20 ans déjà - John Libbey Eurotext

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Actualités
Sous la coordination de Didier Le Gall
Rev Neuropsychol
2011 ; 3 (3) : 135-40
20 ans déjà !
doi : 10.1684/nrp.2011.0183
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I
l y a 20 ans, l’Université de Savoie
à Chambéry, en partenariat avec
l’Université de Grenoble, ouvrait
le premier DESS de neuropsychologie en France. Cette décision,
visionnaire pour une université
qui avait à peine 10 ans, devait
beaucoup à la volonté et à la force
de persuasion de trois hommes :
Jacques Pellat, Marc Jeannerod et
Serge Carbonnel.
Chacun s’accordera à considérer
que la création de ce diplôme, en
1991, a joué un rôle majeur dans
le développement de la neuropsychologie moderne en France.
Cela est vrai pour la formation des
professionnels de la neuropsychologie, mais aussi pour l’installation
définitive de cette discipline dans
le paysage universitaire français
(création d’enseignements spécifiques, et ultérieurement de diplômes, création de postes de maîtres
de conférences et de professeurs
libellés neuropsychologie).
Très opportunément, Serge Carbonnel et ses collègues ont souhaité fêter l’anniversaire de la mise en
place de cette formation par l’organisation d’un colloque qui a réuni,
à Chambéry, les 17 et 18 juin derniers, un large public international
d’anciens étudiants, d’universitaires et de professionnels de la neuropsychologie.
Notre rubrique sera totalement
consacrée à cette réunion scientifique d’une très grande importance,
tant par sa valeur symbolique que
par son haut niveau scientifique.
Au cours de ces deux journées, les
conférenciers qui tous ont participé
aux enseignements de ce diplôme,
ont largement balayé le champ de la
neuropsychologie actuelle, de l’enfant au sujet âgé, et de la clinique à
la rééducation. Mémoire, dyslexies
développementales, reconnaissance des personnes, émotions, vieillissement cérébral, rééducation cognitive et expertise en ont constitué les
principales thématiques.
- Dans sa conférence, Bernard
Laurent s’est interrogé sur ce qui
différencie mémoire de soi et mémoire du monde. Après avoir pointé
quelques notions théoriques autour
de la mémoire (en particulier de
représentation distribuée), B. Laurent
montre que la clinique nous offre la
possibilité de faire la partition entre
mémoire contextualisée (voir amnésie développementale, troubles de la
mémoire dans l’épilepsie) et mémoire décontextualisée (voir démence
sémantique). Ces deux formes de
mémoire s’appuient sur deux circuits
objectivés à l’imagerie cérébrale : 1)
une voie dorsale, via le circuit parahippocampique, le gyrus cingulaire
postérieur et pariétal inférieur, pour
la mémoire contextualisée et, 2)
une voie ventrale via le cortex périrhinal, entorhinal et hippocampique
externe pour la mémoire décontextualisée. À l’appui de cette approche,
B. Laurent rapporte deux observations qui témoignent d’une atteinte
majeure des compétences en mémoire épisodique et autobiographique (composante épisodique) alors
que la mémoire autobiographique
(composante sémantique) et lamétamémoire sémantique apparaissent
préservées. Cette conférence a également fourni l’occasion: 1) de rappeler les méthodes qui permettent
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de différencier recollection et familiarité (rappel libre/reconnaissance ; événements complexes/simples ; paradigme R/K ; jugement de
confiance dans la reconnaissance ;
reconnaissance de source) ; 2) l’effet potentiellement pervers de la
primauté (difficulté pour oublier les
choses inutiles) ; 3) l’impact de ces
troubles de mémoire sur les différentes dimensions du self (épisodique/
social, explicite/implicite) ; 4) les liens
entre mémoire autobiographique et
estimation du temps passé. De telles données autorisent également à
interroger les relations entre le rôle
dévolu à l’hippocampe et la notion
de trace mnésique unique (telle que
défendue par Squire) puisque dans
cette configuration la recollection et
la familiarité devraient être touchées
simultanément.
