Actualités Sous la coordination de Didier Le Gall Rev Neuropsychol 2011 ; 3 (3) : 135-40 20 ans déjà ! doi : 10.1684/nrp.2011.0183 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. I l y a 20 ans, l’Université de Savoie à Chambéry, en partenariat avec l’Université de Grenoble, ouvrait le premier DESS de neuropsychologie en France. Cette décision, visionnaire pour une université qui avait à peine 10 ans, devait beaucoup à la volonté et à la force de persuasion de trois hommes : Jacques Pellat, Marc Jeannerod et Serge Carbonnel. Chacun s’accordera à considérer que la création de ce diplôme, en 1991, a joué un rôle majeur dans le développement de la neuropsychologie moderne en France. Cela est vrai pour la formation des professionnels de la neuropsychologie, mais aussi pour l’installation définitive de cette discipline dans le paysage universitaire français (création d’enseignements spécifiques, et ultérieurement de diplômes, création de postes de maîtres de conférences et de professeurs libellés neuropsychologie). Très opportunément, Serge Carbonnel et ses collègues ont souhaité fêter l’anniversaire de la mise en place de cette formation par l’organisation d’un colloque qui a réuni, à Chambéry, les 17 et 18 juin derniers, un large public international d’anciens étudiants, d’universitaires et de professionnels de la neuropsychologie. Notre rubrique sera totalement consacrée à cette réunion scientifique d’une très grande importance, tant par sa valeur symbolique que par son haut niveau scientifique. Au cours de ces deux journées, les conférenciers qui tous ont participé aux enseignements de ce diplôme, ont largement balayé le champ de la neuropsychologie actuelle, de l’enfant au sujet âgé, et de la clinique à la rééducation. Mémoire, dyslexies développementales, reconnaissance des personnes, émotions, vieillissement cérébral, rééducation cognitive et expertise en ont constitué les principales thématiques. - Dans sa conférence, Bernard Laurent s’est interrogé sur ce qui différencie mémoire de soi et mémoire du monde. Après avoir pointé quelques notions théoriques autour de la mémoire (en particulier de représentation distribuée), B. Laurent montre que la clinique nous offre la possibilité de faire la partition entre mémoire contextualisée (voir amnésie développementale, troubles de la mémoire dans l’épilepsie) et mémoire décontextualisée (voir démence sémantique). Ces deux formes de mémoire s’appuient sur deux circuits objectivés à l’imagerie cérébrale : 1) une voie dorsale, via le circuit parahippocampique, le gyrus cingulaire postérieur et pariétal inférieur, pour la mémoire contextualisée et, 2) une voie ventrale via le cortex périrhinal, entorhinal et hippocampique externe pour la mémoire décontextualisée. À l’appui de cette approche, B. Laurent rapporte deux observations qui témoignent d’une atteinte majeure des compétences en mémoire épisodique et autobiographique (composante épisodique) alors que la mémoire autobiographique (composante sémantique) et lamétamémoire sémantique apparaissent préservées. Cette conférence a également fourni l’occasion: 1) de rappeler les méthodes qui permettent REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES CONGNITIVES ET CLINIQUES de différencier recollection et familiarité (rappel libre/reconnaissance ; événements complexes/simples ; paradigme R/K ; jugement de confiance dans la reconnaissance ; reconnaissance de source) ; 2) l’effet potentiellement pervers de la primauté (difficulté pour oublier les choses inutiles) ; 3) l’impact de ces troubles de mémoire sur les différentes dimensions du self (épisodique/ social, explicite/implicite) ; 4) les liens entre mémoire autobiographique et estimation du temps passé. De telles données autorisent également à interroger les relations entre le rôle dévolu à l’hippocampe et la notion de trace mnésique unique (telle que défendue par Squire) puisque dans cette configuration la recollection et la familiarité devraient être touchées simultanément. - Cependant, la présentation du cas Michèle G. par Michel Poncet montre qu’une atteinte vasculaire bithalamique antérieure est susceptible d’entraîner une altération sévère de la mémoire autobiographique dans ses composantes épisodique et sémantique. Ceci étant, la patiente peut évoquer des connaissances « pointues » (explication du mythe de Platon, de la mort de Socrate ou du tableau Guernica de Picasso), acquérir de nouvelles connaissances sémantiques et la sémantique personnelle semble un peu mieux préservée (avec un gradient temporel – enfance > jeune adulte > récent). Ces