1
La consécration constitutionnelle des droits collec-
tifs au Congo-Kinshasa
Les droits collectifs sont consacrés dans la constitution et dans les instruments inter-
nationaux entrés en vigueur pour le Congo-Kinshasa. La pertinence de cette consé-
cration au niveau international pose moins de problème du fait que l’on veut corriger
l’ascendance des États puissants et riches économiquement sur les faibles et les
pauvres et autonomiser ces derniers. En outre, la titularité de ces droits appartient
aux peuples de différents États.
Sur le plan interne, néanmoins, la question se pose de l’utilité de consacrer constitu-
tionnellement les droits collectifs, car l’État doit protéger équitablement toute sa po-
pulation. Cette question sera traitée en trois temps. D’abord, je présenterai les fon-
dements des droits collectifs; ensuite, j’en exposerai la notion et la garantie ; enfin, je
procéderai à l’exégèse des normes constitutionnelles garantissant ces droits.
I. Fondements des droits collectifs
Pour le Congo-Kinshasa, les droits collectifs ont leurs fondements dans la constitu-
tion et les instruments internationaux.
1. Les instruments internationaux
Nous nous contenterons ici des Pactes de l’ONU et de la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples.
1.1. Les Pactes de l’ONU
En concrétisant la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Pactes des Na-
tions Unies relatifs aux droits civils et politiques (Pacte II)
1
et aux droits économi-
1
À noter que contrairement à ce que daucuns pourraient penser, l’article 27 du Pacte II ne protège
pas les minorités, mais les personnes appartenant à des minorités. Il protège trois droits individuels de
ces personnes: celui d’avoir en commun avec les autres membres du groupe leur propre vie culturelle,
celui de professer et de pratiquer leur propre religion et celui d’employer leur propre langue. Il s’agit ici
des droits individuels à exercice collectif et non des droits collectifs. Cet article dispose: « Dans les
États il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à
ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur
2
ques, sociaux et culturels (Pacte I) reconnaissent quelques droits collectifs. À l'alinéa
1
er
de leur article premier commun, ils garantissent à tous les peuples « le droit de
disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut poli-
tique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».
À cet effet, précise l'alinéa 2 de cet article, les peuples disposeront librement de leurs
richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations découlant
de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intét mu-
tuel, et le droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses
propres moyens de substance. C’est ainsi qu'en 1987, la Commission des droits de
l'homme a créé le Rapporteur spécial sur l'utilisation des mercenaires comme moyen
de violer les droits de l'homme et d'empêcher l'exercice des droits des peuples à dis-
poser d'eux-mêmes. Le 4 décembre 1989, l'Assemblée générale des Nations unies a
adopté la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement
et l'instruction de mercenaires.
Les droits des peuples supposent, non seulement la disposition des richesses et res-
sources naturelles
2
mais aussi le droit à l'existence, le droit à l'autodétermination,
l'égalité entre les peuples ainsi que le droit et le devoir de défendre et de préserver
son patrimoine et son identité culturelle
3
. Par peuple, il faut entendre ici, la nation en
tant que composante d’un État d’après le droit international public, c’est-à-dire
l’ensemble de la population vivant sur un même territoire et soumis effectivement au
même pouvoir politique
4
.
groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur
propre langue. »
2
Lire la Résolution relative à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles adoptée par
l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies le 14 décembre 1962.
3
Cf. Principe 24 de la Déclaration adoptée à Mexico en 1982 par la Conférence mondiale sur les poli-
tiques culturelles. La 17
ème
Conférence nérale de l'UNESCO a adopté le 16 novembre 1972 la
Convention pour la protection du Patrimoine mondial, culturel et naturel qui a, d'une part, institué le
Comité intergouvernemental de la protection du patrimoine mondial et crée, d'autre part, le Fonds
pour la protection du patrimoine mondial. Au plan européen, le Conseil de l'Europe a adopté le 19
décembre 1952 la Convention culturelle européenne qui est entrée en vigueur le 5 mai 1955, le 6 mai
1965 la Convention pour la protection du patrimoine archéologique, entrée en vigueur en 1970 et révi-
sée par la Convention du 16 janvier 1992, ainsi que, le 13 octobre 1985, la Convention pour la sauve-
garde du patrimoine architectural de l'Europe.