- Cependant, la présentation du cas
Michèle G. par Michel Poncet montre qu’une atteinte vasculaire bithalamique antérieure est susceptible
d’entraîner une altération sévère
de la mémoire autobiographique
dans ses composantes épisodique
et sémantique. Ceci étant, la patiente peut évoquer des connaissances « pointues » (explication
du mythe de Platon, de la mort de
Socrate ou du tableau Guernica
de Picasso), acquérir de nouvelles connaissances sémantiques et
la sémantique personnelle semble
un peu mieux préservée (avec un
gradient temporel – enfance > jeune adulte > récent). Ces données
cliniques conduisent M. Poncet
à faire l’hypothèse d’une atteinte
préférentielle du self phénoménologique chez cette malade.
- Encore une histoire de self dans la
conférence de Catherine ThomasAntérion consacrée aux amnésies
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dissociatives. Ces amnésies réalisent un tableau considéré comme
psychiatrique et révélateur de la
résolution d’un conflit psychique
inconscient. Dans ce cadre, l’état
dissociatif engendre une modification de la conscience qui modifie
l’accès aux souvenirs. Les illustrations sont classiques : le voyageur
sans bagage qui a changé d’état
de conscience mais qui réapprend
partiellement son histoire et que
ses proches reconnaissent formellement, sans changement ; un
autre lui-même qui a modifié ses
habitudes (C. mange des fraises et
a changé ses pratiques sexuelles ;
D. se passionne dorénavant pour les
bateaux). Cependant, ce « blocage »
des souvenirs passés se manifeste, au niveau anatomique, par un
hypométabolisme du cortex frontal
inférolatéral droit, ou de l’hippocampe gauche, ou des aires occipitotemporales. Pour illustrer son propos, C. Thomas-Antérion rapporte
l’observation d’une patiente de 32
ans, victime d’une chute responsable d’une perte de connaissance
brève. Cette malade présente une
amnésie rétrograde disproportionnée (toute la biographie, y compris
la capacité à jouer de la flûte et de
conduire) sans atteinte antérograde.
Au travers un suivi clinique très
fin, C. Thomas-Antérion interroge
les différentes dimensions du self
conceptuel (traits de personnalité,
valeurs, compétences, activités) où
il apparaît que les traits obsessionnels, perfectionnistes, et les valeurs
religieuses, sociales et politiques ne
se sont pas significativement modifiés. Sa famille et ses amis la reconnaissent comme avant. Cependant,
les goûts alimentaires (mange désormais de la viande et des plats
chinois) et artistiques (ne joue plus
de flûte – instrument qu’elle pratique assidûment depuis l’âge de
6 ans – mais de la couture et de la
peinture) ont changé. La discussion
de ce cas porte sur la compréhension du blocage, l’existence de
signes de récupération, mais aussi
sur la nature de l’état dissociatif
qui réalise ici une disjonction entre
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les composantes implicites du self
(conservées) et les attitudes explicites (modifiées).
- Dans un tout autre registre, Guido
Gainotti a présenté une intervention dédiée aux perturbations multimodales dans la reconnaissance
des personnes connues. Après
avoir souligné le rôle primordial
du visage dans la reconnaissance
des individus, G. Gainotti rappelle
que la prosopagnosie correspond
à un trouble de la reconnaissance
visuelle des individus et qu’elle
peut être dissociée en une forme
aperceptive (altération des capacités d’appariement des faces, des
âges, des genres, etc., mais ces perturbations peuvent tout autant affecter des visages inconnus) et une
forme associative (déficit de reconnaissance sans atteinte perceptive).
