L'APPROCHE NÉO-INSTITUTIONNELLE : DES CONCEPTS, UNE
MÉTHODE, DES RÉSULTATS
Claude Ménard
L'Harmattan | Cahiers d'économie Politique / Papers in Political Economy
2003/1 - n° 44
pages 103 à 118
ISSN 0154-8344
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-cahiers-d-economie-politique-2003-1-page-103.htm
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Pour citer cet article :
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Ménard Claude, « L'approche néo-institutionnelle : des concepts, une méthode, des résultats »,
Cahiers d'économie Politique / Papers in Political Economy, 2003/1 n° 44, p. 103-118.
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L'APPROCHE NÉO-INSTITUTIONNELLE : DES CONCEPTS,
UNE MÉTHODE, DES RÉSULTATS!
Claude MÉNARD2
Résumé: L'approche néo-institutionnelle, qui a connu des développements considérables au cours des
vingt dernières années, constitue un "programme de recherche progressif'. Ce programme repose sur
un noyau dur de concepts s'appliquant à des objets bien identifiés, les modes de gouvernance, l'envi-
ronnement institutionnel ils trouvent racine, et l'interaction qui les anime. Les coûts de transaction
jouent un rôle clé dans ce dispositif. L'article examine pourquoi il en est ainsi, aborde des points
controversés, et fait état d'un certain nombre de percées récentes de cette théorie en économie, mais
aussi en histoire et en sciences politiques.
Abstract: The New Institutional Perspective: Concepts, Methods, Results
New Institutional Economics has developed considerably over the last twenty years, qualifying as a
"progressive research program". This program is based on a hard core of concepts that apply to well
identify objects: the alternative modes for organizing transactions, the institutional environment in
which they ~rc embedded, and the interaction between these dimensions. Transaction costs playa ma-
jor role in this approach. This paper examines why it is so, it deals with several controversial issues,
and it provides examples of recent breakthroughs in economic's, but also in history and in political sci-
ences.
Classification JEL: B500, D200, D700, K200, P500
1. INTRODUCTION
Comme l'indique son nom même, l'approche néo-institutionnelle s'est constituée et s'ar-
ticule autour de la question des institutions. La proposition centrale développée dans les pa-
ges qui suivent peut se résumer à ceci: le programme néo-institutionnel est, eu égard à cette
question, un "programme de recherche progressif" au sens de Lakatos (1976), doté d'un
noyau dur de concepts portant sur des objets spécifiques et bien identifiés, et dont le do-
maine d'application s'approfondit par rapport aux questions initialement posées tout en
s'étendant rapidement à de nouvelles questions (Canguilhem, 1968, Introduction).
1. Je tiens à remercier les participants au Colloque "Qu'a-t-on appris sur les institutions" et à des séminaires
donnés à l'Ecole Normale Supérieure, à l'Université de Sceaux, et à l'Université Erasmus (Rotterdam) pour
leurs commentaires sur une première version. Je voudrais mentionner en particulier Bertrand Bellon, Chris-
tian Bessy, Joelle Farchy, Maarten Janssen, Philippe Mongin, Isabelle This-Saint Jean, et Bernard Walliser
pour la précision et l'utilité de leurs remarques. Je reste bien entendu seul responsable des erreurs et opi-
nions émises dans ce texte.
2. Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), ATOM, [email protected].
Cahiers d'économie politique, n° 44, L'Harmattan, 2003.
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La proposition corollaire, et je vais bien entendu m'efforcer de justifier ces propositions,
consiste à soutenir que sous l'aspect apparemment un peu éclaté de ce programme de re-
cherche, se profile un élément unificateur puissant, l'approche en termes de coûts de transac-
tion.
Pourquoi, demandera-t-on, mettre l'accent d'entrée de jeu sur l'approche transaction-
nelle? Pour une raison simple, notée très tôt par Ronald Coase, qui a sans cesse rappelé de-
puis ce point essentiel (Coase, 2001): les transactions se situent au cœur de l'activité
économique. En effet, sans dispositifs efficaces pour assurer les transactions, on ne peut ti-
rer parti des avantages de la division du travail, et l'organisation de la production qui résulte
de celle-ci perdrait tout son sens. Par transaction, j'entends, dans la lignée de Williamson
(1985, p.l), les transferts de droits d'usage entre unités technologiquement séparables.
