Intervention en Afrique du Sud du 23.1.2009

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CONTRIBUTION A LA CONFÉRENCE MONDIALE
SUR LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE
(LE CAP 23-24 JANVIER 2009)
Si les droits de l’homme sont profondément ancrés dans la culture et la
pratique politique française, leur garantie constitutionnelle est, pour l’essentiel,
récente.
C’est en effet par une jurisprudence de 1971 seulement que le Conseil
constitutionnel
a
pris
en
compte,
pour
effectuer
son
contrôle
de
constitutionnalité, le Préambule de la Constitution de 1958 et, à travers lui, la
déclaration des droits de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946.
De même c’est par une jurisprudence de 1975 qu’il a renvoyé de facto
aux juridictions administrative et judiciaire le soin de veiller au respect des
engagements internationaux de la France notamment en matière de droits
fondamentaux.
Mais pour être récent, ce système n’en est pas moins très développé et
les garanties qu’il assure très complètes.
*
* *
I.
Le cadre juridique de la protection des droits de l’homme dans
l’ordre juridique interne
Les droits de l’homme sont intégrés à la Constitution française
actuellement en vigueur selon plusieurs modalités.
2
1. La Constitution du 4 octobre 1958 énonce, dans certains de ses articles, des
principes qui garantissent des droits fondamentaux : on peut citer à titre
d’exemple les principes d’égalité devant la loi (article 1er), de l’égalité de
suffrage (article 3), de la libre formation des partis politiques (article 4), de
l’indépendance de l’autorité judiciaire et de l’inamovibilité des magistrats du
siège (article 64), de la liberté individuelle au sens de l’Habeas corpus (article
66).
Elle ne comporte cependant pas de catalogue ordonné des droits
fondamentaux.
2. Par sa décision du 16 juillet 1971 (n° 71-44 DC), le Conseil constitutionnel a
conféré une valeur constitutionnelle au Préambule de la Constitution de 1958.
Ce Préambule renvoie lui-même directement et explicitement, d’une
part, à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789,
d’autre part, au Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (Constitution
de la IVème République).
Ces deux derniers textes, qui comportent un catalogue de droits
fondamentaux, ont donc, eux aussi, valeur constitutionnelle (n° 81-132 DC,
16 janvier 1982). Le peuple souverain les a d’ailleurs entérinés lors du
référendum organisé pour l’adoption de la Constitution de 1958.
- La Déclaration de 1789 comporte les droits traditionnellement
dénommés civils et politiques : droit à la liberté, à la propriété et à la sûreté
(article 2), légalité des délits et des peines (article 8), présomption d’innocence
(article 9), liberté de conscience et de religion (article 10), liberté de
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communication des pensées et des opinions (article 11), égalité devant les
charges publiques (article 13), etc.
- Le Préambule de 1946 a réaffirmé solennellement ces droits et les a
complétés par la formulation des « principes politiques, économiques et sociaux
particulièrement nécessaires à notre temps ».
Le Préambule expose ainsi, pour l’essentiel, des droits économiques,
sociaux et culturels, dits de la « deuxième génération », comme le droit à
l’emploi (cinquième alinéa), le droit de grève (septième alinéa), la participation
des travailleurs à la gestion des entreprises (huitième alinéa), le droit à la
protection de la santé (onzième alinéa), etc. On y trouve aussi le droit d’asile
(quatrième alinéa).
Il comporte, en outre, une référence aux « principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République ».
Le Conseil constitutionnel a progressivement posé divers critères pour
déterminer quels sont ces principes fondamentaux. Il faut d’abord que le
principe soit véritablement fondamental, c’est-à-dire qu’il énonce une règle
suffisamment importante (n° 98-407 DC, 14 janvier 1999, cons. 7 à 9), qu’il ait
un degré suffisant de généralité, et qu’il intéresse des domaines essentiels pour
la vie de la Nation, comme les libertés fondamentales, la souveraineté nationale
ou l’organisation des pouvoirs publics. Il doit en outre avoir un ancrage textuel
dans une ou plusieurs lois intervenues sous un régime républicain antérieur à
1946. Enfin, il faut qu’il n’y ait jamais été dérogé par une loi républicaine
antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 (par exemple : n° 79107 DC, 12 juillet 1979, cons. 3 ; n° 88-2444 DC, 20 juillet 1988, cons. 10 à
12).
