Cours du Professeur Xavier VANDENDRIESSCHE I. La notion d`État

LICENCE DROIT – 1ÈRE ANNÉE
SECTION A
ANNÉE UNIVERSITAIRE 2006/2007
PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT CONSTITUTIONNEL
Cours du Professeur Xavier VANDENDRIESSCHE
FICHE 2 : L’ÉTAT
I. La notion d’État
R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État (Extraits).
II. La distinction État unitaire / État fédéral
G. Scelle, Précis de Droit des gens (Extraits).
R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État (Extraits).
La Constitution des États-Unis d’Amérique (Extraits).
III. Le cas particulier de l’État régional
P. Moderne, P. Bon, les autonomies régionales dans la constitution espagnole (Extraits)
La Constitution espagnole (Extraits)
IV. Le statut de l’Union Européenne
Projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe (Extraits)
J.-C. DIRIS, L’Union européenne : vers une nouvelle forme de fédéralisme ? (Extraits)
Décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 Traité établissant une Constitution pour
l'Europe (Extraits)
Équipe pédagogique :
Néda ARMBRUSTER, Damien CATTEAU, Matthieu CATTEAU, Isabelle CRÉPIN, Isabelle SAUNIER et
Bruno VILLALVA.
Licence Droit – 2006/2007 Principes généraux du Droit constitutionnel
L’État 2
LA NOTION D’ÉTAT
R. Carré de Malberg,
Contribution à la théorie générale de
l’État, p. 2s., (Extraits).
Dans chaque État, on trouve d’abord un
certain nombre d’hommes. Ce nombre peut
être plus ou moins considérable : il suffit que
ces hommes soient parvenus en fait à former
un corps politique autonome, c'est-à-dire
distinct des groupes étatiques voisins. Un
État, c’est donc avant tout une communauté
humaine. L’État est une forme de
groupement social. Ce qui caractérise cette
sorte de communauté, c’est qu’elle est une
collectivité publique, se superposant à tous
les groupements particuliers, d’ordre
domestique ou d’intérêt privé, ou même
d’intérêt public local, qui peuvent exister
entre ses membres. Tandis qu’à l’origine, les
individus n’ont vécu que par petits groupes
sociaux, famille, tribu, gens, isolés les uns
des autres quoique juxtaposés sur le même
sol, et ne connaissant chacun que son intérêt
particulier, les communautés étatiques se
sont formées en englobant tous les individus
qui peuplaient un territoire déterminé, en une
corporation unique, fondée sur la base de
l’intérêt général et commun qui unit entre
eux, malgré toutes les différences qui les
séparent, les hommes vivant côte à côte en
un même pays : corporation supérieure et
générale qui a constitué dés lors un peuple,
une nation. La nation, c’est donc l’ensemble
d’hommes et de populations concourant à
former un État et qui sont la substance
humaine de l’État. Et quant à ces hommes
pris individuellement, ils portent le nom de
nationaux ou encore de citoyens au sens
romain du mot civis : expression qui désigne
précisément le lien social qui, par-dessus
tous leurs rapports particuliers et touts leurs
groupements partiels, rattache tous les
membres de la nation à un corps unique de
société publique.
Le second élément constitutif des États,
c’est le territoire. Déjà on vient de voir
qu’un rapport de liaison nationale ne peut
prendre de consistance qu’entre hommes qui
se trouvent mis en contact par le fait même
de leur cohabitation fixe sur un ou plusieurs
territoires communs : le territoire est donc
l’un des éléments qui permettent à la nation
de réaliser son unité. Mais, en outre, une
communauté nationale n’est apte à former un
État qu’autant qu’elle possède une surface de
sol sur laquelle elle puisse s’affirmer comme
maîtresse d’elle-même et indépendante,
c'est-à-dire sur laquelle elle puisse tout à la
fois imposer sa propre puissance et repousser
l’intervention de toute puissance étrangère.
L’État a essentiellement besoin d’avoir un
territoire à soi, parce que telle est la
condition même de toute puissance étatique.
Si par exemple l’État possède quelque
puissance sur ceux de ses nationaux situés à
l’étranger, c’est dans la mesure seulement où
il lui est possible de leur appliquer sur son
propre territoire la sanction des prescriptions
qu’il prétend leur imposer, durant leur séjour
au dehors. En revanche, sur son territoire, la
puissance de l’État s’étend sur tous les
individus, étrangers comme nationaux.
