Thesis
Reference
De l'homme hyperbolique au texte impossible : théâtralité, théâtre(s),
ébauches de pièces chez Baudelaire
POP-CURSEU, Ioan
Abstract
Cette thèse se propose d'explorer une problématique peu abordée dans le cas de Baudelaire
: la théâtralité de la vie de l'écrivain qui entraîne une théâtralité de l'œuvre littéraire, la
conception étonnamment moderne du théâtre qu'il exprime souvent dans ses écrits, son
échec à mener à bien au moins un des quatorze projets de pièces élaborés pendant une
vingtaine d'années (1843-1863). Ces axes principaux de recherche correspondent aux trois
parties successives et interdépendantes du travail : théâtralité, théâtre(s), ébauches de
pièces, flanquées par une Introduction méthodologique au début, par des Conclusions, une
Annexe relative aux mises en scène des textes baudelairiens et une Bibliographie à la fin.
Deux questions capitales pour Baudelaire traversent le texte : celle de l'hyperbole et celle du
théâtre de marionnettes. Ayant comme principe méthodologique principal celui de ne pas
séparer l'auteur de l'œuvre, nos analyses ont été faites dans une visée mi-biographiste,
mi-psychanalytique.
POP-CURSEU, Ioan. De l'homme hyperbolique au texte impossible : théâtralité,
théâtre(s), ébauches de pièces chez Baudelaire. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2007,
no. L. 647
URN : urn:nbn:ch:unige-120517
DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:12051
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:12051
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Université de Genève
Faculté des Lettres
Ioan Pop-Curşeu
DE L’HOMME HYPERBOLIQUE AU TEXTE IMPOSSIBLE :
THÉÂTRALITÉ, THÉÂTRE(S), ÉBAUCHES DE PIÈCES
CHEZ BAUDELAIRE
Thèse de Doctorat
Sous la direction du
Professeur Patrizia Lombardo
Membres du jury :
Prof. Laurent Jenny (Genève), président du jury ; Prof. André Guyaux (Paris IV-Sorbonne) ;
Prof. Patrick Labarthe (Zürich) ; Prof. Catherine Treilhou-Balaudé (Paris III-Sorbonne Nouvelle, Institut
d’Études théâtrales)
Décembre 2007
2
INTRODUCTION
1. Préambule
Malgré la quantité énorme de recherches consacrées à Baudelaire, et bien qu’on se demande
souvent si des travaux d’aujourd’hui peuvent encore apporter quelque chose de neuf, il reste
miraculeusement des territoires peu ou pas du tout abordés. En survolant une bonne partie des
plus de 60.000 mille titres amassés au cours des années, on constate qu’il n’y a pas beaucoup de
livres et d’articles critiques traitant du rapport de Baudelaire avec le théâtre. Les exceptions
pourraient se compter presque sur les doigts d’une seule main : Roland Barthes, Maurice
Descotes, Wolfgang Drost, Catherine Treilhou-Balaudé, Marina Guerrini, Alfred E. E. Mensah.
Cette lacune est assez surprenante, et plusieurs raisons pourraient justifier le désir du chercheur
de la combler ou, au moins, de contribuer à une meilleure connaissance de ce rapport.
Une première raison serait que les quatorze projets de pièces de théâtre que nous a laissés
Baudelaire constituent peut-être la partie la plus déroutante et la plus énigmatique du corpus de
ses écrits : déroutante parce qu’inachevée, malgré l’effort constant du poète d’écrire pour la
scène ; énigmatique parce que traversée des grands thèmes baudelairiens, mais néanmoins très
éloignée et différente du reste de l’œuvre. Une deuxième raison serait qu’il manque une étude
d’ensemble des conceptions que Baudelaire exprime sur le théâtre dans bon nombre de ses écrits.
Une troisième raison serait que, en lisant les poèmes de Baudelaire, qu’ils soient en vers ou en
prose, et même ses études de critique d’art ou de critique littéraire, on a sans cesse l’impression
que le poète utilise des stratégies et des procédés de mise en scène empruntés au théâtre.
