CONCOURS DE RECRUTEMENT DE PROFESSEURS CERTIFIES

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CONCOURS DE RECRUTEMENT DE CONSEILLER PRINCIPAL
D’EDUCATION DES ETABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT AGRICOLE
SESSION 2016
Concours : EXTERNE
EPREUVE ECRITE D’ADMISSIBILITE N°2
Etude d’un dossier portant sur la connaissance du système éducatif
(Coefficient : 2 – Durée : 5 heures)
Matériels et documents autorisés :
L’usage de tout ouvrage de référence, de tout dictionnaire et de tout matériel électronique est
rigoureusement interdit.
En vous appuyant, notamment, sur les documents contenus dans le dossier ci-joint, vous
répondrez, successivement et de façon argumentée, aux trois questions suivantes :
1 / Comment l’adolescent construit-il son identité ?
2 / En quoi la démarche de projet et l’ouverture sur le monde peuvent contribuer au
développement de l’estime de soi et au bien vivre ensemble au sein de l’Ecole ?
3/ De quelles façons le conseiller principal d’éducation peut-il s’impliquer au sein d’un
établissement d’enseignement agricole public pour valoriser chez l’adolescent l’estime de soi
et contribuer à sa réussite ?
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Document 1 : 5 pages
Note de service DGER/SDPOFE/N2007-2002 du 8 janvier 2007 : Modalités de mise en
œuvre des orientations générales sur la politique globale de vie scolaire.
Document 2 : 2 pages
« L’adolescence, qu’est-ce que c’est ? » - Françoise Dolto – Extrait de « Le complexe du
homard » - 1988.
Document 3 : 5 pages
« Le pari de l’éducabilité » - Philippe Meirieu – ENPJJ – Novembre 1988.
Document 4 : 10 pages
« Connaissance de soi et estime de soi : ingrédients pour la réussite scolaire » - Delphine
Martinot – Revue des sciences de l’éducation, vol. 27, n°3, 2001.
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DOCUMENT 1
MINISTERE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PECHE
DIRECTION GENERALE DE L'ENSEIGNEMENT
ET DE LA RECHERCHE
Sous-Direction des Politiques de Formation et
D'éducation
Bureau de la Vie scolaire, étudiante et de
l'insertion
Adresse : 1 ter avenue de Lowendal 75700 Paris 07
SP
Suivi par : Sophie PALIN - Lucie CAMARETVILLETTE
Tél : 01.49.55.50.98 ou 60.89
Fax :01.49.55.40.06
NOTE DE SERVICE
DGER/SDPOFE/N2007-2002
Date: 08 janvier 2007
Extraits
Le Ministre de l'agriculture et de la pêche
à
Mesdames et Messieurs les Directeurs Régionaux
de l'Agriculture et de la Forêt,
Mesdames et messieurs les chefs d'établissements
d'enseignement agricole
Date de mise en application : immédiate
Nombre d'annexe: 0
Objet : modalités de mise en oeuvre des orientations générales sur la politique globale de vie
scolaire.
Bases juridiques : circulaire DGER/POFEGTP/C2002-2013 du 17 décembre 2002 relative aux
orientations générales sur la politique globale de la vie scolaire.
Résumé : La présente note de service a pour objet d'indiquer les priorités d'actions à mettre en place
à chaque niveau de l'enseignement agricole en ce qui concerne la politique globale de vie scolaire et
de vie des établissements.
Mots-clés : ENSEIGNEMENT AGRICOLE, VIE SCOLAIRE, VIE DE L'ETABLISSEMENT, PROJET.
DESTINATAIRES
Pour exécution :
- Administration centrale - diffusion B
- Directions régionales de l'agriculture et de la forêt (D.R.A.F.)
- Directions de l'Agriculture et de la forêt (D.A.F.)
- Services régionaux de la Formation et du développement (S.R.F.D.)
- Services de la formation et du développement (S.F.D.)
- Etablissements publics nationaux et locaux de l'enseignement agricole
- Unions fédératives des établissements privés d'enseignement agricole
Pour information :
- Syndicats de l'enseignement agricole public
- Fédérations d'associations de parents d'élèves
1- Les concepts de " Vie scolaire " et de " Vie de l'établissement "
2- Actions à mettre en place au niveau local : la construction d'un projet de vie scolaire et de vie de
l'établissement porté par tous les membres de la communauté éducative et centré sur les jeunes et
les adultes en formation
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2-1 Un projet de vie scolaire et de vie de l'établissement nécessairement défini et mis en œuvre par
tous les membres de la communauté éducative :
2-2 Un projet de vie scolaire et de vie de l'établissement obligatoirement centré sur les jeunes et les
adultes en formation :
2-2-1 L'épanouissement des élèves, étudiants, apprentis et stagiaires :
2-2-2 L'insertion scolaire des jeunes, sociale et professionnelle des jeunes et des adultes :
3- Actions à mettre en place au niveau régional : la mobilisation des compétences pour mener
une véritable politique régionale de la vie scolaire et de la vie des établissements formalisée
dans le projet régional de l'enseignement agricole
4- Actions à mettre en place au niveau national : la définition et l'élaboration des orientations
générales et des dispositions permettant leur mise en oeuvre et l'évaluation des actions
5- Evaluation de la politique de vie scolaire et de vie de l'établissement
L'enseignement agricole, en application des missions qui lui sont confiées, mène une action
primordiale pour accompagner les jeunes et les adultes qui y sont accueillis vers une insertion réussie
dans la société d'aujourd'hui et de demain.
Toutefois, face à un public d'élèves, d'étudiants, d'apprentis et de stagiaires en pleine évolution, il
convient de renforcer l'action de notre système éducatif dans ce domaine en réaffirmant que la " Vie
scolaire " et plus globalement la " Vie de l'établissement " sont l'affaire de tous les membres de la
communauté éducative.
La présente note de service a pour objet de proposer une méthodologie aux établissements
d'enseignement agricole qui, certes, mènent d'ores et déjà un certain nombre d'actions dans ces
domaines mais sans qu'elles soient toujours fédérées dans une stratégie locale partagée. Elle précise
également le rôle du niveau régional et du niveau national en matière de vie scolaire et de vie des
établissements.
1- Les concepts de " Vie scolaire " et de " Vie de l'établissement "
Le concept de " Vie scolaire " a été précisé dans la circulaire DGER/POFEGTP/C2002-2013 du 17
décembre 2002 qui fixe les orientations générales sur la politique de vie scolaire.
Il s'agit de prendre en compte la réussite du parcours de formation mais aussi l'éducation à la
citoyenneté et l'apprentissage de la démocratie, l'éducation à la santé et à la sexualité, l'acquisition de
l'esprit de tolérance et de solidarité, la recherche d'une égalité authentique et concrète entre les
sexes, la lutte contre toutes les formes de discriminations, la prévention des conduites à risques, la
prévention des violences et maltraitances.
Ce concept de " Vie scolaire " qui concerne la formation initiale scolaire, peut être étendu à la
formation initiale par apprentissage et à la formation continue. On parlera dans ce cas de " Vie de
l'établissement ".
Ainsi, au travers de son projet, chaque établissement d'enseignement agricole doit donc développer
une véritable politique éducative, de vie scolaire et de vie de l'établissement qui se fonde à la fois sur
la transmission de connaissances mais aussi sur l'apprentissage de la citoyenneté et sur une
approche globale de prise en compte des difficultés rencontrées par les apprenants et des
dysfonctionnements pouvant apparaître dans la vie de l'établissement.
Cependant, pour une mise en œuvre concrète de ces orientations, il est nécessaire que tous les
niveaux de l'enseignement agricole se mobilisent : en effet une réelle politique de vie scolaire et plus
largement de vie de l'établissement ne peut être développée par l'enseignement agricole sans une
forte mobilisation du niveau local et du niveau régional dans ce domaine. C'est donc à ces niveaux,
dans un cadre fixé au plan national, qu'il convient d'apprécier les actions à initier.
2- Actions à mettre en place au niveau local : la construction d'un projet de vie scolaire et de
vie de l'établissement porté par tous les membres de la communauté éducative et centré sur
les jeunes et les adultes en formation
La mise en œuvre d'une véritable politique de vie scolaire et de vie de l'établissement par
l'enseignement agricole suppose de la part de tous les établissements qu'ils construisent un projet de
vie scolaire et de vie de l'établissement qui fasse partie intégrante de leur projet global, en cohérence
avec le projet régional de l'enseignement agricole.
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A partir d'un diagnostic de la situation, ce projet de vie scolaire et de vie de l'établissement doit
identifier des actions prioritaires, ainsi que des indicateurs permettant d'évaluer leur pertinence. Pour
une mise en œuvre optimale, il est indispensable que ce projet soit défini et porté par l'ensemble de la
communauté éducative de tous les centres constitutifs des établissements.
2-1 Un projet de vie scolaire et de vie de l'établissement nécessairement défini et mis en œuvre
par tous les membres de la communauté éducative :
L'ensemble des centres constitutifs de l'établissement est concerné par la mise en oeuvre du projet de
vie scolaire et de vie de l'établissement.
Il est donc essentiel que tous les personnels, chacun pour ce qui le concerne, soient mobilisés autour
de ce projet : personnels de direction, conseillers principaux d'éducation, personnels des services
d'éducation et de surveillance, personnels de santé, enseignants, formateurs, administratifs et
personnels techniciens et ouvriers de service des établissements...
Ce projet conduit donc à une démarche partagée tant en interne qu'à l'externe de l'établissement. A
ce titre il est recommandé d'en débattre en interne mais aussi avec les représentants des parents
d'élèves, des maîtres de stage et d'apprentissage et tous ceux qui sont susceptibles de s'investir ou
de fournir un appui logistique à certaines actions programmées par l'établissement : collectivités
territoriales, autres services déconcentrés de l'Etat, associations et autres organismes...
Cette démarche peut se traduire concrètement par :
- la sensibilisation des membres de la communauté éducative et des équipes pédagogiques aux
enjeux de cette dimension éducative et de vie scolaire tels qu'ils ont été fixés par la circulaire
DGER/POFEGTP/C2002-2013 du 17 décembre 2002 qui fixe les orientations générales sur cette
politique et qu'il convient de compléter par les orientations données dans la circulaire
DGER/FOPDAC/C2002-2005 du 7 juin 2002 relative à la mission d'insertion scolaire, sociale et
professionnelle : la réunion de rentrée scolaire peut être un temps fort à utiliser à cette fin ;
- la réalisation d'un diagnostic permettant d'interroger les acteurs (internes et externes), d'analyser le
contexte socio-économique (caractéristiques sociales du bassin de recrutement...) et d'inventorier les
résultats de l'établissement (réussite scolaire et éducative). Ce diagnostic identifiera en particulier les
actions à maintenir, à renforcer ou à initier ;
- le choix d'objectifs opérationnels traduisant clairement les principaux buts à atteindre ;
- la mise en place d'un plan d'actions définissant les actions retenues, les moyens engagés pour y
parvenir, les acteurs concernés et l'échéancier.
