Entrer dans le monde de Carl Rogers

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TRAVAIL THEORIQUE DE FORMATION EN PSYCHOTHERAPIE
Entrer dans le monde de
Carl Rogers
De personne à personne
Septembre 2008
Ce texte est le fruit d’une première réflexion sur la psychothérapie en Approche Centrée sur la Personne. Il me
paraît important de souligner qu’hormis les apports dont j’ai pu bénéficier dans des contextes informels ainsi
qu’en situation d’entretiens ponctuels de soutien psychologique, ce travail présente la grande faiblesse de ne
pas s’inscrire dans l’expérience concrète d’une pratique psychothérapeutique.
Boris Dunand – septembre 2008
« I wish that for just one time, you could stand inside my shoes » - Bob Dylan
Impressions personnelles
Ce qui m’aura le plus frappé durant mes premières lectures, c’est sans doute la façon dont s’enracine
l’apparente simplicité de la pensée de Carl Rogers dans une vision fine et complexe de l’individu,
reposant sur une réalité concrète, solide de faits et d’observations exigeantes, et parcourue d’un bon
sens qui pourrait presque paraître naïf mais ne l’est définitivement pas. Découvertes successives d’une
profondeur insoupçonnée sous le premier visage si simple de son approche. « Ecouter,
chaleureusement, accepter ». Oui mais… Pourquoi ? Comment ? Pour aller où ? Seulement !? Pour
quels motifs ? Et qu’obtient-t-on avec ça ? Et comment se fait-il que nous obtenions ceci ? A toutes
ces questions, on trouve des réponses, précises, riches, subtiles, des réponses qui ne tiennent pas aux
structures aériennes et volatiles d’une pure pensée mais aux constats d’une théorie qui s’est construite
dans la pratique et dans la durée de celle-ci. Par ailleurs, le caractère ouvert de son système permet de
s’y sentir libre et d’entrevoir la possibilité d’y creuser un jour des pistes personnelles, des façons
singulières de se l’approprier, ce qui laisse – dans un cadre défini et éthique – la créativité de chacun
entendre une promesse d’épanouissement et qui sait, pour mon compte, de devenir un jour un « fully
functioning therapist »1 !?
L’individu. Naissance et potentiel. Environnement et caractéristiques. Auto-actualisation. Apprentissage et
éducation. Incongruence – dysfonctionnement, tension, malaise, problème. Relation d’aide. Processus
thérapeutique. Congruence – harmonie conscience et expérience, créativité, responsabilité. Vie pleine – un flux
de changements et d’adaptations.
Pour Carl Rogers, l’être naît avec un potentiel qui ne demande qu’à fleurir sur le terreau du monde.
Encore faut-il que ce terreau lui soit favorable, c’est-à-dire qu’il réponde suffisamment à ses besoins
pour qu’il puisse s’actualiser – s’auto-actualiser, une tendance que Rogers conçoit commune à
l’ensemble des êtres humains. Le petit se trouve catapulté dans un environnement, une famille, une
culture, une école, etc. Absences et présences, carences et richesses, toutes les caractéristiques de cet
entourage seront le terreau dont il devra s’accommoder et/ou profiter. Déjà son corps s’anime et fait
l’expérience de l’existence, déjà il est pris par les besoins fondamentaux d’attention, de contact, de
chaleur, d’estime et d’amour, et bientôt il commencera le hasardeux et grave commerce de son être
pour obtenir ces choses qui lui sont vitales. Chaque fois que son « expérience organismique » –
comme appelle Rogers le vécu subjectif de l’être – lui suscite un besoin, une expression, un
sentiment, un comportement qui ne trouve pas la faveur ou simplement la réponse adéquate de son
environnement, chaque fois s’imprime en lui les bases d’un apprentissage. Petit à petit, il comprend
qu’il y a un lien entre sa façon d’agir et les réactions provoquées par celle-ci autour de lui. Il cherche
l’amour et l’entente, le bien-être et la paix, le plaisir et la joie, et parfois il constate que certains de ces
agissements lui rapportent exactement le contraire : discorde et rejet, mésentente et frustration, douleur
et haine. Alors il va peu à peu se plier aux « jeux » dans lequel il est pris. C’est le début de
l’incongruence : déformer la conscience du vécu intérieur pour l’adapter aux exigences extérieures et
s’assurer les sentiments positifs d’autrui, devenus ainsi conditionnels. C’est au prix d’une guerre
intestine que l’être obtient une paix toute factice avec son entourage ! Il ne peut plus accepter la réalité
de son intimité parce qu’elle menace de lui faire perdre l’amour et l’estime de ses proches et moins
proches. Sentiments, besoins, émotions, désirs, ceux devenus prohibés à force d’éducation et de
mésaventures relationnelles, mais qui se trament cependant toujours dans sa chair, ne sont plus
entendus par sa conscience. Il s’en coupe et s’en défend, refoulant tout ce qui met en danger son « être
au monde » et supportant tant bien que mal les tensions qu’il commence à souffrir. (C’est quand il ne
supporte plus qu’il cherche de l’aide, à condition que le mal soit assez grand pour fournir l’énergie
nécessaire au courage d’affronter les réalités intérieures). Non moins totalité psycho-physique pour
1
Référence au terme de « Fully Functionning person » que Rogers utilise pour désigner la personne qui a retrouvé une fluidité congruente
non défensive dans son rapport à la complexité de l’expérience humaine.
