Le Courrier des addictions (11) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2009 6
trie et son chef de file David Coo-
per se voulait le porte-parole – ou
tentait de l’être! – d’une certaine
pensée unique ! Je me suis pris
au jeu, avec passion, passant des
heures et des heures dans cette
merveilleuse Bibliothèque natio-
nale de la rue Vivienne à mener
l’enquête en psychopathologie
historique. Ma thèse, soutenue
en 1974, a plu au Pr Pierre Pichot
et, quelques années plus tard, en
1984, il a préfacé l’ouvrage que
les laboratoires Geigy ont tiré de
mon travail sous le titre "Louis II
de Bavière. De la réalité à l’idéali-
sation romantique."
Le Courrier des addictions:
Vous avez un intérêt ancien et
reconnu pour l’alcoolisme et
l’ensemble des addictions. Et
vous n’étiez pas nombreux et
peu valorisés dans ce champ.
Pourquoi cet engagement ?
J.A. : À l’époque, j’étais jeune
chef de clinique dans le service
du Pr érèse Lempérière, ici
même à l’hôpital Louis-Mourier
de Colombes. Elle a eu l’idée de
me demander de "redynamiser"
le groupe de malades alcooliques
Joie et Santé, qui avait la parti-
cularité de vouloir en son sein
un médecin. "Alors, voulez-vous
vous en occuper ?" Je n’avais pas
vraiment la possibilité de décider
autre chose que d’acquiescer à
cette injonction, et je l’en remer-
cie, car j’ai beaucoup appris de la
fréquentation durant six ans de ce
groupe. C’est donc dans la réalité
du quotidien de patients et non
dans les livres que j’ai tout d'abord
découvert l’alcoolisme. C’est à
leur contact et en travaillant avec
eux que j’ai pu mesurer l’impact
clinique, humain et social d’un
groupe néphaliste. J’en ai analysé
le fonctionnement interne, com-
pris les ressorts et mécanismes,
apprécié la dynamique. En 1978,
j’en ai d’ailleurs fait le sujet de
mon mémoire de CES de psychia-
trie qui m’a valu le prix Robert-
Debré décerné par feu le Haut
Comité de lutte contre l’alcoolis-
me, et a été édité l’année suivante
par la Documentation française :
"Réflexions sur le fonctionnement
dynamique d’un groupe d’anciens
buveurs". À partir de ce travail, j’ai
commencé à publier quelques ar-
ticles jusqu’à ce que l’Encyclopédie
Médico-Chirurgicale me confie, en
1984, le soin de me charger d’un
article conséquent en remplace-
ment de celui de Pierre Fouquet,
qui est devenu une référence. Plus
tard, l’ensemble du travail fait pour
l’EMC a fourni la matière de Les
conduites alcooliques et leur traite-
ment, paru chez Doin, dans la col-
lection Conduites, en 1985 puis,
avec Michel Lejoyeux en 1996.
Dès cette époque, l’effet boule de
neige a fonctionné à plein : les
confrères m’ont envoyé des pa-
tients. J’étais devenu "alcoologue",
et j’ai continué à tracer mon sillon
dans ce champ.
À la fin des années quatre-vingt,
Pierre Fouquet avait décidé de
fonder la Société française d’alcoo-
logie (SFA). J’ai accompagné tout
de suite les travaux d’élaboration
de cette petite société savante,
dont je suis devenu le président,
de 1990 à 1998. Aujourd’hui,
j’en suis président d’honneur
et c’est le Pr Michel Lejoyeux,
mon élève, qui en assure la pré-
sidence. Depuis, d’autres mé-
decins cliniciens et chercheurs
sont venus nous rejoindre et c’est
une grande satisfaction pour moi
d’avoir contribué à intéresser à
ce champ des médecins comme
Philip Gorwood, Philippe Ba-
tel, Frédéric Limosin… Nous
ne sommes plus dans notre tra-
versée du désert, mal entendus,
peu reconnus, voire oubliés ! La
SFA compte aujourd’hui plus de
1 000 membres. Elle réunit un
grand nombre de médecins psy-
chiatres, généralistes ou d’autres
spécialités, psychologues, ju-
ristes, travailleurs sociaux, soi-
gnants se consacrant à l’étude
et aux soins des sujets souffrant
d’alcoolisme. Elle organise de
nombreuses réunions scienti-
fiques, une formation médicale
continue et publie la revue Al-
coologie et Addictologie. Elle est
à l’origine de l’organisation de
conférences de consensus sur le
traitement du sevrage d’alcool, la
prise en charge des alcooliques,
les classifications de l’alcoolisme.