4
Juridiquement, l’État est composé d’un territoire, d’une population et des pouvoirs publics (RUZIÉ
David / TEBOUL Gérard, Droit international public, 20
e
éd., Dalloz, Paris 2010, 73 ; AUER Andreas /
MALINVERNI Giorgio / HOTTELIER Michel, Droit constitutionnel suisse, Volume II : Les droits fonda-
mentaux, 2
e
éd., Stämpfli, Berne 2006, 6; PACTET Pierre / MÉLIN-SOUCRAMANIEN Ferdinand, Droit
3
1.2. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
Dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après: la Charte),
on trouve des droits collectifs suivants: Le droit à la libre disposition des richesses et
des ressources naturelles
5
, le droit au développement économique, social et culturel,
le droit à la jouissance égale du patrimoine commun de l’humanité
6
, le droit à la paix
et à la sécurité
7
, le droit à un environnement satisfaisant, global et propice au
développement
8
. Ces droits appartiennent aux peuples et non aux individus. C’est
aux États, parties à la Charte, de les mettre en oeuvre pour en permettre l’exercice.
Presque tous ces droits des peuples sont repris au nombre des droits collectifs dans
la constitution. C’est pourquoi ils ne demandent pas un commentaire particulier. Il y
sera fait référence ci-dessous dans l’exégèse des dispositions constitutionnelles.
2. La constitution congolaise
La constitution congolaise traite des droits collectifs au chapitre troisième de son titre
2 consacré aux droits humains, aux libertés fondamentales et aux devoirs du citoyen
et de l’État, après les droits civils et politiques (chapitre premier) et les droits écono-
miques, sociaux et culturels (chapitre deuxième). Contrairement aux devoirs du ci-
toyen auxquels est consacré un chapitre spécifique, ceux de l’État accompagnent les
droits et libertés. Faut-il en conclure que les droits individuels et collectifs sont princi-
constitutionnel, 27
e
éd. mise à jour, Dalloz, Paris 2008, 37). Sur la différence entre peuple et popula-
tion, voir AUER / MALINVERNI / HOTTELIER, 24s et 205 ; PACTET / MÉLIN-SOUCRAMANIEN,
373ss. Ce qui est à retenir c’est que d’après les constitutions française et suisse, le peuple désigne le
corps électoral ou l’ensemble des nationaux titulaires des droits politiques, tandis que la population est
l’ensemble de tous ceux qui habitent le territoire d’un État. Ainsi donc, tout peuple est une population,
mais toute population n’est pas un peuple. Néanmoins, il faut noter que dans certains textes interna-
tionaux protégeant les droits collectifs, le peuple est parfois synonyme de la population.
5
Art. 21 : « §1. Les peuples ont la libre disposition de leurs richesses et de leurs ressources naturel-
les. Ce droit s'exerce dans l'intérêt exclusif des populations. En aucun cas, un peuple ne peut en être
privé. »
6
Art. 22 : « §1. Tous les peuples ont droit à leur développement économique, social et culturel, dans
le respect strict de leur liberté et de leur identité, et à la jouissance égale du patrimoine commun de
l'humanité ; §2. Les États ont le devoir, séparément ou en coopération, d'assurer l'exercice du droit au
développement. »
7
Art. 23 : « §1. Les peuples ont droit à la paix et à la sécurité tant sur le plan national que sur le plan
international. »
8
Art. 24 : « Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur déve-
loppement. »
4
palement des créances contre l’État ? C’est l’essence même des droits fondamen-
taux
9
.
II. Notion et Justiciabilité des droits collectifs
1. La notion de droit collectifs
L’expression « droits collectifs » n’est pas d’une clarté diaphane, comme on pourrait
être tenté de l’imaginer. C’est pourquoi il faut en préciser, tant soit peu le contenu
sémantique, en répondant à ces répondant à ces questions : Qu’entend-on par droits
collectifs ? En quoi se distinguent-ils des droits individuels d’expression collective ?