- le choix de critères et d'indicateurs de réussite afin de pouvoir évaluer la pertinence des actions
mises en place ;
- le suivi de ce plan d'actions par un comité restreint pouvant s'enrichir des données de commissions
existantes (commission de la pédagogie et de la vie scolaire, commission internat,...) et des conseils
d'établissement.
2-2 Un projet de vie scolaire et de vie de l'établissement obligatoirement centré sur les jeunes
et les adultes en formation :
La circulaire DGER/SDEPC/C2005-2015 du 19 octobre 2005 précise les objectifs et les modalités
d'élaboration des projets d'établissements.
Ces projets d'établissements doivent comporter un volet relatif à la politique de vie scolaire
conformément aux instructions données par la circulaire DGER/POFEGTP/C2002-2013 du 17
décembre 2002 qui fixe les orientations générales sur cette politique.
Il s'agit pour les établissements d'élaborer un projet clair et opérationnel qui comporte a minima les
volets suivants :
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- les conditions d'accueil et de vie dans l'établissement ;
- l'apprentissage de la citoyenneté et de la démocratie ;
- le développement des activités péri-scolaires notamment sportives et culturelles ;
- l'éducation à la santé et à la sexualité ;
- la promotion de l'égalité entre filles et garçons ;
- la lutte contre toutes les formes de discrimination (racisme, xénophobie, homophobie...) ;
- la prévention des conduites à risques, des violences et des maltraitances.
Le projet de vie scolaire et de vie de l'établissement se fixera en particulier les deux objectifs
globaux suivants :
- l'épanouissement des élèves, étudiants, apprentis et stagiaires ;
- l'insertion scolaire des jeunes, sociale et professionnelle des jeunes et des adultes.
2-2-1 L'épanouissement des élèves, étudiants, apprentis et stagiaires :
Il s'agit de développer une stratégie et des actions qui favorisent l'épanouissement des élèves,
étudiants, apprentis et stagiaires en leur permettant certes de suivre des formations et d'obtenir des
diplômes ou des qualifications, mais aussi en leur donnant l'occasion d'être acteurs afin
d'appréhender la vie collective, la vie associative et coopérative, afin aussi de gagner en autonomie et
de prendre des responsabilités.
Les actions dans ce domaine peuvent être nombreuses et variées. A titre indicatif, il peut s'agir de :
- mettre en place des conditions matérielles indispensables à l'épanouissement personnel des jeunes
et des adultes : locaux adaptés, qu'il s'agisse des locaux scolaires ou des locaux réservés aux
activités sportives, associatives ou culturelles... ;
- maintenir l'internat comme lieu d'accueil, de travail et de développement d'activités permettant la
socialisation et l'acquisition de repères ;
- favoriser l'apprentissage de la démocratie par les élèves, les étudiants, les apprentis et les stagiaires
(conseil de classe, conseil des délégués élèves, conseils de centres et d'administration, commission
pédagogie et vie scolaire, heure de vie de classe...). A ce titre, chaque année, une formation des
délégués élèves sera mise en place afin d'assurer la représentation dans et de l'établissement et de
définir le rôle du délégué ;
- développer l'apprentissage à la prise de responsabilité et à l'autonomie au travers des associations
des lycéens, étudiants, stagiaires et apprentis (ALESA) ;
- responsabiliser les apprenants pour le respect de leur environnement de travail ;
- développer une éducation citoyenne à partir des référentiels de formation et des pratiques
quotidiennes (à ce sujet l'heure de vie de classe intégrée dans les emplois du temps doit permettre
d'instaurer un dialogue dans la classe entre les jeunes en formation et entre les adultes et les jeunes)
mais aussi grâce à des actions de coopération internationale et aux exploitations agricoles et ateliers
technologiques, réels lieux d'activités et de prises de responsabilités par les apprenants ;
- prôner les démarches d'éco-citoyenneté enrichissant la relation au cadre de vie, à l'environnement,
au patrimoine et au territoire ;
- établir, en liaison avec " l'infirmier(e), conseiller(e) de santé " conformément aux dispositions de la
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circulaire DGER/SDACE/C2001-2016 du 6 décembre 2001 relative aux missions des infirmiers(es)
exerçant dans les établissements de l'enseignement technique agricole, des programmations et des
suivis dans le temps, d'actions de prévention dans les domaines des conduites à risques, de la lutte
contre les discriminations, de la santé et de la sexualité.
Dans le cadre des modules existants dans certaines formations, les établissements veilleront en
particulier à proposer des programmes de sensibilisation et de prévention concernant l'ensemble des
infections sexuellement transmissibles. La prévention du SIDA étant toujours d'actualité, la présence
de distributeurs de préservatifs dans les établissements devra être étudiée lors des conseils
d'établissements ;
- sensibiliser les apprenants à la question de l'égalité et du respect mutuel entre les sexes tant dans le
cadre des formations qu'au moyen d'actions éducatives ;
- mettre en place des activités d'éducation artistique et culturelle développant l'imaginaire, l'approche
sensible, le jugement et la créativité. A ce titre, on veillera à la coordination avec le " projet d'animation
et développement culturel " précisé par la circulaire DGER /SDEPC/C2006-2002 du 21 mars 2006
relative au référentiel professionnel du professeur d'éducation socioculturelle et conditions d'exercice
de ses activités ;
- renforcer et soutenir, notamment grâce à la commission de la pédagogie et de la vie scolaire, les
missions des conseillers principaux d'éducation, des personnels d'éducation et de surveillance
(TEPETA vie scolaire, assistants d'éducation...) et des infirmier(e)s gérant quotidiennement de
nombreuses situations qui, si elles n'étaient pas prises en charge par l'institution, pourraient dégénérer
en problématiques graves ;
- renforcer la communication et les liens entre les différents partenaires et particulièrement entre les
parents d'élèves, les élèves, les étudiants, les apprentis, les stagiaires et l'ensemble des instances de
l'établissement. Une fois par an, la question de la vie scolaire et de la vie de l'établissement fera l'objet
d'un point de l'ordre du jour du conseil d'administration ;
- organiser une réflexion sur une meilleure organisation du temps dans les établissements afin de
permettre une adéquation entre les contraintes organisationnelles et les rythmes biologiques des
apprenants.
2-2-2 L'insertion scolaire des jeunes, sociale et professionnelle des jeunes et des adultes :
Les objectifs et les modalités de mise en œuvre de la mission d'insertion scolaire des jeunes, sociale
et professionnelle des jeunes et des adultes sont précisés dans la circulaire DGER/FOPDAC/C20022005 du 7 juin 2002.
Les actions initiées par les établissements dans ce domaine doivent en particulier favoriser la mise en
place :
- de dispositifs propres à faciliter l'insertion scolaire et à lutter contre le décrochage scolaire ;
- de structures d'accueil, d'information et d'orientation ;
- de dispositifs de lutte contre l'illettrisme, de soutien scolaire ;
- de dispositifs facilitant l'insertion sociale (cellules d'écoute, groupes " adultes-relais ",...) ;
- de dispositifs facilitant l'insertion professionnelle des filles et des garçons (bureaux emploi, outils
facilitant le suivi des jeunes ou des adultes à la recherche de stages ou d'emploi,...) ;
- de démarches favorisant l'intégration.
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Document 2
L'adolescence, qu'est-ce que c'est ?
L'adolescence, c'est la période de passage qui sépare l'enfance de l’âge adulte, elle a pour
centre la puberté. À vrai dire, ses limites sont floues. Ce à quoi ça ressemble le plus, c'est sans
doute la naissance. À la naissance, on nous sépare de notre mère en coupant notre cordon
ombilical, mais on oublie souvent qu’entre la mère et l'enfant, il y avait un organe de liaison
extraordinaire : le placenta. Le placenta nous apportait tout ce qui était nécessaire à notre
survie et filtrait beaucoup de substances dangereuses circulant dans le sang maternel. Sans lui,
pas de vie possible avant la naissance, mais à la naissance, il faut absolument le quitter pour
vivre. L’adolescent, c’est comme une SECONDE NAISSANCE qui se ferait progressivement.
Il faut quitter peu à peu la protection familiale comme on a quitté un jour son placenta
protecteur. Quitter l’enfance, faire disparaître l’enfant en nous, c’est une mutation. Ça donne
par moments l’impression de mourir. Ça va vite, quelquefois trop vite. La nature travaille à
son propre rythme. Il faut suivre et on n’est pas toujours prêt. On sait ce qui meurt, mais on ne
voit pas encore vers quoi on va. Ça ne « colle plus » mais on ne sait pas bien pourquoi ni
comment. Plus rien n’est comme avant, mais c’est indéfinissable. Par exemple, le changement
de la voix pour les garçons, c'est douloureux. C'est dur de faire le deuil de sa voix, celle qu'on
se connaissait depuis des années. Il y a de L’INSÉCURITÉ dans l’air, il y a le désir de s'en
sortir et le manque de confiance en soi. On a besoin à la fois de contrôle et de liberté, ce n'est
pas facile de trouver le bon équilibre entre les deux. Pour les parents comme pour les enfants,
le dosage idéal est différent selon les jours et les circonstances. On voudrait montrer qu’on est
capable de se risquer dans la société. La loi prévoit que les parents sont responsables de leurs
enfants jusqu’à leur majorité et soi-même, on sent ce besoin de protection par moments. Mais
chacun doit être responsable de lui-même. Il s’agit en fait d’une ÉCORESPONSABILITÉ.
On aurait besoin de sentir l'intérêt de l’entourage familial pour cette évolution incroyable qui
se passe en nous, mais quand cet intérêt se manifeste, il peut nous retenir dans l’enfance ou au
contraire nous pousser trop vite à devenir adulte. Dans les deux sens, on se sent coincé par
cette attention alors qu’on aurait cherché à être soutenu. On voudrait parler adulte mais on
n’en a pas encore les moyens. On aimerait prendre la parole et être écouté vraiment. Quand on
nous laisse la prendre, c’est trop souvent pour nous juger sans nous entendre. On s’avance en
parlant et on se retrouve piégé. On sent que c’est vital de quitter ses parents un jour. Alors il
faut déjà quitter un certain type de relation avec eux. On veut aller vers une vie différente.
Mais quelle vie ? On n’a pas toujours envie d’avoir la même vie qu’eux. En les regardant
vivre, on croit parfois voir son propre avenir et ça fait peur. On se sent sur une pente dont on
n’a pas le contrôle. On perd des défenses, ses moyens de communication habituels sans avoir
pu en inventer de nouveaux. LES HOMARDS, quand ils changent de carapace, perdent
d’abord l’ancienne et restent sans défense, le temps d’en fabriquer une nouvelle. Pendant ce
temps-là, ils sont très en danger. Pour les adolescents, c'est un peu la même chose. Et
fabriquer une nouvelle carapace coûte tant de larmes et de sueur que c’est un peu comme si on
la « suintait ». Dans les parages d’un homard sans protection, il y a presque toujours UN
CONGRE qui guette, prêt à le dévorer. L’adolescence, c’est le drame du homard ! Notre
congre à nous, c’est tout ce qui nous menace, à l’intérieur de soi et à l’extérieur, et à quoi bien
souvent on ne pense pas.
