LA BANQUE PRIVÉE SUISSE NE DOIT PAS CRAINDRE L

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pat rimoine ( S )
Frédéric Kohler,
Managing Director,
ISFB / ESBF / HES Kalaidos
in ve s tir / D O SSIER PRIVATE B A NK IN G
La banque privée suisse ne
doit pas craindre l’ubérisation
I l e s t au jou r d ’ h u i t r è s
tendance de parler d’uberisation pour tout et n’importe
quoi. La banque ne fait exception et il n’est pas un jour sans
qu’un article n’annonce sa
mort et son remplacement par
de nouveaux acteurs de l’économie digitale. Concernant
la banque privée suisse, ces
propos alarmistes résultent
pou rta n t s ou v e n t d ’ u n e
méconnaissance de cette activité et d’une compréhension
approximative du phénomène
de l’uberisation.
Le phénomène Uber
Créée en 2009 sur la côte ouest des ÉtatsUnis, Uber est une société du Net qui est
venue concurrencer l’activité traditionnelle
des taxis. Grâce aux possibilités du Web 2.0,
elle a révolutionné ce métier, en permettant
à n’importe quel propriétaire de voiture et
d’un permis de conduire d’offrir ses services
moyennant finance via une application
de géolocalisation sur téléphone mobile.
L’appétence des candidats chauffeurs et
de la clientèle pour ce nouveau service
a été fulgurante et la croissance d’Uber
immédiate.
Le succès d’Uber repose sur une aberration
économique et historique. Presque partout
dans le monde, trouver un taxi disponible,
prêt à vous emmener là où vous le souhaitez,
avec un chauffeur aimable et à un prix
correct était mission impossible. La rente
de situation de cette profession due à une
situation de monopole et de pénurie avait
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fini par décorréler l’offre et la demande.
La nature (économique) ayant horreur du
vide, Uber a su combler ce vide en apportant non pas une mais deux réponses à
cette situation devenue ubuesque. Uber
n’a pas seulement lancé Uber Pop (sorte
de covoiturage low cost) mais aussi un
service de voiture avec chauffeur de type
limousine (VTC) plutôt haut de gamme et
pas forcément moins cher que les taxis. Ces
deux services ont été très vite plébiscités par
les citadins occidentaux appréciant les uns
le prix, les autres le service mais dans les
deux cas la disponibilité quasi immédiate.
Ubérisation ou pas ubérisation
On utilise couramment le vocable d’uberisation pour décrire le phénomène de remplacement d’acteurs économiques physiques
par des acteurs virtuels ou numériques. On
parle par exemple des disquaires ou des
libraires remplacés par Amazon ou des
agences de voyages remplacé par Booking.
com. Mais cela ne correspond pas à la même
réalité. Dans ces deux derniers exemples,
c’est le client qui remplace le professionnel
grâce à l’essor et à la démocratisation des
moyens informatiques. Cela répond à un
double impératif de coût ou de délai exigé
par le client.
Si cette mutation est bien réelle, elle n’est
pas à proprement parler une uberisation.
D’abord parce que cette tendance lourde
est bien antérieure à 2009 et ensuite parce
que dans le cas d’Uber, ce sont des nouveaux acteurs physiques qui remplacent
les anciens grâce à la technologie internet.
Tous les secteurs de la distribution grand
public sont concernés parce que le prix y
est déterminant et le niveau de compétence
requis faible. Mais vendre des produits de
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consommation courante en ligne est une chose (il suffit
de permettre au client de se tromper et prendre en charge
les retours), vendre des biens uniques et/ou immatériels à
haute valeur ajoutée est une autre chose.
ensuite parce que les compétences techniques requises sont
telles que le low-cost de type Uber Pop ou l’amateurisme de
type Uber y serait vite synonyme de catastrophe garantie
pour le client.
Les nouveaux acteurs
dans les services bancaires
D’ailleurs, la gestion de fortune ne se résume pas à la gestion
d’un portefeuille de valeurs mobilières qu’un robot pourra
demain sans doute assurer. Les clients aisés entretiennent
avec leurs avoirs des rapports psychologiques complexes
et s’ils en confient la gestion à des banques privées suisses,
c’est bien souvent pour d’autres motifs que le rendement.
Cela a été pendant des décennies pour la discrétion, cela
l’est aujourd’hui et le sera encore plus demain pour la
sécurité et la sophistication des services de planification
financière que nos établissements sont à peu près les seuls
en mesure de leur apporter.
Le domaine de la finance, et donc de la banque, n’a pas
échappé à cette bascule dans l’économie digitale. Mais
uniquement pour certains services et pour certains clients.
S’il est vrai que pour les moyens de paiement et les solutions
de financement, les banques virtuelles ont déjà gagné la
partie, c’est parce que la valeur ajoutée des banques classiques au regard des coûts de leurs prestations n’était pas
évidente. En l’espèce on peut réellement parler de révolution numérique. En dix ans le BVR est devenu une relique
et les queues de début de mois à la Poste aussi. Mais qui le
regrettera vraiment ?
C’est pourquoi les banques privées suisses auraient tort
de vouloir entrer dans une course suicidaire à la baisse
des frais de gestion. Si leurs clients acceptent aujourd’hui
le principe des taux d’intérêt négatifs, c’est bien que le
rendement n’est pas ou plus leur priorité. La préservation
de leur fortune, sa protection contre les risques en tout
genre … est désormais prioritaire sur son accroissement,
les apports nets d’argent frais enregistrés au cours des
douze derniers mois par les établissements suisses en sont
une preuve éclatante.
L a ge s tio n de for t u ne
ne se ré s ume pa s à la ge s tio n
d ’u n por tefe uille de vale ur s
mobiliè re s qu’u n robo t pourr a
de main s a n s dou te a s s ure r
Dans un monde toujours plus violent, risqué, incertain… la
Suisse apparaît comme un havre de stabilité et de sécurité,
que ce soit sur le plan économique, politique, juridique,
fiscal ou monétaire. L’actualité, et on ne peut s’en réjouir,
ne semble pas vouloir démentir cette tendance.
Cette concurrence a poussé les banques de détail à automatiser leur processus, voire à créer leur propre banque
en ligne comme contre-feu. Mais le danger est encore à
venir. Déjà Paypal fait la course en tête pour les paiements
sur le Net et la question est posée des conséquences de
l’arrivée prochaine d’Apple et Google sur ce marché avec
leurs milliards de clients.
Notre pays vient par ailleurs, d’être placé en tête des pays
de l’OCDE en termes d’innovation, de compétitivité et
d’attractivité pour les investissements. Les banques suisses
ont également été classées en 2015 parmi les plus fiables
du monde. Ce sont ces singularités qui doivent être mises
en avant par nos banques privées et c’est cette promesse
de sécurité maximale tant pour les avoirs que pour les
données personnelles du client qui les protègera sans nul
doute de toute uberisation.
Idem pour les financements, la guerre du crédit sur le
Web a commencé depuis longtemps avec des résultats «
saignants » pour les banques et mitigés pour les clients. La
nouvelle tendance va encore plus loin avec les plateformes
de financement participatif, c’est-à-dire la mise en relation
directe – sans passer par les banques – entre prêteurs et
emprunteurs.Alors oui, l’uberisation de la banque universelle est bel et bien en cours… et ce n’est pas fini.
Et la banque privée suisse ?
Il est pourtant un type de banque qui peut raisonnablement
espérer échapper à ce phénomène : c’est celui de la banque
privée suisse.D’abord parce que ses prestations relèvent
largement du domaine de l’intangible et de l’émotionnel,
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