CIRCULAIRE NOR/INT/D/02/00165/C OBJET : Arrêtés municipaux

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DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES
Paris, le 23 août 2002
Direction des Libertés Publiques
et des Affaires Juridiques
Sous-Direction des Libertés Publiques
et de la Police Administrative
Bureau des Libertés Publiques /N°
Affaire suivie par M. LETONTURIER
Tél. : 01.49.27.31.57
CIRCULAIRE NOR/INT/D/02/00165/C
LE MINISTRE DE L'INTERIEUR,
DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES
A
MESDAMES ET MESSIEURS LES PREFETS
MONSIEUR LE PREFET DE POLICE
OBJET : Arrêtés municipaux relatifs à la prostitution sur la voie publique.
RESUME : Cette circulaire a pour objet de préciser les conditions de la légalité des arrêtés
municipaux visant à restreindre la circulation et le stationnement des personnes se livrant à
la prostitution. Elle rappelle les textes législatifs et réglementaires en la matière, ainsi que la
jurisprudence administrative et judiciaire, qui précise notamment la notion de moralité
publique et son impact sur l’ordre public.
Récemment, plusieurs maires ont pris des arrêtés visant à interdire aux personnes se
livrant à la prostitution de stationner ou d’aller et venir sur certaines voies.
L’analyse des textes législatifs et réglementaires et de la jurisprudence permet de
dégager les principes suivants quant aux conditions de légalité des arrêtés municipaux
relatifs à cette activité.
1. En vertu des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales,
le maire peut faire usage de ses pouvoirs de police en vue d'assurer la tranquillité, la
sécurité et la salubrité publiques.
En conséquence, les arrêtés municipaux réglementant l’exercice de la prostitution sur la
voie publique peuvent se fonder sur des troubles matériels accompagnant cette activité :
?? les risques de trouble à la sécurité et à la tranquillité publiques, qui peuvent être
causés par les rassemblements de prostituées, de clients et de curieux (rixes,
altercations, nuisances sonores…) ;
2
?? les risques pour la sécurité routière résultant des troubles apportés à la circulation
par des ralentissements, voire des arrêts ou des stationnements inopinés
d’automobilistes (clients potentiels ou simples curieux) ;
?? l’abandon de préservatifs usagés ou de déchets présentant des risques pour la
salubrité publique.
Dans le cadre de la procédure du contrôle de la légalité de ces arrêtés, il vous appartient
de vérifier leurs motivations et notamment que les faits qui seraient ainsi évoqués dans
les considérants sont effectivement établis.
2. La nature de l’activité de prostitution conduit également à faire appel à des
considérations liées à la moralité publique. Cette notion, qui n’est pas prévue par les
textes législatifs et réglementaires, a été dégagée par la jurisprudence. Elle doit faire
l’objet d’un examen précis.
a. La jurisprudence du Conseil d'Etat a reconnu aux préfets et aux maires le pouvoir de
prendre des mesures de police administrative lorsqu’une atteinte à la moralité
publique est susceptible d’entraîner un trouble à l’ordre public. Elle a défini le cadre
dans lequel peuvent s’exercer ces pouvoirs de police et leurs limites.
?? Dans son arrêt Société « Les films LUTETIA », en date du 18 décembre 1959,
le Conseil d’Etat considère ainsi que le maire est fondé à utiliser ses pouvoirs
de police lorsqu'une activité, en l’occurrence la projection d’un film, est
« susceptible d'entraîner des troubles sérieux ou d'être, à raison du caractère
immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l'ordre public ».
Le trouble à l’ordre public n’est donc constitué qu’à condition que l’atteinte à la
moralité publique soit liée à des circonstances locales particulières (cf. 3.).
?? Dans son arrêt « Sieur JAUFFRET » du 30 septembre 1960, le Conseil d'Etat
a confirmé le pouvoir de « l’autorité investie des pouvoirs de police de prendre
toute mesure nécessaire à faire cesser un trouble apporté à l'ordre public, et
notamment d'ordonner la fermeture de lieux de débauche portant atteinte à la
moralité publique et par là générateurs d'un tel trouble ». En l'occurrence, les
lieux de débauche étaient des lieux où étaient « constatés des faits de
prostitution ou de racolage ».
L’atteinte à la moralité publique n’est donc pas un motif d’interdiction en soi,
mais seulement au regard de son impact sur l’ordre public.
b. La chambre criminelle de la Cour de Cassation a précisé la notion de racolage. En
effet, la prostitution, en elle-même, exercée sur la voie publique, n'est pas constitutive
d'une infraction pénale. Seul le racolage actif est pénalement réprimé. Ainsi, aux
termes de l’article R. 625-8 du code pénal, « le fait, par tout moyen, de procéder
publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles est
puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe ».
Le racolage passif sur la voie publique n’est en effet plus constitutif d’une infraction
pénale depuis l’entrée en vigueur du code pénal au 1er mars 1994. Il suffisait
auparavant d’avoir une « attitude de nature à provoquer la débauche ».
