CONSULTATION DE COULOIR Les médicaments immunomodulateurs et les voyages internationaux Par Pierre J. Plourde, M.D., FRCPC Les études à répartition aléatoire, à double insu, avec témoin placebo n’ont pas fourni de réponses définitives à certaines questions cliniques importantes. La rubrique Consultation de couloir du Journal de la Société canadienne de rhumatologie cherchera à résoudre vos plus épineux dilemmes par voie de consensus, en soumettant à des experts. Veuillez soumettre vos questions à l’adresse suivante : [email protected] Présentation de cas : Cette patiente, âgée de 33 ans, est atteinte d’arthrite psoriasique traitée par un inhibiteur du facteur de nécrose tumorale (TNF) et par le méthotrexate; elle projette un voyage au Brésil. Elle se demande si elle doit prendre certaines précautions au sujet de sa santé avant de partir. La patiente a des antécédents d’hypothyroïdie et d’allergies à des allergènes environnementaux. En plus des deux médicaments mentionnés ci-dessus, elle prend de la thyroxine, du méloxicam et de la vitamine E. La première étape de son voyage de trois semaines l’amènera à Rio de Janeiro, mais elle aimerait aussi visiter les chutes Iguaçu, à la frontière du Brésil et de l’Argentine. Réponse Conseils sanitaires pertinents avant le départ De plus en plus de Canadiens atteints de maladies chroniques traitées par des médicaments qui réduisent la compétence immunitaire voyagent dans les pays tropicaux. Toute suppression immunitaire, peu importe le degré, accroît la susceptibilité aux maladies infectieuses, y compris aux infections reliées aux voyages, mais certaines formes de suppression immunitaire, attribuables à un traitement par un corticostéroïde à forte dose, un agent cytotoxique ou un immunomodulateur, sont associées à des risques de maladie particuliers. La présence de tels risques exige des précautions sanitaires qui s’ajoutent aux recommandations usuelles pour les voyageurs immunocompétents. Chez les voyageurs immunodéficients, les principales préoccupations sanitaires sont les suivantes : • le risque d’une susceptibilité accrue à certaines infections et les mesures requises pour atténuer ce risque; • les craintes au sujet de l’innocuité des vaccins vivants et de la réduction possible de l’efficacité des vaccins. Les médecins qui traitent des patients ayant un déficit immunitaire devraient insister sur l’importance d’obtenir des conseils d’experts en médecine des voyages, notamment pour 20 JSCR 2008 • Volume 18, Numéro 3 vérifier l’état vaccinal, avant le départ pour une destination tropicale. Les patients qui prennent des médicaments comme le méthotrexate ou un corticostéroïde à dose forte sont susceptibles de présenter une suppression immunitaire d’importance clinique. Il est reconnu qu’un traitement de longue durée (> 2 semaines) par la prednisone à 20 mg/jour entraîne une suppression immunitaire significative sur le plan clinique. Par ailleurs, on reconnaît depuis peu que les patients traités par les inhibiteurs du TNF en raison d’une maladie rhumatismale sont un groupe à risque de réactivation de la tuberculose. On croit aussi que ces derniers courent un risque accru de progression de la primo-infection tuberculeuse après une nouvelle exposition. On a également décrit une relation entre l’histoplasmose et plusieurs autres infections « granulomateuses », auxquelles le risque d’exposition serait accru dans certaines régions tropicales, dans les régions rurales brésiliennes, notamment. Par conséquent, les patients qui prennent des inhibiteurs du TNF doivent être informés du risque de transmission de la tuberculose dans les pays où cette maladie est très fréquente, et en particulier dans des circonstances qui augmentent ce risque, comme un très long voyage dans un pays où la tuberculose est Cliquez ici pour commenter cet article endémique, des contacts plus étroits avec les populations locales, le travail dans le milieu de la santé. Par conséquent, en présence d’une