2
Prière de citer la paternité en cas d’usage. (http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.5/ch/)
Boris Dunand – septembre 2008
autant, il devient difficile pour lui de se communiquer ses propres sentiments et donc de les
communiquer à autrui, difficile d’avoir conscience de ce qu’il ressent exactement, de partager son
vécu et donc d’entrer en relation de façon authentique, satisfaisante. Ainsi, ses expériences subjectives
de l’ici-maintenant, qui servent à la construction de son « moi » dans l’acceptation rogerienne, sont
filtrées en fonction de leurs effets positifs ou négatifs : celles qui servent correctement au dessein
d’acceptation sociale sont emmagasinées dans le registre conscient, tandis que les autres, desservant ce
même dessein, sont passées sous silence, déformées, niées, amputées… Son « moi réel » ne lui est
plus accessible, comme caché sous les couches successives de mensonges qu’il se fait à lui-même
inconsciemment, pour préserver l’équilibre de son monde. Son « cadre de référence interne » a laissé
passer et incorporé tant de valeurs et de références étrangères en s’y conformant qu’il en est comme
pollué et qu’il n’a plus la capacité d’évaluer correctement l’adéquation de ses choix de vie en regard
de ses besoins propres. Son potentiel d’être fondamentalement social, rationnel et constructif – tel que
Rogers pense chacun d’entre nous 1 – se trouve ainsi bridé, empêché, contraint. L’individu
dysfonctionne et ses frustrations le poussent à s’engager dans des comportements destructeurs,
morbides, non-« naturels » 2, toujours selon Rogers. (On trouve ici une distinction capitale vis-à-vis de
la pensée freudienne, qui considère que les pulsions morbides, thanatos, de mort sont à l’œuvre au
cœur de l’être humain de façon spontanée et dès l’origine de sa venue au monde.)
Avant de revenir, dans la deuxième partie de ce travail, à l’évolution du rapport de l’individu à son
« moi idéal », décrivons brièvement celui-ci. Il s’agit du soi que le sujet voudrait atteindre, une image
idéale de ce à quoi il voudrait ressembler et ce vers quoi il tend donc. En état d’incongruence, le sujet
souffre de la trop grande distance qui le sépare de ce moi idéal et parfait, d’autant plus que ses
comportements inadaptés lui rendent l’approche plus difficile.
