PRESSE
Interlignage | L’anti-zapping culturel
Otaku Sama
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NOIR LUMIÈRE, AU THÉÂTRE DU PAVÉ DE TOULOUSE
« Un décor neutre, trois portes semblables. Au lever du rideau, tous les personnages sont en scène…
». La didascalie initiale d’Antigone de Jean Anouilh pourrait être le point de départ de Noir Lumière.
À la fois authentique et novateur ce concept, au service du texte théâtral, est un pari risqué où la
prestation du comédien retient [...]
Un décor neutre, trois portes semblables. Au lever du rideau, tous les personnages sont en scène… ». La didascalie
initiale d’Antigone de Jean Anouilh pourrait être le point de départ de Noir Lumière. À la fois authentique et novateur
ce concept, au service du texte théâtral, est un pari risqué où la prestation du comédien retient toute l’attention
du spectateur. À travers Dom Juan de Molière, Antigone(s) de Sophocle et de Jean Anouilh, puisBérénice de Jean
Racine, le Pavé tente une nouvelle approche du théâtre.
Il est 20h, les comédiens s’avancent et échangent quelques mots avec le public an d’expliciter leurs choix de mise
en scène. Celle-ci est minimaliste, sans artice, les intentions du dramaturge demeurant intactes ; ce théâtre de
l’improvisation laisse libre cours à l’interprétation des comédiens qui, au gré des représentations, modient leurs
déplacements. Un signal – « noir » – plonge la salle dans la pénombre, la troupe se disperse, puis vient l’exercice
dicile de la concentration, les comédiens étant livrés au regard de la salle. L’obscurité s’estompe, ces derniers sont
en place, la lumière paraît, enn.
Noir Lumière renoue avec une scénographie dépouillée, où décor et costumes sont relégués au second plan. L’es-
pace scénique est réduit à son plus simple appareil, quelques planches de bois, quatre chaises, les coulisses étant
sur scène, tout est dans le champ de vision du spectateur. Mais ce qui peut paraître comme une mise en danger du
comédien, permet au spectateur de porter un regard nouveau sur l’interprétation, car face à un décor nu et à des
costumes insigniants – telles des combinaisons noires – la prestation du comédien devient l’unique centre d’inté-
rêt. Sur scène ou bien en dehors, on l’observe, on le cherche, réceptifs au moindre mouvement.
Dans ce contexte épuré, l’utilisation de la lumière apporte de la richesse à la mise en scène, accentuant ainsi la ges-
tuelle et les expressions des comédiens. Ainsi dans Antigone d’Anouilh, au milieu de ce noir suoquant, elle apparaît
comme un élément essentiel. Sylvie Maury, interprétant les rôles du prologue et du chœur, utilise une lampe torche
pour enrichir ses répliques, pour pointer les personnages qu’elle désigne, pour accentuer les passages clés de cette
tragédie « propre, reposante et sûre »1. Les protagonistes se sentent oppressés par le caractère inéluctable de l’in-
trigue « maintenant le ressort est bandé. Cela n’a plus qu’à se dérouler tout seul. C’est cela qui est commode dans la
tragédie. »1, mais aussi par cette lumière qui les assaillent.
Si l’Antigone d’Anouilh semble particulièrement adaptée au concept du noir lumière tant par sa facture moderne,
que par l’intemporalité qu’elle suggère – notamment par ses anachronismes - Bérénice de Jean Racine se présente
comme un choix audacieux, réactualisé par la troupe. Les amours tourmentés de Bérénice et Titus, incarnés avec
brio par l’éblouissante Sylvie Maury et Christophe Montenez, n’en nissent pas d’émouvoir le spectateur exalté.
Proche du théâtre itinérant, le noir lumière donne la part belle au texte et à l’interprétation. Chaque pièce, volontai-
rement élaguée – de scènes et de personnages – est jouée par un petit nombre de comédiens, certains interprétant
plusieurs rôle à la fois. Dans Bérénice, Corinne Mariotto incarne trois personnages,Arsace, Phénice et Paulin. Grâce
à de simples accessoires modiés au cours de ses déplacements – en l’occurrence trois chapeaux – la comédienne
enchaîne les protagonistes avec une grande uidité, sa voix et son jeu étant au service de chaque rôle interprété.
Malgré la composition très diérente de chaque pièce, Noir Lumière installe une complicité entre les comédiens et
le public, se sentant investi d’un rôle nouveau. On se prête avec plaisir au jeu étrange de ce théâtre intimiste, qui
renoue avec l’essence même de la dramaturgie.
1 Citation issue d’Antigone de Jean Anouilh.