Qui peut en être titulaire ?
1.1. La définition des droits collectifs
C’est pour la première fois que dans une constitution congolaise un titre est consacré
aux droits collectifs, même si certaines dispositions y relatives sont reprises
d’anciens textes. C’est pourquoi, il n’est pas superflu d’en donner la définition. La
Constitution elle-même ne définit pas les droits collectifs. C’est la doctrine et les dic-
tionnaires juridiques qu’il faut interroger pour en appréhender le sens et la portée.
Les droits collectifs font partie des droits de la troisième génération, après les droits
civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels. Ils apparaissent
autour de l’idée de droits de solidarité sociale, donc à dimension plus large
10
. Au Ca-
nada, par exemple, les droits collectifs sont nés de la coexistence des peuples au-
tochtones avec des immigrés. En effet, il fallait reconnaître constitutionnellement aux
premiers les droits existants, ancestraux ou issus de traités : les droits de pêche, de
chasse et de cueillette, les droits fonciers collectifs et le droit à la protection des
langues, cultures et traditions ancestrales, le droit à l’autonomie gouvernementale
11
.
La Jurisprudence canadienne a établi, en vertu du droit collectif à l’autonomie gou-
vernementale des Premières nations, qu’il était nécessaire, dans le traitement des
questions les touchant, de tenir compte du caractère unique de leur histoire, de leur
9
AUER / MALINVERNI / HOTTELIER, 54 ; OBERDOFF, Droits de l’homme et Libertés fondamenta-
les, 2
e
édition, L.G.D.J., Lextenso éditions, Paris 2010, 28-29.
10
OBERDORFF, 30.
11
Art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cf. art. 25 de la Charte canadienne des droits et des
libertés.
5
statut, de leur culture, de leurs coutumes et de leurs membres, mais dans le respect
de l’honneur dû à la Couronne
12
. D’autre part, il fallait aussi reconnaître les coutumes
et les traditions des immigrés. C’est dans ce cadre qu’a été créé le Ministère des Af-
faires Indiennes et du Nord Canada.
Gérard Cornu définit les droits collectifs comme des droits sociaux qui s’exercent
dans un rapport collectif ou dont les travailleurs sont dotés pour la défense collective
de leurs intérêts professionnels
13
. Dès lors, il s’avère nécessaire de distinguer les
droits du salarié des droits relevant du syndicat accrédité. Car, si le salarié est partie
d’un tout (une unité d’accréditation), ce tout est différent de la somme des salariés
qui le constituent. C’est aussi inversement vrai que la personne du salarié demeure
distincte de celle du syndicat sous de multiples aspects. Ces distinctions ne sont pas
toujours claires lorsqu’il faut parler des droits collectifs dans leur relation avec les
droits individuels. De plus, il n’existe pas de définition unique des droits collectifs.
Retenons pour l’instant que ces droits protègent des biens juridiques débordant
l’unique sphère de l’individu dans sa singularité.
1.2. Les droits collectifs et les droits individuels
Les droits individuels appartiennent essentiellement à une personne physique en tant
que telle, même si certains d’entre eux peuvent selon les cas, revenir à des
personnes morales, comme le droit de propriété. En revanche, les droits collectifs ont
pour titulaires des collectifs bien ciblés et exigeant une protection particulière.
La reconnaissance des droits de nature collective est controversée par certaines
personnes qui les conçoivent dans une logique de conflit avec les droits individuels «
classiques », tels que le droit à l’égalité et d’être à l’abri de toute discrimination. En
effet, la conception moderne des droits de l’homme trouve son origine dans les
traditions philosophiques occidentales fondées sur l’autonomie et la liberté
individuelles. Cependant, les pays en voie de développement et les peuples
autochtones ont exigé de la communauté internationale qu’elle reconnaisse que les
droits collectifs, comme la propriété de terres en commun, contribuaient au bien-être
de l’humanité. La dualité des droits individuels et collectifs a donc été reconnue au
12
Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73.
13
CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, 4
e
éd., Quadrige, Paris 2003, Verbis « Droits collectifs ».
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