« La perte de liberté expérientielle ». C’est sous cette formule que Rogers résume ce que je viens de
décrire. L’individu ne peut plus faire librement l’expérience de sa réalité organico-psychique, et donc
conséquemment affective, intellectuelle, sociale… La personne est devenue un personnage et elle joue
le rôle qui lui a permis d’être acceptée dans un environnement qui n’a pas su, pas pu l’accepter,
l’estimer et l’aimer telle qu’elle se donnait. Elle se défend d’être elle-même, parce qu’être soi-même
rime avec rejet, jugements négatifs, humiliation, bref : danger… Toute une bonne série de raisons
d’avoir élaboré ces stratégies de défense et de protection. 3N’est-ce d’ailleurs pas ce qu’il s’agit de
comprendre : que la personne a de « bonnes raisons » d’être devenue ce personnage ?! En effet, cette
notion me semble centrale, en ce que la tâche du thérapeute est précisément de comprendre de
l’intérieur les motifs qui structurent la personnalité composée, de sentir et saisir les mailles de sens qui
permettent à l’individu de tenir tel qu’il est, d’entrer dans ce monde singulier de significations qui lui
ont permis de survire dans l’environnement qui fut le sien. Or, partir du principe que la personne a de
« bonnes raisons » de se manifester comme elle se manifeste me semble une bonne prémisse à cette
mission.
Mais alors…
Que peut faire la thérapeute ? A quelles conditions ? Comment ?
…exploration des outils rogeriens :
1
Je pense pour ma part qu’on ne peut être social, rationnel et constructif qu’en étant asocial (besoin de solitude, distance, retraite), irrationnel
(rêve, poésie, imagination, etc.) et destructeur ((se) construire suppose (se) déconstruire, désapprendre, se distinguer des habitus, opérer des
séparations, des coupures, des ruptures avec les héritages culturels, familiaux, etc.).
2
Il me semble important de se méfier du concept de l’ « homme naturel » : le concept de « nature humaine » ne tient pas, il y a de la nature
dans la culture, de même qu’il y a de la culture dans la nature (cf. Morin Edgar, Le paradigme perdu : la nature humaine, Editions du Seuil,
1973).
3
D’où l’importance fondamentale et première d’instaurer un climat de sécurité dans la relation thérapeutique.
3
Prière de citer la paternité en cas d’usage. (http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.5/ch/)
Boris Dunand – septembre 2008
Indications, contre-indications. Tests ? Diagnostique ? Objectifs thérapeutiques. Outils - Exploration de soi Attitude thérapeutique. Facilitation ? Effets ? Processus thérapeutique - 7 stades et constantes. Effets et
résultats. Pourquoi et comment ? Vie pleine !?
Après avoir présenté ci-dessus la façon dont j’ai intégré les notions rogeriennes concernant l’individu
et son fonctionnement, j’aimerais passer à ce que j’ai enregistré du processus thérapeutique et de ses
effets sur le client. Voyons déjà le problème des indications et contre-indications. Un tableau
permettra d’y voir plus clair.
INDICATIONS
CONTRE-INDICATIONS
Le client présente…
Le client présente…
1. Trouble psy à base d’incongruence
2. Conscience de soi et capacité de relation à soi
3. Perception minime au moins de son incongruence
et désir de changement
4. Capacité à percevoir et accepter l’aide (à évaluer
au premier entretien)
5. Sentiment que diminution de l’incongruence est un
premier pas vers le mieux-être
Troubles plus indiqués :
- Phobie
- Dépression
- Angoisse
…plus que les troubles obsessionnels
…et plus que de graves troubles de personnalité
qui nécessitent une plus grande durée de
traitement pour une compensation
-
-
Personnalité hyper-narcissique (risque d’être
renforcée)
Sujet contraint et sans motivation ni besoin
(encore que la contrainte puisse être un levier de
rencontre)
Sujet avec attente excessive de conseils et
directives (idem)
Troubles peu indiqués :
- Toxicodépendance
- Schizophrénie
Ok si constitue une préthérapie, thérapie de soutien
ou avec cadre plus structuré
qu’usuellement
Troubles hystériques et PTSD
FACTEURS IMPORTANTS
Diagnostique ? Non !