Les trois raisons énumérées viennent expliquer la série qui apparaît dans le titre de la thèse :
théâtralité-théâtre(s)-ébauches de pièces. Au cours du travail préliminaire d’ordonnancement du
corpus et de mise en place du plan, deux alternatives s’offraient à nous. Primo, de prendre
comme point de départ les ébauches de pièces, témoignages vivants d’une aspiration permanente
vers le monde de la scène et d’une incapacité douloureuse à rendre réels des rêves de théâtre.
Secundo, de partir d’une réflexion générale sur le théâtre et la théâtralité, de traverser
analytiquement l’œuvre « réalisée » de Baudelaire pour parvenir à la fin aux fragments de pièces.
Pensant à un principe de Poe, énoncé dans La Genèse d’un poème, qui veut qu’un bon auteur ait
toujours à l’esprit sa dernière ligne lorsqu’il écrit la première, nous avons opté pour le second
parcours possible, qui permet de partir du nébuleux vers le concret. La série du titre propose
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donc un parcours qui partira du général, de la théâtralité, pour arriver au particulier, aux
ébauches de pièces de Baudelaire, en passant par une analyse détaillée de sa conception du
théâtre. Le parcours du général au particulier nous semble inévitable pour essayer d’éclaircir une
problématique passionnante : Pourquoi Baudelaire n’a-t-il pas réussi à écrire du théâtre ?
Pourquoi a-t-il échoué dans un genre qui l’attirait au plus haut point ? D’ailleurs, le parcours du
général au particulier influera sur la structure d’ensemble de la thèse : après l’Introduction, les
trois grandes parties du travail vont se succéder, en s’enchaînant de manière logique
(Théâtralité-Théâtre(s)-Ébauches de pièces). Si nous empruntions une métaphore chère à Dante
et à Georges Poulet en voulant présenter ce travail comme un grand cercle, les trois parties
successives constitueraient chacune à son tour un cercle : le cercle qui aura la circonférence la
plus grande, celui de la théâtralité, englobera le cercle de dimension moyenne, celui du / des
théâtre(s), qui à son tour incorporera en soi le cercle un peu plus petit, celui des ébauches de
pièces.
Baudelaire échoue dans le théâtre : ses ébauches de pièces ne sont que des lambeaux de ce qui
aurait pu parvenir à constituer des textes achevés, finis, parfaits. On aura sans faute compris que
les quatorze ébauches de pièces, surtout les plus développées, Idéolus, La Fin de Don Juan,
L’Ivrogne, Le Marquis du Ier Housards, constituent le « texte impossible » dont il est fait
mention dans le titre de la thèse. Mais qu’en est-il de l’« homme hyperbolique » ? C’est l’idéal
humain qui se détache d’une grande partie des textes baudelairiens (et pas seulement des
« impossibles »), c’est la figure fantasmée du poète, c’est l’alter ego de Baudelaire lui-même –
qui entretient une relation étroite avec le comédien. Pour décrire ce type d’homme, Baudelaire
procède de manière analogique, en le rapprochant d’une des figures de style les plus fréquentes :
l’hyperbole. Il faut préciser ici que, à la différence de la métaphore et de la métonymie,
l’hyperbole est une figure de style peu étudiée dans le cas de Baudelaire : voilà une autre lacune
que ce travail se propose de combler.
L’« homme hyperbolique » n’est autre qu’un alter ego de Baudelaire. En faisant cette
affirmation, nous disons implicitement que la figure de l’auteur nous intéresse, que nous ne la
laissons pas de côté pour nous pencher exclusivement sur le texte et sur ses structures. Avant
d’en arriver à la monstration critique proprement dite, avant de décrire les trois cercles
concentriques (théâtralité-théâtre(s)-ébauches de pièces), avant de voir pourquoi il y a des textes
baudelairiens impossibles, il nous semble nécessaire de passer en revue quelques perspectives
critiques qui essayent d’apporter des réponses à la relation homme-œuvre dans le cas de
Baudelaire, puis de poser quelques jalons méthodologiques que nous respecterons tout au long
de la thèse.
