CouvQSaoût2013LapinsFinal_Layout 1 13-06-27 11:46 AM Page 1 PALMARÈS : LES RENCONTRES ANIMALES LES PLUS ÉTRANGES QS > UNE SORTIE AU ZOO : PANDA XXX ET ÉLÉPHANT STARBUCK >ET NOUS, DANS TOUT ÇA? Québec Science Août-septembre 2013 SEXE UN DOSSIER TRÈS SPÉCIAL MOTEUR DE L’ÉVOLUTION EN KIOSQUE JUSQU’AU 20 SEPTEMBRE 2013 6,45$ 40065387 « ON TOMBE AMOUREUX PARCE QUE L’AUTRE EST DIFFÉRENT » quebecscience.qc.ca UN NUMÉRO QUI RÉVÈLE UNE NATURE PLUS LUBRIQUE QUE JAMAIS AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:16 PM Page 14 AVEC LE SEXE, L e la fourmi au lapin, de la moule d’eau douce au singe bonobo, de l’oiseau jardinier à Homo sapiens, les êtres vivants déploient une diversité invraisemblable pour se reproduire et pour perpétuer la vie ainsi que leurs gènes. Le sexe est un moteur de l’évolution qui existe depuis plus de 1 milliard d’années, bien avant... le déluge et l’Arche de Noé. Mais comment et pourquoi est-il apparu? Vers quoi mène-t-il? Pourquoi tant de cérémonie autour des accouplements? Pourquoi le sexe est-il associé au plaisir chez certaines espèces? ILLUSTRATION : FREFON D 14 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:16 PM Page 15 E, L’ÉVOLUTION! Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 15 AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 16 LA VIE PEUT EXISTER SANS LE SEXE. ALORS POURQUOI LE SEXE EST-IL APP PRATIQUES? POURQUOI GÉNÈRE-T-IL CONVOITISE ET RIVALITÉ DANS PLU AUX ORIGINE S Giardia intestinalis est l’un des animaux unicellulaires les plus primitifs qui soient. Il se reproduit de façon asexuée, mais des chercheurs ont récemment découvert qu’il était aussi capable de s’adonner au sexe… La preuve que la reproduction sexuée date du fond des âges! Sur cette photo, on distingue bien les flagelles de ce parasite qui infecte chaque année les intestins de 200 millions de personnes. 16 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 17 T-IL APPARU? COMMENT EXPLIQUER L’ÉTONNANTE DIVERSITÉ DE SES ANS PLUSIEURS SOCIÉTÉS ANIMALES? E S DU MONDE EN S’ACCOUPLANT, LES ÊTRES VIVANTS ACCEPTENT DE TRANSMETTRE À LEURS REJETONS SEULEMENT LA MOITIÉ DE LEURS GÈNES. MAIS POURQUOI LA NATURE N’A-T-ELLE PAS OPTÉ POUR LA REPRODUCTION EN SOLO, PLUS SIMPLE ET DOUBLEMENT EFFICACE? LE MYSTÈRE INTRIGUAIT DÉJÀ DARWIN. Par Marine Corniou TONY BRAIN/SPL T ransmettre ses gènes. Ces trois mots résument nos existences. Tout ce que chaque être vivant fait pour se nourrir, échapper aux prédateurs ou combattre les maladies converge vers une seule obsession : survivre assez longtemps pour se reproduire. Bien que peu romantique et légèrement réductrice, cette théorie évolutionniste prévaut toujours. Et pourtant, elle se heurte à un obstacle de taille. Elle n’explique pas l’existence du sexe, car n’en déplaise aux amoureux transis, la reproduction n’a nullement besoin du sexe. « Le sexe est un paradoxe. On se demande pourquoi l’évolution n’a pas éliminé d’emblée la reproduction sexuée», résume Luc-Alain Giraldeau, vice-doyen à la recherche et professeur au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal. Surtout que la sexualité coûte cher à ceux qui s’y adonnent. En se reproduisant, un individu sexué transmet seulement 50% de son génome à son descendant. Du point de vue évolutif, ce sacrifice, appelé le « coût du sexe », est énorme. « Le but de la reproduction est de transmettre ses gènes. Renoncer à la moitié d’entre eux n’a pas de sens », ajoute le biologiste. Déjà, au XIXe siècle, Darwin fronçait les sourcils en pensant au sexe. « Il n’y a pas de plus grand mystère au monde, me semble-t-il, que l’existence des sexes, particulièrement depuis la découverte de la parthénogénèse », écrivait-il à l’un de ses amis botanistes. Son interrogation demeure. Pourquoi, en effet, se reproduire à deux quand on pourrait très bien y arriver tout seul? Cette parthénogénèse dont parle Darwin est une forme de clonage que pratiquent de nombreux insectes comme les fourmis ou les pucerons, mais aussi des reptiles et des amphibiens. Les lézards à queue de fouet, découverts dans les années 1960 au sud des États-Unis, en sont l’exemple le plus célèbre. Tous les individus sont sans exception des femelles. Nul besoin de mâles, puisqu’elles se reproduisent en pondant des œufs non fécondés, qui sont en fait des copies d’elles-mêmes. Cette reproduction est extrêmement efficace. Non seulement l’individu transmet l’intégralité de Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 17 AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-27 10:03 AM Page 18 diviser pour régner La méiose est une division qui aboutit à la création des cellules sexuelles (gamètes), ovules ou spermatozoïdes. Elle permet de diviser le nombre de chromosomes, ces filaments qui portent l’information génétique, en deux. Lors de la fécondation, les gamètes possédant chacune une moitié de génome fusionneront en un œuf doté d’un génome complet. De quoi donner un nouvel individu. 1. Cellule avec un génome complet. 2. L'enveloppe du noyau se défait. 3. Les chromosomes forment des paires. 4. 5. Ils sont tirés chacun vers un pôle différent. 7. Résultat: deux nouvelles cellules avec chacune une moitié du bagage génétique! MICHEL ROULEAU 6. 18 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 ses gènes à sa progéniture mais, en plus, il se multiplie très vite. Puisqu’une femelle n’engendre que des femelles, elle aura, en l’espace de 10 générations, 1 000 fois plus de descendants qu’une femelle sexuée, laquelle produit autant de mâles que de femelles. Bref, la parthénogénèse est rapide, directe et rentable. Et pourtant, la nature préfère le sexe. Mises à part les bactéries (voir l’encadré à la page 20), la quasi totalité des plantes, champignons et animaux (soit le groupe des eucaryotes) s’envoient en l’air, unissant leurs gamètes pour créer un nouvel être unique. « Le sexe est omniprésent, il se retrouve chez plus de 99,9 % des eucaryotes. Dans ce groupe, de nombreuses espèces peuvent se reproduire aussi de façon asexuée, mais elles gardent la capacité de s’accoupler de temps en temps », explique Sally Otto, biologiste à l’université de Les eucaryotes ont des Colombie-Britannique, memcellules dotées d’un noyau bre de l’Académie nationale des sciences aux États-Unis et (qui renferme l'ADN), par opposition renommée théoricienne de aux procaryotes dont les cellules n’ont pas de noyau. Le groupe des eucal’évolution. ryotes comprend tous les animaux, Même les lézards à queue plantes et champignons, et celui de fouet, qui ne voient jamais des procaryotes toutes responsable de diarrhées de mâle, descendent directement les bactéries. chez l’homme, considéré d’ancêtres adeptes de la reproduccomme un eucaryote ancestral, tion sexuée. D’ailleurs, ces femelles ont encore besoin de se monter dessus en apparu il y a environ 2 milliards d’années. imitant un accouplement pour déclencher Étudiés depuis plus d’un siècle, les Giardia leur parthénogenèse. « Jusqu’à il y a une se multiplient de façon asexuée. Or, Logsdizaine d’années, les biologistes pensaient don a découvert qu’ils possèdent malgré qu’il y avait des lignées d’animaux asexués tout des gènes de méiose, autrement dit, ancestrales qui n’avaient pas encore acquis un jeu d’outils les rendant aptes à la rela reproduction sexuée. En fait, on réalise production sexuée. Voilà qui ne laisse aucun doute. « Le que c’est le contraire : aucune de ces lignées n’est ancestrale. Elles descendent toutes sexe est apparu très tôt, il y a un ou deux d’ancêtres sexués et ont “perdu” leur pra- milliards d’années, dans l’évolution des eucaryotes », affirme Sally Otto. En tique sexuelle », précise Sally Otto. Les récents travaux du biologiste John d’autres termes, le sexe est bel et bien une Logsdon, de l’université de l’Iowa aux tradition primitive, une «évidence » bioÉtats-Unis, confirment cette thèse. Le chercheur s’intéresse aux gènes qui contrôlent la méiose, c’est-à-dire le processus qui permet aux cellules sexuelles de diviser par deux leur matériel génétique dans le but de créer des spermatozoïdes et des ovules pouvant fusionner. Lorsque les gènes de la méiose sont présents dans un organisme, il y a fort à parier que celui-ci est capa«Le sexe est apparu très tôt, ble de sexe. il y a un ou deux milliards d’années», En 2005, John Logsdon dit Sally Otto, biologiste à l’université s’est penché sur le cas de Giarde Colombie-Britannique. dia intestinalis, un parasite UNIVERSITÉ DE COLOMBIE-BRITANNIQUE 16MONDE ORIGINE AUX ORIGINES DU AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 19 «On tOmbe amOureux parce que l’autre est différent.» CHARLES SCHUG/ISTOCKPHOTO Lequel, de l’amour ou du sexe, joue un rôle déterminant dans l’évolution? Thierry Lodé est biologiste, professeur d’écologie évolutive à l’Université d’Angers et membre du laboratoire Éthologie, évolution, écologie du Centre national de recherche scientifique (CNRS), en France. Il a publié La biodiversité amoureuse (Éditions Odile Jacob). La reproduction est un processus très ancien. Comment expliquez-vous son émergence? Je l’explique par la théorie des bulles libertines. Aux origines de la vie, des bulles se sont construites autour d’amas de molécules primitives et d’ADN. Certaines de ces bulles se sont individualisées, grâce à une paroi étanche, et ont donné les bactéries. D’autres ont évolué dans une promiscuité complète, «avalant» l’ADN des autres bulles. À travers cet échange de gènes, quelques bulles ont réussi à renouveler leur patrimoine génétique, donc à remanier leur métabolisme. À force d’échanges, petit à petit, certaines d’entre elles ont même pu former des êtres multicellulaires. Alors, elles ont fabriqué des cellules pour envoyer leurs gènes plus loin, des sortes de spermatozoïdes attirés par les autres bulles. Ce qui a abouti à deux sexes : le sexe fécondant et le sexe fécondé. Ainsi, ce sont bien les bulles les plus libertines, celles qui pratiquaient le plus souvent des échanges, qui sont devenues sexuées. En quoi cette théorie est-elle nouvelle? TONY CAMACHO/SPL logique originelle! Depuis, plantes comme animaux se livrent sans relâche à cette activité, rivalisant de stratagèmes pour trouver des partenaires sexuels, les séduire et les conquérir, quitte pour cela à arborer d’encombrants ornements censés stimuler le désir ou à se battre férocement, même jusqu’à la mort. Pourquoi tout ça? Le sexe conférerait un avantage important, qui éclipse tout le reste et lui permet de se maintenir au fil des âges. Mais lequel? Depuis 40 ans, une vingtaine de théories ont été avancées pour comprendre ce qui justifie le « coût du sexe », décrit pour la première fois en 1982 par le professeur Graham Bell de l’Université McGill, à Montréal. Aucune d’elles ne prouve toutefois de façon formelle que les avantages du sexe compensent vraiment ce coût. Et toutes, à quelques nuances près, mettent en avant le fait que le sexe permet, en mélangeant les génomes, de créer une incroyable diversité. De quoi aider les organismes à s’adapter mieux et plus vite aux changements de l’environnement ou aux attaques des parasites. «C’est probablement vrai, souligne Sally Otto, et la plupart des résultats expérimentaux vont dans ce sens. » Mais – car il y a un mais –, rien n’est simple en matière de sélection naturelle. Il s’avère que le sexe ne crée pas toujours de la diversité – à l’inverse, il Les théories actuelles considèrent que les gènes et les individus sont égoïstes, qu’ils cherchent à survivre en multipliant les copulations, et donc que le sexe doit conférer un avantage. Moi, je considère que les êtres vivants existent d’abord parce qu’ils sont en interaction avec les autres. Leur objectif n’est pas fondamentalement d’avoir des descendants, mais d’établir des relations avec l’autre, de «tomber amoureux». Le comportement sexuel précède la sexualité. Il découle d’une sensibilité purement mécanique et chimique des cellules primitives capables de sentir la présence de leurs voisines. Mais le sexe est l’élément moteur de l’évolution. Elle met en évidence le fait que l’évolution crée des divergences entre les individus. On ne cherche pas à se reproduire avec l’individu parfait, à trouver les meilleurs gènes, les partenaires les plus beaux et les plus performants, comme on l’entend souvent dire. Sinon on se ressemblerait tous, depuis des générations! Au contraire, la plupart des animaux cherchent à s’unir à des individus non apparentés. On tombe amoureux parce que l’autre est différent. C’est à l’image du mécanisme primitif : les bulles avaient besoin de matériel génétique différent pour renouveler leur patrimoine. Ensuite, chacun tire un peu la corde à lui, et c’est ça qui fait l’évolution. Pour l’instant, nous ne sommes que 200 ou 300 chercheurs dans le monde à défendre cette hypothèse. Dans la nature, elle est étayée par de nombreux exemples. Les putois, sur lesquels je travaille, passent de longs moments à «s’embrasser», à se sentir, dans le but de sélectionner des partenaires qui ont un système immunitaire différent du leur et de produire des descendants différents. M.C. Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 19 AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 20 AUX ORIGINES DU MONDE peut uniformiser certains caractères – et que, même lorsqu’il en crée, la diversité n’est pas toujours bénéfique pour les descendants. «Les parents qui ont survécu assez longtemps pour se reproduire ont généralement des génomes bien adaptés à l’environnement, écrit Sally Otto dans un article publié en 2008 par Nature Education. Le fait de mélanger sexuellement deux génomes adaptés n’offre aucune garantie que le nouveau génome fonctionnera aussi bien que celui des parents. » Parallèlement, les théories stipulent que le sexe permet aussi d’éliminer les mutations néfastes qui s’accumulent spontanément au cours des divisions de cellules, comme autant d’erreurs de recopiage du code génétique. Les gènes étant juxtaposés sur la longue molécule d’ADN, certains «bons» gènes se trouvent inévitablement, au gré de l’évolution, collés à des gènes mutés. Lorsque ces bons gènes sont sélectionnés et transmis d’une génération à l’autre, les mauvais y restent malencontreusement attachés. C’est ce qui expliquerait pourquoi, chez les asexués, les défauts s’accumulent plus rapidement, comme l’a confirmé en 2006 une étude publiée dans Science par des chercheurs de l’université de l’Indiana. Ces derniers ont étudié des puces d’eau, petits crustacés qui peuvent se reproduire de façon soit sexuée, soit asexuée (certaines lignées ayant perdu les gènes de la méiose). En comparant 14 populations asexuées et 14 populations sexuées, les chercheurs ont découvert que les premières présentaient 4 fois plus de mutations génétiques potentiellement gênantes que les lignées sexuées. De quoi mener, à terme, les asexués à leur perte. En effet, à l’instar des lézards à queue de fouet, les lignées animales asexuées actuelles sont toutes récentes à l’échelle de l’évolution. Celles qui sont apparues auparavant se sont déjà éteintes, faute de renouvellement génétique. Un monde sans sexe ? Les bactéries, qui se reproduisent par simple division, ne connaissent pas les joies du sexe à proprement parler, mais elles excellent dans l’art de s’échanger des gènes. Loin d’être isolées les unes des autres, elles peuvent se transmettre de l’information génétique de trois manières : par transformation (la bactérie ingère de l’ADN étranger et l’intègre à son génome); par transduction (un fragment d’ADN est transmis d’une bactérie à l’autre par l’intermédiaire d’un virus); ou encore par conjugaison (grâce à un long tube appelé pilus, une bactérie donneuse «harponne» une bactérie receveuse et lui déverse une partie de son matériel génétique). Ces formes de sexe totalement dissociées de la reproduction permettent aux bactéries de s’adapter aux changements de l’environnement, mais aussi de partager rapidement avec leurs voisines les gènes nécessaires à leur survie, notamment ceux de résistance aux antibiotiques. Le big-bang des gamètes Au commencement était l’absence de sexe. Mais un jour, les gamètes vinrent et séparèrent les êtres en mâles et en femelles. Depuis, pour se reproduire, qu’ils fassent l’amour ou se fassent la guerre, les uns et les autres n’ont d’autre choix que de se rencontrer! FÉ U n seul éjaculat d’Homo sapiens peut receler 200 millions de spermatozoïdes. Assez pour reconstituer la population du Brésil si une catastrophe la décimait. Mais comme nous sommes plus souvent destinés à fonder une petite famille qu’à repeupler un pays, il y a de quoi rester perplexe devant ce gaspillage. En comparaison, une femme produira moins de 500 ovules durant sa vie, avec un «succès» reproducteur somme toute infime. Comment expliquer cette dilapidation éhontée des spermatozoïdes? Par la sélection naturelle, bien sûr! Il y a plusieurs centaines de millions d’années – probablement même plus de 1 milliard –, le sexe est apparu. Cette époque est imprécise; on n’a aucune trace fossile des premiers êtres, probablement microscopiques, qui ont lancé le bal de la reproduction à deux. On parle aujourd’hui de reproduction sexuée mais, à l’époque, la distinction entre mâle et femelle n’existait pas encore. Et si se reproduire nécessitait le plus souvent que deux individus s’unissent, il n’était pas essentiel qu’ils fussent différents. 20 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 Cette reproduction par accouplement n’a pu survenir qu’avec la création d’une version spéciale de la division cellulaire, la méiose. Alors r rs que la division cellulaire régulière – la mitosee – donne deux clones complets et fonctionnels d’une cellule (comme cela se passe dans notre otre r re corps, de même que chez les bactéries), la méiose va plutôt donner deux demi-cellules (voir le schéma à la page 18). Que les biologistess appellent gamètes. Faire un rejeton nécessite donc deux demimibagages génétiques, qui en constitueront unn troisième. Autrement dit, deux gamètes doivent ent se rencontrer. Mais avant, ils doivent répondre à deux exigences incontournables. La premièree est s st de se déplacer. De là apparurent les flagelles, s, ces petites queues qui permettent la propulsion.. La seconde est d’assurer la survie de l’embryon, n, incapable de se nourrir dans les premiers instants s ants st t ts de sa vie. Pour cela, il faut des gamètes bienn dodus, bourrés d’énergie à transmettre. Mais dans le monde cellulaire, on peut être tre r soit re mobile ou soit gros. Pas les deux. «Il y avait juste une façon de gagner à ce petit s AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 21 C’est en utilisant des modèles mathématiques que la chercheuse Sally Otto essaie de comprendre pourquoi le sexe existe. «Sans sexe, le génome reste coincé dans des configurations médiocres, où les bons gènes côtoient les mauvais. Le sexe permet de recombiner les gènes de façon phénoménale au fil des générations », conclut Sally Otto. C’est en utilisant des modèles mathématiques que cette chercheuse essaie de comprendre pourquoi le sexe existe. Ce travail lui a valu en 2011 le Prix MacArthur, le fameux « prix des génies » de 500 000 $ octroyé par la prestigieuse fondation états-unienne éponyme, qui récompense chaque année les scientifiques se distinguant par leur « exceptionnelle créativité» . En jouant avec les chiffres et en faisant varier les pressions de sélection – c’est-àdire les contraintes environnementales –, Sally Otto croit ainsi avoir démontré que, dans certaines conditions, le sexe est la seule option reproductive possible. « Jusqu’ici, les modélisations n’étaient pas concluantes, car elles se fondaient sur des populations infinies. Dans ce cas, toutes les variations pourraient exister, et le sexe n’aurait pas lieu d’être. Idem dans le cas d’un monde statique et homogène. Mais dans des populations dont l’effectif est restreint et dont le milieu change, le sexe est la seule façon d’explorer l’immense éventail des variations permises par nos génomes», explique Sally Otto avec son article « The Evolutionary Enigma of Sex », paru en 2009 dans The American Naturalist. On l’aura compris, le sexe est loin d’avoir livré tous ses secrets. Il n’a pas fini d’intriguer biologistes, évolutionnistes, éthologues et philosophes, qui tentent encore de comprendre ce que Darwin désignait en 1862 comme un sujet hidden in QS darkness, plongé dans les ténèbres. ■ jeu, d’expliquer Cyrille Barrette, professeur émérite au département de biologie de l’Université Laval (voir l’entrevue à la page 46). Les gamètes ont dû se spécialiser. Les uns sont devenus très petits et très mobiles, afin d’améliorer leurs chances de trouver l’autre gamète immobile. Ce sont les spermatozoïdes. Les autres sont devenus très gros pour augmenter les chances de survie de l’embryon. Ce sont les ovules. Si des gamètes de grosseur moyenne et moyennement mobiles gr étaient apparus, ils auraient été perdants. C’est ét ce qu’on appelle une sélection disruptive, celle qqui favorise deux extrêmes.» Le rapprochement des gamètes fonctionne en effet de façon optimale si chacun se spécialise ef ddans une tâche. Pour l’un, il s’agit d’emmagasiner ddes réserves, puis d’émettre un signal chimique attractif, sans bouger. Pour l’autre, il convient de at répondre à ce signal en se déplaçant le plus vite r ré possible. p Une fois les rôles clairement établis, on s’est retrouvé, au sein d’une même espèce, avec des r re gamètes inégaux quant à la taille et à la ga morphologie; c’est l’anisogamie. Puis la différence m entre en eux, à la fois gigantesque et minuscule, s’est s’ répercutée dans les organismes tout entiers (animaux, végétaux ou autres). Une partie de la (a ppopulation s’est spécialisée dans la fabrication dde spermatozoïdes; l’autre partie est devenue pproductrice d’ovules. C’est à partir de là que les sexes ont surgi, avec leurs différences! le Lorsque la fécondation est externe, comme chez les oursins qui répandent leurs gamètes ch ddans l’eau de mer en misant sur la chance d’une rencontre, les différences s’arrêtent à peu près là. Au mâle le mieux pourvu en gamètes la meilleure progéniture. Mais chez les animaux où la fécondation est interne, comme chez les mammifères, les oiseaux, quelques reptiles et certains insectes, si un mâle veut féconder beaucoup d’ovules, il doit s’offrir beaucoup d’accouplements. D’où l’invention de toutes sortes de jeux de compétition et de séduction qui font éclore une pléthore de différences physiques et comportementales entre mâles et femelles. La distinction entre les sexes ne réside donc pas dans les seins ni le pénis, ni même dans les ovaires, ni les testicules. Ces caractères ne sont que des conséquences évolutives d’une réalité microscopique : la forme et la fonction de leurs gamètes respectifs! J.L. Et La fidéLité? Pourquoi les femelles sont-elles, en général, moins volages que les mâles? Comme les femelles investissent beaucoup d’énergie et de ressources dans la fabrication de leurs riches gamètes, elles doivent leur porter énormément d’attention et elles en produisent donc peu. Pour les mâles, au contraire, il est relativement facile de fournir une abondance de spermatozoïdes. Ils peuvent donc se permettre d’en gaspiller et – pourquoi pas? – augmenter du même coup leur taux de succès reproducteur en fécondant plusieurs femelles. Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 21 AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 22 AUX ORIGINES DU MONDE zz xx yx TOUTES LES NUANCES DE GRIS FILLE, GARÇON, ZZ, HERMAPHRODITE… LA NATURE NE SE CONTENTE PAS DE SEXES EN NOIR ET BLANC. ELLE FAIT PREUVE D’UNE ÉTONNANTE CRÉATIVITÉ. Par Marine Corniou BLUEXHAND/ISTOCKPHOTO «B ien sûr, il y a des mâles et des femelles, mais il y a aussi de nombreuses espèces hermaphrodites », résume Sophie Breton, professeure au département des sciences biologiques de l’Université de Montréal. L’escargot est sans doute le plus connu; comme le ver de terre, son organe sexuel produit à la fois des spermatozoïdes et des ovules. Mais ce sont les poissons qui remportent la palme de l’interchangeabilité, nombre d’entre eux étant d’abord mâles, puis femelles (comme la daurade ou le bar), ou l’inverse (comme le mérou). Le sexe des poissons-clowns, lui, dépend de la hiérarchie : si la femelle dominante meurt, c’est le mâle dominant qui reprend son rôle en devenant femelle. Lui-même est remplacé par le plus gros des trois ou quatre poissons gravitant alentour, et dont le genre n’était pas encore défini. Plus qu’à l’âge ou à la position sociale, certains vers marins s’en remettent au hasard géographique pour décider de leur sexe ! « Si la larve tombée sur un fond rocheux est isolée, elle devient femelle. Si elle tombe sur ou près d’une autre larve, elle opte pour le sexe mâle », explique Sophie Breton. En matière de genre, le règne animal, c’est indéniable, fait preuve de beaucoup de créativité. « Il existe une incroyable diversité des modes de détermination du sexe », ajoute la chercheuse. Chez l’humain, comme chez tous les mammifères, le destin sexuel se joue au moment de la fécondation. Si le spermatozoïde porte un chromosome Y, le bébé sera un garçon (il aura un X et un Y); s’il porte un X, ce sera une fille (avec deux chromosomes X). Mais chez les oiseaux et les papillons, 22 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 ce sont les femelles qui ont deux chromosomes sexuels différents (Z et W, alors que les mâles ont ZZ). Certains insectes mâles n’ont qu’un chromosome sexuel X, à l’instar de rares rongeurs comme le tunnelier du Caucase, alors que certains poissons ont 3 chromosomes sexuels, et que l’ornithorynque, cet étrange mammifère qui pond des œufs, en a 10 (au lieu de 2)! Pour une foule de lézards, crocodiles, tortues ou même poissons et amphibiens, le sexe dépend non pas des chromosomes, mais de la température à laquelle sont incubés les œufs. Chez le crocodile australien, les mâles se forment au frais, les femelles aux températures tièdes. Chez l’alligator américain, c’est l’inverse. Bref, les biologistes en voient de toutes les couleurs. «En fait, ce qu’il faut retenir, c’est que les organes mâles et femelles, les gonades, dérivent du même tissu embryonnaire. La seule chose qui change vraiment entre toutes ces espèces, c’est la nature de “l’interrupteur” qui transforme ce tissu ambivalent en testicule ou en ovaire», explique Paul Waters, chercheur spécialiste de l’évolution des chromosomes sexuels à la Australian National University, à Canberra. Que l’interrupteur en question soit la température ambiante ou un chromosome sexuel (le Y, chez l’homme), il déclenche une cascade de réactions biologiques qui permettent d’activer, dans un ordre précis, les centaines de gènes orchestrant la fabrication d’un mâle ou d’une femelle. Du point de vue de l’évolution, que signifie cette très forte variabilité dans la détermination du sexe? Les scientifiques débattent encore. Tout ce dont on peut être sûr pour le moment, répond Paul Waters, c’est que pouvoir changer si facilement d’interrupteur sexuel doit représenter un avantage pour les espèces. Quoi qu’il en soit, ces mécanismes multiples et variables donnent du fil à retordre aux chercheurs. «Chez l’homme, il arrive parfois que la différenciation des gonades ne se fasse pas correctement, ce qui mène à des ambiguïtés sexuelles. Dans plus de la moitié de ces cas, on ne connaît pas les causes», indique Serge Nef, professeur au département de médecine génétique et développement de l’Université de Genève. Début 2013, ce chercheur a découvert AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 23 que des hormones jouant un rôle dans le métabolisme – les facteurs de croissance apparentés à l’insuline – étaient curieusement essentielles à la détermination du sexe. En l’absence de ces facteurs, les embryons de souris, pourtant dotés de chromosomes sexuels normaux, ne se différencient ni en mâle ni en femelle. Voilà un « ingrédient » de plus qui illustre l’incroyable complexité de la fabrication des mâles et des femelles. « N’oublions pas que la détermination du sexe n’est qu’une partie du développement sexuel, qui prend une vingtaine d’années chez l’homme ! D’ailleurs, dans notre espèce, c’est le cerveau qui est l’organe majeur du développement sexuel. Il y a parfois discordance entre ce que ressent la personne et son sexe dit biologique, ajoute Serge Nef. Il n’y a pas que du noir ou du blanc, il existe toutes les variations de gris. » C’est d’ailleurs ce qui conduisait, il y a déjà 20 ans, la biologiste Anne FaustoSterling, de la Brown University, aux ÉtatsUnis, à présenter la sexualité humaine comme un éventail combinant cinq sexes : un sexe génétique (XX ou XY), un sexe anatomique (pénis ou vagin), un sexe hormonal (testostérone ou estrogène), un sexe social (homme ou femme) et un sexe psyQS chologique. ■ enquête sur le sexe des moules Vous étudiez les mécanismes de détermination du sexe chez les moules, et plus précisément leurs mitochondries. D’où vient cet intérêt? Les mitochondries sont les minuscules «centrales» qui produisent l’énergie dans les cellules des animaux et des plantes. Elles sont transmises par la mère au moment de la reproduction. Nous avons donc tous, hommes et femmes, les mitochondries de nos mères dans nos cellules. Même chose chez les moules, sauf qu’elles présentent une particularité: les Sophie Breton est pro- mâles aussi transmettent leurs mitochondries, et seulement à fesseure en physiologie leurs fils. Le phénomène est peut-être unique dans le monde adaptative animale au animal. la fin des hommes? département de sciences biologiques de l’Université de Montréal. Elle travaille sur les mollusques bivalves, et plus particulièrement sur les moules d’eau douce, plus mystérieuses qu’il n’y paraît à première vue. Et qu’est-ce que cela signifie? Nous pensons que les mitochondries jouent un rôle dans la détermination du sexe chez les moules, qui n’ont pas de chromosomes sexuels de type X et Y. En fait, les