c) les limites du refus de l'essentialisme
Cette position est tout à fait novatrice dans la théorie philosophique de l'art. Mais la simple
nouveauté ne fournit pas une raison suffisante pour étudier ce texte de Dewey. Si nous précisons le
mot chose dans cette expression. pour limiter sa porté à l'art nous obtenons “ l'art est tel que nous
l'expérioncons”. Or une première analyse révèle cette proposition comme tautologique. Elle ne
semble pas nous avancer dans une compréhension de l'art. Les qualités qui font d'un objet, une
œuvre d'art ne sont pas explicités. A première vue il semble alors difficile pour l'historien de l'art de
se servir de cette définition pour identifier ce qui est artistique où non.
d) Des références artistiques limités
Autre fait initialement déconcertant: dans le texte que nous allons lire, John Dewey n'aura
recours, pas à une seule fois à une œuvre d'art pour servir de fondation aux arguments esthétiques
qu'il y énonce. La lecture de l'Art comme expérience que l'on n'hésite plus aujourd'hui à proclamer,
l'un des plus innovants et influents traités d'esthétique écrit aux États-Unis, se révèle être décevante
pour l'historien de l'art qui aimerait y trouver des exemples précis d’œuvres d'art en accord avec les
idées révolutionnaires qui y sont développés.
Dans la postface de la plus récente édition française de l'art comme expérience, intitulé John
Dewey et les arts visuels aux États-Unis, Stewart Buettner écrit et je cite :
“Il ne fait aucun doute que nombre des profondes transformations qui ont traversé les arts et les
lettres aux États-Unis depuis la seconde guerre mondiale seraient bien difficiles à saisir sans
référence aux théories esthétiques de John Dewey.”
En écrivant ceci Buettner rend hommage à l'importante postérité et influence que la philosophie
de Dewey a eu sur l'art américain d'après guerre. Influence tout à fait déterminante pour les artistes
post expressionnisme abstrait, qui gravitaient autour de John Cage, et que nous étudions dans ce
cours.
Pourtant, c'est difficile de faire l'inverse, d'essayer de comprendre les révolutions opérés par la
philosophie esthétique de Dewey à travers les exemples déployés par l'auteur dans son ouvrage.
D'abord parce qu'elles n'abondent pas, mais aussi parce que les exemples présents, semblent
presque relever d'une autre époque, du fait de leur relative conventionna lité, contrastant ainsi avec
les théories quasiment “avant-gardistes” de Dewey.
Les artistes les plus cités sont presque exclusivement européens, et bien que très innovants en
leur temps, ils ne peuvent plus être considérés dans les années 1930 comme étant à la pointe de
l'avant garde.
En littérature c'est William Wordsworth (1770-1850) qui est le plus cité. Pour les arts plastiques
la référence semble plutôt être Paul Cézanne (1839-1906).
Pourtant, quand Dewey prononce pour la première fois ses opinions esthétiques lors d'une
dizaine de conférences organisés à Harvard au printemps 1931, des exemples plus frappants d'arts
qui transcendent les barrières délimitant les catégories essentialistes comme: peinture, sculpture,
musique, poésie etc. sont visibles et commencent à être connus dans les cercles intellectuels
américains.
e) l'extension du domaine de l'art permis par le refus de l'essentialisme
Nous venons de dire qu'une des idées clefs de l'esthétique de Dewey réside dans un refus de
définir l'art selon un critère essentialiste. C'est-à-dire, qu'il ne vas plus proposer une définition de
l'art qui exhibe une qualité intrinsèque à l'objet d'art dans le but de le séparer des autres objets du
monde environnant. La conséquence de cette position ontologique, sera que l'on ne bornera plus
l'art à des catégories définis a priori, et l'on arrivera même à mettre en doute la nécessité de parler