l`énigme feydeau - Maison des arts Desjardins Drummondville

publicité
Passion
et créativité,
source de l’excellence!
Le Groupe S.M. International Inc. est fier de
soutenir les arts de la scène, reflet de la diversité,
de la vivacité et de l’excellence de notre société.
Actif depuis près de 40 ans, Le Groupe S.M. International Inc. est reconnu
comme une des plus grandes firmes de génie-conseil au Canada. Fondé
sur une culture d’entreprise qui a pour visée de préserver le patrimoine,
conserver la quiétude des communautés et veiller sur l’environnement,
SMi s’emploie à réaliser des projets au diapason des réalités d’aujourd’hui
et de demain.
De la science • aux solutions • aux réalisations
groupesm.com
Le Groupe S.M. International Inc.,
partenaire du Théâtre du Nouveau Monde!
une présentation du Groupe S.M. International inc.
Du 17 janvier au 11 février 2012
De
Georges Feydeau Mise en scène Normand Chouinard
Distribution
Carl Béchard / Adrien Bletton / Normand Carrière /
Jean-Pierre Chartrand / Violette Chauveau /
Guillaume Cyr / Alex andre Daneau / Rémy Girard / Roger La Rue /
Marie-Pier Labrecque / Véronique Le Flaguais /
Catherine Le Gresley / Danièle Panneton / Sébastien René /
Linda Sorgini / Alain Zouvi
L’équipe de création
assistance à la mise en scène et régie Geneviève Lagacé décor Jean Bard
costumes Suzanne Harel éclairages Claude Accolas musique originale Yves Morin
accessoires Normand Blais maquillages Jacques-Lee Pelletier
DOUBLE PAGE : Rémy Girard. Photo : Jean-François Gratton
58 | 59
ARGUMENT
Pontagnac attaque : après avoir suivi Lucienne Vatelin –qu’il
ne connaît pas – dans la rue, il réussit à s’introduire chez elle
pour lui déclarer son impétueux désir amoureux. Il y a quand
même des limites et Lucienne appelle son mari, qui accourt.
Mais voici que Vatelin, le mari, plutôt que de flanquer
l’importun à la porte, l’accueille cordialement : Pontagnac
est un ami. Et lorsque Vatelin comprend la situation, il traite
l’histoire avec une bienveillance amusée. Pontagnac a beau
raconter que son épouse, malade, est en cure loin de Paris,
il doit néanmoins ravaler son orgueil. Lucienne en profite pour
annoncer qu’elle ne tromperait son mari que si lui, d’abord,
la trompait. Pontagnac, évidemment, enregistre l’information.
Arrive alors un ami des Vatelin, Rédillon, épris de Lucienne –
lui aussi ! – mais depuis longtemps, tant et si bien que
Lucienne lui a promis que si elle trompait son mari, ce serait
avec lui. En attendant cet heureux moment, Rédillon ne cache
pas à Lucienne que la « bête » en lui prend le dessus et qu’il
multiplie les aventures. Surprise : arrive madame Pontagnac,
pétante de santé, qui voulait rencontrer ce fameux Vatelin que
son mari lui disait continuellement visiter. En fait, madame
Pontagnac soupçonnait son mari d’adultère chronique et
voulait en avoir le cœur net. Or se prenant immédiatement
d’amitié pour Lucienne, elle lui confie que si elle obtient la
preuve de l’infidélité de Pontagnac, elle lui rend la pareille,
le dindon
désignant sur-le-champ le fougueux Rédillon comme éventuel
amant. Tout le monde va se faire voir ailleurs et Vatelin
demeure seul en scène. Pas pour longtemps, car surgit comme
une bombe une explosive Anglaise, Maggy, qui veut remettre
ça sur le feu avec Vatelin avec qui elle avait eu autrefois une
aventure à Londres. Vatelin refuse mais comme Maggy lui
fait un chantage au suicide, il accepte d’aller la rejoindre dans
un pied-à-terre qu’elle a loué au 48, rue Roquépine. Maggy
est à peine sortie que débarque chez Vatelin un autre ami,
Soldignac, un British né à Marseille (imaginez l’accent !)
qui se trouve à être l’époux de Maggy. La situation se corse :
il a besoin de Vatelin, avocat de profession, pour préparer les
papiers de divorce. Il sait que son épouse a donné rendez-vous
à son amant rue Roquépine et il a prévenu un commissaire
de police afin que l’adultère soit constaté en flagrant délit.
Paniqué, Vatelin confie ses ennuis à Pontagnac, qui lui
suggère de donner rendez-vous à Maggy à l’Hôtel Ultimus.
Vatelin accepte l’idée et dès qu’il a le dos tourné, Pontagnac,
triomphant, court vers Lucienne pour qu’elle l’accompagne
à l’hôtel en question afin qu’elle soit témoin de l’infidélité de son
mari. Vatelin retombera-t-il dans les bras de Maggy ? Pontagnac
sera-t-il l’heureux instrument de la vengeance de Lucienne ?
Avec qui Rédillon rédilleronnera-t-il ? Tout va se jouer à
l’Hôtel Ultimus !
Paul Lefebvre
60 | 61
L’ÉNIGME FEYDEAU
Un théâtre victime de sa réputation
La cause de Feydeau est depuis longtemps entendue : ses comédies, d’une grande habileté
technique, à l’humour irrésistible, sont d’une redoutable efficacité. Elles sont au théâtre
ce que le chatouillement est au rire : une question de stimulus.