données cliniques conduisent M. Poncet à faire l’hypothèse d’une atteinte préférentielle du self phénoménologique chez cette malade. - Encore une histoire de self dans la conférence de Catherine ThomasAntérion consacrée aux amnésies 135 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Actualités dissociatives. Ces amnésies réalisent un tableau considéré comme psychiatrique et révélateur de la résolution d’un conflit psychique inconscient. Dans ce cadre, l’état dissociatif engendre une modification de la conscience qui modifie l’accès aux souvenirs. Les illustrations sont classiques : le voyageur sans bagage qui a changé d’état de conscience mais qui réapprend partiellement son histoire et que ses proches reconnaissent formellement, sans changement ; un autre lui-même qui a modifié ses habitudes (C. mange des fraises et a changé ses pratiques sexuelles ; D. se passionne dorénavant pour les bateaux). Cependant, ce « blocage » des souvenirs passés se manifeste, au niveau anatomique, par un hypométabolisme du cortex frontal inférolatéral droit, ou de l’hippocampe gauche, ou des aires occipitotemporales. Pour illustrer son propos, C. Thomas-Antérion rapporte l’observation d’une patiente de 32 ans, victime d’une chute responsable d’une perte de connaissance brève. Cette malade présente une amnésie rétrograde disproportionnée (toute la biographie, y compris la capacité à jouer de la flûte et de conduire) sans atteinte antérograde. Au travers un suivi clinique très fin, C. Thomas-Antérion interroge les différentes dimensions du self conceptuel (traits de personnalité, valeurs, compétences, activités) où il apparaît que les traits obsessionnels, perfectionnistes, et les valeurs religieuses, sociales et politiques ne se sont pas significativement modifiés. Sa famille et ses amis la reconnaissent comme avant. Cependant, les goûts alimentaires (mange désormais de la viande et des plats chinois) et artistiques (ne joue plus de flûte – instrument qu’elle pratique assidûment depuis l’âge de 6 ans – mais de la couture et de la peinture) ont changé. La discussion de ce cas porte sur la compréhension du blocage, l’existence de signes de récupération, mais aussi sur la nature de l’état dissociatif qui réalise ici une disjonction entre 136 les composantes implicites du self (conservées) et les attitudes explicites (modifiées). - Dans un tout autre registre, Guido Gainotti a présenté une intervention dédiée aux perturbations multimodales dans la reconnaissance des personnes connues. Après avoir souligné le rôle primordial du visage dans la reconnaissance des individus, G. Gainotti rappelle que la prosopagnosie correspond à un trouble de la reconnaissance visuelle des individus et qu’elle peut être dissociée en une forme aperceptive (altération des capacités d’appariement des faces, des âges, des genres, etc., mais ces perturbations peuvent tout autant affecter des visages inconnus) et une forme associative (déficit de reconnaissance sans atteinte perceptive). G. Gainotti procède à une autre distinction entre prosopagnosie et atteinte multimodale de la reconnaissance de personnes et rappelle également l’opposition entre le modèle de Burton et al. (1990) introduisant la notion de nœud d’identification personnel (sorte d’archives sémantiques aspécifiques) et celui de Bruce et Young formulant la proposition qu’à chaque modalité correspondrait une identification spécifique. S’appuyant sur une solide revue de la littérature et une observation personnelle, il suggère que : 1) le sentiment de familiarité pour les visages est relié à l’hémisphère droit (lobe temporal) ; 2) l’information sémantique individuelle n’est pas stockée dans un système unitaire abstrait et amodal mais dans des systèmes partiellement différents (à droite : informations visuelles – visage –, à gauche : informations verbales – noms –). Le lobe temporal gauche jouerait donc un rôle dans l’appariement entre l’information conceptuelle et les étiquettes verbales. En d’autres termes, les différentes composantes des fonctions de reconnaissance, identification et dénomination des personnes connues, sont prises en charge par les deux hémisphères, ce qui peut être synthétisé dans le tableau 1. - Michel Habib a donné une conférence intitulée « Cerveau, émotions et comportement. Évolution des concepts en 20 ans ». Il rappelle rapidement l’explosion des travaux liée à l’apparition des techniques d’imagerie et à plusieurs révolutions dans les concepts d’émotion et de motivation. M. Habib fait une revue historique des travaux qui, de Broca à Jacob et de Mesulam à Damasio en