Les auteurs modernes s’accordent à dire
que la relation juridique qui s’établit entre
l’État et son territoire, ne consiste pas en un
droit de dominium, mais bien d’imperium :
l’État n’a pas sur son sol une propriété, mais
seulement une puissance de domination, à
laquelle on donne habituellement dans la
terminologie française, le nom de
souveraineté territoriale. (…)
La véritable idée à laquelle il faut
s’arrêter à cet égard est donc que la sphère
de puissance de l’État coïncide avec l’espace
sur lequel s’étendent ses moyens de
domination. En d’autres termes, l’État exerce
sa puissance non pas seulement sur un
territoire, mais sur un espace, espace qui, il
est vrai, a pour base de détermination le
territoire lui-même.
Enfin et par dessus-tout, ce qui fait un
État, c’est l’établissement au sein de la
nation d’une puissance publique s’exerçant
supérieurement sur tous les individus qui
font partie du groupe national ou qui résident
Licence Droit – 2006/2007 Principes généraux du Droit constitutionnel
L’État 3
seulement sur le sol national. L’examen des
États sous ce rapport révèle que cette
puissance publique tire son existence
précisément d’une certaine organisation du
corps national : organisation par laquelle
d’abord se trouve définitivement réalisée
l’unité nationale, et dont aussi le but
essentiel est de créer dans la nation une
volonté capable de prendre pour le compte
de celle-ci toutes les décisions que nécessite
la gestion de ses intérêts généraux : enfin,
organisation d’où résulte un pouvoir coercitif
permettant à la volonté ainsi constituée de
s’imposer aux individus avec une force
irrésistible. Ainsi, cette volonté directrice et
dominatrice s’exerce dans un double but :
d’une part elle fait les affaires de la
communauté ; d’autre part, elle fait des actes
d’autorité consistant soit à émettre des
prescriptions impératives et obligatoires, doit
à faire exécuter ces prescriptions.
En tenant compte de ces divers éléments
fournis par l’observation des faits, on
pourrait donc définir chacun des États in
concreto comme une communauté
d’hommes, fixée sur un territoire propre et
possédant une organisation d’où résulte pour
le groupe envisagé dans ses rapports avec ses
membres, une puissance supérieure d’action,
de commandement et de coercition. (…)
Pris dans son acception précise, le mot
souveraineté désigne, non pas une
puissance, mais bien une qualité, une
certaine façon d’être, un certain degré de
puissance. La souveraineté c’est le caractère
suprême d’un pouvoir : suprême, en ce que
ce pouvoir n’en admet aucun autre ni au-
dessus de lui, ni en concurrence avec lui.
Quand donc on dit que l’État est souverain, il
faut entendre par là que, dans la sphère où
son autorité est appelée à s’exercer, il détient
une puissance qui ne relève d’aucun autre
pouvoir et que ne peut être égalée par aucun
autre pouvoir.
Ainsi entendue, la souveraineté de l’État
est habituellement présentée comme double :
on la divise en souveraineté externe et
interne. La première se manifeste dans les
rapports internationaux des États. Elle
implique pour l’État souverain l’exclusion de
toute subordination, de toute dépendance vis-
à-vis des États étrangers. Grâce à la
souveraineté externe, l’État a donc une
puissance suprême, en ce sens que sa
puissance est dégagée de toute sujétion ou
limitation envers une puissance extérieure(1).
Dire que les États sont souverains dans leurs
relations réciproques, cela signifie aussi
qu’ils sont respectivement égaux les uns aux
autres, sans qu’aucun d’eux puisse prétendre
juridiquement à une supériorité ou autorité
quelconque sur aucun autre État. Dans
l’expression souveraineté externe, le mot
souveraineté est donc au fond synonyme
d’indépendance : il n’a ainsi qu’une portée
toute négative. Au contraire, dans
l’expression souveraineté interne, il semble
prendre une signification positive. La
souveraineté interne implique en effet que
l’État possède, soit dans ses rapports avec les
individus qui sont ses membres ou qui se
trouvent sur son territoire, soit dans ses
rapports avec tous autres groupements
publics ou privés formés au dedans de lui,
une autorité suprême, en ce sens que sa
volonté prédomine sur toutes les volontés de
ces individus ou groupes, celles-ci ne
possédant qu’une puissance inférieure à la
sienne. Le mot de souveraineté sert donc ici
à exprimer que la puissance étatique est la
plus haute puissance existant à l’intérieur de
l’État, qu’elle est une summa potestas.
