Les nouveaux repères de l`identité collective en Europe

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Les nouveaux repères de
l'identité collective en Europe
Wanda Dressler,
Gabriel Gatti, et Alfonso Pérez-Agote
(éds. )
Les nouveaux repères de
l'identité collective en Europe
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris - FRANCE
L'Harmattan Ine
55, rue Saint-Jacques
Montréal (Qc) - CANADA H2Y lK9
ONT PARTICIPE A CET OUVRAGE
Hachemi Baœ.ouche, Membre Émérite de l'AISLF, ancien professeur de
psychologie
sociale, Le Cannet, France.
Michel Binet. Universidad
Lus6funa
social), Lisbonne, Portugal.
et ISSS
(Instituto
Maria Ciechocinska, École supérieure d'agriculture
Pologne.
superior
de seIVicio
et d'éducation, Siedlœ.
CluyssouJa Constantopoulou, oo-responsable du Comité de recherche n° 1,
Identité, espace et politique de l'AISLF, univeISité de Thessalonique, Greœ.
Vittorio Cotesta, Università degli Studi di Salerno, Italie.
Wanda Dressler, oo-responsable du Comité de recherche n° 1, Identité, espace et
politique, de l'AISLF, CNRSILADYSS
(LaborntoÏre sur les Dynamiques
Sociales et la Recomposition des Espaces), univeISité de NanteIre. Paris,
France.
Mari Cannen Garcia, université
Lwnière-Lyon
II, Lyon, France.
Gabriel Gatti, univeISité du Pays basque, CEIC (Centro de Estudios sobre la
ldentidad Colectiva), Leioo, Pays basque.
Marie Antoinette Hily, MIGRINIER/CNRS/MSH, Poitiers, France.
Francis Jaw:égwbeny, univeISité de Pau, SEr/CNRS, Pau, France.
Nekane Jausoro, université du Pays basque, Leioo, Pays basque.
Alfonso Pérez-Agote, oo-responsable du Comité de recherche n° 1, Identité,
espace et politique, de l'AISLF, université du Pays basque, CElC (Centro de
Estudios sobre la ldentidad Colectiva), Leioo, Pays basque.
Vladimir Tarasov, Département de Sociologie de l'Académie des Sciences,
Minsk, Biélorussie.
Galia Valtchnikova, Institut de Thracologie, Sofia, Bulgarie.
Vasil Ziatdinov, Institut de Recherche sur la Culture, Conseiller à la Downa,
Moscou, Russie.
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PRESENTATION
Wanda Dressler, Gabriel Gatti,
Alfonso Pérez-Agote
Au sein du Comité de recherche n° 1 (Identité, espace et politique)
de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française,
entre le 8 et le 12 juillet 1996, un groupe de sociologues s'est réuni à
Evora (portugal), lors du XV' congrès de cette association, afin
d'éclaircir les notions qui structurent et délimitent le champ d'une sociologie de l'identité collective. Ce faisant, des sujets très divers,
procédant de diverses traditions culturelles et tenant de paradigmes
scientifiques très différents donnaient continuité à un effort de réflexion
ouvert, depuis 1972, dans l'ensemble des sciences sociales et Humaines.
À cette date, Claude Lévi-Strauss et Jean Marie Benoist publièrent les
Actes du colloque multidisciplinaire qu'ils menèrent au Collège de
France autour des différentes approches possibles de la notion
d'identité1. Depuis, les débats, conférences, congrès, ayant pour objet
des analyses des différentes modalités de la dimension sociale du
substantif "identité" se sont succédés au long des années, manifestant
un intérêt croissant pour ce qui, dès lors, s'est institué au sein des
sciences sociales comme une nouvelle aire de recherche et de réflexion
théorique. La longue existence du Comité de recherche n° 1 de
l'AISLF, d'où procèdent les textes que cette présentation introduit, témoigne de cet intérêt.
Le fait que l'identité collective soit une matière actuellement des
plus revisitées par la sociologie prouve l'importance du travail
d'institutionnalisation en cours. Celui-ci est loin d'être achevé. En dépit
de l'existence d'un lexique peu ou prou partagé par la communauté des
chercheurs dédiés à cette réflexion et du nombre important de laboratoiI Claude Lévi-Strauss et Jean-Marie Benoist (Eds.), L'identité, Grasset, Paris,
1972.
