REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES CONGNITIVES ET CLINIQUES 135
doi : 10.1684/nrp.2011.0183
Actualités
Sous la coordination de Didier Le Gall
Rev Neuropsychol
2011 ; 3 (3) : 135-40
Il y a 20 ans, l’Université de Savoie
à Chambéry, en partenariat avec
l’Université de Grenoble, ouvrait
le premier DESS de neuropsycho-
logie en France. Cette décision,
visionnaire pour une université
qui avait à peine 10 ans, devait
beaucoup à la volonté et à la force
de persuasion de trois hommes :
Jacques Pellat, Marc Jeannerod et
Serge Carbonnel.
Chacun s’accordera à considérer
que la création de ce diplôme, en
1991, a joué un rôle majeur dans
le développement de la neuro-
psychologie moderne en France.
Cela est vrai pour la formation des
professionnels de la neuropsycho-
logie, mais aussi pour l’installation
défi nitive de cette discipline dans
le paysage universitaire français
(création d’enseignements spécifi -
ques, et ultérieurement de diplô-
mes, création de postes de maîtres
de conférences et de professeurs
libellés neuropsychologie).
Très opportunément, Serge Car-
bonnel et ses collègues ont souhai-
té fêter l’anniversaire de la mise en
place de cette formation par l’orga-
nisation d’un colloque qui a réuni,
à Chambéry, les 17 et 18 juin der-
niers, un large public international
d’anciens étudiants, d’universitai-
res et de professionnels de la neu-
ropsychologie.
Notre rubrique sera totalement
consacrée à cette réunion scientifi -
que d’une très grande importance,
tant par sa valeur symbolique que
par son haut niveau scientifi que.
Au cours de ces deux journées, les
conférenciers qui tous ont participé
aux enseignements de ce diplôme,
ont largement balayé le champ de la
neuropsychologie actuelle, de l’en-
fant au sujet âgé, et de la clinique à
la rééducation. Mémoire, dyslexies
développementales, reconnaissan-
ce des personnes, émotions, vieillis-
sement cérébral, rééducation cogni-
tive et expertise en ont constitué les
principales thématiques.
- Dans sa conférence, Bernard
Laurent s’est interrogé sur ce qui
différencie mémoire de soi et mé-
moire du monde. Après avoir pointé
quelques notions théoriques autour
de la mémoire (en particulier de
représentation distribuée), B. Laurent
montre que la clinique nous offre la
possibilité de faire la partition entre
mémoire contextualisée (voir amné-
sie développementale, troubles de la
mémoire dans l’épilepsie) et mémoi-
re décontextualisée (voir démence
sémantique). Ces deux formes de
mémoire s’appuient sur deux circuits
objectivés à l’imagerie cérébrale : 1)
une voie dorsale, via le circuit para-
hippocampique, le gyrus cingulaire
postérieur et pariétal inférieur, pour
la mémoire contextualisée et, 2)
une voie ventrale via le cortex péri-
rhinal, entorhinal et hippocampique
externe pour la mémoire décontex-
tualisée. À l’appui de cette approche,
B. Laurent rapporte deux observa-
tions qui témoignent d’une atteinte
majeure des compétences en mé-
moire épisodique et autobiographi-
que (composante épisodique) alors
que la mémoire autobiographique
(composante sémantique) et lamé-
tamémoire sémantique apparaissent
préservées. Cette conférence a éga-
lement fourni l’occasion: 1) de rap-
peler les méthodes qui permettent
de différencier recollection et fami-
liarité (rappel libre/reconnaissan-
ce ; événements complexes/sim-
ples ; paradigme R/K ; jugement de
confi ance dans la reconnaissance ;
reconnaissance de source) ; 2) l’ef-
fet potentiellement pervers de la
primauté (diffi culté pour oublier les
choses inutiles) ; 3) l’impact de ces
troubles de mémoire sur les différen-
tes dimensions du self (épisodique/
social, explicite/implicite) ; 4) les liens
entre mémoire autobiographique et
estimation du temps passé. De tel-
les données autorisent également à
interroger les relations entre le rôle
dévolu à l’hippocampe et la notion
de trace mnésique unique (telle que
défendue par Squire) puisque dans
cette confi guration la recollection et
la familiarité devraient être touchées
simultanément.