G. Gainotti procède à une autre
distinction entre prosopagnosie et
atteinte multimodale de la reconnaissance de personnes et rappelle
également l’opposition entre le
modèle de Burton et al. (1990) introduisant la notion de nœud d’identification personnel (sorte d’archives
sémantiques aspécifiques) et celui
de Bruce et Young formulant la
proposition qu’à chaque modalité
correspondrait une identification
spécifique. S’appuyant sur une
solide revue de la littérature et une
observation personnelle, il suggère
que : 1) le sentiment de familiarité
pour les visages est relié à l’hémisphère droit (lobe temporal) ; 2) l’information sémantique individuelle
n’est pas stockée dans un système
unitaire abstrait et amodal mais dans
des systèmes partiellement différents (à droite : informations visuelles – visage –, à gauche : informations
verbales – noms –). Le lobe temporal
gauche jouerait donc un rôle dans
l’appariement entre l’information
conceptuelle et les étiquettes verbales. En d’autres termes, les différentes composantes des fonctions de
reconnaissance, identification et dénomination des personnes connues,
sont prises en charge par les deux
hémisphères, ce qui peut être synthétisé dans le tableau 1.
- Michel Habib a donné une conférence intitulée « Cerveau, émotions
et comportement. Évolution des
concepts en 20 ans ». Il rappelle rapidement l’explosion des travaux liée
à l’apparition des techniques d’imagerie et à plusieurs révolutions
dans les concepts d’émotion et de
motivation. M. Habib fait une revue
historique des travaux qui, de Broca
à Jacob et de Mesulam à Damasio en
passant par Geschwind, fondent les
relations entre cerveau, émotions et
comportement. Il montre comment
Geschwind fut précurseur en proposant d’étendre le raisonnement
de déconnexion à des désordres
émotionnels (autisme, schizophrénie, syndrome de Capgras). Il
analyse également les travaux de
Damasio et le rôle des marqueurs
somatiques (représentations socioaffectives) qui guident la décision
et le choix des conduites sociales. Il
décrit les trois structures cérébrales
Tableau 1. Répartition hémisphérique des différentes
composantes impliquées dans la « reconnaissance des
personnes connues ».
Hémisphère droit
Composantes sensorielles,
traitement perceptif,
sentiment de familiarité et
identification d’un
individu sur la base de
son visage et de sa voix
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Hémisphère gauche
Composante à
médiation verbale
(comme le nom
ou la description
verbale d’un
individu)
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qui jouent un rôle essentiel dans ces
problématiques : le noyau amygdalien : lieu de la rencontre des
souvenirs et des désirs, le noyau
acumbens : lieu de la conversion
du désir en action donc de la motivation et le cortex orbitaire et frontopolaire dont l’implication dans
l’établissement et le maintien des
marqueurs somatiques a été suggérée par le groupe de Damasio.
M. Habib a ensuite examiné l’impact
des lésions fronto-orbitaires acquises précocement (avant 2 ans) sur
le comportement des adultes jeunes pour montrer que les perturbations sont massives : personnalité
antisociale, psychopathie, absence
de remords et de culpabilité, altérations du jugement moral. Il souligne d’ailleurs la place prise par
cette question du jugement moral dans les publications récentes.
M. Habib traite enfin la pathologie
de la motivation en s’interrogeant
sur le fait de savoir si le système
constitué des trois structures corticales et sous-corticales évoquées
ci-dessus peut être à la base du
syndrome athymhormique. Pour
lui, s’agissant de la motivation, il y a
une opposition entre une conception universelle étroitement liée à
des besoins primordiaux chez le vivant, sous-dépendance des structures sous-corticales, et une conception sophistiquée relevant de la
volonté humaine, sous-dépendance
des structures corticales. M. Habib
défend l’idée que l’athymhormie,
comme perte de l’auto-activation
psychique, serait due à une interruption bilatérale d’un circuit principal sous-cortical de la motivation.
La boucle limbique serait le cœur
de ce système par où passerait
la motivation entraînant activité
motrice et activité cognitive.
- Quels sont les troubles cognitifs responsables de la dyslexie ?
