Bloc auriculo-ventriculaire chez un chat

publicité
Cas clinique
Bloc auriculo-ventriculaire
chez un chat
Les chats âgés
peuvent
présenter un
rythme
cardiaque
irrégulier et lent
causé par une
interruption de
la conduction
électrique à la
hauteur du
noeud auriculoventriculaire. La
plupart des
animaux n'ont
pas de
symptômes et
leur arythmie
n'est pas traitée.
Présentation
d’un cas.
L’auteur
Dr. Christine Deprest,
Cert.V. Cardiologie (UK),
2004
diplomé en 1982 à Gand
B- 8755 Ruiselede
[email protected]
L
es chats âgés peuvent présenter un
rythme cardiaque irrégulier et lent
causé par une interruption de la
conduction électrique, temporaire ou
permanente, à la hauteur du nœud auriculoventriculaire (NAV). Cet arrêt est dû à un processus de vieillissement du tissu de conduction (fibrose idiopathique), tel que décrit dans
cet article. La plupart des animaux n’ont pas
de symptômes (syncopes ou manifestations
congestives) et leur arythmie n’est pas traitée.
En effet, chez le chat, le rythme d’échappement
nodal étant compris entre 80 et 100 dépolarisations par minute, une bonne compensation
est possible. Pour le cas rapporté ici, les résultats du suivi clinique sont favorables deux ans
après le diagnostic.
Anamnèse
Un chat persan mâle âgé de quatorze ans est
amené à la consultation pour une désorientation,
des difficultés à se déplacer, des vomissements
mousseux et une épistaxis après une fugue de
deux jours. L’animal est abattu depuis quelques
jours, et présente des difficultés à déglutir et un
ptyalisme. Une épistaxis est notée à deux
reprises. Les propriétaires suspectent une intoxication. Le vétérinaire consulté a mis en place un
traitement à base d’enrofloxacine (Baytril®) à la
dose de 15 mg/kg deux fois par jour per os et de
bénazépril à la dose de 2,5 mg/kg/j per os en raison d’un rythme irrégulier et d’un souffle cardiaque détectés à l’examen clinique. Les propriétaires rapportent également qu’une chatte de la
même portée est morte brutalement d’une
thrombo-embolie aortique il y a trois mois.
Examen clinique
La condition corporelle (poids de 3,8 kg), l’état
d’éveil et la température du chat sont normaux.
Les muqueuses sont rose pâle, avec un temps de
remplissage capillaire normal. Le choc précordial
est fort, avec un rythme lent et irrégulier. Le pouls
est trop faible pour être interprété. L’auscultation
cardiaque révèle les troubles suivants : une bradycardie (100 à 120 bpm, battements par minute)
et un souffle sternal de grade variable (II à IV/VI)
radiant ventro-latéralement, de manière plus prononcée à gauche.
L’examen de l’appareil respiratoire ne met en
évidence aucune anomalie : la fréquence respiratoire est normale, l’examen du nez également (absence d’obstruction nasale, de lésions
et de jetage).
L’examen de la cavité buccale permet d’exclure
la présence d’un abcès, de polypes, d’une zone
inflammatoire ou ulcérée, d’une masse ou d’un
corps étranger. Les dents et les gencives sont
saines. Les nœuds lymphatiques superficiels
sont normaux. Aucun signe pathologique n’est
décelé lors de l’examen ophtalmologique et de
la palpation abdominale. Aucune masse thyroïdienne n’est palpée.
Examens complémentaires
/ Pression artérielle
La pression artérielle systolique est mesurée à
la hauteur de la queue, à cinq reprises, avec la
méthode Doppler. La moyenne est de 140 mmHg.
/ Hématologie et biochimie
(cfr. tableaux :
« Hématologie »
« Biochimie et électrolytes »
« Inflammation et hormonologie » )
Aucune anomalie n’est observée.
/ Électrocardiographie
(cfr. tableau « Électrocardiographie » en page 10
et figure 1 en page 12)
• L’électrocardiogramme (ECG) met en évidence
un rythme irrégulier, avec une dépolarisation
des oreillettes (ondes P) à une fréquence de
160 bpm.
• Certaines ondes P ne sont pas suivies d’un
complexe QRS. L’onde P peut précéder, suivre
immédiatement ou être dissimulée par le complexe QRS.
• Les complexes QRS précédés par une onde
P (l’onde de dépolarisation est passée par le
nœud auriculo-ventriculaire) sont élargis
(0,06 s) et présentent une morphologie de bloc
de branche droit (BBD). L’intervalle P-R est normal (0,11 s).