Relation de confiance ? Oui ! (Climat de sécurité, empathie, congruence, acceptation)
Aussi :
 capacité d’auto-exploration
 intensité du désir de confrontation des contradictions internes
L’incongruence, concept central chez Rogers, se retrouve au centre des indications pour une thérapie
ACP. Signe (minimal ?) de cohérence ! Je me hasarderai à comprendre que si phobie, dépression et
angoisse sont plus indiquées que les autres troubles, c’est que ces symptômes sont – a priori – moins
susceptibles de contrecarrer les tentatives d’exploration de soi – un autre thème très important de la
thérapie rogerienne, élaboré plus bas. En avançant cela, je pense d’avantage aux troubles
obsessionnels, troubles de la personnalité et schyzophrénie qu’à la toxicodépendance (est-elle
d’ailleurs un « trouble » en soi ?) ; je ne connais pas les motifs de contre-indications pour celle-ci. Non
4
Prière de citer la paternité en cas d’usage. (http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.5/ch/)
Boris Dunand – septembre 2008
plus pour les troubles hystériques. Pour les PTSD, j’imagine que des outils spécifiques sont
nécessaires, quoique l’exploration de l’événement traumatisant afin d’en collecter les pièces
mnésiques fragmentées et de les réunir en un souvenir cohérent, intégrable à la mémoire
autobiographique, fasse partie des démarches idoines 1, ce en quoi l’approche rogerienne me semble
favorable (?).
Le diagnostique servira exceptionnellement à l’échange d’informations professionnelles, mais
l’approche rogerienne évite de réduire l’individu à n’importe quelle étiquette. (Autres applications ?)
Comme nous le verrons ci-dessous, l’instauration d’un climat et d’une relation de confiance est
nécessaire. C’est même le cœur du travail du thérapeute, qui devra tout faire pour que l’individu se
sente assez en sécurité pour explorer ces parties de soi refoulées parce que menaçantes, et qui ne
peuvent donc éclore au plein jour que dans une atmosphère de grande confiance, ce que l’acceptation
inconditionnelle du thérapeute tend à créer. En explorant son vécu, le client peut commencer à le
comprendre pour finir par l’accepter, puis le vivre : « Je suis venu pour résoudre des problèmes, et je
me mets à simplement faire l’expérience de moi-même. » 2
Objectifs thérapeutiques, outils
Si je devais résumer (en faisant fi de l’absurdité de la chose) à une seule tâche le métier du
psychothérapeute rogerien, je choisirais la nécessité dans laquelle il se trouve de devoir tenter de
comprendre son client au plus près de sa réalité singulière, en reflétant les détails de son cadre de
référence avec la plus grande exactitude possible. (Ce qui suppose un désir réel, une curiosité
authentique envers l’être humain, dans son irréductible différence et étrangeté). J’ajouterais ensuite,
accepter. (Même si, en fait, « se mettre en quête pour comprendre vraiment » présuppose le désir et la
résolution de tout accepter, de même qu’accepter nécessite la compréhension ; une acceptation qui ne
comprend pas n’est pas une acceptation, c’est une tolérance). Puis, communiquer cette acceptation.
Surtout, faire en sorte qu’elle soit perçue ! Tout maître de son art que soit le thérapeute, c’est pour les
nuages qu’il reflète et reformule ce qu’il comprend du patient si celui-ci ne perçoit rien de la nature de
sa présence. Parmi ses outils, l’empathie sert précisément à faire sentir cette qualité de présence, la
congruence lui donne son caractère réel, honnête et sécurisant. (On devine ce que ceci suppose de
travail préalable chez le thérapeute sur sa propre personne, qui doit être assez sûre pour tenir sa propre
position, sans recouvrir l’autre avec ses propres structures et significations, et cependant être capable
d’entrer dans le territoire de cet autre sans s’y perdre lui-même.) Concernant l’exploration de soi chez
le client, je m’explique les effets facilitateurs et éclairants de la reformulation et du reflet comme suit :
lorsque le client reçoit le miroitement que lui propose le thérapeute, il peut soudainement voir ce qu’il
pensait ou ressentait, porté devant lui, extérieur à lui, et la chose qui jusque là n’avait pu lui être
accessible que contenue dans le magma fourmillant de son monde intérieur, apparaît maintenant
comme une bille désafférentée de toutes les connexions qui l’entouraient dans sa subjectivité, ainsi
nette et distincte de toute influence perceptive, de toute résonnance intérieure, comme épurée,
élaguée ; et, suis-je tenté d’avancer, simultanément : amplifiée dans sa signification par à la fois la
pureté de son « son » et les « bruits » qu’y aura insufflé la personnalité du thérapeute. On peut dire
ainsi que, non seulement, il n’avait jamais vu cet objet intérieur aussi clairement, distinctement et
précisément, mais en plus – pour peu que le thérapeute sache ajouter à son reflet la substance de sa
propre compréhension sans le dénaturer (c’est, me semble-t-il, tout l’enjeu) – l’intensité de l’objet
reflété se trouve comme doublée par l’écho qui se produit dans les cavités sensibles du thérapeute.