3
Dans un arrêt de la chambre criminelle du 25 juin 1996, la Cour de cassation a
précisé les éléments constitutifs de l’infraction de racolage actif. Elle a ainsi estimé
qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre une prostituée dont la tenue vestimentaire
apparaît, au vu de la date des faits, normale et dont les agents verbalisateurs n’ont
retenu aucune parole de nature à inciter quiconque à des relations sexuelles. Le seul
fait de déambuler sur la chaussée et de s’adresser à des automobilistes ou à des
piétons, qui se sont arrêtés spontanément à sa hauteur sans y être invités, ne peut
constituer à lui seul l’infraction de racolage actif, définie par l’article R. 625-8 du code
pénal.
3. Il résulte de ces jurisprudences du Conseil d'Etat et de la Cour de Cassation et des
dispositions pénales précédemment citées que la prostitution sur la voie publique ne
peut, sauf en cas de racolage actif, constituer en elle-même un trouble à l'ordre public
pouvant justifier une mesure de police administrative.
Néanmoins, si la prostitution sur la voie publique n’est pas, en elle-même, une infraction
pénale, ni ne constitue en elle-même un trouble à l’ordre public, elle peut avoir des
caractéristiques et/ou être accompagnée de comportements et d’agissements des
prostituées ou de leurs clients qui, en raison des circonstances locales, font que cette
activité trouble l’ordre public.
Il est ainsi nécessaire que la référence à la moralité publique soit suffisamment
circonstanciée et que soit précisé, dans les considérants des arrêtés, en quoi les
circonstances locales font que l’ordre public est troublé.
a. Ces circonstances locales peuvent tenir aux lieux d’exercice de la prostitution : la
proximité d’établissements d’enseignement, d’un lieu de culte, d’un monument
aux morts, d’un parc fréquenté habituellement par les familles, de nombreuses
résidences, la nouveauté du phénomène de la prostitution dans les rues
concernées.
b. De même, certains éléments peuvent être de nature à provoquer, chez les
riverains et les passants, un sentiment marqué d’atteinte à la moralité publique. Il
peut s’agir du caractère excessivement provocant des tenues vestimentaires des
prostituées ou de la concentration de celles-ci et de leurs clients en un lieu précis.
4. Les mesures de police administrative prises par les maires doivent être nécessaires et
proportionnées aux risques de trouble à l’ordre public. Les dispositions des arrêtés
doivent notamment être limitées dans l’espace. La nature et l’étendue des secteurs
concernés doivent être précisées et justifiées par la réalité de l’activité de prostitution et
la présence de risques particuliers qu’elle entraîne pour l’ordre public.
a. Dans l’arrêt « Sieur JAUFFRET » précité, le Conseil d'Etat précise que « l’autorité
de police ne saurait prendre que les mesures strictement nécessaires à la
suppression du trouble causé à l’ordre public, à l’exclusion de toute mesure ayant
le caractère d’une sanction ou pouvant se prolonger au-delà de la disparition de
ce trouble ».
Autrement dit, il n’est pas envisageable que les maires puissent interdire de
manière générale et absolue l’activité de prostitution.
4
b. Dans un arrêt du 9 mai 1961, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a
estimé légal un arrêté du maire de Lyon qui interdisait aux prostituées de se livrer
à des allers et venues dans des lieux et à des horaires où cette activité présentait
un risque particulier de trouble à « la moralité et à l'ordre public », en l'espèce
dans un rayon de 200 mètres autour d'un établissement d'enseignement
professionnel entre 11h et 12h30 et entre 13h30 et 22h.
La Cour de Cassation a précisé qu'un arrêté « qui ne prononce qu'une interdiction
limitée dans le temps et dans l'espace à la circulation et au stationnement des
prostituées sur la voie publique n'excède pas les pouvoirs de police appartenant
aux maires ».
c. En revanche, dans un arrêt du 1er février 1956, elle a estimé qu'un arrêté du
préfet du Rhône, qui proposait un champ d'application géographique très étendu,
était entaché d'illégalité car il aboutissait à « l'interdiction, d'une manière quasiabsolue, de la circulation sur la voie publique d'une catégorie de personnes
déterminée », en l'espèce des prostituées. Un tel arrêté, « à raison de la
prohibition générale qu'il comporte, au double point de vue du temps et du lieu »,
dépasse la limite des pouvoirs de police du préfet et porte atteinte à la liberté
individuelle.
5. Par ailleurs, il convient de rappeler que le fait que le racolage actif ou le non respect de
certaines dispositions du règlement sanitaire départemental soient pénalement réprimés,
ne fait pas obstacle à ce que le maire use de son pouvoir de police administrative pour
prévenir des troubles à l’ordre public.
L’existence de ces possibilités de poursuites pénales, notamment en raison de la
difficulté de rapporter la preuve des faits incriminés, ne doit pas conduire à considérer
que la mesure de police administrative que constitue l’arrêté du maire n’est pas
nécessaire pour prévenir les troubles à l’ordre public créés par l’activité de prostitution
sur la voie publique.
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Tels sont les éléments sur lesquels doivent se fonder les arrêtés municipaux relatifs à
la prostitution. J’appelle votre attention sur la nécessité que ces arrêtés soient solidement
motivés et circonstanciés.
Je vous demande de me tenir informé de tous les cas qui vous paraissent litigieux au
regard de cette circulaire et des suites que vous serez amenés à leur donner.
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