passant par Geschwind, fondent les relations entre cerveau, émotions et comportement. Il montre comment Geschwind fut précurseur en proposant d’étendre le raisonnement de déconnexion à des désordres émotionnels (autisme, schizophrénie, syndrome de Capgras). Il analyse également les travaux de Damasio et le rôle des marqueurs somatiques (représentations socioaffectives) qui guident la décision et le choix des conduites sociales. Il décrit les trois structures cérébrales Tableau 1. Répartition hémisphérique des différentes composantes impliquées dans la « reconnaissance des personnes connues ». Hémisphère droit Composantes sensorielles, traitement perceptif, sentiment de familiarité et identification d’un individu sur la base de son visage et de sa voix REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES CONGNITIVES ET CLINIQUES Hémisphère gauche Composante à médiation verbale (comme le nom ou la description verbale d’un individu) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Actualités qui jouent un rôle essentiel dans ces problématiques : le noyau amygdalien : lieu de la rencontre des souvenirs et des désirs, le noyau acumbens : lieu de la conversion du désir en action donc de la motivation et le cortex orbitaire et frontopolaire dont l’implication dans l’établissement et le maintien des marqueurs somatiques a été suggérée par le groupe de Damasio. M. Habib a ensuite examiné l’impact des lésions fronto-orbitaires acquises précocement (avant 2 ans) sur le comportement des adultes jeunes pour montrer que les perturbations sont massives : personnalité antisociale, psychopathie, absence de remords et de culpabilité, altérations du jugement moral. Il souligne d’ailleurs la place prise par cette question du jugement moral dans les publications récentes. M. Habib traite enfin la pathologie de la motivation en s’interrogeant sur le fait de savoir si le système constitué des trois structures corticales et sous-corticales évoquées ci-dessus peut être à la base du syndrome athymhormique. Pour lui, s’agissant de la motivation, il y a une opposition entre une conception universelle étroitement liée à des besoins primordiaux chez le vivant, sous-dépendance des structures sous-corticales, et une conception sophistiquée relevant de la volonté humaine, sous-dépendance des structures corticales. M. Habib défend l’idée que l’athymhormie, comme perte de l’auto-activation psychique, serait due à une interruption bilatérale d’un circuit principal sous-cortical de la motivation. La boucle limbique serait le cœur de ce système par où passerait la motivation entraînant activité motrice et activité cognitive. - Quels sont les troubles cognitifs responsables de la dyslexie ? Telle est l’épineuse question posée par Sylviane Valdois lors de sa conférence. Soulignant les avancées majeures (pour le diagnostic ou la remédiation) autorisées par la théorie phonologique, S. Valdois rappelle que tous les enfants dyslexiques ne présentent pas de troubles phonologiques et que ces troubles phonologiques n’interdisent pas toujours une bonne compensation de la dyslexie. Ce constat conduit à proposer des hypothèses alternatives fondées sur des troubles visuels (cécité verbale congénitale, troubles visuels magnocellulaires, déficit d’attention visuelle) qui pourraient être responsables par exemple de difficultés dans le traitement séquentiel des lettres ou de la segmentation des graphèmes. Les modèles récents ont introduit la notion de fenêtre visuo-attentionnelle (FVA). La taille de la FVA correspond à l’empan visuo-attentionnel (EVA), c’est-àdire le nombre d’éléments visuels qui peuvent être traités simultanément dans une configuration. Une réduction de la FVA (ou un trouble de l’EVA) entraînerait une dyslexie qui peut être dissociée d’une dyslexie par trouble phonologique. Une étude de deux cas et une étude de groupe montrent que cette dissociation s’observe en clinique. Plus de 60 % des enfants dyslexiques étudiés se répartissent soit dans un groupe qui présente des performances déficitaires en VA et de bonnes performances en phonologie, soit dans un groupe qui présente le profil inverse. Les 40 % restants présentent des troubles en VA et en phonologie ou des performances normales en VA comme en phonologie. Un faible empan visuo-attentionnel contribuerait donc au faible niveau de lecture, indépendamment des capacités phonologiques. Cette atteinte de l’EVA présuppose l’intégrité de l’acuité visuelle, de l’oculomotricité, de l’orientation de l’attention visuelle et du traitement visuel de lettres isolées. Les travaux d’imagerie