l`approche néo-institutionnelle : des concepts

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L'APPROCHE NÉO-INSTITUTIONNELLE : DES CONCEPTS, UNE
MÉTHODE, DES RÉSULTATS
Claude Ménard
L'Harmattan | Cahiers d'économie Politique / Papers in Political Economy
2003/1 - n° 44
pages 103 à 118
ISSN 0154-8344
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Ménard Claude, « L'approche néo-institutionnelle : des concepts, une méthode, des résultats »,
Cahiers d'économie Politique / Papers in Political Economy, 2003/1 n° 44, p. 103-118.
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L'APPROCHE
NÉO-INSTITUTIONNELLE
: DES CONCEPTS,
UNE MÉTHODE, DES RÉSULTATS!
Claude MÉNARD2
Résumé: L'approche néo-institutionnelle, qui a connu des développements considérables au cours des
vingt dernières années, constitue un "programme de recherche progressif'. Ce programme repose sur
un noyau dur de concepts s'appliquant à des objets bien identifiés, les modes de gouvernance, l'environnement institutionnel où ils trouvent racine, et l'interaction qui les anime. Les coûts de transaction
jouent un rôle clé dans ce dispositif. L'article examine pourquoi il en est ainsi, aborde des points
controversés, et fait état d'un certain nombre de percées récentes de cette théorie en économie, mais
aussi en histoire et en sciences politiques.
Classification JEL: B500, D200, D700, K200, P500
1. INTRODUCTION
Comme l'indique son nom même, l'approche néo-institutionnelle s'est constituée et s'articule autour de la question des institutions. La proposition centrale développée dans les pages qui suivent peut se résumer à ceci: le programme néo-institutionnel est, eu égard à cette
question, un "programme de recherche progressif" au sens de Lakatos (1976), doté d'un
noyau dur de concepts portant sur des objets spécifiques et bien identifiés, et dont le domaine d'application s'approfondit par rapport aux questions initialement posées tout en
s'étendant rapidement à de nouvelles questions (Canguilhem, 1968, Introduction).
1. Je tiens à remercier les participants au Colloque "Qu'a-t-on appris sur les institutions" et à des séminaires
donnés à l'Ecole Normale Supérieure, à l'Université de Sceaux, et à l'Université Erasmus (Rotterdam) pour
leurs commentaires sur une première version. Je voudrais mentionner en particulier Bertrand Bellon, Christian Bessy, Joelle Farchy, Maarten Janssen, Philippe Mongin, Isabelle This-Saint Jean, et Bernard Walliser
pour la précision et l'utilité de leurs remarques. Je reste bien entendu seul responsable des erreurs et opinions émises dans ce texte.
2. Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), ATOM, mé[email protected].
Cahiers d'économie politique, n° 44, L'Harmattan,
2003.
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Abstract: The New Institutional Perspective: Concepts, Methods, Results
New Institutional Economics has developed considerably over the last twenty years, qualifying as a
"progressive research program". This program is based on a hard core of concepts that apply to well
identify objects: the alternative modes for organizing transactions, the institutional environment in
which they ~rc embedded, and the interaction between these dimensions. Transaction costs playa major role in this approach. This paper examines why it is so, it deals with several controversial issues,
and it provides examples of recent breakthroughs in economic's, but also in history and in political sciences.
Claude Ménard
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Pourquoi, demandera-t-on, mettre l'accent d'entrée de jeu sur l'approche transactionnelle? Pour une raison simple, notée très tôt par Ronald Coase, qui a sans cesse rappelé depuis ce point essentiel (Coase, 2001): les transactions se situent au cœur de l'activité
économique. En effet, sans dispositifs efficaces pour assurer les transactions, on ne peut tirer parti des avantages de la division du travail, et l'organisation de la production qui résulte
de celle-ci perdrait tout son sens. Par transaction, j'entends, dans la lignée de Williamson
(1985, p.l), les transferts de droits d'usage entre unités technologiquement séparables.
L'idée de "droits d'usage", que j'injecte ici dans la définition de Williamson, m'apparaît particulièrement importante. Le transfert de droits de propriété n'en est en effet qu'un aspect,
essentiel bien entendu, pour comprendre les mécanismes des marchés. Mais l'entreprise intégrée organise aussi des transactions en son sein, ce que Demsetz (1991) préfère appeler
des transferts de "droits administratifs". Par ailleurs, à un niveau plus général, il existe des
modalités sociales de transfert de droits autres que les droits de propriété, par exemple lorsqu'une société organise systématiquement des transferts de droits collectifs. Ainsi, la définition que je viens de proposer a le mérite d'une grande généralité, tout en pouvant devenir
spécifique en fonction des objets étudiés. Elle combine abstraction et précision, ce qui est ce
qu'on attend du concept clé d'une théorie.
Or, l'idée même de dispositifs indispensables à l'organisation de ces transferts de droits
entraîne aussitôt une conséquence majeure. S'il existe des dispositifs alternatifs, alors ces
dispositifs ont des coûts relatifs qu'il est possible de comparer. L'accent ainsi mis sur les
coûts s'explique par le fait que je privilégie ici une approche d'économiste. J'insiste sur ce
point en raison de l'importance de la diffusion des thèses néo- institutionnelles dans de nombreuses autres sciences sociales, en particulier en sciences politiques, en histoire économique, et en théorie du management. Bien que je fasse parfois référence à certains de ces
développements, le rapide survol que je propose ici s'en tient pour l'essentiel aux travaux en
économie.