maladie inexpliquée chez ces patients, on devrait penser d’emblée à la tuberculose et à des mycoses endémiques lorsqu’on établit le diagnostic différentiel, en particulier après un voyage. Les formes toxiques de la diarrhée des voyageurs, p. ex., l’infection à E. coli entérotoxinogène ou le choléra, ne sont pas plus fréquentes ni plus graves chez le sujet immunodéficient. À l’opposé, certaines infections bactériennes invasives, les salmonelloses non typhiques et les infections à Campylobacter, sont plus graves et beaucoup plus susceptibles de causer une bactériémie chez les hôtes immunodéficients. Même si la prise régulière du sous-salicylate de bismuth ou d’antibiotiques en prophylaxie peut réduire le risque de la diarrhée des voyageurs d’au moins 50 % chez les sujets immunocompétents, il n’existe pas de données probantes dans le cas des sujets immunodéficients. Néanmoins, tous les patients immunodéficients qui projettent un voyage dans des régions tropicales devraient recevoir une ordonnance pour une réserve suffisante d’un antibiotique, comme la ciprofloxacine ou l’azithromycine, en tenant compte des modèles de résistance dans le pays de destination; on doit aussi leur conseiller de ne pas trop attendre avant de consulter un médecin compétent local ou de prendre l’antibiotique s’il leur est impossible d’obtenir des soins médicaux rapidement en cas de maladie diarrhéique autre qu’une légère diarrhée aqueuse. Tous les voyageurs qui pourraient présenter un déficit immunitaire devraient vérifier que tous les vaccins « couramment administrés » sont valides, y compris contre le tétanos, la diphtérie, la coqueluche, la grippe, le pneumocoque et le virus de l’hépatite B. On devrait, en général, éviter d’administrer des vaccins vivants, p. ex., les vaccins contre la rougeole, les oreillons et la rubéole, à des sujets immunodéficients. Le risque d’exposition à la rougeole pourrait être accru dans certains pays, et cette maladie est beaucoup plus grave en cas d’immunosuppression. L’efficacité du vaccin contre la rougeole est beaucoup moindre chez un sujet immunodéficient. Heureusement, la majorité des voyageurs est protégée contre la rougeole grâce à une immunité acquise naturellement ou par la vaccination. Dans le cas des voyageurs immunodéficients nés après 1970, sans antécédent certain de rougeole ou de preuve qu’ils ont reçu deux doses du vaccin contre la rougeole avant qu’apparaisse le déficit immunitaire, il faudrait penser à effectuer des tests sérologiques pour la rougeole. À moins qu’ils ne présentent des signes cliniques ou biochimiques d’une immunosuppression très grave, on devrait recommander aux voyageurs non immunisés contre la rougeole (sans antécédent de rougeole ou de vaccination, ou sérologie négative) de recevoir le vaccin contre la rougeole s’ils projettent un voyage dans un pays où la rougeole est mal maîtrisée. L’hépatite A est au nombre des risques évitables les plus importants associés aux voyages. Bien que l’échec de la réponse sérologique au vaccin soit beaucoup plus fréquent dans certains groupes de sujets immunodéficients, le vaccin contre l’hépatite A demeure fortement recommandé pour tous les voyageurs vers les destinations tropicales. Le dosage Tous les voyageurs qui pourraient présenter un déficit immunitaire devraient vérifier que tous les vaccins « couramment administrés » sont valides, y compris contre le tétanos, la diphtérie, la coqueluche, la grippe, le pneumocoque et le virus de l’hépatite B. des anticorps dirigés contre le virus de l’hépatite A n’est pas assez sensible pour détecter la réponse vaccinale qui confère la protection contre cette maladie; cette épreuve n’est donc pas recommandée. La réponse au vaccin contre la typhoïde est parfois plus faible chez les sujets immunodéficients. On croit que le virus vivant atténué Ty21a que renferme le vaccin oral vivant est incapable d’une réplication soutenue chez l’hôte humain. Toutefois, on administre de préférence un vaccin