La Lettre du Pharmacologue - vol. 21 - nos 1-2 - janvier-juin 2007
Mise au point
Mise au point
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Tableau II.
Les cinq missions de la pharmacovigilance.
❶ Détecter les e ets indésirables des médicaments
❷ Informer sur les e ets indésirables des médicaments
❸ Évaluer, quanti er le risque médicamenteux
❹ Minimiser le risque médicamenteux
❺ Prévenir le risque médicamenteux
Il convient néanmoins de replacer la pharmaco-épidémiologie
dans son véritable contexte en matière de pharmacovigilance.
En eff et, la majorité des décisions prises en pharmacovigilance
reposent, à l’heure actuelle, sur les données de notifi cation spon-
tanée. Nous avons étudié les méthodes ayant conduit au retrait
du marché de médicaments pour raison de pharmacovigilance au
cours des années 1998 à 2004 : durant cette période, 21 principes
actifs ont été retirés, en France, en raison d’eff ets indésirables.
Parmi ces 21 retraits, un seul a été décidé à la suite d’une étude
de pharmaco-épidémiologie (les anorexigènes après l’étude
cas-témoin IPPHS citée plus haut (11]) [20].
LA PÉRIODE CONTEMPORAINE
Celle-ci se caractérise par l’intensifi cation et la généralisation
des questions de pharmacovigilance : retraits impossibles à anti-
ciper (cérivastatine, rofécoxib…), multiplication des problèmes
en pharmacovigilance, plus médiatisés que jamais (traitement
hormonal substitutif de la ménopause [THS] et cancers du sein
et de l’endomètre, THS et cardiopathies ischémiques ou acci-
dents thromboemboliques, antidépresseurs sérotoninergiques et
risque suicidaire, neuroleptiques atypiques et décès…) mais aussi
prise en compte de l’importance sociétale et médicale d’eff ets
indésirables moins appréciés des médias mais aux conséquences
assurément plus délétères (comme les hémorragies digestives
sous AINS). Ainsi, il est apparu nécessaire, au niveau européen
comme au niveau national, de renforcer le dispositif de phar-
macovigilance : cela a conduit à la mise en place des “Plans de
gestion des risques” (PGR).
D’autres circonstances ont également accéléré la mise en place
de cette pharmacovigilance dite “renforcée”. On peut citer par
exemple la généralisation des PGR à l’ensemble des activités
industrielles (industrie automobile, aéronautique…), ou encore la
pression de la société rendant le risque de plus en plus inaccep-
table. Comme le souligne L. Abenhaïm (21), la société accepte les
risques anciens (accidents de la route, méfaits du tabac, anciens
médicaments…) même si ceux-ci sont certains et importants,
car ils sont perçus comme dépendants de l’individu, identifi és et
quantifi és. À l’inverse, nos populations ne tolèrent pas les risques
nouveaux (grippe aviaire, nouveaux médicaments….), même
s’ils sont incertains et minimes, car ils sont ressentis comme
indépendants de l’individu, non identifi és et non quantifi és (22).
Cette dualité de pharmacologie sociale est bien illustrée par le
principe de Tocqueville indiquant que : “Plus le risque est faible,
plus il devient intolérable”. Ainsi, le risque est désormais perçu
comme une incertitude (22) : la pharmacovigilance doit donc
se doter d’un système pour évaluer cette incertitude.
D’autres éléments pharmacologiques et sociologiques peuvent
expliquer la nécessité de ces nouvelles dispositions en pharmaco-
vigilance : renforcement des exigences sécuritaires dans la prise
en charge des patients, climat de suspicion vis-à-vis des activités
d’expertise et d’évaluation (avec, au contraire, une volonté de
transparence des agences) et, fi nalement, prise de conscience
que le risque ne dépend pas uniquement du médicament, mais
également de ses conditions de prescription et d’utilisation.
Au début des années 2000, on a développé deux idées
nouvelles :
il faut planifi er le(s) risque(s) médicamenteux dès le moment
de l’enregistrement ;
les activités post-AMM doivent démontrer la sécurité d’em-
ploi du nouveau médicament.
Ainsi est née la notion de PGR, stratégie de surveillance globale,
prospective et proactive, associée à une minimisation des risques
adaptés à chaque problème. Les PGR concernent désormais tout
le long de la vie du médicament. Ils sont généralement établis
au moment de l’AMM du médicament mais, peuvent, au cas
par cas, en fonction des circonstances, être mis en place après la
mise sur le marché du médicament. Ils concernent par exemple
des produits présentant des risques avérés ou potentiels ou
encore des médicaments utilisables dans des situations à risque
particulières, peu ou mal étudiées avant l’AMM (sujets très
âgés, enfants…) ou enfi n des substance aux enjeux (médicaux,
économiques, sociétaux…) particulièrement forts (23).
Les agences réglementaires (AFSSAPS, EMEA) ont établi des
règles pour la rédaction et la préparation par les fi rmes des
PGR (23-25). Ceux-ci doivent comprendre deux parties. La
partie I a trait à la description du profi l de sécurité d’emploi du
médicament en tenant compte de toutes les données cliniques,
mais aussi précliniques. Cette Safety Specifi cation doit s’ac-
compagner d’un “plan de pharmacovigilance” adapté à chaque
risque évoqué ou suspecté. Ce plan doit comporter les actions
spécifi ques à mettre en œuvre en fonction des circonstances.
La partie II concerne la justifi cation d’activités de minimisation
et, éventuellement, un plan de minimisation des risques (avec
les actions prévues par la fi rme pour prévenir, informer… sur
le risque médicamenteux).
Le plan de pharmacovigilance pourra utiliser toutes les méthodes
de la pharmacologie clinique et de la pharmaco-épidémiologie
pour la surveillance et l’évaluation du risque médicamenteux :
il s’agira non seulement, parfois, d’un essai clinique ou encore,
bien sûr, de la traditionnelle notifi cation spontanée, mais aussi,
en fonction des circonstances, de pharmacovigilance intensive ou
d’utilisation des méthodes pharmaco-épidémiologiques décrites
plus haut. D’autres méthodes innovantes doivent assurément
être développées dans l’avenir.
Cette nouvelle notion de PGR éclaire sous un jour nouveau le
rapport bénéfi ce/risque des médicaments. Si un médicament fait
preuve au cours des essais cliniques d’un minimum de niveau
acceptable d’effi cacité pour “tous les patients” (avec un risque
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