Mais attention, en théâtre, l’humanité fait vite son ménage : les pièces qui ne
saisissent que l’air de leur temps – même si elles le saisissent bien – vieillissent mal.
Une comédie qui aura fait crouler de rire les salles à sa création tombe habituellement
des mains du directeur de théâtre qui, trente ans plus tard, voudrait la reprendre : tout
semble daté, artificiel, fabriqué… Or, on monte toujours Feydeau.
Au tournant du 20e siècle, lorsque Georges Feydeau écrit et met en scène ses comédies,
on crée en saison chaque semaine à Paris entre dix et quinze pièces. Comme le cinéma
est dans sa petite enfance et que la radio et la télévision n’ont pas encore été inventées,
le théâtre est encore la plus puissante technologie de communication directe que l’on
connaisse. Des vaudevillistes de ce temps, Labiche, qui meurt en 1888 au moment
où Feydeau commence sa carrière, est encore un peu monté aujourd’hui, en tout cas
davantage que Courteline, un contemporain de Feydeau, que l’on lit encore par curiosité
mais que l’on ne produit plus qu’exceptionnellement. Les dizaines d’auteurs à succès qui
fournissaient les théâtres de Paris avant d’inonder les théâtres commerciaux d’Europe
et d’Amérique sont tombés au fond des poubelles de l’histoire, même Flers et Cavaillet,
les auteurs de L’Habit vert, dont la popularité était immense dans les années d’avant-guerre.
Or non seulement le théâtre de Feydeau a survécu à son auteur, il n’a jamais tout à fait
quitté l’a∞che et, depuis la reprise du Dindon à la Comédie-Française en 1951, s’est placé
tout à côté des œuvres de Molière au cœur du répertoire comique français – et mondial.
Les œuvres théâtrales qui traversent l’Histoire portent des vérités essentielles sur
la condition humaine et témoignent en profondeur de ce que leur époque a révélé à
Portrait de Feydeau par Carolus, Duran, Musée des Beaux-Arts de Lille
le dindon
l’humanité. Ainsi, le théâtre de Georges Feydeau, au-delà de la qualité de sa fabrication,
porte un regard unique et pénétrant sur ce 20e siècle qui s’ouvre, mettant en lumière ce
que bien peu d’esprits percevaient : la fin de l’humanisme.
Un homme de la Belle Époque
La Belle Époque, c’est cette période de prospérité satisfaite d’elle-même qu’a connue la
France entre deux boucheries : elle naît de la débâcle de la guerre franco-allemande et
de l’écrasement de la Commune de Paris en 1870 pour mourir en 1914 dans les tranchées
boueuses de cette guerre, pourtant annoncée « fraîche et joyeuse ». En établissant par
décret
la liberté d’entreprise en 1864, le Second Empire a donné une formidable poussée
e
aux gens d’a≠aires et, en libéralisant la presse et les réunions publiques, a pavé le chemin
pour le retour d’un gouvernement républicain. Mais la Troisième République, établie en
1870, ne sera pas révolutionnaire comme les deux précédentes constitutions républicaines
françaises. Son premier président, Adolphe Tiers, déclarera d’emblée : « La République
sera conservatrice ou ne sera pas. » L’aristocratie, qui avait bravement résisté pendant
un siècle au grand choc de la Révolution française, perd alors définitivement le pouvoir
au profit des gens d’a≠aires. L’acier remplace la pierre, la photographie chamboule la
peinture, l’usine détruit l’atelier. Et pendant que Darwin chasse l’homme du centre de
l’univers et que Freud lui apprend qu’il n’est pas maître de sa propre psyché, cette nouvelle
société laisse Dieu mourir d’inanition – mais sera scandalisée lorsque Nietzsche publiera
son certificat de décès. Les nouveaux héros sont industriels comme Eugène Schneider et
ingénieurs comme Gustave Ei≠el. Désormais, le monde est une grande mécanique dont
l’argent est à la fois le carburant et le produit.
Qu’il soit homme d’a≠aires, avocat, commerçant, architecte ou médecin, le bourgeois parisien de la Belle Époque emmène son épouse légitime à la Comédie-Française
et sa maîtresse dans les théâtres de boulevard. Pour s’encanailler, il sort entre hommes
aux Folies-Bergères, au Moulin-Rouge ou au Bal des Quat’Zarts comme Lucien dans
Feu la mère de madame. Il ne demande pas au théâtre d’être un lieu de pensée ou de
révélation esthétique, mais d’être un solide divertissement, sentimental ou comique,
peu importe. Le nouveau régime politique – conservateur – favorise ce type de théâtre,
t
coupant
les subventions et laissant l’art dramatique se débrouiller avec le jeu de l’o≠re et
de la demande. Au milieu de ce théâtre génialement conventionnel, où les artisans font
preuve d’un très solide métier, quelques expériences radicales ressortent comme le théâtre
naturaliste d’André Antoine – avec un vrai quartier de bœuf sur scène – ou encore l’irruption du père Ubu dont le Merdre ! retentissant est un cri de colère contre ce monde qui
n’est plus qu’une pompe à phynance. Pendant que l’on retient ces moments de l’histoire
du théâtre – une ou deux représentations jouées devant quatre cents personnes – les
524 représentations de La Dame de chez Maxim que Feydeau a créée en 1899 témoignent
de son immense popularité.
