AKIN S. (2006), « L’alphabet kurde adapte aux caractères latins », L’orthographe en questions, Collection DYALANG (sous la dir. R.
Honvault-Ducrocq), PURH, pp.321-333
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d’une apostrophe, et ainsi de suite. D’ailleurs l’abondance des signes rend l’écriture
laide.
6- Choisir des lettres homogènes dans leurs formes extérieures, quoique l’emprunt des
lettres aux différents alphabets apparaisse au premier abord comme plus
avantageux.
(Hawar, n°1, p.10 et n°2, p.8, 1932, Damas)
Ces principes imposent trois constats : le premier est le souci d’élaborer un alphabet proche de
l’alphabet turc latin qui a été adopté en 1928. Or, il se trouve que le dialecte choisi comme
base du nouvel alphabet est le kurmanji, parlé majoritairement par les Kurdes de Turquie.
Ceux-ci sont par ailleurs scolarisés en turc, l’enseignement et les publications en kurde étant
strictement interdits à l’époque en Turquie. Du fait, il apparaît que les auteurs du nouvel
alphabet trouvent dans l’alphabet turc latin un moyen d’accès et de diffusion du nouvel
alphabet kurde, destiné en premier lieu aux kurmanjiphones.
Le deuxième constat concerne le choix des caractères latins pour le nouvel alphabet kurde. Si
ce choix peut s’expliquer par les insuffisances de l’alphabet arabe à rendre compte des sons
du kurde, il n’empêche que l’adoption de l’alphabet latin est considérée comme un pas vers la
modernité et représente, aux yeux des réformateurs, de nombreux avantages : les échanges
avec l’Europe et nombre très important de pays utilisant l’alphabet latin seront facilités, la
possibilité d’employer le matériel technique (imprimerie, machines à écrire, installations
téléphoniques, etc.) créé sur la base de l’alphabet latin permettra une meilleure diffusion du
kurde, etc. Mais ces aspects techniques semblent mineurs par rapport à la signification
culturelle associée à l’usage de l’alphabet latin : « Evidemment, nous les Kurdes aussi nous
aspirons à nous moderniser, l’adoption de l’alphabet latin est une de ses preuves ». (Hawar,
n°1, p.10, 1932). Ainsi, l’emploi de l’alphabet latin apparaît-il comme un choix politique
d’ouverture vers les valeurs universelles dont cet alphabet est censé représenter.
Le dernier constat concerne la simplicité et la fermeté des principes suivis pour le choix des
sons, qui facilitent considérablement, pour les réformateurs du groupe de Hawar, le choix des
caractères. L’alphabet latin normal est presque suffisant. Il n’y aura lieu, ni d’emprunter des
lettres à un alphabet étranger, ni de créer des signes originaux, ni de recourir aux diagrammes.
Il suffira de faire un emploi très sobre des signes diacritiques. Les signes diacritiques suscités
se réduisent aux accents circonflexes qui, placés sur l’ê, sur l’î, et sur l’û, figurent des sons
foncièrement différents de e, i et u, et toujours longs et aux trémas, qui se placent sur le ¨h et
le ¨x (facultatifs), éventuellement sur le ë et le ö, pour figurer des nuances de prononciation
étrangères ou locales.
Par ailleurs, le kurmanji, dialecte choisi comme base du nouvel alphabet, est débarrassé des
variantes grammaticales et phonétiques purement locales et restitué autant que possible dans
la forme que lui donnent les classiques kurdes. On mentionnera ici l’amorce d’un projet
d’unification de la langue dans son écriture même, parallèlement aux études grammaticales
menées dans les colonnes de Hawar dans une optique normative et constituant la base de la
publication à Paris d’une Grammaire kurde (dialecte kurmanji), en 1970.
L’analyse phonétique de la langue conduit ainsi à retenir, pour la composition de l’alphabet,
trente et un sons élémentaires. Ce nombre peu élevé montre que l’on a nettement tendu ici à
l’élimination des sons rares (variété du k, du r). Les auteurs n’en méconnaissent pas
l’existence, mais ils les regardent comme des « nuances de couleur du même son, produites
au cours de la durée de ce son » (Hawar, n°2, p.8) et ils estiment que leur figuration
alourdirait, sans avantage, un alphabet à destination avant tout pratique. Enfin, la règle de
phonétique kurde, qui interdit le contact de deux voyelles, trouve dans l’alphabet de Hawar
une figuration parfaitement claire et commode pour l’emploi des consonnes de liaison y et w.