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y a-t-il chez Hobbes, par sa critique du naturalisme aristotélicien, une reprise de
l’artificialisme platonicien accompagné du défi de produire de ce monde,
physique, éthique et politique, un savoir qui ne soit plus une simple narration,
mais une science authentique.
En effet, l’unité visée par Hobbes se traduisit par l’ambition de réécrire
toute la philosophie selon le paradigme du nouveau monde fourni par la
physique de Galilée. L’ancien livre de la nature, romanesque plutôt que
scientifique, devint le livre mathématique de l’univers, ce dernier terme se
substituant chez Galilée à la déesse Nature. Hobbes conçut le projet d’un
ouvrage sur le corps, puis d’un ouvrage sur l’homme et enfin d’un livre sur le
citoyen – une reprise mécanicienne et matérialiste du programme du Timée. Ce
projet connut bien des vicissitudes, mais il se fondait sur l’idée que tout
s’explique par le recours à des éléments, des sortes d’atomes ou de corpuscules,
et à des compositions d’éléments, des sortes de pactes ou de corps visibles.
Éléments-principes d’une vaste reprise de la pensée philosophique systématique
qui pourrait être définie à la fois comme une épistémologie de la réduction
(l’univers est un agrégat de corps matériels) et un holisme des émergences (tous
les corps composés matériels présentent des propriétés nouvelles). Pour illustrer
cette systématicité, je l’opposerai à la philosophie d’Aristote et à ce que ses
successeurs ont pu en faire (sans être toujours fidèles à l’esprit du Philosophe),
conglomérat que Hobbes baptise Aristotélité. J’essaierai de montrer qu’il y a un
corps de doctrine chez Hobbes (sa physique du mouvement, son éthique de la
volition singulière, sa politique du pacte, sa logique de la philosophie, sa
redéfinition la religion, sa nouvelle philosophie première de l’être en tant qu’être
comme premier connaissable parce qu’universalisable par la nomination) qui se
déploie comme un nouveau paradigme par rapport à la philosophie d’Aristote (à
sa physique du changement, son éthique de la prudence, sa vision de l’animal
politique, son logos délibératif, sa théologie astrale et sa métaphysique de l’être
éminent, donc universel parce que premier selon l’ordre cosmologique lui-
même). Je finirai en indiquant de profondes parentés entre deux authentiques
philosophes mobilisant toutes les ressources de la logique et de la science pour
contrer la vague sophistique de ceux qui parlent pour ne rien dire et singent la
philosophie en manipulant les apparences. Les deux philosophies présentent de
nombreux autres points communs (notamment l’usage du schème mimétique, de
la causalité active et passive, ou encore du façonnement conditionnant les
dispositions de la volonté), mais je n’évoquerai que ce danger permanent d’un
mauvais usage du langage, aperçu par les deux philosophes, pris très au sérieux,
qui situe bien le lieu de la sottise et explique assez les dévastations d’une bêtise
moins bestiale que symbolique, moins régressive que déviante par rapport aux
normes sémantiques et à une logique du sens. Mais auparavant, je terminerai