()
32
Nouvelles perspectives sur les mécanismes
Comprendre le diabète :
la génétique
>>
Chez la plupart des personnes qui développent le diabète, il existe
un composant héréditaire (génétique). Cependant, dans
pratiquement tous les cas, la cause du diabète n'est pas
seulement d'ordre génétique mais résulte plutôt d'une série
d'interactions avec l'environnement chez une personne
génétiquement prédisposée. L'épidémie de diabète qui se répand
à travers le monde le démontre clairement. L'impressionnante
augmentation des chiffres ne peut évidemment pas être mise sur
le compte des facteurs génétiques. Le plus probable est que cette
augmentation soit due aux changements de styles de vie dans les
zones urbaines. Le style de vie occidental est caractérisé par une
alimentation plus élaborée, une sédentarité et plus de stress. Cela
nous donne un indice sur les méthodes à appliquer pour réduire
le fardeau que représente cette condition. Et de nouveau, cela n'a
rien à voir avec la génétique.
Toutefois, sans une prédisposition génétique, ces changements
vers un style de vie moderne n'auraient pu trouvé de terrain
fertile sur lequel exercer leur dangereuse influence. Le présent
article se concentre sur la prédisposition génétique au diabète, en
particulier sur les troubles monogénétiques qui conduisent au
diabète de type 2 et sur la recherche des gènes dans les formes
les plus communes du diabète de type 2. Il y a également des
leçons à tirer d'un type de diabète que l'on trouve principalement
dans les "pays tropicaux" – le diabète pancréatique fibro-
calculeux (FCPD, Fibrocalculous Pancreatic Diabetes).
`Graham Hitman
Un composant génétique : une
preuve indirecte
Il y a plus de 2000 ans, les médecins
hindous Charuka et Susruta
commentaient les deux causes de
"l'urine au goût de miel" – "transmise de
génération en génération par le
sperme" (c'est-à-dire la génétique) et
une "alimentation peu judicieuse" (c'est-
à-dire l'environnement). C'est la
référence la plus ancienne à la fois au
composant génétique et à la nature
multifactorielle de la condition.
Lorsque les deux
parents sont atteints de
diabète, le risque pour
les enfants dépassent
70 %.
Le diabète de type 2 est plus courant
dans certaines familles. Il est bien connu
que le risque de diabète chez les
enfants est plus faible si aucun des
parents n'est atteint de diabète de type
2. Le risque augmente si un des parents
est atteint de diabète et il est plus élevé
encore si les deux parents en sont
atteints. Des données en provenance
d'Inde ont démontré que lorsque les
deux parents sont atteints de diabète, le
risque pour les enfants dépasse 70 %.
On a observé que le risque de diabète
de type 2 chez les enfants semble
augmenter si la mère est atteinte de
Juin 2003 Volume 48 Numéro spécial
()
33
suggère que les individus qui possèdent
ces gènes "bénéfiques" survivraient à la
famine.Toutefois, dans le contexte de
l'occidentalisation, cet avantage devient
un désavantage et entraîne l'obésité.
Les petits bébés qui
affichent ensuite une
surcharge pondérale à
l'âge adulte sont ceux
qui présentent le plus
grand risque d'être
atteints de diabète.
Par contre, l'hypothèse du "phénotype
d'épargne" met l'accent sur les
événements qui précèdent la naissance
et qui conditionnent la programmation
métabolique du fœtus et le diabète plus
tard. En effet, il a été démontré de
façon indiscutable que les bébés de
petits poids (probablement un reflet
des influences nutritionnelles dans
l'utérus) qui afficheront ensuite une
surcharge pondérale à l'âge adulte
présentent le plus grand risque d'être
atteints d'un certain nombre de
conditions à l'âge adulte, notamment le
diabète et les maladies
cardiovasculaires (voir l'article de
Chittaranjan Yajnik dans ce numéro de
Diabetes Voice pour une analyse des
origines fœtales du diabète).
Chacune de ces hypothèses ne sont
toutefois pas exclusives et la vérité
réside quelque part à mi-chemin. En
effet, il a été démontré que des
affections monogéniques avaient un
effet profond sur la croissance du
fœtus. De plus, un terrain génétique à
la prédisposition de la programmation
métabolique pourrait, en plus de ceux
impliqués dans l'action et la secrétion
de l'insuline, concerner d'autres gènes –
notamment ceux participant au
développement du fœtus.
