2
Certes il existe aussi des musées d’arts et métiers, sauf que l’on ne les visite pas uniquement pour
admirer ou contempler mais pour s’instruire sur les pratiques et modes de vie de nos prédécesseurs.
On discriminera donc beau fonctionnel ou joli (lat. bellus) et beau proprement dit (lat. pulcher).
" Car le beau est ou ce qui est plaisant ou ce qui est préférable en soi." (Aristote
4
)
Alors que le premier intéresse l’Artisanat ou la Technique, le second est poursuivi par les Beaux-Arts
auxquels on réservera l’appellation d’Art pur : création ou poésie (gr. poïein : créer).
" Mais, de l’ensemble de la création, une partie ayant été séparée, cette unique partie qui a rapport à la musique
et aux vers, c’est à elle qu’on applique le nom du tout ; car c’est elle seule, la poésie, qu’on nomme création, et
ce sont les poètes, eux qui sont spécialisés dans cette partie de la création, qu’on appelle des créateurs." (Platon
5
)
Et l’on définira ce dernier comme une création libre ou " libérale " (Kant
6
), détachée de toute utilité,
par opposition à la fabrication, toujours soumise à des contraintes externes, répondant à des exigences
économiques, sociales ou domestiques.
Les règles qui président à l’activité artistique et à son appréciation diffèrent forcément des règles
pratiques/techniques et s’apparentent davantage aux règles scientifiques/théoriques (théorèmes / lois),
vu la source commune de ces deux disciplines. Mais alors que la science opère avec des abstractions
(concepts) et s’adresse directement à l’intelligence, en visant l’universalité, l’art lui s’appuie sur des
images ou histoires concrètes particulières et entend à la fois plaire à l’esprit (le Sens) : être apprécié
par lui et séduire la sensibilité (les sens) : procurer un sentiment agréable.
" L’intérêt de l’art diffère de l’intérêt pratique du désir en ce qu’il sauvegarde la liberté de son objet, alors que
le désir en fait un usage utilitaire et le détruit ; quant au point de vue théorique de l’intelligence scientifique,
celui de l’art en diffère, au contraire par le fait que l’art s’intéresse à l’existence individuelle de l’objet,
sans chercher à le transformer en idée universelle et concept." (Hegel)
Ni utiles ni seulement vrais, les objets d’art sont censés être beaux, c’est-à-dire vrais (signifiants) et
plaisants (sensibles) en même temps. D’où leur nom et celui de leur étude d’Esthétique(s) (du grec
aisthanesthai, sentir) depuis Baumgarten, auteur allemand du XVIII
è
, du moins, qui, sans leur être
totalement adéquat, puisqu’il insiste surtout sur leur face sensible, a cependant acquis " droit de cité
dans le langage courant " (idem).
Mais à quel art et/ou œuvre s’applique cette discipline, dès lors qu’il existe une pluralité d’arts, fort
différents, semble-t-il, les uns des autres et une multiplicité voire une infinité d’œuvres artistiques ?
Aux six arts majeurs distingués par la tradition (architecture, sculpture, peinture, musique, danse et
littérature), il faudrait d’ailleurs adjoindre aujourd’hui les 7
è
et 8
è
arts (cinématographe et télévision),
sans compter tous les arts mineurs (pantomime, photographie, etc.) ou les " formations intermédiaires,
plus ou moins hybrides " (idem
7
) comme le théâtre, l’opéra et pourquoi pas la bande dessinée.
Et si les premiers diffèrent déjà entre eux tant par le matériau utilisé et par leur technique que par leur
capacité expressive, au point qu’on a essayé d’esquisser de claires " frontières "
8
entre eux, cela est a
fortiori vrai des seconds, vu l’hétérogénéité des moyens et des procédés auxquels ils recourent.
Quant aux œuvres, tout paraît séparer une fresque picturale d’une image de bande dessinée ou une
sonate d’une chanson de variétés. Rien n’autorisant a priori à préférer ou rejeter tel art ou telle œuvre,
qui revendiquent tous le qualificatif d’artistique, l’Esthétique ne saurait en omettre aucun ou aucune.
Concernée par tous les arts et toutes les oeuvres, elle postule nécessairement leur unité, en deçà de
leur diversité apparente, et partant l’universalité des règles esthétiques.
Quelle(s) règle(s) au juste peu(ven)t produire cet effet esthétique et nous permettre de discriminer ce
qui est beau et ce qui ne l’est pas, soit quelles oeuvres méritent d’être nommées « belles » ?
Telle sera l’unique question de l’Esthétique.
"
Découvrir
une
règle
à
laquelle
il
y
aurait
lieu de se conformer pour juger de ce qui est beau et de ce qui ne l’est pas.
Autrement dit de formuler un critère du beau."
Ce qui revient à vouloir proposer " une définition du beau " et/ou des " lois de la beauté et de l’art "
9
.
4
Rhétorique I, 7, 24, 1364 b ; cf. égal. Éthique à Eudème VII, 2, 1237 a 5
5
Le Banquet, 205 bc
6
C.F.J. § 43. 3.
7
Esthétique, Introd. chap. II, 1ère section 3, p. 69; chap. I. 1ère sec. 3, p. 20; Les Arts plastiques, Introd. p. 29
8
cf. Lessing, Laocoon ou Des frontières de la peinture et de la poésie
9
op. cit. ibid. 3. p.19 ; 2. p. 14 et La Poésie chap. III. B. II. b. t.8 p. 282