- Cependant, la présentation du cas
Michèle G. par Michel Poncet mon-
tre qu’une atteinte vasculaire bitha-
lamique antérieure est susceptible
d’entraîner une altération sévère
de la mémoire autobiographique
dans ses composantes épisodique
et sémantique. Ceci étant, la pa-
tiente peut évoquer des connais-
sances « pointues » (explication
du mythe de Platon, de la mort de
Socrate ou du tableau Guernica
de Picasso), acquérir de nouvel-
les connaissances sémantiques et
la sémantique personnelle semble
un peu mieux préservée (avec un
gradient temporel – enfance > jeu-
ne adulte > récent). Ces données
cliniques conduisent M. Poncet
à faire l’hypothèse d’une atteinte
préférentielle du self phénoméno-
logique chez cette malade.
- Encore une histoire de self dans la
conférence de Catherine Thomas-
Antérion consacrée aux amnésies
20 ans déjà !
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dissociatives. Ces amnésies réali-
sent un tableau considéré comme
psychiatrique et révélateur de la
résolution d’un confl it psychique
inconscient. Dans ce cadre, l’état
dissociatif engendre une modifi ca-
tion de la conscience qui modifi e
l’accès aux souvenirs. Les illustra-
tions sont classiques : le voyageur
sans bagage qui a changé d’état
de conscience mais qui réapprend
partiellement son histoire et que
ses proches reconnaissent for-
mellement, sans changement ; un
autre lui-même qui a modifi é ses
habitudes (C. mange des fraises et
a changé ses pratiques sexuelles ;
D. se passionne dorénavant pour les
bateaux). Cependant, ce « blocage »
des souvenirs passés se manifes-
te, au niveau anatomique, par un
hypométabolisme du cortex frontal
inférolatéral droit, ou de l’hippo-
campe gauche, ou des aires occipito-
temporales. Pour illustrer son pro-
pos, C. Thomas-Antérion rapporte
l’observation d’une patiente de 32
ans, victime d’une chute respon-
sable d’une perte de connaissance
brève. Cette malade présente une
amnésie rétrograde disproportion-
née (toute la biographie, y compris
la capacité à jouer de la fl ûte et de
conduire) sans atteinte antérograde.
Au travers un suivi clinique très
n, C. Thomas-Antérion interroge
les différentes dimensions du self
conceptuel (traits de personnalité,
valeurs, compétences, activités) où
il apparaît que les traits obsession-
nels, perfectionnistes, et les valeurs
religieuses, sociales et politiques ne
se sont pas signifi cativement modi-
és. Sa famille et ses amis la recon-
naissent comme avant. Cependant,
les goûts alimentaires (mange dé-
sormais de la viande et des plats
chinois) et artistiques (ne joue plus
de fl ûte – instrument qu’elle pra-
tique assidûment depuis l’âge de
6 ans – mais de la couture et de la
peinture) ont changé. La discussion
de ce cas porte sur la compréhen-
sion du blocage, l’existence de
signes de récupération, mais aussi
sur la nature de l’état dissociatif
qui réalise ici une disjonction entre
les composantes implicites du self
(conservées) et les attitudes expli-
cites (modifi ées).
- Dans un tout autre registre, Guido
Gainotti a présenté une interven-
tion dédiée aux perturbations multi-
modales dans la reconnaissance
des personnes connues. Après
avoir souligné le rôle primordial
du visage dans la reconnaissance
des individus, G. Gainotti rappelle
que la prosopagnosie correspond
à un trouble de la reconnaissance
visuelle des individus et qu’elle
peut être dissociée en une forme
aperceptive (altération des capa-
cités d’appariement des faces, des
âges, des genres, etc., mais ces per-
turbations peuvent tout autant af-
fecter des visages inconnus) et une
forme associative (défi cit de recon-
naissance sans atteinte perceptive).
