COMPTE-RENDU DU COLLOQUE SUR LA LIBRE DISPOSITION DE SON CORPS
des 16 et 17 octobre 2008
Université de Caen Basse-Normandie
Le colloque qui s’est tenu à l’Université de Caen Basse-Normandie les 16 et 17
octobre 2008 a réuni des juristes, des philosophes, des économistes et des sociologues autour
de la question de la libre disposition de son corps. L’étude de ce thème a permis de rappeler le
conflit qui oppose la liberté de disposer de son corps et la protection de l’ordre public dans
des problématiques aujourd’hui nouvelles. Le corps, envisagé dans tous ses états, fait l’objet
d’une dialectique entre liberté individuelle et intérêt commun.
Ce conflit a d’abord été mis en évidence par le constat du caractère contradictoire
de la mise en place d’un système normatif relatif à la liberté de l’individu, normativité
relevant aussi bien de la morale que du droit. Quel sens revêt alors la liberté individuelle à
l’ère de l’individualisme, l’individualisme étant encadré par la norme ? Comment expliquer
que le droit au choix de sa sexualité, qui relève de l’espace privé, soit un domaine
extrêmement normé ? La réponse est à apprécier dans le degré d’autonomie que l’on met dans
la notion de liberté, considérant que si la liberté est toute puissante et réalise l’autonomie de
façon absolue, alors aucune norme n’est possible collectivement. Quelles limites peuvent dès
lors être apportées à l’autonomie personnelle ?
Le consentement est apparu comme une des notions essentielles régissant la libre
disposition de son corps. Principe fondamental permettant à la personne de maîtriser les
atteintes à son corps, il se trouve parfois limité faisant ainsi obstacle à la libre disposition de
son corps. Nombreuses sont, en effet, les situations dans lesquelles un tiers peut porter atteinte
au corps sans le consentement de l’intéressé. C’est le cas en matière médicale. Si le
consentement à l’acte médical est exigé, il peut être difficile à obtenir lorsque le médecin se
trouve face à une personne inconsciente, parfois mineure, ou à une personne protégée dans un
cas d’urgence.
La biomédecine est venue poser de nouveaux problèmes quant à la maîtrise du
corps humain, aussi bien du point de vue de l’individu que du corps médical et scientifique.
Les possibilités d’action ouvertes par les évolutions de la science et la manipulation du vivant
ont amené le législateur à poser un droit de la biomédecine contraignant à la fois pour les
patients et les médecins et scientifiques. L’actuel mouvement de réforme des lois de
bioéthique appelle à repenser la matière. L’individu a changé de regard sur son corps, il
revendique la légalisation de certaines pratiques qui pourraient lui permettre d’utiliser son
corps en vue de satisfaire des désirs personnels. C’est dans ce cadre que s’inscrit aujourd’hui
le débat sur la gestation pour autrui. Mais quelles conséquences sur le droit ? Ces
revendications invitent à revoir de nombreuses dispositions, en matière de filiation
notamment.
Le « droit à l’enfant » s’inscrit dans cette problématique. Si cette expression
apparaît choquante, elle est pourtant rendue possible par le recours à l’Assistance Médicale à
la Procréation. Le droit d’accéder aux techniques d’AMP est pourtant limité à des cas très
précis et conditionné par une procédure médicale strictement organisée. Comment justifier le
regard porté par la société sur ces méthodes de procréation ? C’est l’intérêt de l’enfant à naître
qui préoccupe la société. Libre disposition de son corps et intérêt de l’enfant à naître entrent
en conflit. La loi prévoit dès lors la possibilité pour les médecins de refuser d’agir dans
certaines situations (absence de couple, âge du couple ou d’un des membres du couple,…).
Pourtant, comment évaluer l’aptitude des médecins à apprécier telle ou telle situation ?
L’intérêt de l’enfant apparaît alors propice à toute justification de quelque ordre qu’elle soit,
et il conviendrait de faire évoluer ce « standard » dans une société qui évolue
(monoparentalité, famille recomposée,…).