L'article s'organise en trois grandes parties. La section deux revient sur les principaux
concepts utilisés et les conséquences qui en résultent dans la définition des objets de recherche du programme néo-institutionnel. La section trois discute des problèmes de méthodes,
qui ont donné lieu à des attaques du programme néo-institutionnel par un certain nombre
d'économistes, "orthodoxes" comme "hétérodoxes". Enfm la quatrième section fait état de
façon très sommaire de certains résultats que je considère comme particulièrement importants, et soulève des questions dont on peut penser qu'elles nourriront les développements de
l'approche néo- institutionnelle dans les années qui viennent. On en tirera enfin un certain
nombre de conclusions.
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La proposition corollaire, et je vais bien entendu m'efforcer de justifier ces propositions,
consiste à soutenir que sous l'aspect apparemment un peu éclaté de ce programme de recherche, se profile un élément unificateur puissant, l'approche en termes de coûts de transaction.
L'approche
néo-institutionnelle
2. LES CONCEPTS CLES DE L'ECONOMIE
NEO-INSTITUTIONNELLE
Il est certes un peu lourd de commencer l'exposé des apports d'une théorie par des définitions. Mais comme il s'agit aussi de positionner ici l'approche néo-institutionnelle par rapport à des paradigmes alternatifs, en partie complémentaires et en partie concurrentiels,
l'exercice se révèle presque inévitable. Une partie de ce qui distingue différentes approches
des institutions tient en effet à l'objet que ces approches se donnent.
2.1. Point de départ
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Or, il faut noter que la distinction ainsi proposée a progressivement induit deux volets du
programme de recherche néo- institutionnel. Un premier volet, plutôt global, explore la nature et le rôle des institutions en mettant en relief leur dimension historique (North, 1981;
Greif: 1998 ; Aoki, 2001). Sur ce versant, les concepts d'enforceability (ex-ante) et d'enforcement (ex-post) jouent un rôle clé3 : sous l'angle économique, un environnement institutionnel ne se caractérise pas seulement par la production de règles et/ou de normes (d'où le
problème des types de règles), mais aussi et surtout par la production de dispositifs destinés
à la mise en œuvre de ces règles et par leur mise en œuvre effective. L'analyse de ces dispositifs est une pièce maîtresse du programme néo- institutionnel.
Un deuxième volet est de nature plutôt microéconomique. Il est sans doute le mieux
connu des économistes, et porte sur l'étude des modes d'organisation des transactions, des
arbitrages entre ces modes, et de leur efficacité comparée, avec une forte dimension analytique4. Le concept de contrat incomplet y joue un rôle essentiel, pour au moins deux raisons
distinctes.
D'abord, le recours à l'idée que les contrats jouent un rôle structurant dans l'organisation
des transactions permet de traduire de façon précise la dimension relationnelle inhérente au
concept même de transaction. Ensuite, l'idée que pratiquement tous les contrats sont incomplets conduit naturellement à l'exigence d'une analyse approfondie des dispositifs de coordi3 Il n'existe pas de traduction satisfaisante de ces termes en français. On utilise règle générale le terme
d'exécutoire, qui ne rend que partiellement compte de la réalité du concept anglais, et qui laisse échapper la
distinction entre ex-ante et ex-post notée ci-haut.
4. Pour des synthèses, voir Williamson, 1985 ; Joskow, 1988 ; Crocker et Masten, 199X ; Klein et Shelanski, 1995, Rindfleisch et Heide, 1997.
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En première approximation, on peut adopter la distinction assez simple, et désormais
classique, proposée par Lance Davis et Douglass North (1971, pp. 6-7) et développée plus
finement par North en 1990, entre environnement institutionnel et arrangements institutionnels. L'environnement renvoie aux règles du jeu, règles politiques, sociales, légales, qui délimitent et soutiennent l'activité transactionnelle des acteurs, alors que les arrangements
renvoient aux modes d'utilisation de ces règles par les acteurs, ou, plus exactement, aux modes d'organisation des transactions dans le cadre de ces règles. Coase, dans sa Conférence de
Prix Nobel, a donné un contenu beaucoup plus précis et satisfaisant, me semble-t-il, à ces
arrangements, en parlant de "structures institutionnelles de la production" (Coase, 1991).
Claude Ménard
nation complémentaires aux accords contractuels (même implicites), par exemple les formes
que prend le "commandement" dans la création et l'allocation des ressources.
2.2. Retour sur le concept d'institution.
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Cette défmition implique un certain nombre de points sur lesquels je voudrais insister.
L,epremier est que stabilité et durabilité sont essentielles à l'identification et la caractérisation des règles du jeu qui "signent" une institution. La Nouvelle Economie Institutionnelle
fait l'hypothèse qu'il y a une variabilité très faible des institutions au cours du temps, en particulier par rapport aux modes de gouvernance (ou modes organisationnels). Une conséquence importante s'en déduit aussitôt: il y a différenciation forte des horizons temporels de
l'analyse. Williamson a ainsi proposé de penser les institutions en termes séculaires, alors
que les arrangements organisationnels sont essentiellement intra-séculaires (Williamson,
2001).