62 | 63
Une vie parisienne
Georges Feydeau (1862-1921) nage comme un poisson dans l’eau au sein de cette nouvelle
élite sociale dans laquelle il est né et d’où il ne bougera pas, au propre et au figuré, pour
le reste de ses jours. Fils d’un spécialiste des civilisations anciennes, doublé d’un romancier libertin, et d’une bellissime femme du monde à qui l’on prête maintes aventures,
Georges Feydeau est un fils à papa pur style parisien. Dilettante dans ses études, il est dès
l’enfance attiré par le théâtre. Il n’a que 19 ans quand ses monologues, que jouent dans les
salons les plus grands acteurs de son temps, établissent son nom. En 1883, sa première
pièce, Tailleur pour dames, remporte un succès remarqué. Mais il lui faut alors attendre
neuf ans et endurer une série d’échecs avant que le succès ne lui revienne avec Monsieur chasse
en 1892. À partir de ce moment, sa bonne fortune ne le lâche plus, ponctuée de triomphes
comme Un fil à la patte (1894), L’Hôtel du libre-échange (1894), Le Dindon (1896), La Dame de
chez Maxim (1899) et La Puce à l’oreille (1907). Doté de l’intelligence des paresseux, il écrit
ses pièces sans plan, développant des enchaînements de péripéties d’une complexité
redoutable, mettant parfois en répétition ses pièces alors que le troisième acte n’est même
pas encore écrit…
Noctambule invétéré, collectionneur de tableaux et peintre du dimanche, perdant
des sommes sidérantes au jeu et à la Bourse, il mène une vie d’oisiveté, sauf lorsque son
compte en banque exige d’être renfloué ; il crée alors une pièce à succès, la seule façon
qu’il connaisse de gagner sa vie. Marié par distraction en 1899, il quitte femme et enfants
(quatre !) dix ans plus tard lorsqu’il découvre que son épouse (négligée !) le trompe.
Il emménage à l’hôtel, écrivant dans la foulée les féroces courtes comédies
conjugales qui couronnent brillamment son œuvre, dont Feu la Mère de madame (1908),
On purge bébé (1910) et Mais n’te promène donc pas toute nue (1911).
À partir de la guerre, son activité ralentit puis, le cerveau ravagé par la syphilis,
il passe les deux dernières années de sa vie en maison de santé, se prenant pour Napoléon III
dont le frère, le duc de Morny, était selon la rumeur son père biologique.
Affiche de la pièce La Dame de chez Maxim de Feydeau, lithographie de A. Gallice, 1899
le dindon
Un théâtre nouveau
« Si tu veux faire rire, a dit un jour Feydeau à son fils Michel, prends des personnages
quelconques. Place-les dans une situation dramatique et tâche de les observer
sous l’angle du comique. » Au peintre et mémorialiste Michel Georges-Michel,
il avait expliqué : « Je pars toujours de la vraisemblance. Un fait – à trouver ! – vient
bouleverser l’ordre de marche tel qu’il aurait dû se dérouler. Et j’amplifie l’incident.
Si vous comparez la construction d’une pièce de théâtre à une pyramide, on ne doit
pas partir de la base pour aboutir au sommet, comme on a fait jusqu’ici. Moi, je
pars de la pointe et j’élargis. » C’est tout à fait le schéma dramaturgique du Dindon.
La situation de départ est vraisemblable : un homme, Pontagnac, réussit à s’introduire
chez une femme qu’il poursuit sans la connaître. Surgit le mari, qui se révèle être un ami
de Pontagnac : un drame ordinaire tourne à l’imprévu et Feydeau nous donne la bonne
perspective pour que le comique de la situation prenne le dessus.
Mais, à travers ces enchaînements et ces multiplications de situations, Feydeau
porte un regard novateur sur la sou≠rance humaine. Les personnages d’Un fil à la
patte ou du Dindon ne sont ni victimes du destin – comme dans la tragédie antique –
ni victimes des hommes comme chez Shakespeare, Racine, Molière, Goldoni, Hugo,
Labiche, Strindberg ou Ibsen. Ils doivent leurs malheurs à de bêtes enchaînements
de hasards dont les inévitables conséquences se développent avec une froide logique
pour créer des contraintes d’une complexité inhumaine. Ce qui abat les personnages de Feydeau, ce ne sont ni les dieux ni les hommes, c’est l’infiniment complexe.
L’auteur lance ses personnages – des gens ordinaires – dans un monde théâtral à l’image
du monde nouveau, le monde industriel ; Feydeau crée un modèle analogique du monde
moderne, ce monde dépouillé de tout enchantement, abandonné par Dieu, où règne
une e∞cacité mécanique qui se moque de l’humain et dont personne ne peut plus
comprendre les rouages. Pas étonnant que le philosophe français Henri Bergson décrit
en 1911 le rire comme étant de la « mécanique plaquée sur du vivant ». Feydeau, en fait,
est le premier auteur à écrire la fin de l’humanisme, ouvrant la voie à Kafka.
À première vue, les personnages de Feydeau semblent obsédés par le sexe et l’argent.
C’est faux. Ils ne sont obsédés que par le sexe : monsieur ne peut pas se permettre de
divorcer de son épouse parce que c’est avec les intérêts de la dot qu’il peut entretenir
sa maîtresse. Feydeau, à travers ces êtres, pantins pitoyables d’un désir sexuel qui ne
renvoie qu’à lui-même, jette sur l’humain un regard aussi dur, aussi clinique que ses
contemporains Freud, Wedekind ou Zola. Et dans ce théâtre où les personnages portent
des noms aussi chargés que Rédillon, Toudoux, Folbraquet, Follavoine ou Paillardin,
on ne cesse de s’empêtrer dans une sexualité aux ardeurs aussi prévisibles qu’implacables.