Le congre, c'est peut-être le bébé qu'on a été, qui ne veut pas disparaître et qui a peur de
perdre la protection des parents. Il nous retient dans notre enfance et empêche de naître
l’adulte qu'on sera. Le congre, c'est aussi en nous l’enfant en colère qui croit que c’est en «
bouffant » de l’adulte qu’on devient adulte. Le congre, c’est peut-être encore ces adultes
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dangereux, parfois profiteurs, qui rôdent autour des adolescents parce qu’ils les sentent
VULNÉRABLES. Les parents savent qu’ils existent et que les dangers nous guettent. Ils ont
souvent raison de nous inciter à la prudence, même si c’est pénible de l’accepter.
L’adolescence, c’est aussi un mouvement plein de force, de promesses et de vie, un
jaillissement. Cette force est très importante, elle est l’énergie même de cette transformation.
Comme les pousses qui sortent de terre, on a besoin de « sortir ». C’est peut-être pour cela
que le mot sortir est si important. Sortir c’est quitter le vieux cocon devenu un peu étouffant,
c’est aussi avoir une relation amoureuse. C’est un mot-clé qui traduit bien le grand
mouvement qui nous secoue. En bande on se sent bien, on a les mêmes repères, un langage
codé à soi qui permet de ne pas utiliser celui des adultes. On aimerait bien qu’il n’y ait plus de
tu ou de vous, qu’il n’y ait qu’un tu de fraternité, qu’on voudrait bien employer toujours et qui
n’est pas le vu des adultes, parfois condescendant. Il n’y a pas d’adolescence sans problème,
sans SOUFFRANCES, c’est peut-être la période la plus douloureuse de la vie. C’est aussi la
période des JOIES les plus intenses. Le piège, c’est qu’on a envie de FUIR tout ce qui est
difficile. Fuir en dehors de soi en se jetant dans des aventures douteuses, ou dangereuses,
entraîné par des gens qui connaissent les fragilités des adolescents. Fuir à l’intérieur de soi, se
barricader derrière une fausse carapace. L’adolescence, c’est toujours difficile, mais si les
parents et les enfants font confiance à la vie, ça s’arrange toujours.
Françoise DOLTO « Le complexe du homard » page 13 à 16.
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Document 3
Le pari de l’éducabilité
Le 5 novembre 2008, Philippe Meirieu inaugurait le cycle de conférence des soirées de l’ENPJJ à
Roubaix. A cette occasion, le pédagogue a évoqué son rapport à la question de l’éducabilité au
travers d’exemples marquants de son parcours professionnel et personnel. Nous vous livrons ici
quelques extraits de son exposé.
« J’ai commencé en tant qu’instituteur, tout d’abord dans une classe unique. C’étaient un peu à
l’époque des "classes poubelles" avec des élèves extrêmement difficiles qu’on tentait d’occuper ou de
récupérer sans trop y croire. A cette époque, j’étais militant de ce que l’on appelait – et que l’on
appelle encore, même si cela a moins pignon sur rue – l’éducation populaire. Je croyais en les grandes
valeurs humanistes de notre société et je me trouvais confronté à un échec radical qui m’interpellait
profondément et, à bien des égards, m’inquiétait, voire me faisait souffrir. Je découvrais des élèves
abîmés, qui s’abîmaient entre eux, qui abîmaient l’école et qui abîmaient parfois les gens autour d’eux.
Et je découvrais aussi beaucoup d’adultes qui avaient baissé les bras face à ces élèves et qui
considéraient que la seule chose qui restait à faire était de les garder en essayant qu’ils fassent le moins
de dégâts possible.
« Et même si ce n’est pas vrai… »
Ce fatalisme, cette résignation autour de ces enfants, me choquaient profondément dans mes valeurs.
C’est à ce moment-là que j’ai découvert, vers 1967, un livre dont la lecture m’a frappé et touché
profondément. Il s’intitulait Lettre à une maîtresse d’école et avait été écrit par un petit groupe
d’enfants exclus, récupérés dans les Abruzzes par un curé un peu atypique qui avait ouvert une école
pour accueillir ces enfants jugés irrécupérables. Et ces enfants avaient eu le projet d’écrire à leur
maîtresse d’école, une maîtresse hypothétique, celle qui les avait exclus de l’école. Dans cette lettre,
ils expliquaient qu’ils avaient été en quelque sorte mis au rebus. Ils s’exprimaient très violemment en
disant à leur maîtresse d’école : « Si j’étais l’Etat, je vous payerai un forfait. Tant pour chaque enfant
qui réussit, ou plus exactement un prélèvement sur votre salaire pour tout enfant qui ne réussit pas à
passer en classe supérieure. » Ils ajoutaient : « Il faudrait voir comment vous vous relèveriez la nuit
pour chercher le moyen de les faire passer. Actuellement, plutôt que de faire ça, vous dites qu’ils ne
sont pas doués. Ca vous permet de ne pas avoir à vous creuser les méninges pour trouver un moyen de
les faire réussir. »
Les enfants faisaient des propositions extrêmement vigoureuses et provocatrices, par exemple de
mettre en prison systématiquement tous les professeurs qui acceptent de donner des leçons
particulières. Ils disaient « il y a des professeurs qui font médiocrement leur travail, ce qui leur permet
de donner des leçons particulières au prix fort et de tenter de récupérer des élèves qu’ils ont euxmêmes contribué à exclure. »
C’était violent. Un texte dur et fort qui m’a beaucoup ébranlé et qui m’a fait m’interroger sur le
postulat de l’éducabilité. A un moment, les enfants écrivaient : « Tous les enfants sont doués pour
toutes les matières. Et, même si ce n’est pas vrai, vous devez faire comme si. » Effectivement, nous
n’avons aucune manière de prouver que tous les enfants sont aptes à toutes les disciplines et au plus
haut niveau. Il y a même de fortes chances pour que ce ne soit pas le cas. Mais on doit faire comme si,
en faisant le pari qu’ils peuvent quand même y arriver. Pourquoi ? Parce qu’on ne sait jamais à quoi
attribuer un échec et avoir la certitude que cet échec est imputable exclusivement au déficit d’une
personne et non pas aux conditions éducatives de l’accompagnement qui lui a été proposé.
C’est la raison pour laquelle ce pari de l’éducabilité m’est apparu probablement scientifiquement faux,
bien qu’on n’en sache rien, mais éthiquement juste et nécessaire, parce qu’il est le pari sur l’humain.
De même que m’est apparue sa portée heuristique : c’est grâce à ce pari qu’on se met en route et qu’on
invente des moyens pédagogiques pour aider les êtres à apprendre et à grandir.
Il y a donc là quelque chose de fondamental dans ce principe d’éducabilité qui relève, pour moi, d’un
acte ou d’une pensée, d’un engagement de la personne par la capacité qu’elle se donne d’accompagner
l’autre pour qu’il grandisse et qu’il apprenne.
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Le principe d’éducabilité m’a également aidé à distinguer, dans le courant de l’éducation nouvelle,
ceux qui réellement étaient des praticiens porteurs d’un idéal démocratique authentique et ceux qui,
parfois avec les mêmes pratiques, étaient des gens extrêmement élitistes. J’ai étudié par exemple les
pratiques de groupe, ce qu’on appelle traditionnellement la pédagogie de projet. Or, quand on regarde
dans le détail tout ce qui s’est passé des années 1930 aux années 1960 autour de la pédagogie de
projet, on voit bien qu’elle a pu être mobilisée par des gens très différents : par tout un courant qui
l’utilisait parce que c’était le moyen, par la liberté laissée au sujet de prendre des initiatives, de
sélectionner le plus vite possible les futurs chefs. Un certain nombre de penseurs l’ont dit, expliqué et
exprimé. Ils ont même dit que la pédagogie de projet permettait aux rapides de se manifester, aux
conceptuels d’exprimer leurs compétences et à « ceux qui ne sont que des manuels » d’être des
exécutants. Et les chômeurs, on tacherait de les envoyer ailleurs…
On voit que, à ce moment-là, ceux qui sont les plus démocratiques dans la pédagogie de projet, ne sont
pas forcément ceux que l’on croit. On va s’apercevoir par exemple que le mouvement scout dans
l’éducation nouvelle est probablement plus démocratisant dans son aspiration, par le système des
brevets que tout le monde doit passer par une exigence de rotation des tâches et de formation de tous,
que des systèmes d’éducation nouvelle anarchiste ou libertaire comme Summerhill, où les êtres sont
livrés à eux-mêmes : les bons réussissent et les autres sont plus ou moins écartés, ou du moins restent
dans une réussite très aléatoire.
Ce principe d’éducabilité est donc extrêmement intéressant pour interroger nos pratiques. Voulonsnous privilégier la réussite du plus grand nombre et l’accès du plus grand nombre à des compétences, à
des savoirs ? Ou bien laissons-nous s’accomplir un certain darwinisme naturel qui fait que les mieux
adaptés survivent ?
Ce postulat de l’éducabilité a été pour moi un moteur. Il m’a permis d’avancer, de tenter d’inventer et
m’a ressourcé. Il m’a également donné le courage de me battre pour tenter de faire réussir des gens sur
lesquels plus personne ne pariait.
J’ai également découvert que c’était effectivement ce principe d’éducabilité qui avait, tout au long de
l’histoire, fait avancer les pratiques pédagogiques, au fur et à mesure que des hommes et des femmes
avaient postulé l’éducabilité de gens réputés jusque-là inéducables. J’ai découvert qu’au moment de la
Révolution française, on s’était battu chez les intellectuels pour savoir si l’on pouvait éduquer les
enfants qu’on appelait à l’époque débiles.
J’ai découvert enfin qu’un dénommé Itard avait recueilli un enfant abandonné et l’avait appelé Victor.
Son histoire est racontée dans le film de François Truffaut, L’enfant sauvage. Un enfant trouvé dans
les bois près de Rodez, nu et mangeant des baies sauvages, vivant quasiment comme un animal. Itard
décide de l’éduquer. Personne n’y croit. Tout le monde pense que Victor est un débile de nature. Et
Itard va faire l’hypothèse que ce n’est pas le cas. Philosophiquement, c’est un disciple de Locke,
d’Helvétius, de Condillac, ceux que l’on appelle les empiristes, ceux qui croient à la puissance de
l’exogène par rapport à l’endogène, de l’extérieur par rapport à l’intérieur, c’est-à-dire de l’expérience
par rapport à ce que l’on pourrait appeler l’inné de chaque individu. Il va passer plusieurs années de sa
vie, à tenter d’éduquer Victor. Pour lui, cette éducation aurait été réussie s’il était parvenu à lui faire
acquérir le langage. Victor ne parlera jamais. Mais il va progresser considérablement. Il va avancer, se
socialiser et même entrer en communication avec les autres alors que cela lui était radicalement
impossible. Et Victor va apprendre une multitude de choses.
