BIZZ MARKETING DÉVELOPPER DES PRODUITS, SERVICES ET PUBLICITÉS POUR LES Comment séduire les consom Un Belge sur cinq est d’origine étrangère, et ce pourcentage est appelé à augmenter à l’avenir. Le marketing ethnique n’en est pourtant qu’à ses balbutiements dans notre pays. Les entreprises ont tout à y gagner. SINAN BOLAT, le gardien de but belgoturc du Standard de Liège, joue le rôle d’ambassadeur d’Ay Yildiz, la marque avec laquelle KPN cherche à toucher la communauté turque. BENNY DEBRUYNE 62 1ER SEPTEMBRE 2011 | WWW.TRENDS.BE PHOTO S: PG S hortcut, une agence de communication bruxelloise, veut faire des publics d’origine étrangère son fer de lance. Le marketing ethnique est une forme de marketing axé sur des groupes cibles particuliers: les consommateurs d’origine turque, par exemple. Il ne doit pas être confondu avec le marketing de la diversité, qui consiste à tenir compte des différents groupes ethniques et culturels, notamment en faisant figurer un allochtone dans un spot publicitaire. Le marketing ethnique va plus loin en s’adressant explicitement à un groupe cible qui, autrement, ne serait pas sensibilisé au message: «Les affiches sur lesquelles des célébrités flamandes à la poitrine dénudée incitent les femmes à se soumettre à une mammographie ne touchent pas les musulmanes parce que chez elles, la nudité est un tabou», relève ainsi Patrick De Win, gérant de Shortcut. Le choix de Shortcut en faveur du marketing ethnique s’explique en grande partie par l’évolution démographique de notre pays. D’après les GROUPES ETHNIQUES mateurs d’origine étrangère? chiffres du sociologue Jan Hertogen, un Belge sur cinq est d’origine étrangère, et ce pourcentage devrait encore croître. Dans certaines villes, les allochtones sont plus nombreux que les autochtones. A Bruxelles, Jan Hertogen estime ainsi à 68 % les habitants d’origine allochtone, tandis qu’à Anvers, 55% de la population aura des racines étrangères en 2020. Ces données montrent clairement que les marques s’exposent à un manque à gagner si elles n’arrivent pas à atteindre cette clientèle. Dans le même temps, les entreprises voient de nouveaux marchés s’ouvrir. Elles peuvent désormais offrir des produits sur mesure tels que des formules télécoms aux Turcs de Belgique, des produits bancaires et des aliments halal aux musulmans ou des cosmétiques pour différents types de peau. La marque de vêtements de natation Speedo a ainsi lancé sur le marché un burkini – un maillot pour musulmanes, jusqu’ici interdit dans les piscines publiques belges –, tandis que Panzani propose une gamme de pâtes halal sous la marque Zakia. Des efforts rentables? Les avis divergent en revanche sur la rentabilité de ce marketing ciblé. KBC Le Nouvel An chinois dans un casino bruxellois L es Chinois passent pour des joueurs invétérés dans le milieu des jeux d’argent. Viage, le complexe bruxellois de jeux de hasard et de divertissement – qui, avec un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros, reste en deçà des prévisions à cause des recettes décevantes de sa branche divertissement –, tente à présent d’atteindre le groupe cible formé par les Chinois de Bruxelles. «Nous organisons ainsi à Bruxelles des événements tels que le Nouvel An chinois, mais nous faisons aussi de la publicité dans des journaux chinois locaux », détaille Yves Busschot, directeur du marketing de Viage. «Nous menons aussi des actions de marketing de rue dans les quartiers chinois de Bruxelles et d’Anvers.» est arrivée à la conclusion, après examen, qu’il n’existait pas de demande de produits bancaires islamiques. De son côté, l’agence publicitaire internationale Ogilvy a créé Ogilvy Noor, spécialisée dans la communication conforme à la sharia. «Ogilvy Noor vise les marchés porteurs en Asie, mais elle assure aussi une communication sur mesure pour des groupes cibles en Europe », précise Kristel Vanderlinden, directrice de la stratégie d’Ogilvy Belgique. Le manque de connaissances est une des raisons qui expliquent pourquoi le marketing ethnique peine à s’imposer. « Les professionnels du marketing ne connaissent pas l’univers mental de leurs clients », regrette René Romer, fondateur de Transcity, une agence rotterdamoise spécialisée dans le marke- Mobistar opte pour le partenariat M obistar développe une autre stratégie que KPN pour permettre aux allochtones d’appeler à l’étranger à moindre coût. Au lieu de créer sa propre marque, elle a conclu un partenariat avec la compagnie irlandaise Core Telecommunications International pour lancer un dial-a-code. Les clients de Mobistar (cartes prépayées) composent d’abord le code abrégé 1617, puis forment le numéro de leur choix. Core International veille à ce que le produit soit distribué notamment dans les magasins de nuit. Le site 1617.be existe en quatre langues: français, néerlandais, anglais et turc. ting de la diversité. Mais comment s’y prendre? Recherchez des supports liés à une culture donnée Vous pouvez utiliser un canal médiatique standard dont un groupe cible ethnique ou culturel raffole. Ainsi, des magazines comme Paris Match ou Ciné Télé Revue ont la cote parmi les Turcs et les Marocains de Bruxelles, de même que la chaîne