• Les dépolarisations ectopiques ventriculaires
droites sont positives en dérivation II. Le rythme
d’échappement nodal est de 90 dépolarisations
par minute.
L’Hebdo Vétérinaire n°170 • 21 novembre 2005 • 9
Cas clinique
Hématologie
Paramètre
Globules rouges
Hémoglobine
Hématocrite
MCV(1)
MCHC(2)
Globules blancs
Neutrophiles
Neutrophiles (immatures)
Eosinophiles
Lymphocytes
Monocytes
(1)
(2)
Patient
7,41
5,7
278
38
20
9,6
59,7
0
4,0
34,5
1,8
/ Radiographies
Références chat adulte
5.5 - 10 x 1012/l
5 – 9,5 mmol/l
260 – 460 ml/l
40 – 55 fl
18,6 – 23,6 mmol/l
5,5 – 19,5 x 109/l
35 – 75 %
0–3%
2 – 12 %
20 – 55 %
1–4%
Mean corpuscular volume.
Mean cell hemoglobin concentration.
Biochimie et électrolytes
Parameter
Glucose
Ureum
Creatinine
Bilirubine total
Bilirubine direct
Galzuren
Sodium
Potassium
Chloride
Protein total
Patient
5,9
12,6
+138,78*
1,88
< 0,51
17
153
4,8
+121
74
Références chat adulte
3,5 – 6,00 mmol/l
5,90 – 12,50 mmol/l
70-108 mmol/l
1,50-2,50 mmol/l
1,50 – 2,50 mmol/l
< 20 mmol/l
146 – 158 mmol/l
3,4 – 5,2 mmol/l
105 – 112 mmol/l
55 – 85 g/l
(cfr. photos 1 et 2)
La radiographie du crâne est normale. Les radiographies thoraciques ne montrent aucune cardiomégalie ni aucun signe d’insuffisance cardiaque congestive. Un arc aortique proéminent
est normalement rencontré chez un chat âgé.
/ Échocardiographie
(cfr. photos 3 à 5)
• Sur la vue parasternale droite en coupe longitudinale, le Doppler couleur met en évidence
un flux légèrement turbulent au niveau de l’aorte
et de la valve mitrale. Une nette hypertrophie
de la base du septum interventriculaire (SIV)
est visible.
• Sur la vue parasternale droite en coupe transversale, le rapport oreillette gauche / aorte est
de 1,45 (< 1,5). Le Doppler couleur est fortement positif dans le jaillissement du ventricule
droit, depart a la valve tricuspide.
• Les mesures en diastole en mode temps-mouvement (TM) sont normales en ce qui concerne
le diamètre du ventricule gauche (VG), la paroi
libre du ventricule gauche (PLVG) et l’épaisseur
du septum interventriculaire (SIV). La fraction
de raccourcissement (FR(1)) est de 65 %.
Traitement
Aucun traitement n’est mis en place.
* Creatinine élévée par un azotaemie prerenale.
Diagnostic
Inflammation et hormonologie
Paramètre
T4
Toxoplasmose
FeLv
FIV
Patient
23,2
neg
neg
neg
Références chat adulte
12 – 52 nmol/l
< 1/40
neg
neg
Électrocardiographie
Lead II 50 mm/sec
Fréquence
Patient
Ventricules à 90/min
Atria à 180/min
Rythme
Irrégulier
Durée onde P
0,03 sec.
Amplitude onde P
0,1 mV
Intervalle P-R
0,09 sec.
Amplitude onde R
0,1 mV
QRS durée et morphologie 0,06 sec.
De type branche droite
Intervalle Q-T
0,22 sec.
T amplitude et morphologie 0,1 en positief
Segment S-T
Inexistant
Direction axe électrique
le focus vient du VD**
** Le rythme ectopique empêche de calculer l’axe électrique.
Voir également fig. 1.
10 • L’Hebdo Vétérinaire n° 170 • 21 novembre 2005
Références chat
120-240/min
sinusal
≤ 0,04 sec
≤ 0,2 mV
0,05-0,09sec
max. 0,9 mV
max. 0,04 sec.
0,07-0,2 sec
max. 0,3 mV
Pas de dépression,
ni d’élévation
0- +160°
Il s’agit d’un bloc auriculo-ventriculaire (BAV)
de deuxième degré, haut, avec un rythme
d’échappement nodal de 90 bpm.