Telle est l’épineuse question posée
par Sylviane Valdois lors de sa
conférence. Soulignant les avancées majeures (pour le diagnostic
ou la remédiation) autorisées par
la théorie phonologique, S. Valdois
rappelle que tous les enfants
dyslexiques ne présentent pas de
troubles phonologiques et que
ces troubles phonologiques n’interdisent pas toujours une bonne compensation de la dyslexie.
Ce constat conduit à proposer des
hypothèses alternatives fondées sur
des troubles visuels (cécité verbale
congénitale, troubles visuels magnocellulaires, déficit d’attention
visuelle) qui pourraient être responsables par exemple de difficultés
dans le traitement séquentiel des
lettres ou de la segmentation des
graphèmes. Les modèles récents
ont introduit la notion de fenêtre
visuo-attentionnelle (FVA). La taille
de la FVA correspond à l’empan
visuo-attentionnel (EVA), c’est-àdire le nombre d’éléments visuels
qui peuvent être traités simultanément dans une configuration.
Une réduction de la FVA (ou un
trouble de l’EVA) entraînerait une
dyslexie qui peut être dissociée
d’une dyslexie par trouble phonologique. Une étude de deux cas
et une étude de groupe montrent
que cette dissociation s’observe en
clinique. Plus de 60 % des enfants
dyslexiques étudiés se répartissent
soit dans un groupe qui présente
des performances déficitaires en
VA et de bonnes performances en
phonologie, soit dans un groupe
qui présente le profil inverse. Les
40 % restants présentent des troubles en VA et en phonologie ou
des performances normales en VA
comme en phonologie. Un faible
empan visuo-attentionnel contribuerait donc au faible niveau de
lecture, indépendamment des capacités phonologiques. Cette atteinte
de l’EVA présuppose l’intégrité de
l’acuité visuelle, de l’oculomotricité, de l’orientation de l’attention
visuelle et du traitement visuel de
lettres isolées. Les travaux d’imagerie cérébrale laissent entrevoir une
souffrance des régions pariétales
gauches (lobule pariétal ou gyrus
supramarginal selon les études).
Ces constats conduisent à distinguer deux sous-types de dyslexies
développementales : 1) une dyslexie par trouble phonologique en
regard d’une atypie fronto-pariétale
gauche ; 2) une dyslexie par trouble
visuo-attentionnel dépendant d’une
atypie du lobule pariétal supérieur.
Les conséquences pratiques de ces
travaux se déclinent sous forme
d’un outil de diagnostic (EVADYS)
et d’un outil de remédiation
(COREVA/MAEVA), mais aussi dans
des exercices d’entraînement pour
la grande section de maternelle.
- S’agissant de remédiation, Philippe
Azouvi a donné une conférence
ayant pour thème la rééducation
en neuropsychologie. Il a rappelé les nombreuses difficultés
méthodologiques qui jalonnent
la conduite des travaux : effets
confondants (récupération spontanée, effet placebo, croyance du
thérapeute), méthodes (évaluation
en simple aveugle, évaluation de la
taille de l’effet et pas seulement de
la significativité de l’effet, l’intensité
du traitement et sa durée – relation
effet/dose – , la faisabilité clinique du
traitement, la place de la plasticité
cérébrale et le moment de début
du traitement). Le tableau 2 montre
que la question de la preuve qu’on
voudrait scientifiquement solide
Tableau 2. Rééducation cognitive fondée sur la preuve (d’après Cicerone
et al., 2000, 2005, 2011).
Visuo-spatial
Langage
Mémoire
Attention
Fonctions
exécutives
40/12*
41/8
42/4
13/3
14/1
1998-2002
11/3
40/2
13/3
5/1
9/2
2002-2008
15/3
41/6
16/3
8/2
19/3
< 1998
*
Nombre d’études publiées/publications de niveau de preuve I.
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(idéalement lien entre données
expérimentales et activité réelle)
reste un enjeu de taille.
