Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Fr 5.3
ainsi la Hongrie est l'État-nation des Hongrois (ou: l'État de la nation hongrise), même si on
n'y trouve pas que des Hongrois et si on trouve des Hongrois hors de ses frontières — en
revanche la Belgique n'est pas, dans ce second sens, un État-nation1.
J'essaierai de distinguer le plus clairement et systématiquement possible le "sentiment
national" et le "nationalisme" qui, selon la définition que j'utilise, en est la traduction dans
le champ politique (l'exploitation politique, disent ses ennemis): ainsi dans les dernières
décennies du XXe siècle, le sentiment national des Français s'est transformé en nationalisme à
partir du moment où les républicains l'ont mobilisé pour rassembler la population autour des
valeurs républicaines et pour préparer la Revanche. Je distinguerai aussi les notions de
"nationalisme" et de "patriotisme", de la manière suivante: le patriotisme est un sentiment
de loyauté, d'affection, de dévouement, etc., vis-à-vis d'un État ou d'un pays, d'une terre.
Dans notre pays, le nationalisme va de pair avec le patriotisme puisque la nation s'identifie à
l'État, au pays; ce n'est pas le cas ailleurs: là où la conception culturelle de la nation l'emporte,
une nation ne correspond pas forcément à un État, donc patriotisme et nationalisme sont à
dissocier. Ainsi en Finlande2 coexistent des Finnois3 et des Suédois: ils se considèrent comme
appartenant à deux nations différentes, car ils n'ont pas la même langue ni les mêmes usages
et traditions; il y a donc en Finlande deux sentiments nationaux distincts, et éventuellement
deux nationalismes4. En revanche, Finnois et Suédois de Finlande sont d'accord pour être
citoyens d'un même pays. En 1918-1920, 1939-1940 et 1941-1945, ils se sont battus ensemble
contre la Russie bolchevique, puis contre l'U.R.S.S., pour sauver l'indépendance de la
Finlande et la démocratie. Il n'y a donc en Finlande qu'un seul patriotisme.
Fragment d'idéologie: de manière générale, je ne donnerai pas au mot
"nationalisme" un sens systématiquement négatif, comme c'est la mode (on dit
parfois en France: "le patriotisme, c'est l'amour des siens; le nationalisme, c'est la
haine des autres"), car je ne crois pas que cela corresponde à une réalité: il y a des
nationalismes très vigoureux et cependant pacifiques et tolérants, y compris des
nationalismes à fondement culturel: par exemple dans les pays scandinaves, en
Finlande, en Estonie, en Tchéquie aujourd'hui. Je me refuse de confondre le
nationalisme avec ses dérives, lesquelles existent comme existent des dérives du
1 Il existe encore une autre source de confusion possible: dans les expressions du type "relations
internationales", "concert des nations", etc., le mot "nation" est utilisé dans le sens très large d'"État
indépendant", y compris pour les États qui ne sont des États-nations dans aucun des deux sens que je viens de
distinguer, comme les États africains.
2 C'est le nom d'un pays: le dérivé correspondant est "Finlandais", adjectif qui signifie: citoyen de la
République de Finlande (et non: membre de la nation finnoise).
3 C'est le nom d'une nation, définie par sa langue. Il y en a ailleurs qu'en Finlande, en Russie et en Suède
notamment.
4 En revanche les Finnois de Finlande et ceux de Russie partagent le même sentiment national; aux
époques où celui-ci s'est politisé, ils ont partagé le même nationalisme.