Assemblée Générale du 10 octobre 2011
Discours du Professeur honoraire Maurice CANNONI
Parrain de la promotion 2011 1/4
Assemblée générale du 10 octobre 2011
Discours du Professeur honoraire Maurice CANNONI,
Parrain de la promotion 2011 des L2
De gauche à droite, au premier rang :le Président de l'Université, Yvon BERLAND - le Professeur Patrick DESSI - le
parrain, le Professeur honoraire Maurice CANNONI - la major, Lise BILLON-GALLAND et le Doyen Georges LEONETTI
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Président de la Commission Médicale,
Chers Collègues,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs les étudiants,
Félicitations à vous tous pour avoir réussi le difficile concours d’entrée en médecine. Vous allez
exercer la plus belle et la plus noble des professions : soigner vos semblables et parfois leur sauver
la vie.
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Je suis conscient que ce que je vais vous dire n’est pas votre préoccupation actuelle. Je vais essayer
de vous faire part, le plus simplement du monde, de mon expérience. Enregistrez-le dans votre
mémoire pour que cela vous soit utile le moment venu.
Votre future profession n’est pas un métier mais un art et en tant que tel il ne supporte pas la
médiocrité. A la fin de votre cursus il vous faudra atteindre l’excellence. Pour ce faire vous devrez
satisfaire à deux conditions : le savoir et le bon sens et à deux prérequis : toujours dire la vérité
et comprendre la douleur de votre patient.
Le savoir, bien sûr, c’est la connaissance complète et parfaite de tout ce qui concerne le domaine
médical. Pour l’essentiel vous l’apprendrez ici même et dans vos stages hospitaliers, mais cela ne
suffira pas. Il vous faudra étudier de vous-même en permanence pour connaître toutes les maladies,
même les plus rares, et posséder l’anatomie et la physiologie. Vous devez avoir une connaissance
parfaite des principaux médicaments, en connaître leurs actions et leurs effets secondaires. Ce
travail il faudra encore le poursuivre durant toute votre vie professionnelle pour rester au courant de
toutes les nouveautés. Mais pour que ces connaissances s’enregistrent clairement dans votre
mémoire il faut avant tout comprendre ce que vous étudiez.
Vous voilà à la fin de votre cursus avec une tête bien pleine. Lorsque vous serez en face d’un
patient ou d’une situation médicale quelconque, il vous faudra utiliser vos connaissances. Or "entre
les connaissances et la pratique où l’on doit agir, il y a un vide". C’est le bon sens qui comble ce
vide. Durant toute mon activité professionnelle, devant les erreurs grossières de certains je me suis
persuadé qu’on avait ou qu’on n’avait pas de bon sens. A la retraite je me suis mis à jouer au bridge
en tournoi et en compétition après avoir tout appris sur ce jeu mais je n’étais pas très bon parce que
je jouais par automatisme sans pouvoir utiliser mes connaissances. Cette situation inhabituelle pour
moi générait un certain stress qui m’avait fait perdre mon bon sens. J’ai quand même fini, après un
certain temps, par me rendre compte que devant chaque donne je devais me calmer, retrouver ma
lucidité et prendre le temps de consulter mon savoir avant de jouer la première carte. A partir de là,
je ne suis pas devenu un champion mais j’ai joué beaucoup mieux.
Le bon sens est donc la clef qui fera de vous un bon médecin, aussi voyons ce qu’en disent les bons
auteurs. Parmi les synonymes nous retiendrons lucidité, ce qui signifie qu’il faut être calme et
concentré.
Dans son Discours de la méthode, Descartes dit : "Le bon sens est la chose du monde la mieux
partagée ; ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien". Donc
tout le monde a du bon sens mais il reste à le mettre en œuvre et comme dit Boileau : "Tout doit
tendre au bon sens, mais pour y parvenir le chemin est glissant et pénible à tenir ; pour peu qu’on
s’en écarte aussitôt l’on se noie. La raison pour marcher n’a souvent qu’une voie".
Bergson dit "Le bon sens est l’effort d’un esprit qui s’adapte et se réadapte sans cesse, changeant
d’idée quand il change d’objet. C’est une mobilité de l’intelligence qui se règle exactement sur la
mobilité des choses". Pour satisfaire à ce que dit Bergson votre esprit doit toujours être en éveil, être
lucide, concentré, pour aller chercher dans votre savoir le bon diagnostic ou le bon traitement.
Devant une urgence médicale ou chirurgicale, les quelques secondes que vous mettrez à vous
calmer, à vous concentrer de façon à être parfaitement lucide ne sera pas une perte de temps mais
une garantie pour faire le bon choix.
Retenez qu’il n’y a pas d’urgence mais que des gens pressés. Dans le service un patient, opéré deux
jours auparavant d’une thyroïdectomie par un assistant parfaitement compétent, présente un
hématome veineux pré-trachéal. C’est un amas de caillots qui se constitue de manière insidieuse
devant la trachée qui s’en accommode jusqu’à ce qu’elle s’affaisse d’un coup entraînant l’asphyxie
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du patient sans qu’on ne puisse rien faire, ni intubation ni trachéotomie. C’est donc une urgence
absolue. Dés que l’on constate cela, on amène rapidement le patient au bloc opératoire où le
chirurgien l’attend en ayant enfilé une paire de gants, sans se laver, et dés l’installation du patient
sur la table d’opération, sans aucune anesthésie, il enfonce ses deux index dans la plaie opératoire,
déchire les sutures et vide le coagulum à la main. Ce jour là ça ne s’est pas passé comme cela .