Deux questions majeures se posent
aussi. Est-ce que les effets sont liés
à la nature des tâches rééducatives
ou à une stimulation cognitive globale non spécifique ? Cette question est liée à celle de la constitution d’un groupe de contrôle
pertinent. L’autre question concerne le problème des transferts dans
la vie quotidienne. Il s’agit ici d’interroger la validité écologique de la
ré-éducation et l’épineux problème de sa mesure. P. Azouvi souligne que les travaux s’appuient soit
sur des études de groupes (groupe
expérimental/groupe témoin) dont
l’évolution des performances est
contrôlée par des lignes de base
multiples, soit sur des études de
cas qui permettent, toujours à partir de lignes de base multiples, de
comparer des mesures cibles, des
composantes engagées dans la
ré-éducation, à des mesures non
spécifiques de celle-ci. Mais le
point crucial, y compris sans doute
pour l’avenir de la neuropsychologie clinique, est bien celui de savoir
si la rééducation est efficace. Sur la
base d’un ensemble d’études portant sur la rééducation de différentes fonctions cognitives (fonctions
exécutives, attention, mémoire de
travail), P. Azouvi montre que : 1)
il existe un effet significatif de la
ré-éducation cognitive ; 2) l’effet
persiste quel que soit le délai postlésionnel ; 3) cet effet est spécifique
au domaine rééduqué ; 4) il est
a priori possible d’observer une
généralisation à la vie quotidienne
(en particulier pour la mémoire
de travail). En d’autres termes, si la
ré-éducation est recommandée
quel que soit le domaine rééduqué,
des déficits spécifiques nécessitent des traitements spécifiques. P.
Azouvi a conclu son intervention en
considérant que le problème n’était
plus de savoir si la rééducation cognitive est efficace mais plutôt de
définir sa durée et son intensité,
de réfléchir à son intégration
dans une prise en charge plus
138
globale (« psychosociale »), à sa
potentialisation par des traitements
pharmacologiques ou neurophysiologiques (par exemple rTMS).
Reste aussi posée la question de savoir qui sont les professionnels qui
assurent cette rééducation et sur la
base de quelle formation.
- Autre problème complexe, voire
sensible : le vieillissement cérébral.
Il faut assumer cette complexité a
dit en substance Martial Van der
Linden dans une conférence intitulée
« le vieillissement cérébral/ cognitif
problématique : une approche qui
assume la complexité ». Dans son
exposé, M. Van der Linden a mis en
garde contre le danger d’une neuropsychologie qui serait déconnectée
de la psychologie clinique, pour
coller à la « neurobiologisation » du
fonctionnement psychologique (et
à la « pathologisation » du vieillissement). Il plaide pour une pratique clinique en neuropsychologie
qui assume la complexité des phénomènes et s’appuie sur une véritable approche bio-psycho-sociale,
telle qu’elle est formalisée dans le
modèle proposé par Kinderman et
Tai (2007, 2009) dans la figure 1.
En d’autres termes, toute intervention neuropsychologique se fonde
au préalable sur une interprétation
psychologique (en rapport avec
un modèle psychologique empiriquement fondé) des difficultés
psychologiques. L’intervention est
alors « taillée sur mesure » en
fonction des dysfonctionnements
psychologiques présentés par la
personne. Pour illustrer son propos,
M. Van der Linden prend l’exemple
du vieillissement cérébral/cognitif
et ses différents formats problématiques. Selon lui, on assiste à
une médicalisation du vieillissement qui repose sur une approche
biomédicale, critiquable, de la maladie d’Alzheimer et de ses formes
présymptomatiques. Il rappelle par
exemple qu’une méta-analyse récente (Mitchell et Shiri-Feski, 2008),
reposant sur l’étude de 41 publications, montre que la majorité des
personnes ayant reçu un diagnostic de MCI n’a pas évolué vers un
tableau de démence. M. Van der
Linden préconise donc de changer les pratiques de l’évaluation
pour une approche plurifactorielle,
intégrant les multiples facteurs
psychologiques en jeu. Il souhaite
qu’elles s’intéressent au fonctionnement dans la vie quotidienne,
considérant qu’une neuropsychologie de la vie quotidienne reste
à construire. En conséquence, les
interventions psychologiques devraient reposer sur des entrées psychologiques multiples, intégrées et
« taillées sur mesure » et davantage
centrées sur la communauté et le
cadre de vie des personnes. M. Van
der Linden considère qu’il y a au
travers d’une telle approche une
multitude d’axes d’intervention,
donc d’investissement professionnel, pour les psychologues.