polysaccharidique capsulaire Vi injectable aux voyageurs qui risquent d’être exposés à la typhoïde. La fièvre jaune est une maladie très rare chez les voyageurs et le degré de risque varie beaucoup dans les régions où la transmission est connue. La fièvre jaune entraîne un fort taux de mortalité, même chez les sujets immunocompétents. Depuis 1996, le vaccin à virus vivant atténué contre la fièvre jaune a été relié à une grave maladie viscérotrope secondaire à la vaccination, et cette maladie a été fatale dans environ 60 % des cas. On a constaté une proportion anormalement élevée de ces cas chez des personnes de plus de 60 ans. Les voyageurs immunodéficients doivent être mis en garde au sujet du risque de visiter des zones de transmission active de la fièvre jaune, y compris celle des chutes Iguaçu à la frontière du Brésil et de l’Argentine. Règle générale, on ne devrait JSCR 2008 • Volume 18, Numéro 3 21 CONSULTATION DE COULOIR L’hépatite A est au nombre des risques évitables les plus importants associés aux voyages. Bien que l’échec de la réponse sérologique au vaccin soit beaucoup plus fréquent dans certains groupes de sujets immunodéficients, le vaccin contre l’hépatite A demeure fortement recommandé pour tous les voyageurs vers les destinations tropicales. pas administrer le vaccin contre la fièvre jaune à des personnes immunodéficientes. Lorsque le principale raison de vacciner un voyageur immunodéficient est le fait que le pays de destination exige ce vaccin en particulier et non parce qu’il existe un risque épidémiologique important, le médecin devrait remettre au voyageur une lettre d’exemption. Dans le cas des voyageurs ayant un déficit immunitaire léger ou modéré qui courent un risque important d’être exposés à la fièvre jaune, p. ex., dans la région des chutes Iguaçu, on devrait leur proposer le vaccin et leur expliquer les risques théoriques. Les voyageurs gravement immunodéficients qui, en dépit des mises en garde au sujet des risques, décident de se rendre dans une zone de transmission active de la fièvre jaune, devraient consulter un médecin spécialisé en médecine des voyages et appliquer rigoureusement les mesures de protection contre les piqûres de moustiques. Conclusion Il faut expliquer à cette patiente qui veut voyager au Brésil qu’elle est plus vulnérable à la tuberculose et aux mycoses invasives. Elle devra faire preuve de la plus grande prudence dans le choix de ses aliments et ne consommer que des boissons sans danger (en bouteilles ou en boîtes) et seulement de l’eau bouillie ou embouteillée. Le médecin devrait aussi lui prescrire un antibiotique à prendre en cas de maladie diarrhéique. Quant aux vaccins, la patiente doit vérifier que tous les vaccins « couramment administrés » sont valides. Pour ce voyage au Brésil, le médecin devrait lui proposer de se faire vacciner contre l’hépatite A et B, peut-être aussi contre la fièvre typhoïde et la fièvre jaune (malgré le risque théorique de réactions plus graves à ce dernier vaccin, risque dont la patiente doit être informée). Elle n’a pas besoin d’une chimioprophylaxie contre la malaria pour un voyage dans cette région du Brésil. On peut trouver de plus amples renseignements dans le document publié par l’Agence de santé publique du Canada, une déclaration du Comité consultatif de la médecine tropicale et de la médecine des voyages intitulée « Le voyageur immunodéprimé » (http://www.phac-aspc.gc.ca/publicat/ccdrrmtc/07vol33/acs-04/index_f.html). Pierre J. Plourde est médecin hygiéniste à l’Office régional de la santé publique de Winnipeg (ORSW), directeur médical des Services de médecine des voyages et de médecine tropicale, et professeur agrégé au Département des sciences de santé communautaire et de microbiologie médicale à l’Université du Manitoba, à Winnipeg, Manitoba. Élaboré grâce à une subvention sans restriction à visée éducative de Pfizer Canada. Ensemble, vers un monde en meilleure santé MC 22 JSCR 2008 • Volume 18, Numéro 3