Discussion
/ Le bloc auriculo-ventriculaire
Les BAV sont des arrêts de la conduction entre
les oreillettes et les ventricules. La localisation
anatomique de ces blocs peut être juste au-dessous du NAV et du faisceau de His jusqu’à la
tripartition de ce dernier. Les BAV sont classés
en fonction de leur degré de gravité fonctionnel. Lors de BAV de premier degré, un simple
ralentissement de la conduction, caractérisé par
un allongement de l’intervalle P-R, est noté. Lors
de BAV de deuxième degré, l’interruption de la
conduction est complète, mais intermittente.
Ces BAV se définissent par quelques ondes P
qui ne sont pas suivies d’un complexe QRS.
Lorsque le bloc s’accompagne d’un allongement
de l’intervalle P-R, on parle d’un BAV de type 2
Mobitz I (Wechenbach). Dans le cas d’un intervalle P-R fixe, il s’agit d’un BAV de type 2 Mobitz
II. Et quand les ondes P bloquées sont nombreuses, on parle d’un BAV 2 de haut degré.
Enfin, les BAV de troisième degré, ou blocs du
cœur complet, sont caractérisés par une discordance totale entre les dépolarisations des
Cas clinique
(1)
Fig. 1
© Christine Deprest
Critère d’évaluation
de la fonction
cardiaque.
La FR est calculée
comme suit : (diamètre
du ventricule gauche en
fin de diastole –
diamètre du ventricule
gauche en fin de
systole) / diamètre du
ventricule gauche en fin
de diastole. Une FR >
35 % représente une
bonne fonction
cardiaque.
© Christine Deprest
1
2
Latéral (photo 1)
Peu surexposé
Inspiratoire
Jugement de la
Pas de signes
fonction respiratoire de congestion
Jugement de la
La longeur du coeur est
fonction cardiaque
< 2/3 de la profondeur
du thorax
Arc aortique proéminent
Qualité et position
12 • L’Hebdo Vétérinaire n° 170 • 21 novembre 2005
Dorsoventral (photo 2)
Peu rotaté
Inspiratoire
Pas de signes
de congestion
Le coeur est < 2/3 de la
taille du thorax
Arc aortique proéminent
entre 0 – 1 l’heure
oreillettes et des ventricules. L’ECG met en évidence des ondes P à rythme sinusal régulier et
des complexes QRS à rythme indépendant et
visiblement plus lent, le plus souvent avec une
origine juste en dessous du lieu de l’interruption de la conduction [7].
Devant un chat qui présente des syncopes ou une
bradycardie, un BAV 2 de haut degré doit être suspecté. La cause la plus fréquente des BAV chez le
chat est une augmentation du tonus vagal,
comme dans le cas de certaines affections respiratoires, gastro-intestinales ou du système nerveux central. L’épistaxis, les difficultés à déglutir
et le ptyalisme peuvent expliquer l’influence parasympathique, à l’origine probablement d’un bas
débit sanguin, et donc d’une désorientation de
l’animal. Deux autres symptômes auraient également pu être observés : un pouls jugulaire, visible
lorsque l’oreillette droite se contracte sur une
valve tricuspide fermée ; une non-concordance du
pouls et du choc précordial, lorsque toutes les
impulsions électriques ne sont pas suivies d’une
contraction ventriculaire.
Dans le cas présent, l’ECG met en évidence un
BAV 2 de haut degré dont la fréquence est de
3:1 à 5:1. Les complexes QRS conduits sont
reconnus par leur intervalle R-R qui est plus
court que celui entre deux complexes QRS
échappés. Après une extrasystole ventriculaire
(ESV), le NAV n’a pas le temps de se repolariser complètement. Cela explique la conduite
aberrante du complexe QRS. La branche droite
du faisceau de His demande plus de temps pour
se repolariser. Le NAV se dépolarise généralement à une fréquence inférieure à 100 bpm.
Chez ce chat, la fréquence est de 90 bpm, ce
qui indique que l’échappement vient du NAV.
/ Diagnostic différentiel
Les causes les plus fréquentes d’un rythme
d’échappement nodal rapportées dans la littérature sont les intoxications (diltiazem, aténolol, digoxine, strumazole et autres), les inflam-
Cas clinique
mations (péritonite infectieuse féline, toxoplasmose, endocardite), une infiltration du tissu
de conduction (lymphome), une dégénérescence ou une fibrose du NAV due à un infarctus (vascularite, cardiomyopathie hypertrophique
ou
dilatée).
Les
désordres
électrolytiques (hypo- ou hyperkaliémie) et l’hyperthyroïdie peuvent également être responsables d’interruption de la conduction au niveau
du NAV. Dans le cas présent, le diagnostic est
celui d’un BAV 2 de haut degré secondaire à
une fibrose idiopathique.