G. Gainotti procède à une autre
distinction entre prosopagnosie et
atteinte multimodale de la recon-
naissance de personnes et rappelle
également l’opposition entre le
modèle de Burton et al. (1990) intro-
duisant la notion de nœud d’identi-
cation personnel (sorte d’archives
sémantiques aspécifi ques) et celui
de Bruce et Young formulant la
proposition qu’à chaque modalité
correspondrait une identifi cation
spécifi que. S’appuyant sur une
solide revue de la littérature et une
observation personnelle, il suggère
que : 1) le sentiment de familiarité
pour les visages est relié à l’hémis-
phère droit (lobe temporal) ; 2) l’in-
formation sémantique individuelle
n’est pas stockée dans un système
unitaire abstrait et amodal mais dans
des systèmes partiellement diffé-
rents (à droite : informations visuel-
les – visage –, à gauche : informations
verbales – noms –). Le lobe temporal
gauche jouerait donc un rôle dans
l’appariement entre l’information
conceptuelle et les étiquettes verba-
les. En d’autres termes, les différen-
tes composantes des fonctions de
reconnaissance, identifi cation et dé-
nomination des personnes connues,
sont prises en charge par les deux
hémisphères, ce qui peut être syn-
thétisé dans le tableau 1.
- Michel Habib a donné une confé-
rence intitulée « Cerveau, émotions
et comportement. Évolution des
concepts en 20 ans ». Il rappelle rapi-
dement l’explosion des travaux liée
à l’apparition des techniques d’ima-
gerie et à plusieurs révolutions
dans les concepts d’émotion et de
motivation. M. Habib fait une revue
historique des travaux qui, de Broca
à Jacob et de Mesulam à Damasio en
passant par Geschwind, fondent les
relations entre cerveau, émotions et
comportement. Il montre comment
Geschwind fut précurseur en pro-
posant d’étendre le raisonnement
de déconnexion à des désordres
émotionnels (autisme, schizoph-
rénie, syndrome de Capgras). Il
analyse également les travaux de
Damasio et le rôle des marqueurs
somatiques (représentations socio-
affectives) qui guident la décision
et le choix des conduites sociales. Il
décrit les trois structures cérébrales
Tableau 1. Répartition hémisphérique des différentes
composantes impliquées dans la « reconnaissance des
personnes connues ».
Hémisphère droit Hémisphère gauche
Composantes sensorielles,
traitement perceptif,
sentiment de familiarité et
identifi cation d’un
individu sur la base de
son visage et de sa voix
Composante à
médiation verbale
(comme le nom
ou la description
verbale d’un
individu)
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qui jouent un rôle essentiel dans ces
problématiques : le noyau amyg-
dalien : lieu de la rencontre des
souvenirs et des désirs, le noyau
acumbens : lieu de la conversion
du désir en action donc de la moti-
vation et le cortex orbitaire et fron-
topolaire dont l’implication dans
l’établissement et le maintien des
marqueurs somatiques a été sug-
gérée par le groupe de Damasio.
M. Habib a ensuite examiné l’impact
des lésions fronto-orbitaires acqui-
ses précocement (avant 2 ans) sur
le comportement des adultes jeu-
nes pour montrer que les perturba-
tions sont massives : personnalité
antisociale, psychopathie, absence
de remords et de culpabilité, alté-
rations du jugement moral. Il sou-
ligne d’ailleurs la place prise par
cette question du jugement mo-
ral dans les publications récentes.
M. Habib traite enfi n la pathologie
de la motivation en s’interrogeant
sur le fait de savoir si le système
constitué des trois structures cor-
ticales et sous-corticales évoquées
ci-dessus peut être à la base du
syndrome athymhormique. Pour
lui, s’agissant de la motivation, il y a
une opposition entre une concep-
tion universelle étroitement liée à
des besoins primordiaux chez le vi-
vant, sous-dépendance des structu-
res sous-corticales, et une concep-
tion sophistiquée relevant de la
volonté humaine, sous-dépendance
des structures corticales. M. Habib
défend l’idée que l’athymhormie,
comme perte de l’auto-activation
psychique, serait due à une inter-
ruption bilatérale d’un circuit prin-
cipal sous-cortical de la motivation.