cérébrale laissent entrevoir une souffrance des régions pariétales gauches (lobule pariétal ou gyrus supramarginal selon les études). Ces constats conduisent à distinguer deux sous-types de dyslexies développementales : 1) une dyslexie par trouble phonologique en regard d’une atypie fronto-pariétale gauche ; 2) une dyslexie par trouble visuo-attentionnel dépendant d’une atypie du lobule pariétal supérieur. Les conséquences pratiques de ces travaux se déclinent sous forme d’un outil de diagnostic (EVADYS) et d’un outil de remédiation (COREVA/MAEVA), mais aussi dans des exercices d’entraînement pour la grande section de maternelle. - S’agissant de remédiation, Philippe Azouvi a donné une conférence ayant pour thème la rééducation en neuropsychologie. Il a rappelé les nombreuses difficultés méthodologiques qui jalonnent la conduite des travaux : effets confondants (récupération spontanée, effet placebo, croyance du thérapeute), méthodes (évaluation en simple aveugle, évaluation de la taille de l’effet et pas seulement de la significativité de l’effet, l’intensité du traitement et sa durée – relation effet/dose – , la faisabilité clinique du traitement, la place de la plasticité cérébrale et le moment de début du traitement). Le tableau 2 montre que la question de la preuve qu’on voudrait scientifiquement solide Tableau 2. Rééducation cognitive fondée sur la preuve (d’après Cicerone et al., 2000, 2005, 2011). Visuo-spatial Langage Mémoire Attention Fonctions exécutives 40/12* 41/8 42/4 13/3 14/1 1998-2002 11/3 40/2 13/3 5/1 9/2 2002-2008 15/3 41/6 16/3 8/2 19/3 < 1998 * Nombre d’études publiées/publications de niveau de preuve I. REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES CONGNITIVES ET CLINIQUES 137 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Actualités (idéalement lien entre données expérimentales et activité réelle) reste un enjeu de taille. Deux questions majeures se posent aussi. Est-ce que les effets sont liés à la nature des tâches rééducatives ou à une stimulation cognitive globale non spécifique ? Cette question est liée à celle de la constitution d’un groupe de contrôle pertinent. L’autre question concerne le problème des transferts dans la vie quotidienne. Il s’agit ici d’interroger la validité écologique de la ré-éducation et l’épineux problème de sa mesure. P. Azouvi souligne que les travaux s’appuient soit sur des études de groupes (groupe expérimental/groupe témoin) dont l’évolution des performances est contrôlée par des lignes de base multiples, soit sur des études de cas qui permettent, toujours à partir de lignes de base multiples, de comparer des mesures cibles, des composantes engagées dans la ré-éducation, à des mesures non spécifiques de celle-ci. Mais le point crucial, y compris sans doute pour l’avenir de la neuropsychologie clinique, est bien celui de savoir si la rééducation est efficace. Sur la base d’un ensemble d’études portant sur la rééducation de différentes fonctions cognitives (fonctions exécutives, attention, mémoire de travail), P. Azouvi montre que : 1) il existe un effet significatif de la ré-éducation cognitive ; 2) l’effet persiste quel que soit le délai postlésionnel ; 3) cet effet est spécifique au domaine rééduqué ; 4) il est a priori possible d’observer une généralisation à la vie quotidienne (en particulier pour la mémoire de travail). En d’autres termes, si la ré-éducation est recommandée quel que soit le domaine rééduqué, des déficits spécifiques nécessitent des traitements spécifiques. P. Azouvi a conclu son intervention en considérant que le problème n’était plus de savoir si la rééducation cognitive est efficace mais plutôt de définir sa durée et son intensité, de réfléchir à son intégration dans une prise en charge plus 138 globale (« psychosociale »), à sa potentialisation par des traitements pharmacologiques ou neurophysiologiques (par exemple rTMS). Reste aussi posée la question de savoir qui sont les professionnels qui assurent cette rééducation et sur la base de quelle formation. - Autre problème complexe, voire sensible : le vieillissement cérébral. Il faut assumer cette complexité a dit en substance Martial Van der Linden dans une conférence intitulée « le vieillissement cérébral/ cognitif problématique : une approche qui assume la complexité ». Dans son exposé, M. Van der Linden a mis en garde contre le danger d’une neuropsychologie qui serait déconnectée de la psychologie clinique, pour coller à la « neurobiologisation » du fonctionnement psychologique (et à la « pathologisation » du vieillissement). Il plaide pour une pratique