Deuxième point, ces règles du jeu sont abstraites et impersonnelles au sens où elles
transcendent non seulement les individus, mais aussi les organisations. Elles les transcendent en ceci qu'elles sont perçues comme non arbitraires, s'imposant de façon non discrétionnaires à toute une classe d'agents ou d'entités bien définies (Hurwicz, 1987). Une règle
qui varie au gré des individus auxquels elle s'applique ne peut prendre appui sur des dispositifs stables et elle se heurte très vite aux problèmes de sa mise en œuvre. Les règles et
contraintes taillées sur mesure ne sont pas interprétées par les agents auxquels elles s'appliquent comme des institutions, mais, selon les cas, comme des privilèges arbitrairement attribués à certains ou comme des mesures coercitives et injustes. De cette tension résulte sans
doute un des éléments clés de la dynamique des institutions.
Enfin, les institutions ont un caractère normatif. Elles n'existent que par les dispositifs
qui définissent "l'ensemble limité des alternatives acceptées à un moment donné dans une
société" (North, 1986). De ce point de vue, les institutions ont une double face, dont résulte
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Revenons donc sur le concept d'institution qui sous-tend le déploiement de l'analyse
dans les directions qu'on vient d'indiquer. Il n'y a pas, on le sait, de définition universellement acceptée de ce qu'est une institution et de ce que sont les institutions. Dans un sens très
restrictif, minimaliste, une institution peut être vue comme toute convention entre deux
agents. Pour beaucoup, l'institution est un équilibre entre stratégies des agents participants à
un "jeu" (au sens de la théorie des jeux, bien sûr). Aoki a récemment poussé très loin l'analyse en ce sens (Aoki, 2001). D'autres encore mettent l'accent sur le fait que l'institution a
trait aux règles mêmes qui régissent le jeu, des sortes de méta-conventions, en somme. Suivant en cela les pistes indiquées par North (1990), je voudrais proposer une défmition plus
précise, qui a pour intérêt principal de mieux délimiter le champ de l'analyse et, par là, de
mieux éclairer le programme de recherche néo-institutionnel. Par institution, j'entends donc
un ensemble de règles durables, stables, abstraites et impersonnelles, cristallisées dans des
lois, des traditions ou des coutumes, et encastrées dans des dispositifs qui implantent et mettent en œuvre, par le consentement et/ou la contrainte, des modes d'organisation des transactions.
L'approche
néo-institutionnelle
un apparent paradoxe. D'un côté, elles restreignent nécessairement et considérablement le
domaine d'action des agents individuels, et requièrent de ce fait des mécanismes d'enforcement. De l'autre côté, elles permettent le développement de l'activité transactionnelle.
L'analyse des dispositifs destinés à rendre effectives les règles requises par cette activité
constitue une composante essentielle de l'analyse néo-institutionnelle et explique le rôle que
des auteurs comme Coase ont pu tenir dans l'essor des programmes de "droit et économie".
J'ai proposé ailleurs de qualifier ces dispositifs spécifiques de "micro-institutions".
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Une question très intéressante dérive assez naturellement de la définition que j'ai proposée ci-haut, et cette question tend à prendre une place non négligeable dans la littérature récente : peut-on parler d'institutions privées? La réponse néo-institutionnelle est "oui", et des
exemples en ont été donnés et analysés (voir la série d'articles de North et al. sur la "Law
Merchant", par exemple, Milgrom, North et Weingast 1989)
2.3. De quelques conséquences de la conception néo-institutionnaliste
des institutions.
L'examen de la conception des institutions auquel je viens de me livrer, et qui ne touche
bien entendu qu'une partie des problèmes posés, me conduit à apporter des précisions sur
quelques aspects que je considère comme cruciaux pour des recherches futures.
D'abord, en quoi le concept de transaction joue-t-il un rôle dans la défmition proposée?
Il est en réalité central car en tant qu'économistes opérant dans le cadre de cette conception
on s'intéresse en priorité aux institutions et aux dispositifs d'accompagnement (les "microinstitutions") qui vont faciliter les transactions et réduire leurs coûts. Qr, le point clé de
ces dispositifs, c'est à la fois l'enforceability, ou la capacité d'implémenter ex-ante des règles
et des procédures de mise en œuvre réalisables, et l'enforcement, ou les dispositifs nécessaires pour rendre ces règles opérationnelles ex-post, de manière à sécuriser les transactions
des agents. Ainsi, l'adoption d'une règle de droit sur la protection des marques doit prévoir
la possibilité de recours aux tribunaux, mais n'aurait pas de pertinence sans la mise en place
d'appareils administratif et judiciaire adéquats (pour des illustrations, voir Ménard, 1996 ;
Ménard et Valceschini, 1999).
