélérant la délocalisation et la concentration des
entreprises, la dérégulation des marchés, l’extension à l’ensemble du
globe d’un modèle économique, social et culturel hégémonique.
Le brassage des internautes au sein d’espaces virtuels en ligne accessibles à tous depuis n’importe quel point du globe conduit à une
uniformisation des codes de sociabilité. Les sites internet se ressemblent, qu’ils soient en 2D ou en 3D, les représentations répondent
à des standards compréhensibles par tous. L’anglais s’impose comme
lingua franca dans les univers en ligne.
L’anonymat et les jeux de masque (avatars et pseudonymes) encouragés par les mondes virtuels permettent à des personnes stigmatisées
par leur couleur de peau ou un handicap visible d’intégrer plus aisément des cercles qui leur seraient ou leur sembleraient autrement
inaccessibles. Mais cette intégration renforce paradoxalement la
norme du groupe, puisqu’il est plus facile de s’y conformer. L’enquête
de Wagner James Au (2008) sur Second Life montre que la diversité
apparente des avatars disponibles dissimule la préférence du public
pour les avatars à peau claire : les internautes adoptent rarement un
avatar à peau noire, et les Noirs eux-mêmes préfèrent les avatars à
peau blanche.
Un autre danger du virtuel réside dans l’artificialisation de l’autre,
aussi bien dans la gestion de la rencontre que dans celle de la violence.
La pornographie et les sites de rencontre fournissent des standards
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Virtuel
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de la rencontre sexuelle et amoureuse qui posent problème essentiellement parce qu’ils tendent à être les seuls largement disponibles,
écrasant ainsi la diversité des références. Les jeux vidéo violents
mais également l’utilisation militaire des techniques d’imagerie virtuelle dessinent une représentation abstraite de l’adversaire comme
« cible », ce que renforce une terminologie aseptisée : « nettoyage »,
« frappes chirurgicales ». Ce traitement de la réalité par l’image trouve
son prolongement dans son utilisation par la presse télévisée, comme
on a pu l’observer à l’époque de la seconde guerre du Golfe.
Un lieu de créativité, d’interrogation
et de diversité
Ces dangers sont cependant équilibrés par une évolution des humains
dans leur rapport aux images : plus celles-ci deviennent réalistes,
et donc trompeuses, culminant dans les effets spéciaux du cinéma
et des jeux vidéo, plus nous exerçons nos capacités à les décoder
pour éviter de s’y laisser prendre (Revue des sciences sociales, 2005,
Schmoll, 2011). Philippe Quéau (1993) est l’un des premiers à avoir
repéré les effets de l’anonymat des réseaux, qui permettent entre
internautes l’adoption d’une diversité de rôles. L’incertitude sur
l’identité de l’autre provoque projections et déceptions. Mais ces
déceptions et la conscience de jouer soi-même des rôles divers sur
les réseaux provoquent des effets de déconstruction de soi et de la
relation à l’autre. Elles permettent de se rendre compte que l’on n’est
pas là où l’autre nous regarde, et en retour de se prémunir contre les
projections que nous faisons sur l’autre. Il y a une fonction éducative
du virtuel, jusque dans ses effets de leurre (Schmoll, 2012).
Le virtuel est également le terrain d’une créativité accrue, source
en soi de diversité culturelle par la profusion des réalisations qu’il
autorise. La possibilité de fabriquer des univers graphiquement élégants et réalistes permet d’exposer et de simuler des environnements
éloignés et exotiques, d’y faire s’exprimer des cultures, y compris les
plus minoritaires, qui y exposent leur patrimoine. Les galeries et les
musées virtuels reproduisent les œuvres qu’elles peuvent mettre en
scène de manière plus libre et plus inventive que dans des espaces
physiques limités en surface et en volume. Des scénarios interactifs
sous forme de jeux complètent le musée réel, font intervenir, outre les
acteurs traditionnels, les municipalités, les agences de tourisme nationales et locales, les associations mobilisées sur un thème.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Termes liés : algorithme, communautés, e-réputation,
imaginaire, jeu, navigation/cartographie, public/usagers,
réseaux sociaux, territoires
Références
Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1938.
Wagner James Au, The Making of Second Life : Notes from the New World, New York,
HarperCollins, 2008.
Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, Presses universitaires de France, 1968.
William Gibson, Neuromancer (roman), tr. fr. Neuromancien, Paris, La Découverte,
1985.
Pierre Lévy, Qu’est-ce que le virtuel ?, Paris, La Découverte, 1998.
Chip Morningstar, F. Randall Farmer, « The Lessons of Lucasfilm’s Habitat »,
in Cyberspace : First Steps, M. Benedikt (éd..), Mass., Cambridge,
Massachussetts, The MIT Press, 1991.
Philippe Quéau, Le Virtuel. Vertus et vertiges, Paris, Champ Vallon/INA, 1993.
Revue des sciences sociales (2005), no 34, « Le rapport à l’image », Strasbourg,
Université de Strasbourg.
Howard Rheingold, Virtual Reality, New York, Simon & Schuster, 1992.
Howard Rheingold, Virtual Community, tr. fr. (1995) Les Communautés virtuelles,
Paris, Addison Wesley, 1993.
Patrick Schmoll, La Société terminale 1. Communautés virtuelles, Strasbourg,
Néothèque, 2011.
Patrick Schmoll, La Société terminale 2. Dispositifs spec [tac] ulaires, Strasbourg,
Néothèque, 2012.
Neal Stephenson, Snow Crash (roman), tr. fr. (1996) Le Samouraï virtuel, Paris, Laffont,
1992.
Laurent Trémel, Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia, les faiseurs de mondes, Paris,
Presses universitaires de France, 2001.
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Postface
La diversité culturelle et le
numérique : un nouveau défi
pour l’UNESCO
Jean Musitelli
Voici une publication qui vient parfaitement à son heure, et il faut
savoir gré à ses deux promoteurs et à la pléiade de spécialistes qu’ils
ont mobilisés d’avoir engagé et gagné ce pari ambitieux. Pour la première fois, en effet, un ouvrage se propose d’explorer, dans l’intégralité de ses implications, la relation, à la fois critique et féconde, entre
diversité culturelle et technologies numériques. Il vient à son heure
d’abord parce qu’il répond à un besoin du public d’y voir clair sur
des concepts, des outils et des pratiques souvent entourés d’un rideau
de fumée idéologique ou d’un jargon technique qui en occultent le
sens et en rendent l’appropriation ardue. Son opportunité tient aussi
à ce que la question est désormais inscrite sur l’agenda des instances
nationales et internationales où elle a vocation à être débattue et à
l’être, de préférence, sur des bases rigoureuses et objectives, comme
c’est le cas dans ce Glossaire.
On redécouvre cette évidence trop vite perdue de vue que le combat
pour la diversité culturelle est un enjeu sans cesse renaissant. Les
points marqués n’y sont jamais définitivement acquis. L’objectif à atteindre se déplace au gré des mutations de l’équilibre géopolitique et
du paysage technologique qui influent sur l’activité et les pratiques
culturelles. Aujourd’hui, c’est la révolution numérique, avec sa fulgurante radicalité, qui pose en termes inédits la question de la diversité
culturelle telle que l’UNESCO en a défini les principes et lui a donné
forme juridique en adoptant, en 2005, la Convention sur la protection
et la promotion de la diversité des expressions culturelles, ratifiée
depuis lors par 133 États.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Le concept de diversité culturelle émerge sur la scène internationale
dans le contexte de la première mondialisation, celle des années 19801990, sur fond d’idéologie néolibérale triomphante. Il constitue la réponse stratégique des acteurs culturels aux atteintes qu’une globalisation non régulée, mue exclusivement par la logique du marché, était
susceptible de porter à la culture en imposant des règles commerciales
aux œuvres de l’esprit, ravalées au rang de simples marchandises. Ces
atteintes étaient de trois ordres. En premier lieu, l’instauration d’un
modèle hégémonique, forgé par une poignée de grandes firmes oligopolistiques et conduisant à la standardisation des expressions et à
l’appauvrissement des contenus. Ensuite, le démantèlement des politiques culturelles publiques dénoncées par les ultralibéraux comme
autant d’entraves à la liberté des échanges. Enfin, le développement
inégalitaire des échanges culturels mondiaux, marqué par une double
asymétrie, entre le Nord et le Sud, d’une part, et entre les deux rives
de l’Atlantique, de l’autre.
Pour endiguer ce courant dominant et remédier à l’inefficacité de postures défensives de type protectionniste ou identitaire, la Convention
de 2005 opère un véritable renversement copernicien. Elle proclame
que la diversité culturelle est, dans l’ordre juridique, un principe
non moins légitime que la liberté du commerce et qu’il doit acquérir
force de loi internationale. Elle fonde cet axiome sur la double nature
des biens et services culturels qui relèvent, certes, de la sphère des
échanges économiques, mais qui sont, avant tout, des productions à
haute intensité symbolique non réductibles à leur valeur marchande.
De ces prémisses découlent, d’une part, le droit des États à soutenir
la création par des dispositifs de régulation et de financement appropriés, dès lors que leur intervention n’est pas un alibi du protectionnisme ; d’autre part, l’obligation morale pour les pays les plus riches
d’aider les moins avancés à produire de façon autonome et à mettre
en circulation leur propre production culturelle dans le cadre de partenariats internationaux équitables.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Cet acquis, résultat d’une bataille que
l’UNESCO a su mener en son temps avec intelligence et énergie, est
fragilisé par ce qu’on appelle couramment la révolution numérique.