4
Au nombre de ces principes reconnus par la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, on peut citer la liberté d’association (n° 71-44 DC,
16 juillet 1971), la liberté individuelle (n° 76-75 DC, 12 janvier 1977), la liberté
de l’enseignement et la liberté de conscience (n° 77-87 DC, 23 novembre 1977),
l’indépendance de la juridiction administrative (n° 80-119 DC, 22 juillet 1980),
l’existence d’une justice pénale des mineurs (n° 2002-461 DC, 29 août 2002),
etc…
Le Conseil constitutionnel actualise la portée des principes les plus
anciennement énoncés, compte tenu des évolutions intervenues depuis. Ainsi, la
« liberté de communication des pensées et des opinions », proclamée par
l’article 11 de la Déclaration de 1789, a été appliquée à la communication
audiovisuelle (n° 82-141 DC, 27 juillet 1982).
3. Les droits fondamentaux peuvent également être protégés au travers des
« objectifs de valeur constitutionnelle », normes de droit objectif, qui
correspondent soit à des exigences constitutionnelles en matière économique et
sociale, soit à des démembrements de l’intérêt général. Apparus pour la
première fois dans la décision des 19-20 janvier 1981 (n° 80-127 DC), sous la
dénomination de « fins d’intérêt général ayant valeur constitutionnelle », (cons.
58), ils ont été désignés comme tels à partir de la décision du 27 juillet 1982
(n° 82-141 DC, cons. 5) relative à la liberté de communication.
Sont ainsi considérés comme « objectifs de valeur constitutionnelle »
le maintien de l’ordre public, la recherche des auteurs d’infractions, le
pluralisme des quotidiens d’information politique et générale, la possibilité pour
toute personne de disposer d’un logement décent, le pluralisme des courants de
pensées et d’opinion, l’équilibre financier de la sécurité sociale, le principe
5
d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, la lutte contre la fraude fiscale, l’égal
accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives,
la bonne administration de la justice.
4. Enfin, les droits de l’homme peuvent également figurer dans des textes qui
n’ont pas valeur constitutionnelle. Ainsi, la loi du 15 juin 2000 renforçant la
protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a inséré dans
le code de procédure pénale un article préliminaire qui rappelle plusieurs droits
fondamentaux ayant trait à la procédure pénale (procédure équitable,
présomption d’innocence, délai raisonnable, etc.).
Le Conseil constitutionnel reconnaît d’ailleurs l’existence de principes
législatifs qui n’ont pas en eux-mêmes rang constitutionnel, mais qui dérivent
des principes constitutionnels et en sont les garants. Ils peuvent faire l’objet de
modifications législatives mais à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à la
substance du droit concerné. Généralement, il ne pourra y être dérogé sans
justification tirée d’exigences constitutionnelles ou de motifs d’intérêt général
suffisants.
Tel est le cas, par exemple, des principes concernant les fichiers
informatiques contenus dans la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique,
aux fichiers et aux libertés, qui apporte des garanties légales à l’exigence
constitutionnelle de respect de la vie privée. A l’occasion des modifications
apportées à cette loi, le Conseil vérifie que les aménagements apportés ne
privent pas de garanties légales cette exigence constitutionnelle (n° 1991-294
DC, 25 juillet 1991 ; n° 1992-316 DC, 20 janvier 1993 ; n° 1993-325 DC,
13 août 1993 ; n° 2004-499 DC, 29 juillet 2004).
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Tel est également le cas de principes de primauté de la personne
humaine, de respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, de
l’inviolabilité, de l’intégrité et de l’absence de caractère patrimonial du corps
humain, ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine, qui tendent à assurer le
respect du principe constitutionnel de « sauvegarde de la dignité de la personne
humaine » et que le Conseil a considéré comme énoncés par les lois dites
« bioéthique » du 29 juillet 1994 (n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994, cons. 18).
