La culture comme signifiant des politiques de développement

1"
"
COLLOQUE FRANCOPHONE
INTERNATIONAL
CULTURES, TERRITOIRES ET
DEVELOPPEMENT DURABLE
LUNDI 14 ET MARDI 15 AVRIL 2014
ESPE Clermont Auvergne, 36 avenue Jean Jaurès,
63400 Chamalières, Amphis E et A
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!"
La culture comme signifiant des politiques de
développement durable
Le cas de la Nouvelle-Calédonie
Séverine Blaise
Maître de Conférences en Sciences Économiques à l’Université de la Nouvelle-Calédonie
Chercheuse au Centre des Nouvelles Études pour le Pacifique (EA4242)
2"
"
Introduction
La nécessité d’une meilleure prise en compte de la culture dans les politiques de
développement durable est aujourd’hui internationalement et unanimement reconnue. La
déclaration de Hangzhou, adoptée en Chine le 17 mai 2013 par les participants au congrès
international de l’Unesco préconise de « mettre la culture au cœur des politiques de
développement durable ». A l’heure où la communauté internationale façonne un nouvel
agenda de développement mondial post-2015, les recommandations portent sur :
! Intégrer la culture dans toutes les politiques et tous les programmes de développement
! Mobiliser la culture et la compréhension mutuelle pour favoriser la paix et la
réconciliation
! Garantir à tous les droits culturels pour promouvoir le développement social inclusif
! Se servir de la culture pour réduire la pauvreté et assurer un développement
économique inclusif
! S’appuyer sur la culture pour promouvoir la durabilité environnementale
! Renforcer la résilience face aux catastrophes et lutter contre le changement climatique
par la culture
! Valoriser, sauvegarder et transmettre la culture aux générations futures
! Se servir de la culture comme ressource pour réaliser un développement et une gestion
durables des zones urbaines
! Enfin, de s’appuyer sur la culture pour favoriser des modèles de coopération innovants
et durables.
« Nous réaffirmons que la culture doit être considérée comme un facteur fondamental de la
durabilité, car elle est une source de sens et d’énergie, de créativité et d’innovation, et une
ressource pour répondre aux défis et trouver des solutions appropriées » (p.2).
Pourtant, malgré la succession de diverses initiatives internationales depuis le lancement de la
Décennie mondiale du développement culturel en 1988, la prise en compte du rôle de la
culture dans les projets de développement reste à ce jour encore un vœu pieux et sa traduction
en politiques appropriées est loin d’être effective. Comme le soulignent Boidin et Djeflat, la
mise en pratique du développement durable semble encore trop impulsée, voire dictée, de
l’extérieur : « le développement durable apparaît comme répondant aux préoccupations
immédiates et évolutives des pays du Nord et des firmes transnationales : remboursement de
la dette, création de climat propice aux investissements directs à l’étranger […]. Or, ces
préoccupations sont peu génératrices de développement direct, notamment au niveau des
populations et des communautés locales. Les alliances avec les élites locales, promptes à
s’approprier, souvent en apparence, ces concepts, relèvent plus de logiques de partage et de
distribution de rente au niveau mondial que de volonté effective de correction des trajectoires
de développement. » (Boidin et Djeflat, 2009, 13).