L'idée de "droits d'usage", que j'injecte ici dans la définition de Williamson, m'apparaît par-
ticulièrement importante. Le transfert de droits de propriété n'en est en effet qu'un aspect,
essentiel bien entendu, pour comprendre les mécanismes des marchés. Mais l'entreprise in-
tégrée organise aussi des transactions en son sein, ce que Demsetz (1991) préfère appeler
des transferts de "droits administratifs". Par ailleurs, à un niveau plus général, il existe des
modalités sociales de transfert de droits autres que les droits de propriété, par exemple lors-
qu'une société organise systématiquement des transferts de droits collectifs. Ainsi, la défini-
tion que je viens de proposer a le mérite d'une grande généralité, tout en pouvant devenir
spécifique en fonction des objets étudiés. Elle combine abstraction et précision, ce qui est ce
qu'on attend du concept clé d'une théorie.
Or, l'idée même de dispositifs indispensables à l'organisation de ces transferts de droits
entraîne aussitôt une conséquence majeure. S'il existe des dispositifs alternatifs, alors ces
dispositifs ont des coûts relatifs qu'il est possible de comparer. L'accent ainsi mis sur les
coûts s'explique par le fait que je privilégie ici une approche d'économiste. J'insiste sur ce
point en raison de l'importance de la diffusion des thèses néo- institutionnelles dans de nom-
breuses autres sciences sociales, en particulier en sciences politiques, en histoire économi-
que, et en théorie du management. Bien que je fasse parfois référence à certains de ces
développements, le rapide survol que je propose ici s'en tient pour l'essentiel aux travaux en
économie.
L'article s'organise en trois grandes parties. La section deux revient sur les principaux
concepts utilisés et les conséquences qui en résultent dans la définition des objets de recher-
che du programme néo-institutionnel. La section trois discute des problèmes de méthodes,
qui ont donné lieu à des attaques du programme néo-institutionnel par un certain nombre
d'économistes, "orthodoxes" comme "hétérodoxes". Enfm la quatrième section fait état de
façon très sommaire de certains résultats que je considère comme particulièrement impor-
tants, et soulève des questions dont on peut penser qu'elles nourriront les développements de
l'approche néo- institutionnelle dans les années qui viennent. On en tirera enfin un certain
nombre de conclusions.
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L'approche néo-institutionnelle
2. LES CONCEPTS CLES DE L'ECONOMIE NEO-INSTITUTIONNELLE
Il est certes un peu lourd de commencer l'exposé des apports d'une théorie par des défi-
nitions. Mais comme il s'agit aussi de positionner ici l'approche néo-institutionnelle par rap-
port à des paradigmes alternatifs, en partie complémentaires et en partie concurrentiels,
l'exercice se révèle presque inévitable. Une partie de ce qui distingue différentes approches
des institutions tient en effet à l'objet que ces approches se donnent.
2.1. Point de départ
En première approximation, on peut adopter la distinction assez simple, et désormais
classique, proposée par Lance Davis et Douglass North (1971, pp. 6-7) et développée plus
finement par North en 1990, entre environnement institutionnel et arrangements institution-
nels. L'environnement renvoie aux règles du jeu, règles politiques, sociales, légales, qui dé-
limitent et soutiennent l'activité transactionnelle des acteurs, alors que les arrangements
renvoient aux modes d'utilisation de ces règles par les acteurs, ou, plus exactement, aux mo-
des d'organisation des transactions dans le cadre de ces règles. Coase, dans sa Conférence de
Prix Nobel, a donné un contenu beaucoup plus précis et satisfaisant, me semble-t-il, à ces
arrangements, en parlant de "structures institutionnelles de la production" (Coase, 1991).
Or, il faut noter que la distinction ainsi proposée a progressivement induit deux volets du
programme de recherche néo- institutionnel. Un premier volet, plutôt global, explore la na-
ture et le rôle des institutions en mettant en relief leur dimension historique (North, 1981;
Greif: 1998 ; Aoki, 2001). Sur ce versant, les concepts d'enforceability (ex-ante) et d'enfor-
cement (ex-post) jouent un rôle clé3 : sous l'angle économique, un environnement institu-
tionnel ne se caractérise pas seulement par la production de règles et/ou de normes (d'où le
problème des types de règles), mais aussi et surtout par la production de dispositifs destinés
à la mise en œuvre de ces règles et par leur mise en œuvre effective. L'analyse de ces dispo-
sitifs est une pièce maîtresse du programme néo- institutionnel.