Est-ce que Victor était débile, au sens quasiment génétique du terme ? Est-ce que ses parents l’avaient
abandonné parce qu’il était débile ? Ou bien était-il un enfant "normal" que l’on aurait pu éduquer si
l’on s’y était pris mieux et plus tôt. Nous n’en saurons jamais rien. Mais que nous reste-t-il ? Un
enfant qui a progressé considérablement et un éducateur, Itard, qui a inventé une multitude d’outils
pédagogiques que vous connaissez : La boîte aux lettres, une boîte avec des trous en forme d’étoiles,
de carrés, de lunes, etc. Il faut mettre les objets dans la boîte en respectant les ouvertures. Qui l’a
inventé ? C’est Itard pour Victor. Qui a inventé le puzzle avec les lettres pour apprendre la lecture ?
C’est Itard avec Victor. Qui a imaginé toute une série d’outils, qui seront repris par Maria Montessori
et qui sont aujourd’hui dans les écoles maternelles et employés par tous les enfants du monde ? C’est
Itard avec Victor.
Vous voyez à quel point l’éducabilité est heuristique. Elle fait trouver, elle fait chercher. Et elle profite
à la fois aux enfants pour lesquels on fait ce pari, mais également aux autres parce que, plus on va vers
ces enfants difficiles, plus on est amené à inventer des outils et des dispositifs qui vont pouvoir être
réinvestis avec les autres enfants.
Les choses sont par la suite devenues un peu plus difficiles. Je suis resté professeur, instituteur, et
j’écris dans un autre de mes ouvrages, Le choix d’éduquer, que j’ai été malade de l’éducabilité. Je me
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souviens de cette année où j’avais sept élèves très difficiles et je m’étais mis en tête de leur apprendre
la proportionnalité.
C’était important pour moi parce que c’était un outil intellectuel, le gage de leur éducabilité. Mais on
se heurte parfois à des difficultés énormes qu’on n’avait pas anticipées, et cela peut tourner à
l’obsession. A certains moments, je pense même avoir failli basculer dans une sorte de rage intérieure.
J’ai même eu la tentation de passer à une certaine forme de violence : « Tu vas la comprendre la
proportionnalité, oui ou non ! Puisque tu es éducable, tu vas bien la comprendre ! » Je crois que, à un
moment, le principe d’éducabilité nous mène aux limites de notre propre pouvoir et nous entraîne en
quelque sorte vers la tentation du dressage. Et c’est tout le problème. Nous devons postuler que les
êtres sont éducables. C’est essentiel et fondamental. Mais nous ne pouvons pas basculer dans le
dressage. Ce serait nier l’éducation, confondre l’éducation d’un sujet et la fabrication d’un objet. Ce
serait prendre le parti du conditionnement.
Educabilité et liberté.
D’où cette découverte des deux principes fondamentaux de l’activité éducative, que je ne peux pas
traiter l’un sans l’autre alors qu’ils sont pourtant radicalement contradictoires. Tout le monde peut
apprendre et grandir, je dois en faire le pari. En même temps, nul ne peut apprendre ou grandir à la
place de quelqu’un parce que les êtres humains et les petits d’hommes sont des sujets en constitution.
On ne les fabrique pas, on les accompagne dans l’émergence de leur individualité, de leur personne, de
leur liberté.
Pour moi, la pédagogie s’est construite quand j’ai compris, ce qui a été long dans ma trajectoire, que
ces deux principes étaient à la fois contradictoires et indispensables : postuler l’éducabilité tout en
respectant la liberté, pour créer des situations qui permettent à l’autre de s’engager librement, de
grandir, d’apprendre, de se développer, de se socialiser. Ce que j’appelle la pédagogie, c’est ce travail
incessant pour construire des médiations qui vont donner à l’autre des appuis qui vont lui permettre de
grandir. Je dois créer des situations qui vont amener l’individu à s’engager lui-même, parce que
j’aurais mis en place des dispositifs grâce auxquels il se sera mis en jeu, c’est-à-dire en je. Je fais pour
qu’il fasse. Faire tout, mais ne rien faire que l’autre ne fasse, c’était déjà dans L’Emile de Rousseau.
En approfondissant ce principe d’éducabilité, j’en suis venu à affiner encore les choses. Aujourd’hui,
je me dis que, au cœur du principe d’éducabilité, il y a cette double et fondatrice conviction que tout
sujet, même apparemment le plus solide, est un sujet accidenté ; mais aussi que, derrière tout sujet
accidenté, je dois postuler qu’il y a un sujet intact et que je peux m’adresser à lui et l’aider à se révéler
par la mise en œuvre d’une démarche éducative construite. C’est-à-dire en faisant en sorte que, par des
comportements, des dispositifs, des institutions, ce sujet puisse émerger. Mais comment peut-il
émerger ?
Désengluer et différer.
Il faut désengluer le sujet de tout ce qui lui colle à la peau, de toutes les formes d’emprises, celles des
marques, des médias, des groupes de pairs qui sont parfois d’une grande violence et refusent que l’on
existe en dehors d’elles. Désengluer de ces groupes fusionnels qui vous mangent complètement,
tellement qu’on ne peut plus exister par soi-même et qu’on est obligé de lâcher sa liberté pour avoir la
garantie de ne plus être dans la solitude.
Un certain nombre de ces jeunes ne sont ce qu’ils sont que par fidélité à ce que l’on attend qu’ils
soient. Ils sont englués dans cet imaginaire social. Les désengluer est difficile, compliqué. Cela veut
dire leur trouver des rôles, leur donner des places, les faire accéder à des responsabilités, les mettre
dans des projets où ils exercent, à un moment donné, un rôle précis qui leur permet de s’extraire en se
mettant en jeu. Désengluer est indispensable pour faire émerger un sujet.
Il faut aussi différer. « Bien sûr, tu as le droit de parler, de donner ton avis. Je t’écoute. Mais tu n’es
pas dans le passage à l’acte. Tout est entendable dès lors que tu diffères et que tu prends le temps de
réfléchir avant d’agir. » Nous avons tous des pulsions archaïques. Et si le 20 e siècle nous a montré
quelque chose, c’est bien que les peuples les plus cultivés peuvent garder en eux de terribles forces de
barbarie.
Faire émerger un sujet, c’est lui donner la possibilité d’apprendre à différer, et ainsi, à accéder à ce que
nous autres, les chercheurs, appelons le stade du désir. On confond trop souvent le désir et la pulsion.
La pulsion est quelque chose qui vous emporte, que ce soit une pulsion de mort ou une pulsion
sexuelle, une pulsion de manger. Après la pulsion, on retombe à l’état plat. Au contraire, ce qui
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caractérise le désir c’est que, quand il est réalisé, il est encore plus désir. Savoir, c’est avoir encore
plus envie de savoir. Aimer quelqu’un, c’est avoir encore plus le désir de le découvrir quand on le
connaît déjà. C’est le contraire de la pulsion. C’est s’inscrire dans la temporalité.
Je ne vais rien vous apprendre en vous disant qu’aujourd’hui des jeunes ne sont pas dans la
temporalité. Ils sont dans l’immédiateté, le "tout, tout de suite", dans le pulsionnel permanent. Ils sont
d’ailleurs instrumentalisés par une société commerçante qui stimule en permanence le pulsionnel pour
les amener à consommer le plus possible. D’ailleurs les économistes parlent d’ailleurs de la «
stimulation raisonnable de la pulsion d’achat. »
Notre travail d’éducateur, c’est de métaboliser la pulsion pour en faire du désir. On ne supprime pas
les pulsions. On les diffère et on les transforme en désir, progressivement. C’est un travail lent,
compliqué, difficile, qui demande des dispositifs. Il faut remettre cent fois sur le métier son ouvrage.
Nous en sommes là aujourd’hui avec le pari de l’éducabilité. Nous sommes dans une société
paradoxale qui en même temps attise le feu des pulsions, et s’effraie de voir ces pulsions envahir ses
propres jeunes. Nous avons peur de nos jeunes, et nous avons parfois raison d’avoir peur. Car certains
de leurs comportements sont effrayants. Que faire face à cette peur ? Le pédagogue répond : éduquer,
c’est-à-dire désengluer, différer. Aider l’autre à se construire comme un sujet, à sortir de la toutepuissance, à ne plus être dans le pulsionnel total et à élaborer quelque chose qui permette de se faire,
petit à petit et progressivement, œuvre de lui-même.
Je mets en général quatre conditions à cette émergence du sujet.
Il faut garantir un cadre « hors menace » car on ne peut pas grandir sans avoir des espaces sécurisés
qui préservent à la fois des débordements des autres et de ses propres débordements. Cela implique
des rituels très précis, très rigoureux, à l’image des rituels du judo ou du théâtre, de tous ces rituels
anthropologiques qui se perdent dans la nuit des temps et qui permettent justement de métaboliser
progressivement les pulsions.
Il faut aussi structurer l’espace et le temps. Sortir de la coagulation. Moi qui me rends souvent dans les
collèges, je suis sidéré par les déplacements, la manière dont les élèves entrent et sortent des classes,
ces espèces de coagulations indifférenciées d’individus qui hantent les couloirs à chaque sonnerie et
sont incapables de se poser, de faire une césure entre un moment d’écoute et un moment de
méditation, un moment de travail personnel et un moment de travail collectif. Nous sommes dans une
sorte de coagulation où tout part, tout le temps, n’importe comment, au rythme strident de sonneries
qui viennent à peine interrompre ces déplacements permanents de pulsions. Structurer l’espace et le
temps, c’est rendre le monde habitable.
Et puis, il faut mettre à disposition des ressources culturelles exigeantes. Je crois que le sujet ne peut
pas se construire tout seul, tout le temps. Sinon il ressemblerait au baron de Münchhausen qui se sort
lui-même de l’eau en se tirant par ses propres cheveux quand il est en train de se noyer. Il faut bien, à
un moment, avoir des points d’appui en dehors de soi. Pour le moment, ce que les hommes ont inventé
de mieux comme point d’appui en dehors de soi pour devenir sujet, s’appelle la culture. Les œuvres de
culture, qu’elles soient intellectuelles, artistiques, sociales, servent de point d’appui à un sujet pour, en
s’appropriant ce qui vient d’ailleurs, exister lui-même. Je crois que, avec les publics considérés comme
difficiles, on est souvent trop peu exigeant intellectuellement alors que, au contraire, ils ont
probablement davantage besoin d’une exigence intellectuelle encore plus grande que les autres. Je
pense que, avec les jeunes en difficulté ou dits tels, il faut étudier Einstein. Et il faut peut-être l’étudier
avant même la règle de trois. Non pas parce qu’on n’étudiera pas la règle de trois mais parce que ce
qui les mobilise vraiment c’est ce qui comporte des enjeux intellectuels forts. Après avoir été de
nombreuses années professeur d’université, j’ai beaucoup appris quand je suis redevenu professeur de
lycée professionnel en BEP et en CAP, avec des gamins complètement abîmés, accidentés. Quand
j’avais à leur apprendre la différence entre a et à, j’étais probablement le quinzième à essayer de leur
apprendre. Ils ne le savaient toujours pas quinze ans après le CP. J’allais devenir celui qui leur ferait
faire une seizième année sur a et à. Je l’ai fait, mais je leur ai aussi parlé de Darwin, de la théogonie
d’Hésiode et de la création du monde. Je leur ai parlé de ces choses qui les mobilisent très fortement,
ces grands enjeux intellectuels du monde. Et j’ai vu ces jeunes cerveaux pétiller parce qu’ils sont des
sujets derrière les sujets accidentés.
