La Lettre du Pharmacologue - vol. 21 - nos 1-2 - janvier-juin 2007
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De la pharmacovigilance à la gestion des risques
From pharmacovigilance to risk management plans
Agnès Sommet*, Haleh Bagheri*, Jean-Louis Montastruc*
* Service de pharmacologie clinique, centre Midi-Pyrénées de pharmacovigilance, de
pharmaco- épidémiologie et d’informations sur le médicament, unité de pharmaco-
épidémiologie, EA 3696, CHU de Toulouse, faculté de médecine, 31000 Toulouse.
RÉSUMÉ
Les auteurstaillent, à travers une perspective historique,
l’évolution des concepts et thodes en pharmacovigilance.
De nos jours, la pharmacovigilance ne peut se limiter à la seule
tection de signaux ou d’alertes aps la mise sur le marc
du médicament. De sa premre fonction historique (alertes
et évaluation du lien de causalité), la pharmacovigilance a
évolué vers des activités nouvelles à forte connotation sociale et
épidémiologique : informations, quanti cation, minimisation et
prévention du risque dicamenteux. Ainsi sexplique la mise
en place des Plans de gestion des risques, nis comme une
stratégie de surveillance globale, prospective et proactive du
risque dicamenteux associée à une minimisation des risques
et adaptée à chaque problème. Le développement de cette
pharmacovigilance renforcée devrait permettre une meilleure
prévention et prise en compte du risquedicamenteux.
Mots-clés : Pharmacovigilance – E ets indésirables médi-
camenteux – Plan de gestion des risques – Pharmaco-
épidémiologie – Risque médicamenteux.
SUMMARY
Through an historical perspective, the present paper
describes evolutions in concepts and methods used in
pharmacovigilance. Today, pharmacovigilance cannot
only work to search signals or alerts after drug appro-
val. From its first historical function (detection of alert
signals and evaluation of causality link), pharmacovi-
gilance has improved to new activities with important
social and epidemiological meanings: information,
quantification, minimisation and prevention of drug
risk. Recently, risk management plans were developed
as a global, prospective, proactive and individualized
surveillance strategy of drug risk associated with risk
minimisation. Development of this “strengthened” phar-
macovigilance should allow a better prevention and
surveillance of drug risk.
Keywords: Pharmacovigilance – Adverse drug reactions –
Risk management plan – Pharmacoepidémiology – Drug
risk.
“La règle dor de la médication moderne
est de savoir proportionner le risque thérapeutique
au risque de la maladie.
Professeur Louis-Camille Soula
Professeur de physiologie à la faculté de médecine
de Toulouse, 1937
L
a pharmacovigilance est née voici près de 50 ans du souci
de quelques pharmacologues universitaires d’évaluer, à
côté du bénéfi ce, le risque inhérent à l’utilisation de tout
médicament. Limitée initialement à quelques pays (France,
Grande-Bretagne…), la pharmacovigilance s’est ensuite large-
ment développée dans l’ensemble des pays industrialisés puis,
plus récemment, dans les contrées en voie de développement.
Avec ses méthodes propres (et notamment la notifi cation spon-
tanée), la pharmacovigilance a permis, depuis ses origines, de
renforcer la sécuri de la prescription médicamenteuse. Cepen-
dant, à la suite du retrait de la cérivastatine en 2001 et, plus
récemment, du rofécoxib en 2004, il est apparu nécessaire de
renforcer cette veille pharmacologique concernant la sécurité
des médicaments.
Nous nous proposons, dans cet article, de résumer les grandes
étapes de la pharmacovigilance, depuis ses origines jusqu’à nos
jours, et de rappeler brièvement les méthodes mises au point
au cours de ces cinquante dernières années. Nous présenterons
ensuite rapidement les dernières approches méthodologiques et
réglementaires développées en termes de pharmacovigilance,
et particulièrement ce qu’il est convenu désormais dappeler les
“Plans de gestion des risques”.
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ANNÉES 1950 : LES PRÉMICES
DE LA PHARMACOVIGILANCE EN FRANCE
Dès le but des années 1950, sont apparues en France plusieurs
alertes de sécurité sanitaire concernant les médicaments. Il s’est
agi par exemple, en 1952, de la survenue d’érythèmes fessiers
graves du nourrisson, avec 73 décès, avec la poudre Baumol
(association d’essence de lavande, d’aspirine, d’acide borique et
d’oxyde de zinc et de talc). Les accidents ont été expliqués par
une erreur de fabrication, un grossiste en produits chimiques
ayant livré de l’anhydride arsénieux au lieu de l’oxyde de zinc.