Le psychothérapeute cherche ainsi à créer un climat relationnel caractérisé par un certain nombre de
vertus, toutes destinées à faciliter le passage, chez le client, du pôle de dysfonctionnement à celui de
plein fonctionnement, par le biais de l’exploration de soi. On pourrait peut-être imager ceci ainsi : le
thérapeute ouvre et crée un « univers parallèle » dans lequel le monde du client devient totalement
1
2
Cf. Mémoire autobiographique et self, modèle de Conway, Singer, Tagini (2004)
Le développement de la personne, CR, page 60
5
Prière de citer la paternité en cas d’usage. (http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.5/ch/)
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légitime ; et c’est cette légitimité qui invite le client à aller toujours plus loin dans ce qui lui avait paru
jusqu’alors, au contraire, tissé d’illégitimité, d’inconvenance. L’inacceptable, accepté, devient
acceptable.
(Si une décision volontaire de s’accepter comme on est ne suffit pas (le contraire serait une nouvelle
réjouissante), c’est, entre autre, parce qu’un effort cognitif et solitaire ne pourra jamais suppléer à la
rencontre : le client n’a pas à se convaincre qu’il est acceptable, il en fait l’expérience, réelle, concrète,
dans la réalité sensible, affective d’une relation. « C’est la rencontre qui guérit » comme l’exprime
Mireille Cifali 1.)
Je propose, pour figurer les caractéristiques de la rencontre du thérapeute avec son client, de distinguer
dans un tableau (cf. ci-dessous) trois entités (thérapeute - relation - client), adjectivées chacune d’un
caractère (authentique – chaleureuse – accepté), dans lesquels on reconnaîtra les trois composantes
fondamentales (congruence - empathie - acceptation) de l’attitude thérapeutique qui font l’enseigne de
toute devanture rogerienne.2 Il va sans dire qu’on s’imagine des boucles récursives allant d’un item à
l’autre. Authenticité, empathie et acceptation doivent initialement se trouver chez le thérapeute, dans
le but d’en distiller les vapeurs dans la trame naissante du lien à son client, puis en dernier ressort
s’infiltrer – ce qui peut signer le début de la fin de la relation d’aide – comme un virus bénéfique sous
la peau du client, contaminé finalement par tout ce qu’il lui faut pour advenir à sa liberté responsable.
THERAPEUTE
authentique
RELATION
chaleureuse
CLIENT
accepté
Congruence
Empathie
Acceptation
(Chaleur, humanité, sensibilité)
Il y manque donc des flèches pour figurer ces boucles récursives, mais l’idée veut que chaque case de
ce tableau favorise et nourrisse l’autre et réciproquement. La congruence sert à l’empathie qui
transmet l’acceptation, laquelle favorise la sensibilité et invite à la congruence, etc. Ainsi, plus le
thérapeute est congruent et acceptant, plus il y a de chance que le client, percevant cette attitude au
travers des signes de la relation, se sente accepté et plus il lui devient possible d’être congruent et de
ressentir et d’accepter son humanité ainsi que la chaleur du thérapeute, etc. (On peut aller plus loin en
avançant que plus le client se présente congruent, empathique et s’acceptant, plus cela favorise en les
facilitant l’incarnation de ces mêmes attitudes chez le thérapeute).
Autrement dit, le thérapeute, par son authenticité et sa sensibilité propose une relation chaleureuse,
c’est-à-dire dont la nature liante est davantage sensible et affective (subjectivante) qu’intellectuelle ou
rationnelle (objectivante), et dont l’acceptation n’est pas tributaire des idiosyncrasies du client, celui-ci
découvrant petit à petit que, quelque soit la facette qu’il présente de sa personne réelle, la relation reste
imperturbablement empathique, compréhensive et accueillante, ce qui lui permet de se sentir accepté à
1
2
Historienne, docteur en sciences de l'éducation, psychanalyste, qui enseigne à l’université de Genève,
Mais qui la simplifient drastiquement – et la livre aux attaques les plus pauvres.