Selon nous, plusieurs facteurs expliquent cette difficulté. Celle-ci tient d’une part aux
ambigüités engendrées par la polysémie du concept de « culture » et au caractère réducteur
d’approches fonctionnalistes de la culture fondées sur une acceptation restreinte du concept ;
d’autre part, à l’écueil de l’approche dominante du développement durable : une approche
faible de la durabilité qui ne remet guère en cause le primat de l’économie sur les dimensions
sociale et environnementale (Blaise, 2011) et qui tend à marginaliser les questions liées à la
durabilité sociale. En dépit des quelques travaux qui accordent une place importante au social
dans l’analyse du développement durable, Para et Moulaert (2011) soulignent les difficultés
d’opérationnalisation du concept et suggèrent de procéder à une culturalisation du social afin
3"
"
de rendre la durabilité sociale tangible et lui donner un sens. Dans cette perspective, l’objectif
de ce travail est d’éclairer le positionnement de la dimension culturelle dans la
conceptualisation du développement durable, en se fondant sur une approche forte de la
durabilité. Dans une première partie, nous examinerons les conditions de l’émergence de la
culture dans les politiques internationales de développement et le passage d’une définition
restreinte à une définition plus large de la culture. Dans un deuxième temps, il s’agira de
passer rapidement en revue l’analyse scientifique des liens entre culture et développement
durable en soulignant la pertinence de l’approche systémique pour préciser le rôle de la
culture dans la sphère sociale et son sous-système économique, mais aussi dans les
interactions entre les différentes sphères. Nous montrerons que la culture n’est pas un sous-
produit du développement mais un moteur du développement endogène : « Elle [la culture]
est le lieu de l’identification et de la création du sens » (Colin, 1985, 206).
Or, c’est précisément l’absence de prise en compte de la dimension culturelle et sociale du
développement qui est à l’origine de l’échec de nombreux programmes d’aide. Dans le cas de
la Nouvelle-Calédonie, nous montrerons enfin que l’insuffisante prise en compte des
spécificités de la société kanak entrave l’adoption d’une stratégie de développement durable.
Le rôle de l’économie domestique kanak et des régulations sociales qu’elle permet (Sahlins
1972, 186 ; Freyss, 1995, 260), les modes spécifiques de gouvernance qui en découlent sont
autant d’éléments qui doivent constituer le fondement d’une telle stratégie.
Nous conclurons en soulignant la nécessaire prise en compte de la dimension transversale de
la culture et son rôle de « signifiant » dans l’opérationalisation des politiques de
développement durable. L’accent sera mis sur les implications sur le plan de la recherche et
en particulier sur l’importance d’approches transdisciplinaires en lieu et place des approches
pluridisciplinaires actuelles.
I La culture : 4e pilier du développement durable ?
Quelques années après le lancement de la décennie mondiale pour le développement culturel
(1988-1998) sous l’égide de l’Unesco, la Banque Mondiale (1991) publiait un rapport
soulignant l’importance de la prise en compte des valeurs socioculturelles dans les stratégies
de développement. Le rapport suggérait qu’une stratégie de développement fondée sur une
analyse approfondie du contexte socio-économique augmente le taux de rendement des
projets de développement. La culture est alors perçue comme un instrument permettant
d’améliorer l’efficacité de l’aide au développement, une question qui restera finalement assez
périphérique au sein des problématiques de développement. C’est ainsi que dans les Objectifs
du Millénaires adoptés lors du sommet de 2000, aucune mention particulière n’est faite de la
culture : la question de la durabilité du développement est traitée de façon sectorielle à travers
l’objectif n°7 sur la durabilité environnementale ou encore l’objectif n°8 concernant la
soutenabilité de la dette. Si des documents plus récents comme le rapport sur le
développement dans le monde 2000-01 ou encore le rapport « Voices of the poor » plaident
pour une meilleure prise en compte des questions culturelles, c’est surtout sous l’impulsion
des travaux de l’Unesco que la culture se voit progressivement accorder un rôle central dans
le développement, et dans le développement durable en particulier.
Armartya Sen est sans doute l’un des chercheurs qui ont le plus contribué à mettre en avant le
lien entre culture et développement, un lien qui tient à la fois aux finalités et aux moyens du
développement. L’idée sous-jacente est que la définition d’une stratégie de développement et
4"
"
la façon dont le processus développement est mis en œuvre sont des questions qui ne peuvent
être traitées que dans le contexte d’une culture donnée. Dès 1995, le rapport de la commission
mondiale sur la culture et le développement intitulé « Notre diversité créatrice » avançait la
thèse selon laquelle le développement suppose non seulement l’accès aux biens et services
mais aussi la possibilité de choisir comment vivre sa propre vie avec les autres de manière
pleine et satisfaisante pour tous, encourageant ainsi l’épanouissement de l’existence humaine
sous toutes ses formes et dans sa globalité : « Séparé de son contexte humain et culturel, le
développement n’est guère qu’une croissance sans âme. Le développement économique,
pleinement réalisé, fait partie intégrante de la culture d'un peuple ». Le rapport met en garde
contre les dangers d’une homogénéisation culturelle et considère comme essentiel un
engagement vis à vis du pluralisme. On cesse dès lors d’attribuer à la culture un rôle purement
instrumental pour lui reconnaître un rôle constructif, constitutif et créatif.
