Cas clinique
L’Hebdo Vétérinaire n°170 • 21 novembre 2005 • 9
L
es chats âgés peuvent présenter un
rythme cardiaque irrégulier et lent
causé par une interruption de la
conduction électrique, temporaire ou
permanente, à la hauteur du nœud auriculo-
ventriculaire (NAV). Cet arrêt est dû à un pro-
cessus de vieillissement du tissu de conduc-
tion (fibrose idiopathique), tel que décrit dans
cet article. La plupart des animaux n’ont pas
de symptômes (syncopes ou manifestations
congestives) et leur arythmie n’est pas traitée.
En effet, chez le chat, le rythme d’échappement
nodal étant compris entre 80 et 100 dépolari-
sations par minute, une bonne compensation
est possible. Pour le cas rapporté ici, les résul-
tats du suivi clinique sont favorables deux ans
après le diagnostic.
Anamnèse
Un chat persan mâle âgé de quatorze ans est
amené à la consultation pour une désorientation,
des difficultés à se déplacer, des vomissements
mousseux et une épistaxis après une fugue de
deux jours. L’animal est abattu depuis quelques
jours, et présente des difficultés à déglutir et un
ptyalisme. Une épistaxis est notée à deux
reprises. Les propriétaires suspectent une intoxi-
cation. Le vétérinaire consulté a mis en place un
traitement à base d’enrofloxacine (Baytril®) à la
dose de 15 mg/kg deux fois par jour per os et de
bénazépril à la dose de 2,5 mg/kg/j per os en rai-
son d’un rythme irrégulier et d’un souffle car-
diaque détectés à l’examen clinique. Les proprié-
taires rapportent également qu’une chatte de la
même portée est morte brutalement d’une
thrombo-embolie aortique il y a trois mois.
Examen clinique
La condition corporelle (poids de 3,8 kg), l’état
d’éveil et la température du chat sont normaux.
Les muqueuses sont rose pâle, avec un temps de
remplissage capillaire normal. Le choc précordial
est fort, avec un rythme lent et irrégulier. Le pouls
est trop faible pour être interprété. L’auscultation
cardiaque révèle les troubles suivants : une bra-
dycardie (100 à 120 bpm, battements par minute)
et un souffle sternal de grade variable (II à IV/VI)
radiant ventro-latéralement, de manière plus pro-
noncée à gauche.
Bloc auriculo-ventriculaire
chez un chat
Les chats âgés
peuvent
présenter un
rythme
cardiaque
irrégulier et lent
causé par une
interruption de
la conduction
électrique à la
hauteur du
noeud auriculo-
ventriculaire. La
plupart des
animaux n'ont
pas de
symptômes et
leur arythmie
n'est pas traitée.
Présentation
d’un cas.
L’examen de l’appareil respiratoire ne met en
évidence aucune anomalie : la fréquence res-
piratoire est normale, l’examen du nez égale-
ment (absence d’obstruction nasale, de lésions
et de jetage).
L’examen de la cavité buccale permet d’exclure
la présence d’un abcès, de polypes, d’une zone
inflammatoire ou ulcérée, d’une masse ou d’un
corps étranger. Les dents et les gencives sont
saines. Les nœuds lymphatiques superficiels
sont normaux. Aucun signe pathologique n’est
décelé lors de l’examen ophtalmologique et de
la palpation abdominale. Aucune masse thy-
roïdienne n’est palpée.
Examens complémentaires
/ Pression artérielle
La pression artérielle systolique est mesurée à
la hauteur de la queue, à cinq reprises, avec la
méthode Doppler. La moyenne est de 140 mmHg.
/ Hématologie et biochimie
(cfr. tableaux :
« Hématologie »
« Biochimie et électrolytes »
« Inflammation et hormonologie » )
Aucune anomalie n’est observée.
/ Électrocardiographie
(cfr. tableau « Électrocardiographie » en page 10
et figure 1 en page 12)
• L’électrocardiogramme (ECG) met en évidence
un rythme irrégulier, avec une dépolarisation
des oreillettes (ondes P) à une fréquence de
160 bpm.
• Certaines ondes P ne sont pas suivies d’un
complexe QRS. L’onde P peut précéder, suivre
immédiatement ou être dissimulée par le com-
plexe QRS.