6
Prière de citer la paternité en cas d’usage. (http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.5/ch/)
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chaque instant, sous toutes ses formes – grâce également à la distinction opérée par le
psychothérapeute entre ontologie (vécu du client accepté inconditionnellement) et comportements
(possibilité d’exprimer un point de vue critique vis-à-vis de certains actes moralement inacceptables,
en acceptant les besoins subjectifs en jeu et en invitant à explorer les motifs qui poussent aux
comportements inacceptables). Le client se trouve ainsi dans cette sorte d’univers parallèle dont nous
parlions, où l’entièreté de son être trouve un écho qui ne le juge en rien mais le reconnaît, comme le
ferait un miroir fidèle, dans sa manifestation actuelle, réelle – phénoménologique pourrions-nous dire.
Tel qu’il se donne à voir. Cette image qui n’est plus évaluée par le monde extérieure, il peut enfin la
reconnaître comme sienne et apprendre à l’évaluer selon ses propres critères. C’est le début de
l’autonomie.
Et s’il fallait résumer le besoin du client (besoin qui ne correspond pas nécessairement à sa demande
explicite ou première), je retiendrais celui de retrouver une congruence existentielle. Autrement dit,
(re)prendre conscience de son expérience organismique et l’accepter comme tel. – Une première étape
au changement. « …c’est au moment où je m’accepte tel que je suis que je deviens capable de
changer. » 1
Processus thérapeutique
VIE PLEINE
Acceptation
DYSFONCTIONNEMENT
Le terme de « processus thérapeutique » est né du constat qu’une fois les pré-requis de base (dont nous
avons fait la revue ci-dessus) mis en place dans le setting thérapeutique, un processus se met en place,
et qu’il est possible d’y repérer des constantes d’un client à l’autre – nous verrons celles concernant le
vécu des sentiments. Une fois ce constat réalisé, il a été possible d’établir un continuum, une sorte de
grille de lecture permettant de situer la personne dans son évolution, du point où elle se sent le plus
désemparée et victime des chaos de l’existence, à celui où elle peut prendre les rennes de sa vie en
main et la conduire selon son entendement. On remarquera ici que le bout « positif » du continuum
n’est pas une fin, mais plutôt un commencement : le début d’une vie plus responsable, mais pas le
début d’un bonheur ou d’une vie sans difficulté. Le début d’une vie où l’être sait comment résoudre
les problèmes qui se pose à lui, de façon autonome et avec maturité – c’est-à-dire sans déformer la
réalité mais en la reconnaissant telle qu’elle s’actualise. Le début aussi peut-être d’une capacité à
demander simplement de l’aide en reconnaissant ses faiblesses… J’apprécie la façon dont Rogers évite
ainsi de construire le mythe d’une personne pleinement épanouie, à jamais sereine et épargnée des
vicissitudes de l’existence.
Le continuum sur lequel avance et recule, pleure et danse l’individu, dont les extrémités ont pour
étiquettes : « Dysfonctionnement » (névrose, incongruence, tension) et « Vie pleine » (Fully
functioning person, congruence, détente), ce continuum est, en réalité, fait d’une multiplicité d’axes :
autant d’axes que de domaines de vie (social, familial, professionnel, intime, relationnel, etc.),
l’individu pouvant se trouver, au même moment, en différents endroits du continuum sur chacun de
ces axes. Ce continuum me semble parcouru d’un grand vecteur : l’acceptation. J’ai effectivement le
1
ROGERS Carl, Le développement de la personne, page 15.
7
Prière de citer la paternité en cas d’usage. (http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.5/ch/)
Boris Dunand – septembre 2008
sentiment que s’il fallait résumer en un seul terme le facteur qui permet la progression de l’individu
vers une vie pleine, je choisirais le terme « acceptation » - rappelons que cette acceptation n’est pas
seulement cognitive, n’est pas un effort volontariste, mais un sentiment réel, éprouvé dans la détente
corporelle et la plénitude psychique qui signent sa présence – transitoire, partielle, relative, car elle
n’est pas non plus acquise une fois pour toutes, dans tous les domaines et parfaitement.