La boucle limbique serait le cœur
de ce système par où passerait
la motivation entraînant activité
motrice et activité cognitive.
- Quels sont les troubles cogni-
tifs responsables de la dyslexie ?
Telle est l’épineuse question posée
par Sylviane Valdois lors de sa
conférence. Soulignant les avan-
cées majeures (pour le diagnostic
ou la remédiation) autorisées par
la théorie phonologique, S. Valdois
rappelle que tous les enfants
dyslexiques ne présentent pas de
troubles phonologiques et que
ces troubles phonologiques n’in-
terdisent pas toujours une bon-
ne compensation de la dyslexie.
Ce constat conduit à proposer des
hypothèses alternatives fondées sur
des troubles visuels (cécité verbale
congénitale, troubles visuels ma-
gnocellulaires, défi cit d’attention
visuelle) qui pourraient être respon-
sables par exemple de diffi cultés
dans le traitement séquentiel des
lettres ou de la segmentation des
graphèmes. Les modèles récents
ont introduit la notion de fenêtre
visuo-attentionnelle (FVA). La taille
de la FVA correspond à l’empan
visuo-attentionnel (EVA), c’est-à-
dire le nombre d’éléments visuels
qui peuvent être traités simulta-
nément dans une confi guration.
Une réduction de la FVA (ou un
trouble de l’EVA) entraînerait une
dyslexie qui peut être dissociée
d’une dyslexie par trouble phono-
logique. Une étude de deux cas
et une étude de groupe montrent
que cette dissociation s’observe en
clinique. Plus de 60 % des enfants
dyslexiques étudiés se répartissent
soit dans un groupe qui présente
des performances défi citaires en
VA et de bonnes performances en
phonologie, soit dans un groupe
qui présente le profi l inverse. Les
40 % restants présentent des trou-
bles en VA et en phonologie ou
des performances normales en VA
comme en phonologie. Un faible
empan visuo-attentionnel contri-
buerait donc au faible niveau de
lecture, indépendamment des capa-
cités phonologiques. Cette atteinte
de l’EVA présuppose l’intégrité de
l’acuité visuelle, de l’oculomotri-
cité, de l’orientation de l’attention
visuelle et du traitement visuel de
lettres isolées. Les travaux d’image-
rie cérébrale laissent entrevoir une
souffrance des régions pariétales
gauches (lobule pariétal ou gyrus
supramarginal selon les études).
Ces constats conduisent à distin-
guer deux sous-types de dyslexies
développementales : 1) une dys-
lexie par trouble phonologique en
regard d’une atypie fronto-pariétale
gauche ; 2) une dyslexie par trouble
visuo-attentionnel dépendant d’une
atypie du lobule pariétal supérieur.
Les conséquences pratiques de ces
travaux se déclinent sous forme
d’un outil de diagnostic (EVADYS)
et d’un outil de remédiation
(COREVA/MAEVA), mais aussi dans
des exercices d’entraînement pour
la grande section de maternelle.
- S’agissant de remédiation, Philippe
Azouvi a donné une conférence
ayant pour thème la rééducation
en neuropsychologie. Il a rap-
pelé les nombreuses diffi cultés
méthodologiques qui jalonnent
la conduite des travaux : effets
confondants (récupération spon-
tanée, effet placebo, croyance du
thérapeute), méthodes (évaluation
en simple aveugle, évaluation de la
taille de l’effet et pas seulement de
la signifi cativité de l’effet, l’intensité
du traitement et sa durée – relation
effet/dose – , la faisabilité clinique du
traitement, la place de la plasticité
cérébrale et le moment de début
du traitement). Le tableau 2 montre
que la question de la preuve qu’on
voudrait scientifi quement solide
Tableau 2. Rééducation cognitive fondée sur la preuve (d’après Cicerone
et al., 2000, 2005, 2011).