9
res ou de comités qui mettent ce thème au centre de leur questionnement, rien ne nous permet de penser à ce que l'on pourrait appeler un
"champ identitaire", car si cette aire de recherche possède une caractéristique spécifique, c'est bien celle de l'impossibilité de fixer un champ
qui lui soit propre. Certes, le renouveau permanent des phénomènes sociaux qui ont la définition de soi comme finalité empêche de considérer
ce champ de réflexion comme définitivement clos. L'identité comme la
sociologie, sont toujours traversées par un paradoxe qui nous semble
constitutif: autant l'une que l'autre trouvent dans leur propre crise le
moteur de leur évolution. Comme l'exprimaient, à cet égard, en 1972,
Claude Lévi-Strauss et Jean-Marie Benoist, sur le terrain des pratiques
sociales et des sciences du social, l'''identité'' se réduit moins à se postuler ou à s'affirmer qu'à se refaire et à se reconstruire à travers
différentes actions d'institutionnalisation et de création2,
La nécessité de revisiter les notions qui constituent l'appareil théorique, terminologique et méthodologique d'une sociologie de l'identité
collective, ainsi que la compréhension de l'émergence de phénomènes
sociaux sur des bases identitaires apparaissent alors comme les deux
axes qui orientent les préoccupations des travaux présentés dans cet ouvrage. Institutionnalisation et création donc: si l'institutionnalisation
conduit les recherches vers l'affirmation des bornes et des contenus qui
construisent - ici aussi - l'identité d'une sociologie de l'identité, la
création ouvre sur d'autres disciplines et sur les apports les plus récents
des sciences sociales, tant au niveau de la théorie que de la méthode ou
du lexique.
Mais instituer et créer sont des verbes qui peuvent se conjuguer de
manières très différentes. Quelques-unes d'entre elles reflètent chacune
des trois parties de cet ouvrage.
La première traite de L'institutionnalisation de l'identité: éléments et processus de reconstruction des repères identitaires.
L'institutionnalisation s'analyse à travers l'étude des processus de
maintien et de reproduction des identités nationales. Les articles de
cette partie envisagent les processus que subissent les formes de
l'identité affirmées dans les références classiques par rapport auxquelles on a conçu l'appartenance sociale, en Occident: la nation et ses
deux plus forts repères, le territoire propre de la communauté et
1'histoire communautaire. Le texte d'Alfonso Pérez-Agote ("Thèses sur
2 Dans la page 301 de la "Conclusion" de l'œuvre citée.
ID
l'arbitraire de l'être collectif national") ouvre le débat avec quatone
propositions et deux conclusions qui nous montrent, d'abord, la contingence de la fondation et du succès de l'imaginaire stato-national en
Occident, puis les mécanismes sur lesquels s'appuie la reproduction
d'un modèle de l'identité qui constitue, dès lors, la base et la référence
par rapport à laquelle est conçue l'identité collective. Nul ne peut nier
que, en tant que forme quasi monopoliste de l'identité dans le monde
contemporain, l'imaginaire de l'État-nation conditionne, dès son institutionnalisation, nos représentations des phénomènes identitaires, saisis
à son égard, sous les images de la centralité du politique et de
l'indivisibilité de l'être collectif qui s'ordonne par rapport à lui. En dépit du fait que ces États-nations continuent à être, toujours en Occident,
la référence forte de ce que le terme "identité" veut dire, ces formes de
l'être social passent aujourd'hui par une sérieuse recomposition. Dans
ce sens, la reconstruction des identités nationales des pays de l'est européen est extrêmement significative: des nations sans État qui
s'étatisent, d'autres qui s'inventent, des États qui se reconstruisent
après des années de soumission dans l'ombre, constituent autant
d'exemples de cette phase de reconstruction de l'imaginaire stato-national que parcourent de nombreuses communautés.
La puissance de la référence à l'histoire et au territoire, l'une mythique, l'autre sacrée dans la construction sociale des représentations
sur l'appartenance, occupe le reste des contributions rassemblées dans
cette section. Galia Valtchnikova ("Territoire et ethnicité: pour une
"géométrie variable" des identités balkaniques"), étudie la composante
spatiale de cette représentation, en envisageant pour le cas des Balkans,
la recomposition de l'appartenance ethnique par rapport aux coordonnées territoriales de l'identité: à travers l'espace et les marques que
l'histoire y laisse, la mémoire se reproduit et l'identité et l'altérité se
définissent par rapport aux attributs conférés à l'espace, la crise
d'identité qui traverse les Balkans étant administrée par les sujets qui
l'habitent. Vladimir Tarasov et Vasil Ziatdinov, de leur côté, analysent
le temps de l'identité, l'autre coordonnée centrale dans notre domaine.
