Revue Médicale Suisse
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3 septembre 2014 1635
Bibliographie
1 Le Pr Peter Piot est l’auteur d’un ouvrage autobiogra-
phique «No Time To Lose – A life in pursuit of deadly
viruses». Publié chez Norton & Company l’ouvrage n’est
pas encore disponible en langue française.
puis l’épidémie a pris fin et tout est tombé
dans l’oubli (…)»
Tout le monde ne partage pas cette lec-
ture. «Il est un peu facile d’accuser l’OMS»
nous a déclaré Sylvain Baize, directeur du
Centre national français de référence pour
les fièvres virales hémorragiques, qui a di-
rigé l’équipe qui a identifié la souche virale
circulant en Afrique de l’Ouest. «Le péché
originel a été le délai avant le diagnostic. Ce
n’est pas du fait de l’OMS, assure-t-il. Dans
les pays habitués à Ebola, il faut plusieurs
semaines pour faire le diagnostic. Ici, il a fallu
trois mois depuis le cas index. Ceci dit, les
premiers cas sont passés complètement ina-
perçus. Dès que MSF s’est rendu compte
qu’il y avait une épidémie de FHV en cours,
ils ont très rapidement demandé un diag-
nostic, qui a été fait le même jour. Ensuite,
l’OMS et tous les autres acteurs se sont im-
médiatement mis au travail. J’étais à Cona-
kry dans les locaux de l’OMS dès le 6 avril,
et je peux vous garantir que tout était en
train de fonctionner. D’ailleurs, l’épidémie a
failli être contrôlée en dépit d’un début mal
engagé (dispersion dans la capitale, cas au
Libéria) fin avril, début mai. Et puis, quel ques
patients mal répertoriés (on peut difficile-
ment blâmer l’OMS…) ont relancé l’affaire.
Ensuite, tout est allé tellement vite, la Sierra
Leone et le Liberia étant dans un état…».
Coupable l’OMS ? Elle ne serait pas la
seule à être appelée à la barre.
Jean-Yves Nau
jeanyves.nau@gmail.com
Surmoi légal et …
criminel
«Les rapports de supérieur à inférieur
interdisent les bonnes manières.»
(George Bernard Shaw)
Rappelez-vous lexpérience fameuse de Stan-
ley Milgram, au début des années soixante,
magistralement reprise dans le film d’Henri
Verneuil,
I comme Icare
et qui a aussi inspiré
en 2009 un jeu truqué à France Télévisions.
Cette expérimentation, critiquable sur cer-
tains points mais restant une référence par
ailleurs reproductible, démontre qu’environ
deux tiers des individus d’une société peu-
vent être amenés à faire subir un traitement
cruel (faux chocs électriques d’intensité crois-
sante dans l’expérience) à un inconnu (co-
médien jouant les stades successifs d’une
souffrance fictive). Même avec réticences,
ils acceptent d’infliger cette épreuve barbare
(jusquà 450 volts !) par simple allégeance à
une autorité reconnue qu’ils estiment com-
pétente et sérieuse. Ils ont le plus souvent
conscience denfreindre leurs propres cri-
tères moraux au nom dune instance supé-
rieure à qui ils font confiance et à qui ils
lèguent la responsabilité de l’acte qu’ils
réprouvent au fond deux-mêmes. Se renier
par soumission à une autorité supposée
plus respectable que soi. Où l’humilité peut
aussi nourrir la couardise
! Et vous, et moi,
où nous situons-nous ? Sûrs dappartenir au
tiers de désobéissants indignés ? Renoncer
à une part de sa propre autonomie pour
obéir à des règles qui permettent de vivre
ensemble en société, c’est normal, dans l’in-
térêt de tous, donc moral au sens noble du
terme. Quand cette obéissance est aveugle,
elle est dangereuse, germe des pires débor-
dements. LHistoire et l’actualité nous en
donnent des exemples terrifiants. Sans se
référer à ces extrémités florissant dans les
pages internationales de nos journaux, il suf-
fit de s’arrêter à celles des «faits divers» de
notre région pour se convaincre de cette
réa lité mettant à mal l’humanité de notre so-
ciété. Ainsi nos garde-frontières, pas forcé-
ment représentatifs de l’ensemble de leur
profession, qui, au nom de la mission sacrée
qui leur était confiée de refouler une famille
de requérants d’asile syriens en Italie, ont
refusé les secours indiscutables et néces-
saires à éviter que la mère accouche d’un
enfant mort-né dans des conditions indignes.
Pas à l’autre bout du monde
: nous les avons
peut-être croisés sur le trajet entre Vallorbe
et Brigue. Lobéissance au règlement et aux
ordres a prévalu sur léthique, l’empathie et la
bienveillance les plus élémentaires. Et dire
que la négation de ces valeurs, essentielles
au «bien vivre ensemble» est érigée en pro-
gramme politique par des moutons qui se
croient blancs !
En fait, le thème de cette
Carte blanche
m’a été inspiré par une situation récente que
nous, médecins, vivons tous à notre tour
dans notre pratique quotidienne. Lattitude de
soumission intransigeante à l’instance légale,
quoique moins dramatique, infiltre aussi
sournoisement la prise en charge de nos
patients lorsquun de nos collègues, méde-
cin-conseil d’une assurance réputée pour
ses prises de position excessivement res-
trictives, me répond qu’il donne un préavis
favorable à ma demande exceptionnelle
de remboursement d’un examen essentiel à
la décision thérapeutique, chirurgie lourde
ou simple observation, chez un patient pauci-
consommateur de soins. Et quand je lui en
demande la raison
: «la maladie de votre pa-
tient ne figure pas sur la liste des indications
à lexamen que vous demandez
; et la loi,
c’est la loi.» Circulez, tout est dit
! Le souci
déconomies imposé par la loi se substitue à
l’éthique médicale. Quand ce médecin (mais
l’est-il encore ?) renonce à une interprétation
nuancée, il ne fait que servir de caution à ce
que n’importe quel fonctionnaire d’assurance
aurait pu me répondre. Il se renie au point de
n’être utile quà couvrir, au nom de la loi, celui
qui le salarie. I comme Icare … ou no care
!
«L’obéissance simule la subordination,
exactement comme la crainte de la police
simule l’honnêteté.»
(George Bernard Shaw)
carte blanche
Dr Alain Frei
Gastroentérologie FMH
30, avenue Ruchonnet
1003 Lausanne
alain.frei@hin.ch
D.R.
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