En 1957, on a dénombré la survenue de 122 eff ets indésirables
neurologiques graves (avec 100cès) dus à l’accumulation
d’étain dans le système nerveux central à la suite de l’utilisation
du Stalinon
®
. On peut également citer la survenue de cas de
botulisme après utilisation, dans le cadre de l’opotrapie, encore
en vogue à cette époque, d’extraits de rate (Dermosplenine
®
,
présentée comme “modifi cateur du terrain”) ou d’occlusions
intestinales avec bézoard de médicaments après carboxymé-
thylcellulose Xylomucine
®
(1).
Ainsi, dix ans avant le thalidomide, le médicament apparais-
sait déjà comme un produit à haut risque, avec des premières
alertes de pharmacovigilance, correspondant soit à des erreurs
de fabrication, soit à des défauts de suivi de la réglementation ou
de sécurité pharmaceutique. Quelques années plus tard (1961),
on a décrit l’action tératogène du thalidomide chez l’homme (2).
Incontestablement, cet événement a conduit à une prise de
conscience conduisant à la mise en place des premiers systèmes
nationaux de pharmacovigilance.
ANNÉES 1970-1980 : LA PÉRIODE DES PIONNIERS
En France, l’installation des premiers centres hospitaliers (on
ne disait pas encore “régionaux”) de pharmacovigilance date
de n 1972, et celle du “Centre national de pharmacovigilance”
de 1973 (3). Incontestablement, c’est à l’occasion des premières
observations d’encéphalopathies aux sels de bismuth (4, 5) que
la pharmacovigilance française s’est structurée et a pris son
essor. Cet eff et indésirable “inattendu” des sels de bismuth a
d’ailleurs été le sujet de l’une des tables rondes organisées au
cours des premières Journées françaises de pharmacovigilance
à Paris-Créteil, les 24 et 25 novembre 1979 (6). De cette époque
datent les grands principes et modes de fonctionnement de
la pharmacovigilance française, avec notamment ses centres
régionaux, son Comité technique et la Commission nationale
de pharmacovigilance (3).
Cette “période des pionniers” a été marquée en France par
l’organisation de la notifi cation spontanée, méthode de base
en pharmacovigilance, permettant le suivi de tous les médi-
caments, durant toute leur vie publique, au sein de l’ensemble
de la population. Parallèlement, la France a mis en place une
des premières méthodes d’imputabilité des eff ets indésirables
médicamenteux. Cette méthode, toujours d’actualité, repose
sur trois séries de critères : chronologiques, sémiologiques et
bibliographiques (7). À l’heure ces méthodes d’imputabilité
sont discutées, il peut être utile de rappeler qu’elles reposent
toutes sur des critères de causalité largement reconnus en épidé-
miologie clinique traditionnelle. Ces critères, édictés en 1965
par Sir Bradford Hill (8) à propos des bases épidémiologiques
des causes des maladies, sont rappelés dans le tableau I.
Tableau I.
Critères de Sir Bradford Hill d’une association causale.
Force de l’association
Répétitivité de l’association
Spéci cité de l’association
Temporalité de l’association
Relation dose/e et
Plausibilité pharmacologique
Données expérimentales
Analogie
Ainsi, dès les années 1970-1980, la pharmacovigilance, et notam-
ment la pharmacovigilance française, s’est dotée des moyens
nécessaires pour assurer deux de ses principales fonctions :
détecter les eff ets indésirables et informer sur les eff ets indé-
sirables.
L’“enfance” de la pharmacovigilance a été heureuse et fructueuse.
On peut reconnaître deux explications pour cette productivité
exemplaire de la pharmacovigilance lors de cette “période des
pionniers”.
La première concerne le fait que les objectifs de l’université
(et notamment des pharmacologues universitaires) ont rejoint
ceux de l’administration (particulièrement ceux de la Direction
de la pharmacie et du médicament DPhM au ministère de la
Santé).