Par précaution j’accompagne le patient au bloc où j’ai la surprise de voir l’assistant se laver
tranquillement les mains comme pour une intervention habituelle. Sans plus attendre je réalise moi-
même les gestes que je vous ai indiqués avant qu’il ne soit trop tard. L’assistant devant cette
situation inédite pour lui, n’a pas su se calmer pour retrouver sa lucidité. Il a agi par automatisme
sans avoir pu juger de la gravité de la situation.
Bergson dit encore, à propos de Don Quichotte qui voit des géants là où il n’y a que des moulins :
"C’est une inversion toute spéciale du sens commun. Elle consiste à prétendre modeler les choses
sur une idée qu’on a et non pas ses idées sur les choses. Elle consiste à voir devant soi ce à quoi
l’on pense, au lieu de penser à ce que l’on voit ". Dans la pratique ce peut-être le fait d’un
prétentieux qui pense tout savoir et qui pose un diagnostic avant toute réflexion. Mais ce sont
surtout les situations répétitives, banales qui éteignent la lucidité, qui font agir sans réflexion avec
alors un grand risque d’erreur. Ce peut-être un médecin généraliste devant une épidémie de grippe
qui aura tendance à étiqueter grippe tout patient qu’il voit avec une forte fièvre. Ce peut-être un
anesthésiste qui intube son énième patient de la journée machinalement, sûr d’être dans la trachée
tellement son geste l’amène toujours là, mais sans s’en assurer. Pour que ceci ne vous arrive pas,
dites vous bien qu’en médecine il n’y a pas de routine et que tout nouveau patient exige la
possession de votre bon sens.
Il y a cependant un domaine où le bon sens ne suffit plus pour se décider. Il peut s’agir d’une
pathologie médicale où le traitement est discutable ou bien d’une chirurgie de confort où le résultat
est aléatoire avec en plus le risque anesthésique. Faut-il donner un traitement ? Faut-il opérer ? Là il
faut être en accord avec soi même et la meilleure façon de trancher est de se dire : "quelle serait
mon attitude s’il s’agissait d’un membre de ma famille ?" La réponse viendra d’elle- même.
* *
*
Pour atteindre l’excellence il ne vous reste plus qu’à satisfaire aux deux prérequis.
Le premier est de toujours dire la vérité. Dans la vie courante, c’est la meilleure garantie pour être
une personne libre. A votre patient, aussi difficile soit-elle, mais toujours avec tact et douceur. A
votre patient et à son entourage lorsque vous avez commis une erreur. Le mensonge est détectable
et détestable pour eux. Avant d’être hospitalier, j’exerçais en ville. J’opère un jour un avocat d’une
pathologie néoplasique. Les suites opératoires sont simples mais au quatrième jour la plaie suppure.
Le traitement antibiotique s’avère inefficace et je décide de réintervenir. La cause était une
compresse oubliée. Dés l’intervention terminée je vais voir son épouse, également avocate et lui
avoue la raison de cette complication. Je n’ai jamais eu la moindre question ni le moindre ennui.
Le second prérequis est de Comprendre la douleur du patient et de son entourage et de savoir
leur parler, avec fermeté si nécessaire, mais toujours avec tact et douceur. A ce propos je vais vous
citer un passage d’un roman d’un auteur espagnol que j’ai lu il y a quelques temps. Il s’agit d’un
garçon et d’une fille de 15 ans qui vivent ensembles des aventures extraordinaires. Ils s’aiment mais
ne se l’avouent pas. Elle se sait atteinte d’une maladie incurable, une leucémie semble-t-il, dont est
morte jeune sa mère. Elle ne dira rien au jeune garçon pour conserver intacte cette amitié. Puis le
jeune homme n’ayant plus de nouvelles depuis deux mois décide d’aller voir German, le père de la
jeune fille. Il lui apprend qu’elle est hospitalisée depuis tout ce temps. Ils décident d’aller la voir
ensemble et l’auteur d’écrire : "Vu du taxi, l’hôpital San Pablo m’apparut comme une cité
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suspendue dans les nuages, tout en tours biscornues et en dômes impossibles. German avait passé
un costume propre avant de me suivre en silence. Je portais un paquet enveloppé dans le papier
pour le cadeau le plus resplendissant que j’avais pu trouver. A notre arrivée, le médecin qui
soignait Marina, un certain Damian Rojas, m’inspecta de haut en bas et me donna une série
d’instructions. Je ne devais pas fatiguer Marina. Je devais me montrer positif et optimiste. C’était
elle qui avait besoin de mon aide et pas l’inverse. Je ne venais pas pour pleurer et me lamenter. Je
venais pour la soutenir. Si j’étais incapable de me conformer à ces règles, inutile de prendre la
peine de revenir. Damian Rojas était un jeune médecin dont la blouse blanche sentait encore la
faculté. Son ton était sévère et impatient, et il se montra fort peu poli avec moi. Dans d’autres
circonstances, je l’aurais pris pour un crétin arrogant, mais quelque chose dans son comportement
me souffla qu’il n’avait pas encore appris à se préserver lui-même de la souffrance de ses patients
et que cette attitude était sa manière à lui de survivre".
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