L’EXPERTISE DU CHIFFRE par Damien Dreux, expert-comptable, délégué départemental Nord-Isère, Philippe Machon, commissaire aux comptes, Hervé Roche, commissaire aux comptes, président de la CRCC de Grenoble, et Pierre Schmidt, expert-comptable, délégué départemental Sud-Isère. Les difficultés des entreprises : comment anticiper ? La réglementation et le contexte juridique Afin d’éviter les conséquences économiques et sociales résultant des défaillances des entreprises et de permettre leur redressement, le législateur a mis en place une réglementation orientée vers la prévention, dite « loi de sauvegarde ». Même si la loi a prévu que le tribunal puisse se saisir d’office pour prononcer l’ouverture d’une procédure judiciaire, notamment en cas de cessation des paiements constatée, aujourd’hui, l’ouverture d’une procédure collective n’est plus possible que sur demande formulée par le dirigeant (par une déclaration de cessation des paiements), ou par assignation par un tiers ou le Parquet. La vie des affaires, plus transparente qu’on ne le pense, voit ses actes forts transiter par le tribunal et son greffe : injonctions, actes conservatoires, consignations, inscriptions, publicité des comptes, du rapport du commissaire aux comptes, des décisions de continuation en cas de perte plaçant les capitaux propres inférieurs à la al 70 moitié du capital. L’administration (fiscale ou sociale) est particulièrement diligente et une inscription de privilège Urssaf est une véritable alarme. Le Droit a prévu la mise en œuvre de moyens pour régler les situations difficiles des entreprises « in bonis » ou autrement dit qui ne sont pas en état de cessation des paiements. 1- Le mandat ad hoc Cette procédure permet de nommer un mandataire chargé de résoudre une difficulté particulière (pas forcément financière) et de faciliter ainsi la recherche de solutions par l’intervention d’un tiers. Le mandataire ad hoc est un véritable médiateur dépourvu d’autres pouvoirs que de favoriser l’émergence d’un accord entre le débiteur et les principaux créanciers. Cette procédure a le mérite d’être confidentielle. 2- La procédure de conciliation Elle constitue une alternative entre le mandat ad hoc et le redressement judiciaire. Cette procédure a un caractère préventif et contractuel : elle permet de négocier. Elle conserve un caractère confidentiel. Le redressement et la liquidation judiciaires ne peuvent plus être demandés par un créancier si une conciliation est en cours. Le conciliateur cherche à favoriser la conclusion d’un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers, destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise et donc d’assurer sa sauvegarde, la poursuite de l’activité économique et le maintien de l’emploi. Il négocie avec les créanciers pour obtenir des délais de paiement, des remises de dettes. 3- La procédure de sauvegarde Elle est déclenchée à la seule initiative du chef d’entreprise qui continue de diriger. À l’instar du redressement judiciaire, elle lui permet de bénéficier d’un certain nombre de mesures prononcées par le juge et qui s’imposent à l’ensemble de ses créanciers. Contrairement au redressement judiciaire, les cautions ne sont pas inquiétées pendant toute la durée du plan de sauvegarde. Pour mémoire, une entreprise se LES AFFICHES DE GRENOBLE ET DU DAUPHINé 13 février 2015 L’EXPERTISE DU CHIFFRE trouve en état de cessation des paiements lorsqu’elle est dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Dans ce cas, l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou d’une procédure de conciliation n’est plus possible. La mission de l’expert-comptable : assister son client dans l’anticipation L’expert-comptable est le conseil privilégié et permanent du chef d’entreprise. En cas de perte d’activité et dans un monde en pleine évolution, il doit suggérer à son client de s’interroger sur l’évolution et son positionnement sur son marché. Il pourra dans certains cas l’aider à la réflexion sur l’adaptation de ses coûts par rapport à son marché. Par ailleurs, en complément de la mission de présentation des comptes annuels, il préconisera la mise en place d’un budget annuel, avec un tableau de bord mensuel ou trimestriel. Il pourra aussi assister son client sur les aspects de gestion de trésorerie : mise en place de prévisions de trésorerie de trois à six mois, conseils pour les procédures de suivi du compte client, accompagnement dans des rendez-vous avec les banquiers pour trouver des modes de financements adaptés. Enfin, en cas de difficultés financières non surmontables en interne, il devra inviter son client à utiliser les procédures décrites ci-dessus en les dédramatisant. La mission du commissaire aux comptes : une mission prévue par la loi Un accompagnement actif Le commissaire aux comptes (CAC) assure un accompagnement actif de 13 février 2015 son client avec l’objectif de contribuer à la prévention des difficultés éventuelles de l’entité qu’il audite. Le CAC n’a pas pour mission de conseiller un dirigeant : ce rôle est réservé à son expert-comptable ou à son avocat. Il dialogue avec le dirigeant sur les faiblesses éventuelles du contrôle interne et sur les faits qui pourraient avoir une incidence sur la continuité de l’exploitation. Dès lors qu’il perçoit des incertitudes ou des difficultés économiques, il fait preuve d’une vigilance accrue et demande des informations complémentaires au dirigeant. Le CAC éclaire le dirigeant sur les moyens de prévention. Il ne peut cependant s’immiscer dans la gestion de l’entreprise. Ce dialogue a un rôle pédagogique : il permet au dirigeant de prendre conscience de ses responsabilités financières, juridiques, sociales et environnementales. La procédure d’alerte du commissaire aux comptes C’est l’une des missions légales du commissaire aux comptes. Si celui-ci constate l’existence de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, il déclenche la procédure d’alerte. Le dirigeant présente alors les mesures envisagées pour remédier à cette situation. Différentes phases peuvent se succéder si ces mesures sont jugées insuffisantes par le CAC. Le président du tribunal de commerce ou du TGI est presque systématiquement informé de cette procédure par le commissaire aux comptes. Enfin, un rapport spécial pourra être communiqué à l’assemblée générale des actionnaires. La procédure d’alerte peut être interrompue par le CAC lorsqu’il estime que des actions correctrices ont été prises ou que des solutions aux dif- ficultés financières ont été trouvées. La procédure d’alerte peut être également interrompue lorsqu’une procédure de conciliation ou de sauvegarde a été engagée par le dirigeant. Ces procédures facilitent la réorganisation d’une entité afin de permettre la poursuite de l’activité, le maintien des emplois et l’apurement des passifs, avant cessation de paiement. Avec la crise économique, elles trouvent une actualité forte et peuvent aider les dirigeants à éviter les dépôts de bilan et leurs possibles dégâts collatéraux (pertes d’emplois, faillites induites des fournisseurs…) Qu’elle révèle un dysfonctionnement dans une procédure interne ou qu’elle soit de nature purement financière, la procédure d’alerte fait du CAC un des moteurs d’anticipation de la conduite des affaires. Entretiens confidentiels du président du tribunal de commerce Les dirigeants d’entreprise qui s’interrogent sur la difficulté de leur situation peuvent, gratuitement et confidentiellement, prendre rendezvous avec le président du tribunal de commerce pour examiner les mesures de prévention possibles. À Grenoble, ces rendez-vous personnalisés ont permis la résolution de nombreuses situations délicates en explorant de manière précise chaque cas particulier. Les centres d’information et de prévention (CIP) Les CIP peuvent recevoir un dirigeant pour l’informer sur les actions à mettre en œuvre afin d’éviter que l’entité ne se retrouve en difficulté. Un guide d’auto-évaluation de la situation est mis à disposition. À Grenoble, le CIP est placé auprès de la compagnie régionale des CAC. n LES AFFICHES DE GRENOBLE ET DU DAUPHINé al 71