Enfin, il faut faire des alliances. Pour désengluer et pour différer. Il faut que le jeune sache que nous
sommes ses alliés. Pas pour se précipiter dans le fusionnel et la coagulation irresponsables, mais pour
sortir justement de cela. S’il a besoin de nous, nous sommes là. Cela veut dire aussi que nous sommes
capables de repérer le moment où il a besoin de nous, le moment où il va presque dire quelque chose.
Rien n’est plus compliqué et ne demande plus de discernement que de repérer l’élève qui ne parle
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jamais, qui est timide ou inhibé, ou qui a de vrais problèmes. Sur un sujet donné, quelque chose va
frémir. Au moment où quelque chose commence à émerger, il faut faire alliance.
Je terminerai par cette phrase, à mon avis très importante : ils ont besoin de cette alliance parce qu’ils
se responsabiliseront d’autant mieux que nous les aiderons en prenant, nous-mêmes, nos
responsabilités. La responsabilité n’est pas semblable à un gâteau. Dans un gâteau, plus on en prend et
moins il en reste. Dans la relation éducative, plus vous prenez de responsabilités et plus vous en
donnez. Et plus vous en donnez, plus vous en prenez. Quand vous aidez quelqu’un, que vous prenez la
responsabilité de quelqu’un, vous lui en donnez aussi parce que vous lui transmettez, dans l’alliance,
la certitude que c’est ensemble, par son effort et par le vôtre conjugués, que l’éducation va advenir et
qu’il va peut-être réussir à se sortir du marécage. Voilà comment je ressens aujourd’hui ce principe
d’éducabilité. Je le ressens comme ce qui permet d’être attentif et de contribuer à l’émergence de
quelqu’un, d’une personne dans une société où c’est devenu difficile et où les jeunes trouvent souvent
des alliés pour le pire et pas pour le meilleur. Qu’ils trouvent des alliés pour le meilleur et pas pour le
pire, c’est votre travail.
Philippe Meirieu : http://www.meirieu.com – Le pari de l’éducabilité – ENPJJ – Novembre 1988.
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Document 4
Extrait de l’article « Connaissance et estime de soi :
ingrédients pour la réussite scolaire »
Concept de soi et estime de soi : quelques précisions
Avant toute chose, il convient de préciser comment la connaissance de soi et l’estime de soi
sont définies en psychologie sociale. Tout individu possède de très nombreuses connaissances
sur lui-même, ou, plus précisément, de très nombreuses conceptions de soi (ce qui ne signifie
pas une idée d’exactitude), c’est-à-dire qu’il peut se conceptualiser dans beaucoup de rôles
possibles ou comme ayant des attributs différents. Les individus sont ainsi guidés et influencés par ces diverses conceptions de soi à la fois actuelles mais aussi futures (ce qu’ils pourraient devenir) (Ruvolo et Markus, 1992). Ces conceptions de soi sont emmagasinées en mémoire de façon plus ou moins organisée. Les rôles, les traits, les valeurs, les relations, et les
expériences passées sont mélangés ensemble sans nécessairement être reliés les uns aux
autres. Toutefois, il est important de considérer qu’à l’origine de ces multiples conceptions, il
n’y a qu’un seul et même concept de soi. Ainsi, la plupart des auteurs s’accordent pour reconnaître un caractère multidimensionnel au concept de soi, c’est-à-dire que tout individu possède un concept de soi global constitué de multiples conceptions de soi différentes (Markus et
Wurf, 1987).
Ce concept de soi, considéré comme la composante cognitive du soi (Martinot, 1995), ne permet toutefois pas de rendre compte de la dimension évaluative du soi, c’est-à-dire l’estime de
soi. L’estime de soi correspond à la valeur que les individus s’accordent, s’ils s’aiment ou ne
s’aiment pas, s’approuvent ou se désapprouvent (Rosenberg, 1979). Les psychologues sociaux
s’accordent pour reconnaître sa grande importance pour le bien-être psychologique et physique de tout individu. Même si elles sont liées, l’estime de soi globale et les multiples
conceptions de soi ne sont pas équivalentes (Rosenberg, 1979). Ainsi, une personne peut tout
à fait présenter une forte estime de soi globale tout en se considérant relativement incompétente dans le domaine du sport, c’est-à-dire tout en possédant des conceptions de soi négatives
concernant le sport (Harter, 1986). Cette distinction se retrouve aussi dans les travaux effectués, car rares sont les recherches qui s’intéressent conjointement à la composante cognitive
du soi, le concept de soi et ses multiples conceptions de soi, et à sa composante affective, l’estime de soi globale. Notre réflexion sur les effets bénéfiques de la connaissance de soi et de
l’estime de soi dans le domaine scolaire va donc s’articuler autour de cette distinction en s’appuyant dans une première partie sur des travaux menés sur la composante cognitive du soi et,
dans une seconde partie, sur des travaux conduits sur la composante évaluative du soi, avant
d’aboutir à une synthèse possible des arguments issus de ces deux courants.
Les conceptions de soi dans le domaine scolaire
Conceptions de soi et performance
Comme nous l’avons déjà précisé, les individus désirent se voir comme des personnes de valeur, ce qui les conduit souvent à censurer des informations susceptibles de menacer leur estime de soi (Brown et Dutton, 1995). Les conceptions de soi qui vont résulter de ce traitement
sélectif de l’information sur soi ont même été considérées par certains auteurs comme des
illusions positives sur soi (Taylor et Brown, 1988). Illusoires ou réelles2, ces conceptions de
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soi positives seraient porteuses d’une dynamique de succès. Pintrich et Schrauben (1992) ont
en effet montré que des conceptions de soi positives favorisent une accentuation de l’effort,
une persévérance lors de difficultés, une utilisation des capacités et des stratégies acquises, ou
encore une efficacité accrue. Les travaux de Bandura (1982; 1997) confirment l’existence
d’un lien important entre ce qu’un individu pense de lui dans un domaine (sa perception d’autoefficacité) et sa performance dans ce domaine. Dans le champ scolaire, les élèves qui
pensent du bien d’eux-mêmes, par comparaison aux élèves qui s’estiment plus modestement,
poursuivent leurs études plus longtemps, persévèrent davantage dans leur travail scolaire lorsqu’ils rencontrent des difficultés, utilisent plus efficacement les compétences et les stratégies
qu’ils ont développées, et ont une perception plus étendue des options de carrières qui leur
sont accessibles (Harter, 1990; Pintrich et Schrauben, 1992). Pour Calsyn et Kenny (1977), la
réussite scolaire dépend non seulement des performances passées, mais aussi des conceptions
de soi actuelles. Posséder de nombreuses conceptions de soi de réussite pourrait être une précondition favorable pour l’initiation et la persistance de l’effort dans les situations d’apprentissage et de performance (Helmke et Van Aken, 1995). Autrement dit, les conceptions de soi
de réussite reliées au domaine scolaire peuvent influencer la réussite en agissant sur la motivation (Schunk, 1991). Ruvolo et Markus (1992) vont encore plus loin en considérant que les soi
possibles – ce que les individus pourraient devenir, aimeraient devenir ou ont peur de devenir
– agissent aussi sur la motivation. Ainsi, les soi possibles scolaires du début de l’adolescence
servent à organiser et à focaliser l’attention des adolescents sur les futurs soi plausibles et sur
la façon optimale de les atteindre. Bandura (1982) décrit une étude de Dowrick (1977) dans
laquelle des enfants avec des capacités sociales et psychomotrices déficientes étaient aidés par
des adultes à réaliser une tâche pour dépasser leur niveau habituel. Plus tard, ces enfants regardaient la vidéo qui avait été tournée lorsqu’ils réalisaient la tâche. Après avoir vu leur réussite à la tâche sur la vidéo, la performance de ces enfants handicapés s’améliorait par rapport à
leurs niveaux de base. La vidéo créait et fortifiait des soi possibles positifs spécifiques qui
fonctionnaient dès lors comme de puissants objectifs et standards pour les enfants lors de
leurs performances subséquentes à cette tâche. La recherche de Ruvolo et Markus (1992) démontre également l’effet des soi possibles sur les performances. Des personnes qui avaient activé des soi possibles positifs en s’imaginant réussir dans l’avenir, avaient de meilleures performances que celles qui avaient activé des soi possibles négatifs en s’imaginant échouer dans
l’avenir.
Ainsi, de nombreux résultats issus de recherches différentes suggèrent que les conceptions de
soi sont en cause de façon importante dans la motivation et la performance. À compétence
égale, pour améliorer ses performances, ce que l’on croit être capable de faire semble être aussi important que ce que l’on est capable de faire. En conséquence, il paraît intéressant d’étudier et de connaître les conceptions de soi que les élèves peuvent avoir développées dans le
domaine scolaire.
L’organisation en mémoire des conceptions de soi en fonction du niveau scolaire
Dans une série de recherches menées sur des élèves issus de classes de quatrième et troisième
de plusieurs collèges de l’enseignement public français, nous avons tenté de mettre en évidence certaines caractéristiques relatives à l’organisation en mémoire des conceptions de soi
scolaires des élèves (Martinot, 1995; Martinot et Monteil, 1995, 1996; Monteil, 1993). Ainsi
que nous l’avons déjà évoqué, les conceptions de soi sont plus ou moins bien organisées en
mémoire. L’organisation en schéma est la forme la plus optimale d’organisation en mémoire
des conceptions de soi (Markus, 1977). Un schéma de soi intègre, en effet, dans un réseau
systématique utilisé durant le traitement de l’information, toutes les informations connues sur
soi dans un domaine comportemental particulier. Toutefois, les informations contenues dans
le schéma de soi doivent être suffisamment homogènes pour pouvoir être intégrées dans celuici (Markus, Smith et Moreland, 1985). En général, les schémas sont à la base de la sélection
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qui s’opère durant le traitement de l’information et sont également à la base de la perception
de notre propre comportement (Markus, 1977). Un schéma de soi est automatiquement activé
lorsque les informations présentes dans l’environnement sont reliées au domaine sur lequel ce
schéma a été élaboré. Par exemple, un
Connaissance de soi et estime de soi: ingrédients pour la réussite scolaire 487
individu qui a un schéma d’indépendance, c’est-à-dire qui s’estime indépendant et accorde de
l’importance à cette dimension, va intégrer dans son schéma toutes les informations qu’il possède sur lui et reliées à l’indépendance. Lorsqu’il sera dans une situation en rapport avec l’indépendance, il traitera l’information et expliquera son comportement à partir de son schéma
d’indépendance. Cependant, les schémas de soi sont le fruit d’une longue élaboration et ne se
développent qu’à partir d’expériences personnelles éprouvées dans des situations fortement
familières et récurrentes. Aussi des élèves insérés dans le système scolaire depuis presque dix
ans sont-ils susceptibles de posséder des conceptions de soi scolaires organisées sous forme
de schéma de soi.