Le grand metteur en scène français Antoine Vitez racontait qu’en atelier, il avait demandé
à ses comédiens de jouer avec intensité et lenteur des scènes de Feydeau : « Cela devenait,
disait-il, la chose la plus triste et la plus sinistre que l’on puisse imaginer. »
Feydeau a créé le théâtre de l’âge de la machine, une machine qui, à cause de sa
complexité, est devenue indépendante des humains qui l’ont conçue et qui file vers le
désastre comme la locomotive folle à la fin de La Bête humaine de Zola. L’âge de la machine
s’est éteint avec le 20e siècle, mais parmi les malédictions dont notre siècle naissant a
hérité du siècle précédent, il y a celle-ci : nous vivons dans un chaos artificiel impossible
à maîtriser et dont nos vies sont, hélas !, tributaires. Voilà pourquoi Feydeau nous fait
rire et, à travers ce rire, nous parle.
Paul Lefebvre
64 | 65
Théâtre de boulevard
et théâtres des boulevards
Le théâtre de boulevard tire son nom du type de théâtre populaire que l’on jouait au
début du 19e siècle dans les théâtres du boulevard du Temple, qui prend dans les années
1820 le surnom de « boulevard du Crime » à cause de tous les sanglants mélodrames
que l’on y présentait. Quelque cent vingt ans plus tard, Marcel Carné, dans son film
Les Enfants du paradis, a su rendre de façon plausible l’atmosphère de cette première
période du boulevard où les comédies d’intrigue, les vaudevilles, les pantomimes et
les mélodrames réunissent dans les mêmes salles les classes sociales les plus diverses :
ouvriers, gens du demi-monde, bourgeois, aristocrates, criminels...
C’est un univers coloré que ce boulevard où l’on trouve le Théâtre de l’Ambigu-comique,
le Théâtre de la Gaîté, le Théâtre de la Porte Saint-Martin et le Théâtre des Funambules,
ainsi que des établissements comme le Théâtre des Beaujolais (spécialisé dans les
marionnettes), le Théâtre de madame Saqui (une fabuleuse acrobate), le Théâtre des
Variétés-Amusantes, le Théâtre des Délassements-comiques, le Cirque Olympique et le
Panorama dramatique, sans oublier le Petit Lazari où s’assemblent les gavroches. Mais, en
1862, ce monde bigarré disparaît brutalement : le baron Haussmann, dans son entreprise
de modernisation de Paris, détruit le boulevard du Crime et la plupart de ses théâtres.
Mais le théâtre de boulevard renaît rapidement. Toutefois, il ne rassemble plus dans
les mêmes lieux parfois louches les diverses classes sociales. Ce nouveau théâtre de
boulevard naît de la formidable impulsion que donne sous le Second Empire
l’établissement du principe de libre-entreprise. Non seulement les gens d’a≠aires veulent
un théâtre qui leur plaise, ils investissent massivement – comme dans les autres capitales
d’Europe à la même époque – dans la création de théâtres commerciaux.
À Paris, ces théâtres se regroupent dans le quartier de la rive droite que quadrillent
les boulevards de la Madeleine, des Capucines, des Italiens, Montmartre, Poissonnière
et Bonne-Nouvelle. Ce quartier devient pendant la Belle Époque le cœur de la vie
mondaine, intellectuelle, artistique et théâtrale de Paris. La zone située entre la place
de la République et la place de la Madeleine prend le nom de « quartier des théâtres » :
on y trouve une quinzaine de théâtres et lieux de spectacle dont l’Eldorado, le Théâtre
Déjazet, les Folies-Dramatiques, le bon vieux Théâtre de la Porte Saint-Martin (incendié
pendant la Commune et reconstruit au même endroit) et le Théâtre de la Renaissance –
sans parler des cafés et des restaurants les plus fréquentés de l’époque comme la Maison
d’Or et le Café Napolitain.
Le théâtre qu’on y présente mêle la gravité et le sérieux, mais se caractérise par
le recours à des formules éprouvées : aux comédies d’intrigue des Flers et Cavaillet
répondent les satires sociales de Georges Courteline et le théâtre aux thèses psychologiques et sociales d’Henry Bataille et Henry Bernstein, sans parler des pièces écrites
sur mesure par Victorien Sardou pour les grandes vedettes du temps comme Réjane
ou Sarah Bernhardt. Cette dramaturgie, qu’elle soit comique ou dramatique, est d’une
le dindon
prodigieuse e∞cacité ; elle est traduite et produite dans toutes les capitales, que ce soit
New York, Berlin ou Rome. Pirandello se moque d’ailleurs de cette hégémonie du théâtre
commercial français au premier acte de ses Six personnages en quête d’auteur.
Si le théâtre de boulevard décline avec la fin de la Belle Époque, il perd définitivement son influence artistique avec la crise économique et la Seconde Guerre mondiale.
Mais le genre perdure, même si l’époque où les auteurs comme Feydeau inventaient cette
nouvelle mécanique théâtrale est révolue. Avec son savoir-faire complexe, sa dramaturgie
où l’e∞cacité tourne le dos à l’innovation et, surtout, sa recherche de l’e≠et – comique
ou dramatique – plutôt que de la poésie qui permet une richesse de sens, le théâtre de
boulevard, parfois idiot, parfois intelligent, fait encore courir les foules qui cherchent
essentiellement un théâtre de divertissement. (P. L.)