La conférence internationale de Stockholm en 1998 met l’accent sur les politiques culturelles
pour le développement. Un plan d’action est établi afin de répondre à cinq objectifs
stratégiques :
1. Faire de la politique culturelle l'un des éléments clés de la stratégie de développement ;
2. Promouvoir la créativité et la participation à la vie culturelle ;
3. Renforcer la politique et la pratique afin de sauvegarder et valoriser le patrimoine
culturel, matériel et immatériel, mobiliers et immobiliers, et de promouvoir les
industries culturelles ;
4. Promouvoir la diversité culturelle et linguistique dans et pour la société de
l'information;
5. Et mettre davantage de ressources humaines et financières pour le développement
culturel.
L’importance de préserver la diversité culturelle sera affirmée à de multiples reprises, dans le
cadre de la déclaration universelle de l’Unesco en 2001 (Convention pour la sauvegarde du
patrimoine intangible), lors du sommet de Johannesburg l’année suivante, mais aussi dans le
cadre de la Convention sur la Protection et la Promotion de la diversité des expressions
culturelles adoptée en 2005. Cette dernière insiste sur l’importance d’une approche holistique
du processus de développement et introduit la dimension culturelle dans l’équation du
développement durable, en même temps que les objectifs économiques et environnementaux.
Les principes directeurs retenus sont :
! le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
! la souveraineté des Etats membres ;
! l'égale dignité et le respect de toutes les cultures ;
! la solidarité et la coopération internationales ;
! Complémentarité des aspects économiques et culturels du développement;
! Le développement durable la diversité culturelle est une grande richesse pour les
individus et les sociétés. La protection, la promotion et le maintien de la diversité
culturelle sont une condition essentielle pour un développement durable au bénéfice
des générations présentes et futures ;
! l'accès équitable à une gamme riche et diversifiée d'expressions culturelles provenant
du monde entier et l'accès des cultures aux moyens d'expression et de diffusion;
! et l’ouverture et l’équilibre lorsque les États adoptent des mesures pour favoriser la
diversité des expressions culturelles provenant d'autres cultures du monde.
L’article 13 de la convention prévoit explicitement que « Les Parties s’emploient à intégrer la
culture dans leurs politiques de développement, à tous les niveaux, en vue de créer des
conditions propices au développement durable et, dans ce cadre, de favoriser les aspects liés à
la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles ».
5"
"
La stratégie à moyen terme pour 2008-2013 adoptée à l’unanimité décline le programme
d’action à partir de 9 objectifs primordiaux. L’objectif 4 concernant la promotion de la
diversité culturelle, le dialogue interculturel et une culture de la paix comprend trois objectifs
stratégiques de programme :
! OSP 9 : Renforcer la contribution de la culture au développement durable ;
! OSP 10 : Démontrer l’importance des échanges et du dialogue entre les cultures pour
la cohésion sociale et la réconciliation, en vue de l’instauration d’une culture de la
paix ;
! OSP 11 : Protéger et valoriser le patrimoine culturel de manière durable.
Toutefois, le rapport d’évaluation externe des objectifs du programme stratégique rendu
public en 2011, atteste d’avancées extrêmement limitées dans ce domaine (tableau n°1).
Tableau n°1 : Résumé de l’évaluation externe des objectifs stratégiques
de programme 9 et 10 de l’Unesco
Source : IOS (2011).
1 / 24 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !