Version pre-print Publication à venir dans : Bull. Acad. Natle Méd., 2016, 200, n°6, ---, séance du 7 juin 2016 Syndrome de Guillain-Barré : rappel historique MOTS-CLÉS : Paralysie ascendante aigüe : Polynévrite aigüe : Polyneuropathie aigüe inflammatoire KEY-WORDS: Acute descending paralysis : acute polyneuritis : acute inflammatory polyneuropathy Jacques PHILIPPON* RÉSUMÉ Le syndrome de Guillain-Barré, décrit originalement en 1916, associe une paralysie aigüe ascendante progresssive, une aréflexie tendineuse et une dissociation albumino-cytologique du LCR. Si son tableau clinique est resté fondamentalement identique à sa description primitive, son évolution bénigne a pu néammoins être remise en cause, de même que l'existence de formes cliniques plus étendues ont pu être décrites. Cependant,afin de garder son authenticité clinique, des critères diagnostiques indiscutables, ne modifiant en rien la séméiologie fondamentale, furent proposés de façon plus récente afin de permettre des études épidémiologiques objectives. SUMMARY The Guillain-Barré Sydrome, first described in 1916, is an association of an acute progressive ascending paralysis, absence of tendon reflex and an increase in CSF protein without any cellular reaction. Even if the clinical aspects remain essentially the same as originally formulated, its benign evolution is today discutable and more complicated forms are now included under the same umbrella term. In order to ensure its clinical authenticity, diagnostic criteria have been recently proposed which, while respecting the basic semiology, facilitate objective epidemological studies. _______________________ *Membre de l’académie nationale de médecine Tirés à part : Professeur Jacques PHILIPPON Article reçu le 12 mai 2016, accepté le 6 juin 2016 Version pre-print Publication à venir dans : Bull. Acad. Natle Méd., 2016, 200, n°6, ---, séance du 7 juin 2016 La pérennité des syndromes éponymiques est souvent fragile (Il suffit de citer seulement la maladie de Charcot, décrite en 1874, mais qui perdit son nom en traversant l’Atlantique). Tel n'est pas le cas du syndrome de Guillain-Barré-Strohl (GBS), internationalement reconnu depuis le milieu des années 1930, même si le dernier auteur de la communication originale ne fut plus cité par la suite. Peut-on cependant attribuer de façon certaine la première description du syndrome de « polynevrite aigüe » aux auteurs maintenant unanimement reconnus ? On pourrait en douter si on se reporte à la description en 1859 d'une « Paralysie ascendante aigüe » observée chez 9 patients par Jean Baptiste Octave Landry de Tézillat. Celui-ci fut très tôt passionné par la neurologie : quelques années après son internat, il publiait le 1er volume de son « Traité des paralysies ». Mais dans son œuvre importante doit être retenue dans la Gazette des Hôpitaux la description en 1859 du cas d'un patient de 43 ans ayant présenté une atteint progressive sensitivo-motrice ascendante évoluant sur plusieurs semaines. [8] Si cette première observation se terminait par la mort du patient, Landry put rassembler 8 autres cas à évolution favorable, avec une régression progressivement descendante des signes neurologiques. Aucune conclusion pathogénique ne put alors être tirée de ces observations, d'autant que les données anatomiques ne portaient pas sur les nerfs périphériques. O. Landry ne put poursuivre ses recherches, victime à 39 ans du choléra qu'il avait contracté en soignant les malades atteint par l'épidémie. L'origine « névritique » de la maladie fut évoquée vraisemblablement pour la première fois (en 1869) par L. Duménil, chirurgien à Rouen, qui en rapportant 4 cas de paralysie ascendante et symétrique les attacha à une atrophie des nerfs pérphériques [4]. Si l'originalité de la description de Landry a été partiellement méconnue, il faut cependant remarquer que dans sa thèse de doctorat de 1879 (Recherches sur les lésions du système nerveux dans la paralysie ascendante aigüe), J.Déjerine souligna tout l'intérêt de la description originale de cette curieuse paralysie ascendante [3]. Notons également, car à l'origine d'une polémique transitoire, l'individualisation par W. Osler d'une « paralysie aigüe fébrile » (1892) où la différence fondamentale est représentée par d'emblée l'existence d'un état fébrile important. C'est donc seulement pendant la 1ère Guerre mondiale, lors de l'observation perspicace de deux soldats hospitalisés au centre neurologique de la 6ème Armée à Compiègne, que deux neurologues et un spécialiste de physique médicale, réunis par les hasards de la guerre, décrivirent dans son intégralité le syndrome qui portera leur nom et qui fera l'objet d'une communication à la Société médicale des Hôpitaux de Paris le 16 Octobre 1916 [5] : Syndrome de radiculo-nevrite avec hyperalbuminose du liquide céphalo-rachidien sans réaction cellulaire. Sa description tient en quelques lignes : Nous attirons l'attention, dans la présente note, sur un syndrome clinique que nous avons observé chez deux malades, syndrome caractérisé par des troubles moteurs, l'abolition des réflexes tendineux avec conservation des réflexes cutanés, des paresthésies avec troubles légers de la sensibilité objective, des douleurs à la pression des masses musculaires, des modifications peu accentuées des réactions electriques des nerfs et des muscles, de l'hyperalbuminose très notable du liquide céphalo-rachidien avec absence de réaction cytologique (dissociation albuminocytologique). Il faut par ailleurs souligner la difficulté que pouvait représenter à cette époque l'examen clinique de patients, alors que la 6ème armée était complètement engagée dans la meurtrière offensive de la Somme. Avant de revenir sur la personnalité des trois auteurs, notons que quelques semaines plus tard (Novembre 1916), Pierre Marie et Chatelin rapportait à la Société de Neurologie un cas de paralysie flasque progressive, ayant les mêmes caractéristiques que celui décrit par GBS [10] , tout en reconnaissant d'ailleurs qu'à cette date, il n'avait pas eu connaissance de la communication originale. Version pre-print Publication à venir dans : Bull. Acad. Natle Méd., 2016, 200, n°6, ---, séance du 7 juin 2016 Georges Guillain (1876-1961) avait connu très jeune une carrière brillante. Nommé major de l'Internat à 22 ans qu'il termina avec P. Marie, il en devint le chef de clinique. Il poursuivit ses recherches anato-cliniques avec la même rigoureuse discipline que lui avait enseignée son maître. Médecin des Hôpitaux à 30 ans, Agrégé à 34 ans, il devint pendant la guerre Médecin Chef du Centre Neurologique de la 6 ème Armée, où il retrouva comme adjoint son collègue et ami Jean Alexandre Barré. Celui-ci, après des études de Médecine à Nantes, fut pendant son internat à Paris élève de Babinski et P. Marie. Après sa thèse en 1912 sur les arthropathies tabétiques, il fut rapidement mobilisé: d'abord médecin d'ambulance en 1ère ligne, il devint ensuite l'adjoint de G. Guillain en 1916. André Strohl, troisième signataire de l'article original, était avant tout un électrophysiologiste et à ce titre responsable de l'enregistrement de la composante musculaire et réflexe. La disparition de son nom dans les publications ultérieures concernant le GBS est dû non à une injustice particulière, mais au fait que de par son orientation très neurophysiologique, il s'éloigna progressivement de la clinique. Nommé Agrégé de Physique médicale, il en occupa la chaire à Paris en 1925. Parmi les travaux de G. Guillain, le syndrome de GBS ne fut cependant pas mis immédiatement au premier plan : il ne constitua par exemple qu'un chapitre dans les varias inclus dans les travaux neurologiques de Guerre, publiés en 1920. Ce n'est qu'en 1936, à la suite de la remise en cause de la bénignité du syndrome et de son inclusion dans divers tableaux de polynévrite infectieuse que Guillain reprécise les limites nosographiques de leur syndrome, insistant en particulier sur l'absence de fièvre et la dissociation albumino-cytologique dans le LCR [6]. Le dernier écrit publié dans les Annales de Médecine en 1953 [7] reprenait en détail ce qui n'avait été qu'esquissé dans les années précédentes, et en complétait certains aspects ; décrivant en particulier un certain nombre de formes cliniques : formes spinales, mésocéphalique, mixte, avec troubles mentaux. Il y ajoutait également des formes ataxiques [2]. Il rejetait par contre la paralysie ascendante de Landry par l'absence de contrôle du LCR ou la polynévrite