La seconde a trait à la structure même du marché français
du dicament à une époque on ne parlait pas de mondiali-
sation : les médicaments disponibles en France correspondaient
essentiellement, à cette époque, à des produits franco-français,
produits par une industrie essentiellement nationale, pour des
besoins essentiellement nationaux (avec même des pathologies
spécifi quement nationales, comme les “jambes lourdes”, “linsuf-
sance circulatoire cérébrale…). Ils étaient encore peu (ou mal)
évalués, tant dans leur bénéfi ce que dans leur(s) risque(s).
ANNÉES 1990 : LA PÉRIODE
DE LA PHARMACO-ÉPIDÉMIOLOGIE
Bien vite, le besoin de quantifi er le risque médicamenteux
s’est fait jour, face aux exigences de la société, des médecins et
des patients (désormais regroupés en associations). Ainsi, on
a appliqué à la pharmacovigilance les méthodes de la pharmaco-
épimiologie. Les termes d’étude de cohorte, d’étude cas-témoin
sont bientôt devenus familiers aux pharmacologues chargés
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BA
B
DC
A
ANOTIFICATION
SPONTANÉE
ÉTUDE
DE COHORTE
Sans “témoin”
CAS-TÉMOIN
et études de cohorte contrôlées
B
Événement
indésirable
Présent Absent
Médicament
présent
Médicament
absent
Médicament
présent
Médicament
absent
Médicament
présent
Médicament
absent
Présent Absent
Présent Absent
Événement
indésirable
Événement
indésirable
DC
DC
Figure 1.
Populations étudiées avec les principales méthodes
utilisées en pharmacovigilance et en pharmaco- épidémiologie
pour l’étude du risque médicamenteux.
de la pharmacovigilance. Des épidémiologistes ont travaillé
avec les pharmacovigilants pour appliquer au médicament les
méthodes de leur discipline, créant ainsi une nouvelle branche
de la pharmacologie clinique, la pharmaco-épidémiologie (9,
10). La gure 1 rappelle les diff érentes populations étudiées
lors de l’utilisation des principales grandes méthodes en phar-
macovigilance et en pharmaco-épidémiologie : la notifi cation
spontanée, des études de cohorte (sans témoin) ou des études
cas-témoin et des études de cohorte avec témoin.
Nombreux sont les faits marquants de la pharmacovigilance
durant cette “période pharmaco-épidémiologique”. On peut par
exemple rappeler l’étude IPPHS (International Pulmonary Primary
Hypertension Study), recherchant lassociation entre la prise de
médicaments anorexigènes et la survenue d’une hypertension
artérielle pulmonaire primitive (11). Cette étude reste un excellent
exemple de la complémentarité entre les méthodes de notifi cation
spontanée et celles de la pharmaco-épidémiologie. En eff et, depuis
les années 1950, plusieurs noti cations d’hypertension artérielle
pulmonaire étaient rapportées chez des patients recevant par
ailleurs des médicaments anorexigènes. Cependant, en raison
du nombre réduit et de l’incidence faible de la maladie pulmo-
naire idiopathique, la notifi cation spontae ne permettait pas de
conclure nitivement. Létude cas-témoin conduite par Lucien
Abenhaïm a mis en évidence une association entre la prise des
coupe-faim amphétaminiques et la survenue de cet eff et indé-
sirable pulmonaire (11). Elle a permis la prise de décision aux
agences réglementaires françaises puis européennes.
Cette riode pharmaco-épidémiologiquea également permis une
prise de conscience de l’importance des conquences médicales,
sociales et économiques des e ets indésirables des médicaments
(désignés à cette époque comme “iatrogénie médicamenteuse”).
Plusieurs études conduites par les Centres régionaux de pharmaco-
vigilance ont quanti é le risque médicamenteux : par exemple, celui
d’hospitalisation pour eff ets indésirables (avec leur ct aff érent)
[12] ou encore celui des morragies sous antivitamines K (13).
Ces travaux ont conduit à des campagnes dinformation sur le bon
usage des médicaments (anticoagulants par exemple).