Visuo-spatial Langage Mémoire Attention Fonctions
exécutives
< 1998 40/12* 41/8 42/4 13/3 14/1
1998-2002 11/3 40/2 13/3 5/1 9/2
2002-2008 15/3 41/6 16/3 8/2 19/3
* Nombre d’études publiées/publications de niveau de preuve I.
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(idéalement lien entre données
expérimentales et activité réelle)
reste un enjeu de taille.
Deux questions majeures se posent
aussi. Est-ce que les effets sont liés
à la nature des tâches rééducatives
ou à une stimulation cognitive glo-
bale non spécifi que ? Cette ques-
tion est liée à celle de la consti-
tution d’un groupe de contrôle
pertinent. L’autre question concer-
ne le problème des transferts dans
la vie quotidienne. Il s’agit ici d’in-
terroger la validité écologique de la
ré-éducation et l’épineux problè-
me de sa mesure. P. Azouvi souli-
gne que les travaux s’appuient soit
sur des études de groupes (groupe
expérimental/groupe témoin) dont
l’évolution des performances est
contrôlée par des lignes de base
multiples, soit sur des études de
cas qui permettent, toujours à par-
tir de lignes de base multiples, de
comparer des mesures cibles, des
composantes engagées dans la
ré-éducation, à des mesures non
spécifi ques de celle-ci. Mais le
point crucial, y compris sans doute
pour l’avenir de la neuropsycholo-
gie clinique, est bien celui de savoir
si la rééducation est effi cace. Sur la
base d’un ensemble d’études por-
tant sur la rééducation de différen-
tes fonctions cognitives (fonctions
exécutives, attention, mémoire de
travail), P. Azouvi montre que : 1)
il existe un effet signifi catif de la
ré-éducation cognitive ; 2) l’effet
persiste quel que soit le délai post-
lésionnel ; 3) cet effet est spécifi que
au domaine rééduqué ; 4) il est
a priori possible d’observer une
généralisation à la vie quotidienne
(en particulier pour la mémoire
de travail). En d’autres termes, si la
ré-éducation est recommandée
quel que soit le domaine rééduqué,
des défi cits spécifi ques nécessi-
tent des traitements spécifi ques. P.
Azouvi a conclu son intervention en
considérant que le problème n’était
plus de savoir si la rééducation co-
gnitive est effi cace mais plutôt de
défi nir sa durée et son intensité,
de réfl échir à son intégration
dans une prise en charge plus
globale (« psychosociale »), à sa
potentialisation par des traitements
pharmacologiques ou neurophy-
siologiques (par exemple rTMS).
Reste aussi posée la question de sa-
voir qui sont les professionnels qui
assurent cette rééducation et sur la
base de quelle formation.
- Autre problème complexe, voire
sensible : le vieillissement cérébral.
Il faut assumer cette complexité a
dit en substance Martial Van der
Linden dans une conférence intitulée
« le vieillissement cérébral/ cognitif
problématique : une approche qui
assume la complexité ». Dans son
exposé, M. Van der Linden a mis en
garde contre le danger d’une neuro-
psychologie qui serait déconnectée
de la psychologie clinique, pour
coller à la « neurobiologisation » du
fonctionnement psychologique (et
à la « pathologisation » du vieillis-
sement). Il plaide pour une prati-
que clinique en neuropsychologie
qui assume la complexité des phé-
nomènes et s’appuie sur une véri-
table approche bio-psycho-sociale,
telle qu’elle est formalisée dans le
modèle proposé par Kinderman et
Tai (2007, 2009) dans la gure 1.