Cette hypothèse a été testée chez 73 élèves de quatrième (35 garçons et 38 filles) et 79 élèves
de troisième (41 garçons et 38 filles) présélectionnés sur la base de leur niveau scolaire. La
moyenne d’âge était pour les élèves de quatrième de 13 ans et 9 mois, et pour les élèves de
troisième de 14 ans et 7 mois. Les 51 élèves considérés comme ayant un bon niveau scolaire
avaient tous une moyenne supérieure à 14 (sur une échelle d’évaluation allant de 0 à 20 dans
le système scolaire français) dans les cinq principales disciplines d’enseignement (français,
première langue étrangère, mathématiques, sciences physiques et biologie). Les 101 élèves
considérés comme ayant un niveau scolaire faible avaient tous une moyenne inférieure à 10
dans ces 5 disciplines principales. Chaque élève participant à cette recherche était convoqué
individuellement dans une des salles de son collège pour effectuer deux tâches d’autodescription. Dans la première tâche, il/elle devait estimer le caractère autodescriptif ou non de 60 adjectifs (15 adjectifs liés à la réussite scolaire, 15 reliés à l’échec scolaire, 30 non pertinents sur
la dimension scolaire dont 15 positifs et 15 négatifs) présentés les uns après les autres sur un
écran d’ordinateur équipé d’un logiciel permettant d’enregistrer la latence de chaque jugement
autodescriptif. Une fois cette activité d’autodescription terminée, l’élève devait effectuer une
tâche de rappel de souvenirs scolaires. Pour cela, on lui présentait un petit livret contenant 16
adjectifs (7 reliés à la réussite scolaire, 7 reliés à l’échec scolaire, et 2 non pertinents sur la dimension scolaire). Chaque page du livret ne contenait qu’un seul adjectif et l’élève devait
l’entourer s’il le jugeait autodescriptif. Lorsque c’était le cas, l’élève devait raconter par écrit
des souvenirs scolaires illustrant le caractère autodescriptif de cet adjectif. Sur la base de ces
deux tâches (autodescription et rappel de souvenirs comportementaux), nous avons pu dégager l’existence d’un schéma de soi de réussite scolaire chez les bons élèves (Martinot et Monteil, 1995). Les données enregistrées chez les élèves de bon niveau montrent en effet que ces
derniers estiment autodescriptifs un plus grand nombre d’adjectifs3 représentatifs de la réussite scolaire (attentif, appliqué) (x5=11,76) que d’adjectifs relatifs à l’échec scolaire (inattentif, paresseux) (x5=3,2). De plus, ils sont plus rapides pour juger autodescriptifs les adjectifs
liés à la réussite scolaire (x5=1200 ms) que les adjectifs reliés à l’échec scolaire (x5=1555
ms). Enfin, les bons élèves se souviennent de plus de souvenirs comportementaux illustratifs
de la réussite scolaire (x5=5,1) que de souvenirs corroborant l’échec (x5=0,7). Parce que l’ensemble des données provenant des bons élèves montre une facilité dans le traitement de l’information reliée à la réussite et dans la récupération de souvenirs comportementaux de réussite, et au regard des travaux de Markus (1977) sur le schéma de soi, il est possible de considérer que les conceptions de soi scolaires des bons élèves sont organisées en mémoire sous la
forme de schéma de soi de réussite scolaire. En revanche, on serait tenté de dire que les résultats enregistrés chez les élèves de faible niveau scolaire n’indiquent pas heureusement la présence d’un schéma de soi d’échec scolaire. Ces élèves de niveau faible se décrivent plus rapi17/24
dement et en plus grande quantité avec des adjectifs reliés à la réussite scolaire (respectivement x5=1408 ms et x5=10,15) qu’avec des adjectifs relatifs à l’échec (respectivement x5=
1642 ms et x5=4,02). De la même façon, ils évoquent davantage de souvenirs scolaires illustratifs de la réussite (x5=3,27) que de souvenirs scolaires illustratifs de l’échec (x5=1,16).
Enfin, les élèves faibles ne se distinguent pas des bons élèves pour les adjectifs reliés à
l’échec. Ils n’utilisent en effet pas plus ces adjectifs pour s’autodécrire que ne le font les bons
élèves, et ils ne vont pas plus vite que ces derniers pour émettre leur jugement d’autodescription. Toutefois, et toujours en référence à Markus (1977), on ne peut pas conclure à la présence d’un schéma de soi de réussite scolaire chez les élèves faibles. Les élèves faibles se
qualifient en effet avec moins d’adjectifs reliés à la réussite que les élèves de bon niveau et ils
sont également moins rapides que ces derniers pour porter ce jugement. Les élèves faibles
rapportent également moins de souvenirs reliés à la réussite que les bons élèves.
L’organisation en mémoire des conceptions de soi de réussite et ses conséquences
Cet ensemble de résultats, reproduit plusieurs fois, montre que, quel que soit le niveau scolaire, les élèves possèdent tous plus de conceptions de soi de réussite que d’échec (Chambres
et Martinot, 1999; Martinot et Monteil, 1995, 1996). La différence de réussite scolaire entre
les bons élèves et les élèves faibles trouve en fait sa traduction dans l’organisation en mémoire des conceptions de soi de réussite scolaire. Comme le montrent les résultats précédents,
seuls les élèves de bon niveau scolaire possèdent un schéma de soi de réussite scolaire, garant
de l’excellente organisation en mémoire des conceptions de réussite. Parce que les élèves de
niveau faible ne possèdent pas de schéma de soi de réussite scolaire, leurs conceptions de soi
de réussite sont plus difficilement accessibles. Ainsi, ils devraient, par exemple, être incapables d’utiliser leurs conceptions de soi de réussite pour faire un choix, c’està-dire d’utiliser
une stratégie de comparaison de soi aux prototypes (Martinot et Monteil, 2000). Cette stratégie, utilisée lors de choix, s’appuie sur une règle visant à maximiser la similarité entre soi et
des prototypes de personnes correspondant aux choix proposés (Setterlund et Niedenthal,
1993). Elle suppose ainsi une comparaison de ses propres attributs à ceux de la personne (proto)typique associée à chacune des situations proposées afin de choisir la situation dans laquelle la similarité entre soi et la personne prototypique est la plus forte. Par exemple, pour
choisir entre différentes voitures, l’individu se ferait une représentation des conducteurs (proto) typiques correspondant à chacune de ces voitures, puis se comparerait à chacun de ces prototypes, pour choisir la voiture dont le conducteur typique lui ressemble le plus. L’utilisation
d’une telle stratégie implique de posséder des conceptions de soi assez claires et aisément accessibles (Setterlund et Niedenthal, 1993). Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir développé
des conceptions de soi de réussite pour qu’elles puissent être utilisées dans une stratégie de
comparaison de soi aux prototypes. Encore faut-il qu’elles soient suffisamment organisées et
accessibles en mémoire pour être chroniquement utilisables lors d’un choix. Disposant d’un
schéma de soi de réussite scolaire, donc de conceptions de soi automatiquement accessibles,
les bons élèves devraient utiliser la stratégie de comparaison du soi aux prototypes pour réaliser leurs choix. En revanche, dépourvus de schéma de soi de réussite scolaire, les conceptions
de soi de réussite des élèves faibles ne sont pas automatiquement accessibles et ces derniers
ne devraient dès lors pas être capables d’utiliser ces conceptions de soi dans une stratégie de
comparaison soi-prototype. Rappelons en effet qu’un schéma de soi est à la base de la sélection qui s’opère durant le traitement de l’information et qu’il est automatiquement activable et
activé.
Nous avons testé cette hypothèse dans une première recherche menée auprès de 18 élèves en
classe de quatrième (11 filles et 7 garçons) dont la moyenne d’âge était de 13 ans et 11 mois
(Martinot et Monteil, 2000, 1re expérience). Comme dans l’expérience présentée précédemment (Martinot et Monteil, 1995), les élèves étaient présélectionnés sur la base de leur niveau
scolaire (9 avec un bon niveau scolaire et 9 avec un niveau faible) à partir de leurs notes dans
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les cinq principales disciplines d’enseignement (français, première langue étrangère, mathématiques, sciences physiques et biologie). Cette recherche se déroulait en deux phases. Dans
la première, les élèves remplissaient un questionnaire d’autodescription composé de 21 adjectifs (7 reliés à la réussite scolaire, 7 reliés à l’échec scolaire, et 7 positifs non pertinents sur la
dimension scolaire). L’élève devait estimer à quel point chaque adjectif était autodescriptif sur
une échelle en 7 points de type Likert allant de 1 «pas du tout autodescriptif» à 7 «tout à fait
autodescriptif». Lors de la deuxième phase qui se déroulait une semaine plus tard, l’élève devait évaluer des prototypes d’élèves. Pour cela, il/elle devait classer par ordre de préférence
cinq portraits d’élèves. Un portrait correspondait au prototype du bon élève, un deuxième au
prototype du mauvais élève, et les trois autres décrivaient des élèves moyens. Chaque portrait
d’élève était constitué d’adjectifs également présents dans le questionnaire d’autodescription.
Ainsi, nous pouvions calculer la distance euclidienne entre chaque élève et chacun des cinq
portraits, qui correspondait au score de similarité entre l’élève et chaque portrait. Plus cette
distance était grande entre un élève et un portrait, moins l’élève était similaire à ce portrait.
Ensuite, nous étions en mesure d’évaluer si l’élève avait ou non utilisé une stratégie de comparaison soi-prototype en calculant une corrélation. Pour chaque élève, cette corrélation était
calculée entre ses cinq scores de similarité (distances entre l’élève et chaque portrait) et le
classement qu’il avait attribué à chacun des portraits. Lorsque cette corrélation entre la similarité et le classement était positive et significative, elle indiquait que l’élève avait utilisé une
stratégie de comparaison soi-prototype pour faire son classement des portraits par ordre de
préférence. Ainsi, les portraits associés à la plus grande similarité avec l’élève étaient classés
en tête (1er ou 2e rang) alors que les portraits les moins similaires de l’élève étaient mal classés (4e ou 5e rang). Conformément à nos attentes, en raison de leur schéma de soi de réussite
scolaire, seuls les bons élèves avaient utilisé la stratégie de comparaison du soi aux prototypes
pour réaliser leur classement des portraits d’élèves (r=0,63)4. En revanche, dépourvus de
schéma de soi de réussite scolaire, les conceptions de soi de réussite des élèves faibles
n’étaient pas automatiquement accessibles et ceux-ci n’avaient pas pu utiliser ces conceptions
de soi dans une stratégie de comparaison soi-prototype (r=0,12)5 (Martinot et Monteil, 2000,
1re expérience).