télévisée RTL ou les radios Kif et NRJ. Pourtant, il est souvent difficile d’atteindre les allochtones, notamment en raison de la barrière de la langue ou de leur compréhension limitée de l’écrit, estiment Sanaï Jamaï et Lise Frattari, qui ont réalisé leur travail de fin d’études sur le marketing ethnique à la Erasmus Hogeschool de Bruxelles. Les revues et les platesformes électroniques liées à une culture donnée sont donc parfois plus efficaces. Ainsi, Aywa, rédigé en français et en néerlandais, s’adresse à la communauté marocaine, tandis que Gold FM vise la communauté turque. « Comme les supports liés à une certaine culture sont moins nombreux en Belgique qu’aux Pays-Bas ou en France, il faut davantage recourir dans notre pays aux campagnes d’affichage, au porte-à-porte et aux équipes de WWW.TRENDS.BE | 1ER SEPTEMBRE 2011 63 ≤ BIZZ MARKETING ≤ promotion », signale René Romer. Pour atteindre le bon groupe cible, on peut recourir par exemple au publipostage et sélectionner les personnes portant un patronyme turc, espagnol ou congolais dans des bases de données. Ou encore, chercher à savoir si certaines communautés n’habitent pas dans une région déterminée – les Turcs à Gand ou les Congolais à Bruxelles –, pour y mener des campagnes intensives, par exemple avec le soutien d’une équipe de promotion allochtone. Shortcut cherche partout des canaux alternatifs pour atteindre son public cible. « On peut collaborer avec des groupes de femmes, des mosquées, des petits commerces ou le secteur horeca. » Soulignez les traits communs Le marketing ethnique tel qu’il est pratiqué aux Pays-Bas et en Belgique n’est pas du tout le même que sur le 68% des Bruxellois sont d’origine étrangère. Le « burkini » est un maillot pour musulmanes conçu par Speedo. Les leçons d’Ay Yildiz I l y a huit ans, la compagnie de télécoms KNP Group Belgique a innové en lançant la marque Ay Yildiz, destinée à la communauté turque de notre pays. Ay Yildiz offre des tarifs avantageux à ses clients pour les appels en Turquie ou dans nos pays voisins. Au départ, il ne s’agissait que de cartes prépayées, mais en 2005, des abonnements ont vu le jour. Depuis l’année dernière, Ay Yildiz offre des produits business destinés spécifiquement au marché professionnel turc. Elle ambitionne de lancer l’année prochaine de nouveaux produits visant les jeunes d’origine turque. «Respectez les différences et adaptez-vous, confie Florence Muls, responsable de la communication de KPN Belgique. On n’étudie jamais assez les spécificités culturelles de ces groupes cibles.» Lorsqu’elle lance un nouveau produit, Ay Yildiz veille à ce qu’un collaborateur turcophone soit présent en magasin pour aider les clients. La marque collabore aussi bien avec les médias turcophones nationaux (les quotidiens Zaman, Hürriyet et Sabah) que locaux (les journaux Yenihaber, Gündem et Binfikir), et travaille aussi avec la radio Gold FM à Bruxelles. Au niveau marketing, l’opérateur privilégie les actions commerciales — notamment auprès des associations turques — et les actions hors médias comme le sposoring d’événements. Enfin, le gardien de but belgo-turc du Standard de Liège, Sinan Bolat, est ambassadeur d’Ay Yildiz. 64 1ER SEPTEMBRE 2011 | WWW.TRENDS.BE marché américain, où les annonceurs peuvent se permettre de cibler un seul groupe. On y recense par exemple 50 millions de Latinos. En Belgique, les communautés atteignent quelques dizaines de milliers d’individus, 300.000 tout au plus. « Il est dès lors plus intéressant de rechercher les points communs plutôt que de souligner les différences », recommande René Romer. «L’opérateur de télécoms surinamais Telesur constitue un bon exemple. Pour se préparer à la perte de son monopole au Surinam, il a décidé de s’attaquer aussi au marché néerlandais, où vivent autant de Surinamais qu’au Surinam même (soit trois millions). Le nombre de clients potentiels a donc doublé. » Telesur a élaboré une offre permettant aux consommateurs d’appeler tant au Surinam qu’aux PaysBas avec la même carte SIM et au tarif unique de dix centimes la minute. La campagne publicitaire reposait sur le slogan « Deux pays, un sentiment ». En dix jours, 20.000 cartes SIM ont été vendues. Testez vos campagnes sur des allochtones Les habitudes et les préférences évoluent en permanence, surtout chez les jeunes. Le responsable marketing qui a étudié les valeurs et les habitudes des Belges marocains l’année dernière ne peut pas fonder sa prochaine action sur celles-ci. Les entreprises doivent d’abord tester leurs campagnes publicitaires sur des Belges allochtones, estime René Romer. Il ne suffit pas que les bureaux de marketing engagent un collaborateur allochtone, prévient-il : «Les gens transposent facilement sur les autres leur propre conception des choses. Il en va de même de votre collaborateur belgo-turc, qui part de son propre univers, alors qu’il diffère de celui d’un Congolais ou d’un Marocain. Il faut s’efforcer de mettre ses préjugés entre parenthèses, par exemple en travaillant avec du contenu généré par les utilisateurs: demandez par exemple au groupe cible de chercher dans des magazines ou sur le web des images qu’ils trouvent intéressantes.» z