Elle a initié la fondation d’une Fé-
dération française d’addictologie,
dont je suis un membre fonda-
teur. Nous en avons parcouru du
chemin, même si nous sommes
loin de nous rapprocher du but !
Mieux embrasser
le spectre des
addictions
sans produits
Le Courrier des addictions:
Vous avez été précurseur dans
le domaine de la prise en charge
des malades alcoolodépendants,
mais votre champ de recherche
et d’intérêt clinique s’est élargi
rapidement au jeu pathologique
et aux comportements d’achats
compulsifs. Pourquoi pas à la
toxicomanie ?
J.A. : Une fois de plus, ce sont les
"co-occurrences" des rencontres,
des opportunités de travail, et
aussi les patients eux-mêmes,
avec leurs profils propres, qui
poussent un professionnel comme
moi dans une direction plus que
dans une autre. En m’occupant de
malades alcoolodépendants, j’ai
eu maintes occasions d’échanger
avec des spécialistes de compor-
tements de dépendance autres
que la toxicomanie, comme le
jeu pathologique ou les achats
compulsifs, souvent associés dans
un tableau de polyaddictions.
Peu de monde dans les années
quatre-vingt-dix se penchait sur
le spectre des addictions sans
drogues, et je m’attribue le fait
d’avoir lu, dès sa sortie en 1990,
l’article de référence du psycha-
nalyste américain Aviel Good-
man, paru dans le British Jour-
nal of Addiction, sur les critères
qui définissent le trouble addictif
(voir encadrés) qui font toujours
autorité. Goodman les avaient
élaborés pour théoriser les pra-
tiques sexuelles addictives(1), mais
ils sont applicables à toutes les
addictions, comportementales ou
non. Pour les populariser, je les ai
tout de suite traduits et repris sys-
tématiquement dans les articles
que je publiais. Avec mon chef de
clinique puis agrégé Michel Le-
joyeux, nous avons proposé une
classification de ces comporte-
ments, élaboré des questionnaires
pour les évaluer. Nous avons
publié des articles, édité des ou-
vrages : par exemple La fièvre des
achats, en 1999, chez Les Empê-
cheurs de penser en rond, Encore
plus ! Jeu, sexe, travail, chez Odile
Jacob en 2001… Nous sommes
devenus des spécialistes de ces
comportements, tant sur le plan
de la recherche que de la clinique.
Enfin, toujours en 1990, j’ai créé la
revue Dépendances, trimestrielle.
Pour ma part, j’aime recevoir les
joueurs et les acheteuses com-
pulsives (voir p. 14), travailler sur
leurs problématiques. Ils sont en-
suite pris en charge par thérapie
comportementale par deux psy-
chologues du service, Lucia Romo
et Cindy Legauffre. Enfin, le casino
d’Enghien, notre voisin, dont l’un
des cadres a pour fonction de repé-
rer les joueurs qui vont mal, nous
a demandé, il y a quelques années,
de former aux difficultés de ceux-ci
ses croupiers, chefs de table, per-
sonnels divers. Pendant deux ans,
le Dr Bonora, une psychiatre du
service, a assuré ces formations.
Le Courrier des addictions:
Au final, le travail de pionnier
que votre équipe et vous avez
mené depuis plus de vingt ans,
dans le domaine du jeu pa-
thologique en particulier, va-
t-il déboucher sur des actions
concrètes ?
J.A. : Certes, nous ne sommes pas
encore nombreux à nous intéres-
ser à ce problème (M. Valleur,
J.L. Vénisse, C. Bucher, S. Tisse-
ron…), mais le fait même d’avoir
pu participer en 2008, avec une
dizaine d’experts, à l’expertise
collective "Jeux de hasard et d’ar-
gent. Contextes et addictions"(2),
est bien la concrétisation que les
lignes bougent... En bref, ses re-
commandations (voir p. 19) sont :
Promouvoir une information
claire et objective sur les jeux de
hasard et d’argent qui tient compte
de l’amélioration technologique
des jeux déjà existants, des don-
nées scientifiques établies sur les
comportements de jeu et leurs
excès, sur les dommages qu’ils en-
traînent.
Élaborer et évaluer un pro-
gramme de formation pour les
personnels en contact avec les
joueurs.
Promouvoir les interventions
préventives d’interdits de jeu.
Prendre en charge les joueurs
excessifs (systèmes d’auto-prise
en charge, interventions brèves
par téléphone, repérage des