Des bouleversements technologiques de ces dix dernières années, certains s’empressent de tirer la conséquence que la Convention serait
frappée d’obsolescence : à la fois inutile et inopérante. Inutile parce
que le numérique générerait de la diversité par un effet de sa vertu
propre ; inopérante parce que les outils de régulation classiques seraient privés de portée efficace dans le monde numérique. La vérité
est que, si la transition numérique invite fortement à ajuster le champ
d’application et les modalités de mise en œuvre de la Convention
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Postface
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de 2005 en vue d’assurer son effectivité et sa pérennité, elle ne remet
pas fondamentalement en cause les principes sur lesquels elle repose
ni les finalités qu’elle s’assigne.
Tel est le nouveau défi qui s’offre à l’UNESCO et à ses États membres :
faire de l’émergence du numérique l’occasion de fortifier et d’enrichir
la Convention de 2005. Laquelle reste un instrument indispensable
en raison des effets ambivalents de l’écosystème numérique sur la
diversité culturelle. D’un côté, en effet, la technologie numérique
présente une opportunité sans précédent de stimuler la création et
d’élargir l’accès du public aux œuvres en surmontant une multitude
de freins et d’obstacles rencontrés dans l’univers physique. De l’autre,
le fonctionnement réel de l’économie numérique tend à stériliser ces
potentialités positives et à cannibaliser les contenus culturels au
seul profit d’intérêts commerciaux. Soit la révolution numérique sera
pilotée et orientée vers le bien commun par des politiques culturelles
appropriées, soit ses bénéfices seront confisqués au nom d’une logique
purement marchande et instrumentale.
L’écosystème numérique tel qu’il se déploie depuis une décennie se
caractérise par des formes nouvelles de concentration. Les effets de
réseau et d’innovation permettent à une poignée de firmes géantes
d’acquérir des positions dominantes dans des délais très courts.
L’internationalisation des échanges propre à l’internet se traduit par
l’entrée en force sur les marchés nationaux d’acteurs privés extérieurs
qui échappent aux mécanismes de régulation et de financement. La
pratique de l’optimisation fiscale, en particulier, permet aux géants du
net de s’exonérer de toute participation au financement de la création.
Pour les acteurs globaux très puissants (le « GAFA ») qui dominent
des marchés spécifiques et connexes (celui de la recherche, celui des
interactions sociales, celui des systèmes d’exploitation, celui de la
distribution des œuvres, etc.), la production culturelle est vue comme
un contenu à exploiter, la diversité ne constituant pas un impératif
prioritaire au regard de leur stratégie de captation de clientèle. La
consécration de modèles d’affaires d’intermédiaires repose sur un
transfert de valeur des producteurs de contenus vers les opérateurs
de diffusion et sur une stratégie abusivement dite de la « gratuité »
qui érode le consentement à payer et mine le droit d’auteur. Tout
cela s’accompagne de la mise en place de systèmes propriétaires qui
limitent l’interopérabilité des supports, brident certains usages et
maintiennent des prix anormalement élevés au regard des gains de
productivité obtenus par la dématérialisation, incitant par là même
une partie des consommateurs à se tourner vers l’offre illégale.
Du fait de ses caractéristiques, l’économie numérique comporte donc
des effets directement préjudiciables à la diversité culturelle. La pro-
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
fusion tant vantée de l’offre culturelle numérique ne garantit pas
la diversité des expressions qui la composent. Les phénomènes de
concentration, de marchandisation, de standardisation, déjà présents
dans les industries culturelles traditionnelles, se retrouvent, avec une
vigueur amplifiée, dans l’économie numérique. Sur les marchés mondiaux, les effets de concentration sur des produits « stars », recommandés par les nouveaux prescripteurs, contrebalancent largement
les gains en termes de diversité. La captation de la valeur par les acteurs du net au détriment des producteurs de contenus et des ayants
droit comporte un risque de tarissement du financement de la création et d’un assèchement du renouvellement des talents.
Si l’on admet que cet écosystème ne génère pas spontanément de la
diversité, force est alors de considérer que la régulation publique,
nationale et internationale, demeure nécessaire pour en garantir la
préservation. Et elle est non seulement indispensable mais, contrairement à certaines prédictions défaitistes, elle est possible pour peu
que la volonté politique d’agir et le recours à des procédures efficaces
soient au rendez-vous.
Le paradoxe dans cette affaire n’est pas que les forces qui dominent les
nouveaux marchés de la culture numérique cherchent à s’affranchir de
la régulation publique en invoquant son inutilité, voire sa ringardise,
comme le faisaient il y a vingt ans les majors du cinéma et de la musique, mais bien que les institutions publiques, États et organisations
internationales, n’aient réagi que mollement face à cette nouvelle donne.
La situation est néanmoins en train d’évoluer dans le bon sens. C’est
ainsi que, s’adressant à la 37e Conférence générale de l’UNESCO,
le 7 novembre 2013, le ministre français des Affaires étrangères,
Laurent Fabius, a déclaré que l’un des grands défis qui s’offrent
à cette organisation est de « garantir la diversité culturelle et
linguistique à l’heure d’internet ». Lui répondant, le lendemain, la
directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, a affirmé avec force
que « la diversité culturelle doit être garantie à l’ère d’internet, pour
que le numérique soit un vrai moteur d’épanouissement et non
d’aplanissement culturel », en relevant que la Déclaration universelle
sur la diversité culturelle de 2001 et la Convention de 2005 « sont
davantage que des instruments juridiques : ce sont les abécédaires
de la nouvelle économie créative, de nos identités plurielles, de nos
sociétés diverses et connectées. » La Commission française pour
l’UNESCO avait de son côté pris, dès 2011, l’initiative d’installer
en son sein un groupe de travail « Diversité culturelle/numérique »,
réunissant les administrations concernées, les représentants de la
société civile et les meilleurs experts de la question. Ce groupe s’est
attaché à sensibiliser les pouvoirs publics à la nécessité de remettre
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en chantier la réflexion sur la diversité culturelle. C’est de ses travaux
et réflexions qu’est notamment issue la présente publication.
Cette volonté politique hautement affirmée doit désormais trouver
sa traduction dans des décisions concrètes. Le calendrier offre l’opportunité d’accélérer la manœuvre. En décembre 2014 se tiend la
8e session du comité intergouvernemental prévu par l’article 23 de
la Convention. Il est indispensable qu’à cette occasion un vrai débat puisse s’ouvrir sur l’application de la Convention à l’ère numérique. L’année 2015 sera celle du 10e anniversaire de l’adoption de la
Convention. C’est l’occasion d’en faire autre chose qu’une manifestation purement commémorative en mettant en chantier les mesures
d’application qui assureront à la Convention toute sa pertinence dans
l’univers numérique.
En effet, bien qu’elle n’ait pas été conçue dans et pour un environnement spécifiquement numérique, la Convention de 2005 n’a nullement
cantonné le principe de diversité culturelle à l’univers pré-numérique. Elle permet d’appréhender les enjeux spécifiques du numérique
pour peu que soient définis les paramètres appropriés. Nous mentionnerons à titre d’exemple trois points d’application susceptibles
d’être explorés. Ils sont relatifs aux articles 6, 14 et 20 et pourraient
déboucher sur l’élaboration de directives opérationnelles prévues au
point 6 (b) de l’article 23 ou sur toute autre modalité pratique qu’il
appartiendrait à la Conférence des parties de définir. Il est superflu
de rappeler ici que le marbre dans lequel sont gravées les conventions
internationales n’interdit pas, bien au contraire, d’en faire une application créative en fonction des mutations du contexte dans lequel
elles interviennent. L’UNESCO a montré qu’elle savait gérer ce genre
de situation. L’exemple le plus probant en est donné par la Convention
de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial culturel et
naturel dont les « Orientations devant guider la mise en œuvre » ont
été remaniées à diverses reprises pour tenir compte de l’évolution du
concept de patrimoine.
Le premier point d’application concerne le droit proclamé des États
à soutenir la diversité des expressions culturelles et à adopter à cette
fin des mesures réglementaires ou financières (articles 2 et 6). D’une
part, les instruments réglementaires (quotas, contrôles aux frontières,
soutien aux services publics) ou financiers (aides publiques, régulation
des prix) s’avèrent de peu d’effet face aux modes opératoires de
l’écosystème numérique : fonctionnement en réseau, évaporation des
frontières physiques, dématérialisation des contenus, accès universel
aux données, échanges directs entre internautes. D’autre part, la
montée en puissance des plateformes géantes du net, dotées d’une
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
force de frappe financière sans précédent et d’une égale adresse à
se soustraire aux législations nationales, réduit considérablement
la portée des interventions publiques. La souveraineté étatique telle
qu’elle est postulée par la Convention risque ainsi de se dissoudre
dans la globalisation numérique. Il est donc urgent de refonder
des outils de régulation adaptés à la donne numérique et aptes à
consolider le socle de valeurs sur lequel est assise la Convention :
respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, égale
dignité de toutes les cultures, double nature des biens et services
culturels, respect des droits de propriété intellectuelle, accès équitable
aux expressions culturelles, pluralisme linguistique. S’agissant des
instruments financiers, il conviendrait de préciser, par exemple, que
les réglementations nationales peuvent prévoir d’imposer aux acteurs
de l’internet une participation au financement de la création dans le
cadre du soutien à la diversité culturelle.
Le second point d’application pourrait porter sur la coopération
pour le développement, prévue à l’article 14 de la Convention, dont
la lutte contre la fracture numérique au niveau mondial doit désormais constituer un volet significatif. Le basculement dans le numérique peut être mis à profit pour renforcer le cadre international de
coopération et de solidarité entre les cultures. L’enjeu, pour les pays
les moins avancés, est de faire de la technologie numérique un outil
de développement culturel en évitant que les bénéfices tirés de son
application ne soient confisqués par des agents économiques extérieurs. Le numérique devrait permettre d’abaisser sensiblement les
coûts de production et de diffusion des œuvres. Il peut compenser
l’absence d’équipements classiques (cinémas, bibliothèques, studios…). Il peut aussi favoriser la diffusion des œuvres des artistes
du Sud. Encore faut-il que deux conditions soient satisfaites : que la
disponibilité en réseaux soit assurée et que l’appropriation par les
populations concernées soit effective. Au titre de la mise en œuvre des
dispositions relatives à la coopération pour le développement, prévue
par l’article 14, trois pistes pourraient être privilégiées : l’éligibilité
aux aides du Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC)
des projets destinés à remédier aux conséquences de l’inégal déploiement des infrastructures de réseaux ; le transfert d’expertise et de
formation afin de renforcer la maîtrise des technologies et l’accès aux
ressources en ligne par les populations ; et le soutien à la présence
sur la Toile des créateurs et des expressions culturelles endogènes,
négligés par les géants du net en raison d’une valeur marchande jugée
insuffisamment attractive.