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2. Le problème de l’auteur
Nous faisons partie de ceux qui s’opposent – même si l’opposition peut paraître aujourd’hui
anachronique – aux critiques de la fin des années soixante qui ont proclamé « la mort de
l’auteur » et l’autonomie parfaite du texte par rapport à son créateur (Barthes, 1968 ; Foucault,
1969)1. En nous situant sur une telle position, il est normal de considérer utiles les modèles de
lecture proposés par les structuralistes et les post-structuralistes seulement dans la lecture des
textes dont – de toute manière – on ne connaît pas l’auteur (certains textes de l’Antiquité ou du
Moyen Âge, textes folkloriques, etc.).
Mais, comme l’a montré Antoine Compagnon dans un chapitre du Démon de la théorie, le
problème de l’auteur dépasse largement les cadres du débat entre les tenants d’une critique
traditionnelle, fidèles à l’auteur en tant que personne réelle (ou, pourrait-on dire, biographique),
et les « nouveaux critiques » qui mettent l’auteur à mort sans le moindre remords. Pour Antoine
Compagnon, la question de l’auteur relèverait du déchiffrement d’une « intention » qui se ferait
jour dans (par) le texte, plus que d’une obligation du critique d’élucider tous les faits matériels de
la vie de l’écrivain, susceptibles d’avoir contribué à la genèse du texte en question. Si l’on
accepte l’équivalence auteur = intention, on découvre que tous les critiques n’ont jamais visé
dans leurs interprétations des textes littéraires autre chose qu’une mise à nu de cette intention,
par la « méthode des passages parallèles ». Cette méthode qui consiste à éclairer un passage
obscur d’un texte par un autre passage – moins obscur – de la même œuvre, ou d’une œuvre
différente du même auteur, ou d’une œuvre d’un auteur proche, a été employée à la fois par les
positivistes les plus farouches et par les structuralistes et les post-structuralistes les plus
convaincus de la disparition (élocutoire) de l’auteur2.
Lorsque, dans le cas d’un poème du Spleen de Paris, nous essayons de découvrir l’intention
auctoriale, à quel auteur est-ce que nous faisons référence ? À celui qui est décrit par les très
nombreuses « vies de Baudelaire » ? Au Baudelaire de la critique thématique ? À celui des
1 Un des exemples sur lesquels s’ouvre « La Mort de l’auteur » de Roland Barthes est justement Baudelaire : « L’auteur règne
encore dans les manuels d’histoire littéraire, les biographies d’écrivains, les interviews des magazines, et dans la conscience
même des littérateurs, soucieux de joindre, grâce à leur journal intime, leur personne et leur œuvre ; l’image de la littérature que
l’on peut trouver dans la culture courante est tyranniquement centrée sur l’auteur, sa personne, son histoire, ses goûts, ses
passions ; la critique consiste encore, la plupart du temps, à dire que l’œuvre de Baudelaire, c’est l’échec de l’homme Baudelaire,
celle de Van Gogh, c’est sa folie, celle de Tchaïkovski, c’est son vice : l’explication de l’œuvre est toujours cherchée du côté de
celui qui l’a produite, comme si, à travers l’allégorie plus ou moins transparente de la fiction, c’était toujours finalement la voix
d’une seule et même personne, l’auteur, qui livrait sa “confidence”. », « La Mort de l’auteur », in Œuvres complètes, Tome II
(1966-1973), Édition établie et présentée par Éric Marty, Paris, Éditions du Seuil, 1994, pp. 491-492.
2 Voir A. Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil, « Points Essais », 1998, pp. 51-110. En
complément aux réflexions du Démon de la théorie, Antoine Compagnon problématise le rapport intentionnel de l’auteur à son
texte en train de se faire, ainsi que la question de la biographie d’auteur dans un cours universitaire disponible en version
électronique sur http://www.fabula.org/compagnon/auteur/php
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