Un temps qui se lit comme étant au fondement de la nation et de sa
continuité, par delà les contraintes de l'histoire, dans le cas de l'article
de Vladimir Tarasov ("L'identité
culturelle et politique en
Biélorussie"). Selon l'auteur, le temps constitue la grille qui ordonne le
processus politique de reconstitution qui supporte à l'heure actuelle les
références localisées de l'imaginaire de l'identité nationale biélorusse.
Un temps qui, à son tour, sert à Vasil Ziatdinov ("Le rôle de la région
nationale dans la création d'une nouvelle société en Russie: le cas du
Il
Tatarstan") à montrer les difficultés que doit surmonter une nouvelle
nation, celle des Tatars, lorsqu'elle trouve ses modèles dans des références placées à des niveaux forts différents: le global (l'URSS et les
régimes des pays occidentaux) et le local (le Tatarstan comme région
insérée dans une unité administrative et territoriale d'ordre supérieur).
Aussi dans les pays de l'est européen, Maria Ciechocinska ("Enjeux de
la collaboration bilatérale biélorusse-polonaise pour la formation d'une
conscience nationale moderne") approfondit la nature des rapports entre identité et altérité, problème fondamental pour toute analyse de
l'identité nationale. Étudiant celle-ci à travers le jeu des stéréotypes qui
servent aux Polonais et aux Biélorusses pour se définir mutuellement,
l'auteur nous montre comment la construction d'un autre est un mécanisme central pour l'affirmation de soi. Sorte de miroir, la création
d'un Alter permettant à l'Ego de définir ses frontières, est le dispositif
fondamental de n'importe quelle forme d'identité nationale et aussi le
point d'appui de toutes sortes d'opérations qui servent à administrer les
frontières identitaires. Enfin, le cas que Mari Carmen Garcia étudie
("Langues dans l'enseignement et construction nationale en Catalogne"), nous déplace vers ce que la littérature sociologique dénomme
"nationalismes périphériques". Ce que l'auteur explore n'est pas le
mode d'identification nationale mais l'élément qui sert de ciment à la
constitution d'une conscience d'appartenance: la langue et sa régulation à travers le système d'enseignement. Dans le milieu complexe de la
Catalogne, les représentations et les pratiques des deux langues en
compétition, le castillan et le catalan, constituent le centre d'un conflit
identitaire très fort. Les relations entre ces deux langues, qui s'appuient
sur des traditions culturelles différentes, doivent se gérer à travers le
partage des espaces d'identification ainsi qu'à travers l'administration
des espaces partagés par les deux identités en conflit. Étudiant cette situation de conflit inter-culturel dans le système d'enseignement des
langu(:s et sa réglementation, l'auteur met le doigt sur la complexité
d'une situation de plus en plus fréquente dans le monde contemporain.
Dans la deuxième partie du livre, La création identitaire:
l'invention de nouvelles localisations du collectif, c'est, à la différence
de la précédente, la création de nouvelles localisations de l'identité
collective, et donc l'action, qui se trouve au centre des travaux où la
nouveauté est peut être le terme qui décrit le mieux la nature des formes
sociales qui y sont reflétées. Des territoires en pleine effervescence sont
au centre des contributions: des identités sans espace, de l'ordre de
l'imaginal, des organisations en réseau sont quelques-unes des formes
de l'être social contemporain, ici, envisagées. Mais, nous sommes con12
scients qu'elles ne sont pas les seules, car, en effet, la création de nouvelles localisations pour les appartenances sociales est un processus en
pleine invention, comme l'est la sociologie qui aspire à les interpréter.
Les premiers traits qui les caractérisent sont la possibilité de penser les
communautés sans territoires, de songer à construire un modèle pour
l'analyse des groupements sociaux dépourvus de formes politiques
d'organisation et d'histoire mythique et ouvrir la possibilité de penser
des communautés ordonnées par rapport à des références qui sont de
l'ordre de l'imaginal et non du politique.
La création est donc l'objet des travaux de cette seconde partie.