Toutefois, les élèves de niveau faible deviennent capables d’utiliser une telle stratégie si on
favorise l’activation de leurs conceptions de soi de réussite (Martinot et Monteil, 2000, 2e expérience). En effet, dans une seconde recherche, 36 élèves en classe de quatrième (19 filles et
17 garçons) d’une moyenne d’âge de 13 ans et 10 mois ont été présélectionnés sur la base de
leur niveau scolaire (18 de bon niveau et 18 de faible niveau) selon la même procédure que
dans l’expérience 1. Lors de la première phase identique à celle de la première expérience, ces
élèves complétaient le questionnaire d’autodescription. Lors d’une deuxième phase, une semaine plus tard, lamoitié des élèves qui formait le groupe expérimental commençait par rappeler des souvenirs personnels pour prouver le caractère autodescriptif de 3 adjectifs. Cette
activité de rappel était destinée à entraîner une activation des conceptions de soi correspondantes (Setterlund et Niedenthal, 1993). Les adjectifs étaient tous reliés à la réussite scolaire
et avaient été sélectionnés par nos soins parmi les adjectifs jugés autodescriptifs par l’élève la
semaine précédente. L’autre moitié des élèves constituait le groupe de contrôle et effectuait
une tâche de dessin sans lien avec un rappel de souvenirs scolaires. Ensuite, tous les élèves effectuaient la tâche de classement par ordrede préférence des cinq portraits d’élèves, comme
dans la première expérience. Nous procédions aux mêmes calculs de similarité entre les portraits et le soi de l’élève, puis aux calculs de corrélation entre ces scores de similarité et les
classementspour déterminer si les élèves avaient utilisé la stratégie de comparaison soi-prototype pour faire leur classement. Comme dans la première expérience, tous les bons élèves
(groupe de contrôle: r=0,68 et groupe expérimental: r=0,79) avaient utilisé cette stratégie. En
revanche, les élèves faibles qui avaient effectué le rappel de souvenirs de réussite scolaire utilisaient la stratégie de comparaison soi-prototype (r=0,59) alors que leurs homologues du
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groupe de contrôle ne l’utilisaient toujours pas (r=0,18). Ainsi, les élèves de niveau faible deviennent capables d’utiliser la stratégie de comparaison soiprototype si on favorise l’activation de leurs conceptions de soi de réussite en leur demandant de rappeler des souvenirs illustratifs du caractère autodescriptif de certains traits de réussite scolaire. Évidemment, les vertus
de cette activation contextuelle sont limitées dans le temps, car elle ne remplace pas la présence d’un véritable schéma de soi de réussite et ses propriétés de traitement de l’information.
Selon cet ensemble de résultats (Martinot et Monteil, 2000), les conceptions de soi de réussite
scolaire des élèves faibles ne sont pas optimalement organisées, et dès lors, ne semblent aisément utilisables que lors de tâches autodescriptives, c’està-dire de tâches saturées de désirabilité sociale et pour lesquelles une volonté consciente de préserver une bonne estime de soi
s’exerce (Martinot, 1995).
La suprématie des conceptions de soi de réussite scolaire est-elle une bonne chose?
Les travaux présentés dans cette première partie montrent une prédominance très nette des
conceptions de soi de réussite scolaire dans le concept de soi des collégiens. Comme nous
l’avons indiqué précédemment, ces conceptions de soi de réussite scolaire peuvent se révéler
presque aussi importantes pour réussir que la capacité ellemême: elles semblent en effet promouvoir l’effort, la persévérance, l’utilisation efficace de ses talents (Bandura, 1997; Harter,
1990; Pintrich et Schrauben, 1992). En conséquence, posséder des conceptions de soi de réussite scolaire, qui vont contribuer au développement et au maintien d’une bonne estime de soi,
pourrait se révéler propice à la réussite de l’élève. Malheureusement, il ne suffit pas d’avoir
développé des conceptions de soi de réussite scolaire pour qu’elles puissent avoir des retombées bénéfiques sur les performances de l’élève. Il faut que ces croyances soient suffisamment
bien organisées pour pouvoir être facilement accessibles. Ce n’est qu’à cette condition que les
conceptions de soi de réussite pourront être activables et activées pour l’amélioration de la
performance lors de la réalisation d’une tâche, comme Ruvolo et Markus (1992) ont pu le
montrer. Or, nous savons que seuls les bons élèves présentent une organisation optimale de
leurs conceptions de soi de réussite (présence d’un schéma de soi de réussite scolaire, Martinot et Monteil, 1995). Ils sont d’ailleurs les seuls à utiliser automatiquement ces conceptions
de soi lorsqu’ils ont des choix à faire. Les élèves faibles ne peuvent y parvenir que si l’on favorise contextuellement l’activation de leurs conceptions de soi de réussite scolaire, par
exemple, lors d’un rappel de souvenirs de réussite scolaire (Martinot et Monteil, 2000).
On est donc face à un cercle particulièrement vicieux. L’organisation sous forme schématique
des conceptions de soi qui permettrait de les utiliser automatiquement pour favoriser, par
exemple, l’effort et la persévérance, est liée aux expériences scolaires quotidiennes. Parce que
les élèves faibles vivent plutôt des expériences scolaires en rapport avec l’échec, il est très
difficile pour eux d’organiser avec efficacité, au sein de leur concept de soi, leurs conceptions
de soi de réussite. Ces conceptions de soi ne seront pas, dès lors, aisément activables et activées et donc peu susceptibles d’améliorer la perception d’autoefficacité. Or, comme nous
l’avons précisé, l’autoefficacité perçue détermine les efforts que les élèves accompliront et
combien de temps ils persisteront face à des obstacles ou des expériences aversives (Bandura,
1982, 1997). Face à des difficultés, les élèves qui n’accèdent pas spontanément à des conceptions de soi de réussite pourront développer de sérieux doutes sur leurs capacités, réduire leurs
efforts ou abandonner complètement alors que ceux qui ont un fort sentiment d’efficacité entretenu par des conceptions de soi de réussite chroniquement accessibles exerceront un effort
plus important. Si l’élève réduit son effort ou abandonne, ses performances scolaires diminueront et seront dès lors peu susceptibles de contribuer à une amélioration de l’organisation de
ces conceptions de soi de réussite scolaire.
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La présence de ces expériences scolaires d’échec chez les élèves faibles conduit à aborder le
deuxième aspect de notre réflexion, concernant l’estime de soi. En effet, la question qui
émerge spontanément de cette première partie d’analyse est de savoir comment les élèves en
échec scolaire procèdent pour protéger leur estime de soi et préserver des conceptions de soi
de réussite scolaire face à des expériences récurrentes d’échec. Nous verrons que les éléments
de réponse à cette question remettront largement en cause les vertus possibles de ces conceptions de soi de réussite.
Protéger les conceptions de soi de réussite et l’estime de soi dans des situations menaçantes
Nous savons, sur la base de ce qui a été présenté, que la plupart des élèves, même de faible niveau scolaire, développent plus de conceptions de soi positives que négatives(Chambres et
Martinot, 1999; Martinot et Monteil,1995, 1996). Mais, les expériences scolaires quotidiennes, notamment chez l’élève en difficulté, peuvent se révéler menaçantes pour le maintien
de ces conceptions de soi positives et de l’estime de soi qui leur est reliée. L’élève sera
conduit à préserver ses conceptions de soi de réussite et son estime de soi. Protéger et entretenir des conceptions de soi de réussite pour garder une bonne estime de soi n’est certes pas
sans effet négatif, ainsi que nous le constaterons en présentant les principales stratégies d’autoprotection.
Ne pas s’attribuer la responsabilité de son échec
Les élèves peuvent protéger leurs conceptions de soi de réussite en s’attribuant la responsabilité de leurs réussites, mais en rejetant la responsabilité de leurs échecs; il s’agit ici de moyen
d’autocomplaisance (pour plus de détails, voir Greenwald, 1992). En mettant à son crédit ses
bonnes performances et en niant la responsabilité de ses mauvais résultats, un élève sera capable d’augmenter ou de protéger ses conceptions de soi de réussite et son estime de soi. Mais
ne s’attribuer (si possible) que la responsabilité de ses succès et non de ses échecs ne permet
pas à l’élève de tirer profit de ses erreurs. Reconnaître un échec, c’est aussi essayer d’envisager des stratégies pour progresser. Le moyen d’autocomplaisance ne favorise donc pas l’amélioration de soi. Si l’autocomplaisance protège les conceptions de soi de réussite quand elles
sont menacées, il existe une autre stratégie qui permet d’anticiper la menace. Les élèves
peuvent ainsi recourir à l’autohandicap. Cela correspond à la création d’obstacles sur le chemin de sa performance; le résultat est que l’échec anticipé sera reporté sur l’obstacle plutôt
que sur un manque de capacités, et le succès sera reçu comme une reconnaissance supérieure.
Autrement dit, il s’agit de créer des conditions permettant d’attribuer la responsabilité de son
éventuel futur échec à des facteurs sans lien direct avec l’estime de soi, c’est-à-dire à des facteurs n’impliquant surtout pas les capacités intellectuelles. Ainsi, les élèves qui ont des doutes
sur leurs capacités paraissent utiliser une forme d’autohandicap qui consiste à diminuer leur
effort afin de justifier un échec potentiel sans faire appel au manque de capacité (Midgley,
Arunkumar et Urdan, 1996). L’autohandicap basé sur une diminution de l’effort peut rapidement mener à une diminution de la performance. Toutefois, il suppose une claire différenciation entre capacité et effort. Pour utiliser cette forme d’autohandicap, les élèves doivent avoir
atteint un âge leur permettant d’avoir la capacité cognitive de faire cette distinction. Certains
travaux montrent que dès le début de l’adolescence, les enfants deviennent capables de saisir
que capacité et effort covarient, et que réussir sans effort est interprété comme un signe de capacité élevée alors qu’un échec consécutif à un effort important est perçu comme un manque
de capacité (Nicholls et Miller, 1984). L’élève qui opte pour cette forme d’autohandicap ne se
met pas en position de progresser et favorise au contraire un déclin de ses performances en diminuant ses efforts. Midgley et al. (1996) ont montré que les élèves de faible niveau scolaire
utilisent plus que les bons élèves cette stratégie. Il n’est pas surprenant que les élèves qui ne
réussissent pas très bien à l’école tentent d’expliquer leurs faibles performances autrement
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que par un manque de capacité. De fait, en cherchant à se protéger de l’échec, l’élève en difficulté adopte des conduites qui sont de nature à en accroître la probabilité.
Choisir des points de comparaison favorables pour soi
Les gens définissent et pondèrent leurs conceptions de soi en grande partie par rapport à autrui. Ainsi, les interactions avec autrui sont, au moins partiellement, constitutives des conceptions de soi de réussite (Harter, 1998). Lors de ces interactions, l’individu peut avoir pour objectif d’améliorer ses conceptions de soi de réussite ou de les protéger. Il va alors choisir des
partenaires d’interaction en fonction de son but. Quand ce but est la protection des conceptions de soi, l’individu choisit plutôt de se comparer à des personnes plus mauvaises que lui
(Wills, 1987). Ainsi, lorsqu’un élève reçoit une évaluation négative, il aura tendance à protéger ses conceptions de soi de réussite scolaire en choisissant de se comparer à des élèves plus
mal lotis que lui. Cette comparaison préserve les conceptions de soi et permet de se sentir
bien. Mais le corollaire pour l’élève adoptant cette stratégie est qu’il peut se sentir autorisé à
faire moins bien que sa performance actuelle. Ce phénomène est vrai pour tout individu, mais
plus fréquent pour l’élève en échec qui se trouve presque perpétuellement contraint de protéger ses conceptions de soi de réussite. Une stratégie qui consiste à se comparer à des individus
inférieurs à soi est donc peu propice à l’amélioration de soi.