Le troisième point d’application concerne la négociation des accords
commerciaux et la mise en œuvre de l’article 20 de la Convention
relatif à la relation avec d’autres instruments. L’article 20, cœur
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normatif de la Convention, stipule que « lorsqu’elles souscrivent à
d’autres obligations internationales, les Parties prennent en compte
les dispositions pertinentes de la présente Convention ». C’est ainsi
que, pour tourner cette obligation, lors de l’ouverture des négociations
sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les ÉtatsUnis (qui, rappelons-le, ne sont pas partie à la Convention), les
négociateurs américains ont tenté d’englober les contenus culturels
créés ou diffusés au moyen de technologies numériques dans une
nouvelle catégorie de produits ou services, présentés comme distincts
des services traditionnels, et qui échapperaient pour cette raison au
champ d’application de la Convention. Mais ce champ d’application
n’est nullement déterminé par référence à des supports ou des
vecteurs technologiques. Le texte énonce expressément un principe
de neutralité au regard des outils « de création, de production,
de diffusion, de distribution et de jouissance » des expressions
culturelles, « quels que soient », est-il stipulé, « les moyens et les
technologies utilisés » (article 4.1). Il en résulte que les « services
culturels numériques » doivent être regardés comme couverts par la
Convention dès lors qu’ils véhiculent des expressions culturelles, au
même titre que les autres activités, biens et services culturels. Il est
donc parfaitement légitime d’invoquer la Convention de l’UNESCO
pour exiger l’exclusion des services culturels numériques des
négociations commerciales et de tout engagement de libéralisation. Ce
principe mérite d’être vigoureusement réaffirmé pour faire pièce aux
tentatives récurrentes de tourner l’obligation résultant de l’article 20.
L’irruption du numérique dans la sphère culturelle et les bouleversements radicaux qu’elle occasionne soulèvent, au regard de l’application de la Convention de 2005, des questions multiples et ardues,
qui combinent des considérations techniques, politiques et économiques et mettent en scène des forces et des acteurs particulièrement
puissants et retors. Face à cela, le débat public reste confus, brouillé,
instrumentalisé. L’objet du présent ouvrage tend précisément à répondre à un besoin vivement ressenti d’intelligence et de clarté. Il
vise à baliser un champ de connaissance neuf, mouvant, en gestation
et renouvellement constant, ce qui exige, pour parvenir à une appréciation équilibrée, de faire le départ entre le durable et l’anecdotique,
la réalité et le fantasme. C’est pourquoi ce Glossaire critique se présente sous formes d’articles qui sont autant d’instantanés sur un état
de l’art, de portes ouvrant à la compréhension de notions complexes
et techniques mais exposées avec le souci de les rendre accessibles
et, surtout, d’en faire émerger l’enjeu politique et la portée sociale.
Il offre au lecteur la possibilité d’aiguiser son regard critique et de
s’orienter dans ce qui apparaît au non-initié comme une jungle de
notions opaques et codées. Cette publication, élaborée sous l’égide
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
de la Commission française, constitue une éminente contribution du
monde de la recherche à la réflexion collective. Elle vient à point nommé, au moment où la question est désormais ouverte et ne peut plus
être éludée, enrichir le débat citoyen mais aussi nourrir l’expertise
des décideurs publics et faciliter la tâche des négociateurs appelés à
en traiter, à la table de l’UNESCO et ailleurs.
Le déploiement foudroyant de l’écosystème numérique ne remet pas
seulement en cause les modes de production, les modèles économiques
et les pratiques sociales relatifs à la culture. Il pose à la puissance
publique dans sa fonction régulatrice une question existentielle.
De puissants appétits économiques avancent masqués derrière une
idéologie sympathique mais illusoire du partage, de la communauté,
de la transparence, de la gratuité, de l’accès illimité. Il faut savoir
débusquer, sous l’enrobage d’un discours séduisant, le danger réel
d’une domestication de la culture à des fins marchandes. Et il faut
symétriquement savoir donner la plénitude de sa portée à la promesse
dont le numérique est porteur pour la création – pour autant que les
sociétés humaines s’approprient cette technologie pour en faire un
usage raisonné, tourné vers la satisfaction d’un besoin collectif plutôt
que vers l’instauration insidieuse d’un nouvel ordre orwellien.
Tous les défenseurs de la diversité culturelle misent sur l’UNESCO
pour mener à bien cette tâche. L’UNESCO peut et doit, conformément
à sa vocation, relever le défi, s’en saisir comme l’occasion de dynamiser et de revitaliser la Convention de 2005 (et, par-là, prendre le
contre-pied des forces qui entendent tirer argument du basculement
dans l’ère numérique pour la vider de sa substance ou décréter sa
caducité), d’en faire un facteur d’enrichissement de la diversité. Il
n’est pas nécessaire pour cela de modifier l’instrument. Il suffit qu’il
devienne une application constructive, innovante et volontaire. La
crédibilité de l’UNESCO comme producteur de normes universellement reconnues est mise en jeu sur cet objectif. Ou bien elle saura
mettre le numérique au service de la culture en faisant contrepoids à
la toute-puissance du marché, des réseaux et des acteurs qui les dominent. Ou bien la diversité culturelle se dissoudra progressivement
dans le flux de contenus indifférenciés qui saturent la Toile. En 1945,
son « Acte constitutif » assignait à l’UNESCO la mission d’assurer à
ses États membres « l’indépendance, l’intégrité et la féconde diversité
de leurs cultures ». Près de soixante-dix ans plus tard, cet objectif
reste d’une ardente actualité à l’aune du défi numérique.
Mai 2014
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Présentation des auteurs
Karine AILLERIE
Philosophe de formation et après avoir été une quinzaine d’années
documentaliste certifiée en établissement scolaire et chargée de la
formation continue des enseignants documentalistes, Karine Aillerie
a soutenu en 2011 une thèse en sciences de l’information et de la
communication traitant des pratiques informationnelles informelles
d’adolescents sur le web. Elle est aujourd’hui chargée d’expérimentations et de veille à la Direction de la recherche et du développement sur
les usages du numérique éducatif (réseau Canopé, ex-CNDP). Elle est
également chercheuse associée à l’équipe Techne (EA 6316, Université
de Poitiers) et membre de l’ANR Translit (« La Translittératie : vers
la transformation de la culture de l’information »).
Laurence ALLARD
Laurence Allard est maître de conférences en sciences de la communication, chercheuse à l’Université Paris III-Ircav et enseigne à
l’Université Lille III. Ses thèmes de recherche portent sur les usages
expressifs et citoyens des technologies de communication, du web
à l’internet des objets, en passant par les terminaux mobiles. Elle
développe également une anthropologie du « tout connecté » et du
big data. Elle est l’auteure de Mythologie du portable, Cavalier Bleu,
2010 ; co-auteure de Devenir Média, Éditions Amsterdam, 2007, avec
Olivier Blondeau. Elle a dirigé l’ouvrage collectif Téléphone mobile
et création, Armand Colin, 2014, avec Roger Odin et Laurent Creton ;
et l’anthologie Donna Haraway. Manifeste Cyborg et autres essais :
Sciences. Fictions. Féminismes, Éditions Exils, 2007, avec Delphine
Gardey et Nathalie Magnan. Elle est également l’une des fondatrices
de l’association Labo citoyen-Citoyens capteurs.
Bruno BACHIMONT
Bruno Bachimont est directeur de la recherche de l’Université de
technologie de Compiègne. Enseignant-chercheur en informatique,
logique et philosophie depuis 2001, il a été directeur de la recherche
de l’Institut national de l’audiovisuel de 1999 à 2001, et conseiller
scientifique de cette institution jusqu’en 2012. Il s’intéresse au numérique en en proposant une philosophie articulée à une approche
de la technique en général. Il étudie dans cette perspective les objets
documentaires, qu’il aborde depuis une conception de la mémoire et
une approche de l’ingénierie des connaissances, des documents et de
la préservation.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Françoise BENHAMOU
Agrégée en sciences sociales et en sciences économiques, Françoise
Benhamou a été maître de conférences à l’université Paris X-Nanterre
et chargée de conférences à l’École normale supérieure, ainsi que
conseiller technique (1991-1993) pour le livre et la lecture auprès du
ministre de la culture Jack Lang. Elle est aujourd’hui professeure
à l’université Paris XIII (Villetaneuse) et responsable de la filière
« Économie du patrimoine » à l’Institut national du patrimoine de
Paris. Elle a été pendant deux années vice-présidente de l’Université Paris XIII chargée des relations internationales. Elle enseigne
également à l’Université Paris I, à l’Institut national de l’audiovisuel
(INA), à l’Institut national du patrimoine, à l’Université de Turin et
à l’Université Léopold-Sédar-Senghor d’Alexandrie. Elle participe
en outre à un grand nombre de conseils scientifiques et de comités,
elle a été élue au Cercle des économistes en 2009. Elle a été chargée, en septembre 2009, par le département des études, de la prospective et des statistiques (Deps) du ministère de la Culture et de la
Communication, d’une étude sur les modèles économiques du livre
numérique, en France et à l’étranger. En 2012, elle a été nommée par
le président du Sénat membre du collège de l’Autorité de régulation
des communications électroniques et des postes (Arcep). Elle est experte auprès de l’UNESCO. Dernier ouvrage paru : Économie du patrimoine culturel, La Découverte, coll. « Repères », 2012.