Ensuite, peut-on parler d'institutions efficaces? Je sais que je vais susciter beaucoup de
désaccords sur ce point, mais je vais défendre l'idée que "QUI", au sens où il y a efficacité
comparative. Certaines institutions sont plus favorables que d'autres au développement d'un
volume important de transactions, d'où la possibilité de mieux tirer parti de la division du
travail; et à la réduction du coût des transactions, d'où la possibilité d'une accumulation plus
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L'analyse de ces micro-institutions, par exemple les instances de "régulation" par rapport
aux lois générales qui les cadrent, me paraît être un champ de recherche prioritaire. Mais,
d'un autre côté, les institutions peuvent élargir le domaine d'action des agents en sécurisant
leurs transactions. De nombreuses études de North (résumées dans son ouvrage de 1981),
mais aussi d'Alston et Libecap (1996) sur les droits de propriété illustrent ce point. Les péripéties de la transition vers le marché des économies centralement planifiées constituent une
expérience in vito, et douloureuse, de ce rôle clé des institutions.
Claude Ménard
forte. Qu'on pense, par exemple, aux règles et dispositifs régissant le transfert des droits de
propriété dans l'immobilier, et à leur différence entre pays. L'hypothèse qu'on fait, et qui
peut être étayée par des études comparatives, est donc qu'il existe des institutions porteuses
de facilités transactionnelles et qui par là permettent de tirer un meilleur parti de la division
du travail. Alston propose de qualifier ces institutions de "growth enhancing", ce qui est
peut-être une qualification plus adéquate que le terme "efficace". En tout état de cause,
l'idée centrale, que North (1971, 1981) a très tôt mis de l'avant et que Greif (1993,1998) a
récemment développée sur des exemples très précis, reste la même: il existe des dispositifs
institutionnels qui, dans la durée, ont des effets dynamisant plus importants que d'autres.
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D'autre part, le critère d'efficacité ne dit rien sur la stabilité des institutions: des institutions parfaitement inefficaces en ce qu'elles empêchent l'essor des transactions ou accroissent sérieusement leurs coûts, peuvent en effet rester en place très, très longtemps (Greif,
1998).
2.4. Quid des arrangements
institutionnels?
On aura remarqué que dans tout ce qui précède, j'ai peu parlé de l'autre volet du programme de recherche néo-institutionnel, plus micro-analytique, qui concerne ce que Davis
et North (1971) appelaient les" arrangements institutionnels" et qui a engendré toute la littérature récente sur les modes de gouvernance (Williamson, 1996). Je m'abstiendrai de développer cet aspect, de manière à centrer l'attention, dans l'espace imparti, sur la question
cruciale posée, qui porte sur les institutions au sens général. On doit pourtant garder présent
à l'esprit que, dans l'approche développée ici, les modes d'organisation ont nécessairement
un enracinement institutionnel6. Je reviendrai brièvement sur certains aspects de cette question dans la dernière section ("Résultats"), ne serait ce qu'en raison de la nécessité d'éclairer
l'interaction entre l'environnement institutionnel et ces modes organisationnels, un point où
l'approche néo-institutionnelle a aussi progressé significativement.
5. Je pense, par exemple, aux travaux de Ferejohn, McCubbins, Weingast en sciences politiques, de Engerman, Nye, Sokoloff en histoire.
6. Pour des développements sur ce point, voir Ménard (1995).
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Enfin, dernière remarque, cela ne veut pas dire que le critère d'efficacité des institutions
soit le seul à prendre en compte. D'une part, on retrouve ici le vieux clivage entre "efficacité" et "équité". La réduction des coûts de transaction et l'accroissement en volume et même
éventuellement en qualité des transactions qu'elle permet, peuvent fort bien s'accompagner
d'une amplification dévastatrice des inégalités, ou d'effets induits catastrophiques pour l'environnement. Un certain nombre de politologues et d'historiens ont commencé à utiliser le
concept de transactions pour analyser les arbitrages qui se font entre efficacité et équité au
plan politique ou pour expliquer des bifurcations historiques majeures5.
L'approche
néo-institutionnelle
3. METHODE.
Une des difficultés majeures sur laquelle bute l'analyse économique lorsqu'elle aborde
les institutions a trait à des problèmes de méthodes. La question se pose en effet de savoir si
la boîte à outils classique de l'économiste est adéquate à cet objet. La réponse est complexe
parce que les outils techniques et les hypothèses sous-jacentes s'emboîtent inextricablement.
Il est hors de question de m'étendre longuement ici sur les problèmes de méthode posés
par (et auxquels se heurte) le programme néo-institutionneI7. Mais je crois essentiel d'en
dire quelques mots parce qu'une bonne partie des critiques des "hétérodoxes" comme des
"orthodoxes" à l'égard de ce programme de recherche se cristallise là-dessus.
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En un sens, l'économie néo-institutionnelle ne présente aucune originalité méthodologique concernant sa démarche de recherche. Elle se soumet à la logique classique révélée par
l'histoire des sciences, y compris des sciences sociales. En effet, elle entend prendre appui
(1) sur une théorie, c'est-à-dire un ensemble de questions bien circonscrites et de concepts
construits pour analyser ces questions; (2) sur des modèles élaborés à partir de ces
concepts, mobilisant les instruments analytiques qui permettent de générer des propositions
testables sur des classes de phénomènes bien délimités; et (3) sur des tests effectivement
destinés à confronter ces propositions à des données, soit par l'intermédiaire de la mesure (y
compris des tests économétriques), soit par le recours à des simulations, abstraites (théorie
des jeux) ou appliquées (expérimentation).