aigue fébrile décrite par Osler en 1892 en raison de l'existence d'emblée d'une fièvre importante. La notion de bénignité considérée à l'origine comme faisant partie des critères diagnostiques fut déjà remise en doute par G. Guillain qui mentionna quelques cas mortels par atteint des nerfs bulbaires. Depuis le milieu du XXe siècle, l'évolution favorable n'est plus un critère diagnostic. Cependant du fait de difficultés diagnostiques dans certains cas et afin d'éviter une définition trop large du SGB, des critères précis furent proposés sur le plan international permettant des études cliniques et épidémiologiques rigoureuses : une première proposition fut faite en 1960 par Osler et Sidell [9], mais c'est en 1976, à la suite d'une série de cas liée à une vaccination contre une menace de grippe porcine aux USA que ces critères ont fait l'objet d'une normalisation internationale [1]. Le rappel historique pourrait s'arrêter là, car en dehors de l'étiopathogénie, peu de nouveautés cliniques mériteraient d'être citées ; mais il restait cependant une surprise de taille : le syndrome de GBS serait resté méconnu chez un patient pour le moins célèbre en Médecine : ce n'est qu'en 1987, qu'un historien américain souleva l'hypothèse que Harvey Cushing, fondateur de la neurochirurgie américaine présenta au cours de la 1ère Guerre Mondiale des symptômes remarquablement décrit dans ses mémoires de Guerre : en Aout 1918, après un épisode de « grippe », il se plaignit d'une diminution progressive de la force musculaire des membres inférieurs, accompagnée de paresthésies. Quelqes semaines plus tard, les mains étaient également atteintes avec sensation d'engourdissement et de maladresse, si bien que le rasage devenait dangereux et l'action de se boutonner laborieuse .A la fin de la guerre, après son retour à Boston, il reprit son activité opératoire, mais il demeurait épuisé après ses opérations L'évolution en trois phases, installation rapidement progressive, stabilité transitoire puis lente récupération quoique incomplète semble tout à fait caractéristique [11] Le dernier paradoxe est que G. Guillain et H. Cushing ont assisté l'un et l'autre au Congrès Interarmées en 1919, mais sans se rencontrer directement, ce qui aurait sans doute permis un diagnostic plus Version pre-print Publication à venir dans : Bull. Acad. Natle Méd., 2016, 200, n°6, ---, séance du 7 juin 2016 précoce ! Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour que le mystère sur l'étio-pathogénie de la maladie s'éclaircisse, aboutissant à la notion d'une maladie auto-immune inflammatoire du système nerveux périphérique. RÉFÉRENCES [1] Ashbury AK, Arnason BGW, Karp HR, Mc Farlin DF (1978) Criteria for the diagnosis of Guillain-Barré syndrome. Ann Neurol 3 : 565-566 [2] Cambier J.,Schott B. (1966). Nosologies des polyradiculonévrites inflammatoires. Rev Neurol .,(II) : 811-42 [3] Dejerine J (1879) Recherche sur les lésions du système nerveux dans la paralysie ascendante aiguê;thèse n° 81. Paris, p 66 [4] Duménil L. (1866) Contribution pour servir à l'histoire de paralysies périphériques et spécialement de la névrite. Gaz Hebd Méd Chir : série 2;3:51-56 et 3:67-71 [5] Guillain G., Barré JA, Strohl A (1916) Sur un syndrome de radiculo-névrite avec hyperalbuminose du liquide céphalorachidien sans réaction cellulaire. Remarques sur les caractères cliniques et graphiques des réflexes tendineux. Bull et Mem de la Soc Méd des Hop de Paris, 1462-1470 [6] Guillain G., Barré J.-A. (1936) Quelques remarques sur notre syndrome de radiculo-névrite avec hyperalbuminose du liquide céphalorachidien sans réaction cellulaire. Rev Neurol, 573-82 [7] Guillain G. ( 1953) Considérations sur le syndrome de Guillain-Barré. Ann Med 54,81-92 [8] Landry O. (1859) Note sur la paralysie ascendante aiguê. Gaz Hebd Méd Chir 6: 472 -488 [9] Osler LD, Sidell AD (1960) The Guillain- Barré syndrome : the need for exact diagnostic critéria. N Eng J Med 262 : 964-969 [10] Pierre Marie, Chatelin Note sur un syndrome de paralysie flasque, hyperalbuminose, xanthochromie du LCR évoluant spontanément vers la guérison ( 1916) Rev. Neurol 30, 565 [11] Reich SG. ( 1987) Harvey Cushing's Guillain-Barré syndrome:an historical diagnosis . Neurosurgery 21 : 135-141