Mokhtar BEN HENDA
Mokhtar Ben Henda est maître de conférences HDR et chercheur au
laboratoire MICA EA-4426 de l’université Bordeaux Montaigne où il
enseigne les technologies de l’information et de la communication. Il
est membre de la Commission nationale des technologies de l’information pour l’éducation, la formation et l’apprentissage de l’AFNOR
(AFNOR/CN 36) et membre de la délégation française de normalisation auprès du Sous-Comité 36 à l’ISO (ISO/IEC JTC1 SC36). Il
préside également la délégation de l’AUF auprès du SC 36 où il intervient comme convener du groupe de travail chargé de la normalisation d’une terminologie multilingue pour l’e-Learning. Docteur
en sciences de l’information et de la communication avec une thèse
sur les normes d’encodage des langues et des systèmes d’écriture,
il fait de la diversité culturelle et linguistique un axe transversal à
ses travaux de recherche qui portent sur l’interopérabilité normative
des systèmes d’information et de communication numérique (HDR),
la normalisation des technologies éducatives, les humanités digitales
et la Text Encoding initiatve (TEI). Membre fondateur de plusieurs
réseaux francophones de recherche (Sem@tice, Res@tice, Ticer), il a
également été entre 2002 et 2009 secrétaire général puis président
de l’Association Internationale des Ecoles des Sciences de l’Information. Parmi ses publications, un ouvrage en 2005, coécrit avec Saloua
Mahmoud sur « les critères d’évaluation des revues scientifiques sur
Internet ». En 2009, il codirige avec Emanuel Tonye un ouvrage collectif publié chez l’Harmattan, TIC et éducation en Afrique.
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Présentation des auteurs
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Philippe BOUQUILLION
Philippe Bouquillion est professeur de sciences de l’information et
de la communication à l’Université Paris XIII, chercheur au Labsic et
coresponsable de l’Observatoire des mutations des industries culturelles hébergé à la Maison des sciences de l’homme Paris-Nord. Ses
travaux portent sur l’économie politique de la communication et des
industries culturelles et créatives. Récemment, il a rédigé ou dirigé
différents ouvrages sur les industries culturelles et créatives, dont
L’Industrialisation des biens symboliques. Les industries créatives en
regard des industries culturelles, en coécriture avec Bernard Miège
et Pierre Mœglin, PUG, 2013 ; Creative Economy, Creative Industries :
des notions à traduire, PUV, 2012 ; Diversité et Industries culturelles,
en codirection avec Yolande Combès, L’Harmattan, 2011 ; Le Web collaboratif. Un nouveau système de la culture et de la communication,
en coécriture avec Jacob Matthews, PUG, 2010.
Valérie CARAYOL
Valérie Carayol est professeure des universités à l’Institut des
sciences de l’information et de la communication de l’Université
Michel-de-Montaigne de Bordeaux. Elle est depuis 2009 la directrice
du groupe de recherche MICA (EA 4426). Dédié aux sciences de l’information et de la communication et aux arts, le laboratoire comprend
67 membres statutaires, et 100 doctorants. Valérie Carayol a été la
présidente de l’association européenne de chercheurs en communication Euprera. Elle est directrice de publication de la revue académique Communication et Organisation, fondée en 1992. On compte
parmi ses publications six livres académiques, principalement dans
le domaine de la communication organisationnelle.
Stéphane CARO DAMBREVILLE
Stéphane Caro-Dambreville a occupé un poste d’ingénieur expert à
l’Inria Rhône-Alpes au sein de l’équipe « Représentation et langage ».
De 1998 à 2011, il a été maître de conférences en sciences de l’information et de la communication au sein du département « Services
et réseaux de communication » de l’IUT de Dijon. Il a conduit ses
recherches au laboratoire CIMEOS EA 4177 de l’Université de
Bourgogne. Il a participé à la direction de ce laboratoire comme directeur adjoint avant de rejoindre le laboratoire MICA EA 4426 de
l’Université Bordeaux III à la rentrée de 2011. Lauréat du Prix du
jeune chercheur de la ville de Grenoble en sciences humaines et sociales en 1996, ses travaux de recherche portent sur l’étude des processus de communication médiatisée. Il s’intéresse plus précisément
aux représentations mentales construites par les usagers dans les
situations de communications personnes-systèmes.
Dominique CARRÉ
Dominique Carré est professeur en sciences de l’information et de
la communication à l’Université Paris XIII, et assure la direction de
la thématique « Innovation en communication : dispositifs, normes
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
et usages » au sein du LabSic MSH Paris-Nord. Il est également coéditeur de la revue en ligne Tic & société (http://ticetsociete.revues.
org/), membre du conseil d’administration du Centre d’études pour la
recherche et l’enseignement en informatique et société (CREIS) et du
conseil scientifique de la revue Terminal. Technologie de l’information, culture et société.
Sylvie CATELLIN
Sylvie Catellin est maître de conférences HDR en sciences de
l’information et de la communication à l’Université de VersaillesSaint-Quentin, où elle dirige le master « Ingénierie de la culture et
de la communication ». Elle est responsable de l’axe de recherche
« Création, médiation, diffusion des savoirs » du Centre d’histoire
culturelle des sociétés contemporaines. Elle a dirigé « L’Imaginaire
dans la découverte » pour la revue Alliage (culture, science, technique),
2012, et a publié une enquête historique et épistémologique intitulée
Sérendipité. Du conte au concept, Seuil, 2014.
Pierre-Antoine CHARDEL
Pierre-Antoine Chardel est docteur de l’École des hautes études
en sciences sociales et titulaire d’un PhD de l’Université Laval
(Canada), habilité à diriger des recherches de l’Université ParisDescartes (Sorbonne), professeur de philosophie sociale et d’éthique
à Télécom école de management, où il est responsable de l’équipe
de recherche « Éthique, technologies, organisations, société » (ETOS).
De 2008 à 2013, il a été chercheur au Centre de recherche « Sens,
éthique, société » (CERSES), UMR 8137, CNRS/Université ParisDescartes. Depuis janvier 2014, il est directeur adjoint du Laboratoire
sens et compréhension du monde contemporain (LASCO), Université
Paris-Descartes/Institut Mines-Télécom. Dernier ouvrage paru 
:
Zygmunt Bauman. Les illusions perdues de la modernité, Paris,
Éditions du CNRS, 2013.
Emmanuelle CHEVRY PÉBAYLE
Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, à l’IUT RobertSchuman, depuis 2009, Emmanuelle Chevry-Pébayle est membre
permanent du Laboratoire interuniversitaire des sciences de
l’éducation et de la communication (LISEC) EA 2310. Elle appartient
au groupe de recherches « Document numérique et usages » de
l’Université de Nancy, et au conseil d’administration ISKO France
(International Society for Knowledge Organization). Ses travaux de
recherche portent sur la transmission des connaissances à l’ère du
numérique (bibliothèques numériques, numérisation, MOOC). Elle
a étudié le patrimoine numérisé par les bibliothèques municipales
et leurs moyens de valorisation. Elle a notamment publié, aux
éditions Hermès-Lavoisier, Stratégies numériques : numérisation et
exploitation du patrimoine écrit et iconographique, et a coordonné
un numéro spécial dans la revue Les Cahiers du numérique sur la
« Valorisation des corpus numérisés ».
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Présentation des auteurs
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Bernard CLAVERIE
Bernard Claverie est physiologiste et psychologue. Il est professeur
des universités à l’Institut polytechnique de Bordeaux. Après des
études à Bordeaux, à Paris et à Besançon, il a contribué à la recherche
sur les rapports neurofonctionnels, notamment par des travaux de
psychophysiologie expérimentale chez le sujet sain et en épileptologie chirurgicale. Il travaille aujourd’hui sur les problématiques de
convergence disciplinaire appliquée à l’augmentation humaine au
sein de l’IMS (UMR Université de Bordeaux CNRS 5218). Il a fondé et
dirigé le laboratoire de sciences cognitives et l’Institut de cognitique
de l’université Victor-Segalen à Bordeaux, puis l’École nationale supérieure de cognitique. Il est auteur ou coauteur de nombreux articles
scientifiques et d’ouvrages dont : Douleurs : du neurone à l’homme
souffrant, (coauteur), Éditions Eshel, 1991 ; Douleurs : sociétés, personne et expressions, (coauteur), Éditions Eshel 1992) ; Cognitique :
science et pratique des relations à la machine à penser, (auteur),
L’Harmattan, 2005) ; L’Homme augmenté, (auteur), L’Harmattan 2010 ;
L’Humain augmenté, (coauteur), Éditions du CNRS, 2013.
Alexandre COUTANT
Enseignant-chercheur à l’Université de Franche-Comté, équipe
« Objets et usages numériques » du laboratoire Elliadd, Alexandre
Coutant s’intéresse aux activités de consommation des individus et
à leurs usages des techniques de l’information et de la communication. Ses premières recherches étudient le fonctionnement du secteur
professionnel du marketing et de la communication, un domaine qu’il
analyse désormais dans le cadre des métiers de l’internet. En parallèle, il cherche à comprendre la dynamique complexe par laquelle les
individus « font avec » un ensemble de dispositifs, objets et discours
provenant de la société de consommation. Ses terrains principaux
sont les dispositifs sociotechniques et les marques.
Anne CORDIER
Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Anne Cordier inscrit ses recherches dans une approche sociale de l’information. Ses travaux personnels de recherche portent
sur les pratiques informationnelles considérées dans leurs processus à la fois individuel et social de construction, de développement
et de reconfiguration, sur les imaginaires de l’activité de recherche
d’information et des lieux d’information, ainsi que sur les modalités
pédagogiques d’enseignement des objets liés à l’information-documentation. Elle est membre de l’équipe ANR Translit.