- Dans sa conférence, Xavier Seron
a abordé le difficile problème de
l’expertise en neuropsychologie,
Facteurs
biologiques
Effets
Facteurs
sociaux
Processus
psychologiques
Dysfonctionnements
psychologiques
conjoints
Événements
de vie
Figure 1. Modèle psychologique des dysfonctionnements neuropsychologiques
et psychopathologiques (Kinderman et Tai, 2007, 2009).
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en particulier sous l’angle de
l’éthique. Il a rappelé les deux
grandes dimensions dans l’expertise : 1) l’évaluation du dommage
corporel en cas d’accident et 2)
l’évaluation de la compétence de
la personne âgée en difficulté cognitive. De toute évidence, le vieillissement de la population, l’existence
de pathologies dégénératives et de
blessures cérébrales acquises ont
pour conséquence l’augmentation,
dans la population et, en particulier
celle des personnes âgées, des problèmes de mémoire, langage, etc.
Ceci rend certaines populations
plus vulnérables et l’utilisation de
certains diagnostics médicaux met
en difficulté les droits des personnes, singulièrement les personnes
âgées. Dans le cadre de l’expertise,
le questionnement est nécessairement très étendu car il touche
de nombreux domaines de la vie
quotidienne. Il faut s’interroger sur
les capacités des personnes à : 1)
donner un consentement pour une
décision médicale ; 2) donner un
consentement pour la participation
à une recherche ; 3) gérer les finances ; 4) conduire une voiture ; 5) suivre correctement un traitement ; 6)
vivre de manière autonome dans la
vie quotidienne ; 7) choisir un lieu
de résidence ; 7) se marier/adopter ;
8) défendre ses droits et devoirs en
justice. X. Seron précise que, selon
le Code civil belge, la capacité est
la règle et l’incapacité l’exception.
Dans le champ de l’expertise, l’incapacité résultera donc de la décision d’un juge de paix. Le premier
problème posé est celui de l’analyse de la capacité. X. Seron souligne
que la capacité n’est pas générale
mais spécifique (on peut conduire
une voiture mais ne pas pouvoir
gérer son argent, par exemple).
L’analyse doit se faire selon 3 dimensions : 1) les différentes compétences mettent en jeux des processus
cognitifs/psychologiques
différents ; 2) de plus, la personne
peut, selon les domaines, avoir un
niveau d’expertise antérieur plus
ou moins résistant à la maladie ;
3) enfin, certaines compétences
sont liées à des contextes particuliers qui mettent en jeu des acteurs
différents. Le second problème à
considérer est celui de la compétence. La compétence à l’intérieur
d’un domaine doit être hiérarchisée. En effet, elle peut être altérée
pour des tâches complexes mais
pas pour des tâches plus simples
(exemple : placement en bourse
versus faire ses courses dans le
magasin local). Malheureusement,
il n’existe pas, à l’heure actuelle,
d’outil qui permette cette évaluation. Dans le cadre de situations
évolutives (de manière favorable ou
défavorable), la compétence doit
faire l’objet de réévaluations. Dans
le cadre d’une expertise, la compétence doit être pensée comme
spécifique à un domaine, limitée
à l’intérieur du même domaine
et établie pour une durée définie
avec réévaluation à l’issue. L’expertise nécessite ici une évaluation fine
pour déterminer les limites, plus
de souplesse et de contrôle. Deux
situations d’expertise permettent
à X. Seron de montrer la complexité de la position de l’expert
en neuropsychologie. Il souligne
en particulier que celui-ci ne doit
pas perdre de vue la question
posée, quels que soient les arguments médicaux par ailleurs exposés, validés, retenus. Un point
retient son attention : un diagnostic
médical n’est pas par définition et
d’emblée synonyme d’incapacité.