À côté des méthodes traditionnelles de lépimiologie (cohorte,
cas-témoin) appliquées à l’évaluation du risque médicamen-
teux, la pharmacovigilance a durant cette période su développer
d’autres approches pour détecter plus précocement et/ou quan-
tifi er le risque dicamenteux (14, 15). Parmi celles-ci, une
place spéciale doit être dévolue aux études réalisées sur bases
de données permettant l’extraction de données (data mining des
Anglo-Saxons) [16]. Ces études reposent toutes sur des mesures
de disproportionnali. Ainsi, la thode cas/non-cas, appliquant
au sein d’une base de données (par exemple la Base nationale
fraaise de pharmacovigilance) la méthode cas-témoin, permet
de quantifi er l’importance de l’association entre l’eff et indési-
rable et le médicament étudié à travers le Rapport de cotes (RC)
d’exposition à ces médicaments chez les cas (patients avec l’eff et
indésirable étudié) et les non-cas (patients sans l’eff et indésirable
étudié) [15, 16]. Cette méthode nous a permis par exemple,s
2004, de montrer que l’association entre eff ets indésirables digestifs
graves” (perforations, ulcérations, saignements) et anti-in am-
matoires non stéroïdiens (AINS) concernait, non seulement les
AINS classiques, mais aussi les deux coxibs commercialisés en
France, rofécoxib et célécoxib (et cela contrairement aux données
des essais cliniques) [17].
Bien évidemment, ces analyses type cas non-cas ne peuvent être
généralisées trop facilement comme méthodes automatiques de
surveillance du signal. Il convient de les concevoir, de les analyser
et de les interpréter en fonction d’hypothèses pharmacodyna-
miques solides et étayées. Cependant, elles doivent trouver
leur place en complémentarité des autres méthodes utilisées
en pharmacovigilance. Ainsi l’analyse, par cette méthode de
disproportionnali, de la banque anglaise de pharmacovigilance
permettait, dès juillet 2003, d’émettre un signal concernant le
risque cardiovasculaire du rofécoxib (18).
D’autres méthodes originales ont été veloppées durant ces
années 1990. Parmi celles-ci, on peut citer le recours aux données
biologiques des laboratoires pour la détection et la quantifi cation
de l’incidence de certains eff ets indésirables comme les hépatites,
les atteintes musculaires ou encore les agranulocytoses d’origine
médicamenteuse (14, 15). Le croisement de chiers indépendants
et l’application de la méthode capture-recapture permet aussi
d’apprécier la fréquence d’un eff et indésirable médicamenteux,
en s’aff ranchissant par exemple de la sous-déclaration de la
notifi cation spontanée (19, 20).
Ainsi, s le milieu des années 1990, la pharmacovigilance a su
se doter de moyens variés pour réaliser trois de ses cinq missions
fondamentales (tableau II).
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Tableau II.
Les cinq missions de la pharmacovigilance.
Détecter les e ets indésirables des médicaments
Informer sur les e ets indésirables des médicaments
Évaluer, quanti er le risque médicamenteux
Minimiser le risque médicamenteux
Prévenir le risque médicamenteux
Il convient néanmoins de replacer la pharmaco-épidémiologie
dans son véritable contexte en matière de pharmacovigilance.
En eff et, la majorité des cisions prises en pharmacovigilance
reposent, à l’heure actuelle, sur les données de noti cation spon-
tanée. Nous avons étudié les méthodes ayant conduit au retrait
du marché de médicaments pour raison de pharmacovigilance au
cours des années 1998 à 2004 : durant cette période, 21 principes
actifs ont été retirés, en France, en raison d’eff ets indésirables.
Parmi ces 21 retraits, un seul a été cidé à la suite d’une étude
de pharmaco-épidémiologie (les anorexigènes après l’étude
cas-témoin IPPHS citée plus haut (11]) [20].
LA PÉRIODE CONTEMPORAINE
Celle-ci se caractérise par l’intensifi cation et la généralisation
des questions de pharmacovigilance : retraits impossibles à anti-
ciper (cérivastatine, rofécoxib…), multiplication des problèmes
en pharmacovigilance, plus médiatisés que jamais (traitement
hormonal substitutif de la ménopause [THS] et cancers du sein
et de l’endomètre, THS et cardiopathies ischémiques ou acci-
dents thromboemboliques, antidépresseurs sérotoninergiques et
risque suicidaire, neuroleptiques atypiques et décès…) mais aussi
prise en compte de l’importance sociétale et médicale d’eff ets
indésirables moins appréciés des médias mais aux conséquences
assurément plus délétères (comme les hémorragies digestives
sous AINS). Ainsi, il est apparu nécessaire, au niveau européen
comme au niveau national, de renforcer le dispositif de phar-
macovigilance : cela a conduit à la mise en place des “Plans de
gestion des risques” (PGR).