On relèvera pourtant une première différence, qui est aussi source de difficultés majeures tant dans les relations avec l'approche standard qu'à l'intérieur du programme de recherche lui-même. Les visées modélisatrices mentionnées ci-dessus s'accompagnent en effet
d'une exigence de "plausibilité" concernant les hypothèses sous-jacentes. Ceci conduit assez
systématiquement les auteurs néo- institutionnels à retenir deux hypothèses clés: l'hypothèse
de rationalité limitée et l'hypothèse de comportement opportuniste. La première heurte la
sensibilité "néo-classique" dans la mesure où elle conduit à questionner le postulat de
maximisation, ce qui rendrait moins féconde, sinon impossible, l'utilisation des outils qui s'y
attachent. La deuxième gêne fort les auteurs "hétérodoxes", qui y voient une continuation de
l'idée que les agents sont essentiellement calculateurs, ce qui en ferait des êtres "a-sociables"
et donc des abstractions peu pertinentes pour l'analyse des phénomènes sociaux réels. Je ne
prétends pas avoir de réponse satisfaisante par rapport à ces deux "gênes". Je constate simplement que ces difficultés n'ont pas empêché le programme de recherche de progresser rapidement, ainsi que j'essaierai de le montrer dans la section suivante. Et je pense que nous
pouvons aussi nous inspirer de l'histoire des sciences pour nourrir une certaine confiance:
règle générale, lorsqu'une question pertinente est posée, elle fmit par engendrer les outils
d'analyse adéquats.
7. Pour une approche un peu plus détaillée, voir Ménard, 2001. On trouvera aussi des remarques très intéressantes, quoique d'un point de vue totalement différent, dans Laffont 1999.
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3.1. Une méthode "standard"...
Claude Ménard
3.2. .. .mais qui mobilise aussi des éléments originaux.
On peut trouver trace de cette exigence de méthodes nouvelles, d'exploration à l'aide de
techniques non conventionnelles, dans au moins deux directions. Or, la prise en compte de
celles-ci me parait indispensable si on veut comprendre les progrès réalisés dans l'analyse
des institutions et si on veut aller plus loin sur ces thèmes.
La première direction est celle de l'analyse comparative. On ne peut procéder à l'analyse
des institutions de façon purement axiomatique. L'identification même des règles du jeu et
l'étude de leur fonctionnement, de leur impact sur les performances des modes organisationnels et, plus généralement, sur la dynamique des organisations, supposent de baliser le terrain de recherche par des points de comparaison. Comparaison ne signifie pas description.
Les études comparatives menées par les néo- institutionnalistes sont guidées par une théorie,
l'approche transactionnelle. Dans l'état actuel des recherches, de nombreux travaux8 ont recours à un mixte d'analyses qualitatives et de modèles théoriques assez "locaux", destinés à
rendre compte de l'émergence et du fonctionnement de certaines règles.
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De même, Avner Greif dévelope toute une série de modèles destinés à rendre compte
des dispositifs d' "enforcement" et de leur place dans le développement du commerce méditerranéen aux Il e, 12e et 13e siècles. Dans un autre registre, on peut citer les travaux de
McCubbins, Weingast, etc. sur l'impact des règles politiques d'un système fédératif par rapport à un système centralisé dans la mise en place d'un ordre transactionnel.
Une deuxième direction concerne le recours aux études de cas, si controversé par nombre d'économistes du "mainstream". Les études de cas jouent un rôle particulièrement important dans la mise au jour et l'analyse des règles générales du jeu, mais aussi dans l'étude
arrangements institutionnels ou modes d'organisation (un exemple emblématique est celui
de l'absorption de Fisher Body par General Motors. Voir le numéro spécial du Journal of
Law and Economies, avriI2001). La plupart des auteurs oeuvrant dans le domaine néoinstitutionnel ne me paraissent pas souffrir de l'allergie assez répandue chez les économistes,
pour des raisons obscures, à l'égard d'études de "cas" servant de point d'appui pour le développement théorique. La raison en est peut-être dans un malentendu. Si on entend par étude
de cas les monographies descriptives, alors les néo- institutionnels partagent le scepticisme
des économistes conventionnels. Mais, peut-on qualifier de "monographique" l'étude de la
manufacture d'épingle, qui sert à construire le concept de division du travail; ou l'étude
d'une équipe de baseball, qui permet de produire la théorie du tournoi; ou l'analyse de la
franchise de la télévision par câble à Oakland, qui conduit à une interprétation profondément nouvelle de l'arbitrage entre modes d'organisation? Dans ce cas, il faudrait dédaigner
une bonne partie des développements théoriques en économie.
8. Des précisions et les références sont fournies dans la section suivante.
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Un cas typique me semble celui du modèle développé par Milgrom-North-Weingast
pour rendre compte de la nature et du rôle de la "Law Merchant" dans les foires du Moyen
Age.