mitochondries possèdent leur propre ADN, leurs propres gènes, relativement proches d’une espèce animale à l’autre, et qui produisent en tout 13 protéines. Or, chez les moules, nous avons découvert que les mitochondries ont deux gènes supplémentaires, un dans les mitochondries transmises par les femelles et un dans les mitochondries transmises par les mâles. Ces gènes fabriquent des protéines dont on ne connaît pas encore le rôle, mais qui ne sont pas liées à la production d’énergie comme les 13 autres gènes mitochondriaux typiques. Ce n’est pas tout! Le plus intriguant, c’est que certaines moules sont hermaphrodites : elles possèdent les deux sexes, mais elles ont perdu les mitochondries mâles. Elles n’ont que des mitochondries femelles, dans lesquelles le gène supplémentaire est fortement muté et peut-être non fonctionnel. En quoi est-ce important? PHILIPPE JASMIN Lâchée dans un congrès scientifique en 2009, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe. «Le chromosome Y est voué à l’extinction», affirmait alors Jenny Graves, une scientifique australienne, annonçant du même coup la fin prochaine du genre masculin. Il faut dire qu’à côté du chromosome X, transmis par les femmes, le petit chromosome Y a des airs d’avorton. Alors que le X contient environ 1 000 gènes, le Y n’en possède qu’une quarantaine. Selon la chercheuse, le Y aurait perdu un millier de gènes depuis son apparition, il y a 165 millions d’années, et il continuerait de se dégrader peu à peu. À ce rythme, il pourrait disparaître dans 5 millions d’années. En 2012, une étude menée au Whitehead Institute de Cambridge, aux États-Unis, a toutefois permis de rassurer nos mâles : selon l’équipe du directeur de l’Institut, David C. Page, le chromosome Y a en effet perdu la majorité de ses gènes rapidement et il y a très longtemps, mais il serait aujourd’hui stabilisé. «C’est l’un des sujets chauds en sciences de l’évolution», commente Paul Waters, qui travaille avec Jenny Graves. Selon lui, il est tout à fait possible que le chromosome Y humain disparaisse un jour. «C’est arrivé chez certains rongeurs, qui ont alors dû développer un nouveau mécanisme de détermination du sexe, dont on ignore pour l’instant la nature.» Dans le règne animal, les moules seraient ainsi les seules espèces connues dont le système de détermination du sexe impliquerait directement les mitochondries. Il reste à vérifier l’hypothèse, et c’est un gros défi. Ce n’est pas facile d’élever des moules en laboratoire. Nous sommes toutefois en train de séquencer le génome d’une moule d’eau douce pour mieux la comprendre. Notez que 70% des espèces de moules d’eau douce sont menacées ou vulnérables en Amérique du Nord. M.C. Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 23 AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:17 PM Page 24 AUX ORIGINES DU MONDE L’amour au crétacé Comment faisaient les brontosaures et les tyrannosaures? Par Marine Corniou FREFON I ls ont dominé la Terre pendant plus de 150 millions d’années. Nul doute que les dinosaures se reproduisaient allègrement. Mais comment? Imaginons un stégosaure, avec sa double rangée de plaques osseuses hérissées sur le dos et la queue, ou un diplodocus de 15 tonnes et rendons-nous à l’évidence : si le mâle était monté sur la femelle pour la féconder, il se serait fait empaler ou castrer. Ou alors, sa dulcinée serait morte sous son poids. C’est du moins ce qu’a conclu, il y a quelques mois, Heinrich Mallison, chercheur au Musée d’histoire naturelle de Berlin, en Allemagne, après avoir modélisé un tel accouplement par ordinateur. Selon ses travaux sur le kentrosaure, un dinosaure épineux cousin du stégosaure, la bête devait privilégier la position du missionnaire ou bien celle de la cuillère, la femelle penchée sur le côté pour ne pas blesser le mâle. « Nous ne connaissons aucun fossile de dinosaure dont les organes sexuels, qui sont des tissus mous, ont été conservés. Nous ne pouvons donc que spéculer sur leur façon de s’accoupler », indique toutefois John A. Long, paléontologue à l’université Flinders, en Australie, et auteur d’un livre sur le sujet, The Dawn of the Deed : The Prehistoric Origins of Sex (University of Chicago Press, 2012). D’ailleurs, faute de preuves visuelles, les chercheurs ne s’accordent même pas sur l’éventuelle présence d’un pénis érectile chez ces lézards géants. Lesquels, mâles comme femelles, étaient pourvus d’un cloaque, c’est-à-dire d’une cavité unique servant à la copulation et à l’élimination des excréments. Mais accolaient-ils leurs deux cloaques pour se reproduire ou les mâles étaient-ils pourvus d’un pénis? «Le mieux que l’on puisse faire, c’est jouer aux devinettes en observant les crocodiles 24 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 et les oiseaux primitifs, comme les autruches ou les canards, qui sont les plus proches descendants des dinosaures. Tout comme ces animaux, les dinosaures devaient posséder un pénis. Ils devaient s’accoupler par derrière et on peut supposer que les mâles de certaines espèces arboraient de très longs organes pour pouvoir passer outre l’armure de la femelle», estime John A. Long, dont le livre est le premier à dé- fendre l’existence d’un pénis jurassique. Selon lui, l’ankylosaure, sorte de grosse tortue à armure de 9 m de long, aurait ainsi eu un pénis de 2 m ! Même si la question taraude les paléontologues depuis longtemps, il va de soi qu’imaginer la vie sexuelle des dino- saures à partir de fragments d’os relève du défi. Ce n’est que depuis 2005 que les chercheurs ont pu distinguer le squelette d’une femelle de celui d’un mâle ! Cela, grâce à la découverte fortuite de Mary Schweitzer, du Musée des sciences naturelles de Raleigh, aux États-Unis, qui a repéré dans l’os du fémur d’un Tyrannosaurus rex la présence d’un tissu particulier, l’os médullaire. Présent en fine couche dans une cavité de l’os, ce tissu est un dépôt temporaire de calcium qui sert à la fabrication de la coquille des œufs, et que l’on trouve aujourd’hui encore chez les oiseaux. En bref, ce tyrannosaure était une femelle, et elle était en période de ponte ! Reste que, à moins de tomber sur le fossile d’un couple mort en pleine action, les acrobaties grâce auxquelles les mâles fécondaient ces œufs resteront énigmatiques. On sait toutefois qu’ils pouvaient être des pères attentionnés. Chez certaines espèces, ils veillaient sur les nids et couvaient leurs œufs comme QS les oiseaux. ■ Le pLus vieiL embryon du monde Encore attaché à sa mère par le cordon ombilical, le poisson découvert en 2008 au nord-ouest de l’Australie est une vraie célébrité dans le monde de la paléontologie. Et pour cause, c’est le plus vieil embryon fossile jamais mis au jour : il a 380 millions d’années! «Il s’agit d’un Materpiscis appartenant à la classe des Placodermes, aujourd’hui éteinte, explique John A. Long, de l’université Flinders, qui a déniché ce trésor. Il prouve que ces poissons avaient un mode de reproduction très avancé, équivalent à celui des requins actuels.» Autrement dit, bien qu’ils aient vécu fort longtemps avant l’apparition des premiers mammifères, ils avaient déjà inventé la viviparité, c’est-à-dire la fécondation interne aboutissant à la naissance d’un individu déjà formé. La trouvaille de John A. Long revêt donc une importance cruciale, puisqu’elle repousse de 200 millions d’années l’âge du plus vieil embryon fossilisé! «Il y a même une photo de moi et du Materpiscis dans le Livre Guinness des records 2010, pour la plus vieille naissance», s’amuse le paléontologue. AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-27 1:34 PM Page 25 AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:18 PM Page 26 AUX ORIGINES DU MONDE BEAUTÉS F 26 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:18 PM Page 27 S FATALES ÉTALAGE DE COULEURS, DE PLUMES, DE DANSES ET DE MUSCLES. GORILLE OU PAPILLON, MIEUX VAUT ÊTRE MAGNIFIQUE – MÊME AU PRIX D’UN HANDICAP – SI ON VEUT PERPÉTUER SES GÈNES! Par Joël Leblanc HERBERT KEHRER/IMAGEBROKER/CORBIS C ’est le printemps dans l’ouest de la Chine. Au sein des forêts, deux espèces de faisans se partagent le territoire. Drôles d’oiseaux ! Surtout quand ils sont sous l’influence de leurs hormones ! Car en période de reproduction, faisans dorés et faisans de Lady Amherst se comportent comme de vrais dingues. Ils criaillent à tout rompre pour attirer les femelles, leur font des parades nerveuses, gonflent au maximum leur plumage. Pourtant, en manifestant bruyamment, ils attirent aussi l’attention des prédateurs. Darwin lui-même est longtemps resté perplexe devant ces démonstrations qui rendent les mâles si vulnérables. Cela allait à l’encontre de sa théorie de la sélection naturelle. Finalement, en 1871, 12 ans après la parution de De l’origine des espèces, il propose une nouvelle explication : la sélection sexuelle. Et il fait scandale ! Même les supporteurs de la sélection naturelle se cabrent. Quoi? Les femelles auraient leur mot à dire dans le choix de leur partenaire et in- fluenceraient l’évolution de l’espèce? Lord ! Dans cette Angleterre victorienne, on admet difficilement que la féroce compétition et les combats pour la survie entre mâles ne soient pas les seuls moteurs de l’évolution. « Et on n’a pas encore trouvé une meilleure explication à ces parades », constate Luc-Alain Giraldeau, professeur d’écologie comportementale et vice-doyen à la recherche à la faculté des sciences de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Les exemples s’accumulent comme autant de preuves de la clairvoyance de Darwin : le panache encombrant de l’orignal, les reflets métalliques du canard malard, les lourdes défenses de feu le mammouth, les couleurs criardes des papillons, etc. Qu’ils soient équipés d’ornements ou d’armements, les mâles qui se distinguent des femelles au premier coup d’œil sont assurément engagés dans un processus de sélection sexuelle. On nomme dimorphisme sexuel ces différences de physionomie entre mâle et femelle. « Prenez le fameux paon, poursuit Luc-Alain Giraldeau. C’était un des exemples préférés de Charles Darwin. Sa queue encombrante nuit à sa marche autant qu’à son vol, sans compter qu’elle attire dangereusement le regard des prédateurs. C’est un réel handicap ! Pourtant, les femelles préfèrent les belles plumes et n’accordent leurs faveurs qu’aux plus colorés de ces messieurs. » Les mâles naissent eux-mêmes équipés du plumage sexy de leur père et ont plus de chances de se reproduire à leur tour. Ainsi, d’une génération à l’autre, les paons sont-ils devenus «favorablement handicapés » . «La sélection sexuelle peut s’opposer à la survie des individus, souligne LucAlain Giraldeau. Mais l’important, c’est qu’elle favorise la reproduction et la transmission des gènes. Les bois du cerf lui coûtent cher, car ils l’obligent à investir beaucoup de calcium et d’énergie dans leur croissance, et ces ressources ne sont alors plus disponibles pour sa survie au jour le jour. S’il n’avait pas, chaque année, à faire croître un panache, un cerf pourrait Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 27 AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:18 PM Page 28 AUX ORIGINES DU MONDE PHILIPPE JASMIN Nous sommes les seuls grands singes à ne proéminentes. Nos mâles n’en ont pas be compétition pour les femelles au sein de no augmenter son espérance de vie. Mais il n’aurait jamais de femelles, et sa lignée s’arrêterait là. » S’il existe deux types de dimorphisme sexuel – ornements ou armements –, c’est qu’il existe deux types de sélection sexuelle. Dans la première, la sélection intersexuelle, la femelle fait un choix parmi ses prétendants. Sa préférence va aux belles plumes ou aux couleurs chatoyantes. Cela n’est pas aussi superficiel qu’il semble, car en se laissant charmer par le plus beau plumage, la femelle choisit aussi le mâle équipé d’un meilleur bagage génétique. Celui qui réussit à produire de très grandes plumes et tous les pigments nécessaires à leur coloration est de toute évidence en bonne santé. Sans compter que s’il a réussi à survivre malgré son handicap, c’est qu’il est un battant, et que sa descendance le sera aussi. « Ce type de sélection sexuelle existe parce que les femelles préfèrent les traits qui reflètent un avantage réel, explique Luc-Alain Giraldeau. Par exemple, cer- tains caractères sexuels du mâle sont dus à la testostérone, une hormone qui a un effet immunodépresseur, c’est-à-dire qu’elle affaiblit le système immunitaire. Un mâle qui exhibe des caractères très intenses a probablement beaucoup de testostérone; son système immunitaire ne fonctionne donc pas à 100 %. Mais un mâle qui survit bien avec seulement 75% de son système immunitaire prouve qu’il est fait fort ! » Pour qu’un ornement apparaisse, la sélection sexuelle doit agir sur les deux sexes : elle avantage les mâles colorés et elle avantage les femelles qui préfèrent les mâles colorés. Notons que les marques rouges et jaunes doivent habituellement leur couleur aux FRANK LEUNG/RINEK/ANDYWORKS/ISTOCKPHOTO Le panache de l’orignal : un armement pour tenir tête à ses rivaux. 