En d’autres termes, toute interven-
tion neuropsychologique se fonde
au préalable sur une interprétation
psychologique (en rapport avec
un modèle psychologique empi-
riquement fondé) des diffi cultés
psychologiques. L’intervention est
alors « taillée sur mesure » en
fonction des dysfonctionnements
psychologiques présentés par la
personne. Pour illustrer son propos,
M. Van der Linden prend l’exemple
du vieillissement cérébral/cognitif
et ses différents formats problé-
matiques. Selon lui, on assiste à
une médicalisation du vieillisse-
ment qui repose sur une approche
biomédicale, critiquable, de la ma-
ladie d’Alzheimer et de ses formes
présymptomatiques. Il rappelle par
exemple qu’une méta-analyse ré-
cente (Mitchell et Shiri-Feski, 2008),
reposant sur l’étude de 41 publica-
tions, montre que la majorité des
personnes ayant reçu un diagnos-
tic de MCI n’a pas évolué vers un
tableau de démence. M. Van der
Linden préconise donc de chan-
ger les pratiques de l’évaluation
pour une approche plurifactorielle,
intégrant les multiples facteurs
psychologiques en jeu. Il souhaite
qu’elles s’intéressent au fonction-
nement dans la vie quotidienne,
considérant qu’une neuropsycho-
logie de la vie quotidienne reste
à construire. En conséquence, les
interventions psychologiques de-
vraient reposer sur des entrées psy-
chologiques multiples, intégrées et
« taillées sur mesure » et davantage
centrées sur la communauté et le
cadre de vie des personnes. M. Van
der Linden considère qu’il y a au
travers d’une telle approche une
multitude d’axes d’intervention,
donc d’investissement profession-
nel, pour les psychologues.
- Dans sa conférence, Xavier Seron
a abordé le diffi cile problème de
l’expertise en neuropsychologie,
Facteurs
biologiques
Dysfonctionnements
psychologiques
Processus
psychologiques
Facteurs
sociaux
É
vénements
de vie
Effets
conjoints
Figure 1. Modèle psychologique des dysfonctionnements neuropsychologiques
et psychopathologiques (Kinderman et Tai, 2007, 2009).
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Actualités
en particulier sous l’angle de
l’éthique. Il a rappelé les deux
grandes dimensions dans l’exper-
tise : 1) l’évaluation du dommage
corporel en cas d’accident et 2)
l’évaluation de la compétence de
la personne âgée en diffi culté cogni-
tive. De toute évidence, le vieillisse-
ment de la population, l’existence
de pathologies dégénératives et de
blessures cérébrales acquises ont
pour conséquence l’augmentation,
dans la population et, en particulier
celle des personnes âgées, des pro-
blèmes de mémoire, langage, etc.
Ceci rend certaines populations
plus vulnérables et l’utilisation de
certains diagnostics médicaux met
en diffi culté les droits des person-
nes, singulièrement les personnes
âgées. Dans le cadre de l’expertise,
le questionnement est nécessai-
rement très étendu car il touche
de nombreux domaines de la vie
quotidienne. Il faut s’interroger sur
les capacités des personnes à : 1)
donner un consentement pour une
décision médicale ; 2) donner un
consentement pour la participation
à une recherche ; 3) gérer les fi nan-
ces ; 4) conduire une voiture ; 5) sui-
vre correctement un traitement ; 6)
vivre de manière autonome dans la
vie quotidienne ; 7) choisir un lieu
de résidence ; 7) se marier/adopter ;
8) défendre ses droits et devoirs en
justice. X. Seron précise que, selon
le Code civil belge, la capacité est
la règle et l’incapacité l’exception.
Dans le champ de l’expertise, l’in-
capacité résultera donc de la déci-
sion d’un juge de paix. Le premier
problème posé est celui de l’analy-
se de la capacité. X. Seron souligne
que la capacité n’est pas générale
mais spécifi que (on peut conduire
une voiture mais ne pas pouvoir
gérer son argent, par exemple).
