Télécharger en PDF - Conseil de la concurrence

publicité
Le rôle du Conseil de la concurrence : quelles perspectives d’avenir ?
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Chers Collègues,
Je tiens avant tout à vous remercier Monsieur le Président pour votre invitation à participer à
cette journée de travail consacré au rôle du Conseil de la concurrence.
J’ai beaucoup appréciés les exposés précédents qui ont su dresser avec intérêt un état des lieux
des attributions et des compétences du Conseil de la concurrence en matière de régulation des
marchés libéralisés ou en voie de libéralisation. Pour ma part, dans la continuité de ce qui a
été dit, je m’attacherai plutôt à l’avenir, à l’état de maturité de ce peut être le Conseil de
concurrence en tenant compte des réalités économiques qui s’imposent à lui, et surtout à la
spécificité de l’économie algérienne.
Au préalable, il me paraît indispensable de clarifier le concept de régulation, en raison de son
caractère polysémique, et par application d’une ligne méthodologique consistant à définir les
notions complexes avant tout réflexion et expression de ma pensée.
La régulation de la concurrence se distingue de la régulation sectorielle. La régulation
sectorielle consiste à libéraliser un marché anciennement monopolistique, autrement dit,
assurer le passage d’une situation de monopole à un état concurrentielle du marché, peu
importe le nombre d’opérateurs présents sur ce marché. Ce n’est qu’après l’introduction d’une
concurrence saine et libre que la régulation de la concurrence s’applique comme nouveau
mode de gouvernance. Elle consiste à rechercher, à organiser et à maintenir un « double
équilibre » :
- en amont, l’équilibre des structures d’un marché libéralisé, antérieurement caractérisé par un
monopole ;
- en aval, l’équilibre des comportements, individuels ou collectifs, des opérateurs intervenant
sur ce marché.
J’insiste sur ces deux équilibres, parce qu’il ne faut pas confondre « concurrence » et
« compétition ». La concurrence fait référence au marché, tandis que la compétition a trait aux
relations entre compétiteurs. Cette distinction est d’autant plus importante qu’elle est visible
dans la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence. Lorsqu’il est confronté à des
pratiques anticoncurrentielles, Le Conseil procède d’abord à une analyse structurelle du
marché pertinent avant d’analyser le comportement des entreprises opérant sur ce marché.
Toutefois, le terme régulation est compris, en Algérie, dans un sens particulier. Bien que se
distinguant des notions traditionnelles de « réglementation » et de « contrôle », les juristes et
les économistes algériens, mais aussi le législateur, parlent habituellement de « régulation »
pour désigner toute influence de l’Etat sur l’économie libérale. L’Etat serait, en réalité, le vrai
régulateur, soucieux d’éviter tout risque de captation de l’intérêt général par des intérêts
privés. Cette régulation de type régalienne a eu pour effet de réduire la place du Conseil de la
concurrence dans le paysage institutionnel algérien. On ne peut que regretter cette conception
restrictive d’un « Etat régulateur », en ce qu’elle produit dans la conscience collective un
amalgame entre la régulation indépendante (ou, a minima, autonome) et la réglementation
étatique de l’économie. Surtout, elle empêche le Conseil de la concurrence de devenir un
1
acteur incontournable et omniprésent de la régulation concurrentielle des marchés libéralisés
ou nouvellement libéralisés. Il faut, en effet, garder à l’esprit qu’organiser un marché est sans
doute plus efficace techniquement et plus efficient économiquement que de le diriger.