Normand Chouinard et Louise Marleau dans Le Dindon de Feydeau, m.e.s. André Brassard, TNM, saison 1978–1979.
Photo : André Le Coz
66 | 67
DE THÉÂTRE ET DE MUSIQUE
YVES MORIN
Homme de musique autant qu’homme de théâtre, à l’aise avec l’équipe délirante de Poésie,
sandwichs et autres soirs qui penchent , orchestrée par Loui Mau≠ette, comme sur la glace
de la Ligue nationale d’improvisation – dont il a été l’arbitre en chef de 1998 à 2005 –,
Yves Morin s’est a∞rmé au cours des dix dernières années comme un étonnant passeur
entre musique et théâtre avec une cinquantaine de conceptions musicales, sonores ou
vocales. Ouvert, volontiers rieur, prodigieusement heureux en groupe, il privilégie pourtant « les moments de solitude que demande le travail de composition », quand tout prend
forme dans sa tête.
Après avoir obtenu sa maîtrise en musique de l’Université de Montréal, il entre comme
professeur de chant au Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 1994 et, sous
l’impulsion de Normand Chouinard alors directeur du Conservatoire, il devient rapidement
le musicien maison. Il y signe en 1998 une première conception complète pour
La Nuit des rois de Shakespeare montée par Martine Beaulne ; mais c’est la création l’année
suivante de la pièce de théâtre musical Code 99 de François Archambault par Normand
Chouinard qu’il considère comme le point tournant de sa carrière : « Pour la première
fois, dit-il, on me donnait carte blanche pour créer un univers musical complet, avec des
orchestrations aussi complexes que je le désirais. »
Yves Morin apporte au théâtre une conception de la musique qui s’insère avec une
souplesse inouïe parmi les autres éléments de la représentation. Car il est aussi un homme
de mots qui a traduit dans une langue d’un naturel confondant pour Denise Filiatrault
et le Théâtre du Rideau Vert des comédies musicales comme Sweet Charity, Cabaret et
Yves Morin dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, m.e.s. Normand Chouinard, TNM, saison 2008–2009. Photo : Yves Renaud
le dindon
My Fair Lady. Cet amour des mots le porte aussi vers la poésie ; il présente depuis quelques
années, avec la comédienne et chanteuse Martine Francke, un récital de chansons de
Jacques Prévert intitulé Prévert près de nous.
« Lorsque je crée une musique pour une pièce de théâtre, j’essaie de dire des choses qui,
dans le texte, ne sont pas nommées mais qui sont là sous les mots, explique-t-il. En fait,
j’essaie d’ajouter une couche de sens au même titre que d’autres langages de la représen­
tation comme la scénographie, les costumes ou l’éclairage. La musique fait partie du tout
et influence les autres éléments du spectacle : si la musique est mélancolique, le comédien
dans son jeu n’a pas à appuyer la mélancolie de son personnage. »
Sa connaissance encyclopédique des styles musicaux, de leur histoire, fait de lui
un créateur fascinant, capable de transposer en musique le regard contemporain qu’un
metteur en scène pose sur un texte du passé. Il a aussi bien créé des musiques pour
Claude Poissant (Unity, mil neuf cent dix-huit de Kevin Kerr) que pour Frédéric Blanchette
pour son texte Le Périmètre et À Présent de Catherine-Anne Toupin, Reynald Robinson
(Le Diable en partage de Fabrice Melquiot, Je voudrais [pas] crever de Marc-Antoine Cyr)
ou Jean-Guy Legault (L’Honnête Fille et Les Jumeaux vénitiens de Goldoni). Au TNM, il a
travaillé avec les metteurs en scène Carl Béchard (L’Imprésario de Smyrne de Goldoni et
Le Malade imaginaire de Molière), Jean-Guy Legault (Rhinocéros d’Ionesco) et Normand
Chouinard – qu’il retrouve pour Le Dindon – pour qui il a déjà signé les musiques de
L’Hôtel du libre-échange de Feydeau, Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, où il jouait
également la musique sur scène, et d’Ubu roi de Jarry. « Avec Normand, je ne sais
jamais d’avance où nous allons aller ; il a un talent particulier pour me surprendre
artis­tiquement. Pour ce qui est de Feydeau, Normand et moi avions utilisé des chansons
grivoises de la Belle Époque lorsque nous avions travaillé sur L’Hôtel du libre-échange.
Cette fois-ci, j’aimerais faire ressortir l’humanisme qui se cache derrière la drôlerie
de l’auteur. » Mais surtout, pour lui, toujours, la musique doit trouver sa juste place :
« La musique devient précieuse parce qu’il y a du silence », aime-t-il rappeler. (P. L.)