28 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 Un beau canard s’exhibe en bonne santé. Luc-Alain Giraldeau : «La sélection sexuelle peut s’opposer à la survie des individus. Mais l’important, c’est qu’elle favorise la reproduction et la transmission des gènes.» Les papillons : AnimauxOriginesQS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:18 PM Page 29 s à ne pas avoir de canines as besoin, car il n’y a pas de de notre espèce. caroténoïdes, des pigments que l’animal trouve dans son alimentation. Les caroténoïdes sont importants pour la santé, notamment parce qu’ils sont une matière première pour la synthèse de la vitamine A. Quand ils servent à faire de la couleur, ils ne sont plus disponibles pour fabriquer la vitamine. « En Europe, explique le biologiste, les femelles merles sont attirées par les becs très jaunes des mâles, bien remplis de caroténoïdes. En se payant le luxe de gaspiller des caroténoïdes pour simplement se colorer le bec, le mâle démontre que son organisme en contient plus qu’il ne lui en faut ! » L a seconde variante de la sélection sexuelle, la sélection intrasexuelle, favorise l’apparition d’armements. Les organes qu’elle produit permettent la compétition au sein d’un même sexe : les imposantes cornes du mouflon ou les longues canines du babouin leur servent à écarter les compétiteurs lors du rut. Et Les papillons : couleurs criardes pour être vus. le résultat est le même : les mieux équipés ont plus de chances de s’accoupler. De ces réalités découlent toutes sortes de conséquences. Il y a bien sûr les armes de nombreux mammifères. Certaines caractéristiques tiennent plutôt dans le comportement : le chant complexe des diamants mandarins mâles, de petits passereaux d’Australie (il a été démontré en laboratoire que plus son chant est complexe, plus le mâle est en mesure de résoudre efficacement des problèmes); l’intensité du chant des rainettes et des grillons; les danses nuptiales très élaborées des albatros ou des pigeons; les constructions d’impressionnants édifices de branchages des oiseaux jardiniers; les objets brillants que la pie offre en cadeau à sa femelle; le tambourinement de la gélinotte... Tous ces comportements ont le même but : annoncer à la femelle la disponibilité du mâle et stimuler la production de ses hormones afin d’assurer sa réceptivité pour l’accouplement. Et pourquoi ces prouesses esthétiques et artistiques sont-elles surtout le fait des mâles? Parce que le choix du partenaire dépend beaucoup de l’investissement parental. Le parent qui investit le plus dans la progéniture, normalement la femelle avec ses quelques gros ovules, doit être plus sélectif dans le choix de son partenaire parce qu’il a plus à perdre si son rejeton n’a pas d’avenir. À l’opposé, le parent dont l’investissement est le moindre, habituellement le mâle, va développer un tempérament plutôt compétitif et se montrer plus opportuniste dans le choix de ses partenaires, puisque ses petits spermatozoïdes peuvent être produits en abondance. La sélection du partenaire se fait parfois de façon plus subtile. C’est le cas chez les zèbres. Plutôt que de risquer des blessures en refusant les avances d’un mâle trop agressif, la femelle se laisse souvent monter par le premier venu. Mais elle expulsera sans gêne la totalité du sperme quelques instants après l’acte. Seul l’élu verra sa semence conservée. Chez certains insectes, les mâles peuvent déloger les spermatozoïdes laissés dans une femelle par un prédécesseur, ou peuvent empêcher la venue d’un autre mâle en parfumant la femelle d’un antiaphrodisiaque. Chez les serpents et les rongeurs, les mâles installent parfois des « bouchons vaginaux » à la femelle qu’ils viennent de féconder pour stopper l’intrusion d’autres gamètes. Lorsque le dimorphisme se traduit par une différence de taille entre le mâle et sa femelle, s’agit-il d’ornement ou d’armement? « Tout dépend du contexte social, précise Luc-Alain Giraldeau. Si l’accès aux femelles est facile et que la compétition entre mâles est faible, les mâles n’ont pas besoin de devenir plus forts pour combattre. Cependant, ils pourraient le devenir si les femelles avaient une préférence pour les costauds. Le cas d’ Homo sapiens est probant : nous sommes les seuls grands singes à ne pas avoir de canines proéminentes. Les mâles n’en ont pas besoin, car il n’y a pas de compétition pour les femelles au sein de notre espèce relativement monogame. N’empêche que les hommes sont quand même physiquement plus grands et plus forts que les femmes. C’est probablement parce que le choix ancestral des femelles QS allait vers des mâles robustes. » ■ Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 29 Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:20 PM Page 30 C’EST LA JUNGLE EN FOLIE ! PARMI LES ANIMAUX, QUI SONT LES PLUS ROM NOTRE SÉLECTION – PAS NATURELLE – DES BÊTES LES PLUS HOT. PALMARÈS: LES VR A Sex Symbol LE LAPIN Mathématiquement, il peut générer 95 milliards de descendants en 7 ans. Il lui faut trois secondes. Pas une de plus, pas une de moins. Après quoi, il frétille un peu, curieux et nerveux comme toujours, et repart gambader dans les prés. Sa lapine fait de même de son côté. Accro du sexe, Jeannot? Des carottes et des laitues, plutôt! Prolifique? Sa réputation n’est pas démentie par les mathématiques. À l’état sauvage, chaque femelle peut avoir trois ou quatre portées par année, chacune donnant jusqu’à sept lapereaux. Ces derniers ouvriront les yeux 10 jours après leur naissance et quitteront le nid familial la semaine suivante. Pas de Tanguy chez les lapins! S’ils ne se font pas avaler par un épervier, un lynx ou un harfang des neiges, ils atteignent leur maturité sexuelle six mois plus tard. À ce rythme – une chercheuse de l’université de Miami a fait le compte –, un couple de lapins peut produire 95 milliards de descendants en 7 ans. C’est de la théorie, bien sûr. C’est aussi le baby-boom perpétuel. Est-ce sa réputation de chaud lapin qui a valu à notre lagomorphe d’avoir été choisi comme symbole d’un empire médiatique? (Playboy pour ne pas le nommer). En fait, il s’agirait d’un quiproquo. Avant de s’appeler «lapin» au Moyen Âge, il portait le joli nom de conin, puis conil, issus du latin cuniculus que les biologistes lui accolent toujours dans la taxonomie – Oryctolagus cuniculus. Et que les éleveurs de lapins, les cuniculteurs, portent encore. Mais conil, par association érotique, désignait aussi le sexe de la femme. Facile d’imaginer les obscénités que cela pouvait inspirer. Serait-ce pour cela, sous la pression des bien-pensants, que conin aurait cédé sa place à lapin? R.L. > Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:20 PM Page 31 LUS ROMANTIQUES, LES PLUS AFFECTUEUX, LES PLUS DÉTERMINÉS? T. R AIES BÊTES DE SEXE osée LA BALANE dépareillée LA PIEUVRE VIOLACÉE Dans la catégorie «plus gros pénis du monde animal», le gagnant est la balane! À première vue, ce petit crustacé conique, qu’on trouve souvent accroché aux rochers ou sur les baleines, n’a rien d’impressionnant. Et pourtant, pour sa taille, son pénis est immense; jusqu’à huit fois la longueur de son corps! Tel un fin tentacule fouisseur, le long organe translucide s’aventure aux alentours pour fertiliser des partenaires vivant à proximité, comme l’ont constaté, en 2008, des chercheurs de l’université de l’Alberta. Car les balanes, une fois fixées, restent au même endroit toute leur vie. Les partenaires sexuels étant incapables de se déplacer, c’est le pénis qui fait le voyage! Ces crustacés hermaphrodites, précisons-le, ne sont cependant pas tous systématiquement bien membrés. Dans les zones de forts courants, les balanes ont des pénis courts et massifs. En 2013, les chercheurs ont découvert qu’ils n’hésitaient pas à larguer leurs spermatozoïdes dans l’eau et à laisser la marée les transporter jusqu’à un autre individu, ce qui n’avait jamais été observé chez des crustacés, mais qui est monnaie courante chez les mollusques. Comme quoi il n’y a pas que la taille qui compte; la technique aussi. M.C. > > Son pénis à tête chercheuse est huit fois plus long que le mâle. Elle est au moins 10 000 fois plus lourde que son mâle! Pour lui, l’amour est un véritable rapport de force. Gros comme une noisette et pesant un quart de gramme, le mâle de la pieuvre violacée ne perd pas de temps en préliminaires. Une fois qu’il a repéré une femelle, il lui injecte rapidement sa semence grâce à son tentacule copulatoire et disparaît sans demander son reste. Il faut dire que la demoiselle est imposante et a de quoi l’intimider! De 10 000 à 40 000 fois plus lourde que le mâle, et une centaine de fois plus grande, elle peut atteindre 2 m ou 3 m de long. Alors que de nombreux mâles avaient été trouvés morts dans des filets de pêche, des chercheurs ont observé pour la première fois, en 2002, un spécimen vivant, près de la grande barrière de corail australienne. Il semble que le mâle se soit miniaturisé, au cours de l’évolution, pour devenir plus rapidement sexuellement mature et aussi plus compétitif. M.C. Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 31 Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:20 PM Page 32 DE VRAIES BÊTES DE SEXE attachant > DEREK ADAMS; NHM IMAGE RESOURCES/©NATURAL HISTORY MUSEUM ROMANTIQUE: DES MÂLES QUI EMBELLISSENT LA LE CHIEN Ils ne savent plus comment se séparer. C’est une scène mi-comique, mi-gênante. Après le coït, les chiens restent coincés dans une pose assez grotesque, collés fesses contre fesses, l’air penaud. Leur jeter un seau d’eau pour les décoincer ne les aiderait pas, au contraire. Cela pourrait même provoquer de graves lésions génitales; notamment, chez le mâle, une fracture du pénis. Car il s’agit là d’une phase normale de l’accouplement de tous les canidés, renards compris, qui dure de 5 à 30 minutes. En cause? La présence, sur le pénis canin, de bulbes érectiles qui se gorgent de sang pendant la saillie et empêchent le mâle de se retirer du vagin. En restant ainsi accroché à sa conquête, le mâle s’assure que ses spermatozoïdes auront une longueur d’avance si jamais un rival tentait de féconder la même femelle. M.C. Sacrificielle L’ARAIGNÉE DES DÉSERTS > Elle se laisse dévorer par ses rejetons. L’instinct maternel est parfois si fort qu’il dépasse l’entendement. La femelle Stegodyphus lineatus, une araignée rencontrée en Eurasie, entre autres lieux, fait partie de ces mères infiniment dévouées. Au printemps, elle pond un sac contenant une centaine d’œufs, qu’elle devra défendre contre les mâles en quête de partenaires, qui détruisent sans scrupule ces cocons dont ils ne sont pas les géniteurs. Trente jours après la ponte, la mère ouvre le cocon et libère sa progéniture grouillante et affamée, qu’elle nourrit en régurgitant des aliments. Mais rapidement, cela ne suffit plus. Sans la moindre hésitation, elle embrasse son tragique destin et se sacrifie. De deux à trois heures plus tard, les charmants bébés ont dévoré ses entrailles, ne laissant sur place qu’une carapace vide. Car en matière de reproduction, rappelons que ce qui compte n’est pas la survie d’un individu, mais bien la transmission des gènes. Et que des petits bien nourris ont plus de chances de se reproduire à leur tour. M.C. 32 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:20 PM Page 33 NT LA RÉALITÉ POUR AVOIR PLUS DE SUCCÈS. illusionniste L’OISEAU JARDINIER Il bâtit une maison de rêve pour séduire sa douce. > Séduire une femelle, pour l’oiseau jardinier, n’est pas une mince affaire. La diva exige qu’on lui construise un nid grandiose avant d’accorder ses faveurs. Méticuleusement, pendant des années, le mâle bâtit donc avec des brindilles une galerie mesurant jusqu’à 60 cm de long. Il en orne ensuite les alentours de milliers d’objets colorés : pétales de fleurs, graines rouges ou mauves, cailloux, os, éclats de plastique divers, bouchons ou pinces à linge. Une fois le décor planté, la femelle s’y installe pour admirer son soupirant qui parade devant elle, jetant de-ci de-là ses objets décoratifs, mais dans un ordre bien précis, en appliquant un gradient de taille. En effet, il place les objets les plus gros loin d’elle et les plus petits, plus près. Le but? Donner de la grandeur au décor en forçant la perspective; un vieux truc bien connu au théâtre. L’illusion a été percée à jour en 2012 par des chercheurs de l’université Deakin, en Australie, où vit cet oiseau artiste. Si l’on dérange son organisation, le mâle la rétablit en moins de trois jours. Et pour cause : les femelles sont très sensibles à ce trucage. Comme l’ont observé les chercheurs, ce sont les mâles embellissant le mieux la réalité qui ont le plus de succès. Règle universelle? M.C. Grossier La femelle qui vient de lui passer sous le nez a excité son désir. Le porc-épic ne fait ni une ni deux, il part à la poursuite de la douce. Il la suit sans relâche, des heures durant. À la première occasion, il se dresse sur ses pattes arrière et, sans crier gare, urine sur elle, la mouillant de la tête à la queue. Pour le romantisme, on repassera! «La femelle le fuit et rouspète en émettant de petits cris quand elle se fait asperger», dit le docteur Jacques Dancosse, vétérinaire au Biodôme, qui a pu le constater de visu à l’époque où, étudiant à la maîtrise en biologie, il dormait, avec les porcs-épics qu’il devait observer, dans un enclos aménagé en plein air. Entêté, le mâle ne se décourage pas. Et la belle finit par se laisser séduire. Le moment venu, elle lève la queue et expose ses parties intimes, heureusement dépourvues de piquants. Monsieur fait quand même preuve de prudence. Il s’assoit sur ses pattes arrière et sur sa queue, comme sur un trépied. Il pénètre sa partenaire par derrière. Il a intérêt à profiter du moment, car la femelle n’est en chaleur que de 8 à 12 heures par année. D.F. BARRY HATTON Pour la conquérir, il urine sur sa fiancée. > LE PORC-ÉPIC Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:20 PM Page 34 DE VRAIES BÊTES DE SEXE dévergondée LA COULEUVRE RAYÉE Ils se ruent par dizaines sur la même femelle. Cinquante fois par jour. Elle se roule dans l’herbe de la savane, tourne autour de son conjoint, puis tente de lui glisser une patte dans la crinière tout en se blottissant dans son cou. Irrésistible? L’œstrus, la période de chaleurs des femelles mammifères, ne dure que quatre jours chez la lionne. Mais il provoque des noces intenses. Si l’accouplement léonin s’expédie en quelques dizaines de secondes à peine, il est répété à l’envi, presque toutes les 30 minutes. Pourtant, ce n’est pas une partie de plaisir total. C’est que le pénis du mâle est hérissé de petites épines qui occasionnent une douleur vive chez la lionne au moment du retrait. Du moins, c’est ce que supposent les éthologues pour expliquer sa posture agressive face au mâle après l’accouplement. N’empêche, ils recommenceront. Les chercheurs supposent que la douleur ressentie par la lionne déclenche la ponte de l’ovule. Dans un groupe de lions, on compte généralement bien plus de femelles que de mâles. Toutefois, seul le mâle dominant peut obtenir les faveurs d’une lionne. Et il lui faut son consentement. Leur rencontre se fait à l’écart et ce n’est que quelques semaines après la naissance des lionceaux que la mère réintègre le groupe. Pas de problème de garderie, ici : les petits sont allaités et élevés sans distinction de filiation. Puis, vers deux ou trois ans, les petits mâles seront exclus du groupe. Façon d’éviter la consanguinité au sein du clan. Comment rencontreront-ils à leur tour une dulcinée? En se laissant adopter par un autre groupe. «Vous n’avez pas besoin de jouer au prédateur aux aguets pour attirer dans votre tanière un membre du sexe opposé. Au contraire, vos admirateurs (trices) savent comment vous repérer comme par magie.» C’est une astrologue qui l’affirme sur son site Internet. Mais les lions n’ont pas accès au Web et se balancent bien du zodiaque! R.L. ALAN SIRULNIKOFF/SPL LE LION ET LA LIONNE > InfatIgables > MOGENSTROLLE/ISTOCKPHOTO Occupante familière de nos forêts, la couleuvre rayée a des mœurs sexuelles qui feraient rougir même les tenancières de maisons closes. Le printemps venu, les reptiles mâles sortent les premiers des cachettes où ils hibernent. Pendant quelques jours, bien éveillés et bien chauffés au soleil, ils attendent, fébriles. Quand madame émerge enfin, embaumant la phéromone, une vingtaine d’entre eux se jettent littéralement sur elle. La boule d’accouplement grouillante qui se forme alors se tortille et se déplace sur le sol de la forêt pendant quelques minutes. Quand un chanceux parvient à l’orifice, il y place en même temps un bouchon de mucus, dont l’odeur éteint immédiatement l’intérêt des autres mâles. La boule se défait alors rapidement. La femelle libérée peut aller, tranquille. Tandis que les mâles, jamais rassasiés, retournent guetter l’arrivée d’une autre «prospect». De temps en temps, un petit malin entourloupe les autres. Lorsqu’une boule d’accouplement se forme, il se met à produire des phéromones femelles! Trompés, ses congénères délaissent leur partenaire pour convoiter la nouvelle venue. Le travesti en profite pour se faufiler et s’accoupler vite fait bien fait avec la vraie. J.L. IMPITOYABLE: SEUL UN LION DOMINANT PEUT OB 34 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 > Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:21 PM Page 35 Beauté désespérée LE FURET Elle peut mourir de son célibat. démesurée LA DROSOPHILE > Axelle agonise. Elle ne veut plus jouer, plus manger; ses muqueuses buccales sont blanches et desséchées. Qui plus est, sa vulve est enflée. À la clinique externe de la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, à SaintHyacinthe, la docteure Isabelle Langlois a déjà vu des femelles furets dans cet état. Son diagnostic surprend toujours les propriétaires : leur mignonne petite bête est en manque de sexe. «La femelle furet non stérilisée cherche désespérément à s’accoupler au moment de ses chaleurs. À défaut de trouver un partenaire, elle peut y laisser sa peau», explique la vétérinaire. En effet, pour qu’un ovule mature soit expulsé de l’ovaire d’une furette, il doit à tout prix y avoir coït. Chez la femelle qui n’est pas pénétrée, l’ovule continue à croître et l’ovaire, à sécréter des œstrogènes. Avec le temps, le surplus d’hormones s’attaque à la moelle osseuse, cette centrale de production des globules rouges. L’animal tombe alors en anémie. Heureusement pour les furettes destinées à devenir des animaux de compagnie, elles sont normalement stérilisées à la naissance. À celles qui auraient échappé à cette précaution et qui se lamentent de leur abstinence, on peut donner des hormones qui forcent l’ovulation et soignent la détresse de la jeune beauté. D.F. Ses spermatozoïdes font 15 fois la longueur de son corps. Six centimètres! C’est la longueur des spermatozoïdes de la drosophile. Or, le corps tout entier du mâle de la «mouche à fruit» d’Amérique centrale fait à peine 3 mm. À l’échelle humaine, c’est comme si un homme éjaculait des gamètes de 35 m! Un spermatozoïde humain a tout au plus six micromètres; Homo sapiens ne fait vraiment pas le poids face à Drosophila bifurca. Mais de tels spermatozoïdes ne sont pas faciles à émettre. Une fois formés dans les testicules de la mouche, ils parcourent un long tunnel en spirale, ce qui leur permet de se séparer les uns des autres et de s’enrouler sur eux-mêmes. À la fin, on a une pelote de un dixième de millimètre de diamètre, prête pour l’expulsion. C’est ce que des chercheurs ont appelé l’effet sarbacane. La structure spiralée se termine par un tube étroit dans lequel environ 25 boulets spermatiques peuvent attendre en file. Lors de l’accouplement, ils sont propulsés un à un dans le tractus génital de la femelle, comme des pois par une sarbacane. Dans le règne animal, les spermatozoïdes sont habituellement tout petits et très nombreux. Mais cette espèce de drosophile fait mentir la règle en produisant un nombre assez restreint de très gros spermatozoïdes. Une fois en boulette, ils ont effectivement un volume proche de celui de l’ovule qu’ils sont destinés à féconder. En comparaison, une éjaculation humaine compte des dizaines de millions de gamètes. Mais restons humbles : le mérion superbe, petit passereau d’Australie, en produirait chaque fois 8 milliards. J.L. UT OBTENIR LES FAVEURS D’UNE LIONNE. Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 35 Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:21 PM Page 36 DE VRAIES BÊTES DE SEXE DÉSINTÉGRATION: APRÈS S’ÊTRE ACCOUPLÉ, LE MÂ destiné qu’au dépannage? En 2012, une équipe de l’université de Florence a apporté un début de réponse, en soumettant à des tests de paternité des bébés tortues provenant de 16 pontes. Résultat, 46% des «lots» de bébés, issus d’œufs pondus en même temps, avaient en fait plusieurs géniteurs. Comme si le sperme des différents partenaires se mélangeait dans la femelle pour produire des rejetons génétiquement divers. Si un tel stockage existe aussi chez certains serpents, ce sont les insectes sociaux qui détiennent le record de conservation. Les reines fourmis, par exemple, s’accouplent une bonne fois pour toutes et utilisent le même sperme toute leur vie, et ce, jusqu’à 28 ans! Elles produisent ainsi des milliers de millions de descendants. M.C. prêt-à-jeter LA LIMACE DE MER > Pénis du jour. dévorée LA BAUDROIE D’EAU PROFONDE Le mâle se greffe à la femelle et devient testicule. 36 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 ConservatriCe LA TORTUE Aussitôt utilisé, aussitôt jeté. La limace de mer largue son pénis au fond de l’océan après avoir copulé. Sa virilité n’est pas amputée pour autant. Le mollusque rouge et blanc ne met que 24 heures pour développer un nouvel appendice sexuel. Et il peut répéter l’exploit plusieurs fois d’affilée. Selon les observations de scientifiques japonais, le mollusque, de la taille d’une gomme à effacer, cacherait à l’intérieur de son corps une réserve de filaments embobinés sur eux-mêmes et pouvant être déroulés à souhait, tel un rouleau de pénis hygiéniques. La verge déployée est dotée de très courtes épines qui pointent vers l’arrière, comme celles d’un harpon. Ces crochets aideraient le pénis à tenir en place pendant la copulation, qui dure de quelques dizaines de secondes à quelques minutes. Hermaphrodites, les limaces de mer sont équipées des organes sexuels mâles et femelles. Au moment de la pénétration, elles donnent leur sperme en même temps qu’elles reçoivent celui de leur partenaire. D.F. > En 1922, lorsque le biologiste islandais Bjarni Saemundsson a vu cet étrange poisson des abysses remonter dans un filet de pêche, il a été intrigué par ce qui ressemblait à deux petits lambeaux de chair près de la région anale. En observant mieux, il a cru reconnaître des bébés accrochés à leur mère par la bouche. Ce n’est que quelques années plus tard que les «bébés» se sont révélés être des individus mâles greffés à la femelle. Une vie entière, fiché comme un parasite à une amante nourricière! Chez quelques espèces de l’ordre des Cératiidés – des poissons lumineux –, les mâles, qui ne font que 5 cm à 6 cm de long passent l’essentiel de leur très courte vie mobile à chercher une femelle, longue de 55 cm à 60 cm, dans l’obscurité totale. Lorsqu’ils y parviennent, grâce à leur odorat extraordinairement développé, ils ne prennent aucun risque de la perdre et s’y agrippent par la bouche. C’est à ce moment que la transformation s’opère. Les lèvres du mâle fusionnent avec la peau de la femelle au point où même leurs systèmes circulatoires se connectent. Alimenté par le sang de sa douce, l’amant peut cesser de se nourrir. Ses systèmes digestif et nerveux s’atrophient jusqu’à disparaître presque entièrement, contrairement aux testicules qui, persistent. Adieu liberté, bonjour fécondité! La femelle, maintenant dotée des organes des deux sexes, prend le contrôle de son mâle et, grâce au jeu des hormones, peut même déterminer le moment de ses éjaculations pour qu’elles coïncident avec ses propres émissions d’œufs. Morale : dans l’obscurité des profondeurs abyssales, les rencontres matrimoniales sont peu fréquentes. Pour une femelle, vaut mieux avoir en permanence des testicules à sa disposition. J.L. Rien ne sert de courir, elle peut utiliser le sperme reçu pendant plus de quatre ans. On ne sait jamais de quoi demain sera fait. La femelle tortue de nombreuses espèces le comprend bien. Après s’être accouplée, elle stocke le sperme de son partenaire de façon à pouvoir s’en servir pendant plusieurs années. Pour cet animal solitaire, et en particulier pour la tortue marine dont le territoire est souvent immense, mieux vaut être prévoyant, car les rencontres amoureuses sont rares. Grâce à ce système, les femelles peuvent pondre des œufs pendant quatre à sept ans sans avoir besoin de «recharger le réservoir». On en sait hélas très peu sur l’utilisation du stock : le sperme le plus frais est-il utilisé en premier? Le plus ancien, moins fringuant, n’est-il > Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:21 PM Page 37 LE MÂLE DEVIENT TESTICULE ET RIEN D’AUTRE. Explosif LE CANARD > Son pénis de 20 cm se déploie à 120 km à l’heure! Il lui picore la tête violemment, lui monte sur le dos, la plaque au sol et la viole sans autre forme de procès. La scène se passe chez les canards de Barbarie, ces gros oiseaux parfois élevés pour leur chair. Chez eux, comme chez les autres canards, les copulations forcées sont communes. Elles constituent 40% des accouplements chez les colverts, par exemple. «La plupart des canards forment des couples durables, mais il y a un surplus de mâles célibataires qui tentent leur chance en forçant les femelles», dit Patricia Brennan, une biologiste de l’université du Massachusetts, qui étudie la vie sexuelle de ces oiseaux. Il faut dire que, contrairement à 97% de la gent ailée, les canards ont un pénis. Et pas des moindres : en forme de tire-bouchon, il peut atteindre 20 cm; voire 40 cm chez certaines espèces! «Les mâles n’ont pas d’érection avant la copulation, contrairement aux mammifères, et personne ne savait comment ce pénis en tire-bouchon fonctionnait», explique la biologiste. Ce qu’elle a découvert en 2009, grâce à une caméra haute vitesse, force le respect. Lorsque le mâle copule, son organe spiralé se déploie de façon explosive, en 0,3 seconde. Soit à 120 km/h! Difficile pour la charmante d’avoir le temps de refuser les avances! Et pourtant, en faisant éjaculer des mâles dans des tubes en verre de différentes formes, certains reproduisant le tractus génital femelle également spiralé, les chercheurs ont constaté que leurs partenaires parviennent à parer, tant bien que mal, ces violents assauts. «Le vagin tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, le pénis dans le sens inverse. La forme du vagin empêche le pénis de se déployer complètement, forçant le mâle à éjaculer loin des œufs, ce qui limite les chances de fécondation», indique Patricia Brennan. Quand elle choisit son partenaire, en revanche, la femelle se rend plus accessible en «détendant» son anatomie. M.C. LA HYÈNE Transgenre avant l’heure? > Ambiguë Avec son rire démoniaque et sa réputation de charognard, la hyène tachetée a toujours été une mal-aimée. Cette chasseuse remarquable tient le mauvais rôle partout, dans les légendes africaines comme dans les films de Disney ou dans Histoire de Pi. Est-ce parce Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 37 Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:21 PM Page 38 DE VRAIES BÊTES DE SEXE Mâle agressive > Femelle LA PUNAISE DE LIT Elle transperce à tout va. Mâle qu’elle transgresse les règles de la biologie? Il faut dire qu’elle fait plutôt dans l’ambiguïté. D’abord, une fois n’est pas coutume, les mâles sont dominés par les femelles, plus grosses et plus agressives qu’eux. Reste que les deux sexes sont physiquement difficiles à distinguer. Pendant des siècles, on a d’ailleurs cru les hyènes hermaphrodites, car les femelles arborent un long clitoris, semblable au pénis des mâles, et deux grandes lèvres fusionnées qui ressemblent à s’y méprendre à des testicules. Autre bizarrerie, aussi unique qu’incongrue, c’est par ce clitoris que la femelle copule, urine et met bas (10% d’entre elles meurent lors de leur première parturition). Pourquoi par cet organe? Probablement à cause des androgènes. Les femelles sont en effet bourrées de ces hormones mâles qui leur confèrent le caractère agressif indispensable à leur survie dans une société très hiérarchisée. Mais lorsqu’une hyène attend des petits, ce fort taux d’androgènes entraîne la masculinisation des organes sexuels des bébés femelles. On s’en doute, l’accouplement est toute une affaire. Le mâle doit en quelque sorte introduire son pénis dans le clitoris de la femelle qui, bien que flasque, pointe vers le bas et vers l’avant. Le pauvre s’accroupit derrière elle et sautille comme il peut, réajustant maintes fois sa position, avant de réussir une pénétration. M.C. 38 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 Couillue > Femelle Sous nos couvertures, les punaises de lit peuvent copuler 200 fois en une seule journée. Avec son pénis brandi comme une épée, le mâle transperce tout ce qui bouge. Le marquis de Sade peut aller se rhabiller! «Le mâle monte la dame, mais ne se soucie pas de trouver son vagin», explique Mario Bonneau, entomologiste à l’Insectarium de Montréal, qui siège à un comité visant l’éradication de l’espèce Cimex lectularius de nos matelas et canapés. «Son sexe est pointu comme une aiguille, poursuit-il. Il peut transpercer la carapace de la femelle et déverser le sperme n’importe où: dans son ventre, sa tête ou même dans son cœur.» Une punaise vierge peut donc devenir enceinte. Les spermatozoïdes qui se retrouvent dans le sang de la femelle doivent naviguer jusqu’aux ovaires, mais la majorité d’entre eux seront détruits par le système immunitaire avant d’arriver à destination. Le mâle ne lésine donc pas sur sa semence. S’il était de taille humaine, il éjaculerait l’équivalent de 30 L de sperme. À force de se faire pénétrer de partout, les femelles ont développé d’étranges adaptations. Certaines naissent avec, sur le dos, des «vagins» qui sont en fait des réceptacles stériles. On voit même certains mâles naître avec ces faux vagins. Car eux aussi se font trouer à répétition. Comme il enfonce son pénis-aiguille sans discernement, le mâle se retrouve une fois sur deux à copuler avec un partenaire de son sexe. Ses spermatozoïdes se mêlent alors à ceux du receveur. À son tour, quand le receveur perforera une femelle, il déversera à la fois ses propres spermatozoïdes et ceux du mâle avec lequel il a eu un rapport. Il se cocufiera luimême, en quelque sorte! D.F. LA DECTICELLE CÔTIÈRE Ses testicules font 14% de son poids. Pour s’assurer une descendance nombreuse, mieux vaut s’accoupler souvent, donc produire beaucoup de spermatozoïdes. C’est la stratégie adoptée par Platycleis affinis, une sauterelle du centre et du sud de la France, où on l’appelle decticelle côtière. Avec ses testicules de 70 mg chacun, pour un corps d’environ 1 g, elle est détentrice du record des plus grosses couilles, lesquelles font, dans son cas, 14% de son poids total. Des attributs si gros qu’ils envahissent pratiquement tout son abdomen. Comparaison inévitable, chez un homme, cela équivaudrait à des testicules de 5,5 kg chacune. Bonjour le support athlétique! Étudiée par des chercheurs du Royaume-Uni, la sauterelle a révélé que son abondance testiculaire lui permettait de s’accoupler avec un grand nombre de femelles dans un court laps de temps. Alors que ses cousins des autres espèces apparentées peuvent prendre plusieurs jours à se «recharger» après un accouplement, elle est prête à repasser à IMMACULÉE CONCEPTION : LA PUNAISE QUI RE humaines», explique