4
2. Le problème de l’auteur
Nous faisons partie de ceux qui s’opposent – même si l’opposition peut paraître aujourd’hui
anachronique – aux critiques de la fin des années soixante qui ont proclamé « la mort de
l’auteur » et l’autonomie parfaite du texte par rapport à son créateur (Barthes, 1968 ; Foucault,
1969)1. En nous situant sur une telle position, il est normal de considérer utiles les modèles de
lecture proposés par les structuralistes et les post-structuralistes seulement dans la lecture des
textes dont – de toute manière – on ne connaît pas l’auteur (certains textes de l’Antiquité ou du
Moyen Âge, textes folkloriques, etc.).
Mais, comme l’a montré Antoine Compagnon dans un chapitre du Démon de la théorie, le
problème de l’auteur dépasse largement les cadres du débat entre les tenants d’une critique
traditionnelle, fidèles à l’auteur en tant que personne réelle (ou, pourrait-on dire, biographique),
et les « nouveaux critiques » qui mettent l’auteur à mort sans le moindre remords. Pour Antoine
Compagnon, la question de l’auteur relèverait du déchiffrement d’une « intention » qui se ferait
jour dans (par) le texte, plus que d’une obligation du critique d’élucider tous les faits matériels de
la vie de l’écrivain, susceptibles d’avoir contribué à la genèse du texte en question. Si l’on
accepte l’équivalence auteur = intention, on découvre que tous les critiques n’ont jamais visé
dans leurs interprétations des textes littéraires autre chose qu’une mise à nu de cette intention,
par la « méthode des passages parallèles ». Cette méthode qui consiste à éclairer un passage
obscur d’un texte par un autre passage – moins obscur – de la même œuvre, ou d’une œuvre
différente du même auteur, ou d’une œuvre d’un auteur proche, a été employée à la fois par les
positivistes les plus farouches et par les structuralistes et les post-structuralistes les plus
convaincus de la disparition (élocutoire) de l’auteur2.
Lorsque, dans le cas d’un poème du Spleen de Paris, nous essayons de découvrir l’intention
auctoriale, à quel auteur est-ce que nous faisons référence ? À celui qui est décrit par les très
nombreuses « vies de Baudelaire » ? Au Baudelaire de la critique thématique ? À celui des
1 Un des exemples sur lesquels s’ouvre « La Mort de l’auteur » de Roland Barthes est justement Baudelaire : « L’auteur règne
encore dans les manuels d’histoire littéraire, les biographies d’écrivains, les interviews des magazines, et dans la conscience
même des littérateurs, soucieux de joindre, grâce à leur journal intime, leur personne et leur œuvre ; l’image de la littérature que
l’on peut trouver dans la culture courante est tyranniquement centrée sur l’auteur, sa personne, son histoire, ses goûts, ses
passions ; la critique consiste encore, la plupart du temps, à dire que l’œuvre de Baudelaire, c’est l’échec de l’homme Baudelaire,
celle de Van Gogh, c’est sa folie, celle de Tchaïkovski, c’est son vice : l’explication de l’œuvre est toujours cherchée du côté de
celui qui l’a produite, comme si, à travers l’allégorie plus ou moins transparente de la fiction, c’était toujours finalement la voix
d’une seule et même personne, l’auteur, qui livrait sa “confidence”. », « La Mort de l’auteur », in Œuvres complètes, Tome II
(1966-1973), Édition établie et présentée par Éric Marty, Paris, Éditions du Seuil, 1994, pp. 491-492.
2 Voir A. Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil, « Points Essais », 1998, pp. 51-110. En
complément aux réflexions du Démon de la théorie, Antoine Compagnon problématise le rapport intentionnel de l’auteur à son
texte en train de se faire, ainsi que la question de la biographie d’auteur dans un cours universitaire disponible en version
électronique sur http://www.fabula.org/compagnon/auteur/php