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À QUOI SERT LA CONCURRENCE ?
Bruno Lasserre
sont les premières à souffrir des conséquences des abus de position dominante, qui
peuvent entraver l’entrée sur le marché d’acteurs innovants, ou brider le développement
des PME. C’est pourquoi le contrôle du respect des règles de concurrence ne peut être
relâché durant les périodes d’atonie économique, au motif que les entreprises auraient
besoin d’un environnement moins sévèrement concurrentiel pour maintenir leur
protabilité en ces temps difciles : leur capacité à tirer parti de la sortie de crise serait
anéantie si, dans l’intervalle, elles avaient été mises à l’abri de la pression concurren-
tielle, et l’on ne saurait décourager l’entrée de nouveaux acteurs innovants précisément
durant une phase où le dynamisme de l’activité fait défaut. Il a par exemple été
abondamment démontré que l’expérience américaine de mise en sommeil de la politique
de concurrence au cours des années 1930 durant la période dite du « New Deal »
(National Industrial Recovery Act de 1933) a eu pour effet de prolonger la crise, en
retardant les restructurations.
Des bénéces tangibles et mesurables,
fruit d’une action ciblée
Le premier outil dont dispose l’Autorité pour sauvegarder ou rétablir l’ordre public
économique, et ainsi soutenir la compétitivité, consiste en son pouvoir de sanction,
qu’elle dirige en priorité contre les pratiques les plus dommageables. L’Autorité a ainsi
poursuivi et sanctionné des ententes dans le secteur de la téléphonie mobile (2005) ou
celui des lessives (2011), qui ont eu un impact négatif direct sur le pouvoir d’achat des
consommateurs, mais également des cartels qui ont entraîné un surenchérissement des
coûts supportés par les entreprises, en particulier les PME, dans le secteur du travail
temporaire (2009), des commissions interbancaires (2010), ou des intrants de la lière
chimique (2013).
Pour démontrer à quoi sert la concurrence, il n’est guère de meilleur argument que
celui qui consiste à établir un chiffrage du surcoût généré par ces ententes. Il existe
une abondance d’études économiques visant à établir une estimation chiffrée du surprix
moyen associé à la mise en œuvre d’un cartel, un consensus semblant se dégager autour
d’un renchérissement moyen de l’ordre de 20 %, voire supérieur (v., par ex., J. Connor
et Y. Bolotova [2006], Cartel Overcharges: Survey and Meta-Analysis, International
Journal of Industrial Organization, 24, pp. 1109-1137, et J. Connor et R. Lande [2006],
The Size of Cartel Overcharges: Implications for U.S. and EU Fining Policies, Antitrust
Bulletin, 51, pp. 983-1022. V. égal. E. Combe et C. Monnier [2011], Fines Against
Hard Core Cartels in Europe: The Myth of Over Enforcement, Antitrust Bulletin, 56,
pp. 235-275, et E. Combe et C. Monnier [2012], Les cartels en Europe, une analyse
empirique, Revue française d’économie, vol. XXVII, octobre 2012). Ainsi, il a été
concrètement établi que le démantèlement du cartel de la signalisation routière (2010)
avait conduit à une chute des prix, alors que les pratiques d’entente sanctionnées, ayant
couvert l’ensemble du territoire national pendant près de dix ans, avaient affecté les
ressources publiques, au détriment des collectivités locales et de l’ensemble des
contribuables, du fait de la surévaluation articielle du montant des offres retenues. Il