Expertise n° 1 : est-ce que Mme X.,
suspecte de présenter une démence fronto-temporale débutante, est
en mesure de gérer ses biens sans
léser ses enfants ? Une fois réalisée
l’évaluation neuropsychologique
qui retrouve des difficultés exécutives, compatibles avec le diagnostic médical, il convient ici de
répondre à plusieurs questions clés :
Est-ce que Mme X. peut décrire les
membres de sa famille ? A-t-elle
une représentation précise de ses
biens et de leur valeur ? Comment
conçoit-elle la transmission de ses
biens au travers de l’héritage et
les conséquences de la décision
de vendre la maison ? L’expert
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conclura que si sur le plan cognitif,
les choses sont claires (la patiente
peut gérer ses biens), il ne peut
pas en l’état évaluer la dimension
émotionnelle avec certitude (il se
pourrait donc que pour de multiples raisons, la patiente ne mesure
pas correctement les conséquences de ses décisions) et par conséquent répondre avec précision à la
question posée par l’expertise qui
a ensuite été confiée à un autre
expert. Expertise n° 2 : est-ce que
M. A.P., hispanophone, suspect de
présenter une démence vasculaire,
peut défendre ses droits en justice ?
La première expertise a répondu par
la négative sur la base du diagnostic
médical. Lors de la seconde expertise, l’évaluation neuropsychologique
retrouve les difficultés mnésiques,
de compréhension et la fatigabilité.
Cependant, d’autres données, en
particulier verbales, laissaient penser que M. A.P. avait les capacités de
s’exprimer devant une cour de justice. Ceci étant, l’entretien d’expertise ne permet pas d’objectiver l’absence de coopération et de conclure
avec certitude. Le juge décidera de
ne pas entendre le patient. Nous retiendrons de la conférence de X. Seron que d’un point de vue éthique,
le psychologue intervenant comme
expert en neuropsychologie doit se
livrer à un examen minutieux des
capacités et incapacités, présentées
par le patient qui lui est confié, en
rapport avec ce qui motive l’expertise, au-delà du diagnostic médical
éventuel, et indépendamment de la
position potentiellement adoptée
par le juge qui au final doit trancher.
Inutile de dire aussi que ces journées représentent pour notre discipline un moment d’une grande importance. Les conférences, de haut
niveau, ont donné lieu à des échanges nourris, parfois vifs, toujours
passionnants. Les moments de répit qu’offrent les pauses et autres
activités sociales ont permis des
rencontres, des retrouvailles aussi
et, la prolongation des débats !
« La neuropsychologie clinique est
une méthode et une discipline qui
139
Actualités
visent à penser et à panser la pensée » nous a dit Michel Poncet. Si
nous ne parvenons pas toujours à
« panser la pensée », nous pouvons
toujours nous obliger à penser.
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Si la multiplicité des spécialisations, surspécialisations, des réu-
nions, des colloques et autres
workshops thématiques fait parfois douter de l’existence d’une
communauté de neuropsychologues, cette manifestation a montré
que la motivation et l’enthousiasme des initiateurs de la formation
restent intacts.
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Longue vie donc au DESS/Master de
neuropsychologie de l’Université
de Savoie et à tous ses petits frères, pour que cette famille nombreuse continue de tirer vers le
haut la formation professionnelle
et scientifique de nos futurs jeunes
collègues.
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