Art as experience (1934), de John Dewey Tom Stockton 08.01.13

Commentaire : Art as experience (1934), de John Dewey
Tom Stockton 08.01.13
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C'est moi qui ai traduit toutes les citations dans ce document, pour cette raison je vous déconseille
de les réemployer tel que vous les trouvez ici.
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I Remarques initiales par rapport au texte et à l’œuvre de John Dewey:
a) Qui est John Dewey ?
Pour commencer qui est John Dewey ? à Burlington dans le Vermont en 1859, John Dewey
est selon les mots de Jean-Pierre Cometti, “l'un des piliers du pragmatisme américain”, un
philosophe de premier plan dont nous ne commençons que maintenant à dire l'importance en
France. Témoignage de ce fait: il ait fallu attendre 2012 pour que la revue philosophique Critique
“retourne à Dewey” selon les mots du titre de l'édition en question.
b) l'expérience au centre de la pensée de John Dewey
Mais pourquoi s'intéresser dans un cours d'art contemporain à un homme qui n'est ni artiste ni
critique ? Voilà ce que nous allons essayer de découvrir:
Au centre de la philosophie de Dewey est la notion de l'expérience, notion que l'on retrouve dans
les titres de ses œuvres majeures et dans le titre de l'ouvrage qui nous intéresse tout particulièrement
ici l'art comme expérience. C'est véritablement cette notion centrale qui fait que Dewey s'inscrit
dans le courant de la philosophie pragmatiste, courant fondée par Charles Sanders Peirs au tournant
du XIXe siècle.
Dans Experience and Nature , Dewey déclarait:
“Things are what they are experienced as”
Littéralement: “Les choses sont tel que nous en faisons l'expérience”.
Avant de continuer j'aimerai tout de suite adopter la proposition de Stéphane Madelrieux qui
traduit “experience” par le néologisme expériencer pour que nous puissions dire:
“les choses sont telles que nous les expérioncons”.
Plutôt que:
“Les choses sont tel que nous en faisons l'expérience”
Pourquoi ? En fait ce néologisme est plus proche de l'idée de Dewey, qui voit une continuité
entre le sujet et l'objet “expériencé”. “Faire l'expérience de” à le tord d'introduire une barrière entre
le sujet et l'objet voilà pourquoi il est bon d'abandonner cette expression.
Pour revenir au sens de cette proposition,
“les choses sont telles que nous les expérioncons”,
nous pouvons dire qu'il y a parenté entre l'expérience qu'un sujet fait d'une chose du monde et
cette chose. Autrement dit, et ceci devrait éclairer le titre de l'ouvrage, l'art n'existe pas en dehors de
notre expérience de l'art. Dans ce sens, dire qu'un objet est intrinsèquement artistique n'a pas de
sens. Si l'on veut comprendre l'art il faut comprendre l'expérience esthétique que vit le sujet en
présence des œuvres d'art.
Dans ce sens l'esthétique de Dewey est non essentialiste.
c) les limites du refus de l'essentialisme
Cette position est tout à fait novatrice dans la théorie philosophique de l'art. Mais la simple
nouveauté ne fournit pas une raison suffisante pour étudier ce texte de Dewey. Si nous précisons le
mot chose dans cette expression. pour limiter sa porté à l'art nous obtenons l'art est tel que nous
l'expérioncons”. Or une première analyse révèle cette proposition comme tautologique. Elle ne
semble pas nous avancer dans une compréhension de l'art. Les qualités qui font d'un objet, une
œuvre d'art ne sont pas explicités. A première vue il semble alors difficile pour l'historien de l'art de
se servir de cette définition pour identifier ce qui est artistique où non.
d) Des références artistiques limités
Autre fait initialement déconcertant: dans le texte que nous allons lire, John Dewey n'aura
recours, pas à une seule fois à une œuvre d'art pour servir de fondation aux arguments esthétiques
qu'il y énonce. La lecture de l'Art comme expérience que l'on n'hésite plus aujourd'hui à proclamer,
l'un des plus innovants et influents traités d'esthétique écrit aux États-Unis, se révèle être décevante
pour l'historien de l'art qui aimerait y trouver des exemples précis d’œuvres d'art en accord avec les
idées révolutionnaires qui y sont développés.