(1) Naturellement, ceci ne veut pas dire que l’État
souverain ne puisse se trouver tenu d’obligations
envers d’autres États : il peut être lié juridiquement
envers des États étrangers, comme aussi à
l’intérieur envers des particuliers ; seulement, il ne
pourra l’être qu’en vertu de sa propre et libre
volonté, de son consentement, et c’est en cela
même que consiste sa souveraineté.
Licence Droit – 2006/2007 Principes généraux du Droit constitutionnel
L’État 4
LA DISTINCTION ÉTAT UNITAIRE / ÉTAT FÉDÉRAL
G. Scelle
Précis de droit des gens, (Extraits).
3 Critique
Les critères qui ont été cherchés pour
caractériser le fédéralisme et distinguer, en
particulier, ses formes les moins intégrées
de l'État et de l'État fédéral, l'ont été dans
trois directions : la distinction de nature
juridique entre l'État et les autres
collectivités juridiques ; la distinction entre
les collectivités personnes et les
collectivités sans personnalité ; la
possession ou la non possession de la
souveraineté. Ce sont des impasses où nous
ne saurions nous engager. Il n'y a pour
nous que des différences de degré ou de
forme entre les diverses réalisations du
fédéralisme. (...)
Les critères juridiques
Pour qui fait de la souveraineté la
caractéristique de l'État, il faut choisir
entre les termes d'une alternative :
reconnaître la qualité d'État à l'État fédéral
et la refuser à l'État membre, ou
inversement, car la souveraineté, dans son
sens classique est indivisible.
Certains auteurs ont essayé de
construire un partage de la souveraineté,
une discrimination de ses attributs entre
l'État fédéral et les États membres. Ils
aboutissaient ainsi à établir une situation
d'égalité statique entre l'État fédéral et ses
membres. Mais cette conception apparue
vite contraire aux faits : la répartition des
compétences n'est pas fixe et il y a
inégalité, superposition et contrôle de l'État
fédéral. Il a donc fallu opter. Certains ont
nié l'État fédéral en affirmant que les États
membres ne pouvaient se dépouiller de
leur souveraineté sans cesser d'être, qu'ils
ne pouvaient qu'en déléguer l'exercice, de
telle sorte que seuls ils restaient
souverains, et qu'il leur était juridiquement
possible d'annuler tout acte de l'État fédéral
contraire à la Constitution. Cette théorie,
elle aussi nettement démentie par les faits,
est connue sous le nom de la théorie de la
nullification.
Il restait alors qu'à nier le caractère
étatique des États membres, parti non
moins difficile à prendre, car c'est
assimiler l'État fédéral à l'État unitaire.
Pour y échapper on a voulu distinguer
entre la participation à la substance et la
participation à l'exercice de la souverai-
neté, et faire des États membres soit de
véritables organes de l'État fédéral, soit des
circonscriptions douées d'un pouvoir
particulier, celui de participer à la forma-
tion de la volonté de l'État fédéral.
Retenons cette notion de participation,
mais en notant qu'on ne peut concevoir la
distinction entre l'exercice et la substance
d'une compétence "souveraine", celle-ci
n'existant plus, par définition, si la faculté
de l'exercer disparaît.