L'approche
néo-institutionnelle
4. RESULTATS
Le fond conceptuel et les problèmes méthodologiques étant ainsi posés, de quels acquis,
provisoires bien sûr, peut faire état le programme néo-institutionnel eu égard à l'analyse et la
compréhension de la nature et du rôle des institutions? Ici aussi, il est exclus de procéder à
un inventaire exhaustif tant la richesse des résultats accumulés est grande. Si on porte le regard sur les vingt dernières années de ce programme, le bilan paraît en effet impressionnant.
L'économie standard ne s'y trompe pas, qui y prélève de plus en plus de questions et de
résultats. Je me contenterai de rappeler ici trois directions du programme qui me paraissent
particulièrement fructueuses.
4.1. L'analyse des arrangements
ces arrangements.
(ou modes) organisationnels
et des arbitrages entre
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Le premier pour rappeler le nombre tout à fait impressionnant d'étud.es et de tests sur
l'intégration et la quasi-intégration, études fondées sur le concept d'actifs spécifiques, et, à
un degré nettement moindre, sur la variable d'incertitude entourant les transactions.
Comme l'ont dit un certain nombre d'auteurs (voir, par exemple, Joskow 1991 ; 2002), l'analyse de l'intégration est le "success story" du programme néo-institutionnel. Les concepts
mis en œuvre permettent de mieux comprendre comment se détermine le périmètre de l'entreprise, et comment se font les arbitrages entre arrangements institutionnels alternatifs. Un
certain nombre de tests comparatifs ont aussi montré que l'explication néo-institutionnelle se
révèle particulièrement "performante" par rapport à des explications alternatives (Poppo et
Zender, 1998 ; Rindfleisch et Heide, 1997 ; Whinston, 2001).
Un deuxième apport que je voudrais souligner concerne le très net essor, depuis une dizaine d'années, des études sur une classe alternative d'arrangements, les formes organisationnelles hybrides (parfois qualifiées d'arrangements institutionnels "non standards"). On
entend par là des modes de gouvemance reposant sur des accords entre entités juridiquement autonomes, mais qui mettent en commun un sous-ensemble de décisions économiques,
arrangements visant à conserver les avantages incitatifs du marché tout en mettant en place
des dispositifs de réduction des comportements opportunistes. Des exemples maintenant
classiques sont ceux des réseaux d'entreprises, de la franchise, des groupements de producteurs. Bien qu'un certain nombre de travaux lui soient antérieurs, l'article qui a véritablement
lancé ces études est celui de Williamson (1991). Cet auteur y développait l'idée restée jusque là assez intuitive d'arrangements stables se situant entre le marché et les "hiérarchies",
complexifiant ainsi considérablement le tableau qu'il avait esquissé dans son ouvrage de
1975. Un résumé des caractéristiques de ces arrangements a été proposé dans Ménard
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Un premier volet, sans doute celui qui a progressé le plus rapidement, en particulier à
partir des années 1980, concerne les "arrangements institutionnels", ou, selon la terminologie que j'ai plutôt privilégiée jusqu'ici, les modes organisationnels. Il s'agit ici du programme, désormais bien connu et reconnu, impulsé par Williamson (1975). On dispose sur
ce volet de prédictions précises et testables, donc réfutables. Je soulignerai trois points en
particulier.
Claude Ménard
(1997), et les études se multiplient depuis pour mieux connaître et comprendre les contrats
qui sous-tendent ces accords et, plus généralement, les mécanismes de coordination et d'incitation qui en assurent la pérennité (voir, par exemple, Brousseau et Glachant (ed), 2002 ;
Lafontaine et Reynaud, 2001 ; Ménard 2003).
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Ainsi, .on dispose de très peu d'études à ce jour portant sur les dispositifs internes à l'entreprise qui lui permettent d'organiser les transactions en interne de façon efficace (Gibbons,
2001), ou encore sur la façon dont la spécificité des actifs humains joue sur l'organisation du
travail et donc l'efficacité relative de l'entreprise par rapport à d'autres arrangements institutionnels. Une partie de l'explication tient dans la difficulté à obtenir des données. Mais, on
peut penser que le cadre analytique doit aussi être développé. Les préoccupations néoinstitutionnelles rejoignent là celles d'économistes plus proches du noyau central du mainstream (par exemple, Holmstrom, 1999).
4.2. L'analyse d'un certain nombre de dispositifs institutionnels et de leurs effets sur
l'organisation des transactions.
Une deuxième direction de recherche fructueuse concerne l'analyse des institutions proprement dites. Les travaux de Douglass North ont évidemment joué un rôle très important
dans le déploiement de cette dimension du programme néo- institutionnel. Mais, là aussi,
plusieurs volets sont à prendre en compte.