Le pouvoir médical s’exprime également face au désir de mort parfois exprimé par
des personnes en fin de vie. Le droit de disposer de son corps permet-il la revendication d’un
droit à la mort ? Si le droit français assimile l’acte euthanasique à l’homicide, la loi Léonetti
du 22 avril 2005 est venue règlementer la possibilité pour les médecins de mettre fin à un
traitement. La demande de mort formulée par un patient peut revêtir trois formes : le suicide,
le refus de soins, l’euthanasie. Si le droit de mourir, et donc la libre disposition de son corps,
est limité en matière d’euthanasie par l’interdit de tuer, il est en revanche reconnu concernant
le suicide et le refus de soins. La libre disposition de son corps apparaît limitée, dans le cadre
de la fin de vie, par les termes mêmes de la loi Léonetti dissimulant un pouvoir médical
pourtant avéré. Les possibles médicaux sont élargis par des formules laissant la possibilité aux
médecins d’apprécier largement certaines situations thérapeutiques et de prendre des
décisions dont ils sont finalement les seuls maîtres.
La protection de la santé a également été envisagée dans le cadre de la pratique
sportive, étant considéré que celle-ci intègre par essence la compétition. Alors que le sport est
présenté comme une pratique recommandée pour entretenir une bonne santé, le totalitarisme
inhérent à la pratique sportive a été dénoncé. En effet, les sportifs, surtout ceux de haut
niveau, sont conditionnés jusqu’à leur déshumanisation, notamment dans le cadre de
laboratoires de recherches pour sportifs. Les addictions personnelles et les pathologies
collectives marquent les abus du sport qui amènent à ne plus considérer le sport sans la
médecine.
La libre disposition de son corps pose encore la question de la liberté sexuelle, à
l’heure de la banalisation de la relation homosexuelle. Si la sexualité appartient à la sphère
privée dans le respect du consentement du partenaire, le droit s’interroge : peut-il tolérer toute
pratique sexuelle, telle que le sadomasochisme, ou l’inceste consenti ? Ces pratiques ont pour
conséquences des troubles à l’ordre social, respectivement en termes de filiation et de
protection de la santé de la personne.
Sur un autre plan, le transsexualisme rencontre encore aujourd’hui des obstacles,
mais étroitement liés à la protection de la personne. Le transsexuel a deux droits : le droit à un
traitement médical de rapprochement sexuel et le droit de modifier son état civil. Ces droits
sont pourtant à relativiser au regard d’une certaine résistance au transsexualisme des juges du
fond, et de la traçabilité de cette pratique puisque dans le cadre du changement d’état civil les
nouvelles mentions ne se substituent pas aux mentions initiales : elles coexistent. La fragilité
de ces droits repose sur deux conceptions françaises contradictoires du fondement du
transsexualisme : celle de l’autonomie de la personne et celle du déterminisme qui se borne à
considérer le transsexualisme comme un trouble psychique échappant à la volonté de
l’individu.
Enfin, si elle était déjà en conflit avec l’ordre public, la prostitution pose
aujourd’hui la question de la reconnaissance de la liberté de se prostituer au regard de
revendications professionnelles. Le consentement n’est pas analysé de façon uniforme. Pour
certains, il ne peut jamais être libre et éclairé du fait des contraintes économiques et sociales
qui amène à la prostitution. Pour d’autres, une prostitution indépendante et libre existe. Le
Conseil de l’Europe a ainsi distingué la prostitution forcée, volontaire, et la CJCE a reconnu
cette activité comme pouvant être une activité économique de prestation de services. Le droit
fiscal français reconnaît indirectement la prostitution comme pouvant être une activité
professionnelle en faisant des prostituées des contribuables comme les autres. Pour autant, de
nombreux éléments viennent entraver cette reconnaissance remettant ainsi en cause la libre
disposition de son corps des prostituées (arrêtés municipaux et préfectoraux, délit de
racolage,…) et faisant ainsi primer la moralité publique sur la liberté de se prostituer.
Aurore CATHERINE
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