Succès génétique – le diabète
de type MODY (maturity onset
diabetes of the young)
Le MODY est un modèle de réussite en
matière de recherche sur le diabète,
dans laquelle la génétique a été le
vecteur d'une meilleure compréhension
de cette condition. Elle montre
également la future application possible
aux formes plus communes du diabète
de type 2. Le MODY est cliniquement
défini comme le développement du
diabète de type 2 avant 25 ans chez au
moins deux membres de la même
famille de générations successives. Le
MODY représente environ 2 % des cas
de diabète de type 2 dans le monde.
Jusqu'à présent, on a identifié six gènes
qui sont impliqués dans 95 % des cas de
diabète de type MODY, dont deux (un
gène de la glucokinase et celui d'un
facteur qui contrôle la transcription des
gènes dans les protéines – le facteur
nucléaire hépatique (HNF ))
constituent la majorité des cas. Des
mutations de ces six gènes affectent le
métabolisme des cellules bêta
productrices d'insuline. Ces mutations
entraînent des troubles de la secrétion
d'insuline.
Le thermostat des cellules bêta du
pancréas est la glucokinase. Cette
enzyme aide à détecter les niveaux de
glucose (sucre) dans le flux sanguin.
Elle détermine ensuite la quantité
appropriée d'insuline à secréter. Les
mutations de la glucokinase
représentent environ un tiers de tous
les cas de MODY. Le diabète
glucokinase est un diabète
extrêmement léger. Par conséquent,
son diagnostic est souvent
accidentel ou le résultat d'un diabète
gestationnel. Les complications
classiques du diabète affectant les yeux,
les nerfs et les reins sont rares. Les
personnes atteintes de ce type de
diabète ou si le parent a développé la
condition très jeune.
Chez des jumeaux monozygotes, si un
des jumeaux est atteint de diabète de
type 2, dans environ 28-34 % des cas,
l'autre jumeau développera également
le diabète. Par contre, chez des
jumeaux qui ne sont pas génétiquement
identiques, l'autre jumeau ne sera
atteint de diabète que dans 14-16 %
des cas. De plus, en suivant des
jumeaux monozygotes pendant
plusieurs années, on a observé que le
risque pour l'autre jumeau d'être
atteint de tolérance abaissée au glucose
approche graduellement les 100 %.
Des données plus significatives peuvent
être extraites de populations chez qui il
existe des preuves de mélange
génétique – en particulier entre un
groupe ethnique à haut risque et un
groupe à faible risque. L'île de Nauru
dans le Pacifique constitue un bon
exemple. Les habitants de pure souche
de plus de 60 ans ont une prévalence
du diabète de 83 %. Cependant, dans
un environnement identique, la
prévalence du diabète n'est que de
17 % chez ceux qui possèdent des
gènes europoïdes.
Les hypothèses du génotype
et du phénotype d'épargne
sont-elles exclusives ?
L'hypothèse du "génotype d'épargne"
tente d'expliquer l'avantage que
représente les gènes de la
prédisposition au diabète pour les
humains. Dans le passé, la famine était
monnaie courante. Malheureusement,
c'est toujours le cas dans certaines
régions du globe. Pour pouvoir survivre
à la famine, l'être humain doit faire des
réserves d'énergie pendant les périodes
d'abondance et les utiliser efficacement
en période de famine. L'hypothèse >>
Nouvelles perspectives sur les mécanismes
Juin 2003 Volume 48 Numéro spécial
34
diabète sont généralement traitées par
un régime alimentaire et ont rarement
besoin d'injections d'insuline.
L'autre principale cause du diabète de
type MODY sont les mutations de
l'enzyme HNF. Cette enzyme agit
comme un interrupteur principal des
cellules bêta, notamment celles de la
glucokinase. Contrairement aux patients
qui subissent des mutations de la
glucokinase, ceux qui sont atteints de
mutations de la HNF, bien que non
insulino-résistants, s'apparentent au
diabète de type 2 classique, et sont donc
atteints d'une condition plus grave.