Rémy Girard, Violette Chauveau, Pierrette Robitaille, Benoît Brière dans L’Hôtel du libre-échange de Feydeau,
m.e.s. Normand Chouinard, TNM, saison 2003–2004. Photo : Yves Renaud
68 | 69
Normand Chouinard. Photo : Yves Renaud
NORMAnD CHOUINARD
le rire de la sagesse
C’est avec un Feydeau, L’Hôtel du libre-échange, que Normand Chouinard fait en 2004 son
entrée comme metteur en scène au TNM. Auparavant, bien sûr, il y a déployé ses talents
de comédien, faisant ses débuts en 1976, alors que Jean Dalmain – qui avait l’œil – a
engagé pour Mangeront-ils ? de Victor Hugo ce grand garçon encore un peu dégingandé
fraîchement débarqué de Québec. Né à Sainte-Foy en 1948, Normand Chouinard découvre
le théâtre dès l’adolescence mais c’est en droit qu’il étudie, à l’Université Laval. Or ces
années-là, la troupe étudiante de l’université, la fameuse troupe de théâtre Les Treize,
est probablement dans la période artistique la plus forte de son histoire, alors qu’on y
explore cette méthode de création nouvelle qu’est la création collective, afin de rendre
compte du Québec né de la Révolution tranquille. Même si Normand Chouinard est un
des éléments forts et actifs de la troupe, ce n’est qu’après avoir été reçu au Barreau que le
jeune avocat spécialisé en droit administratif s’inscrit – avec son ami Rémy Girard – au
Conservatoire d’art dramatique de Québec. Rapidement, le Théâtre du Trident fait appel
à son talent alors qu’il devient une présence régulière au Théâtre du Vieux-Québec où
il crée des spectacles de cabaret et des créations collectives comme Le Club Frank « Éros »
Robidoux, qui séduit tellement Jean-Claude Germain que le spectacle et sa jeune équipe
sont invités au Théâtre d’Aujourd’hui. Rapidement, la télé s’empare de ce comique
naturel – rappelons-nous Du tac au tac et Samedi de rire – doublé d’une sensibilité
prodigieuse comme le révèle le film de Jacques Leduc Trois Pommes à côté du sommeil.
Au TNM, il a marqué l’histoire de la compagnie par des interprétations mémo­rables
comme le rôle-titre dans Tartu≠e, mis en scène par Olivier Reichenbach, Arnolphe
dans L’École des femmes, Zanetto et Tonino dans Les Jumeaux vénitiens, Vladimir dans
En attendant Godot et le rôle éponyme dans Don Quichotte. Homme de théâtre d’une culture
prodigieuse, Normand Chouinard incarne pour notre milieu la grande tradition théâtrale
qu’il transmet avec générosité et chaleur. (P. L.)
le dindon
La fin
du monde est chez
Feydeau
Entretien avec
NORMAND CHOUINARD
Dans quel monde vit Georges Feydeau ? Deux périodes m’intéressent particulièrement
au 19e siècle et au début du 20e siècle : la Révolution française de février 1848 et la période
entre la chute de Napoléon III en 1870 et le début de la Première Guerre mondiale.
Ce sont pour moi les deux principales étapes de la prise du pouvoir par la bourgeoisie –
autrement dit les gens d’a≠aires. La première a été épinglée par Labiche, la seconde, par
Feydeau. Au cours du 19e siècle, cette prise du pouvoir se fait par secousses : industrialisation, développement subséquent des Bourses et de la libre entreprise, tant et si bien
qu’à l’époque de Feydeau, le pouvoir réel a échappé à la classe politique. Ce ne sont plus
les pressions politiques qui vont déclencher les guerres, mais l’avidité des industriels.
Cette nouvelle classe au pouvoir est d’un humanisme limité et d’une culture douteuse ;
en fait, la bourgeoisie de Feydeau est aussi intéressante que celle de Balzac, elle est à
peine un peu plus ra∞née…
La France de cette époque est une nation qui a réussi et qui se retrouve en position de
tête. Les finances sont florissantes. Les arts et métiers sont à la fine pointe de la nouveauté ;
c’est à Paris que l’on construit la Statue de la Liberté. Les grands projets d’ingénierie,
comme le canal de Suez, sont français. Les grandes expositions universelles de 1889 et
1900 font de Paris le centre du monde, remplaçant l’hégémonie anglaise.
Feydeau regarde son époque d’un œil détaché. La France a beau être au sommet du
monde, Feydeau, obscurément, en prévoit la chute. L’époque, déjà, montre des signes
d’engourdissement ; l’absinthe est bonne pour tout le monde… Le regard de Feydeau,
en fait, mène à celui d’Alfred Jarry : le père Ubu et les bourgeois inconséquents de Feydeau
appartiennent au même monde.
Que voit l’ « œil détaché » de Feydeau ? La France a beau être au bord du gou≠re –
qui se concrétisera par la Première Guerre mondiale – Feydeau n’a rien d’un alarmiste ou
d’un révolutionnaire. C’est un dilettante. Il n’est même pas un travailleur des lettres comme
Zola, son contemporain. Il grandit dans un milieu social aisé ; sa famille connaît l’empereur.
