Colloque international La problématique du développement durable

Colloque international
La problématique du développement durable vingt ans
après : nouvelles lectures théoriques, innovations
méthodologiques et domaines d’extension
Résumé des communications
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Les conflits environnementaux dans le département du Puy-de-Dôme :
une analyse à partir du contentieux judiciaire
Clovis SABAU
UMR Métafort, Clermont-Ferrand, Étudiant Master recherche Développement des territoires ruraux,
spécialité Économie ; clovissabau@hotmail.com
Philippe JEANNEAUX
UMR Métafort, Clermont-Ferrand, Maître de conférences ès économie agricole et rurale
Les conflits environnementaux sont des signaux originaux de la dynamique contemporaine des fonctions des
espaces périurbains et ruraux, et notamment de la montée en puissance de l'économie résidentielle des cam-
pagnes. Les usages résidentiels se confrontent aux usages productifs, récréatifs et de protection de la nature. Ils
sont aussi de bons indicateurs de la difficulté du décideur public local à faire des choix visant à organiser sans
heurts les usages des ressources environnementales communes. Ces décisions ne peuvent satisfaire unanimement
les administrés. Faute de compensation monétaire ou de possibilités de fuir les dommages, les perdants des choix
publics entrent en conflit en prenant la parole pour infléchir les décisions publiques locales. Il ressort que même
dans les situations pour lesquelles les autorités publiques ne sont pas responsables directement du dommage
physique dont l’origine est le fait d’un agent privé, ce sont sur elles que porte prioritairement la contestation.
Mais parce que la mise en œuvre de la compensation monétaire est difficile, ou parce qu’ils en refusent le prin-
cipe, les opposants privilégient la stratégie d’empêchement de création des perdants, parfois en vain. L’action
médiatique et collective est une voie qui permet d’obtenir plus souvent une amélioration du cadre de vie
résidentiel que ne le permet le recours individuel en contentieux administratif.
Le traitement d'articles de presse parus entre 1999 et 2002 dans le quotidien régional La Montagne complété
par l’analyse de cinq années de contentieux du tribunal administratif de Clermont-Ferrand (1998 à 2002) pour le
département du Puy-de-Dôme, a déjà donné un éclairage de la diversité des situations conflictuelles, des moyens
de droit convoqués par les adversaires et des principales solutions matérielles apportées aux différends.
L’objectif de notre communication est de présenter une recherche complémentaire consacrée aux conflits
d’usage repérés à partir du contentieux judiciaire. Nous avons cherché à compléter avec cette nouvelle source les
travaux précédents. Cette recherche a permis d’éclairer les spécificités du contentieux judiciaire, notamment sur
différents points :
Quelle est la nature des affaires devant les juridictions civiles et pénales ?
Sont-elles radicalement différentes du contentieux administratif ?
La puissance publique, les entreprises et les associations sont-elles impliquées dans les affaires judiciaires ?
Quelles sont les solutions apportées par les juges ?
Relèvent–elles de la logique de la compensation monétaire ou plutôt de la logique de l’injonction à cesser
l’activité à l’origine d’un préjudice ?
Les conflits environnementaux que nous avons recensés correspondent à des situations conflictuelles autour
des droits d’usage des ressources localisées à dimension environnementale. Ces conflits concernent donc aussi
bien les affaires :
liées aux éléments composant l'environnement (air, eau, sols, biodiversité) ;
liées à des activités humaines (chasse, pêche, énergie) ;
liées à des activités nuisibles ou polluantes (bruit, installations classées pour la protection de l’environne-
ment, assainissement, risques majeurs industriels ou naturels) ;
liées à un objet particulier (urbanisme, protection de la nature, produits chimiques, déchets, sites et monu-
ments historiques) ;
liées à un secteur économique auquel on appose ses problématiques juridiques environnementales propres
(agriculture/industrie/services et environnement).
Pour repérer ces conflits, nous avons dû trouver des correspondances avec les nomenclatures spécifiques du
ministère de la justice afin de repérer, de recenser et de classer les différentes affaires au Civil et au Pénal en vue
de leur analyse. Nous avons alors consulté de manière exhaustive les greffes des 2 tribunaux de grande instance
et des 5 tribunaux d’instance du département pour les jugements rendus au cours de l’année 2006 aux premiers
degrés de chaque juridiction.