Éric DELAMOTTE
Professeur en sciences de l’information et de la communication, Éric
Delamotte est l’un des animateurs du domaine « Cultures informationnelles ». Dans le cadre de recherches collectives, il interroge le
développement d’une « translittératie », dans et hors de l’école, dans
laquelle les produits des industries culturelles ont pris une place
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
importante. Il s’agit de construire un cadre d’analyse-socio-économique, historique et culturel sur le statut de l’information dans les
espaces formatifs contemporains. Il est un des membres porteurs de
l’ANR Translit.
Bernadette DUFRÊNE
Professeure des universités (Université Paris VIII), membre du conseil
scientifique de la Bibliothèque nationale de France et du comité stratégique de BNF Partenariats, Bernadette Dufrêne enseigne les questions de muséologie et de médiation du patrimoine. Spécialiste de
l’histoire du Centre Pompidou (Paris), elle a consacré deux ouvrages
à cette institution : La Création de Beaubourg, PUG, Grenoble, 2000 ;
Centre Pompidou : trente ans d’histoire (ouvrage collectif), Paris,
Éditions du Centre Pompidou, 2007. En outre, elle est l’auteure de
nombreux articles sur le thème de l’exposition, notamment du point
de vue de l’écriture ou du genre ; sa recherche porte plus particulièrement sur les expositions internationales et, depuis quelques années, sur les formes de la médiation numérique, les patrimoines et
les muséologies numériques. Elle a dirigé l’ouvrage Numérisation
du patrimoine. Quels accès ? Quelles médiations ? Quelles cultures ?
paru aux éditions Hermann en 2013, et l’ouvrage Patrimoines et
humanités numériques, à paraître chez LIT Verlag en 2014 (édition bilingue français-anglais). Dans le cadre du laboratoire d’excellence « Arts H2H » de l’Université Paris VIII, elle dirige le programme « Patrimoines du Maghreb à l’ère numérique », dans lequel
s’inscrivent « Les Rencontres du numérique d’Alger », manifestations
scientifiques coorganisées par l’École de conservation et de restauration des biens culturels d’Alger et le Labex Arts H2H. Les actes du
premier colloque paraîtront en mai 2014 sous le titre Patrimoines du
Maghreb à l’ère numérique, chez Hermann-APIC.
Mélanie DULONG de ROSNAY
Mélanie Dulong de Rosnay est chargée de recherche à l’Institut des sciences
de la communication du CNRS Paris-Sorbonne/UPMC et chercheuse
invitée dans le département « Media and Communication » de la London
School of Economics. Diplômée en sciences politiques et docteure en
droit, elle a été chercheuse au Berkman Center for Internet & Society
(Harvard Law School) et à l’Institute for Information Law (Université
d’Amsterdam). Elle a cofondé et préside actuellement Communia,
l’association internationale pour le domaine public numérique. Ses
recherches portent sur les biens communs, l’accès à la connaissance,
les architectures distribuées, la production par les pairs, l’ouverture des
informations du secteur public et des données scientifiques.
Emmanuel EVENO
Emmanuel EVENO est professeur de géographie à l’Université de
Toulouse et chercheur au LISST-CIEU (Laboratoire interdisciplinaire
solidarités, sociétés, territoires-Centre interdisciplinaire d’études urbaines). Il travaille sur une théorie générale des relations entre la ville
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Présentation des auteurs
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et les techniques d’information et de communication. L’hypothèse
fondamentale qu’il met à l’épreuve de plusieurs travaux théoriques et
empiriques est que le développement rapide des TIC dans les sociétés
contemporaines est lié au développement de l’urbanisation. Ce serait
la croissance urbaine et sa généralisation qui provoqueraient, de la
part des acteurs et des usagers, la nécessité de plus en plus affirmée
de recourir aux TIC. La banalisation des TIC dans le fonctionnement
des organisations (administratives, économiques ou sociales), son
usage de plus en plus massif dans les relations sociales seraient donc
des moyens d’adaptation aux contextes urbains.
Renaud FABRE
Docteur d’État ès sciences économiques et professeur des universités, Renaud Fabre a exercé des missions de recherche et d’enseignement en sciences économiques à l’Université Paris VIII – qu’il présida également de 1996 à 2001 – et de chargé de cours à l’Institut
d’études politiques de Paris (« Gestion des systèmes éducatifs » du
master « Affaires publiques »). Il a également rempli des fonctions
d’expert dans le cadre d’organismes de développement (BIT, OCDE,
Union européenne) sur le changement technologique, la formation
et l’emploi, puis, à la troisième chambre de la Cour des comptes
sur les politiques nationales de l’enseignement scolaire. Président
de 1998 à 2001 du groupement d’intérêt scientifique Gemme, il est
expert associé au Laboratoire interdisciplinaire pour l’évaluation des
politiques publiques (LIEPP), Labex du PRES Sorbonne Cité, et président depuis 2009 de la délégation française à l’ISO (International
Organisation of Standardization), sur les normes des technologies
de l’information pour l’éducation, la formation, l’apprentissage. Il
a été nommé en juin 2013 directeur de l’information scientifique et
technique à la direction générale du CNRS (CNRS-DIST).
Jean-Paul FOURMENTRAUX
Jean-Paul Fourmentraux est docteur en sociologie (PhD), professeur
d’esthétique et de sociologie des arts, des médias et des cultures
numériques à l’Université Aix-Marseille. Habilité à diriger des recherches (HDR) par l’Université de la Sorbonne Paris V, il est membre
du Laboratoire en sciences des arts (LESA, Aix-en-Provence) et chercheur associé à l’École des hautes études en sciences sociales de
Paris (EHESS) au Centre de recherches sur les arts et le langage (CRAL
UMR-CNRS 8556). Ses recherches pluridisciplinaires (sociologie et
sciences de l’art, des médias et de la communication) portent sur les
interfaces entre création artistique, recherche technologique, critique et émancipation sociale. Il est l’auteur des ouvrages Art et internet, CNRS, 2010 ; Artistes de laboratoire, Hermann, 2011 ; L’Œuvre
commune. Affaire d’art et de citoyen, Presses du réel, 2012 ; L’Œuvre
virale. Net art et culture, Hacker, La Lettre volée, 2013. Il a dirigé les
ouvrages L’Ère post-média, Hermann, 2012, et Art et Science, CNRS,
2012. Cf. http://cral.ehess.fr/index.php?1409 et http://www.linkedin.
com/in/jeanpaulfourmentraux.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Divina FRAU-MEIGS
Divina Frau-Meigs, normalienne, agrégée, est professeure à l’Université Sorbonne nouvelle depuis 2004. Boursière Fulbright et Lavoisier,
elle est diplômée de l’Université de la Sorbonne, de l’Université de
Stanford (Palo Alto) et de l’Annenberg School for Communications
(Université de Pennsylvanie, Philadelphie). Sociologue des médias,
spécialiste des mondes anglophones, elle est experte des contenus
et des comportements à risque ainsi que des questions de réception
et d’usage des technologies de l’information et de la communication.
Elle a édité pour l’UNESCO le Kit pour l’éducation aux médias, à
l’usage des enseignants, des parents et des professionnels. Au sein
de l’UNESCO, elle a également représenté officiellement la France au
PIPT (« Programme information pour tous »). Elle est aussi experte auprès de la Commission européenne, du Conseil de l’Europe et d’autres
instances gouvernementales, en France et à l’étranger, pour les questions de diversité culturelle, de gouvernance de l’internet et d’éducation aux médias. Elle est porteur de l’ANR Translit et du projet
européen ECO pour les MOOC sur les fondamentaux du numérique
éducatif. Elle est aussi responsable de la chaire UNESCO « Savoir devenir dans le développement numérique durable », qui s’inscrit dans
l’Alliance globale des partenaires pour l’éducation aux médias et à
l’Information (GAPMIL) et fait partie du réseau ORBICOM.
Chloé GIRARD
Chloé Girard est responsable du développement et de la fabrication numérique pour les éditions Droz et enseigne dans les masters
« Document numérique » de l’Enssib à titre de professionnelle associée. Spécialiste en Digital Humanities, elle défend une réflexion sur
le raffinement de l’ordre des discours avec les outils réseau et porte
un projet de développement mutualisé de logiciels libres pour les métiers du livre (opérateur du logiciel libre pour les métiers du livre,
http://www.editionforge.org/). Elle participe depuis l’automne 2012
au séminaire « Cultures numériques » de la revue Implications philosophiques (http://www.implications-philosophiques.org/actualite/
une/seminaire-cultures-numeriques/).
Julie GUEGUEN
Julie Gueguen, doctorante contractuelle à l’Université Sorbonne nouvelle, est spécialisée en sociologie des médias anglo-saxons et porte
un intérêt particulier aux études de réception transmédias. Sa thèse,
en cours de réalisation, est consacrée à l’étude comportementale des
auteurs de fanfiction. Elle a récemment publié « Espressioni e pratiche
degli autori di fanfiction. Il caso Bones » dans Media Mutations : gli
ecosistemi narrativi nello scenario mediale contemporaneo. Spazi,
modelli, usi sociali, Modena, Mucchi Editore, 2013.
Éric GUICHARD
Éric Guichard est maître de conférences à l’Enssib, habilité à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communi-
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cation, en géographie et en épistémologie. Il est spécialiste de l’internet, responsable de l’équipe « Réseaux, savoirs et territoires » de
l’ENS, et en outre directeur de programme au Collège international
de philosophie. Il a dirigé les ouvrages Écritures : sur les traces de
Jack Goody, Presses de l’Enssib, 2012 ; Regards croisés sur l’internet,
Presses de l’Enssib, 2011 ; ainsi que le numéro 2 de la revue Sciences/
Lettres, consacré aux « Épistémologies digitales des sciences humaines et sociales », en 2014. On trouvera son dernier article, intitulé
« L’internet et les épistémologies des sciences humaines et sociales »
à l’URL http://rsl.revues.org/389. Sites web : http://barthes.enssib.fr
et http://barthes.ens.fr.
