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Conflits d’usage environnementaux : le cas du littoral picto-charentais
Olivier BOUBA-OLGA, Ornella BOUTRY, Audrey RIVAUD
CRIEF-TEIR, EA 2249, Université de Poitiers ;
La compréhension des questions environnementales, et plus particulièrement des conflits d’usage environne-
mentaux, s’est récemment enrichie des apports de l’économie de la proximité. Après des développements
initiaux centrés sur la compréhension des problèmes de coordination productive avec intégration explicite des
relations à l’espace, les concepts en terme de proximité ont en effet permis de renouveler la prise en compte de
dimension spatiale des problèmes environnementaux et d’intégrer la distinction fondamentale entre « proximité
géographique » et « proximité organisée » (Torre, Zuindeau, 2007).
Des tentatives d’approfondissement de cette grille de lecture ont été opérées, en croisant les approches de la
proximité avec le modèle exit-voice élaboré en 1970 par Hirschman (Caron et Torre, 2005 ; Bouba-Olga, 2007).
Ce dernier propose ainsi une analyse qui permet de recenser précisément les différentes solutions qui s’offrent
aux acteurs pour remédier à des dysfonctionnements ou sortir des conflits qui émergent au sein d’une organi-
sation. Les analyses en termes de proximité peuvent alors être envisagées comme le prolongement du modèle
exit-voice dans la mesure où les possibilités et l’efficacité des stratégies envisagées par Hirschman dépendent de
la situation des acteurs dans l’espace physique, dans l’espace des ressources et dans l’espace des processus de
coordination.
Ainsi, la rencontre de ces deux théories permet de produire une analyse innovante des conflits d’usage envi-
ronnementaux et de dépasser la simple description, puisque l’on cherche à élaborer une typologie des situations
conflictuelles et des solutions qui peuvent être envisagées en tenant compte d’une hypothèse de rationalité située
(Pecqueur et Zimmerman, 2004). Dès lors que l’on prend acte de l’existence des différentes formes de proximité
(géographique recherchée ou subie ; organisée faible ou forte), il est possible de montrer que toutes les solutions
ne sont pas envisageables et que les acteurs évoluent dans un environnement physique, relationnel et institution-
nel qui influence leur prise de décisions et leur positionnement dans le conflit.
L’objectif de cette proposition de communication est d’approfondir cette analyse théorique, mais également
d’évaluer son pouvoir heuristique en l’appliquant aux conflits environnementaux du bassin versant de la Cha-
rente et du littoral picto-charentais. Des premiers travaux mobilisant le type d’approche présenté ci-dessus nous
ont permis d’avancer dans la compréhension du conflit entre les agriculteurs et les conchyliculteurs (Bouba-
Olga, 2007 ; Boutry, 2007 ; Rivaud, 2007).
Le bassin versant de la Charente est un territoire sensible à l’émergence d’un ensemble de conflits environ-
nementaux, mêlant des acteurs et des activités économiques variés. Toutefois, le conflit principal porte sur le
partage et l’accès à une ressource en eau en quantité et en qualité suffisante. Deux collectifs d’acteurs se trouvent
particulièrement en opposition : les agriculteurs et les conchyliculteurs. Les agriculteurs, situés en amont sur le
territoire, mobilisent la ressource en eau dans leur processus de production et impactent ainsi cette dernière au
niveau quantitatif (volumes prélevés pour les cultures irriguées). En outre, les techniques de production qu’ils
emploient, ont également des incidences sur la qualité de l’eau (utilisation d’intrants chimiques). Les conchyli-
culteurs, occupant la position avale, ont aussi des exigences quant à l’état de la ressource en eau (quantitatif et
qualitatif), dans la mesure où le degré de salinité de l’eau est déterminant pour le développement des coquillages.
En appliquant notre grille d’analyse, il s’avère que les deux collectifs d’acteurs se trouvent dans une situation de
proximité subie, rendant difficile, voire impossible, les solutions d’exit spatial. Par ailleurs, la proximité orga-
nisée relativement faible ainsi que l’asymétrie relationnelle et institutionnelle qui existe entre les agriculteurs et
les conchyliculteurs, réduisent l’efficacité du recours aux solutions de type voice. La seule issue envisageable
semble alors être l’exit dans l’espace des ressources à l’instar de la production de naissain en écloserie.
Néanmoins, une analyse fine du fonctionnement des activités au cœur du conflit nous amène à prendre
également en considération un degré de complexité plus poussé de la dynamique conflictuelle du territoire.
Ainsi, il convient de s’intéresser d’une part, à d’autres collectifs d’acteurs étant également partie prenante du
conflit en question ou influençant le jeu des agriculteurs et des conchyliculteurs par l’intermédiaire de conflits
annexes (associations de protection de la nature, plaisanciers), et de tenir compte d’autre part, de l’hétérogénéité
et des conflits ou des tensions qui peuvent exister au sein même des collectifs.
À titre d’illustration, le comportement d’exit des ostréiculteurs, qui consiste à élever les huîtres en pleine
mer, répond avant tout à un problème de surcharge de l’estran (conflit intragroupe), mais permet cependant
d’apaiser la confrontation qui existe avec les agriculteurs sur les questions de qualité de l’eau douce arrivant sur
le littoral picto-charentais. Toutefois, cette stratégie engendre un nouveau conflit avec les plaisanciers qui