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PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 70
Le travail et la technique
AMÉRIQUE DU SUD
7
NOVEMBRE 2002 • SÉRIE ES
S
U
J
E
T
L’homme s’accomplit-il dans le travail ?
C
O
R
■ Éléments
NOTIONS
EN
R
I
G
É
d’analyse
JEU
Le travail et la technique ; la liberté ; le bonheur.
REMARQUES
ET
DIFFICULTÉS
m Le terme d’accomplissement désigne plus qu’une amélioration pour
l’homme. Il suppose que l’homme arrive au terme, à la perfection de ce
qu’il doit être grâce au travail.
Il s’agit de l’accomplissement de l’homme dans « le » travail et non pas
seulement dans « son » travail, sa profession. Il convient de s’interroger
sur l’idée de travail comme essence de l’homme, et non pas uniquement
comme outil de sa réalisation.
m Le travail désigne un processus et le résultat de ce processus ; il faut
bien distinguer ces deux sens dans l’analyse du sujet.
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LA CULTURE
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m L’homme ne peut vivre sans travailler.
m L’homme s’inscrit dans un processus évolutif et le travail constituerait
le cadre de cette évolution.
DÉFINITIONS
CORRIGÉ
PRÉSUPPOSÉS
m Le travail dans son sens courant désigne l’activité ayant pour but de
produire quelque chose d’utile, de transformer la nature pour satisfaire
les besoins de l’homme. À la différence d’une activité purement animale,
le travail résulte d’un effort de la conscience et de la volonté humaines.
Par extension, le travail désigne à la fois la situation de l’homme qui se
livre à cette activité et l’ouvrage, le produit de cette activité.
m S’accomplir désigne une réalisation totale, et pas uniquement une
amélioration. Quelque chose d’accompli est quelque chose de parfait en
son genre, quelque chose d’idéal.
PROBLÈME
Si l’homme s’accomplit dans le travail, comment comprendre la pénibilité qui y est associée ainsi que les diverses formes d’aliénation qu’il
engendre ? Mais si l’homme ne s’y accomplit pas, pourquoi le travail
s’impose-t-il partout comme une nécessité au point qu’il existe un droit
au travail?
PLAN
Introduction
1 Le travail donne à l’homme les conditions de son accomplissement
A - Par le travail, l’homme transforme la nature et se transforme luimême
B - Par le travail, l’homme participe à l’organisation d’une société
2 Mais le travail est aussi source d’aliénation
A - Avec le machinisme, le travailleur perd la maîtrise de son travail
B - La socialisation augmente les besoins artificiels et pervertit l’homme
au travail
3 Le travail accomplit l’homme en tant qu’être de culture
A - Par le travail, l’homme accède à la conscience de lui-même
B - Le travail est libérateur s’il ne répond pas seulement à des besoins
vitaux mais à une nécessité culturelle
Conclusion
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■ Corrigé
CORRIGÉ
(corrigé complet)
Introduction1
Le droit au travail est partout revendiqué, comme s’il était une fin en
soi. Le travail se présente comme la condition nécessaire à la réalisation
sociale et personnelle de l’homme. Pourtant, le travail apparaît comme
le moyen de profiter des loisirs (vacances, congés payés…). Si le travail
en tant qu’emploi peut donner à l’homme les conditions de son accomplissement, on s’aperçoit aussi qu’il peut engendrer diverses formes
d’aliénation.
Au-delà d’une activité socialement rentable, le travail désigne toute forme
de transformation de la nature par l’homme mais aussi toute production
culturelle. Devant la variété d’activités appelées « travail », on peut se
demander s’il existe une essence propre au travail et si cette essence
porte en elle les conditions de l’accomplissement de l’homme.