clinique en neuropsychologie qui assume la complexité des phénomènes et s’appuie sur une véritable approche bio-psycho-sociale, telle qu’elle est formalisée dans le modèle proposé par Kinderman et Tai (2007, 2009) dans la figure 1. En d’autres termes, toute intervention neuropsychologique se fonde au préalable sur une interprétation psychologique (en rapport avec un modèle psychologique empiriquement fondé) des difficultés psychologiques. L’intervention est alors « taillée sur mesure » en fonction des dysfonctionnements psychologiques présentés par la personne. Pour illustrer son propos, M. Van der Linden prend l’exemple du vieillissement cérébral/cognitif et ses différents formats problématiques. Selon lui, on assiste à une médicalisation du vieillissement qui repose sur une approche biomédicale, critiquable, de la maladie d’Alzheimer et de ses formes présymptomatiques. Il rappelle par exemple qu’une méta-analyse récente (Mitchell et Shiri-Feski, 2008), reposant sur l’étude de 41 publications, montre que la majorité des personnes ayant reçu un diagnostic de MCI n’a pas évolué vers un tableau de démence. M. Van der Linden préconise donc de changer les pratiques de l’évaluation pour une approche plurifactorielle, intégrant les multiples facteurs psychologiques en jeu. Il souhaite qu’elles s’intéressent au fonctionnement dans la vie quotidienne, considérant qu’une neuropsychologie de la vie quotidienne reste à construire. En conséquence, les interventions psychologiques devraient reposer sur des entrées psychologiques multiples, intégrées et « taillées sur mesure » et davantage centrées sur la communauté et le cadre de vie des personnes. M. Van der Linden considère qu’il y a au travers d’une telle approche une multitude d’axes d’intervention, donc d’investissement professionnel, pour les psychologues. - Dans sa conférence, Xavier Seron a abordé le difficile problème de l’expertise en neuropsychologie, Facteurs biologiques Effets Facteurs sociaux Processus psychologiques Dysfonctionnements psychologiques conjoints Événements de vie Figure 1. Modèle psychologique des dysfonctionnements neuropsychologiques et psychopathologiques (Kinderman et Tai, 2007, 2009). REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES CONGNITIVES ET CLINIQUES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Actualités en particulier sous l’angle de l’éthique. Il a rappelé les deux grandes dimensions dans l’expertise : 1) l’évaluation du dommage corporel en cas d’accident et 2) l’évaluation de la compétence de la personne âgée en difficulté cognitive. De toute évidence, le vieillissement de la population, l’existence de pathologies dégénératives et de blessures cérébrales acquises ont pour conséquence l’augmentation, dans la population et, en particulier celle des personnes âgées, des problèmes de mémoire, langage, etc. Ceci rend certaines populations plus vulnérables et l’utilisation de certains diagnostics médicaux met en difficulté les droits des personnes, singulièrement les personnes âgées. Dans le cadre de l’expertise, le questionnement est nécessairement très étendu car il touche de nombreux domaines de la vie quotidienne. Il faut s’interroger sur les capacités des personnes à : 1) donner un consentement pour une décision médicale ; 2) donner un consentement pour la participation à une recherche ; 3) gérer les finances ; 4) conduire une voiture ; 5) suivre correctement un traitement ; 6) vivre de manière autonome dans la vie quotidienne ; 7) choisir un lieu de résidence ; 7) se marier/adopter ; 8) défendre ses droits et devoirs en justice. X. Seron précise que, selon le Code civil belge, la capacité est la règle et l’incapacité l’exception. Dans le champ de l’expertise, l’incapacité résultera donc de la décision d’un juge de paix. Le premier problème posé est celui de l’analyse de la capacité. X. Seron souligne que la capacité n’est pas générale mais spécifique (on peut conduire une voiture mais ne pas pouvoir gérer son argent, par exemple). L’analyse doit se faire selon 3 dimensions : 1) les différentes compétences mettent en jeux des processus cognitifs/psychologiques différents ; 2) de plus, la personne peut, selon les domaines, avoir un niveau d’expertise antérieur plus ou moins résistant à la maladie ; 3) enfin, certaines compétences sont liées à des contextes particuliers qui mettent en jeu des acteurs différents. Le second problème à considérer est celui de la compétence. La compétence à l’intérieur d’un domaine doit être hiérarchisée. En effet, elle peut être altérée pour des tâches complexes mais pas pour des