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Au total, pour la juridiction civile, pour 2 852 affaires référencées aux greffes, 173 ont été sélectionnées
(6 %). Les conflits environnementaux sont principalement des conflits entre individus et ne mettent que très
rarement en scène des personnes morales (entreprises notamment ou gérant) des associations ou des autorités
publiques. Ils sont la plupart du temps relatifs à des biens privés dont principalement les biens fonciers et
immobiliers, au sujet de problèmes de droits de propriété et d’urbanisme. Ces conflits sont situés principalement
en milieux densément peuplés, généralement l'espace urbain et périurbain. Dans un tiers des cas, celui qui se
déclare initialement victime est finalement jugé responsable du problème. Le juge a une attitude « coasienne » en
ce sens qu’il cherche à instaurer une forme de réciprocité des droits en se centrant sur les faits rapportés par les
parties et en recourant aux avis des experts. La puissance publique tient une faible place au Civil. Elle ne se porte
demandeur que lors de grosses affaires qui impliquent d’importantes sommes d'argent. Elle est rarement mise en
cause, et quand c’est le cas, c’est uniquement par des particuliers, pour la résolution de petits conflits (en terme
d'importance vis-à-vis de l'intérêt public).
Pour la juridiction pénale, pour 5 687 affaires référencées aux minutes de 2006, 261 conflits environ-
nementaux ont été trouvés dans les plumitifs (4,6 %). Ils concernent également des individus, pour des affaires
de pollution sonores et de chasse majoritairement. Relativement peu de victimes prétendent être en droit de
recevoir une compensation pour les dommages dus à l’usage du droit. L’amende est la principale source de
compensation. Le juge pénal ne recourt que très rarement à des peines privatives de liberté. Il semble ménager
les intérêts économiques des parties en infraction. La principale réponse du tribunal est l'amende (le juge taxe
l'infraction si l'accusé est reconnu coupable), ainsi que d’autres peines incitatives visant à modifier son compor-
tement. Les peines coercitives sont peu employées. Par ailleurs, par son caractère presque exclusivement privé et
très localisé, la conflictualité judiciaire se distingue nettement de la conflictualité administrative, même si l’objet
du conflit tourne généralement pour les deux cas autour de la problématique du cadre de vie résidentiel.
Enfin, cette recherche apporte des enseignements méthodologiques sur la démarche à suivre auprès des
greffes des tribunaux afin d’obtenir la liste des conflits environnementaux ayant eu lieu au sein d’une circons-
cription juridique. Même si toutes les informations souhaitées n’ont pas pu être recueillies, la somme de données
récoltées a permis de réaliser une analyse plutôt complète de la situation du contentieux privé relatif à l’usage de
ressources environnementales localisées.
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Conflits d’usage environnementaux : le cas du littoral picto-charentais
Olivier BOUBA-OLGA, Ornella BOUTRY, Audrey RIVAUD
CRIEF-TEIR, EA 2249, Université de Poitiers ;
obouba@univ-poitiers.fr, [email protected]itiers.fr, [email protected]
La compréhension des questions environnementales, et plus particulièrement des conflits d’usage environne-
mentaux, s’est récemment enrichie des apports de l’économie de la proximité. Après des développements
initiaux centrés sur la compréhension des problèmes de coordination productive avec intégration explicite des
relations à l’espace, les concepts en terme de proximité ont en effet permis de renouveler la prise en compte de
dimension spatiale des problèmes environnementaux et d’intégrer la distinction fondamentale entre « proximité
géographique » et « proximité organisée » (Torre, Zuindeau, 2007).
Des tentatives d’approfondissement de cette grille de lecture ont été opérées, en croisant les approches de la
proximité avec le modèle exit-voice élaboré en 1970 par Hirschman (Caron et Torre, 2005 ; Bouba-Olga, 2007).
Ce dernier propose ainsi une analyse qui permet de recenser précisément les différentes solutions qui s’offrent
aux acteurs pour remédier à des dysfonctionnements ou sortir des conflits qui émergent au sein d’une organi-
sation. Les analyses en termes de proximité peuvent alors être envisagées comme le prolongement du modèle
exit-voice dans la mesure où les possibilités et l’efficacité des stratégies envisagées par Hirschman dépendent de
la situation des acteurs dans l’espace physique, dans l’espace des ressources et dans l’espace des processus de
coordination.
Ainsi, la rencontre de ces deux théories permet de produire une analyse innovante des conflits d’usage envi-
ronnementaux et de dépasser la simple description, puisque l’on cherche à élaborer une typologie des situations
conflictuelles et des solutions qui peuvent être envisagées en tenant compte d’une hypothèse de rationalité située
(Pecqueur et Zimmerman, 2004). Dès lors que l’on prend acte de l’existence des différentes formes de proximité
(géographique recherchée ou subie ; organisée faible ou forte), il est possible de montrer que toutes les solutions
ne sont pas envisageables et que les acteurs évoluent dans un environnement physique, relationnel et institution-
nel qui influence leur prise de décisions et leur positionnement dans le conflit.