D’autres circonstances ont également accéléré la mise en place
de cette pharmacovigilance dite “renforcée”. On peut citer par
exemple la généralisation des PGR à l’ensemble des activités
industrielles (industrie automobile, aéronautique…), ou encore la
pression de la société rendant le risque de plus en plus inaccep-
table. Comme le souligne L. Abenhaïm (21), la société accepte les
risques anciens (accidents de la route, méfaits du tabac, anciens
médicaments…) même si ceux-ci sont certains et importants,
car ils sont perçus comme dépendants de l’individu, identi és et
quantifi és. À linverse, nos populations ne tolèrent pas les risques
nouveaux (grippe aviaire, nouveaux médicaments….), même
s’ils sont incertains et minimes, car ils sont ressentis comme
indépendants de l’individu, non identi és et non quantifi és (22).
Cette dualité de pharmacologie sociale est bien illustrée par le
principe de Tocqueville indiquant que : “Plus le risque est faible,
plus il devient intolérable”. Ainsi, le risque est désormais perçu
comme une incertitude (22) : la pharmacovigilance doit donc
se doter d’un système pour évaluer cette incertitude.
D’autres éléments pharmacologiques et sociologiques peuvent
expliquer la nécessité de ces nouvelles dispositions en pharmaco-
vigilance : renforcement des exigences sécuritaires dans la prise
en charge des patients, climat de suspicion vis-à-vis des activités
d’expertise et d’évaluation (avec, au contraire, une volonté de
transparence des agences) et, nalement, prise de conscience
que le risque ne dépend pas uniquement du médicament, mais
également de ses conditions de prescription et d’utilisation.
Au début des années 2000, on a veloppé deux idées
nouvelles :
il faut planifi er le(s) risque(s) médicamenteux dès le moment
de l’enregistrement ;
les activités post-AMM doivent démontrer la sécurité d’em-
ploi du nouveau médicament.
Ainsi est née la notion de PGR, stratégie de surveillance globale,
prospective et proactive, associée à une minimisation des risques
adaptés à chaque probme. Les PGR concernent désormais tout
le long de la vie du médicament. Ils sont généralement établis
au moment de l’AMM du médicament mais, peuvent, au cas
par cas, en fonction des circonstances, être mis en place après la
mise sur le marché du médicament. Ils concernent par exemple
des produits présentant des risques avérés ou potentiels ou
encore des médicaments utilisables dans des situations à risque
particulières, peu ou mal étudiées avant l’AMM (sujets très
âgés, enfants…) ou enfi n des substance aux enjeux (médicaux,
économiques, sociétaux…) particulièrement forts (23).
Les agences réglementaires (AFSSAPS, EMEA) ont établi des
règles pour la daction et la préparation par les rmes des
PGR (23-25). Ceux-ci doivent comprendre deux parties. La
partie I a trait à la description du profi l de curité d’emploi du
médicament en tenant compte de toutes les données cliniques,
mais aussi pcliniques. Cette Safety Specifi cation doit s’ac-
compagner dun “plan de pharmacovigilance” adapté à chaque
risque évoqué ou suspecté. Ce plan doit comporter les actions
spécifi ques à mettre en œuvre en fonction des circonstances.
La partie II concerne la justifi cation d’activités de minimisation
et, éventuellement, un plan de minimisation des risques (avec
les actions prévues par la fi rme pour prévenir, informersur
le risque médicamenteux).
Le plan de pharmacovigilance pourra utiliser toutes les méthodes
de la pharmacologie clinique et de la pharmaco-épidémiologie
pour la surveillance et l’évaluation du risque médicamenteux :
il s’agira non seulement, parfois, d’un essai clinique ou encore,
bien sûr, de la traditionnelle notifi cation spontanée, mais aussi,
en fonction des circonstances, de pharmacovigilance intensive ou
d’utilisation des méthodes pharmaco-épidémiologiques décrites
plus haut. Dautres méthodes innovantes doivent assurément
être développées dans l’avenir.
Cette nouvelle notion de PGR éclaire sous un jour nouveau le
rapport béné ce/risque des médicaments. Si un médicament fait
preuve au cours des essais cliniques d’un minimum de niveau
acceptable d’effi cacité pour “tous les patients” (avec un risque
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Non approuvé
Zone de gestion des risques
Approuvé
Risques
Risque
acceptable
pour certains
patients
Risque
maximal
acceptable
pour tous
les patients Ecacité
minimale
acceptable
pour certains
patients
Ecacité
minimale
acceptable
pour tous
les patients
Bénéces
Figure 2.