Dans la postface de la plus récente édition française de l'art comme expérience, intitulé John
Dewey et les arts visuels aux États-Unis, Stewart Buettner écrit et je cite :
“Il ne fait aucun doute que nombre des profondes transformations qui ont traversé les arts et les
lettres aux États-Unis depuis la seconde guerre mondiale seraient bien difficiles à saisir sans
référence aux théories esthétiques de John Dewey.”
En écrivant ceci Buettner rend hommage à l'importante postériet influence que la philosophie
de Dewey a eu sur l'art américain d'après guerre. Influence tout à fait déterminante pour les artistes
post expressionnisme abstrait, qui gravitaient autour de John Cage, et que nous étudions dans ce
cours.
Pourtant, c'est difficile de faire l'inverse, d'essayer de comprendre les révolutions opérés par la
philosophie esthétique de Dewey à travers les exemples déployés par l'auteur dans son ouvrage.
D'abord parce qu'elles n'abondent pas, mais aussi parce que les exemples présents, semblent
presque relever d'une autre époque, du fait de leur relative conventionna lité, contrastant ainsi avec
les théories quasiment “avant-gardistes” de Dewey.
Les artistes les plus cités sont presque exclusivement européens, et bien que très innovants en
leur temps, ils ne peuvent plus être considérés dans les années 1930 comme étant à la pointe de
l'avant garde.
En littérature c'est William Wordsworth (1770-1850) qui est le plus cité. Pour les arts plastiques
la référence semble plutôt être Paul Cézanne (1839-1906).
Pourtant, quand Dewey prononce pour la première fois ses opinions esthétiques lors d'une
dizaine de conférences organisés à Harvard au printemps 1931, des exemples plus frappants d'arts
qui transcendent les barrières délimitant les catégories essentialistes comme: peinture, sculpture,
musique, poésie etc. sont visibles et commencent à être connus dans les cercles intellectuels
américains.
e) l'extension du domaine de l'art permis par le refus de l'essentialisme
Nous venons de dire qu'une des idées clefs de l'esthétique de Dewey réside dans un refus de
définir l'art selon un critère essentialiste. C'est-à-dire, qu'il ne vas plus proposer une définition de
l'art qui exhibe une qualité intrinsèque à l'objet d'art dans le but de le séparer des autres objets du
monde environnant. La conséquence de cette position ontologique, sera que l'on ne bornera plus
l'art à des catégories définis a priori, et l'on arrivera même à mettre en doute la nécessité de parler
de l'art en tant qu'objets. (d'où le titre du livre de Dewey “l'art comme expérience”).
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Les développement de l'art post guerre vont mener des artistes comme Cage, Kaprow ou
Rauschenberg à produire plutôt que des objets classiquement identifiables comme œuvre d'arts, des
“expériences” multi sensoriels que l'on appellera des happenings ou des performances. En
regroupant ces nouvelles pratiques qui naissent à la toute fin des années 50 sous le nom de “Theatre
of mixed means”, c'est-à-dire de “théâtre des moyens mélangés”, le critique Richard Kostelanetz
insiste, en rapprochant le happening du théâtre sur l'importance de l”'expérience”- c'est évidemment
la forme artistique traditionnelle qui enjambe je plus facilement le fos entre l'art et la vie. Mais il
insiste aussi sur le mélange des genres comme en témoigne l'expression “moyens mélangés”.
Certes les happenings n'existent pas avant 1958, mais il faut considérer le travail de Kaprow, qui
emploi pour la première fois le vocable cette année là, comme l'aboutissement d'un long processus
qui petit à petit à rogné les frontières entre les “différents” arts.
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En 1931, lorsque Dewey écrit, cela fait déjà presque 20 ans que l'Armory Show de 1913, à révélé
à New York l'art européen et ses avant gardes. Le choc initial qu'avait causé la déconstruction
formelle de la figuration dans la peinture de Duchamp, est passé. Une œuvre aussi révolutionnaire
soit t elle dans sa représentation du temps et de l'espace, comme le nu de Duchamp, demeure tout de
même fixement cloîtré dans le genre de la peinture.
