638 Distances et savoirs. Volume 8 – n° 4/2010
exemple le succès d’un film comme 2001, L’odyssée de l’espace, de S. Kubrick, ou
celui des romans d’I. Asimov, qui à leur façon mettent en scène l’aliénation des
hommes à la machine, et les risques que ceux-ci courent à laisser des outils
informatisés gérer leur quotidien, n’ont pas participé au moins autant que le journal
Le Monde à diffuser des représentations au sein de la société de cette époque.
Dans cette perspective, le constat de l’inexistence d’une critique sociale vis-à-vis
de l’informatique nécessiterait d’être confronté à une pluralité de supports, tant les
critiques à l’égard des techniques semblent nombreuses et diverses en dehors du
champ médiatique1.
Ensuite, l’idée d’un discours de fond fonctionnant à la négative et soustrayant les
TIC au regard de la critique est certes stimulante, mais le lecteur peut se demander en
quoi ces discours sont une particularité des TIC. Les sociétés contemporaines semblent
constituées d’une multitude d’éléments qui restent impensés. L’impensé technologique
est-il spécifique, et surtout, quelles particularités, quels points communs et quelles
différences présentent ces objets qui bénéficient/sont victimes d’un impensé ?
Dans l’ouvrage de P. Robert, on trouve également une multitude de sous-
entendus qui laissent penser que ces macro-techno-discours sont construits
volontairement afin de dissimuler des opérations proprement idéologiques visant à
promouvoir les techniques en trompant les populations. Dans ce cadre, la technique
est quasiment humanisée : elle « adopte des postures », « possède une logique »,
« rejette des points de vue ». Cette anthropomorphisation de la technique contribue à
faire planer l’idée d’une collusion de faits entre diverses catégories d’acteurs afin de
masquer les véritables enjeux de la diffusion des technologies. Parmi ces acteurs, on
trouve les représentants du secteur marchand, mais aussi les pouvoirs publics, les
médias et, plus surprenant, les sociologues de la technique et des usages.
Ceux-ci joueraient en effet le jeu de l’ingénieur et du commercial, en se portant
garant de l’impensé et en « oubliant » de questionner les enjeux sociaux de leurs
objets d’étude. Les critiques sont virulentes : « le technicien a enfin trouvé ce
sociologue docile qui travaille pleinement à son service en offrant à la technique et à
ses supports marketing une légitimation inespérée » (p. 167). Pour autant le
sociologue en question disposerait d’une réplique imparable contre toute attaque, en
taxant de technophobe tout penseur qui remettrait son travail en question. Ici, le
lecteur pourrait avoir du mal à saisir qui est précisément visé : est-ce le chercheur se
réclamant de la sociologie de l’innovation ? Ou celui qui travaille sur les usages des
TIC ? Dans le premier cas, il nous semble que les travaux relevant de la sociologie
dite de la traduction ont justement cherché à ouvrir cette « boîte noire » qui
1. Sur la question des problèmes méthodologiques que peuvent poser l’étude des
représentations sociales des TIC, notamment sur les rapports entre les propositions contenues
dans un discours et l’impact social de ces propositions, voir Monnoyer-Smith L., « La notion
d’imaginaire : mauvaise réponse à une bonne question ? », Lakel A., Massit-Folléa F. et
Robert P., Imaginaire(s) des Technologies de l’Information et de la Communication, coll.
praTICs, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2009.
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