(Je remarque a fortiori cette tendance que j’ai ici à vouloir tirer un concept clef de chaque thématique,
mais c’est, je l’espère, moins dans un but de simplification réductionniste que de clarification aidante,
permettant d’extirper l’essence des intentions en jeux : le thérapeute et son effort de compréhension ;
le client et son besoin de congruence ; le continuum et son vecteur d’acceptation…)
Dans le processus thérapeutique, on retrouve tout ce dont on vient de parler : l’attitude du thérapeute,
l’exploration de soi du client, les outils, etc. Ce sont chacun de ces éléments qui permettent au
processus thérapeutique de se mettre en route. Celui se décline en sept stades…
Les stades de développement
Au lieu de chercher les signes d’efficience de la thérapie dans un résultat final somme toute peu
identifiable et mesurable, sinon en termes biaisés par des valeurs culturelles et donc relatives (la notion
d’une personne « fonctionnant pleinement » aura différentes connotations suivant le contexte culturel,
professionnel, personnel, etc. dans lequel elle est représentée), Carl Rogers a choisi de s’intéresser au
« changements concomitants » qui ont lieu dans la personnalité du client au cours des séances
d’entretien. C’est par l’analyse détaillée d’une foule d’enregistrements (méthode empirique
innovatrice qui caractérise son travail) qu’il a pu mettre en évidence sept stades.
Je n’irai pas dans les détails de ces étapes, mais relèverai simplement qu’une dimension centrale en
ressort, et il s’agit, de mon point de vue, des sentiments, plus précisément du rapport qu’entretien le
client à ses propres sentiments. L’essentiel de son développement semble se jouer autour d’une triple
libération de ceux-ci, triptyque aux éléments évidemment intimement liés et interdépendants : une
libération dans le temps, de différés ils deviennent immédiats ; une libération dans la distance,
d’étrangers ils deviennent intimes ; une libération dans le spectre, d’un registre étroit, rigide et pauvre
ils deviennent étendus, articulés et riches. Autrement dit, ils retrouvent leur substance première :
l’émotion dans son actualité et sa spontanéité (immédiateté), son intériorité (intimité), et sa
complexité (richesse). Il est d’ailleurs remarquable de noter que les neurosciences ont pu mettre en
évidence que les sentiments sont la traduction en langage mental de l’état corporel. « Les sentiments
(…) traduisent l’état vécu actuellement dans le langage de l’esprit » 1. « En bref, le contenu essentiel de
sentiments est l’encartage [cortical] d’un état donné du corps ; le substrat des sentiments est
l’ensemble des structures neurales qui dressent la carte de l’état du corps et dont une image mentale de
l’état du corps peut émerger. Un sentiment est par essence une idée – à savoir une idée du corps et plus
précisément encore une idée d’un certain aspect du corps, de son intérieur, dans certaines
circonstances. » 2 J’y vois en effet un appui considérable aux théories de Rogers, spécifiquement une
confirmation du concept d’incongruence, puisque ce qui se passe durant le processus thérapeutique
consiste à l’accordage de la conscience (l’esprit et son langage mental, l’encartage cortical) à
l’expérience organismique (l’état vécu actuellement, état somato-sensoriel, émotionnel, organique) et
que nous constatons que la manifestation la plus distinctive du processus thérapeutique consiste en la
transformation progressive du rapport aux sentiments, dans le sens précisément d’une congruence –
que l’on pourrait conséquemment formuler en terme d’immédiateté-intimité-complétude du vécu
corporel en pleine conscience. Autrement dit le rapport au sentiment semble l’indicateur par
excellence de l’état de congruence ou d’incongruence de l’individu. Autrement dit, plus le rapport aux
sentiments est différé, distant et pauvre, plus il est vraisemblable que l’individu souffre
d’incongruence ; inversement, plus le rapport aux sentiments est immédiat, intime et riche, plus il est
permis de penser que l’individu jouit d’une certaine congruence.
1
2
DAMASIO R. Antonio, « Spinoza avait raison », page 93.
Op. cit., page 96-97.