Par ailleurs, dans le contexte scolaire, les comparaisons entre bons élèves et élèves en difficulté sont presque inévitables. Ces comparaisons seront évidemment bien plus menaçantes pour
les conceptions de soi de réussite des élèves en difficulté, car ils se trouveront en position
d’infériorité. Pour annihiler les effets potentiellement délétères d’une telle comparaison sur
leurs conceptions de soi, les élèves en difficulté pourraient juger la comparaison non pertinente. Autrement dit, parce qu’ils peuvent considérer que les bons élèves n’appartiennent pas
à leur groupe – à la même catégorie d’élèves – les élèves faibles ne jugeraient pas pertinent de
se comparer aux premiers. Ils protégeraient ainsi leurs conceptions de soi. À cet égard, Harter
(1986) observe le résultat paradoxal suivant: les évaluations que portent des enfants retardés
mentaux sur leur compétence scolaire sont égales à celles d’enfants avec un QI normal. Pour
expliquer ce paradoxe, elle examine les groupes de référence que les enfants disent utiliser
lorsqu’ils se comparent. Les enfants retardés mentaux affirment se comparer généralement
avec leurs pairs retardés et les enfants avec un QI normal rapportent se comparer également
entre eux. Ainsi, bien que tous ces enfants soient associés au sein d’une même classe, les enfants retardés paraissent regarder les enfants à QI normal comme des membres d’un autre
groupe et donc comme des points de comparaison inappropriées, protégeant ainsi leur estime
de soi. Cette recherche illustre clairement la tendance des individus à préférer se comparer
avec des membres de leur groupe, souvent parce qu’ils les considèrent comme plus semblables à eux. Une étude plus récente de Guay, Boivin et Hodges (1999) conforte cette interprétation. En effet, ces auteurs montrent que de jeunes élèves (école élémentaire) ne considèrent pas pertinent de se comparer avec des pairs non appréciés (probablement estimés peu
semblables au soi) pour s’autoévaluer. Certains élèves en échec scolaire pourraient ainsi préférer se comparer aux autres élèves en difficulté. Ces comparaisons entre personnes ou élèves
qui se ressemblent permettraient d’éviter les comparaisons défavorables avec des élèves qui
réussissent mieux – comparaisons néfastes pour l’estime de soi. Mais, en privilégiant les comparaisons entre élèves de même niveau ou en rejetant la pertinence des comparaisons avec les
élèves supérieurs, les élèves en difficulté éliminent de leur champ de comparaison bon
nombre de standards parmi lesquels se trouvent ceux de la réussite scolaire. Ils minimisent dès
lors la possibilité de s’améliorer et contribuent ainsi au maintien de leur échec.
Le rejet des bons élèves comme standards de comparaison et la préférence pour des comparaisons entre élèves en difficulté peuvent parfois être accompagnés d’une valorisation de l’échec.
En effet, conformément à l’une des prédictions de la théorie de l’identité sociale (Tajfel et
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Turner, 1986), les élèves de faible niveau scolaire peuvent choisir de redéfinir positivement
les caractéristiques de leur groupe: l’échec devient ce qui est désirable, autrement dit, la
norme. Avoir la plus mauvaise note devient le critère de la réussite. Cette volonté de redéfinir
les critères de comparaison et de réussite s’accompagne généralement d’une autre stratégie
qui protège l’estime de soi de façon durable: la désidentification.
Se désidentifier des dimensions menaçantes pour l’estime de soi
L’estime de soi n’est pas simplement la somme de nos conceptions de soi dans divers domaines. Certaines conceptions de soi ont plus de poids que d’autres dans la contribution à
l’estime de soi des élèves. Par exemple, un élève peut accorder plus d’importance aux mathématiques qu’au français, ainsi cela l’ennuiera moins d’admettre avoir de la peine à faire une
rédaction que d’avouer ne pas être capable de résoudre une équation à une inconnue. Les
élèves peuvent donc jouer sur l’importance qu’ils accordent à leurs différentes conceptions de
soi pour maintenir une bonne estime de soi. Autrement dit, ils attribuent peu de valeur aux domaines pour lesquels ils sont peu talentueux et préfèrent ceux où ils brillent (Harter, 1986;
1998).
Cette stratégie qui consiste à minimiser l’importance des dimensions où nous échouons est dénommée «désengagement psychologique de l’estime de soi dans un domaine ou contexte particulier» (Crocker, Major et Steele, 1998). Le terme «désengagement» fait référence à l’absence momentanée de liens entre notre estime de soi et des performances potentiellement menaçantes. Crocker et al.(1998) utilisent aussi le terme «désidentification» pour désigner
l’adaptation plus chronique qui consiste à déconsidérer à plus long terme les domaines menaçants pour l’estime de soi, c’est-à-dire ne plus juger ces dimensions pertinentes pour l’identité
personnelle. Un désavantage potentiellement sérieux de cette forme de retrait psychologique
est qu’elle empêche les individus de s’engager dans des stratégies de correction susceptibles
d’améliorer leurs défauts. Aussi, la protection de l’estime de soi à travers la désidentification
contribue-t-elle négativement à l’amélioration de soi. Les théories de la motivation soutiennent l’idée que la motivation dans un domaine dépend de la valeur qu’on lui attribue et de
la réussite estimée dans ce domaine (voir le modèlede Eccles, 1994). Ainsi, pour l’élève en
difficulté qui commence à se désidentifier de la dimension scolaire, cette désidentification
s’accompagne d’une baisse de la motivation intrinsèque: il travaille de moins en moins. Dès
lors, ses difficultés scolaires augmentent, ce qui le conduit à se désidentifier de plus en plus
pour protéger son estime de soi.
Comme lors de comparaisons défavorables où les élèves peuvent choisir de se comparer sur
d’autres dimensions plus favorables, la désidentification par rapport à une dimension s’accompagne souvent d’une valorisation de nouvelles dimensions. De nouvelles dimensions deviennent fortement pertinentes pour le concept de soi des élèves (ils leur accordent beaucoup
d’importance), alors que dans le même temps, ils se désidentifient de l’école. Certains travaux
ont montré que les valorisations des différents domaines varient avec les ethnies (Harter,
1998). Par exemple, il y a un lien plus fort entre le niveau scolaire et l’estime de soi chez les
adolescents américains blancs que chez les adolescents américains noirs, suggérant que dans
ces deux groupes, l’estime de soi n’est pas fondée sur les mêmes qualités. On peut supposer
que les jeunes Américains noirs dévalorisent les expériences scolaires négatives et valorisent
les domaines non scolaires dans lesquels ils excellent, ou se perçoivent plus compétents, ou
pour lesquels la société américaine leur renvoie une image positive. De fait, les compétences
athlétiques, le talent musical, la sexualité, soit des capacités reliées au contenu du stéréotype
de l’individu noir, peuvent être beaucoup plus valorisés par les jeunes Américains noirs que
les performances scolaires (Harter, 1990).
La recherche du respect sur des dimensions antiscolaires
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L’élève en difficulté peut s’orienter sur un plan personnel vers une stratégie de désidentification vis-à-vis de l’école. En conséquence, son estime de soi ne sera plus affectée par les expériences scolaires d’échec. Il peut aussi adopter une stratégie centrée sur le groupe qui le
conduira aussi à se désidentifier de l’école. L’élève en difficulté peut en effet, comme précédemment évoqué, choisir de se comparer aux autres élèves en échec. Dès lors, conformément
aux travaux de Lemaine (1979) et à l’une des prédictions de la théorie de l’identité sociale
(Tajfel et Turner, 1986), les élèves de faible niveau scolaire peuvent choisir de se comparer
avec de nouvelles dimensions moins désavantageuses pour leur groupe. Chaque membre du
groupe chercherait à être respecté au sein de celui-ci sur ces nouvelles dimensions. Le sentiment de respect correspond aux évaluations que font les individus de leur position au sein
d’un groupe et contribue très fortement à l’estime de soi. Smith et Tyler (1997) ont montré
que lorsque des individus se sentent respectés par leur groupe, la valeur accordée par la société à ce dernier leur importe moins. Autrement dit, les élèves de niveau faible pourraient former un groupe ou une catégorie au sein de la classe dont la valeur bien que dépréciée par
l’institution scolaire n’aurait que peu d’importance pour les élèves membres de ce groupe.
L’important pour eux serait en effet d’être respectés par les autres membres du groupe. Plus
concrètement, un élève faible pourrait préférer être meneur d’un petit groupe de «cancres»
plutôt qu’anonyme en échec scolaire dans le groupe plus général des élèves.
Cette recherche du respect par des comparaisons dans un petit groupe permet, en partie, de
comprendre pourquoi les élèves en échec scolaire ne souhaitent pas nécessairement s’engager
dans des stratégies pour améliorer leurs résultats scolaires. Il leur faudrait dès lors choisir de
se comparer à des élèves qui réussissent, soit quitter leur groupe pour aller vers les élèves de
bon niveau scolaire alors que cette comparaison ne leur permettrait pas, du moins, pas immédiatement, d’occuper une place privilégiée au sein du groupe. Être respecté est en effet une reconnaissance sociale: cela représente les évaluations d’un groupe entier et pas seulement
l’opinion d’une personne unique (Smith et Tyler, 1997). Selon Anderson (1994), de nombreux
jeunes hommes, des quartiers déshérités en particulier, valorisent le respect à un point tel
qu’ils risqueront leur vie pour l’atteindre. On peut envisager ici un parallèle avec les
«cancres» d’une classe, prêts à risquer le renvoi pour continuer d’être respectés sur les dimensions antiscolaires alors devenues référence.
La recherche de Kaplan, Peck, et Kaplan (1994) auprès d’élèves en échec met en évidence le
cercle infernal dans lequel ces élèves se trouvent engagés. Ces auteurs montrent que lorsque
l’échec affecte trop durement l’estime de soi des élèves, ceuxci peuvent être conduits à développer des attitudes défensives, comme être démotivés, indifférents, voire s’opposer franchement aux normes scolaires en vigueur. Leurs résultats confirment la chaîne causale circulaire
envisagée: l’échec initial explique une baisse de l’estime de soi, qui, à son tour, conduit
l’élève à être moins motivé pour réussir et à adopter des conduites de refus scolaire, ce qui se
traduit par un nouvel échec de l’élève, etc.
Ainsi, dans des cas extrêmes d’échecs répétés, le besoin de préserver son estime de soi peut
amener l’élève à renoncer aux valeurs dominantes au profit d’une adhésion à des valeurs antisociales. S’opposer activement aux normes de réussite en vigueur, et plus largement au système même de l’école, plutôt que de subir passivement l’échec et ses conséquences en termes
d’estime de soi, permet de se remettre en valeur, de regagner du prestige auprès des pairs:
c’est le cas des «leaders négatifs» en milieu scolaire et de certains jeunes délinquants (Bourcet, 1997; Malewska-Peyre, 1990).
Extrait de l’article « Connaissance et estime de soi : ingrédients pour la réussite scolaire »,
Delphine Martinot – Revue des Sciences de l’éducation, vol. 27, n°3, 2001, p.
483-502
24/24
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