Stephen Dobson, du Centre national de la recherche scientifique à Montpellier, en France, et spécialiste de ces voyageurs aux «ailes de géant». M.C. Fidèle L’ALBATROS Son pénis est aussi perforant que performant. Le couple parfait. Au sein de la majorité des espèces, les mâles cherchent à copuler le plus possible. Le grand albatros, lui, a une vie sexuelle bien rangée. Les partenaires restent fidèles l’un à l’autre toute leur vie, laquelle peut durer 60 ans. Ainsi, l’observation de 420 couples d’oiseaux pendant 20 ans a démontré que seuls 0,3% d’entre eux «divorcent». Chaque oiseau parcourt, en solitaire et sans s’arrêter, des milliers de kilomètres en haute mer pour se nourrir. Mais il revient tous les deux ans au même endroit pour retrouver sa moitié et procréer. L’habitude a du bon : à chaque rencontre, la parade nuptiale est raccourcie, l’accouplement plus rapide et le couple est plus fécond. «Si l’un des oiseaux meurt, son veuf ou sa veuve a besoin de plusieurs années pour tisser des liens avec un nouvel amour. Les jeunes oiseaux cherchent un partenaire de leur âge, qui pourra vivre longtemps avec eux, alors que les plus âgés se tournent vers un partenaire expérimenté, comme dans la plupart des cultures Sado-maSo LA BRUCHE À QUATRE TACHES Avec sa tête hérissée d’épines longues et nombreuses, le pénis de la bruche à quatre taches a l’air d’une masse d’arme médiévale et inspire l’effroi. Juste à l’imaginer s’insérant dans le tractus de sa femelle donne des frissons. Et avec raison : pendant l’acte, la pauvre tente, à grands coups de pattes arrière, de déloger son tortionnaire, tellement les ébats sont douloureux. La nature est parfois cruelle. Des études menées par des biologistes suédois ont démontré que chez ce petit coléoptère, les mâles dotés des épines péniennes les plus longues obtenaient les meilleurs succès reproducteurs; et infligeaient les traumatismes les plus sévères à leurs partenaires. Pour en arriver à cette conclusion, les biologistes ont taillé au laser les épines de certains mâles et comparé les résultats avec ceux de mâles aux épines intactes. Les accouplements avaient bel et bien lieu, mais la fécondation réussissait moins souvent. Aussi, les scientifiques ont marqué le sperme des bruches mâles d’une matière légèrement radioactive, ce qui leur a permis de le détecter dans plusieurs parties du corps de la femelle après l’accouplement. Les épines du mâle, en érodant et en perçant les voies génitales de la femelle, permettent donc à la semence de s’infiltrer dans ses fluides corporels. C’est jusqu’à 40% du volume du liquide séminal qui fuit dans l’organisme. On ignore le but exact de la manœuvre, mais le sperme étant un cocktail de produits chimiques, il pourrait influencer le comportement de la femelle, par exemple en lui faisant rejeter les autres mâles ou amorcer la ponte. Une équipe du Royaume-Uni propose une hypothèse différente. Comme l’éjaculat du mâle est très abondant (10% de son propre poids!), il apporte directement dans le corps de la femelle une quantité non négligeable d’eau. Dans les chaudes et sèches contrées africaines où elles vivent, les femelles ainsi «réhydratées» auraient de meilleures chances de mener à bien la ponte de la progéniture. J.L. POWER AND SYRED/SSPL l’acte en seulement une heure. Avantage indéniable dans la course aux femelles. Sur le podium des bien nantis, la baleine franche ou baleine noire (Eubalæna glacialis) occupe aussi une place notable. Ses testicules peuvent peser jusqu’à 900 kg chacun, le record absolu. Plus que respectable pour un animal de 30 à 60 tonnes, comparativement à son grand cousin le rorqual bleu qui, malgré ses 170 tonnes bien comptées, a des gonades de «seulement» 10 kg. J.L. > > MIKEUK/ISTOCKPHOTO Palmarès QS août-sept 2013_Layout 1 13-06-21 3:21 PM Page 39 Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 39 UI RESTE VIERGE PEUT TOMBER ENCEINTE. ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:26 PM Page 40 C’EST LA GRÈVE DU SEXE CHEZ LES PANDAS, LES ÉLÉPHANTS ET LES GUÉ LEUR DONNER DES DESCENDANTS. INCURSION DANS UN MONDE BIEN MAL CON COMMENT F 40 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 41 LES GUÉPARDS EN CAPTIVITÉ. LES BIOLOGISTES DÉPLOIENT TOUT UN ART POUR MAL CONNU OÙ LA PARADE ET LA SÉDUCTION SONT EN VOIE DE DISPARITION. T FAIRE BANDER UN ÉLÉPHANT SANS LE FATIGUER DANS CERTAINS ZOOS, ON EXPÉRIMENTE LA PROCRÉATION ASSISTÉE. MAIS LES «ANIMAUXÉPROUVETTES» SONT ENCORE RARES. Par Dominique Forget Il s’appelle Jeannot. C’est l’éléphant vedette du Parc Safari, le seul mâle de son espèce au pays. On veut en faire le Starbuck des pachydermes. PARC SAFARI F rancis Lavigne est un branleur et pas peu fier de l’être. Pour gagner sa vie, mais surtout dans l’espoir d’assurer une descendance aux éléphants d’Afrique menacés dans leur habitat naturel par le commerce de l’ivoire, il masturbe régulièrement Jeannot, l’éléphant du Parc Safari, seul mâle de son espèce au Canada. « Il pourrait devenir le Starbuck des pachydermes », rêve Francis, qui veille sur les herbivores du zoo de Hemmingford, en Montérégie. Chaque semaine, le solide gaillard tire un tabouret derrière Jeannot et y grimpe. Les épaules au niveau du fessier de la bête, il lui introduit son bras ganté et bien lubrifié dans le rectum, retire d’abord quelques crottins qui pourraient gêner son travail, puis, avec de rapides mouvements de va-et-vient, masse vigoureusement la prostate de l’éléphant. Son labeur est récompensé quand le pénis de Jeannot sort enfin de l’enveloppe cutanée où il se cache et s’étire, en semi-érection, sur toute sa longueur : 1 m, pour une quinzaine de centimètres de diamètre. Mensurations obligent, quelques coups de poignet ne suffiraient pas à faire éjaculer Jeannot. Heureusement, la stimulation de la prostate y parviendra. À condition de savoir s’y prendre. « Des fois, on a de la chance et il ne faut que 20 minutes, ex- plique Francis, dont la boucle de ceinture représente la tête d’un éléphant. Mais parfois, ça prend des heures et on ne doit pas arrêter, sans quoi, c’est foutu. Il faut avoir du bras ! » raconte-t-il par une journée où le mercure dépasse les 30 °C. C’est seulement une fois le pénis de Jeannot déployé que Michael Carpentier, l’assistant de Francis, tend une perche au bout de laquelle se trouve un récipient de plastique. Il y récolte le sperme, 25 ml à peine, semence précieuse qui servira à inséminer quelques rares femelles encore capables de se reproduire en captivité. Les premiers essais vont être bientôt tentés aux ÉtatsUnis, au Hogle Zoo, en Utah, et en Caroline du Nord. « On se croise les doigts pour un bébé», dit Francis. Pendant qu’au Québec, depuis que le gouvernement a décidé de rembourser les traitements de fertilité, les couples se pressent aux portes des cliniques, les animaux menacés de disparition ont droit eux aussi aux techniques dernier cri pour assurer leur descendance. D’abord à l’insémination artificielle, utilisée depuis longtemps chez les animaux domestiques, qui consiste à prélever le sperme d’un géniteur puis à l’injecter directement dans le vagin ou l’utérus d’une femelle. Mais aussi à la fécondation in vitro (FIV), le nec plus ultra des traitements de fertilité, où des ovules, prélevés directement dans les ovaires d’une Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 41 ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 42 femelle, sont fécondés sous microscope par les spermatozoïdes d’un donneur. Après quoi, les embryons sont incubés quelques jours en laboratoire, puis déposés dans l’utérus d’une femelle porteuse. « C’est probablement le seul domaine où ce sont les humains qui ont servi de cobayes pour les animaux ! » fait remarquer le vétérinaire français Pierre Comizzoli, spécialiste de la procréation assistée auprès des mammifères en péril, qui s’est joint au Smithsonian’s National Zoo, à Washington, il y a 11 ans. La mère de Louise Brown, premier bébé humain né de la FIV, en 1978, était en effet prête à tout pour tenir un nouveauné dans ses bras, y compris subir une anesthésie générale et se faire ouvrir l’abdomen pour permettre la ponction d’ovules à même ses ovaires. « La détermination de femmes comme elle a ouvert le chemin pour le travail qu’on fait ici avec les guépards, les panthères longibandes ou les cerfs thaïlandais, dit Pierre Comizzoli. L’habitat naturel de ces bêtes est menacé et, en plus, elles ont du mal à se reproduire en captivité. Il faut leur donner un coup de pouce pour assurer la survie de leur patrimoine génétique. » Malheureusement pour les conservationnistes, la transposition des techniques de procréation assistée des humains aux animaux ne se fait pas en criant « FIV» . Car chaque espèce possède une biologie de la reproduction distincte, même au sein des grandes familles animales. Un lion n’est pas un tigre qui n’est pas un guépard. Pour chaque espèce, il faut élucider le cycle hormonal de la femelle, la physionomie de son vagin et de son utérus, la température et le milieu de culture idéaux pour l’incubation des embryons. Même la récolte du sperme, une étape toute simple chez les humains, devient une course d’obstacles au royaume des animaux. « Au début, Jeannot resserrait son anus quand j’y insérais la main et ça me coupait la circulation », raconte Francis Lavigne, qui a visité des zoos et des centres de conservation en Amérique du Nord et en Afrique pour apprendre son métier. «Chaque fois qu’il relâchait ses sphincters, mon assistant l’encourageait en lui donnant des carottes. L’expérience doit toujours rester positive pour l’animal. Sinon, il ne va pas coopérer», poursuit le responsable des pachydermes, qui pousse le dévouement jusqu’à dormir (avec sa copine !) dans la cabane réservée aux éléphants du Parc Safari, les nuits où ses protégés filent un mauvais coton. ZOO DE TORONTO COMMENT FAIRE... 42 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 Dans les laboratoires du zoo de Toronto, les chercheuses Gabriela Mastromonaco (au centre) et Cathy Gartley (à gauche) inséminent une femelle guépard. L es zoologistes ne manquent pas d’imagination pour amener les mâles au septième ciel et recueillir leur sperme. Au Smithsonian’s National Zoo, l’équipe a mis au point un vagin artificiel, une espèce de tube en cuir doté d’une poignée, pour masturber les cerfs d’Eld, une espèce du sud-est asiatique en danger d’extinction. À l’université Acadia, en Nouvelle-Écosse, le Québécois José Lefebvre a découvert qu’il pouvait faire éjaculer les tortues mouchetées avec un vibrateur acheté au sex shop du coin. Mais tous les mâles ne sont pas bons joueurs. « Je ne m’aviserais pas de prélever du sperme chez un grand félin sans l’avoir anesthésié au préalable », s’exclame la chercheuse Gabriela Mastromonaco, responsable du centre de reproduction au zoo de Toronto, tandis qu’elle fait visiter la salle d’opération où l’on prépare une insémination artificielle de guépards. Le décor est moins léché que celui d’une clinique privée de fertilité, mais tout l’équipement y est et plus encore. « On va prélever le sperme de deux ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 43 L’habitat naturel de ces bêtes est menacé et, en plus, elles ont du mal à se reproduire en captivité. Il faut leur donner un coup de pouce pour assurer la survie de leur patrimoine génétique. mâles pour inséminer une seule femelle, explique Gabriela. À cause des problèmes de consanguinité, même au sein de la population sauvage, le sperme des guépards est réputé de très mauvaise qualité. On va mettre toutes les chances de notre côté. » La technique d’électroéjaculation, utilisée pour les guépards sous anesthésie, a d’abord été mise au point chez les humains pour permettre aux hommes tétraplégiques d’avoir des enfants. Une sonde électrique est placée dans le rectum et provoque la contraction des muscles qui entourent les conduits s’étirant des testicules jusqu’au bout du pénis. Le sperme des guépards sera transféré dans l’utérus de la femelle, tenue sous anesthésie dans la pièce voisine. « Ça prend du doigté», explique la vétérinaire Cathy Gartley, spécialiste en thériogénologie, l’équivalent de la gynécologie-obstétrique chez les animaux. Cette professeure à l’uni- versité de Guelph, qui prête régulièrement ses services au zoo de Toronto, a déjà inséminé autant des bisons que des mouflons ou des chameaux. Chaque fois, elle a dû repartir pratiquement de zéro pour comprendre l’anatomie de la bête. «Le vagin de la femelle guépard est très étroit et long d’une trentaine de centimètres », a-t-elle découvert. C’est encore heureux. Les femelles des marsupiaux, elles, ont deux vagins et deux utérus séparés ! « Les vétérinaires inséminent souvent les animaux sauvages par laparoscopie, en passant à travers la paroi de l’abdomen pour aller déposer le sperme directement dans l’utérus. Mais nous, on préfère éviter la chirurgie et procéder par voie vaginale», poursuit la docteure Gartley. À ce jour, les tentatives réalisées par l’équipe de Toronto avec les guépards ont été infructueuses. Gabriela Mastromonaco et Cathy Gartley se croisent les doigts pour que cette fois soit la bonne. Du sex shop au labo JOSÉ LEFEBVRE Cheveux aux épaules, l’étudiant au doctorat à l’université Acadia, au nord-est de Halifax, rit de bon cœur en racontant comment il en est venu à magasiner des godemichés pour mener à bien ses recherches. «J’ai commencé à travailler avec la tortue mouchetée à l’époque de ma maîtrise. Avec une lime, je faisais une petite entaille sur leur carapace, pour les reconnaître. J’ai réalisé que lorsque leur carapace se mettait à vibrer, les mâles exposaient leur pénis. J’ai alors pensé qu’avec une vibration plus importante, peut-être qu’ils en viendraient à éjaculer», explique ce biologiste, qui a fait un retour aux études à 32 ans, après avoir travaillé à la distribution de lasagnes congelées. L’intuition de José Lefebvre s’est confirmée. J osé Lefebvre était un peu inquiet en soumettant le bilan de ses dépenses à la Fédération canadienne de la faune, qui subventionne ses recherches sur la tortue mouchetée, dont la population est en déclin en Nouvelle-Écosse. Parmi les pièces justificatives se trouvait une facture du sex shop du coin, pour l’achat de vibrateurs. S avoir où injecter le sperme, c’est une chose. Savoir quand l’injecter, c’en est une autre. Le cycle ovarien de 28 jours, où l’ovule est expulsé autour du quatorzième jour, ça vaut pour les femmes, pas pour les bêtes. Les femelles pandas n’ovulent qu’une fois par année. D’autres espèces, comme les chats, les lapins et les chameaux ont une ovulation induite : l’ovule n’est pas libéré de l’ovaire tant qu’il n’y a pas eu coït. « Nous avons fait plusieurs tentatives d’insémination avec des chamelles de Bactriane, une espèce en danger, soupire Gabriela Mastromonaco. Nous avons essayé de masser leur vagin au moment de l’insémination, mais ça n’a jamais fonctionné. Elles n’ont pas ovulé.» Il faut dire que les femelles du zoo de Toronto ne sont pas dans leur prime jeunesse. « Contrairement à ce qui se passe dans le domaine de l’élevage, où l’on choisit pour géniteurs les meilleurs Le chercheur passe maintenant une partie de ses étés à traquer les tortues mâles au fond des marécages néo-écossais et à les masturber, pour évaluer la qualité de leur sperme. Il commence par appliquer le vibrateur sur leur carapace. Une fois leur pénis en érection, il place dessus un tube de plastique et pose le vibrateur contre le tube. La tortue éjacule en quelques minutes. Ce sperme ne sert pas encore à inséminer des femelles. «On soupçonne qu’une partie des mâles ont une faible fertilité et c’est ce que nous voulons confirmer, en analysant en laboratoire la concentration et la motilité des spermatozoïdes», explique le doctorant. La méthode de prélèvement du sperme imaginée par le Québécois est sur le point d’être publiée dans le trimestriel scientifique Herpetological Review, consacré aux amphibiens et aux reptiles. Pour José Lefebvre, ce succès est jouissif. «En plus, je me suis fait rembourser tout mon équipement sans problème», dit-il. Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 43 ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:48 PM Page 44 COMMENT FAIRE... L 44 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 es spécialistes de la fertilité humaine ont trouvé depuis longtemps le moyen de donner aux femmes des hormones qui, ou bien déclenchent l’ovulation à un moment précis (avant une insémination artificielle, par exemple), ou bien induisent une superovulation (qui produira 10, voire 20 ovules, qu’on recueillera avant une fécondation in vitro). «Chez les félins africains, comme les guépards, les tigres ou les lions, on arrive à utiliser des hormones analogues, mais chez ceux d’Amérique du Sud, comme le puma ou le jaguar, ça ne fonctionne pas. Et on ne sait pas pourquoi», constate de son côté Pierre Comizzoli. Au Smithsonian’s National Zoo, son équipe a réussi à induire des superovulations chez des guépards et à récolter jusqu’à 15 ovules dans leurs ovaires, sous anesthésie. «Les spécialistes de la fertilité humaine utilisent une technique qui consiste à introduire une aiguille dans la paroi du vagin et à ponctionner les ovaires. Mais chez les femelles guépards, ce n’est pas possible. Le vagin est trop long et les ovaires, trop loin. On procède par voie transabdominale.» Quelques-uns des embryons de guépard Panda XXX DANGDUMRONG/ISTOCKPHOTO Dans une pièce sombre du centre de reproduction du zoo de Toronto, des centaines d’animaux sauvages – tigres, jaguars, lions, rhinocéros, gorilles – hibernent dans l’azote liquide. À -173 °C, ils sont loin de la savane africaine ou de la forêt tropicale où ils vagabondent habituellement. « Ça, ce sont des bisons», dit Gabriela Mastromonaco en retirant un flacon d’un réservoir d’où s’échappent quelques volutes de fumée blanche. Les fioles contiennent surtout des échantillons de sperme, mais aussi quelques ovules (plus difficiles à prélever et à congeler) et quelques embryons. On congèle même des cellules cutanées. Leur noyau, contenant tout le bagage génétique de l’animal, pourra servir si les techniques de clonage se perfectionnent. «Au rythme où les habitats naturels disparaissent, on ne peut pas courir de risque, soutient la spécialiste. Il nous faut des réserves du plus grand nombre d’individus possible, pour protéger la biodiversité et éventuellement assurer la descendance des espèces qui auront disparu.» ZOO DE TORONTO Zoo sous Zéro taureaux et les meilleures vaches, dans les zoos, on travaille souvent avec des individus qui n’ont pas réussi à se reproduire après de longues années en captivité. C’est un peu l’équivalent des femmes dans la quarantaine qui se pointent dans les cliniques de fertilité, avec une faible réserve d’ovules et des ovaires qui font défaut. » Pour élucider le cycle ovarien des différentes espèces, l’équipe prélève quotidiennement des échantillons d’urine ou de fèces pour y analyser les traces d’œstrogènes. «Dans le cas de Cassi, une femelle panda roux, on a attendu que le taux d’œstrogènes atteigne un pic pour mettre un mâle en sa présence », me raconte Cathy Gartley, en passant une sonde échographique sur le ventre de l’animal, pour vérifier si elle est en gestation. «Ce sont des bêtes très solitaires dans la nature, en Chine. Au zoo, si on présente le mâle à la femelle au mauvais moment, ils vont s’entretuer.» Cassi, qui ne ressemble en rien à un panda géant, mais fait plutôt penser à un raton laveur, a été entraînée pour se tenir debout sur ses pattes arrière pendant que les vétérinaires écartent ses poils pour y passer leur sonde. Après 20 minutes, l’animal se désintéresse de l’exercice. Elle part se balader. La docteure Gartley n’aura pas sa réponse. Il faudra recommencer la semaine prochaine. Pour exciter la libido des pandas géants, peu portés sur la chose, des zoologistes chinois ont recours à une méthode maintes fois éprouvée chez les humains : les films pornos. Les images projetées au centre d’élevage de Chengdu présentent des pandas en train de copuler. Selon les chercheurs, les films coquins auraient contribué à rehausser la population en captivité, qui est passée d’une centaine d’individus, au début des années 1990, à 341, en 2012. D’autres mesures ont été prises pour favoriser l’accouplement de ces grands mammifères, dont l’agrandissement des enclos et l’amélioration de la diète. Il ne faut pas lésiner sur les moyens, car il y a peu de marge pour l’erreur : les chaleurs de la femelle ne durent que deux à trois jours par année. créés à Washington seront transférés dans l’utérus d’une femelle porteuse cet été. Le docteur Comizzoli est optimiste. Après tout, c’est son équipe qui a permis la naissance, en 2011, d’Idin, le premier bébécerf d’Eld-éprouvette. Gabriela Mastromonaco expérimente aussi avec la fécondation in vitro. Dans son laboratoire, à côté de la salle où l’on insémine les guépards, elle manipule des embryons de bisons des bois, un animal qu’on trouve dans le nord de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, ainsi que dans les Territoires du Nord-Ouest. La survie de l’espèce, génétiquement distincte des autres espèces de bisons, est menacée, bien qu’elle n’ait aucun problème à se reproduire. C’est que les animaux sont porteurs de la tuberculose et de la brucellose ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 45 Lili, unique femelle ocelot au Canada, est hébergée au zoo de Granby. Et elle pourrait un jour devenir mère. Âgée de 19 ans, elle est pourtant pratiquement grabataire. «Il y a deux ans, on a prélevé cinq de ses ovules et on les a fécondés en laboratoire avec les spermatozoïdes de nos deux mâles», explique la vétérinaire Marie-Josée Limoges. Le hic : Lili souffre de lésions à la colonne vertébrale et ne peut porter ses petits. Les embryons ont été congelés en attendant une mère porteuse, qui viendra probablement des États-Unis. Le recours à des mères porteuses n’est pas rare dans le monde de la reproduction assistée animale. Il arrive même qu’on tente de faire porter les petits d’une espèce en danger par une lointaine cousine. Un embryon de mouflon peut être transféré chez un ovin domestique, par exemple. «Mais le transfert d’embryon interespèces est de plus en plus remis en question, explique le docteur Pierre Comizzoli. Parce qu’il semble bien que les petits souffrent de problèmes d’identité. À l’âge adulte, ils cherchent à s’accoupler avec des individus de l’espèce de la mère porteuse.» bovines. Pour protéger les élevages à proximité, le gouvernement a décidé d’éliminer progressivement les bêtes sauvages. « Chaque fois qu’un bison est tué, des équipes prélèvent les ovaires ou les testicules et nous les acheminent», dit Gabriela Mastromonaco. À l’aide des spermatozoïdes et des ovocytes (des ovules pas encore matures), elle espère arriver à créer les embryons qui assureront une descendance aux bêtes sacrifiées. « Il faudra d’abord trouver le moyen de les décontaminer, car les spermatozoïdes prélevés seront porteurs des bactéries des deux maladies, dit-elle. Nous allons commencer à tester des méthodes de désinfection dès cette année.» De là à voir naître un bison-éprouvette en bonne santé, il y a un monde. « Les premiers embryons que nous avons obtenus en laboratoire sont morts rapidement, se désole la chercheuse. Naïvement, on avait pensé que le bison était un peu comme une grosse vache et on a appliqué un protocole utilisé chez les bovins. Mais on a bientôt réalisé que ce n’était pas la même chose. Il va falloir travailler sur le milieu de culture des embryons pour assurer leur développement passé le stade de huit cellules, si on veut les transférer avec succès chez les porteuses. » Le zoo de Toronto abrite quelques femelles exemptes de maladie, qui pourront porter les rejetons des bêtes malades. Gabriela Mastromonaco est parfois la cible de critiques qui jugent que l’argent dépensé pour créer quelques rares animauxéprouvettes serait mieux investi dans des projets de conservation des habitats naturels. «Mes subventions proviennent strictement de fonds de recherche, comme celui du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, se défend-elle. Ça n’ampute d’aucune façon les budgets des organismes voués à la conservation. En outre, les projets de conservation ne se concrétisent pas assez vite. Il faut donc préserver le bagage génétique des animaux en danger avant qu’il ne soit trop tard.» Rien n’assure cependant que les animaux nés en captivité grâce à la procréation assistée pourront un jour être réintroduits dans leur habitat naturel et repeupler les forêts et les savanes. «On a connu quelques succès, dit Pierre Comizzoli. Notamment, avec le furet à pattes noires, un petit carnivore qui avait disparu de l’ouest américain et qu’on retrouve maintenant à l’état naturel au Montana, au Wyoming et au Dakota du Sud. Ou encore avec les gazelles et les antilopes, un projet sur lequel je travaille en Afrique du Nord. Mais la réintroduction dans la nature d’espèces nées en captivité est une opération très délicate, admet-il. Ça ne servirait évidemment à rien de réintroduire des animaux créés à grand prix en laboratoire dans une zone où séviraient des braconniers.» Les petits de Jeannot, s’ils viennent au monde un jour, seront vraisemblablement destinés à vivre dans les zoos. Ça ne choque pas Francis Lavigne. « Les individus gardés en captivité sont des ambassadeurs, affirme-t-il. C’est plus facile de convaincre un enfant de protéger la nature si on peut lui faire voir des animaux. Et qui sait ce qu’il adviendra des arrière-arrière-petits-enfants de Jeannot? Tant qu’on arrive à préserver la lignée génétique, il QS y a de l’espoir. » ■ La piLuLe pour Lézards ZOO DE TORONTO ZOO DE GRANBY Mère porteuse recherchée Le recours à des mères porteuses n’est pas rare dans le monde de la reproduction assistée animale. Il arrive même qu’on tente de faire porter les petits d’une espèce en danger par une lointaine cousine. Les reptiles sont tellement comblés en captivité qu’ils se reproduisent sans relâche. Sauf qu’à force de pondre des œufs, les femelles s’épuisent, souvent jusqu’à la mort. «Ce sont les seuls animaux pour lesquels on n’a pas encore de contraceptif», regrette Gabriela Mastromonaco, du zoo de Toronto. Depuis cinq ans, dans l’espoir de mettre au point une pilule contraceptive, la chercheuse fait prélever et analyser des crottes de femelles caméléons pour comprendre leur cycle hormonal. «On a essayé toutes sortes de produits, dont le tamoxifène, un médicament qui traite certains cancers du sein et bloque les récepteurs d’œstrogènes. Sans succès. Le fonctionnement des hormones qui dictent la reproduction des reptiles demeure un mystère.» Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 45 ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 4:18 PM Page 46 TOUT CE QU’ON NE VOUDRA JAMAIS DIRE SUR LE SEXE HUMAIN ET QUE, DE T UNE AFFAIRE DE 46 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 4:19 PM Page 47 QUE, DE TOUTE FAÇON, ON NE VOUS A JAMAIS DIT. E CULTURE GRAND SPÉCIALISTE DES MAMMIFÈRES ET DE L’ÉVOLUTION, PROFESSEUR ÉMÉRITE DE L’UNIVERSITÉ LAVAL, CYRILLE BARRETTE NOUS EXPLIQUE CE QUI FAIT NOTRE SPÉCIFICITÉ SEXUELLE ET POURQUOI IL NOUS EST SI DIFFICILE D’EN PARLER. e sexe chez l’humain, voilà un thème très vaste pour la biologie! Et très délicat pour le biologiste... JEAN-CHRISTIAN BOURCART/GAMMA-RAPHO L Chaque fois que je parle publiquement de sexe, en effet, je mets des gants blancs; je fais attention, je prends des détours. Pas que je sois mal à l’aise, mais le sujet touche les émotions, la culture, l’éducation, la religion, la vie personnelle des gens, leur liberté individuelle d’avoir ou non des enfants. Chez les mammifères, l’élément le plus important pour assurer le succès reproducteur d’une femelle, c’est la nourriture. Plus elle dispose de ressources alimentaires, plus elle peut produire d’ovules et de lait, et plus elle peut s’investir dans sa progéniture. De son coté, le mâle, pour se reproduire, a besoin d’une femelle. En gros, cela revient à dire que les femelles consomment de la nourriture et que les mâles consomment des femelles. La réalité biologique ressemble à une caricature! Encore faut-il prendre le temps de l’expliquer. Dans une très large mesure, les sciences humaines et sociales du XXe siècle ont nié la nature animale de l’humain sur la base qu’il est une construction sociale issue de la culture, de l’éducation et du milieu. C’est ce qui faisait dire à Simone de Beauvoir : «On ne naît pas femme, on le devient.» C’est en partie vrai, sauf qu’on ne peut pas faire une femme avec une femelle chimpanzé! Homme ou femme, on naît avec un bagage humain; pour faire une humaine, il faut un humain! Évidemment, la culture, l’enseignement, l’expérience, le vécu ajoutent énormément à ce substrat. Et c’est ce qui rend le sujet délicat. Aussitôt qu’on en parle en termes biologiques, on est accusé de déterminisme génétique. C’est comme dire que nous sommes esclaves de nos gènes. Certains y voient une justification du sexisme, de l’inégalité homme-femme. Même chose avec le racisme. Le biologiste qui prononce le mot «race» est tout de suite accusé ou soupçonné de racisme. C’est dommage, parce qu’on s’empêche ainsi d’étudier la variabilité génétique de l’humain, qui est réelle et démontrée. Tout comme le mot «race», le mot «sexe» est trop chargé. Si on parle de la biologie du foie ou de la circulation sanguine, personne ne s’en offusque. Mais dès qu’il est question de la biologie de la reproduction humaine ou des différences sexuelles, les réactions fusent. Il faut dire que, pour les humains, le sexe n’est pas que la reproduction! Nous sommes en effet une espèce qui distingue le sexe de la reproduction, contrairement à toutes les autres, où les deux sont indissociables. Il y a bien sûr quelques exceptions, comme le bonobo mais, même chez lui, il n’y a jamais de sexe juste pour le sexe. Chez l’humain, oui! Même que, dans la grande majorité des cas, il fait tout pour éviter la procréation. Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 47 ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 48 UNE AFFAIRE DE CULTURE Cyrille Barrette Au fil de l’évolution, la sélection naturelle a rendu agréables les comportements indispensables à la survie de l’individu et à sa reproduction. Ainsi, le seul objectif du plaisir, c’est de favoriser la multiplication des gènes. À l’inverse, le déplaisir, la douleur ou le dégoût sont là pour nous éviter de faire des choses qui pourraient nous nuire. Par exemple, nous sommes dégoûtés par la nourriture en décomposition et c’est tant mieux! Sauf que l’humain voit le plaisir comme une fin en soi, et non parce qu’il est associé à un comportement favorable, avantageux. La différence est énorme. Je ne connais aucune autre espèce, ni parmi les mammifères ni parmi les autres animaux, pour qui le plaisir est un objectif. Il n’en demeure pas moins que l’humain est avant tout un animal. La nature animale de l’humain est toujours présente. Pour le constater, il suffit d’aller dans un bar à trois heures du matin! Des études sérieuses ont analysé les comportements des hommes et des femmes dans une telle situation. Plus le moment de la fermeture approche, plus on voit se profiler les programmes génétiques. On a l’impression d’observer des macaques ou des babouins! Les mêmes programmes génétiques s’expriment aussi dans un contexte tout à fait différent: celui des annonces matrimoniales. Le phénomène a été sérieusement étudié. En Inde, par exemple, que recherchent les parents comme partenaire idéal pour leur fille ou leur fils? Quelqu’un qui va leur ga48 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 rantir une descendance! Ils se préoccupent de l’âge, de la formation, de la situation économique ou familiale du candidat. C’est plein de sens, en termes darwiniens! Et cela se passe à l’insu des gens, parce que c’est programmé génétiquement. C’est naturel! Par-dessus ce bagage biologique, il y a bien sûr toute la culture locale, la famille, le vécu. Mais le noyau animal est toujours là. Nier son existence n’est pas une bonne idée si on veut comprendre l’humain. Notre manteau culturel est très épais et très visible mais, dessous, nous sommes toujours le même animal nu qu’il y a 50 000 ans. Cela dit, du point de vue de l’anatomie et de la physiologie, les différences sont très profondes entre les autres mammifères et nous; par exemple, les seins. Chez les femmes, les seins sont présents indépendamment de la lactation. Leur taille n’a rien à voir avec la quantité de lait produite. Une jeune fille a des seins, même si elle n’a jamais allaité. Ce n’est pas le cas chez les autres mammifères. Ainsi, quand une femelle chim- panzé est en lactation, ses glandes mammaires sont beaucoup plus volumineuses que si elle n’allaite pas. Et elles disparaissent presque complètement entre ses périodes de gestation. Chez l’homme aussi il y a une différence majeure, l’absence d’os pénien, le baculum. Presque tous les autres mammifères en ont un. Autre grande caractéristique chez l’humain : l’ovulation est discrète. Chez les autres mammifères, la femelle l’annonce clairement par des odeurs, des comportements, des vocalises, des structures anatomiques. Qu’on pense à la chatte en chaleur ou aux callosités fessières chez les primates; c’est assez explicite ! Alors que la plupart des femmes ne connaissent pas le moment exact de leur ovulation, les femelles crient littéralement la leur. Cela démontre bien que, sur les plans anatomique et physiologique, l’humain a pris depuis longtemps un chemin différent de celui des autres mammifères. Est-on en mesure de comprendre, aujourd’hui, comment la sexualité humaine a évolué? Difficile de le savoir pour la période très ancienne. Par JEAN-FRANÇOIS LEBLANC Notre manteau culturel est très épais et très visible mais, dessous, nous sommes toujours le même animal nu qu’il y a 50 000 ans. ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 49 contre, pour les 5 000 dernières années, on a de bons indices de ce qu’était la sexualité chez les Égyptiens, les Grecs ou les Romains. Ce qu’on sait hors de tout doute, c’est que la culture a façonné la sexualité humaine. Pas besoin de remonter à l’âge de pierre pour s’en rendre compte! J’aime donner l’exemple de mes deux grandsmères. Entre 1915 et 1945, elles ont eu, à elles deux, 38 enfants! Ma grand-mère maternelle en a eu 16 et ma grand-mère paternelle, 22. En somme, elles ont passé toute leur vie à se reproduire. À l’époque, au Québec, les femmes étaient poussées par la nète, nous ne serions pas 7 milliards mais peut-être 22 milliards d’êtres humains ! Aujourd’hui, la clé de la gestion de la fertilité, c’est l’éducation des filles. On le constate dans les pays en développement. Quand les filles sont instruites, elles réalisent que leur vie peut être consacrée à autre chose que la reproduction. Il reste cependant des poches de résistance au contrôle des naissances. Ce n’est pas pour rien que, dans certains pays africains, asiatiques ou sud-américains, où les conditions de vie sont très difficiles, la moyenne d’enfants par femme tourne encore autour peut aussi parler de la reproduction médicalement assistée, qui nous permet de dissocier encore davantage sexualité et reproduction. Ou du phénomène de l’adoption : quelqu’un investit ses ressources dans une progéniture qui ne porte pas la moitié de ses gènes. À quelques exceptions près, rien de tout cela n’existe dans le reste du monde animal! Même chose pour la pornographie, l’érotisme, l’obscénité; c’est culturel, pas animal. Ou la pudeur... Les autres animaux ne se cachent pas pour s’accoupler. Avant le péché originel, Adam et Ève étaient nus © MUSÉE McCORD L’humain voit le plaisir comme une fin en soi, et non parce qu’il est associé à un comportement favorable, avantageux. La différence est énorme. Je ne connais aucune autre espèce, ni parmi les mammifères ni parmi les autres animaux, pour qui le plaisir est un objectif. À l’époque, au Québec, les femmes étaient poussées par la religion à engendrer au maximum de leur capacité biologique. religion à engendrer au maximum de leur capacité biologique. Mes grands-mères ont eu une vie beaucoup plus animale qu’humaine. Et ce n’est pas péjoratif, quand je dis cela! Elles vivaient des émotions et des peurs humaines, mais du point de vue de la reproduction, elles ont eu une vie animale. Tout ce qu’elles faisaient était dicté par la reproduction. En l’espace de deux générations, la situation a complètement changé. Chez toutes les autres espèces, plus on a de ressources, plus on a de petits. Alors que, chez l’humain, c’est le contraire. Les pauvres font davantage d’enfants et les riches, de moins en moins. Ce phénomène, qu’on comprend mal, est purement culturel, social. Il est salutaire pour la qualité de vie des individus et pour la santé de la biosphère. Imaginez, si le nombre d’enfants était proportionnel à la richesse ! Comme les conditions de vie s’améliorent un peu partout sur la pla- de cinq, six ou sept. Or, les gens n’ont pas les moyens d’élever autant d’enfants. Mais les pressions sociales, culturelles et religieuses exploitent encore aujourd’hui les capacités biologiques à leur maximum. Aujourd’hui, chez nous, l’influence de l’Église a diminué, les technologies de reproduction médicalement assistées sont arrivées. Les rapports homme-femme ont aussi évolué. Qu’est-ce que tout cela change dans notre sexualité? Nous continuons à évoluer très rapidement, toujours selon nos prédispositions génétiques et notre nature biologique. Mais c’est très élastique, nous pouvons aller très, très loin! Prenons le cas de l’hypersexualisation des jeunes filles. Elles ovulent beaucoup plus jeunes, elles mûrissent plus vite, parce qu’elles sont mieux nourries. Mais cela entraîne des conséquences sociales importantes, parfois même catastrophiques! On l’un devant l’autre, mais aussitôt qu’ils ont croqué la pomme, ils ont dû se cacher. Ils avaient honte de leur nudité! Les primates n’ont aucune inhibition de ce genre. C’est une invention culturelle. Vu l’importance biologique de la reproduction, les humains ont fait tout un plat avec le sexe. Ainsi, ils l’ont transformé en un instrument de pouvoir et de contrôle; de guerre, même. Je pense au viol. Pour l’homme qui agresse, les conséquences sont minimes, mais pour la femme, c’est tout un bouleversement. Le viol est très rare dans le règne animal, hormis peut-être chez les canards. Autrement dit, le défi, pour l’humain d’aujourd’hui, c’est d’essayer de se débrouiller avec un bagage du paléolithique, dans un QS milieu de plus en plus «culturel». ■ Propos recueillis par Chantal Srivastava (Les années lumière – Radio-Canada) Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 49 ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:27 PM Page 50 UNE AFFAIRE DE CULTURE Que regardent vraiment les femmes? Charles Darwin avait poussé l’audace jusqu’à suggérer que certains traits des humains, comme la barbe des mâles, résultaient de la sélection naturelle par les femelles. Mais une étude parue en début d’année avance que cette sélection se serait faite autrement. De quoi s’agit-il? De la 50 Québec Science | Août ~ Septembre 2013 taille du pénis (eh oui!). Et elle aurait influencé le choix des femmes dès la préhistoire. C’est la conclusion à laquelle Brian Mautz, biologiste à l’Université d’Ottawa, est arrivé en présentant à 105 femmes, âgées en moyenne de 26 ans, des images d’hommes nus générées par ordinateur. Il leur a demandé lesquels elles considéraient sexuellement plus attirants. Si elles remarquaient la taille des individus et la largeur de leurs épaules, elles vérifiaient aussi les dimensions du pénis. Atavisme issu du temps où notre espèce ne portait pas de vêtements? L’exhibition du pénis, entraînée par la bipédie, aurait en effet permis aux femmes d’évaluer la chose. Il faut dire que le mâle Homo sapiens est le mieux membré des primates. La longueur de son pénis en érection oscille entre 12,8 cm et 14,5 cm. Chez le gorille, pourtant trois fois plus massif, l’appendice atteint tout juste 3 cm ou 4 cm. J.L. l’orgasme, c’est humain ou juste cochon ? Si l’activité sexuelle des humains n’est pas exclusivement liée à la reproduction, trouve-t-on d’autres animaux qui éprouvent l’orgasme? Jim Pfaus, spécialiste du comportement sexuel des rats (et des humains) à l’Université Concordia, à Montréal, le pense. «Chez l’humain, le plaisir sexuel est lié à la libération, dans le cerveau, d’opioïdes, de sérotonine et d’endocannabinoïdes, qui procurent une sensation d’extase, de récompense et de satisfaction. Les hormones de l’attachement, comme l’ocytocine ou la mélanocortine, jouent aussi un rôle. Et il semble que ces substances peuvent être présentes chez tous les animaux après un rapport sexuel», explique-t-il. Le cocktail chimique du plaisir, hautement addictif, serait donc universel. Humains, cochons et rongeurs, même combat! «Chez les rats, mâles comme femelles, si on bloque la libération des opioïdes avec un médicament, ils finissent par ne plus vouloir copuler, parce qu’ils n’ont plus de plaisir», ajoute Jim Pfaus. Si la biologie nous ramène sur le même plan que les rats, nul ne niera que notre esprit nous distingue. À moins qu’eux aussi aient des fantasmes pour décupler leur plaisir? Qui sait? M.C. les phéromones, ça marche ou pas? THE_CUT/ISTOCKPHOTO THIERRY BERROD-MONA LISA PRODUCTION/SPL secrets d’alcôve La plupart des créatures du royaume animal, depuis les insectes jusqu’aux grands mammifères, échangent des signaux chimiques odorants pour séduire leur partenaire. Ces phéromones sont-elles aussi présentes chez nous? À l’Université McGill, la professeure Marylin Jones-Gotman a fait respirer à des hommes et des femmes hétérosexuels des concentrés d’androstadiénone, une hormone sécrétée par les glandes sudoripares des aisselles masculines. Si la molécule influençait le flot sanguin dans le cerveau des femmes, elle n’avait aucun effet chez les hommes. Précédemment, une autre étude, états-unienne celle-là, avait démontré que des femmes à qui on faisait humer des teeshirts humectés de sueur virile parvenaient à différencier les hommes avec lesquels elles n’avaient aucun lien de parenté (qui étaient donc des géniteurs potentiels) de ceux avec lesquels elles étaient proches. Mais le mystère demeure. Car c’est l’organe voméronasal, qui se trouve de part et d’autre de la cavité nasale, qui permet de détecter les phéromones. Chez les animaux, il fonctionne à fond. Chez les humains, il y a bien des vestiges ancestraux de cet organe derrière les narines, mais ses fibres nerveuses ne sont pas connectées au cerveau. Les phéromones humaines ne seraient-elles alors qu’un fantasme? Quoi qu’il en soit, elles font l’affaire des fabricants de certains parfums qui prétendent concocter d’irrésistibles fragrances! D.F. MARC ROBITAILLE ForcerLeSexe août-sept2013_Layout 1 13-06-21 3:28 PM Page 51 Le cerveau fou d’amour Le coup de foudre existe-t-il ou n’est-il que fiction pour histoires à l’eau de rose? Le coup de foudre existe sans aucun doute. Quand une personne s’éprend d’une autre, de nombreuses et très réelles modifications neurophysiologiques surviennent dans son cerveau, dont la chimie se trouve modifiée. Cela a été démontré par des études d’imagerie cérébrale et d’analyse sanguine, auprès de volontaires récemment tombés amoureux à qui on demandait de penser fortement à l’être aimé. Normand Voyer, professeur et chef du Laboratoire de chimie bio-organique supramoléculaire à l’Université Laval. À ce moment, que se passe-t-il au juste dans le cerveau? Des substances chimiques neuroactives très puissantes sont libérées. Elles vont altérer le comportement, le rythme cardiaque et le métabolisme. Il y en a quatre principales. D’abord la phénéthylamine. Elle agit comme une drogue de la famille des amphétamines en procurant confort et bien-être : le monde est beau, plus rien n’est grave. Ensuite, la dopamine, neurotransmetteur impliqué dans l’attention, vient stimuler la concentration, l’intensité de l’humeur et la nervosité. On est survolté, hilarant, paquet de nerfs, on a la bougeotte, on pète le feu. En troisième lieu vient la norépinéphrine, un euphorisant qui fait faire des folies, des excès. Pour finir, à la suite de la métabolisation de la norépinéphrine, apparaît l’adrénaline, l’hormone de l’urgence, qui augmente le rythme cardiaque, la pression sanguine et qui fait rougir. Ces effets, incontestables, finissent cependant par s’estomper, semble-t-il... Comme à toutes les autres drogues, on s’acclimate à celles du coup de foudre. Entre 18 mois et 4 ans après la rencontre, les effets sont devenus imperceptibles. Mais heureusement, l’ocytocine, l’hormone de l’attachement, prend le relais. La relation peut alors se transformer, adopter un autre visage et peut-être durer. J.L. Août ~ Septembre 2013 | Québec Science 51