8
Prière de citer la paternité en cas d’usage. (http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.5/ch/)
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Citons encore quelques autres constantes observées : le client va passer d’un rapport à soi tendu,
rigide, peu articulé, à un rapport à soi souple, permettant une conscience fine, riche et subtile de son
vécu ; de même va-t-il évoluer d’un rapport aux autres stéréotypé, défensif et projectif, à un rapport à
autrui nuancé, adaptatif et responsable. Il accède ainsi à une aire d’existence où il devient possible
d’être entièrement soi-même. A « vie pleine», je préférerais la formule « aire de vie pleine », dans le
sens où, comme le stipule Rogers, l’individu en thérapie ne va pas nécessairement explorer toutes les
dimensions de son existence ni aboutir à une exploration complète et définitive. Certains axes du
continuum bénéficieront du travail thérapeutique plus que d’autres, et en cela, le client fera selon ses
besoins et selon son entendement.
Au sujet du rapport au « moi idéal ». Je me suis demandé dans quelle mesure la force de ce « moi
idéal » ne tient pas en partie précisément à l’incongruence ; on pourrait effectivement facilement
imaginer qu’il ait pour fonction, entre autres, de compenser dans le monde imaginaire et fantasmatique
l’inacceptable du « moi réel »… Le fait qu’il perde de sa perfection au cours de la thérapie et qu’il soit
rendu ainsi plus accessible pourrait être alors compris comme une diminution progressive de cette
fonction compensatrice : le sujet s’acceptant de mieux en mieux, le moi idéal n’aurait plus besoin de
venir contrebalancer dans un monde idéique le sentiment d’infériorité et la basse estime de soi de
l’individu…
Quoiqu’il en soit, je vois une grande cohérence dans les manifestations du processus thérapeutique :
l’acceptation dont nous avons parlé et la réunification de la conscience et du vécu immédiat, ces
« simples » éléments, qui font que l’individu accepte que ce qui est est (même si sa réalité est toujours
une perception subjective, elle est désormais ce qu’elle est réellement pour lui), me semblent ne
pouvoir que déboucher 1 sur ce que Rogers a identifié comme les effets de la thérapie : l’accroissement
de l’ouverture à l’expérience, de l’intensité de la vie existentielle et de la confiance au vécu
organismique. En effet, une conscience qui tient compte de l’ensemble des données de toute situation,
qui n’y ajoute pas d’éléments qui n’y sont pas ni n’enlève ceux qui s’y trouvent (ainsi que Rogers
définit autrement l’incongruence), qui fait donc avec la réalité comme elle la perçoit (et non plus
comme elle voudrait qu’elle soit), est par définition dans une disponibilité faite d’ouverture,
d’intensité et de confiance (dans le sens d’abandon, de lâcher prise), et s’accorde ainsi au flux des
événements qui ont cours en elle et autour d’elle, devenant alors capable d’une plus grande capacité de
gérer les difficultés – parce qu’elle garde une vision et une conscience holistique de la situation et que
les aspects sombres, douloureux, n’ensevelissent pas complètement la part d’espoir et de lumière qui
peut y résister.
Au terme de son épopée thérapeutique, l’individu atteint donc non pas un état, mais un courant, un
flux, il embarque sur le radeau nu de son corps et, sensible aux courants qui le portent mais aussi aux
désirs qui lui font préférer tel lit de rivière plutôt qu’un autre, il devient responsable de son voyage
tout en cessant de se battre contre le courant et d’exécuter à contrecœur les devoir-être, devoir-paraître
et devoir-faire qu’il avait fait sien malgré lui. Il est en changement perpétuel parce qu’il est accordé à
la vie, qui est elle-même changement perpétuel, livrée aux hasards et contingences qui font sa
substance première, originelle. L’individu est la vie, il devient sa vie.
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Cette impression d’évidence serait à questionner…
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Prière de citer la paternité en cas d’usage. (http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.5/ch/)
Boris Dunand – septembre 2008
BIBLIOGRAPHIE
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Jacob, Paris, 2005.
MORIN EDGAR, Le paradigme perdu : la nature humaine, éditions du Seuil, 1973.
ROGERS CARL, La relation d’aide et la psychothérapie, esf-éditeurs, 1970, Issy-les-Moulineaux.
ROGERS CARL, Le développement de la personne, Dunod-InterEditions, Paris, 2005.
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Prière de citer la paternité en cas d’usage. (http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.5/ch/)
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