Travailleuses du sexe, police et extrémistes
religieux : de leurs interactions pendant le
processus révolutionnaire tunisien
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Travailleuses du sexe, police et
extrémistes religieux : de leurs
interactions pendant le processus
révolutionnaire tunisien
Nicolas Amazigh Silva
2013
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Chapitre introductif
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Objet d’étude
Il existe plusieurs régimes juridiques concernant la prostitution de par le monde. Du
prohibitionnisme à l’abolitionnisme en passant par le réglementarisme, les différentes
approches se confondent parfois. A cet égard, la Tunisie fait figure d’exception. La
prostitution y est étatisée depuis l’indépendance. Elle est sous la coupe de l’Etat, et plus
particulièrement du Ministère l’Intérieur.
Le Ministère de l’intérieur qui, encore aujourd’hui, plus de deux ans après le départ de
Zine el-Abidine Ben Ali joui d’une autonomie extraordinaire dans la configuration politique
actuelle. La nomination le 22 février 2013 d’Ali Laaraiedh, jusque-Ministre de l’Intérieur,
à la tête du Premier Ministère est un indice de cette prépondérance. La réputation du
Ministère de l’Intérieur et de son organe d’expression majeure, la police, a peu évolué depuis
que le régime précédent est tombé. Lors du soulèvement populaire qui est né dans le sud de la
Tunisie dès 2008, dans le bassin minier de Gafsa, puis qui a repris de plus belle, à la fin de
l’année 2010 pour aboutir au départ du président-dictateur Ben Ali et d’une partie du clan
Trabelsi le 14 janvier 2011, la police, institution majeure sur laquelle s’appuyait le régime en
place, s’est illustrée par de nombreuses exactions allant du viol, à la torture, en passant par les
humiliations et les violences les plus diverses.
Suite au 14 janvier 2011, la prostitution en Tunisie, à travers sa représentation physique
des bordels étatiques est pour la première fois réellement critiquée et remise en question.
Jusqu’ici elle n’avait jamais fait objet de débat dans la société tunisienne. C’était un fait
social, inhérent au quotidien d’une ville tunisienne. Allant dans ce sens d’élément faisant
« partie du décor », les critiques dont les bordels étatiques ont été la cible n’ont pas soulevé
les foules pour les contredire. Les attaques au sens propre comme au figuré qu’ont subi les
lieux de prostitutions légaux ont provoqué très peu d’indignation, quelles que soient les
sphères sociales. Le laisser faire des premiers gouvernements temporaires s’est déroulé dans
un silence quasi-général. En témoigne la difficulté à trouver des articles concernant la
question tant dans la presse écrite que sur internet, dans une période les supports
d’informations de toutes sortes fleurissaient de toute part.
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Ces attaques ont été commises pour différentes raisons. Mais les salafistes, qui n’étaient
pas encore structurés ni organisés en ont été régulièrement à l’origine. Les prêches dans les
mosq
uées « redevenues des tribunes politiques » [Béchir Ayari, 2012], et les attaques
physiques, se font en effet à une période les salafistes comme les islamistes tentent de
prendre une place qu’ils n’ont pas su saisir lors du soulèvement populaire des semaines
précédentes. Orientant petit à petit le débat politique sur des questions morales et religieuses.
On comprend donc ce que représentent les bordels étatiques dans cette conjoncture.
Pourtant, les violences subies par les personnes travaillant dans les bordels n’émeuvent
pas plus que ça ni d’un côté (et pour cause) ni de l’autre de l’échiquier politique qui est en
train de se dessiner. La gauche tunisienne est occupée par d’autres problématiques plus
urgentes selon son agenda politique.
La question qui se pose donc dans ce contexte effervescent est le pourquoi de la non-
intervention de forces de l’ordre dans la défense de lieux qui sont des institutions appartenant
à l’Etat. En cela, s’intéresser à la prostitution étatique dans une situation de processus
révolutionnaire présente un intérêt certain. La virulence des condamnations formulées à
l’égard de la prostitution, dans un silence assourdissant mérite que l’on s’y arrête puisqu’il est
question de la remise en cause du fonctionnement étatique et de son évolution. S’intéresser à
des acteurs significatifs bien que peu connus, si ce n’est dans l’imaginaire collectif nous
propulse au cœur des dynamiques révolutionnaires et de leurs mécanismes.
Il ne sera pas question ici, d’objectiver ou bien de « psychologiser » la prostitution.
Nous n’entrerons pas dans le débat de la légitimité ou non de l’existence de la prostitution et
de sa pratique. L’objectif de ce travail sera de déterminer, à travers notre objet, les
interactions qui s’exercent entre des groupes d’acteurs et comprendre comment les logiques
qui les unissent se façonnent tout au long du processus révolutionnaire.
Approche du terrain
Afin d’enquêter au mieux sur mon objet, j’ai choisi de circonscrire mon terrain de
recherche à la ville de Tunis. En effet, la capitale, si elle n’a pas été, aux origines du processus
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