Création qui est de l'ordre du politique dans le cas analysé par Wanda
Dressler ("Europe: États, identités et territoires entre globalisation et
cyberespace"). En partant de la refonte des frontières et des nations qui,
à ce jour, se poursuit en Europe, l'auteur étudie les pièces qui composent la construction d'un imaginaire de l'appartenance. Trouvant de
moins en moins leurs repères dans les coordonnées stato-nationales du
collectif, les acteurs sociaux cherchent à la fois dans les nouvelles
structures de communication et dans d'autres niveaux territoriaux plus
locaux, les références par rapport auxquelles édifier une nouvelle architecture du collectif, structures dont le cyberespace, le réseau, la
mondialisation mais aussi la région, la région-frontière ou l'ethnie
constituent les piliers. On assiste alors à la multiplication des structures
d'identités collectives, les unes réactives, les autres prospectives qui recomposent le paysage identitaire des populations européennes, d'est en
ouest, et lui donnent une nouvelle dynamique culturelle et politique
complexe dont les formes institutionnelles régulatrices adéquates pour
maintenir ou promouvoir un ordre démocratique sont l'objet d'une
quête encore tâtonnante. La création est de l'ordre du symbolique dans
la contribution de Nekane Jausoro ("Langue en Pays basque. La langue
comme agencement de "fusion" (identité/altérité) dans l'interaction sociale"), où la différence linguistique, un des instruments les plus
puissants pour se définir comme membre d'une communauté, joue le
rôle central. Pour la construction d'une identité, le rôle d'une langue
n'est pas seulement celui d'un fait communicationnel, mais surtout celui d'un trait dont les représentations diverses qui y confluent,
permettent aux sujets de créer un espace de convivialité autour duquel
se définit une communauté identitaire. Dans ces communautés, les raisons et les faits jouent leur rôle; mais, aussi les affects et les
représentations. En analysant le cas du Pays basque, l'auteur nous propose la notion de "communauté affective", en nous montrant comment
cette dimension du social, l'affectif, occupe une place essentielle dans
13
l'édification et le maintien d'une identité et d'une altérité. Création qui
est, finalement, de l'ordre de l'imaginal dans les travaux de Francis
Jauréguiberry ("Le moi, le soi et Internet"), Cluyssoula ConstantopouIou ("Images du monde, médias et identité") et de Hachemi Baccouche
("Des fratries à la rencontre des contingences et des mythes"). Les deux
premiers développent une tentative de penser les conséquences
qu'entraîne la naissance du réseau Internet pour la définition du soi et
du nous de l'identité. Territoire sans cartes, Internet est un de nombreux exemples des déplacements de l'identité collective vers des zones
encore méconnues dans les analyses des sociologues: des territoires
sans nom, des groupes sans histoire, des communautés d'individus, qui
émergent de la main d'Internet comme de nouveaux acteurs dans notre
domaine, nous obligeant à nous demander, d'un côté, jusqu'à quel point
ceux qui jadis constituaient les supports fondamentaux de la définition
de l'identité collective le restent encore et à nous interroger, d'autre
part, sur le sens du terme "identité" de nos jours. L'une et l'autre questions trouvent sûrement une réponse dans la variété des choix que les
acteurs sociaux réalisent au moment de construire leur image de soi,
variété qui oblige à faire disparaître le terme identité des textes sociologiques s'il continue à être conçu comme un a priori de l'action pour
ensuite le faire réapparaître comme action même. Une action de négociation et de restructuration permanente de ce que nous, sociologues,
avons parfois été tentés de percevoir et d'analyser comme un donné
préalable à l'existence des sujets, comme une sorte de code dont la
maîtrise semblait l'objectif de nos recherches: les références du nous et
du moi, si fortes qu'elles puissent l'être, sont des objets malléables,
avec lesquels on joue pour construire le monde. Et comme Hachemi
Baccouche nous le montre si bien, autant le moderne, la nation, que le
postmoderne, les réseaux d'information, peuvent servir ce but. Il y
ajoute même le pré-moderne, en étudiant l'imaginaire méditerranéen
comme support de la constitution d'une solidarité nouvelle.