Échappant alors à la sujétion du
critère de l'État souverain, des maîtres du
droit public ont essayé de caractériser l'État
fédéral en disant qu'il posséderait seul le
droit de souveraineté, tandis que ses
membres, tout en demeurant des États, ne
seraient plus souverains. Ils resteraient
cependant des États, parce qu'ils gardent
"le pouvoir de domination" dans toute la
limite où ils ne sont point subordonnés à
l'État fédéral, ou, ce qui revient au même,
une autonomie propre qui leur permet,
notamment, de s'organiser
constitutionnellement. Les États membres
deviennent ainsi des espèces d'États
médiatisés, États si l'on considère au-
dessous d'eux leurs sujets de droit, simples
organes si l'on regarde au-dessus d'eux
l'État fédéral, l'entité politique complexe,
"l'État d'États". Malheureusement, cette
fois encore, on ne découvre pas de critère
juridique qui permette la distinction entre
ces États "médiatisés" et certaines
Licence Droit – 2006/2007 Principes généraux du Droit constitutionnel
L’État 5
provinces ou pays décentralisés qui ont
aussi l'autonomie et le pouvoir de
commandement, et qui, souvent même,
jouissent de garanties internationales que
ne possèdent pas les États membres d'un
État fédéral. On voit même plus de
différence essentielle entre l'État fédéral et
la Confédération d'États dont les membres,
eux aussi, conservent leur qualité d'États,
mais perdent leur autonomie dans la
mesure où le pacte confédéral la leur
enlève. (...)
4 La loi de participation
Nous voici maintenant en présence
d'une caractéristique dominante du
fédéralisme, mais dans toutes ses
modalités, et non seulement dans l'État
fédéral.
Participation à la formation de la
volonté de l'État fédéral, on ne peut
accepter la formule que comme une façon
de parler, une métaphore, dès lors que l'on
repousse la théorie de la personnalité de
l'État et, par la suite, l'existence d'une
volonté étatique distincte de celle des
gouvernants et agents. Les collectivités
composant n'ayant pas de volonté propre
ne peuvent contribuer à former la volonté
de la collectivité composée qui n'en a pas
d'avantage. Ce qu'il faut dire, c'est que les
gouvernants et agents des États membres
collaborent avec les gouvernants et agents
de l'État fédéral, à créer des situations
juridiques qui sont valables pour la
collectivité fédérale globale, et notamment,
participent aux modifications de la
Constitution, à la répartition des
compétences. C'est là en effet un trait
capital du fédéralisme ; c'est par lui qu'il
est un droit de collaboration et non de
subordination. Le trait apparaît dans tous
les États fédéraux. Mais il est encore
insuffisant pour servir de critère, car il ne
se trouve pas seulement dans l'État fédéral.
On le rencontre en effet, à un degré encore
plus accentué, dans la Confédération
d'États, et à un degré cette fois beaucoup
moins accentué dans l'État unitaire.
L'exemple typique est celui de la Prusse
d'après la Constitution de Weimar. Les
agents des circonscriptions décentralisées
de la Prusse collaborent aux décisions
gouvernementales des organes étatiques.
Cette participation se retrouve même dans
des États dont l'unitarisme n'est pas niable,
et pour les collectivités dont la
décentralisation est très peu poussée,
comme les communes ou les départements
français : les conseils municipaux et les
conseils généraux participent à la
formation d'une des chambres législatives,
et par conséquent, quoi qu'au deuxième
degré, aux décisions gouvernementales et
même constitutionnelles. La loi de
participation n'est donc pas un caractère
exclusif de l'État fédéral, ni même, du
fédéralisme. Elle est seulement de sa
nature.
L'autonomie - C'est pourquoi on a
voulu compléter le critère en lui adjoignant
un nouvel élément. A la loi de participation
s'ajouterait l'autonomie des collectivités
fédéralisées, et il n'y aurait vraiment État
fédéral que lorsque la participation et
l'autonomie coexisteraient.
Malheureusement, le terme autonomie
est en soi assez vague. S'applique-t-il à
toute compétence de décision propre, ou
seulement aux décisions d'ordre législatif ?
Faut-il que l'autonomie aille jusqu'à la
compétence en matière constitutionnelle ?
On admet généralement qu'il n'y a État
fédéral que si les États membres possèdent
une certaine autonomie constitutionnelle.
Mais là encore, il faut bien constater qu'en
fait cette autonomie est plus ou moins
garantie selon les constitutions fédérales,
qu'elle ne l'est jamais complètement, sauf
les cas exceptionnel des droits réservés ;
qu'elle l'est parfois davantage pour
certaines provinces décentralisées ; qu'elle
l'est toujours beaucoup plus dans la
Confédération d'États. De telle sorte que ni
la participation des États membres à la
formation de la volonté fédérale, ni
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