C’est au droit et aux autorités de s’adapter au marché, et non l’inverse. Le rôle du Conseil de
la concurrence ne peut être ni minimisé, ni figé. Il est amené à évoluer dans un environnement
concurrentiel en perpétuel évolution sous la pression de plusieurs facteurs : la mondialisation,
l’intensité de la compétition entre opérateurs, l’état de bien-être des consommateurs, le
décloisonnement et l’interconnexion des marchés nationaux, la libre circulation des
marchandises, des personnes, des services et des capitaux, la convergence des nouvelles
technologies, avec pour prisme l’accès à Internet, l’influence des expériences étrangères en
matière régulation, etc. C’est pourquoi le Conseil de la concurrence ne se contente pas
d’exercer un contrôle a posteriori ou ex post des marchés, il est censé les réguler. Pour ce
faire, il doté de compétences générales qui s’appliquent à tous les secteurs d’activité. Il est
une autorité de régulation multisectorielle à compétences générales ou transversales. C’est
d’ailleurs ce qui le différencie des autorités de régulation sectorielles dont les compétences
sont strictement délimitées au secteur d’intervention.
Le problème est qu’il y a, en Algérie, un désordre. Ce terme me paraît plus approprié que
celui de « régression institutionnelle », relevé au cours de cette journée. L’activité du Conseil
est, en effet, bouleversée par un formalisme encombrant. Depuis sa création en 1995, il a vu
ses missions et ses attributions maintes fois modifiées par le législateur :
- l’ordonnance n° 95-06 du 25 janvier 1995 modifiée par l’ordonnance n° 03-03 19 juillet
2003, puis par la Loi n° 08-12 du 25 juin 2008 ;
- le décret exécutif 11-243 du 10 juillet 2011, qui a été modifié par le décret exécutif 15-79 du
08 mars 2015 portant organisation et fonctionnement du Conseil.
Pourtant, il ne suffit pas de légiférer pour réguler un marché. Au contraire, il faut, à mon sens,
sortir de cette logique bureaucratique de la régulation par la loi qui nuit à l’activité régulatrice
du Conseil, car, en matière de régulation, le droit de la concurrence doit être un droit flexible,
un droit souple, comme condition préalable à toute forme de régulation d’un marché
concurrentiel.
Compte tenu de ces difficultés, il me paraît opportun de mettre en évidence trois stratégies
d’avenir adaptées à l’activité du Conseil de la concurrence, dans l’optique d’une meilleure
lisibilité, visibilité et cohérence de son action.
I.- La perspective d’un renforcement du contrôle concurrentiel fondé sur l’analyse
économique
Dans l’exécution de la mission qui est la sienne, c’est-à-dire préserver le libre jeu de la
concurrence sur un marché pertinent, il ne faut pas que le contrôle et les décisions du Conseil
de la concurrence soient attentatoires à la liberté d’action des entreprises, y compris celles qui
sont en position dominante sur le marché, dans la mesure où seul l’abus est répréhensible. Il
revient donc au Conseil d’évaluer avec précision les effets anticoncurrentiels d’une pratique
d’éviction qui tendrait à évincer du marché un ou plusieurs opérateurs, dits efficaces ou
potentiellement efficaces, à l’image d’un opérateur privé.
Dans cette démarche prospective, le Conseil de la concurrence pourrait faire sienne l’analyse
économique telle qu’elle est pratiquée par d’autres autorités nationales de concurrence. Plutôt
2
d’importer des lois, importons en Algérie des méthodologies d’analyse concurrentielle, des
expériences positives de nature à améliorer les capacités d’intervention du régulateur de la
concurrence.
L’analyse économique est une approche pragmatique ou « réaliste » qui tient compte des
réalités économiques et des spécificités du marché en cause pour évaluer, avec une assez
bonne probabilité, les effets d’une pratique restrictive (entente illicite, abus de position
dominante) ou d’une opération de concentration économique sur le libre jeu de la concurrence
et, a fortiori, sur le bien-être des consommateurs. Concrètement, le Conseil de la concurrence
devra se fonder sur un faisceau d’indices, de nature juridique, technique, économiques ou
économétrique, recueillis au cours de l’instruction du dossier, avant de rendre sa décision.
Cette évaluation se fait au cas par cas.