• Les complexes QRS précédés par une onde
P (l’onde de dépolarisation est passée par le
nœud auriculo-ventriculaire) sont élargis
(0,06 s) et présentent une morphologie de bloc
de branche droit (BBD). L’intervalle P-R est nor-
mal (0,11 s).
• Les dépolarisations ectopiques ventriculaires
droites sont positives en dérivation II. Le rythme
d’échappement nodal est de 90 dépolarisations
par minute.
Dr. Christine Deprest,
Cert.V. Cardiologie (UK),
2004
diplomé en 1982 à Gand
B- 8755 Ruiselede
L’auteur
Cas clinique
10 • L’Hebdo Vétérinaire n°170 • 21 novembre 2005
/ Radiographies
(cfr. photos 1 et 2)
La radiographie du crâne est normale. Les radio-
graphies thoraciques ne montrent aucune car-
diomégalie ni aucun signe d’insuffisance car-
diaque congestive. Un arc aortique proéminent
est normalement rencontré chez un chat âgé.
/ Échocardiographie
(cfr. photos 3 à 5)
• Sur la vue parasternale droite en coupe lon-
gitudinale, le Doppler couleur met en évidence
un flux légèrement turbulent au niveau de l’aorte
et de la valve mitrale. Une nette hypertrophie
de la base du septum interventriculaire (SIV)
est visible.
• Sur la vue parasternale droite en coupe trans-
versale, le rapport oreillette gauche / aorte est
de 1,45 (< 1,5). Le Doppler couleur est forte-
ment positif dans le jaillissement du ventricule
droit, depart a la valve tricuspide.
• Les mesures en diastole en mode temps-mou-
vement (TM) sont normales en ce qui concerne
le diamètre du ventricule gauche (VG), la paroi
libre du ventricule gauche (PLVG) et l’épaisseur
du septum interventriculaire (SIV). La fraction
de raccourcissement (FR(1)) est de 65 %.
Traitement
Aucun traitement n’est mis en place.
Diagnostic
Il s’agit d’un bloc auriculo-ventriculaire (BAV)
de deuxième degré, haut, avec un rythme
d’échappement nodal de 90 bpm.
Discussion
/ Le bloc auriculo-ventriculaire
Les BAV sont des arrêts de la conduction entre
les oreillettes et les ventricules. La localisation
anatomique de ces blocs peut être juste au-des-
sous du NAV et du faisceau de His jusqu’à la
tripartition de ce dernier. Les BAV sont classés
en fonction de leur degré de gravité fonction-
nel. Lors de BAV de premier degré, un simple
ralentissement de la conduction, caractérisé par
un allongement de l’intervalle P-R, est noté. Lors
de BAV de deuxième degré, l’interruption de la
conduction est complète, mais intermittente.
Ces BAV se définissent par quelques ondes P
qui ne sont pas suivies d’un complexe QRS.
Lorsque le bloc s’accompagne d’un allongement
de l’intervalle P-R, on parle d’un BAV de type 2
Mobitz I (Wechenbach). Dans le cas d’un inter-
valle P-R fixe, il s’agit d’un BAV de type 2 Mobitz
II. Et quand les ondes P bloquées sont nom-
breuses, on parle d’un BAV 2 de haut degré.
Enfin, les BAV de troisième degré, ou blocs du
cœur complet, sont caractérisés par une dis-
cordance totale entre les dépolarisations des
Paramètre Patient Références chat adulte
Globules rouges 7,41 5.5 - 10 x 1012/l
Hémoglobine 5,7 5 – 9,5 mmol/l
Hématocrite 278 260 – 460 ml/l
MCV(1) 38 40 – 55 fl
MCHC(2) 20 18,6 – 23,6 mmol/l
Globules blancs 9,6 5,5 – 19,5 x 109/l
Neutrophiles 59,7 35 – 75 %
Neutrophiles (immatures) 0 0 – 3 %
Eosinophiles 4,0 2 – 12 %
Lymphocytes 34,5 20 – 55 %
Monocytes 1,8 1 – 4 %
Hématologie
Parameter Patient Références chat adulte
Glucose 5,9 3,5 – 6,00 mmol/l
Ureum 12,6 5,90 – 12,50 mmol/l
Creatinine +138,78* 70-108 mmol/l
Bilirubine total 1,88 1,50-2,50 mmol/l
Bilirubine direct < 0,51 1,50 – 2,50 mmol/l
Galzuren 17 < 20 mmol/l
Sodium 153 146 – 158 mmol/l
Potassium 4,8 3,4 – 5,2 mmol/l
Chloride +121 105 – 112 mmol/l
Protein total 74 55 – 85 g/l
Biochimie et électrolytes
* Creatinine élévée par un azotaemie prerenale.
