GyBn/psycho/Rosset
THEORIES DE L’INSTINCT
Charles Darwin (1809-1882).
On ne saurait parler d'instinct sans mentionner les réflexions intéressantes de Charles Darwin, le
premier éthologiste et psychologue du 19e siècle. Dans son Origine des espèces et de la sélection
naturelle publié en 1859, il écrit à propos de l'instinct:
«On regarde ordinairement comme instinctif un acte accompli par un animal, surtout lorsqu'il est
jeune et sans expérience, ou un acte accompli par beaucoup d'individus, de la même manière, sans
qu'ils sachent en prévoir le but, alors que nous ne pourrions accomplir ce même acte qu'à l'aide de la
réflexion et de la pratique. Mais je pourrais démontrer qu'aucun de ces caractères de l'instinct n'est
universel, et que, selon l'expression de Pierre Huber, on peut constater fréquemment, même chez les
êtres peu élevés dans l'échelle de la nature, l'intervention d'une petite dose de jugement ou de rai-
son» (Darwin, 1859/1980, p. 276).
Darwin avait donc remarqué que les instincts pouvaient être présents dès la naissance, i.e qu'ils
pouvaient avoir une base héréditaire propre à l'espèce. Cependant, il constatait qu'ils étaient souvent
labiles dans leur développement et que des différences individuelles existaient dans leur expression.
Certains caractérisent l'animal quand il est jeune mais disparaissent à maturité; d'autres sont soumis
à des cycles saisonniers, etc. Ce qui était instinctif dans ce sens pouvait avoir été transmis héréditai-
rement, ou, à des degrés divers, avoir été modifié par la pratique. Sa conception de l'instinct se
transforma au cours des années. Ainsi, dans De la descendance de l'homme, et la sélection sexuelle
(1871/1981), Darwin utilise le terme instinct dans un sens différent, celui de «force interne». Plus
tard, dans L'expression des émotions chez l'homme et les animaux (1872/1981), les instincts devien-
dront la «force nerveuse».
William James (1842-1910).
William James croyait que les instincts avaient beaucoup en commun avec les réflexes. Comme
ceux-ci, ils sont déclenchés par des stimuli provenant des sens et se déroulent de façon automatique
et «aveugle» la première fois qu'ils sont amorcés. Par «aveugle», James voulait indiquer que, tout
comme un réflexe, l'instinct déclenché pour la première fois n'est pas guidé ou en rétroaction avec la
fin ou le but visé. James considérait aussi chaque instinct comme une pulsion interne, i.e. une force
agissant depuis l'intérieur de l'organisme et qui le pousse irrésistiblement à agir. Pour lui, l'instinct
ou son expression pouvait être variable dans le temps. Cette variabilité s'expliquait par deux princi-
pes. Le premier était que l'instinct est en partie modifiable par l'habitude ou l'expérience (i.e. l'ap-
prentissage) au point d'en inhiber complètement l'expression. Ainsi, l'instinct de «pudeur» qui fait
rougir et détourner le regard devant la nudité, peut être inhibé chez les personnes qui sont soumises
fréquemment à des images de nudité ou à la nudité elle-même. James proposa que l'expérience pou-
vait inhiber l'expression de l'instinct en limitant la gamme des stimuli pouvant le déclencher. Le
second principe est celui d'être transitoire. Certains instincts ne sont utiles qu'au cours de certaines
périodes particulières de la vie. Ils peuvent disparaître par la suite, dès lors devenus inutiles, ou en-
core réapparaître plus tard s'ils s'avèrent à nouveau nécessaires. La nature transitoire peut être illus-
trée par deux exemples. Le premier concerne l'instinct (selon James) qu'expriment les jeunes pous-
sins à suivre le premier objet mobile qu'ils aperçoivent après leur naissance, instinct qui est inhibé
par la suite sous l'effet de la maturation. Le second exemple est celui de l'instinct maternel de la
poule à l'égard de ses poussins, instinct qui disparaît quand la couvée vieillit, mais qui réapparaît
pour une couvée subséquente. Ces deux exemples proposés par James étaient des précurseurs assez
nets de la période critique pour l'empreinte, et des cycles hormonaux, phénomènes qui allaient être
décrits plus tard par l'éthologie. James voyait donc les conduites instinctives comme des formes
intermédiaires entre les réflexes et l'apprentissage, présentant des caractéristiques de chacun et à des
degrés divers. Contrairement à ses contemporains, James ne proposa pas que tous les comporte-
ments s'expliquaient par des instincts. Pour lui, les instincts servaient de base sur laquelle l'expé-
rience venait greffer les habitudes. Il ne limitait pas l'instinct à l'animal infra-humain. Au contraire,
il croyait que l'humain possédait tous les instincts des animaux qui lui étaient inférieurs, plus cer-
tains typiquement «humains» comme le jeu, la compétition et la jalousie.