Plan de gestion des risques : nouvelle conception
de l’évaluation des béné ces et des risques acceptables.
Identication du risque
Prise en charge
du risque Quantication du risqueAudit
Minimisation du risque
et communication Évaluation du risque
Figure 3. Schéma du fonctionnement des plans de gestion des risques (PGR).
maximal acceptable pour “tous les patients”), on le considère
traditionnellement comme devant recevoir un avis favorable
des commissions d’AMM. La gure 2 présente cette concep-
tion nouvelle du rapport bénéfi ce/risque en tenant compte des
PGR. Elle défi nit une “zone de gestion des risques”, représen-
tant un niveau plus faible deffi cacité acceptable (pour certains
patients) et/ou un risque plus élevé (pour certains patients)
pour certains médicaments (par exemple ceux pour lesquels il
nexiste pas d’alternative acceptable) [24]. Le PGR permet ainsi
de maintenir l’accès à certains médicaments, dans certaines
conditions privilégiées et/ou pour certaines populations ou
groupes d’individus.
Ainsi, le veloppement de ces PGR doit s’envisager comme
une surveillance continue et toujours renouvelée du risque
médicamenteux. La gure 3 illustre cette nouvelle conception
de surveillance permanente, proactive et orientée des risques.
Finalement, le développement de cette pharmacovigilance
“renforcée” rejoint la quatrième mission de base de la phar-
macovigilance : minimiser les risques.
ANNÉES 2010, LE FUTUR IMMÉDIAT
La mise en place de ces “Plans de gestion des risques” ne doit être
consirée que comme une des étapes de létude et de la surveillance
des e ets insirables des médicaments. Dès maintenant, il appart
nécessaire de travailler, dans un souci évident de pharmacologie
sociale, à la prédiction du risque médicamenteux. Diverses appro-
ches ont été proposées. Parmi celles-ci, on peut citer la validation
dune échelle de mesure d’évitabili des eff ets indésirables médi-
camenteux (26). Cette approche devrait permettre une meilleure
réfl exion sur les circonstances et les mécanismes de survenue des
eff ets indésirables médicamenteux et peut-être, également, une
démarche individuelle (ou collective au sein détablissements hospi-
taliers) permettant lalioration des pratiques professionnelles.
Parmi les autres approches de prédiction du risque, on peut
citer l’application des méthodes de la pharmacogénétique à la
pharmacovigilance (27). Diverses études sont déjà en cours.
Elles permettront, assurément, de répondre à la cinquième et
ultime mission de la pharmacovigilance, la prévention du risque
médicamenteux (tableau II).
CONCLUSION
Ce bref survol souligne l’importante évolution des activités et
fonctions de la pharmacovigilance. Celle-ci ne peut se limiter à la
seule tection de signaux ou d’alertes après la mise sur le marché.
De sa première fonction historique (alertes et évaluation du lien
de causalité), la pharmacovigilance a évolué vers des activités
nouvelles à forte connotation sociale et épimiologique : infor-
mations, quanti cation, minimisation et prévention du risque. En
fait, la pharmacovigilance (“normalecomme renforcée”) appart
sormais de plus en plus indispensable. Les raisons en sont multi-
ples. Outre celles indiquées plus haut, on peut citer, le-mêle, le
développement de nombreux génériques, l’augmentation (parfois
importante) du nombre de médicaments sur une me ordon-
nance (polymédication multipliant le risque d’interactions médi-
camenteuses), le raccourcissement des lais dAMM (expliquant
le nombre de plus en plus important de données manquantes),
la mondialisation créant de vastes marchés, l’accélération de la
pression marketing pour les nouveaux médicaments (faisant
dangereusement reculer l’utilisation des médicaments anciens
bien mieux connus et bien mieux évalués), le développement
du marché de l’automédication, la publicité directe auprès des
consommateurs (dans certains pays), la création de nouvelles
maladies commerciales (disease mongering, avec sa conséquence,
la “médicamentationde la socié), la banalisation de l’usage des
médicaments avec l’accès non réglementé aux médicaments par
Internet, le développement de la contrefaçon, l’augmentation de
l’espérance de vie… (27).
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