tâches plus simples (exemple : placement en bourse versus faire ses courses dans le magasin local). Malheureusement, il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’outil qui permette cette évaluation. Dans le cadre de situations évolutives (de manière favorable ou défavorable), la compétence doit faire l’objet de réévaluations. Dans le cadre d’une expertise, la compétence doit être pensée comme spécifique à un domaine, limitée à l’intérieur du même domaine et établie pour une durée définie avec réévaluation à l’issue. L’expertise nécessite ici une évaluation fine pour déterminer les limites, plus de souplesse et de contrôle. Deux situations d’expertise permettent à X. Seron de montrer la complexité de la position de l’expert en neuropsychologie. Il souligne en particulier que celui-ci ne doit pas perdre de vue la question posée, quels que soient les arguments médicaux par ailleurs exposés, validés, retenus. Un point retient son attention : un diagnostic médical n’est pas par définition et d’emblée synonyme d’incapacité. Expertise n° 1 : est-ce que Mme X., suspecte de présenter une démence fronto-temporale débutante, est en mesure de gérer ses biens sans léser ses enfants ? Une fois réalisée l’évaluation neuropsychologique qui retrouve des difficultés exécutives, compatibles avec le diagnostic médical, il convient ici de répondre à plusieurs questions clés : Est-ce que Mme X. peut décrire les membres de sa famille ? A-t-elle une représentation précise de ses biens et de leur valeur ? Comment conçoit-elle la transmission de ses biens au travers de l’héritage et les conséquences de la décision de vendre la maison ? L’expert REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES CONGNITIVES ET CLINIQUES conclura que si sur le plan cognitif, les choses sont claires (la patiente peut gérer ses biens), il ne peut pas en l’état évaluer la dimension émotionnelle avec certitude (il se pourrait donc que pour de multiples raisons, la patiente ne mesure pas correctement les conséquences de ses décisions) et par conséquent répondre avec précision à la question posée par l’expertise qui a ensuite été confiée à un autre expert. Expertise n° 2 : est-ce que M. A.P., hispanophone, suspect de présenter une démence vasculaire, peut défendre ses droits en justice ? La première expertise a répondu par la négative sur la base du diagnostic médical. Lors de la seconde expertise, l’évaluation neuropsychologique retrouve les difficultés mnésiques, de compréhension et la fatigabilité. Cependant, d’autres données, en particulier verbales, laissaient penser que M. A.P. avait les capacités de s’exprimer devant une cour de justice. Ceci étant, l’entretien d’expertise ne permet pas d’objectiver l’absence de coopération et de conclure avec certitude. Le juge décidera de ne pas entendre le patient. Nous retiendrons de la conférence de X. Seron que d’un point de vue éthique, le psychologue intervenant comme expert en neuropsychologie doit se livrer à un examen minutieux des capacités et incapacités, présentées par le patient qui lui est confié, en rapport avec ce qui motive l’expertise, au-delà du diagnostic médical éventuel, et indépendamment de la position potentiellement adoptée par le juge qui au final doit trancher. Inutile de dire aussi que ces journées représentent pour notre discipline un moment d’une grande importance. Les conférences, de haut niveau, ont donné lieu à des échanges nourris, parfois vifs, toujours passionnants. Les moments de répit qu’offrent les pauses et autres activités sociales ont permis des rencontres, des retrouvailles aussi et, la prolongation des débats ! « La neuropsychologie clinique est une méthode et une discipline qui 139 Actualités visent à penser et à panser la pensée » nous a dit Michel Poncet. Si nous ne parvenons pas toujours à « panser la pensée », nous pouvons toujours nous obliger à penser. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Si la multiplicité des spécialisations, surspécialisations, des réu- nions, des colloques et autres workshops thématiques fait parfois douter de l’existence d’une communauté de neuropsychologues, cette manifestation a montré que la motivation et l’enthousiasme des initiateurs de la formation restent intacts. 140 REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE NEUROSCIENCES CONGNITIVES ET CLINIQUES Longue vie donc au DESS/Master de neuropsychologie de l’Université de Savoie et à tous ses petits frères, pour que cette famille nombreuse continue de tirer vers le haut la formation professionnelle et scientifique de nos futurs jeunes collègues.