Henri HUDRISIER
Henri Hudrisier est chercheur à la chaire Unesco Fmsh.ITEN
« Innovation, transmission, édition numériques » et membre du
LEDEN à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord. D’abord
spécialiste de la documentation audiovisuelle, il s’est dédié dans les
années 1980 à l’étude des normes bibliographiques audiovisuelles
puis dans les années 1990 à l’étude des normes de la codification des
écritures. Dans les années 90, il était membre de l’AFNOR MPEG 7 et
en 2000 il devient expert à l’ISO pour la normalisation des technologies éducatives comme délégué de l’AFNOR et de l’AUF auprès du
Sous-Comité 36 (ISO/IEC JTC1 SC36). Son HDR « L’ère des machines
grammatologiques » (2001), analysait notamment les TIC sous l’angle
d’une standardisation industrielle du code. Ses axes de recherches
portent sur les technologies de l’information et de la communication,
notamment les processus de convergence induits par la standardisation et de la normalisation, la gestion et la création de patrimoines
numérique structurés multilingues et multimédia, l’appropriation
par les professionnels de l’information des technologies sémantiques
et de l’EAD, les banques d’images (MPEG), le codage des écritures
du monde (Unicode), les humanités digitales et la Text Encoding
Initiative (TEI). Il est auteur de plusieurs publications parmi lesquelles un ouvrage collectif codirigé avec Jacques André , Unicode,
écriture du monde ?, publié chez Lavoisier en 2002.
Thierry JOLIVEAU
Thierry Joliveau est professeur de géographie et de géomatique
à l’Université de Saint-Étienne et directeur du master « SIG et
gestion de l’espace » de Saint-Etienne. Il codirige ISIG (« Image et
système d’information géographique »), la plateforme de recherche
géomatique de l’UMR du CNRS « Environnement-ville-société », il a été
de 2009 à 2012 Directeur du GDR MAGIS (« Méthodes et applications
en gestion de l’information spatiale ») du CNRS (35 laboratoires,
200 chercheurs). Ses recherches portent sur les questions théoriques
et applicatives liées à l’information géographique et à ses usages
dans le domaine de la gestion environnementale et paysagère
des territoires. Il s’intéresse en particulier aux transformations
sociétales liées aux nouveaux modes de production, de diffusion et de
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
partage de l’information géographique. Il est l’auteur du blog Monde
géonumérique : http://spacefiction.wordpress.com/ et fondateur du
blog collectif (e) space & fiction : http://spacefiction.wordpress.com/.
Francis JAURÉGUIBERRY
Francis Jauréguiberry est sociologue, professeur à l’Université de Pau
et directeur du laboratoire SET (« Société environnement territoire ») au
CNRS. Ses recherches portent sur les nouvelles formes d’identité et de
sociabilité générées par l’extension des technologies de l’information et
de la communication. Sur ce thème, il a notamment publié Les Branchés
du portable. Sociologie des usages, Paris, PUF, et, avec Serge Proulx,
Usages et enjeux des technologies de communication, Érès, Toulouse,
ainsi que Internet, nouvel espace citoyen ? Paris, l’Harmattan. Il est
coresponsable du comité de recherche « Sociologie de la communication » à l’Association internationale des sociologues de langue française.
Alain KIYINDOU
Alain Kiyindou est professeur des universités en sciences de l’information et de la communication, Université Michel-de-Montaigne
Bordeaux, titulaire de la chaire UNESCO « Pratiques émergentes des
technologies et communication pour le développement », président
d’honneur de la Société française des sciences de l’information.
Parmi ses ouvrages : Communiquer dans un monde de normes : l’information et la communication dans les enjeux contemporains de
la mondialisation, SFSIC, Roubaix, 2012 ; Nouveaux Espaces de partage des savoirs. Dynamiques des réseaux et politiques publiques,
L’Harmattan, 2011 ; « TIC mobiles et développement social », Les
Cahiers du Cedimes, vol. 5, n 1, printemps 2011 ; TIC et développement socio-économique, Hermès-Lavoisier, 2010 ; TIC et partage des
savoirs. Distance et savoirs, 2010 ; Cultures, technologies et mondialisation, L’Harmattan, coll. « Mouvements économiques et sociaux »,
2010 ; Communication et dynamiques de globalisations culturelles,
L’Harmattan, 2009 ; Communication et développement en Afrique et
dans les Caraïbes. Les Enjeux de la communication, Gresec, Grenoble,
2009 ; Les Pays en développement face à la société de l’information,
L’Harmattan, 2009 ; « Fracture numérique et justice sociale », Les
Cahiers du numérique, Hermès-Lavoisier, 2009 ; Fractures, fragmentations et mutation, de la diversité des cultures numériques,
Hermès-Lavoisier, 2009 ; Communication pour le développement, logiques et pratiques au Congo, EME, Bruxelles, 2008.
Hervé LE CROSNIER
Hervé Le Crosnier est maître de conférences à l’Université de Caen
Basse-Normandie, où il enseigne les technologies de l’internet et la
culture numérique. Il est associé à l’Institut des sciences de la communication du CNRS. Sa recherche porte sur l’impact de l’internet sur
l’organisation sociale et culturelle, et sur l’extension du domaine des
biens communs de la connaissance. Ses cours de culture numérique
sont accessibles en ligne (vidéos). Après avoir été dix ans conserva-
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teur de bibliothèque scientifique et créateur de la liste biblio-fr, il est
actuellement éditeur multimédia, chez C & F Éditions.
Olivier LE DEUFF
Olivier Le Deuff est maître de conférences en sciences de l’information à l’université Michel-de-Montaigne Bordeaux. Il est auteur
en 2011 de La Formation aux cultures numériques et, en 2012, Du
tag au like chez FYP Éditions. Il travaille plus particulièrement autour des mutations liées au numérique et étudie les évolutions de
la formation à l’information autour de la notion de culture de l’information. Depuis quelques années, il s’investit notamment dans les
humanités digitales. Il gère le blog Le Guide des égarés depuis 1999.
www.guidedesegares.info
Joëlle LE MAREC
Après avoir dirigé de 2003 à 2011 l’équipe de recherche « Culture, communication et société » à l’École normale supérieure de Lyon, Joëlle
Le Marec est professeure à l’Université Paris-Diderot Paris VII et
membre du Centre de recherches interdisciplinaires sur les lettres, les
arts et le cinéma (Cerilac) depuis septembre 2011. Elle est actuellement
responsable du comité scientifique du groupement d’intérêt scientifique « Institutions patrimoniales et pratiques interculturelles », et directrice de la collection « Études de sciences » aux Éditions des archives
contemporaines. Ses recherches portent sur les discours médiatiques,
les publics et pratiques culturelles à propos de science, en particulier
dans les musées. Elles portent également sur les pratiques d’enquête
et les modes de production et d’expression des savoirs.
Françoise MASSIT-FOLLÉA
Françoise Massit-Folléa est agrégée de lettres modernes et chercheuse en sciences de l’information et de la communication. En poste
à l’École normale supérieure de lettres et sciences humaines, puis à
la Fondation Maison des sciences de l’homme, elle a dirigé le programme de recherche « Vox Internet ». Elle exerce désormais comme
consultant scientifique dans le domaine des usages et des régulations
de l’internet. Elle a récemment publié « Régulation de l’internet : fictions et frictions », in Les Débats du numérique, Maryse Carmes et
Jean-Max Noyer (dir.), Paris, Presses des Mines, coll. « Territoires numériques », 2013, chap. 1, pp. 17-45 ; « La gouvernance du commun :
du climat à l’internet, premières leçons d’une comparaison », avec
C. Mabi, in Communication, numéro spécial « Politique du climat »,
vol. 31/2 |, 2013, mis en ligne le 17 septembre 2013.
Tristan MATTELART
Tristan Mattelart est professeur de communication internationale à
l’UFR « Culture et communication » de l’Université Paris VIII, chercheur au Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation (Cemti). Ses travaux portent sur les enjeux sociaux,
culturels, politiques et économiques de l’internationalisation des mé-
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
dias. Il a notamment dirigé les ouvrages La Mondialisation des médias contre la censure (INA-De Boeck, 2002) ; Piratages audiovisuels.
Les Voies souterraines de la mondialisation culturelle (INA-De Boeck,
2011). Il coordonne actuellement avec Olivier Koch un livre sur la
Géopolitique des chaînes internationales d’information en continu
(Mare et Martin, à paraître fin 2014).
Cécile MÉADEL
Cécile Méadel est professeure à Mines ParisTech où elle est responsable de l’enseignement des controverses ; elle est chercheuse au
Centre de sociologie de l’innovation (École des mines-CNRS). Ses travaux portent sur les technologies de l’information du point de vue
de la construction des usages, de la genèse des dispositifs et de la
mise en forme des usagers, des clients, des amateurs. http://www.csi.
mines-paristech.fr/Perso/Meadel/. Ses derniers ouvrages : Quantifier
le public. Histoire des mesures d’audience à la radio et à la télévision, Paris, Economica, 2010 ; Governance, Regulation, Powers on
the internet, avec Éric Brousseau et Meryem Marzouki, Cambridge
University Press, 2013 ; Measuring Television Audiences Globally :
Deconstructing the Ratings Machine, J. Bourdon et C. Méadel (éds),
Basingstoke, Palgrave, 2014.