Paramètre Patient Références chat adulte
T4 23,2 12 – 52 nmol/l
To xoplasmose neg <1/40
FeLv neg neg
FIV neg neg
Inflammation et hormonologie
Lead II 50 mm/sec Patient Références chat
Fréquence Ventricules à 90/min
Atria à 180/min 120-240/min
Rythme Irrégulier sinusal
Durée onde P 0,03 sec. 0,04 sec
Amplitude onde P 0,1 mV 0,2 mV
Intervalle P-R 0,09 sec. 0,05-0,09sec
Amplitude onde R 0,1 mV max. 0,9 mV
QRS durée et morphologie 0,06 sec. max. 0,04 sec.
De type branche droite
Intervalle Q-T 0,22 sec. 0,07-0,2 sec
T amplitude et morphologie 0,1 en positief max. 0,3 mV
Segment S-T Inexistant Pas de dépression,
ni d’élévation
Direction axe électrique le focus vient du VD** 0- +160°
** Le rythme ectopique empêche de calculer l’axe électrique.
Voir également fig. 1.
(1) Mean corpuscular volume.
(2) Mean cell hemoglobin concentration.
Électrocardiographie
Cas clinique
12 • L’Hebdo Vétérinaire n°170 • 21 novembre 2005
oreillettes et des ventricules. L’ECG met en évi-
dence des ondes P à rythme sinusal régulier et
des complexes QRS à rythme indépendant et
visiblement plus lent, le plus souvent avec une
origine juste en dessous du lieu de l’interrup-
tion de la conduction [7].
Devant un chat qui présente des syncopes ou une
bradycardie, un BAV 2 de haut degré doit être sus-
pecté. La cause la plus fréquente des BAV chez le
chat est une augmentation du tonus vagal,
comme dans le cas de certaines affections respi-
ratoires, gastro-intestinales ou du système ner-
veux central. L’épistaxis, les difficultés à déglutir
et le ptyalisme peuvent expliquer l’influence para-
sympathique, à l’origine probablement d’un bas
débit sanguin, et donc d’une désorientation de
l’animal. Deux autres symptômes auraient égale-
ment pu être observés : un pouls jugulaire, visible
lorsque l’oreillette droite se contracte sur une
valve tricuspide fermée ; une non-concordance du
pouls et du choc précordial, lorsque toutes les
impulsions électriques ne sont pas suivies d’une
contraction ventriculaire.
Dans le cas présent, l’ECG met en évidence un
BAV 2 de haut degré dont la fréquence est de
3:1 à 5:1. Les complexes QRS conduits sont
reconnus par leur intervalle R-R qui est plus
court que celui entre deux complexes QRS
échappés. Après une extrasystole ventriculaire
(ESV), le NAV n’a pas le temps de se repolari-
ser complètement. Cela explique la conduite
aberrante du complexe QRS. La branche droite
du faisceau de His demande plus de temps pour
se repolariser. Le NAV se dépolarise générale-
ment à une fréquence inférieure à 100 bpm.
Chez ce chat, la fréquence est de 90 bpm, ce
qui indique que l’échappement vient du NAV.
/ Diagnostic différentiel
Les causes les plus fréquentes d’un rythme
d’échappement nodal rapportées dans la litté-
rature sont les intoxications (diltiazem, aténo-
lol, digoxine, strumazole et autres), les inflam-
© Christine Deprest
1
© Christine Deprest
2
Latéral (photo 1) Dorsoventral (photo 2)
Qualité et position Peu surexposé Peu rotaté
Inspiratoire Inspiratoire
Jugement de la Pas de signes Pas de signes
fonction respiratoire de congestion de congestion
Jugement de la La longeur du coeur est Le coeur est < 2/3 de la
fonction cardiaque < 2/3 de la profondeur taille du thorax
du thorax Arc aortique proéminent
Arc aortique proéminent entre 0 – 1 l’heure
(1) Critère d’évaluation
de la fonction
cardiaque.