Selon le critère du médium, il n y a guerre de rupture entre la peinture de Duchamp et la peinture
de Cézanne que Dewey cite très souvent. Toutes deux rompent avec la tradition dans la manière
formelle d'exploiter le médium peinture sans en atteindre à ce médium.
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En comparaison le readymade de Duchamp refusé en 1917 à l'exposition de la fondation des
artistes indépendants de New York, amorce la problématique du médium de l'art, en défiant toute
catégorisation. S'agit-t-il d'une sculpture ? Et est ce seulement une œuvre d'art ?
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Dans le champ littéraire, les poètes surréalistes proposent dans le même temps des œuvres qui ne
sont plus simplement à lire mais à regarder. En comparaison les strophes de Wordsworth cités par
Dewey ne transcendent pas la catégorie de la poésie et restent alignés sur une conception ancienne
de l'art.
Au regard de ces exemples nous pouvons être déçus par le spectre restreint et parfois démodé
des références de Dewey. Mais si j'ai choisi ces exemples ce n'est pas dans le but de montrer que
déjà à son époque Dewey n'était plus pertinent pour un monde de l'art en perpétuel métamorphose,
au contraire. J'ai choisi ces exemples:
premièrement parce que Duchamp et les surréalistes vont être comme Dewey, les catalystes
du changement dans le monde de l'art qui aura lieu aux États-Unis.
Pollock va par exemple insister sur le fait que ce sont les surréalistes qui ont permis de penser la
peinture en tant qu'acte plutôt que simplement en tant qu'objet.
Mais aussi parce que l'on va trouver chez ces artistes, des perspectives communes à celles de
Dewey.
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f) Dewey et Duchamp
Avec son installation pour l'exposition de 1942, Duchamp semble combattre une perception
purement tinienne de l'art et ce qu'il nomme la tyrannie de la vision. En obstruant la vision des
peintures au moyen de ses cordes Duchamp pousse le spectateur à interagir avec l'environnement et
les œuvres. L’œuvre d'art est plus que le simple objet que l'on suspend au mur et que l'on regarde
passivement, l’œuvre d'art est un expérience une interaction entre le spectateur l'objet et
l'environnement. Nous verrons que Dewey insistera également sur la notion d’échange et de contact
entre l’œuvre l'environnement et le spectateur.
Dewey est donc dans sa théorie tout à fait en accord voir en avance sur la pensée des artistes de
son temps. Ce qui initialement apparaissait comme une faiblesse de l'esthétique de Dewey, à savoir
la définition de l'art qui ne dit rien sur la nature de l'art, devient une quali dans l'environnement
artistique post guerre. Avec une définition non essentialiste de l'art, les artistes vont pouvoir
explorer de nouveaux médiums.
Donc c'est en étant une anticipation théorique de dans certains cas une cause des transformations
de l'art que la philosophie de Dewey à un intérêt pour l'historien. Pour faire état de l'importance de
Dewey je vais au risque d'être anachronique essayer de montrer à l'appui d'exemples pris dans l'art
qui à suivi John Dewey quels conséquences la pensée de cet auteur à sur la manière de faire, de voir
et de commenter l'art.
Le Texte
II Première partie du Texte: l'expérience “normale” au fondement et comme voie d’accès à
l'esthétique
§1
Lecture
a) Première introduction à “l'esthétique naturalisée” de Dewey.
Nous allons voir que Dewey pose ici les fondations de ce que Jean-Pierre Cometti nomme une
“esthétique naturalisé”, avec cette expression il veut dire que pour Dewey l'expérience esthétique
est seulement une interaction élémentaire entre le sujet et le monde qui l'entoure, tout à fait
comparable avec n'importe quelle autre expérience ordinaire.
En fait c'est plus fort qu'une simple parenté entre les deux types d'expérience. L'idée vraiment
fondamentale que Dewey énonce ici, c'est que l'expérience artistique, donc l’interaction élémentaire
entre un sujet et quelque chose dans le monde qui entoure le sujet et qui produit sur ce sujet une
certaine satisfaction que l'on dit esthétique, est à la base une expérience tout à fait ordinaire qui a
évolué. Donc l'idée principale à retenir ici je vous la donne avec les mots de Dewey:
“[...] la qualité esthétique et artistique demeure dans chaque expérience ordinaire”.
De cette idée nous pouvons déjà tirer une première conséquence à savoir qu'il n y a pas de
différence fondamentale entre l’œuvre d'art et le reste des choses qui nous entourent dans ce monde.
b) Deux questions sur les méthodes de Dewey
Mais, comment fait il pour en arriver ? Et aussi pourquoi est ce que Dewey parle de plantes,
dans un texte sur l'art ?
(Réponse à la deuxième question:)
Je vais commencer par répondre à la deuxième question parce qu'elle nous ouvre la voie pour
répondre à la première.
Dans l'introduction j'ai annoncé que Dewey n'allait pas parler d’œuvres d'art concrètes dans ce
texte. Il écrit un texte théorique
Or comme il l'explique au par avant:
“la théorie est affaire de compréhension. Son objectif est de découvrir la nature de la production
des œuvres d'art et du plaisir que leur perception procure.”
Comme tout autre philosophe il veut donc comprendre et formuler une théorie qui explique
pourquoi une œuvre d'art produit sur nous un effet si agréable et comment l'on peut produire des
objets qui ont également cet effet sur nous.
Mais:
Il nous dit avant cela : “Ce n'est pas […] par un intérêt exclusif porté immédiatement aux
grandes œuvres d'art reconnues comme telles que l'on favorisera la compréhension de l'art et de son
rôle dans la civilisation.”
Donc on trouve ici une explication aux exemples botaniques qui inaugurent ce texte : en fait les
exemples d'arts sont des obstacles à une première compréhension de l'expérience esthétique.
Pour Dewey c'est un problème de méthodologie. Nous verrons dans le paragraphe suivant que la
philosophie de Dewey est une philosophie de l’évolution. Il est évident pour lui que l'expérience
commune à précédé généalogiquement les expériences particulières, tel que l'expérience esthétique.
Il faut donc commencer par comprendre l'expérience ordinaire et comprendre de quelle manière elle
contient les germes de l'expérience esthétique pour comprendre cette forme évolué de l'expérience,
qu'est l'expérience esthétique.
(Résponse à la première question:)
C'est ici que nous retrouvons notre première question qui était: comment fait-il pour montrer que
les qualités esthétiques sont déjà présentes dans les expériences ordinaires?
Et bien tout simplement, Dewey commence par analyser une expérience ordinaire. Cette
expérience est celle de toute personne qui cultive une plante. Il en tire deux constats:
Le premier est fort simple comme le souligne l'emploi du mot “banal” qui l'introduit, et consiste
en l’affirmation qu'il est nécessaire de comprendre “les conditions d'existence” d'une plante pour
pouvoir contrôler sa croissance et sa floraison. Ce qu'il veut dire tout simplement c'est que : Pour
faire pousser une plante dans mon appartement j'ai besoin de savoir quel quantité d'eau et de
lumière lui fournir et dans quelle type de terre la planter pour la faire pousser, si je ne sais pas
précisément ce dont la plante à besoin, la survie de la plante ne dépendra pas de moi mais du
hasard. Soulignons tout de suite cette idée qu'il faut comprendre l'effet de nos actions pour nous
considérer “auteur” d'un effet.
Jusqu'ici, ce constat semble tout à fait banal. Pourtant un détail fait que ce constat n'est pas aussi
banal que Dewey le suggère. La plante Dewey nous indique est aussi “source de beauté et de
plaisir”.
“Comprendre” pour Dewey nous l'avons déjà dit, consiste à identifier et reconnaître les
interactions entre le sujet et le monde. Identifier qu'il faut arroser une fois par semaine sa plante,
revient donc à comprendre les conditions d'existence de la plante. Et en sachant quels sont les
conséquences de nos actions sur la plante, nous en avons une expérience que Dewey nomme
“achevée”.
Cette notion de l'expérience comme “chose achevée” est à la clef de la notion d'expérience
esthétique chez Dewey. Une expérience est dite achevée lorsque “le matériau expériencé est arrivé à
son terme de manière satisfaisante”.
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