Louise MERZEAU
Louise Merzeau est maître de conférences habilitée à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Ouest Nanterre-la Défense, où elle codirige le département « Infocom ». Elle est également directrice adjointe du laboratoire
Dicen-IDF, chargée de l’axe « Traçabilité, mémoires et identités numériques ». Elle assure en outre le pilotage scientifique des ateliers
du dépôt légal du web à l’INA. Membre du comité de rédaction de la
revue Médium et cofondatrice de la collection « Intelligences numériques » aux Presses universitaires de Paris-Ouest, elle a notamment
codirigé le numéro d’Hermès sur « Traçabilité et réseaux ». Enfin, elle
est l’auteure de nombreux articles sur les rapports entre mémoire et
information, sur les théories de la médiation, sur la présence numérique et les écritures en environnement transmédiatique. Ses activités sont consignées sur son site http://merzeau.net.
Francesca MUSIANI
Francesca Musiani, docteure en socio-économie de l’innovation, est
chercheuse postdoctorante à Mines Paris Tech. Elle a récemment été
Yahoo ! Fellow in Residence à l’Université de Georgetown et chercheuse associée au Berkman Center for internet and Society à l’Université de Harvard. Ses travaux interdisciplinaires portant sur la
gouvernance de l’internet ont été récompensés en 2013 par le 5e Prix
Informatique et Libertés de la CNIL. Elle est membre, en tant que personnalité qualifiée, de la Commission de réflexion et de propositions
sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, créée par l’Assemblée
nationale en mai 2014.
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Présentation des auteurs
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Jean Musitelli
Conseiller d’État, ancien délégué permanent de la France à l’UNESCO.
Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé d’italien, Jean
Musitelli est conseiller d’État. Il est membre du conseil d’administration
de l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il a été élu
administrateur de l’Institut François Mitterrand. Il a été notamment
conseiller diplomatique (1984-1989) et porte-parole (1991-1995) du
Président de la République, chargé de mission auprès du ministre
des Affaires étrangères (1990-1991 et 1997), ambassadeur, délégué
permanent de la France auprès de l’UNESCO (1997-2002), puis membre
du groupe d’experts internationaux chargés par le directeur général
de l’UNESCO d’élaborer l’avant-projet de convention sur la diversité
culturelle (2003-2004). En 2007, il est nommé membre de l’Autorité de
régulation des mesures techniques. En décembre 2009, il est nommé
membre titulaire de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et
la protection des droits sur internet (HADOPI) par Jean-Marc Sauvé,
vice-président du Conseil d’État, fonction qu’il a occupée jusqu’en
août 2012. Depuis le 10 mai 2010, il assure la présidence du conseil
d’administration de Diversum, qui a pour objectif de favoriser la mise
en place de l’économie mauve. Depuis juin 2014, il est chargé d’une
mission par la ministre de la Culture et de la Communication sur la
valorisation des savoir-faire en matière de patrimoine.
Musanji NGALASSO-MWATHA
Musanji Ngalasso-Mwatha est professeur des universités de classe
exceptionnelle, professeur de sociolinguistique et de linguistique
africaine à l’Université Michel-de-Montaigne Bordeaux III ; directeur
du CELFA (Centre d’études linguistiques et littéraires francophones
et africaines), EA 4593 CLARE (cultures, littératures, arts, représentations, esthétiques) ; chercheur associé à LAM (« Les Afriques dans le
monde »), UMR 5115 du CNRS, IEP Bordeaux ; Senior Research Fellow
(Université de Johannesburg, Afrique du Sud) et vice-président de
l’APELA (Association pour l’étude des littératures africaines). Ses
recherches portent essentiellement sur la description des langues
bantoues, la dynamique des langues et les politiques linguistiques,
la didactique du français langue seconde en Afrique et l’analyse
linguistique des discours littéraires, politiques et médiatiques. Il a
publié plusieurs ouvrages, dont en 2013 : Le Français et les langues
partenaires : convivialité et compétitivité, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux ; Dictionnaire français-lingala-sango. Bagó lifalansé-lingála-sángó. Bakarî-farânzi-lingäla-sängö, Paris, OIF-ELAN.
Nicole PIGNIER
Nicole Pignier est maître de conférences HDR à l’Université de
Limoges, où elle enseigne entre autres la sémiotique du design
numérique. Docteure en lettres, qualifiée en sciences du langage
et sciences de l’information et de la communication, chercheuse
au Centre de recherches sémiotiques de l’Université de Limoges,
elle codirige avec Benoît Drouillat la revue Interfaces numériques
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
publiée chez Lavoisier. Elle a codirigé avec Éléni Mitropoulou
le premier numéro de la revue Interfaces numériques intitulé
« De l’interactivité aux interaction(s) médiatrice(s) », publié en
janvier 2012. Elle a codirigé avec Michel Lavigne le numéro 32 de la
revue MEI, intitulé « Mémoires et internet », paru chez L’Harmattan
en janvier 2011. Elle a publié deux ouvrages en collaboration avec
Benoît Drouillat : Penser le webdesign, en 2004 ; Le Webdesign.
Sociale expérience des interfaces web, en 2008. Elle a dirigé l’ouvrage
collectif De l’expérience multimédia. Usages et pratiques culturels,
paru en 2009 chez Hermès-Lavoisier. Elle coordonne actuellement un
projet de recherche financé par des fonds européens et régionaux lié
à la conception et à la mise en place d’un applicatif éducatif destiné
à la création en classe d’un album papier et numérique. Ce projet
nommé « Créalbum » est réalisé en collaboration avec une entreprise.
Marianne POUMAY
Docteure en sciences de l’éducation et professeure à l’Université de
Liège, Marianne Poumay dirige avec François Georges le LabSET,
une équipe de recherche-développement qui consacre ses travaux
à l’apprentissage et à l’e-learning. Ses thèmes de recherche sont
l’innovation dans l’enseignement supérieur et la professionnalisation
des enseignants et formateurs, avec un accent tout particulier
sur les performances complexes et les programmes axés sur le
développement de compétences. Elle est aussi évaluatrice au sein de
programmes européens et pour l’Agence d’évaluation de la qualité
en enseignement supérieur de la communauté française de Belgique
(AEQES), membre de nombreuses associations professionnelles et
active dans plusieurs comités scientifiques internationaux (peer
review). Voir le catalogue Orbi de l’ULg pour une liste de publications
(http://orbi.ulg.ac.be).
Jean-Pascal QUILÈS
Jean-Pascal Quilès est Attaché Culturel à l’Ambassade de France
à Brasilia. Il était auparavant de 2004 à 2014 directeur adjoint de
l’Observatoire national des politiques culturelles et responsable
du master « Directions de projets culturels » en formation continue
pour l’IEP/UPMF de Grenoble. Il a mis en œuvre des programmes
de conseil et d’accompagnement auprès des élus et des collectivités
territoriales en France (cycle national) et à l’étranger (Chine, Brésil,
Maroc…). http://www.observatoire-culture.net/. Titulaire d’un
master « Sciences politiques », il a notamment exercé les fonctions de
directeur des affaires culturelles de l’agglomération de Sénart-Ville
nouvelle, directeur de conservatoire, directeur général d’orchestre…
Son parcours se caractérise par la mise en œuvre de projets innovants
en relation avec les pratiques et les évolutions artistiques et culturelles
contemporaines. Il est l’auteur de plusieurs publications dans le
champ des politiques culturelles (intercommunalité, villes nouvelles,
culture et territoire, mécénat…). En outre guitariste et compositeur
au parcours éclectique, il est diplômé de l’École normale de musique
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Présentation des auteurs
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de Paris, et pratique différents styles musicaux, de la musique
contemporaine aux musiques actuelles. Discographie sélective :
24 Août, avec Kevan Chemirani, CD, 2007 ; Asturias, « Classic Fusion »,
DVD, 2012 ; Mana Kela, CD, 2013. www.jeanpascalquiles.com.
Franck REBILLARD
Franck Rebillard est professeur en information-communication à
l’Université Sorbonne nouvelle, spécialiste du journalisme et de l’internet. Responsable du master « Journalisme culturel », il exerce de la
licence au doctorat au sein de l’Institut de la communication et des
médias. Ses enseignements portent sur la socio-économie des médias
et de l’internet, ainsi que sur les évolutions de l’espace public dans le
contexte du numérique. Ses travaux de recherche traitent plus directement du journalisme en ligne. Ils ont été publiés dans des revues
scientifiques de premier plan, aussi bien francophones (Réseaux,
Communication et langages, Mots) qu’anglophones (New Media and
Society, Media, Culture and Society). Franck Rebillard coordonne
l’équipe « Médias, cultures et pratiques numériques », au sein du laboratoire CIM (EA 1484, Université Sorbonne nouvelle, Paris III), à partir duquel il a dirigé plusieurs projets de recherche, notamment sur
le pluralisme de l’information en ligne (ANR, 2009-2012). Membre du
Réseau d’études sur le journalisme, il a participé au développement de
l’Observatoire transmédia (INA/ANR, 2010-2013).
Isabelle RIGONI
Isabelle Rigoni est maître de conférences en sociologie à l’INSHEA et
chercheuse à l’EA GHRAPES. Elle a travaillé pendant une quinzaine
d’années sur les questions migratoires et les médias, et a notamment
conduit le projet de recherche européen Minoritymedia, sur les
médias des minorités ethniques (6e PCRDT). http://irigoni.blogspot.fr.
Jean-Michel SALAÜN
Jean-Michel Salaün est professeur à l’École normale supérieure de
Lyon, responsable du master en architecture de l’information, et
auteur ou coordinateur de nombreux livres, notamment : Introduction
aux sciences de l’information, PUM-La Découverte, 2009 ; Vu, lu,
su. Les architectes de l’information face au monopole du web,
La Découverte, 2012 ; L’architecture de l’information. Méthodes,
outils, enjeux, De Boeck, à paraître au printemps 2015.
Ancien directeur de l’École de bibliothéconomie et des sciences de
l’information (EBSI-Université de Montréal), Jean-Michel Salaün
est ancien coordinateur du réseau thématique pluridisciplinaireDocument du CNRS et ancien directeur des études de la recherche
de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des
bibliothèques (Enssib).