Son père est un personnage d’une grande tristesse ; il est un intellectuel reconnu,
il écrit aussi des romans libertins, il se délasse en peignant. Mais il est aussi, de toute
évidence, un amant faible. La mère de Feydeau est connue pour ses aventures, elle sort
70 | 71
Clémentine Labrecque, Sandrine Chauveau-Sauvé, Émilie Dionne, Guillermina Kerwin et Alain Zouvi
dans L’Hôtel du libre-échange de Feydeau, m.e.s. Normand Chouinard, TNM, saison 2003–2004. Photo : Yves Renaud
continuellement, c’est une mère absente. Il y a dans cette vie familiale un parfum de
futilité. Pour le jeune Feydeau, qui reçoit sans faire d’e≠orts une éducation dans un bon
collège, tout va bien. Pourquoi s’en ferait-il ? Il est attiré par le théâtre et commence dans
le monde du spectacle en écrivant des monologues pour les comédiens connus de son
temps. Puis vient son époque de maturité où il écrit des pièces à la mécanique de plus en
plus complexe, comme Le Dindon, puis vient la dernière période de son œuvre où il règle
ses comptes avec sa femme et la vie domestique. Feydeau est un homme qui fréquente
activement la société de son temps, mais qui demeure en retrait. Dans les cafés, il s’assoit
au fond, il garde la tête froide. Il passe ses nuits chez Maxim à une table au carrefour des
salles – ce qui lui permet de tout observer – en buvant de l’eau de Vittel qu’on lui sert à
sa demande dans une bouteille de champagne. Feydeau regarde l’insouciance satisfaite
de la Belle Époque se déployer autour de lui et semble se dire : rigolons parce que cela ne
durera pas. Les grands humoristes de l’Histoire – dont Feydeau fait partie – sont cruels,
ils ont la dent féroce, mais se moquent avec intelligence.
Pourquoi joue-t-on encore Feydeau alors qu’on ne monte plus ses contemporains ?
Il y a bien sûr son e∞cacité, mais cela va au-delà de cette caractéristique. Oui, il y a des
bons mots dans son théâtre, mais c’est de son temps – pensons à Tristan Bernard – et ce
n’est pas le cœur de son œuvre. Dans son théâtre, les situations se répètent – tromperie,
cocufiage, adultère – mais c’était à la mode ; sauf que Feydeau pousse ses mécaniques
à fond. À mesure qu’il écrit des comédies, il se lance des défis, ajoutant encore plus de
personnages, encore plus de péripéties. C’est comme quelqu’un qui vient de réussir un
château de cartes de huit étages et qui, au prix de tout faire s’e≠ondrer, décide d’en ajouter
un neuvième ; le théâtre de Feydeau, c’est ça : tout est toujours sur le point de s’écraser,
mais ça tient le coup.
Puis il abandonne ces mécaniques abracadabrantes, dont Le Dindon et La Dame de chez
Maxim sont les plus complexes et les plus réussies, pour un théâtre d’une cruauté terrible
que sont les courtes comédies sur le mariage qu’il écrit dans le dernière période de sa
carrière. Il se défoule des aléas de la vie de famille et du mariage bourgeois avec des pièces
comme On purge bébé ! où ça sent le pot de chambre, les couches et les vomissements.
le dindon
Ubu roi d’Alfred Jarry, m.e.s. Normand Chouinard, TNM, saison 2006–2007. Photo : Yves Renaud
Il n’aimait pas s’occuper de ses enfants et il se venge sur scène des horreurs quotidiennes
de la vie de famille.
Mais il faut faire attention, car la mécanique chez Feydeau est si brillante qu’elle
peut facilement faire disparaître la critique sociale. Dans mes mises en scène, je veux
éviter la caricature boursouflée mais je veux garder la férocité. Ce n’est pas de l’adultère
de haut vol comme dans Partage de midi de Claudel, écrit à la même époque. Ce sont des
histoires sans envergure, où l’on couche avec la femme de son meilleur ami dans des
hôtels de troisième catégorie où le personnel se fiche de tout. Feydeau dresse le portrait
de gens qui ont de petits destins mesquins…
Quels sont pour vous les défis de mettre en scène Le Dindon ? Il y a deux façons
d’aborder les classiques. La première est de faire des relectures radicales : dépaysement
chronologique, voire modification du texte. La seconde est ce que j’appelle, en hommage
à Hergé, la ligne claire. En fait, je voudrais être le Fernand Seguin du théâtre de répertoire :
redonner l’œuvre dans sa plénitude originale. Je ne suis pas partisan d’une relecture quand
la plupart des gens dans le public n’ont pas eu de première lecture d’une œuvre. Ce qui
veut dire pour moi respecter les conventions de Feydeau, ce qui inclut les éléments de
réalisme qu’exige son théâtre. Dans Le Dindon, Feydeau impose trois décors : le salon chez
Vatelin, la chambre 39 à l’Hôtel Ultimus et le fumoir chez Rédillon. Tout cela demande
de gérer les changements de décor et les entractes. Je pense aussi à mettre la pièce en
contexte ; je prévois écrire un prologue qui mettra en scène la compagnie du Théâtre du
Palais-Royal (où a été créée la pièce) se préparant avant la représentation. Le directeur
du théâtre annonce aux comédiens qu’un commanditaire important sera ce soir-là dans
la salle. Il faut lui plaire, il faut même ajouter des chansons vu qu’il aime ça… Je veux
montrer le théâtre face à un homme de pouvoir, un homme d’argent, un homme critique
selon ses critères à lui, un homme qui a les moyens de ses caprices et dont la première
préoccupation est de faire plus d’argent.
Mais globalement, avec Feydeau, il faut pousser la mécanique. C’est un rythme : il faut
suivre la musique de la langue. Ce qui veut dire : faire confiance à l’intelligence des
spectateurs et… à la diction des comédiens !
Propos recueillis et mis en forme par Paul Lefebvre, avril 2011.
72 | 73
RÉMY GIRARD
Comédien pluriel
Nous avons tous l’impression de connaître Rémy Girard. Bien sûr, il fait partie
intégrante de notre paysage culturel, mais c’est surtout par la qualité unique de sa
présence, faite d’intensité, d’intimité, que nous ressentons un sentiment d’identification.