II Insertion du régime juridique français dans l’ordre international
1. L’équilibre qui s’est mis en place dans les années soixante-dix à quatre-vingtdix repose sur la suprématie constitutionnelle. Celle-ci a été reconnue par le
Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation.
A l’occasion de l’examen du traité établissant une Constitution pour
l’Europe, le Conseil constitutionnel a indiqué la « place au sommet de l’ordre
juridique interne » de la Constitution française (n° 2004-505 DC du
19 novembre 2004). Il a repris cette formulation dans sa décision sur le traité de
Lisbonne (n° 2007-560 DC du 20 décembre 2007).
Le Conseil d’Etat avait montré la voie, quelques années auparavant
(CE, Ass. 30 octobre 1998, Sarran) en rappelant les termes de l’article 55 de la
Constitution et en jugeant que « la suprématie ainsi conférée (par l’article 55)
aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux
dispositions de nature constitutionnelle ». Il en va également ainsi pour le droit
communautaire (CE, 3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie
pharmaceutique).
7
La Cour de cassation s’était également prononcée en ce sens et avait
refusé d’exercer un contrôle de conventionnalité tant de la Constitution que la
loi organique (Cour de Cassation, Assemblée plénière, 2 juin 2000, Melle
Fraisse).
Au total, la hiérarchie des normes comporte sous la Vème République
un sommet : c’est la Constitution elle-même. Les trois Cours suprêmes ont,
chacune, affirmé cette suprématie.
C’est le Conseil constitutionnel qui a pour mission de faire respecter
cette place première de la Constitution. Il a ainsi à connaître, dans le cadre de
l’article 54, des traités internationaux et européens qui peuvent inclure des
dispositions non conformes à la Constitution. Il apprécie, dans le cadre de
l’article 61, la conformité des lois à la Constitution.
En confiant ces compétences au Conseil constitutionnel, la
Constitution avait exclu qu’un contrôle de constitutionnalité des traités ou des
lois fût exercé au stade de leur application. C’est ce qu’avaient jugé avec
constance la Cour de cassation et le Conseil d’Etat qui refusaient depuis
longtemps d’exercer un contrôle de constitutionnalité des lois (Cour de cassation
20 décembre 1956 ; CE 6 novembre 1936 Sieur Arrighi).
La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a profondément fait
évoluer ce dispositif.
En effet les justiciables se sont vu reconnaître le droit de soulever une
exemption d’inconstitutionnalité devant les juridictions tant judiciaires
qu’administratives. Toutefois celles-ci n’ont pas acquis pour autant la faculté de
déclarer l’inconstitutionnalité d’une loi ni même d’en écarter l’application pour
8
cause d’inconstitutionnalité. Elles peuvent soit écarter le moyen soulevé, soit en
cas de doutes sérieux saisir le Conseil constitutionnel, via la Cour de cassation
ou le Conseil d’Etat. Le Conseil constitutionnel demeure donc seul juge de la
constitutionnalité des lois. Ce n’est qu’une modalité de saisine nouvelle qui est
mise en place.
Il reste que les conséquences seront considérables puisqu’à une saisine
a priori et abstraite, s’ajoute une saisine a posteriori et concrète.
2. Dans ce contexte le Conseil constitutionnel distingue nettement, depuis 2004 :
- l’ordre juridique international ;
- l’ordre juridique communautaire.
Ces deux ordres juridiques ont des fondements distincts dans la
Constitution :
- l’ordre juridique international repose sur l’article 55 de la
Constitution aux termes duquel : « les traités ou accordés régulièrement ratifiés
ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois,
sous réserve, pour chaque accord ou traités, de son application par l’autre
partie. »
- l’ordre juridique communautaire a pour fondement depuis la révision
constitutionnelle de 1992, qui a permis la ratification du traité de Maastricht,
l’article 88-1 de la Constitution : « La République participe aux Communautés
européennes et à l’Union européenne, constituées d’Etats qui ont choisi
librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun
certaines de leurs compétences ».
9
Selon le Conseil constitutionnel, « le constituant a ainsi consacré
l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridiquement
interne et distinct de l’ordre juridique international » (Décision n° 2004-505
DC du 19 novembre 2004).