La FR est calculée
comme suit : (diamètre
du ventricule gauche en
fin de diastole –
diamètre du ventricule
gauche en fin de
systole) / diamètre du
ventricule gauche en fin
de diastole. Une FR >
35 % représente une
bonne fonction
cardiaque.
Fig. 1
Cas clinique
L’Hebdo Vétérinaire n°170 • 21 novembre 2005 • 13
[1] Ferasin L.,Van de Stadt
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Treatment. 3rd ed.
Lea § Febiger.
1992:208-250.
Bibliographie
© Christine Deprest
© Christine Deprest© Christine Deprest© Christine Deprest
mations (péritonite infectieuse féline, toxo-
plasmose, endocardite), une infiltration du tissu
de conduction (lymphome), une dégénéres-
cence ou une fibrose du NAV due à un infarc-
tus (vascularite, cardiomyopathie hypertro-
phique ou dilatée). Les désordres
électrolytiques (hypo- ou hyperkaliémie) et l’hy-
perthyroïdie peuvent également être respon-
sables d’interruption de la conduction au niveau
du NAV. Dans le cas présent, le diagnostic est
celui d’un BAV 2 de haut degré secondaire à
une fibrose idiopathique.
Les radiographies réalisées chez ce chat ne
montrent aucun signe de congestion, comme
un œdème pulmonaire ou un épanchement pleu-
ral. La taille du SIV et celle du PLVG sont infé-
rieures à 6 mm, ce qui exclut une hypertrophie
concentrique du ventricule gauche secondaire
à une cardiomyopathie hypertrophique ou à
une hypertension artérielle systémique. Le dia-
mètre du ventricule gauche en diastole est infé-
rieur à 16 mm, avec une FR de 65 %, ce qui
écarte les diagnostics de cardiomyopathie dila-
tée, de surcharge volumique et de contractilité
diminuée du myocarde.
Le souffle holosystolique doux perceptible sur
le côté ventral gauche du thorax vient d’une
obstruction au flux sanguin du ventricule gauche
vers l’aorte, causée par une hypertrophie sénile
de la base du SIV. Cela est confirmé par le
Doppler couleur qui montre un patron en
mosaïque au niveau de l’aorte et une petite
régurgitation mitrale. Une régurgitation mitrale
en diastole est décrite chez des chiens et des
chats qui présentent un BAV 2 ou 3 [9].
L’obstruction dynamique du ventricule droit
(ODVD) est due à un rétrécissement de la par-
tie proximale du ventricule droit en systole et
peut expliquer le souffle systolique dynamique
du même côté. Rishniw et Thomas (2002) rap-
portent que l’ODVD est une cause physiolo-
gique de souffle systolique. Le jet produit par
l’obstruction présente une forme typique et ne
pique que tardivement en systole.
Les arythmies cliniquement importantes sont
4
Vue parastenale droite en coupe courte:
TM-mode du ventricule gauche.
5
Vue parasternale droite en coupe longitudinale
avec hypertrophie de la base de septum
interventriculaire, typique pour des chats plus
agés. Regarde aussi l’apex du cœur fin.
6
Vue parasternale droite en coupe courte.
La vélocité du trajet du ventricule droit va
jusqu’au 3 m/sec. « Horse-tail » patron,
charactéristique pour une obstruction
dynamique en milieu de systole.
3
Vue parasternale droite en coupe longitudinale:
une nette hypertrophie de la base du septum
interventriculaire (IVS) est visible.
rares chez le chat [4]. Le rythme d’échappe-
ment apparaît généralement avant qu’un bloc
ne puisse provoquer des symptômes. Si un chat
atteint d’un BAV 2 de haut degré devient symp-
tomatique, il peut présenter des syncopes ou
des signes d’insuffisance cardiaque congestive.
Lorsque ces troubles sont persistants, l’im-
plantation d’un pacemaker est la seule option
thérapeutique [1].
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