Un deuxième volet est de nature plutôt microéconomique. Il est sans doute le mieux
connu des économistes, et porte sur l'étude des modes d'organisation des transactions, des
arbitrages entre ces modes, et de leur efficacité comparée, avec une forte dimension analyti-
que4. Le concept de contrat incomplet y joue un rôle essentiel, pour au moins deux raisons
distinctes.
D'abord, le recours à l'idée que les contrats jouent un rôle structurant dans l'organisation
des transactions permet de traduire de façon précise la dimension relationnelle inhérente au
concept même de transaction. Ensuite, l'idée que pratiquement tous les contrats sont incom-
plets conduit naturellement à l'exigence d'une analyse approfondie des dispositifs de coordi-
3 Il n'existe pas de traduction satisfaisante de ces termes en français. On utilise règle générale le terme
d'exécutoire, qui ne rend que partiellement compte de la réalité du concept anglais, et qui laisse échapper la
distinction entre ex-ante et ex-post notée ci-haut.
4. Pour des synthèses, voir Williamson, 1985 ; Joskow, 1988 ; Crocker et Masten, 199X ; Klein et Shelans-
ki, 1995, Rindfleisch et Heide, 1997.
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nation complémentaires aux accords contractuels (même implicites), par exemple les formes
que prend le "commandement" dans la création et l'allocation des ressources.
2.2. Retour sur le concept d'institution.
Revenons donc sur le concept d'institution qui sous-tend le déploiement de l'analyse
dans les directions qu'on vient d'indiquer. Il n'y a pas, on le sait, de définition universelle-
ment acceptée de ce qu'est une institution et de ce que sont les institutions. Dans un sens très
restrictif, minimaliste, une institution peut être vue comme toute convention entre deux
agents. Pour beaucoup, l'institution est un équilibre entre stratégies des agents participants à
un "jeu" (au sens de la théorie des jeux, bien sûr). Aoki a récemment poussé très loin l'ana-
lyse en ce sens (Aoki, 2001). D'autres encore mettent l'accent sur le fait que l'institution a
trait aux règles mêmes qui régissent le jeu, des sortes de méta-conventions, en somme. Sui-
vant en cela les pistes indiquées par North (1990), je voudrais proposer une défmition plus
précise, qui a pour intérêt principal de mieux délimiter le champ de l'analyse et, par là, de
mieux éclairer le programme de recherche néo-institutionnel. Par institution, j'entends donc
un ensemble de règles durables, stables, abstraites et impersonnelles, cristallisées dans des
lois, des traditions ou des coutumes, et encastrées dans des dispositifs qui implantent et met-
tent en œuvre, par le consentement et/ou la contrainte, des modes d'organisation des tran-
sactions.
Cette défmition implique un certain nombre de points sur lesquels je voudrais insister.
L,epremier est que stabilité et durabilité sont essentielles à l'identification et la caractéri-
sation des règles du jeu qui "signent" une institution. La Nouvelle Economie Institutionnelle
fait l'hypothèse qu'il y a une variabilité très faible des institutions au cours du temps, en par-
ticulier par rapport aux modes de gouvernance (ou modes organisationnels). Une consé-
quence importante s'en déduit aussitôt: il y a différenciation forte des horizons temporels de
l'analyse. Williamson a ainsi proposé de penser les institutions en termes séculaires, alors
que les arrangements organisationnels sont essentiellement intra-séculaires (Williamson,
2001).
Deuxième point, ces règles du jeu sont abstraites et impersonnelles au sens elles
transcendent non seulement les individus, mais aussi les organisations. Elles les transcen-
dent en ceci qu'elles sont perçues comme non arbitraires, s'imposant de façon non discré-
tionnaires à toute une classe d'agents ou d'entités bien définies (Hurwicz, 1987). Une règle
qui varie au gré des individus auxquels elle s'applique ne peut prendre appui sur des disposi-
tifs stables et elle se heurte très vite aux problèmes de sa mise en œuvre. Les règles et
contraintes taillées sur mesure ne sont pas interprétées par les agents auxquels elles s'appli-
quent comme des institutions, mais, selon les cas, comme des privilèges arbitrairement attri-
bués à certains ou comme des mesures coercitives et injustes. De cette tension résulte sans
doute un des éléments clés de la dynamique des institutions.
Enfin, les institutions ont un caractère normatif. Elles n'existent que par les dispositifs
qui définissent "l'ensemble limité des alternatives acceptées à un moment donné dans une
société" (North, 1986). De ce point de vue, les institutions ont une double face, dont résulte
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