Éric SANCHEZ
Éric Sanchez est maître de conférences à l’Institut français de l’éducation (École normale supérieure de Lyon), agrégé de biologie-géologie
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
et professeur associé à l’Université de Sherbrooke, Québec, Canada.
Il est coprésident du groupe de travail de l’International Federation
for Information Processing (IFIP) et expert auprès de la Commission
européenne. Il dirige l’équipe EducTice qui s’intéresse aux approches
innovantes pour l’éducation et la formation (e. Education). Ses travaux
de recherche portent sur l’usage des jeux numériques pour l’éducation et la formation (jeux épistémiques numériques). Il enseigne les
usages du numérique (e.learning, simulation, jeux numériques), dans
le master « Architecture de l’information » (ENS de Lyon), le master
« HPDS » (Lyon1), ainsi que le master « Didactique des disciplines » de
l’Université Paris-Diderot.
Patrick SCHMOLL
Ingénieur de recherches au CNRS depuis 1977, Patrick Schmoll est
actuellement attaché au laboratoire « Dynamiques européennes » de
l’Université de Strasbourg (UMR UdS/CNRS no 7367) et responsable
du pôle « Innovation et valorisation » du laboratoire. Depuis une
quinzaine d’années, ses travaux de recherche sont centrés sur la
médiation du lien social par les nouvelles technologies (communautés
virtuelles, rencontres en ligne, ludicisation du social par les jeux vidéo,
construction de soi dans les réseaux sociaux). Il anime, dans ce cadre,
le séminaire de recherche « Société terminale », dont trois premiers
volets sont publiés à ce jour. Il est membre du comité de rédaction de
la Revue des sciences sociales et de Sciences-du-jeu.org et porteur,
depuis 2009, d’une création de startup, Almédia SARL (Strasbourg),
incubée dans les dispositifs de l’Université de Strasbourg et de la
région Alsace (SATT Conectus, Semia, MISHA), et dont l’objet est la
conception de jeux vidéo éducatifs.
Nathalie SONNAC
Professeure des universités, Nathalie Sonnac préside le département
d’information et de communication de l’Université Panthéon-Assas
(Institut français de presse, IFP) depuis 2009. Elle est responsable de
la chaire d’enseignement et de recherche « Audiovisuel et numérique »,
lancée en janvier 2014. Depuis janvier 2013, elle est membre du
Conseil national du numérique, et fut experte du Labs « Économie
numérique de la création » de l’Hadopi de 2010 à 2012. Spécialiste de
l’économie des médias, de la culture et du numérique, elle est l’auteur
de nombreux ouvrages, chapitres de livres, articles scientifiques dans
ce domaine. Elle analyse notamment les questions de concurrence et
de régulation des marchés de contenus à l’ère numérique ; elle étudie
les questions liées aux interactions stratégiques entre les marchés et
les acteurs, aux marchés bifaces et à la financiarisation des contenus.
Elle a participé à de nombreux séminaires et colloques sur ces
questions. Parmi ses derniers ouvrages parus : La Presse française :
de l’imprimé au numérique, avec Pierre Albert, La Documentation
française, Paris ; L’Industrie des médias à l’ère numérique, avec Jean
Gabszewicz, La Découverte, 2013 ; L’Économie de la presse à l’ère
numérique, avec Patrick Le Floch, La Découverte, 2013.
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Comité éditorial
Cet ouvrage est le fruit d’un travail collectif réalisé dans le cadre du
groupe de réflexion « Diversité culturelle et numérique » piloté par
Divina Frau Meigs au sein du Comité culture et communication de la
Commission nationale française pour l’UNESCO.
Le Comité éditorial, qui a effectué les travaux de relecture et de mise
en cohérence des textes soumis par les différents auteurs ayant
participé à l’élaboration de cette publication, était composé de :
•
Mme Divina FRAU-MEIGS, membre de la Commission nationale
française, experte pour l’UNESCO et titulaire de la chaire UNESCO
« Savoir devenir dans le développement numérique durable », qui
s’inscrit dans l’Alliance globale des partenaires pour l’éducation
aux médias et à l’information (GAPMIL).
•
M. Alain KIYINDOU, expert associé de la Commission nationale
française, président d’honneur de la Société française des
sciences de l’information et titulaire de la chaire UNESCO
« Pratiques émergentes des technologies et communication pour
le développement ».
M. Éric GUICHARD, responsable de l’équipe Réseaux, savoirs et territoires de l’ENS et directeur de programme au Collège international
de philosophie, lui a apporté à plusieurs reprises une aide précieuse.
Les travaux ont été coordonnés par Anne-Sabine SABATER, chargée de
mission auprès de la Commission nationale française pour l’UNESCO.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
Index des sigles
ACTA
Anti-Counterfeiting Trade Agreement. Accord commercial
anti-contrefaçon (ACAC).
ADSL
Asymetric Digital Suscriber Line. LNPA : ligne numérique à
paire asymétrique.
ANLoc
African Network for Localisation. Réseau africain de
localisation.
ASCII
American Standard Code for information Interchange. Code
de standard américain pour les échanges d’informations.
CEN
Comité européen de normalisation.
CERN
Conseil européen pour la recherche nucléaire.
CIA
Central Intelligence Agency. Agence des services secrets
centraux.
CMS
Content Management System. Système de gestion de contenu.
CNIL
Commission nationale de l’informatique et des libertés.
CRDI
Centre de recherches pour le développement international.
DCMI
Dublin Core Meta Data Initiative. Initiative des métadonnées
Dublin Core.
DNS
Domain Name System. Système de noms de domaine.
FBI
Federal Bureau of Investigation. Bureau fédéral d’enquête.
GATT
General Agreement on Tariffs and Trade. Accord général sur
les tarifs douaniers et le commerce.
GAPMIL
Global Alliance for Partnerships on Media and
Information. Alliance mondiale des partenaires en éducation
aux médias et à l’information.
GNU GPL
GNU General Public License. Licence publique générale GNU.
GPS
Global Positioning System. Système de localisation mondial.
GSMA
GSMAssociation : Groupe Speciale Mobile
Association. Association qui représentant 850 opérateurs de
téléphonie mobile à travers 218 pays dans le monde.
HET
Human Enhancement Technologies. Technologies de
l’augmentation de l’humain.
HTML
Hypertext Markup Language. Langage de balisage hypertexte
(format de données conçu pour représenter les pages web).
HTTP
HyperText Transfer Protocol. Protocole de transfert hypertexte.
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Index des sigles
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HTTPS
HyperText Transfer Protocol Secured. Protocole de transfert
hypertexte sécurisé.
ICANN
Internet Corporation for Assigned Names and Numbers.
Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros
sur internet.
IETF
Internet Engineering Task Force. Détachement d’ingénierie
d’internet.
IFLA
International Federation of Library Associations and
Institutions. Fédération internationale des associations de
bibliothécaires et des bibliothèques.
IFPI
International Federation of the Phonographic Industry.
Fédération internationale des industries du disque.
JIS
Japanese Information Standard. Norme japonaise pour
l’information.
JTC1
Joint Technical Committee 1. Comité technique commun 1.
MOOC
Massive Open Online Courses. Cours en ligne ouverts aux
masses.
MPAA
Motion Picture Association of America. Association américaine
de cinéma.
NOMIC
Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication.
NSA
National Security Agency. Agence de sécurité nationale.
NTIC
Nouvelles technologies de l’information et de la
communication.
OAI-PMH
Open Archives Initiative. Protocol for Metadata Harvesting.
Initiative pour des archives ouvertes. Protocole d’échange de
métadonnées.
OGM
Organismes génétiquement modifiés.
OMC
Organisation mondiale du commerce.
OMPI
Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
OSI
Open System Interconnection. Standard de communication, en
réseau, de tous les systèmes informatiques.
PARC
Palo Alto Research Center. Centre de recherche de Palo Alto.
PIPA
PROTECT IP Act, Preventing Real Online Threats to Economic
Creativity and Theft of Intellectual Property Act of 2011.
Projet de loi de 2011 sur la prévention des menaces en ligne
réelles sur la créativité économique et le vol de la propriété
intellectuelle.
RFID
Radio Frequency Identification. Identification par
radiofréquence.
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Diversité culturelle à l’ère du numérique
RSS
Really Simple Syndication. Syndication vraiment simple.
SMS
Short Message Service. Service de message court.
SMSI
Sommet mondial de la société de l’information.
SOPA
Stop Online Piracy Act. Proposition de loi contre la piraterie en
ligne.
SWIFT
Society for Worldwide Interbank Financial
Telecommunication. Société mondiale de télécommunications
financières interbancaires.
TEI
Text Encoding Initiative. Groupe d’initiative pour le balisage
normalisé des textes.
TIC
Technologies de l’information et de la communication.
TICE
Technologies de l’information et de la communication pour
l’enseignement.
TNT
Télévision numérique terrestre.
TTIP
Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement.
UIT
Union internationale des télécommunications.
VoiceXML Voice eXtensible Markup Language. Langage de balisage
extensible vocal. Langage normalisé de programmation d’une
application vocale.
W3C
World Wide Web Consortium. Organisme à but non lucratif
chargé de promouvoir la comptabilité des technologies
du World Wide Web telles que HTML, XHTML, XML, RDF,
SPARQL, CSS, XSL, PNG, SVG et SOAP.
WAP
Wireless Application Protocol. Protocole d’application sans fil.
Windows CE Windows Embedded Compact. Variation de Windows pour les
systèmes embarqués et autres systèmes minimalistes, utilisée
notamment dans les PC de poche ou Handheld.
WML
Wireless Markup Language. Langage à balises sans fil (conçu
spécifiquement de manière à pouvoir s’afficher sur un écran de
téléphone mobile).
XHTML
Extensible HyperText Markup Language. Langage de balisage
hypertexte extensible.
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