Enfin, dans la troisième et dernière section, intitulée La stratégie
identitaire: l'administration quotidienne du sens de l'appartenance,
les protagonistes sont les phénomènes où se confondent institutionnalisation et création. Les quatre contributions réunies sont donc liées par
un intérêt commun: analyser les jeux complexes de négociation que
prennent les formes de l'identité collective dont l'adaptation, la ruse et
la stratégie sont peut être les trois concepts qui les définissent dans un
immense faisceau de possibilités, où inventer le social au sein de structures déjà instituées ou affirmer des liens sociaux dans des situations
faibles sont ses extrêmes. Les paradoxes et le bouleversement des ap14
partenances claires occupent l'article de Gabriel Gatti ("Limites de
l'identité et identité des limites: les modalités souples de l'identité
collective"), où l'auteur propose avec les notions de "limite" et de
"modalités souples de l'identité collective" une alternative analytique
au paradigme dominant en sociologie de l'identité collective :la première, celle de limite, comme le pilier d'une voie d'étude avec laquelle
on puisse rentrer dans les domaines de la vie sociale exempts de continuité et d'unité, traits caractéristiques des formes de l'identité que la
sociologie a maintes fois considéré comme les plus significatifs de ses
objets d'analyse, la deuxième, celle de "modalités souples de l'identité
collective", comme concept avec lequel l'auteur tente de construire une
caractérologie des formes du social - les doubles appartenances, les
processus de conversion et d'apprentissage identitaire, les phénomènes
d'hybridation culturelle... - qui font de l'ambivalence et de la contradiction, du paradoxe et de l'éphémère, les territoires où se déploient
leurs jeux de sociabilité. Ces notions apparaissent non comme de simples outils théoriques mais comme des stratégies. de sociabilité réelles et
pratiquées. Pour sa part, Michel Binet ("Approche sociologique du signifiant spatial. Entre émergence, émission et réduction") recourt à
l'outillage théorique et méthodologique de la sémiologie et de la sociologie de l'espace. Afin d'analyser, à travers l'observation de la mise en
scène d'un rituel urbain, les opérations de resignification des centres
symboliques qui ordonnent et régulent les systèmes identitaires que les
slijets élaborent pour gérer et construire leurs rapports à ces signifiants
forts de leurs représentations de soi, l'auteur fait apparaître la signification cachée du signifiant spatial: l'espace pratiqué, celui des scènes
du quotidien, où l'on ruse avec le territoire, toujours mythique, des
grandes formations identitaires. La ruse occupe aussi l'article de Marie
Antoinette Hily ("Les "prises identitaires" du migrant dans l'espace
villageois portugais"). Elle nous présente une situation encore rare dans
les textes des sciences sociales mais déjà très fréquente dans les sociétés
qui fondent leur objet: les relations que les migrants établissent avec
l'espace d'où ils sont issus et où ils retournent périodiquement. Ni espace d'accueil, ni espace de fuite, l'observation de la scène du village
revisité permet à l'auteur de nous faire voir la dimension paradoxale de
la vie sociale, des espaces-temps où l'appartenance claire est bouleversée et les identités sociales jadis conçues indivisibles, affrontent les
contraintes de la mobilité et de la double appartenance. Finalement, la
contribution de Vittorio Cotesta ("Les conflits ethniques selon la théorie
de l'action sociale. Critique des interprétations dichotomiques") aborde
les stratégies identitaires à l'aide des instruments analytiques de la
15
théorie de l'action sociale pour nous montrer le jeu d'interactions que
mènent les sujets engagés dans des situations de conflit de groupe.
Critique envers les propositions théoriques qui se centrent sur des situations de grande polarisation, cette contribution essaie de développer, en
créant une typologie des conflits à base ethnique, un modèle analytique
adéquat à l'étude des enjeux qui ont lieu à l'intérieur de ces situations que
la tradition sociologique réduisait à leurs extrêmes.
NNN
Le titre de cet ouvrage, (( Nouveauxrepères des identités collectives
en Europe », évoque la variété des choix possibles à la disposition des
acteurs sociaux pour la construction ou l'invention de leurs références
identitaires. Il signale la richesse d'un champ toujours ouvert à la création en même temps qu'à la nécessité continuelle d'affirmation d'appartenance à un ensemble social qui assure continuité et reproduction sociale. Les frontières des groupes se transformant, les appartenances ne sont
plus claires, mais souvent doubles et modulables. Cet ouvrage essaie de
rendre compte des paradoxes qui traversent également la construction du
champ de la sociologie de l'identité collective.
PREMIÈRE SECTION:
L'INSTITUTIONNALISATION
L'IDENTITE:
DE
ELEMENTS ET PROCESSUS DE
RECONSTRUCTION
DES REPERES
IDENTITAIRES
THESES SUR L'ARBITRAIRE DE L'ETRE
COLLECTIF NATIONAL
Alfonso Pérez-Agote
1. La nation est une invention historique occidentale
L'État national est une façon spécifique d'organiser complètement
la vie sociale qui apparaît dans des pays concrets pendant une époque
historique précise. Kohn dit que les éléments de l'idée de nation préexistent à l'époque du nationalisme qu'inaugure la Révolution
française, mais sans influencer la pensée ni les actes humains de façon
profonde et mesurable.
L'État national est la conjonction d'une forme matérielle objective
basée sur l'existence d'un centre de pouvoir qui contrôle un territoire
physiquement défini et une façon psychologique immatérielle de légitimation de ce centre par l'existence d'un sentiment (éléments affectifs
et sentimentaux de la nation) d'appartenance à une communauté de
laquelle on considère (éléments cognitifs de la nation) que ce centre
émane. Cette conjonction historique est opérée par la bourgeoisie,
comme premier agrégat social de I'histoire, qui est exclusivement
amalgamé par des intérêts économiques: elle a besoin de la suppression
de l'arbitraire que le pouvoir personnel implique, pour "la sécurité de la
circulation" (Weber).
Bien entendu, certains aspects, qui donnent forme à la nation; préexistent à l'idée et au sentiment nationaux. Outre la préexistence de
l'État, au sens large, on peut dire que le processus de nationalisation de
l'État préexiste à l'occupation bourgeoise du pouvoir et produit une
certaine standardisation culturelle et linguistique, même si, dans. un
sens strict, la nation dans son sens historique complet est une idée de
communauté, dépositaire du pouvoir. Ce sens politique, il n'y a que la
19
bourgeoisie qui puisse le lui donner, premier agrégat social dont on
puisse dire qu'il est national (Marx).
Bien sÛT,aussi, dans d'autres moments historiques, légitimité et
communauté sont en relation. Le pouvoir peut générer de la solidarité
parmi les personnes soumises, de multiples façons. Mais, ce qui est
nouveau dans le cas national, c'est la forme directe, réflexive et excluante sur laquelle la légitimité du centre du pouvoir est basée. Ce
dernier est considéré comme l'émanation de la communauté.
2. La nation est fille de l'État
Le sens général de l'histoire des pays occidentaux nous dit que
l'État se forme avant la nation et que parler de l'État comme forme organisatrice antérieure à la forme spécifique d'État-national et donc à la
nation, a un sens. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de cas,
même dans le monde occidental, où l'idée et même le sentiment
d'appartenance à la nation préexistent à un centre de pouvoir défini territorialement. Dans ces cas-là, le nationalisme est un mouvement qui
tend à la construction d'un État. Dans l'ordre chronologique, la première chose qui apparaît est l'existence de quelques États qui, après les
révolutions politiques modernes et la diffusion de leurs idées, essayeront de fonder leur légitimité sur l'existence d'une communauté
nationale. Le processus de constitution de la communauté nationale et
d'un sentiment excluant une appartenance politique peut avoir un succès plus ou mois grand. Alors, nous pourrions parler d'États-nations
plus ou moins réussis.
Mais, dans tous les cas, nous devons comprendre que la nation n'a
pas de sens sans référence à un État, que dans ce sens, celui-ci précède
cette dernière et que, historiquement, la tendance dominante dans le
monde occidental est celle qui établit cet ordre logique.
3. L'opposition entre individu et l'État n'est pas une
La construction des États a été un. processus historique de totalisation de la réalité sociale. L'État, dans ce sens, engendre la société,
communauté sociale relativement autosuffisante, et au même moment,
il entraîne ce que nous appelons aujourd'hui l'individu, transcendant
ainsi la réalité de membre de la famille, de l'Église, du voisinage, de la
corporation. Dans ce processus, l'ère du nationalisme est le point culminant de sa double face: d'un côté, le nationalisme totalise la
20
dimension symbolique, culturelle, et, de l'autre, il consolide l'individu
en tant que citoyen sujet de droits inaliénables. L'État et l'individu,
naissent dans le même mouvement, ce qui signifie la perte
d'importance et, surtout, d'autonomie de certaines associations intermédiaires.
4. L'histoire nationale est Histoire Sacrée
Le fait que tout État soit créé par la force, comme nous le rappelle
Weber en citant Trotsky, ou qu'il naisse de la guerre, décrétée civile a
posteriori, implique une inversion des termes au moment de chercher
une légitimité démocratique. La part d'arbitraire logique que tout produit historique comporte doit être remplacée par l'idée que ce produit
n'est jamais donné comme tel mais qu'il existait déjà à l'origine. Se
recrée et se diffuse, ainsi, une histoire nationale qui se sacralise dans le
but de conjurer l'arbitraire de l'être collectif. Cette incitation à l'oubli
de l'arbitraire est aussi celle de la violence fondatrice de l'État. Foucault dit que pour Nietzsche le savoir est fait pour détruire. Le mythe
historique sacré est, au contraire, fait pour assurer une communauté solidaire. De ce point de vue, il est important que la sacralisation de
l'histoire, dans le système général de l'enseignement, établisse comme
mémoire collective l'histoire d'un peuple qui a déjà existé.
La référence au système d'enseignement n'est pas accidentelle
mais, soit à travers ce mécanisme, soit à travers d'autres, comme nous
le verrons, l'idée et le sentiment de nation doivent, pour être effectifs,
cesser d'être exclusifs d'une élite et devenir un phénomène de masse.
"Une nation n'existe que, comme le dit W. Connor, lorsque les appels
à la conscience nationale - appellations au nom de la nation - peuvent obtenir une réponse massive". Et ce caractère de masse met en
relief que la nation, dans sa dimension cognitive, est une définition sociale, faite pour les acteurs sociaux, d'une réalité collective.
5. La nation n'est pas un concept scientifique
Une des plus grandes difficultés sur lesquelles bute la science sociale pour l'analyse de la réalité sociale est que l'un des éléments qui
composent celle-ci fait partie de ses définitions. Un aspect du problème
est constitué par le cercle vicieux connu - réel ou apparent, peu importe - qui établit que les définitions scientifiques de la réalité
appartiennent à la réalité sociale propre.
21
On peut confronter, sans opposition entre elles, deux fonnes différentes de définitions de la réalité. D'une part, celles que font les
scientifiques, dont le problème fondamental est celui de la véracité,
celle-ci comprise dans un sens générique sans que nous intéresse ici la
précision de ce qu'elle signifie. D'autre part, il Y a les définitions sociales de la réalité qui émanent de n'importe quel acteur social et qui
sont objet d'analyse pour le scientifique.
Le problème fondamental que posent ces définitions sociales au
scientifique n'est pas celui de leur véracité (qui peut intéresser l'acteur
social qui les réalise) mais celui de leur efficacité et de leur réussite s0ciales. Je parle de l'efficacité et de la réussite sociales dans des tennes
semblables à ceux que Weber utilise dans L'éthique protestante pour
présenter le problème: comment les idées atteignent une efficience
historique. L'efficience sociale des idées, des images, des définitions et
des représentations sociales dépend de leur capacité à influencer le
comportement de l'acteur, du nombre et de la catégorie des acteurs
parmi lesquels elle réussit à se répandre. À partir de ce point de vue,
l'efficacité et la réussite sociale maxima d'une définition dans un contexte social donné consiste dans l'évidence partagée par la totalité des
acteurs qui sont plongés dans le contexte.
Chaque type de définition scientifique ou sociale, n'est pas, en
réalité, un type différent de définition. Il s'agit plutôt du contexte réflexif dans lequel nous nous situons, en tant qu'analystes, ce qui rend
plus importante la véracité, dans un cas, ou l'efficacité et la réussite sociales dans l'autre. Aussi bien l'acteur social scientifique que l'acteur
social générique ont des prétentions de véracité. Si lorsque nous analysons un problème, nous nous situons sur le plan épistémologique de la
connaissance, nous somme intéressés par la véracité et même
l'efficacité en tant que critère de celle-ci. Mais, si nous nous situons sur
le plan sociologique, ce qui nous intéresse dans cette définition, c'est
d'une part, sa capacité à influencer le comportement, en tenant compte
du fait que "la définition de la situation crée la situation" (Thomas), et
qu'elle influence le comportement aussi bien si elle est vraie que si elle
est fausse; et d'autre part, sur ce plan sociologique, nous serons intéressés par le degré de diffusion de la définition et les mécanismes qui
ont fonctionné pour y parvenir.
Par rapport au plan sociologique, qui est celui dans lequel se situe
ce travail, il faut souligner que toute définition de la réalité peut être
considérée sur ce plan. On peut dire que les définitions qui sont contrastées empiriquement et qui peuvent être soumises à une analyse de
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