Voilà un comédien marqué par l’amour : celui du public comme de ses pairs, qui lui
permet de transcender ses personnages, de franchir la ligne ténue qui sépare les territoires
de l’imaginaire et de la réalité. Nous avons tous l’impression de le connaître parce qu’il
magnifie l’un ou l’autre de nos travers, de nos traits de caractère. Qu’il personnifie à lui
seul les figures familières de nos vies : famille, voisin, parent, collègue, ami. Bouleversant
de vérité, il réussit à se glisser dans le secret de nos cœurs, à nous parler avec l’accent de
nos voix intérieures, à faire vibrer cette parcelle d’humanité en chacun de nous : notre
fragilité. Don d’ubiquité Aussi incroyable que sa trajectoire professionnelle puisse l’être,
Rémy Girard est demeuré un véritable artisan, qui considère humblement « avoir bien de la
chance de pouvoir exercer son métier de toutes les façons possibles ». Ses premières années
à Québec sont consacrées à la création, notamment avec le Théâtre Parminou, dont il est l’un
des fondateurs, et le Théâtre du Vieux-Québec où il écrit, joue, dirige et gère la compagnie
avec ses camarades. « Je ne suis pas arrivé à Montréal les mains vides, j’avais déjà en poche
des rencontres qui allaient s’avérer déterminantes dans ma vie et pour la suite des choses :
mon ami Normand Chouinard, côté personnel, Michèle Rossignol et Jean-Claude Germain,
côté théâtre, et enfin, Denys Arcand, côté cinéma. » La cadence de travail s’accélère et devient
très rapidement, pour ce passionné, une manière de vivre. « J’ai toujours détesté la routine.
J’ai besoin d’être sollicité par di≠érents défis, de m’immerger dans plusieurs environnements de travail. Au quotidien, ça veut dire être partout à la fois : enseigner à l’École nationale
de théâtre, jouer au théâtre, répéter une série télé et préparer un rôle au cinéma. J’adore. »
Le monde sur un plateau Cet appétit vorace pour le travail reflète sa passion pour la vie,
qui lui a permis d’immortaliser sur scène quelques-uns des plus grands rôles du répertoire
et de créer des personnages inoubliables dans des téléséries. Mais c’est le cinéma qui, depuis
les années 80, o≠re à Rémy Girard le monde… sur un plateau. « Je n’ai pas décidé qu’il
serait bien pour ma carrière de faire un film par année, en moyenne ! Ce sont des cadeaux
que l’on m’o≠re et que je ne peux refuser. L’exigence du cinéma est la même qu’à la scène
ou à la télé, elle prend simplement une autre forme. Et c’est justement dans cette nouveauté
que je trouve ma stimulation. » L’homme de la maison Si Rémy Girard trouve un équilibre
dans le changement, il y a certaines valeurs qui sont, pour cet homme profondément loyal
Pierrette Robitaille et Rémy Girard dans Les Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare, traduction Normand Chaurette,
m.e.s. Yves Desgagnés, TNM, saison 2001–2002. Photo : Yves Renaud
le dindon
et fidèle, immuables. Des ancres jetées dans une vie mouvementée qui l’amène souvent
– et pour de longues périodes – loin de chez lui, cinéma oblige ! Ses amitiés de longue date,
son engagement indéfectible envers ses proches et le TNM : « C’est ma maison. J’y reviens
toujours parce que je n’en suis jamais très éloigné. J’y ai vécu de grands moments de plaisir,
de partage, de satisfaction intense. Des moments de rencontres magnifiques avec le public.
C’est aussi ma famille. » Il s’agit là d’une autre constance dans la vie du comédien : les liens
dans le travail. Tous ensemble au service d’une œuvre. C’est à cela que se mesure la grandeur
de Rémy Girard. Non pas au nombre de récompenses qu’il a remportées, à l’envergure des
rôles qu’il a joués, à la renommée des films auxquels il a participé, mais bien parce qu’il se
conçoit d’abord et avant tout comme un membre de la famille. De notre famille.
Anne-Marie Desbiens
12 3
4 56 78
9 1011 1213
1415 16
distribution
Carl Béchard1 RÉDILLON | Adrien Bletton2 1er COMMISSAIRE |
Normand Carrière3 JEAN, GÉRoME | Jean-Pierre Chartrand4 MONSIEUR PINCHARD |
Violette Chauveau5 MAGGY SOLDIGNAC | Guillaume Cyr 6 2e COMMISSAIRE |
Alexandre Daneau7 le GÉRANT | Rémy Girard8 VATELIN | Roger La Rue9 SOLDIGNAC |
Marie-Pier Labrecque10 ARMANDINE | Véronique Le Flaguais11 MADAME PINCHARD |
Catherine Le Gresley12 CLARA | Danièle Panneton13 CLOTILDE PONTAGNAC |
Sébastien René14 VICTOR | Linda Sorgini15 LUCIENNE VATELIN | Alain Zouvi16 PONTAGNAC
Photos : 1 Julie Perreault 2-6 Maxime Côté 3 Michel Laloux 4 Bernard Préfontaine 5 Paul-Antoine Taillefer 7 Alexandre Leduc 8 André Cornellier
9 Monic Richard 10 Maude Chauvin 11 Stéphane Dumais 12 Josée Lecompte 13 Panneton-Valcourt 14 Ina Lopez 15-16 Monic Richard
repères biographiques des artistes tnm.qc.ca
Téléchargement