A titre d’exemple, le Conseil a estimé que l’acquisition en 2014 de 51% du capital social de
d’Orascom Telecom d’Algérie (OTA) par le Fonds national d’investissement (FNI), ne remet
pas en cause l’équilibre concurrentiel dans le marché de la téléphonie mobile, au motif que
l’acquisition d’une quote-part dans le capital social d’une société ne signifie pas acquisition
d’une part de marché. Dans le principe, le régulateur a raison. Néanmoins, l’application d’une
analyse économique aurait conduit à une conclusion opposée. En effet, OTA est le premier
opérateur privé de téléphonie mobile en Algérie, commercialisé sous la marque Djezzy, leader
sur le marché en cause, loin devant l’opérateur historique Algérie Télécom. Son rachat par
l’Etat, à travers le FNI, conduit en réalité à créer un monopole étatique sur le marché.
II. La perspective d’un pouvoir de sanction comme outil de régulation
Parce que la sanction est au cœur du pouvoir régalien, seul le juge, garant des libertés
individuelles, devrait en avoir le monopole. Par exception (ou par contraste), la plupart des
ANC sont également dotées d’un pouvoir de sanction parce qu’il constitue un outil efficace de
régulation.
Le Conseil de la concurrence reste très attaché à l’effet de dissuasion de la sanction contre les
pratiques portant atteinte au bien-être des consommateurs et causant un dommage à
l’économie. Il peut prononcer des sanctions pécuniaires dont le montant peut 12% du CA
réalisé en Algérie par application de l’article 56 de l’ordonnance 03-03 du 19 juillet 2003
modifiée et complétée relative à la concurrence.
Cependant, depuis sa réactivation en janvier 2013, le Conseil n’a infligé de sanctions
pécuniaires que dans très peu de cas. Le renforcement de son pouvoir de sanction, comme
outil de de régulation, devrait être encouragé et assumé, afin de décourager les opérateurs
économiques qui seraient tentés de mettre en œuvre des pratiques restrictives de concurrence.
III. La perspective d’un exercice exclusif de la régulation des marchés par le Conseil de
la concurrence
J’ai la conviction personnelle que l’intervention des régulateurs sectoriels aux côtés de
l’autorité générale de la concurrence met en péril l’unité de l’ordre concurrentiel et du droit
commun de la concurrence. J’ai pu le constater dans l’affaire SARL SERI c/ ALGERIE
TELECOM en 2005. L’Autorité sectorielle de régulation des postes et des
3
télécommunications (ARPT) préconisait la prise en charge de l’instruction de cette affaire par
ses propres services en raison de sa proximité du marché, tandis que le Conseil de la
concurrence jugeait au contraire que l’affaire devait être instruite par ses services par
application des dispositions de l’article 50, alinéa 4 de l’ordonnance 03-03 du 19 juillet 2003.
L’absence de coopération entre le régulateur sectoriel et le régulateur de droit de la
concurrence est la cause de ce conflit de compétences.
Pour éviter tout blocage, source d’insécurité juridique, il suffirait d’instituer des mécanismes
de coopération entre les autorités de régulation (procédure de consultation réciproque,
création d’un groupe de travail conjoint, organisation de formation réciproque, échanges
d’informations, échanges d’experts lors d’un enquête sectorielle ou concurrentielle, etc.)
La perspective retenue serait, à terme, d’intégrer les régulateurs sectoriels au sein du Conseil
de la concurrence au fur et à mesure de la consolidation de l’état concurrentiel dans les
marchés régulés. L’intégration progressive des autorités sectorielles au sein de l’autorité
générale de la concurrence peut être un modèle pour l’avenir. Cette projection demeure certes
théorique, mais elle a au moins le mérite de palier à l’absence de moyens humains au sein du
Conseil et de l’enrichir de compétences diverses.
En définitive, à partir du moment où l’on accepte l’idée selon laquelle la préservation de
l’intérêt général dans un environnement concurrentiel est possible, il revient à l’Etat et au
pouvoir politique d’accorder une confiance bienveillante au Conseil de la concurrence et de
renforcer ses moyens humains, financiers et matériels pour en faire un expert incontournable
de la régulation concurrentielle des marchés.
Mourad MEDJNAH
Avocat à la Cour d’appel de Paris
Docteur en droit de la concurrence
4
Téléchargement