Les mutations de gènes associées au
MODY peuvent être diagnostiquées via
des tests génétiques et peuvent donc
contribuer à établir un diagnostique
précis de la cause du diabète.
Le triomphe mexicain –
le diabète de type 2
"polygénique" commun
Deux méthodes principales sont
utilisées pour identifier les causes du
diabète de type 2 : la recherche
génomique et l'analyse du gène candidat.
Ces deux méthodes se basent sur les
progrès impressionnants réalisés par le
projet du génome humain.
Dans la recherche génomique, aucune
hypothèse n'est émise concernant la
cause possible du diabète. On procède
à une sélection d'un grand nombre de
familles dont plus d'un membre sont
atteints de diabète. Par le biais de
méthodes semi-automatisées, le
génome est scanné à l'aide d'environ
400 marqueurs de base répartis sur le
génome humain. L'objectif est de
trouver les zones du génome humain
qui sont partagées par les membres de
la famille atteints de diabète. On
observe que des zones identiques sont
fréquemment partagées par d'autres
familles.
Il existe également une diversité de
formes du diabète – comme dans toutes
les formes communes de diabète de
type 2. Une des explorations du génome
a déjà permis d'identifier un gène jusque
là inconnu – le calpain-10. Ce gène
contribue significativement à la
prédisposition génétique au diabète de
type 2 chez les Américains d'origine
mexicaine. De plus, on sait que, bien que
de moindre importance, il contribue
également soit au diabète soit à des
troubles de la fonction insulinique chez
un certain nombre de groupes
ethniques. Par exemple, chez les
personnes du sud de l'Inde, une variation
du calpain-10 a conduit à une
prédisposition à la fois au diabète de
type 2 et à la tolérance abaissée au
glucose et pourrait être associée à un
phénotype maigre.
Même si, globalement, le calpain-10 n'est
pas le gène principal du diabète, la
compréhension de la biologie de cette
nouvelle protéine peut apporter des
indices thérapeutiques importants pour
le diabète. Par exemple, nos données
préliminaires indiquent qu'il joue un rôle
direct dans la sécrétion de l'insuline.
Election du gène candidat
Couvrir tous les nombreux gènes
candidats étudiés dans le cadre des
recherches sur le diabète de type 2 est
impossible dans ce cadre-ci, en
particulier parce que nombre d'entre
eux s'avéreront être de fausses pistes.
Cependant, un certain nombre de gènes
de prédisposition ont été identifiés par
cette voie. Ils incluent les gènes du
récepteur activé proliférateur du
peroxysome (important dans la mise
en oeuvre de la toute nouvelle catégorie
de médicaments contre le diabète), le
substrat 1 du récepteur d'insuline, le
locus même du gène de l'insuline et le
récepteur sulfonylurée (accepteur pour
une autre catégorie de médicaments),
pour n'en citer que quelques-uns.
Le diabète pancréatique fibro-calculeux
(FCPD, fibrocalculous pancreatic diabetes)
se trouve dans les pays tropicaux et est
caractérisé par un développement
précoce du diabète chez une personne
maigre (en fait, dans une classification
antérieure de l'OMS, il était repris
comme une cause du diabète lié à la
malnutrition), il requiert souvent des
injections d'insuline et est associé à de
graves crises de douleurs abdominales et
de grosses pierres au pancréas.
Auparavant, on pensait que le FCPD
était un exemple de cause
environnementale du diabète faisant
suite à une pancréatite chronique.
Cependant, le FCPD a maintenant été
associé à l'ensemble de gènes HLA de
"groupage tissulaire" et aux gènes de
© mauritius
Nouvelles perspectives sur les mécanismes
Juin 2003 Volume 48 Numéro spécial
()
35
l'insuline. Parallèlement aux progrès
réalisés dans la détermination des
causes monogéniques du diabète de
type 2 (voir ci-dessus), la cause de la
pancréatite héréditaire pourrait être
dévoilée rapidement. Le gène "Kazal
type 1", plus connu sous le terme de
SPINK, provoque une prédisposition à
la fois à la pancréatite héréditaire et à
la pancréatite chronique. Notre
hypothèse est qu'il pourrait également
s'agir d'un bon gène candidat pour
le FCPD.