Ou bien le travail donne à l’homme les conditions de son autonomie lui
permettant de s’accomplir par ailleurs, mais en ce sens le travail ne
serait qu’un moyen parmi d’autres pour se réaliser. Ou bien le travail
est une fin en soi, et l’homme s’y accomplit parce qu’il constitue son
essence même, mais alors comment expliquer les différentes formes
d’aliénation qui lui sont liées ?
1. Le travail donne à l’homme les conditions
de son accomplissement
A. Par le travail, l’homme transforme la nature et se transforme luimême
L’homme travaille car la nature est insuffisante à répondre à tous ses
besoins. Le travail consiste en une transformation ou une assimilation
de la nature. Il se comprend au sein d’un « système de besoins ». Ainsi,
l’économie classe le travail en secteurs primaire, secondaire et tertiaire
selon son caractère graduellement indirect de lutte ou d’extraction de
la nature. Par exemple, la cueillette peut être considérée comme un
degré presque zéro, la raffinerie comme un degré très élevé de transformation de la nature.
1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent pas figurer sur la copie.
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LA CULTURE
Au paragraphe 196 des Principes de la philosophie du droit, Hegel décrit
le travail comme intermédiaire entre l’homme et la nature, une médiation
qui obtient pour un besoin particularisé un moyen particularisé. Mais
en transformant la nature, l’homme se transforme lui-même car, grâce
à la technique qu’il crée et qu’il emploie, il gagne son autonomie. Il n’est
plus soumis à ses besoins vitaux.
CORRIGÉ
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B. Par le travail, l’homme participe à l’organisation d’une société
Par le travail, l’homme apprend aussi à se maîtriser en exerçant sa volonté
sur ses propres désirs, sur ses passions. Il canalise différentes énergies
afin de mieux s’intégrer dans un système culturel et socio-économique.
Par le travail, l’homme participe à l’organisation d’une société dans la
mesure où il prend sa place au sein d’une division du travail qui se
fait, selon Platon dans la République (livre II), non seulement en fonction
de la pluralité des besoins mais aussi en fonction de la diversité des
aptitudes.
Conclusion et transition
Le travail se présente comme un moyen pour s’émanciper des nécessités vitales. Mais en transformant la nature, l’homme transforme sa
propre nature. Il apprend, crée, progresse et développe ce qui relève de
ses compétences. Il gagne alors une place dans la société. Pourtant,
l’idée de travail est souvent associée à l’idée de pénibilité comme son
étymologie tripalium, qui signifie « souffrance », l’atteste. Si le travail
donne à l’homme les conditions de son accomplissement en lui permettant de maîtriser la nature, il reste de fait l’objet de multiples souffrances, comme en témoigne l’esclavage sous toutes ses formes.
2. Mais le travail est aussi source d’aliénation
A. Avec le machinisme, le travailleur perd la maîtrise de son travail
Pour Marx, l’homme se réalise dans le travail grâce à la technique. Mais
lorsque la machine remplace le simple outil, le travail se déshumanise.
L’augmentation du machinisme crée des conditions de travail de plus
en plus pénibles parce que répétitives, abrutissantes et parcellaires. Paradoxalement, elles augmentent la pression des besoins vitaux lorsque le
salaire n’est plus que le minimum pour vivre. L’homme, en perdant la
maîtrise de la technique, devient lui-même de plus en plus mécanisé et
se transforme en « rouage » de la machine qui le dépasse. Le travail
devient l’ennemi de la spontanéité, de la personnalité. L’homme ne peut
plus se reconnaître dans le travail qui lui est demandé.
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CORRIGÉ
B. La socialisation augmente les besoins artificiels et pervertit l’homme
au travail
Marx explique que, dans le cadre d’une division du travail capitaliste,
l’activité du travailleur devient de plus en plus abstraite et aliénante. Il
n’est plus qu’un salarié, qu’une marchandise que l’on achète. Il produit
une valeur ajoutée que le capitaliste divise entre son profit et le salaire.
