ÉPICURE Lettre à Hérodote
2009-2010 UE2 S2 Philosophie ancienne TD S. Husson, Univ. Paris IV- Sorbonne 2/10
35 Epicure à Hérodote, salut. Pour ceux, Hérodote, qui ne peuvent pas se consacrer à
l'étude détaillée de ce que j'ai écrit sur la nature, ni examiner avec attention les ouvrages plus
longs que j'ai composés, j'ai préparé un résumé de tout le système pour leur permettre de
retenir d'une manière suffisante dans la mémoire les opinions les plus fondamentales, afin
qu'en chaque occasion, dans les questions les plus importantes, ils puissent s'aider eux-
mêmes, toutes les fois qu'ils toucheront à l'étude de la nature. Et ceux aussi qui ont avancé
suffisamment dans l'examen des ouvrages complets, il faut qu'ils gardent en mémoire le
schéma, réduit aux éléments, du système entier ; car nous avons un besoin fréquent de la
saisie de l'ensemble, non autant de celle des parties. 36 Il faut donc aller continuellement vers
les vues d'ensemble, mettre dans la mémoire cela seulement à partir de quoi sera possible la
vue dominante jetée sur les choses, en même temps que se fera jour la connaissance précise et
complète du particulier, du moment qu'auront été bien compris et bien retenus les schémas
valables universellement. Car, même dans le cas de celui qui est parfaitement instruit, c'est
cela qui permet, dans toute connaissance précise, de dominer le détail : le fait de pouvoir user
rapidement des vues rassemblantes, en ramenant chaque chose à des éléments et à des termes
simples. Car la concentration de la vue englobante qui enserre toutes choses sans faille, ne
peut appartenir à qui n'est pas capable d'embrasser en lui-même, à l'aide de brèves formules,
tout ce qui a été examiné avec précision dans sa particularité. 37 C'est pourquoi, une telle
méthode étant utile à tous ceux qui sont familiarisés avec la science de la nature, moi qui
recommande une activité incessante dans cette science, et qui, par une telle activité, assure à
la vie la parfaite sérénité, j'ai fait, pour toi aussi, un tel résumé qui expose, dans leurs
éléments, les doctrines complètes.
Il faut en premier lieu, Hérodote, avoir saisi ce qui est mis sous les sons, afin que, nous
y référant, nous puissions juger des choses d'opinion, qu'elles soient objets de recherche ou de
doute, et que toutes choses ne restent pas non jugées, pour nous qui aurions à les démontrer à
l'infini, ou que nous n'ayons que des sons vides. 38 Car il est nécessaire que, pour chaque son
de voix, la notion primitive soit sous le regard et n'ait en rien besoin de démonstration, si
toutefois nous devons avoir à quoi rapporter ce qui est objet de recherche ou de doute, c'est-à-
dire d'opinion. De plus, il faut observer toutes choses d'après les sensations, et, de façon
générale, d'après les appréhensions immédiates, soit de la pensée, soit de n'importe lequel des
critères, de même encore d'après les affections présentes, afin que nous ayons de quoi
procéder à partir de signes à des inférences au sujet de ce qui attend confirmation et de
l'invisible.
Ayant saisi distinctement cela, il faut maintenant jeter un regard d'ensemble sur les
choses invisibles. Tout d'abord rien ne naît du non-étant: car tout naîtrait de tout, n'ayant en
rien besoinde semence. 39 Et si ce qui disparaît était réduit, par destruction, au non-étant,
toutes choses auraient périt, ce en quoi elles se sont dissoutes n'étant pas. Et le tout a toujours
été tel qu'il est maintenant et sera toujours tel. Car il n'est rien en quoi il puisse se changer ; et,
en dehors du tout, il n'est rien qui, étant entré en lui, produirait le changement.
De plus : le tout est < corps et vide >. Car, que les corps soient, la sensation elle-même
l'atteste en toute occasion - la sensation, d'après laquelle il faut, par le raisonnement, se former
un jugement sur l'invisible, comme je l'ai dit auparavant. 40 Si < d'autre part > n'était pas ce
que nous appelons vide, espace ou nature intangible, les corps n'auraient pas où être ni à
travers quoi se mouvoir, comme nous voyons qu'ils se meuvent. En dehors de ces choses, on
ne peut rien concevoir, ni sensiblement, ni par analogie au sensible, que l'on prenne comme
des natures complètes, et non comme ce que l'on appelle accidents ou propriétés de ces
nature.