3. Le Conseil constitutionnel et le droit international général
Depuis la décision IVG de 1975 (décision n° 74-54 DC du 15
janvier 1975), le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la conformité des lois
qui lui sont déférées aux stipulations d’un traité international et, notamment, de
la Convention européenne des droits de l’homme.
Immédiatement, la Cour de cassation a estimé qu’il revenait par
conséquent aux juridictions de droit commun d’assurer le respect de l’article 55
de la Constitution et la supériorité des traités sur les lois (Cour de cass, ch mixte,
24 mai 1975, Société des cafés Jacques Vabre). Le Conseil d’Etat a retenu la
même orientation quinze ans plus tard (CE, Ass, 20 octobre 1989, Nicolo). Il a,
encore récemment, rappelé pédagogiquement que « pour la mise en œuvre du
principe de supériorité des traités sur la loi énoncé à l’article 55 de la
Constitution, il incombe au juge, pour la détermination du texte dont il doit faire
application, de se conformer à la règle de conflit de normes édictées par cet
article » (CE, 5 janvier 2005, Deprez et Baillard). Le Conseil constitutionnel
retient la même orientation lorsqu’il statue comme juge électoral (n° 88-10821117 du 26 octobre 1988, AN, Val d’Oise, 5ème circ.)
Depuis quinze ans, ce contrôle de conventionnalité s’est fortement
développé. Il a montré toute sa puissance, donnant aux juges administratifs et
judiciaires un levier d’action nouveau de contrôle de la loi. Ainsi le moyen de la
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conformité à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme est
désormais soulevé dans environ 40 % de l’ensemble des affaires jugées par le
Conseil d’Etat.
Le Conseil constitutionnel est donc juridiquement absent de ce
contrôle. Il n’est pas pour autant indifférent et, en pratique, malgré cette
répartition des tâches, le Conseil constitutionnel s’efforce, dans toute la mesure
du possible, d’interpréter les droits et libertés constitutionnels conformément à
la Convention européenne des droits de l’homme et à la jurisprudence de la
Cour de Strasbourg, et ceci pour deux raisons :
- d’abord pour ne pas être en désaccord avec la Cour européenne des
droits de l’homme : c’est arrivé une fois en matière de validation législative
(arrêt Zielinski, Pradal, Gonzales et autres c/France du 28 octobre 1999), ce qui
a conduit à un aménagement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ;
- ensuite et surtout, pour assurer l’unité et la sécurité de l’ordre
juridique français, dans la mesure où les tribunaux judiciaires et les tribunaux
administratifs contrôlent la conformité des lois qu’ils appliquent à la Convention
européenne des droits de l’homme.
Cette démarche s’appuie sur la constatation que les droits reconnus
dans la Convention européenne trouvent, dans leur immense majorité, un « point
d’ancrage » dans le bloc de constitutionnalité français, comme le manifeste en
dernier lieu la décision du 20 janvier 2005 qui a rattaché le principe du procès
équitable à l’article 16 de la Déclaration de 1789 (n° 2004-510 DC).
Ce souci de rattachement à un texte interne faisant partie des normes
de référence pour le contrôle de constitutionnalité n’interdit nullement au
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Conseil constitutionnel d’interpréter les droits fondamentaux à la lumière de la
Convention.
Ainsi s’agissant de la liberté d’expression, le Conseil constitutionnel se
réfère au pluralisme comme condition de la démocratie (n° 2000-433 DC,
27 juillet 2000, cons 8 à 10 – n° 2004-497 DC, 1er juillet 2004, cons. 23). En ce
qui concerne les droits de la défense, il exige « une procédure juste et équitable
garantissant l’équilibre des droits de parties » (n° 98-408 DC, 22 janvier 1999,
cons. 25), ce qui évoque le principe de l’égalité des armes. S’agissant des droits
des étrangers, il donne valeur constitutionnelle à une disposition législative
selon laquelle « un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il
établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des
traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 »
(décision n° 2003-484 DC, 20 novembre 2003, cons. 59).