L’objectif de cette proposition de communication est d’approfondir cette analyse théorique, mais également
d’évaluer son pouvoir heuristique en l’appliquant aux conflits environnementaux du bassin versant de la Cha-
rente et du littoral picto-charentais. Des premiers travaux mobilisant le type d’approche présenté ci-dessus nous
ont permis d’avancer dans la compréhension du conflit entre les agriculteurs et les conchyliculteurs (Bouba-
Olga, 2007 ; Boutry, 2007 ; Rivaud, 2007).
Le bassin versant de la Charente est un territoire sensible à l’émergence d’un ensemble de conflits environ-
nementaux, mêlant des acteurs et des activités économiques variés. Toutefois, le conflit principal porte sur le
partage et l’accès à une ressource en eau en quantité et en qualité suffisante. Deux collectifs d’acteurs se trouvent
particulièrement en opposition : les agriculteurs et les conchyliculteurs. Les agriculteurs, situés en amont sur le
territoire, mobilisent la ressource en eau dans leur processus de production et impactent ainsi cette dernière au
niveau quantitatif (volumes prélevés pour les cultures irriguées). En outre, les techniques de production qu’ils
emploient, ont également des incidences sur la qualité de l’eau (utilisation d’intrants chimiques). Les conchyli-
culteurs, occupant la position avale, ont aussi des exigences quant à l’état de la ressource en eau (quantitatif et
qualitatif), dans la mesure où le degré de salinité de l’eau est déterminant pour le développement des coquillages.
En appliquant notre grille d’analyse, il s’avère que les deux collectifs d’acteurs se trouvent dans une situation de
proximité subie, rendant difficile, voire impossible, les solutions d’exit spatial. Par ailleurs, la proximité orga-
nisée relativement faible ainsi que l’asymétrie relationnelle et institutionnelle qui existe entre les agriculteurs et
les conchyliculteurs, réduisent l’efficacité du recours aux solutions de type voice. La seule issue envisageable
semble alors être l’exit dans l’espace des ressources à l’instar de la production de naissain en écloserie.
Néanmoins, une analyse fine du fonctionnement des activités au cœur du conflit nous amène à prendre
également en considération un degré de complexité plus poussé de la dynamique conflictuelle du territoire.
Ainsi, il convient de s’intéresser d’une part, à d’autres collectifs d’acteurs étant également partie prenante du
conflit en question ou influençant le jeu des agriculteurs et des conchyliculteurs par l’intermédiaire de conflits
annexes (associations de protection de la nature, plaisanciers), et de tenir compte d’autre part, de l’hétérogénéi
et des conflits ou des tensions qui peuvent exister au sein même des collectifs.
À titre d’illustration, le comportement d’exit des ostréiculteurs, qui consiste à élever les huîtres en pleine
mer, répond avant tout à un problème de surcharge de l’estran (conflit intragroupe), mais permet cependant
d’apaiser la confrontation qui existe avec les agriculteurs sur les questions de qualité de l’eau douce arrivant sur
le littoral picto-charentais. Toutefois, cette stratégie engendre un nouveau conflit avec les plaisanciers qui
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refusent de partager un espace qui leur était traditionnellement réservé. La grille d’analyse que nous proposons, à
l’intersection de l’économie de la proximité et du modèle d’Hirschman, ainsi que le dépassement d’une approche
duo-centrée du conflit et l’intégration de la dynamique intra-groupe permettent donc d’enrichir notre compré-
hension de la réalité conflictuelle à l’œuvre sur un territoire comme le bassin versant de Charente et sa frange
littorale.
Références citées
Bouba-Olga O., 2007, « La résolution des conflits d’usage autour de la ressource en eau : un approfondissement
du modèle exit-voice par l’économie de la proximité », article soumis à la revue Nature, science et société.
Boutry O., 2007, L’analyse des conflits d’usage environnementaux autour de la ressource en eau sur le bassin
versant de la Charente, Mémoire de Master 2 recherche, Faculté de Sciences économiques, Université de
Poitiers.
Caron A. et Torre A., 2005, « Réflexion sur les dimensions négatives de la proximité : le cas des conflits d’usage
et de voisinage », Économie et institutions.
Hirschman A. O., 1970, Exit, Voice and Loyalty, Cambridge Harvard University Press [traduction 1995],
Défection et prise de parole, Fayard.
Pecqueur B. et Zimmermann J-B, (eds), 2004, L’économie de proximités, Hermes–Lavoisiers, 264 p.
Rivaud A., 2007, « Analyse du secteur conchylicole et problématiques territoriales », Document de travail de
doctorat de Sciences économiques, Université de Poitiers.
Torre A. et Zuindeau B., 2007, « Économie de la proximité et environnement : état des lieux et perspectives »,
Colloque ASRDLF–ERSA, septembre.
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