Au moins trois groupes de chercheurs
ont publié des données pratiquement
identiques démontrant qu'une
mutation commune du SPINK
représentait jusqu'à un tiers des cas de
FCPD. Dans notre étude, nous avons
analysé des personnes du sud de l'Asie
et du Bangladesh avec des résultats
pratiquement identiques. La mutation
du SPINK était présente dans 33 % des
180 personnes atteintes de FCPD,
comparé aux 4 % des 861 personnes
non atteintes de diabète et des 4 % de
personnes atteintes de diabète de type
2.Au Bangladesh, les parents de 69
familles ayant un enfant atteint de
FCPD ont été étudiés. Pratiquement
chaque parent qui possédait une
mutation du SPINK la transmettait à
l'enfant atteint de FCPD.
La cohérence des données et le fait
que tant les études basées sur la
famille que les études basées sur la
population révèlent les mêmes
résultats, constituent une preuve
irréfutable d'un composant génétique
du FCPD. Ces études soulignent
également la nature multifactorielle du
FCPD – aucun des parents n'était
atteint de FCPD et la mutation était
présente chez plus de 4 % de la
population "normale". Par conséquent,
la mutation en elle-même ne provoque
pas la condition. Une interaction avec
l'environnement et probablement
l'intervention d'autres gènes sont
nécessaires. Ce niveau de complexité
est la raison précise pour laquelle il a
été si difficile d'identifier les gènes
impliqués dans la prédisposition au
diabète de type 2.
Une approche
génétique devrait
conduire à de
meilleures stratégies de
prévention du diabète.
Applications pratiques des
études génétiques à la
prévention et au traitement
L'identification des gènes de la
prédisposition au diabète de type 2
devrait nous aider à comprendre les
causes de la condition.Actuellement,
nous savons qu'il y a probablement un
composant génétique à plusieurs
aspects associé au diabète de type 2.
Toutefois, à part les causes
monogéniques du diabète, nous n'avons
toujours qu'une connaissance minimale
des processus fondamentaux impliqués.
En effet, le traitement du diabète de
type 2, qui a un impact sur certaines
complications, n'influence pas la
progression de la condition. La raison
de cet échec est que nous ne traitons
actuellement que le résultat du
processus diabétique au lieu de nous
attaquer à la cause sous-jacente de la
condition. Une approche génétique est
une approche parmi d'autres qui peut
nous aider à mieux comprendre les
mécanismes primaires. Cela devrait
alors nous conduire à définir de
meilleures stratégies de prévention et
à trouver de meilleurs outils
thérapeutiques de lutte contre le
diabète.
`Graham Hitman
Graham Hitman est Professeur de
Médecine moléculaire et
Diabétologue consultant auprès de
Barts and à la London Queen
Mary's School of Medicine and
Dentistry, University of London,
Royaume-Uni.
Références
1. Ramachandran A, Snehalatha C,
Kapur A et al. Diabetes Epidemiology
Study Group in India (DESI). High
prevalence of diabetes and impaired
glucose tolerance in India: National
Urban Diabetes Survey. Diabetologia
2001; 44: 1094-101.
2. Neel JV. Diabetes mellitus a 'thrifty'
genotype rendered detrimental by
'progress'? 1962. Bull World Health
Organ 1999; 77: 694-703.
3. Hales CN, Barker DJ. Type 2 (non-
insulin-dependent) diabetes mellitus:
the thrifty phenotype hypothesis.
Diabetologia 1992; 35: 595-601.
4. Hattersley AT, Tooke JE. The fetal
insulin hypothesis: an alternative
explanation of the association of low
birthweight with diabetes and vascular
disease. Lancet 1999; 353: 1789-92.
5. Hattersley AT. Diagnosis of maturity-
onset diabetes of the young in the
pediatric diabetes clinic. J Pediatr
Endocrinol Metab 2000; 13 Suppl 6:
1411-7.
6. Almind K, Doria A, Kahn CR. Putting
the genes for type II diabetes on the
map. Nature Med 2001; 7: 277-9.
Nouvelles perspectives sur les mécanismes
Juin 2003 Volume 48 Numéro spécial
1 / 4 100%