A l’instar de la Cour de Strasbourg, le Conseil constitutionnel a
également étendu les garanties applicables à la procédure pénale à l’ensemble
des sanctions, fussent elles prononcées par des organes administratifs. De même,
le Conseil constitutionnel a fait résulter « le droit au recours » de l’article 16 de
la Déclaration de 1789 lequel proclame que « toute société dans laquelle la
garantie des droits n’est pas assurée… n’a point de constitution ». Cette formule
est très proche de celle figurant à l’article 6 de la Convention.
4. Le Conseil constitutionnel et le droit communautaire
Les rapports entre le droit communautaire et le droit français peuvent
être envisagés sous deux aspects, s’agissant des droits fondamentaux :
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- d’une part le respect par le droit européen des droits fondamentaux
reconnus par le bloc de constitutionnalité français
- d’autre part le respect, par le droit français des droits fondamentaux
reconnus par les textes et la jurisprudence européenne. Cet aspect, mineur dans
la première année de la Communauté, a pris une importance croissante avec la
reconnaissance par la Cour de Luxembourg des principes fondamentaux du droit
communautaire puis avec l’élaboration de la Charte européenne des droits
fondamentaux à laquelle le traité de Lisbonne devrait donner une pleine force
juridique.
Cette double exigence concerne tant les traités eux-mêmes que le droit
communautaire dérivé.
a) En ce qui concerne les traités, leur éventuelle incompatibilité avec
les droits fondamentaux reconnus par la Constitution française relève de
l’hypothèse d’école.
D’abord en raison de l’inspiration même du droit européen et de la
participation de la France à leur élaboration.
Ensuite parce que les traités européens sont presque toujours soumis
au Conseil constitutionnel avant leur ratification, et que celui-ci ne manquerait
pas de relever d’éventuelles difficultés. Cinquante années d’expérience montre
que les incompatibilités relevées étaient relatives aux conditions d’exercice de la
souveraineté nationale, la Constitution étant modifiée en conséquence pour
permettre la ratification (DC n° 92-308 du 9 avril 1992 ; DC n° 2004-505 du 14
novembre 2004).
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b) les risques de non conformité sont moins théoriques s’agissant du
droit communautaire dérivé.
Le Conseil a jugé que la transposition des directives communautaires
en droit interne constituait, compte tenu des dispositions de l’article 88-1 de la
Constitution, « une exigence constitutionnelle » (décision n° 2004-496 DC du
10 juin 2004).
Il contrôle donc le respect de cette exigence constitutionnelle et vérifie
que la loi de transposition respecte tant l’esprit que la lettre de la directive
qu’elle transpose.
Il va de soi que, dans la mesure où la loi de transposition ne fait que
recopier des dispositions inconditionnelles et précises de la directive, le Conseil
constitutionnel ne s’estime pas compétent pour contrôler la conformité de la loi
de transposition aux droits fondamentaux communautaires et, demain, à la
Charte européenne des droits de l’homme. S’il le faisait, il contrôlerait, en effet,
la conformité de la directive elle-même aux droits fondamentaux , ce qui relève
de la compétence exclusive de la Cour de justice des communautés européennes
(décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004).
Il pourrait certes vérifier la conformité de la loi de transposition au
Préambule de la Constitution mais, les droits fondamentaux étant les mêmes, il
considère qu’il n’y a pas lieu d’y procéder, ce contrôle étant fait par les
instances communautaires.
Le Conseil constitutionnel a toutefois réservé l’hypothèse, que l’on
espère théorique, où la directive serait contraire à une règle ou à un principe
« inhérent à l’identité constitutionnelle de la France », par exemple, le principe
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de laïcité. Cette réserve s’inscrit directement dans la voie ouverte par les Cours
constitutionnelles allemande, espagnole et par la cour constitutionnelle italienne.
*
* *
Les droits fondamentaux font donc en France l’objet d’une double
protection, constitutionnelle -assurée par le Conseil constitutionnel- et
conventionnelle –assurée par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation.
Cette dualité peut être considérée comme une garantie supplémentaire.
On peut aussi craindre qu’elle ne soit une source de complexité pour le
justiciable et, en cas d’interprétations divergentes de principes et de règles
pourtant communs, d’insécurité juridique.
La question d’une réunification de ces contrôles pourrait alors se poser
un jour, mais elle n’est pas d’actualité et n’entre pas dans notre propos.
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