Les radiographies réalisées chez ce chat ne
montrent aucun signe de congestion, comme
un œdème pulmonaire ou un épanchement pleural. La taille du SIV et celle du PLVG sont inférieures à 6 mm, ce qui exclut une hypertrophie
concentrique du ventricule gauche secondaire
à une cardiomyopathie hypertrophique ou à
une hypertension artérielle systémique. Le diamètre du ventricule gauche en diastole est inférieur à 16 mm, avec une FR de 65 %, ce qui
écarte les diagnostics de cardiomyopathie dilatée, de surcharge volumique et de contractilité
diminuée du myocarde.
Le souffle holosystolique doux perceptible sur
le côté ventral gauche du thorax vient d’une
obstruction au flux sanguin du ventricule gauche
vers l’aorte, causée par une hypertrophie sénile
de la base du SIV. Cela est confirmé par le
Doppler couleur qui montre un patron en
mosaïque au niveau de l’aorte et une petite
régurgitation mitrale. Une régurgitation mitrale
en diastole est décrite chez des chiens et des
chats qui présentent un BAV 2 ou 3 [9].
L’obstruction dynamique du ventricule droit
(ODVD) est due à un rétrécissement de la partie proximale du ventricule droit en systole et
peut expliquer le souffle systolique dynamique
du même côté. Rishniw et Thomas (2002) rapportent que l’ODVD est une cause physiologique de souffle systolique. Le jet produit par
l’obstruction présente une forme typique et ne
pique que tardivement en systole.
Les arythmies cliniquement importantes sont
© Christine Deprest
4
Vue parastenale droite en coupe courte:
TM-mode du ventricule gauche.
© Christine Deprest
Vue parasternale droite en coupe longitudinale:
une nette hypertrophie de la base du septum
interventriculaire (IVS) est visible.
5
Vue parasternale droite en coupe longitudinale
avec hypertrophie de la base de septum
interventriculaire, typique pour des chats plus
agés. Regarde aussi l’apex du cœur fin.
© Christine Deprest
3
© Christine Deprest
Bibliographie
6
Vue parasternale droite en coupe courte.
La vélocité du trajet du ventricule droit va
jusqu’au 3 m/sec. « Horse-tail » patron,
charactéristique pour une obstruction
dynamique en milieu de systole.
[1] Ferasin L.,Van de Stadt
M., Rudorf H., Langford
K., Hotson Moore A.
titel van het artikel ? J.
Small Anim. Pract.
2002;43:124-128.
[2] Fife W., Côté E. ECG of
the month. JAVMA.
2002;220(2):15.
[3] Fox P., Moïse S.,
Woodfield J., Darke P.
Techniques and
complications of
pacemaker
implantation in four
cats. JAVMA.
1991;199(12):15.
[4] Fox P., Sisson D., Moïse
S.Textbook of Canine
and Feline Cardiology.
2nd ed. Saunders
Company. 1999:394396.
[5] French A. Cat heart
disease - The influence
of diagnosis on
therapy.VCS-meeting,
Loughborough,
December 6th and 7th
2002.
[6] Jacobs G., Otto C.
ECG of the month.
JAVMA. 1988;193(3):1.
[7] Johnson M., Sisson D.
Atrioventricular block
in cats. Compend.
Contin. Ed. Pract.Vet.
1993;15(10).
[8] Rishniw M.,Thomas W.
Dynamic right
ventricular outflow
obstruction: a new
cause of systolic
murmurs in cats. J.Vet.
Intern. Med.
2002;16:547-552.
[9] Rosenthal S. & Fox P.
Veterinary Radiology &
Ultrasound,Vol 36, N°
2, 1995, pp 152-156
Diastolic mitral
regurgitation detected
by pulsed wave
doppler
echocardiography and
color flow doppler
mapping in five dogs
and two cats with
second- and thirddegree atrioventricular
block.
[10] Sisson D. Myocardial
diseases of cats. Proc.
12th ECVIMCA/ESVIM Congress
Munich. 2002:26-28.
[11] Tilley L. Essentials of
Canine and Feline
Electrocardiography:
Interpretation and
Treatment. 3rd ed.
Lea § Febiger.
1992:208-250.
rares chez le chat [4]. Le rythme d’échappement apparaît généralement avant qu’un bloc
ne puisse provoquer des symptômes. Si un chat
atteint d’un BAV 2 de haut degré devient symptomatique, il peut présenter des syncopes ou
des signes d’insuffisance cardiaque congestive.
Lorsque ces troubles sont persistants, l’implantation d’un pacemaker est la seule option
thérapeutique [1].
■
L’Hebdo Vétérinaire n°170 • 21 novembre 2005 • 13
Téléchargement