Le travailleur est aliéné, parce qu’il est obligé de se vendre pour survivre. Dépossédé des moyens de production, il vend sa force de travail
(lui-même) et non son produit. Or personne ne doit être assez riche pour
acheter quelqu’un d’autre, met en garde Rousseau dans Du contrat social
(livre II, chap. XI). Dans l’Essai sur l’origine des langues, il affirme qu’à
l’état de nature il y a un équilibre entre les besoins strictement naturels
et les moyens de les satisfaire. Si l’homme développe en société des
passions qui le rendent plus compétitif, plus laborieux, c’est encore et
toujours dans le dessein de trouver un meilleur repos.
Conclusion et transition
Si le travail prétend mettre l’homme dans les meilleures conditions pour
se réaliser, de fait il s’y perd car il perd ce qu’il a de plus cher, sa liberté.
Quelles sont alors les conditions pour que l’homme puisse s’accomplir
dans le travail ?
3. Le travail accomplit l’homme en tant qu’être de culture
A. Par le travail, l’homme accède à la conscience de lui-même
Pour Hegel, le travail est libérateur dans la mesure où il s’accompagne
d’une prise de conscience de soi à travers le monde qu’il transforme.
Le travail, comme médiation qui libère, devient ce par quoi l’homme
devient lui-même. Marx, dans Les Manuscrits de 1844, reconnaît à Hegel
le mérite d’avoir saisi l’essence du travail et « l’homme objectif véritable
parce que réel, comme le résultat de son propre travail ». Le travail
devient production de l’homme par lui-même.
Pour Marx, ce qui distingue « le plus mauvais architecte » de « la meilleure
abeille », c’est la représentation des fins qui permet à l’homme de
s’extérioriser dans son travail et d’acquérir ainsi son autonomie.
B. Le travail est libérateur s’il ne répond pas seulement à des besoins
vitaux mais à une nécessité culturelle
Ou bien le travailleur mène une activité animale servile à la nature dans
la mesure où il n’obéit qu’à des nécessités vitales, ne travaillant, par
exemple, que pour un salaire assurant sa survie : il est alors animal
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LA CULTURE
laborans. Ou bien le travailleur a conscience de ce qu’il fait et obéit aux
fins qu’il s’est lui-même fixées : il est alors homo faber. Seul ce dernier
réalise une activité où il peut s’épanouir car il agit de manière indépendante en répondant à une nécessité culturelle, c’est-à-dire une activité
produite par ses propres fins selon ses désirs. En ce sens, le travail qui
permet à l’homme de se réaliser est plus une œuvre car il ne porte plus
seulement sur des biens de consommation périssables mais sur des produits durables.
CORRIGÉ
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Conclusion
Ainsi le travail peut être épanouissant pour l’homme lorsque celui-ci
répond à un besoin culturel, et non pas une nécessité vitale. L’homme
peut se réaliser dans le travail quand celui-ci lui renvoie sa propre image.
Si le travail devient aliénant, c’est qu’il a été perverti au point de redevenir une activité quasi animale et non plus digne d’humanité. L’homme
ne peut plus alors s’y retrouver puisque l’essence même du travail, qui
porte en elle l’essence de l’homme, est perdue.
Conclusion
Le travail comme médiation avec la nature n’est qu’un moyen pour
donner à l’homme les conditions de son accomplissement. Très vite,
ces conditions peuvent se retourner contre lui et le ramener à ses besoins
primitifs. Un travail qui serait exclusivement productif, qui ne ferait que
répondre à une nécessité vitale, ramènerait l’homme à sa condition
d’animal. Seul un travail créatif, c’est-à-dire un travail marqué par l’originalité culturelle de l’homme, peut lui permettre de s’accomplir.
■ Ouvertures
LECTURES
– Friedrich Hegel, Principes de la philosophie du droit, Gallimard, coll.
« Tel ».
– Karl Marx, Les Manuscrits de 1844, Éditions sociales.
– Platon, La République (livre II), Flammarion, coll. « GF ».
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