D'abord, des progrès ont été faits concernant l'analyse comparative des dispositifs institutionnels, permettant de mettre en relief leur rôle dans la différenciation des trajectoires de
développement en raison de leur impact sur le volume et les modalités d'organisation des
transactions. La dimension politico-juridique tient ici une place particulièrement importante,
et le concept d"'enforceability" joue un rôle clé dans ces analyses qui ont inspiré en partie le
rapport annuel de la Banque Mondiale (2001) par ailleurs décevant. Pour être plus précis, je
donnerai ici trois exemples particulièrement significatifs: (1) Le travail d'Avner Greif,
comparant les dispositifs politiques mis en place à Gènes et à Venise aux 12èmeet 13èmesiècles et conduisant à des choix organisationnels et des trajectoires de développement fortement différenciées; (2) Les travaux de Sokoloff, Engerman et Haber (2001) sur la
9. Voir, par exemple, son remarquable article de 1967 sur "Hierarchical Control and Optimum Firm Size".
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Par contre il y a un certain paradoxe sur le versant micro analytique du programme
néoinstitutionnel, et qui tient au sous-développement relatif des études portant sur les caractéristiques internes des organisations intégrées. En effet, compte tenu de l'importance accordée dès 1937 à "la nature de la flffile" par le fondateur de la mouvance néoinstitutionnelle,
Ronald Coase, et compte tenu de ce que les premières recherches de Williamson9 portaient
précisément sur les propriétés internes de l'entreprise intégrée et la façon dont elles déterminent à la fois ses avantages par rapport au marché et ses limites, on aurait pu s'attendre à un
essor rapide des travaux en ce sens. Or, les progrès dans cette direction sont encore minces,
comme l'ont souligné un certain nombre d'auteurs (voir par exemple les nombreuses contributions au Journal of Economic Perspective, AvriI1998).
L'approche
néo-institutionnelle
croissance comparée des USA et de l'Amérique Latine; ou encore (3) ceux de Lee Alston et
al. (1996) sur le rôle des droits de propriété de la terre dans la dynamique américaine (et ses
ratés ).
Ensuite, il convient de noter les travaux qui ont permis l'identification et l'analyse des
règles institutionnelles" efficaces" (ou inefficaces), au sens où elles permettent un accroissement du volume des transactions et une réduction de leurs coûts. Il faut mentionner en
particulier l'essor remarquable des études sur l'intersection entre droit et économie (en particulier le droit des contrats et les droits de propriété), qui a été largement initié et piloté par
Coase, dans le cadre de ses fonctions éditoriales pour le Journal of Law and Economics 1O.
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Il faut enfin prendre note d'un certain nombre de travaux plus formalisés, portant essentiellement sur la question de la stabilité institutionnelle, par exemple dans l'analyse des facteurs qui déterminent un équilibre institutionnel et des facteurs qui induisent le passage d'un
équilibre à un autre. Les travaux pionniers de Hurwicz (1987), sur le "design institutionnel",
qui en restaient à une conception très grossière des institutions comme système de transmission de messages, ont ainsi cédé la place à des travaux beaucoup plus précis sur les conditions de stabilité de règles du jeu bien définies, qu'elles relèvent de normes (Aoki, dans
Menard 2000 ; Aoki 2001), de règles politiques (McCubbins, 1999), ou de dispositifs sociaux cadrant l'organisation microéconomiques des transactions (Ensminger, 1992).
4.3. L'analyse des interactions entre l'environnement
organisationnels
institutionnel et les modes
Ce qui précède amène assez naturellement à faire état d'autres résultats, plus récents encore et donc largement en cours d'élaboration et d'approfondissement, portant sur la façon
dont l'environnement institutionnel interagit avec les arrangements organisationnels qui se
déploieu1tdans son cadre. Les nombreuses études néo-institutionnelles des dix dernières années sur les phénomènes de régulation/dérégulation (au sens anglais) ont permis d'avancer
sur ce point, en particulier dans trois directions.
D'abord, nous disposons dorénavant d'une bien meilleure connaissance de l'impact qu'a
le choix des règles du jeu sur la façon dont vont se déterminer les modes d'organisation des
10. On trouvera une présentation
sette (Coase, 2000).
succincte de ces apports dans la préface du juriste Yves-Marie
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Morris-
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Moins connu, en particulier en France où ces développement peu d'écho jusqu'à maintenant, mais très dynamique est le mouvement néo-institutionnel se développant à l'intersection de l'économie et des sciences politiques, par exemple sur la nature et le rôle d'un
système "fédéral", sur les avantages relatifs de son degré de centralisation, et sur son impact
dans l' "enforceability" des règles du jeu. Si une partie importante de ces études a porté sur
le système américain (Weingast, Ferejohn, McCubbins), elles sont aussi en train d'être étendues à d'autres cas de figure, par exemple le Brésil (Mueller) ou l'Argentine (Spiller et
Tommasini).
Claude Ménard
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Une deuxième série de résultats intéressants sur cet axe a trait à l'analyse de l'impact des
cadres légaux sur le choix des modes de gouvernance et sur leurs performances. Il y a
d'abord toute une série d'études portant sur la manière dont sont définis les droits de propriété et les conséquences qui en résultent dans la façon d'organiser les transactions. J'en donnerai pour exemple les travaux d'Alston, Libecap et Mueller (199) sur l'agriculture américaine
ou brésilienne, ou les travaux de Libecap et Wiggins (1985) sur l'exploitation des champs
pétrolifères. Il y a ensuite les travaux sur les lois cadrant le fonctionnement des entreprises,
par exemple les lois concernant les "corporations" et leurs conséquences sur le mode de
gouvernance (illustrés, par exemple, par Marc Roe, 2002). Il y a enfin les analyses concernant le rôle du système légal dans la définition, l'élaboration et l'exécution des contrats (on
pense ici aux travaux d'Alan Schwartz (1992), entre autres). Tous ces travaux convergent,
malgré leur diversité, en ce qu'ils mettent en lumière les règles qui articulent le droit aux
choix organisationnels.
