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Surmoi légal et …
criminel
«Les rapports de supérieur à inférieur
interdisent les bonnes manières.»
(George Bernard Shaw)
puis l’épidémie a pris fin et tout est tombé
dans l’oubli (…)»
Tout le monde ne partage pas cette lecture. «Il est un peu facile d’accuser l’OMS»
nous a déclaré Sylvain Baize, directeur du
Centre national français de référence pour
les fièvres virales hémorragiques, qui a di­
rigé l’équipe qui a identifié la souche virale
circulant en Afrique de l’Ouest. «Le péché
originel a été le délai avant le diagnostic. Ce
n’est pas du fait de l’OMS, assure-t-il. Dans
les pays habitués à Ebola, il faut plusieurs
semaines pour faire le diagnostic. Ici, il a fallu
trois mois depuis le cas index. Ceci dit, les
premiers cas sont passés complètement inaperçus. Dès que MSF s’est rendu compte
qu’il y avait une épidémie de FHV en cours,
ils ont très rapidement demandé un diag­
nostic, qui a été fait le même jour. Ensuite,
l’OMS et tous les autres acteurs se sont immédiatement mis au travail. J’étais à Cona­
kry dans les locaux de l’OMS dès le 6 avril,
et je peux vous garantir que tout était en
train de fonctionner. D’ailleurs, l’épidémie a
failli être contrôlée en dépit d’un début mal
engagé (dispersion dans la capitale, cas au
Libéria) fin avril, début mai. Et puis, quel­ques
patients mal répertoriés (on peut difficilement blâmer l’OMS…) ont relancé l’affaire.
Ensuite, tout est allé tellement vite, la Sierra
Leone et le Liberia étant dans un état…».
Coupable l’OMS ? Elle ne serait pas la
seule à être appelée à la barre.
Jean-Yves Nau
[email protected]
Bibliographie
1 Le Pr Peter Piot est l’auteur d’un ouvrage autobiographique «No Time To Lose – A life in pursuit of deadly
­viruses». Publié chez Norton & Company l’ouvrage n’est
pas encore disponible en langue française.
Rappelez-vous l’expérience fameuse de Stan­
ley Milgram, au début des années soixante,
magistralement reprise dans le film d’Henri
Verneuil, I comme Icare et qui a aussi inspiré
en 2009 un jeu truqué à France Télévisions.
Cette expérimentation, critiquable sur certains points mais restant une référence par
ailleurs reproductible, démontre qu’environ
deux tiers des individus d’une société peu­
vent être amenés à faire subir un traitement
cruel (faux chocs électriques d’intensité crois­
sante dans l’expérience) à un inconnu (comédien jouant les stades successifs d’une
souffrance fictive). Même avec réticences,
ils acceptent d’infliger cette épreuve barbare
(jusqu’à 450 volts !) par simple allégeance à
une autorité reconnue qu’ils estiment compétente et sérieuse. Ils ont le plus souvent
conscience d’enfreindre leurs propres critères moraux au nom d’une instance supérieure à qui ils font confiance et à qui ils
­délèguent la responsabilité de l’acte qu’ils
réprouvent au fond d’eux-mêmes. Se renier
par soumission à une autorité supposée
plus respectable que soi. Où l’humilité peut
aussi nourrir la couardise ! Et vous, et moi,
où nous situons-nous ? Sûrs d’appartenir au
tiers de désobéissants indignés ? Renoncer
à une part de sa propre autonomie pour
obéir à des règles qui permettent de vivre
ensemble en société, c’est normal, dans l’intérêt de tous, donc moral au sens noble du
terme. Quand cette obéissance est aveugle,
elle est dangereuse, germe des pires débordements. L’Histoire et l’actualité nous en
donnent des exemples terrifiants. Sans se
référer à ces extrémités florissant dans les
pages internationales de nos journaux, il suffit de s’arrêter à celles des «faits divers» de
notre région pour se convaincre de cette
réa­lité mettant à mal l’humanité de notre société. Ainsi nos garde-frontières, pas forcément représentatifs de l’ensemble de leur
Dr Alain Frei
Gastroentérologie FMH
30, avenue Ruchonnet
1003 Lausanne
[email protected]
profession, qui, au nom de la mission sacrée
qui leur était confiée de refouler une famille
de requérants d’asile syriens en Italie, ont
­refusé les secours indiscutables et nécessaires à éviter que la mère accouche d’un
enfant mort-né dans des conditions indignes.
Pas à l’autre bout du monde : nous les avons
peut-être croisés sur le trajet entre Vallorbe
et Brigue. L’obéissance au règlement et aux
ordres a prévalu sur l’éthique, l’empathie et la
bienveillance les plus élémentaires. Et dire
que la négation de ces valeurs, essentielles
au «bien vivre ensemble» est érigée en programme politique par des moutons qui se
croient blancs !
En fait, le thème de cette Carte blanche
m’a été inspiré par une situation récente que
nous, médecins, vivons tous à notre tour
dans notre pratique quotidienne. L’attitude de
soumission intransigeante à l’instance légale,
quoique moins dramatique, infiltre aussi
sournoisement la prise en charge de nos
­patients lorsqu’un de nos collègues, médecin-conseil d’une assurance réputée pour
D.R.
carte blanche
ses prises de position excessivement restrictives, me répond qu’il donne un préavis
défavorable à ma demande exceptionnelle
de remboursement d’un examen essentiel à
la décision thérapeutique, chirurgie lourde
ou simple observation, chez un patient pauciconsommateur de soins. Et quand je lui en
demande la raison : «la maladie de votre patient ne figure pas sur la liste des indications
à l’examen que vous demandez ; et la loi,
c’est la loi.» Circulez, tout est dit ! Le souci
d’économies imposé par la loi se substitue à
l’éthique médicale. Quand ce médecin (mais
l’est-il encore ?) renonce à une interprétation
nuancée, il ne fait que servir de caution à ce
que n’importe quel fonctionnaire d’assurance
aurait pu me répondre. Il se renie au point de
n’être utile qu’à couvrir, au nom de la loi, celui
qui le salarie. I comme Icare … ou no care !
«L’obéissance simule la subordination,
exactement comme la crainte de la police
simule l’honnêteté.»
(George Bernard Shaw)
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 3 septembre 2014
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