L’analyse doit se faire selon 3 dimen-
sions : 1) les différentes compé-
tences mettent en jeux des pro-
cessus cognitifs/psychologiques
différents ; 2) de plus, la personne
peut, selon les domaines, avoir un
niveau d’expertise antérieur plus
ou moins résistant à la maladie ;
3) enfi n, certaines compétences
sont liées à des contextes particu-
liers qui mettent en jeu des acteurs
différents. Le second problème à
considérer est celui de la compé-
tence. La compétence à l’intérieur
d’un domaine doit être hiérarchi-
sée. En effet, elle peut être altérée
pour des tâches complexes mais
pas pour des tâches plus simples
(exemple : placement en bourse
versus faire ses courses dans le
magasin local). Malheureusement,
il n’existe pas, à l’heure actuelle,
d’outil qui permette cette évalua-
tion. Dans le cadre de situations
évolutives (de manière favorable ou
défavorable), la compétence doit
faire l’objet de réévaluations. Dans
le cadre d’une expertise, la com-
pétence doit être pensée comme
spécifi que à un domaine, limitée
à l’intérieur du même domaine
et établie pour une durée défi nie
avec réévaluation à l’issue. L’exper-
tise nécessite ici une évaluation fi ne
pour déterminer les limites, plus
de souplesse et de contrôle. Deux
situations d’expertise permettent
à X. Seron de montrer la comple-
xité de la position de l’expert
en neuropsychologie. Il souligne
en particulier que celui-ci ne doit
pas perdre de vue la question
posée, quels que soient les argu-
ments médicaux par ailleurs ex-
posés, validés, retenus. Un point
retient son attention : un diagnostic
médical n’est pas par défi nition et
d’emblée synonyme d’incapacité.
Expertise n° 1 : est-ce que Mme X.,
suspecte de présenter une démen-
ce fronto-temporale débutante, est
en mesure de gérer ses biens sans
léser ses enfants ? Une fois réalisée
l’évaluation neuropsychologique
qui retrouve des diffi cultés exécu-
tives, compatibles avec le diagnos-
tic médical, il convient ici de
répondre à plusieurs questions clés :
Est-ce que Mme X. peut décrire les
membres de sa famille ? A-t-elle
une représentation précise de ses
biens et de leur valeur ? Comment
conçoit-elle la transmission de ses
biens au travers de l’héritage et
les conséquences de la décision
de vendre la maison ? L’expert
conclura que si sur le plan cognitif,
les choses sont claires (la patiente
peut gérer ses biens), il ne peut
pas en l’état évaluer la dimension
émotionnelle avec certitude (il se
pourrait donc que pour de multi-
ples raisons, la patiente ne mesure
pas correctement les conséquen-
ces de ses décisions) et par consé-
quent répondre avec précision à la
question posée par l’expertise qui
a ensuite été confi ée à un autre
expert. Expertise n° 2 : est-ce que
M. A.P., hispanophone, suspect de
présenter une démence vasculaire,
peut défendre ses droits en justice ?
La première expertise a répondu par
la négative sur la base du diagnostic
médical. Lors de la seconde experti-
se, l’évaluation neuropsychologique
retrouve les diffi cultés mnésiques,
de compréhension et la fatigabilité.
Cependant, d’autres données, en
particulier verbales, laissaient pen-
ser que M. A.P. avait les capacités de
s’exprimer devant une cour de jus-
tice. Ceci étant, l’entretien d’exper-
tise ne permet pas d’objectiver l’ab-
sence de coopération et de conclure
avec certitude. Le juge décidera de
ne pas entendre le patient. Nous re-
tiendrons de la conférence de X. Se-
ron que d’un point de vue éthique,
le psychologue intervenant comme
expert en neuropsychologie doit se
livrer à un examen minutieux des
capacités et incapacités, présentées
par le patient qui lui est confi é, en
rapport avec ce qui motive l’exper-
tise, au-delà du diagnostic médical
éventuel, et indépendamment de la
position potentiellement adoptée
par le juge qui au fi nal doit trancher.
Inutile de dire aussi que ces jour-
nées représentent pour notre disci-
pline un moment d’une grande im-
portance. Les conférences, de haut
niveau, ont donné lieu à des échan-
ges nourris, parfois vifs, toujours
passionnants. Les moments de ré-
pit qu’offrent les pauses et autres
activités sociales ont permis des
rencontres, des retrouvailles aussi
et, la prolongation des débats !
« La neuropsychologie clinique est
une méthode et une discipline qui
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