Je voudrais terminer cette revue, non exhaustive, loin s'en faut, en mentionnant aussi une
série d:e travaux en cours de publications qui font de plus en plus apparaître le rôle central
des "micro-institutions", qui s'intercalent entre les règles du jeu globales balisant l'environnement institutionnel d'une part, et les agents, les organisations, ou les accords contractuels
qui les lient d'autre part. Des études convergentes (Levy et Spiller, 1994; Shirley (ed.),
2002 ; Ménard et Shirley, 2002) montrent en effet le rôle clé de ces dispositifs dans les
choix organisationnels qui sont faits et dans les performances observées une fois ces choix
faits. L'intérêt de ces travaux est aussi, peut-être surtout, d'identifier progressivement quelles
sont ces micro-institutions clés, de faire apparaître comment elles sont étroitement liées à
des secteurs d'activités. S'esquisse ainsi une théorie des institutions relais, articulant les règles du jeu générales aux modes effectifs d'organisation des transactions. Ce sont ces institutions relais qui, selon toute vraisemblance, font toute la différence eu égard à l'efficacité des
institutions composant l'environnement institutionnel global et qui déterminent largement
les différences de performance, expliquant pourquoi le même mode de gouvernance (parfois
la même entreprise) réussit dans un environnement et échoue dans un autre.
5. CONCLUSION
Je n'ai présenté ici qu'une partie, infnne11, des apports récents de l'analyse néoinstitutionnelle à la connaissance de ce que sont les institutions et de la façon dont elles fonctionIl. Pour une vision plus complète, on pourra se reporter à Ménard (2003) et Ménard et Shirley (2003).
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transactions, et donc sur l'arbitrage entre ces modes, ainsi que sur les performances qui vont
en résulter. Qu'on pense par exemple aux travaux de Joskow et Schmalensee (1997) sur la
façon dont ont été découpées les entreprises d'Etat en Russie, aux travaux du même Joskow
sur la déréglementation du secteur électrique (Joskow 1991b, 1998), aux études de Levy et
Spiller (1994; 199) sur la transformation institutionnelle du secteur des télécommunications, ou à celles coordonnées par Shirley (2002) dans le secteur de l'eau. Un développement intéressant concerne l'utilisation de l'économie expérimentale pour tester les
comportements de ces règles du jeu (voir par exemple, Staropoli, 2001).
L'approche
néo-institutionnelle
nent et interagissent avec les arrangements auxquels elles servent de support et de cadre.
Comme on l'a vu, il y a plutôt abondance. On en conclura, j'espère, que le programme néoinstitutionnel est effectivement "progressif', qu'il continue d'ouvrir de nouveaux chantiers,
et qu'il mérite donc discussion.
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Des problèmes majeurs subsistent évidemment, dont j'aurais sans doute dû faire davantage état. J'en mentionnerai trois qui me tiennent particulièrement à cœur. (1) Nous avons
encore très, très peu progressé sur la question de l'innovation, en particulier sur la nature et
les articulations des innovations organisationnelles et des innovations institutionnelles. (2)
Nous ne comprenons pas ou très peu les mécanismes d'encastrement des incitations dans
leur environnement organisationnel et dans la dimension institutionnelle. (3) Nous avons
très peu avancé dans la direction d'une analyse des comportements des agents qui permette
d'aller au delà des hypothèses, assez ad hoc, de rationalité limitée et dec;omportements opportunistes. En particulier, nous nous débattons toujours avec la fameuse hypothèse de rationalité. Nous partageons là, je crois, une difficulté commune à toutes les théories
économiques accordant une place centrale à l'analyse des institutions. Il en résulte un problème majeur: nous avons tendance à produire des théories locales, nous manquons, au delà
du concept de transactions qui ne peut pas tout faire, d'une théorie plus générale. En un
sens, on peut en tirer une conclusion optimiste: il y a encore de beaux jours pour la recherche sur les institutions.
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Si je devais retenir quelques points absolument centraux de ces apports, je mettrais évidemment de l'avant les concepts de transaction et de coûts de transaction, avec tout l'appareil analytique qui les entoure. Mais, j'insisterais aussi sur l'analyse qui se développe autour
des problèmes d'''enforceability'' et d"'enforcement", sur la nature et les caractéristiques des
contrats incomplets, et sur l'idée devenue centrale dans le programme néo- institutionnel
qu'il existe une variété importante de modes organisationnels alternatifs, entre lesquels se
font d'incessants arbitrages, arbitrages où jouent à la fois les règles de l'environnement institutionnel et les caractéristiques internes propres à ces modes d'organisation. Je noterais enfin
l'étude des conditions caractérisant l'efficacité et la stabilité des dispositifs institutionnels.
Claude Ménard
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BIBLIOGRAPHIE
néo-institutionnelle
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Claude Ménard
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